RWANDA Le devoir d'agir Article paru dans l'édition du 15.04.94
Pour en finir avec les charniers, la France doit mettre en oeuvre au Rwanda le devoir d'ingérence, pour protéger les porteurs de paix contre les porteurs d'armes.
MITRAILLETTES, lanceurs de roquettes, massacres, pillages, rythment la vie désespérante, la vie à ne pas vivre, des habitants de Kigali. Lorsqu'on appelle au téléphone des amis rwandais, ils disent là-bas, quand la ligne se libère : " Maintenant que vous êtes partis, les fosses communes vont bientôt nous accueillir. " Téléphoner à Kigali revient à assister à la mort en direct. Est-ce à ce seul résultat que peut aboutir un travail de coopération au Rwanda ? Il n'est pas l'heure d'expliquer le processus historique qui a conduit au présent drame ou de plaider pour un camp ou pour l'autre : le temps est au sauvetage des vies qui restent. Disons quand même : considérer la situation au Rwanda comme un affrontement entre Hutus et Tutsis est réducteur. Dans cette analyse à la machette, les Européens qui ont été accueillis par les Rwandais ne peuvent retrouver ni les relations d'amitié tissées dans des groupes sociaux fort hétérogènes, ni les combats menés pour le développement avec leurs amis rwandais, Hutus et Tutsis côte à côte jusqu'à l'assassinat infâme des présidents rwandais et burundais. Ceux qui l'ont prémédité savaient bien qu'ils déclencheraient des réflexes infrahumains, à la manière de ceux qui se sont déchaînés après l'assassinat tout aussi ignoble du président Melchior Ndadaye, au Burundi le 21 octobre 1993 : depuis longtemps le Rwanda apprend du Burundi et réciproquement. Parler sans cesse des conflits entre Hutus et Tutsis ne sert pas la population rwandaise, mais l'enferme au contraire dans les simplifications que les extrémismes de tous bords ont répandues depuis trois ans, y compris sur les antennes de radio de la zone. Ce n'est pas dans cette haine raciale que vécurent pendant longtemps les Rwandais, les gens simples, ceux que nous côtoyions dans notre travail. La haine raciale a été développée, distillée par ceux qui voulaient avoir ou conquérir le pouvoir. En danger de mort Tous les Tutsis sont actuellement massacrés de manière ignominieuse, mais aussi avec eux les Hutus du Sud et les Hutus pasteurs, ceux qui oeuvraient pour le dialogue, l'entente, la négociation, et ils étaient nombreux dans nos projets de coopération. Aujourd'hui, bien des Européens tremblent pour leurs amis rwandais. Le seul camp de Rwandais maintenant isolés est la peur et ils ne savent probablement pas, Hutus et Tutsis, qu'ils partagent la même angoisse tant la situation est incompréhensible pour eux, à en croire ce qu'ils osent exprimer au téléphone, victimes potentielles de gens qui se battent pour le pouvoir en utilisant l'arme la plus sordide, la haine raciale, empruntant au fascisme ses facettes les plus dramatiques. Les Blancs partent ou sont partis. L'Occident a réagi promptement en sauvant du carnage tous les expatriés. Leur dernier acte d'honneur fut de sauver des vies humaines en accueillant tous les Rwandais qui se sentaient menacés. Les Européens étaient le dernier
rempart des Rwandais menacés. Aujourd'hui, le rempart a pris l'avion et il ne pouvait pas faire autrement, emportant ses traumatismes violents car voir l'horreur de près marque pour la vie. Mais les pasteurs rwandais, ceux qui rejettent tous les extrémismes, ceux qui veulent vivre dans un Rwanda en paix, se retrouvent encore plus isolés, confinés dans une peur qui va devenir seulement noire. Les simples gens des quartiers sont déjà morts par milliers, mais il en reste beaucoup d'autres à sauver. Le combat des pays démocratiques du Nord ne doit pas s'arrêter au rapatriement de ses ressortissants. Stopper l'action à ce stade serait laisser se poursuivre un véritable génocide de tous ceux qui ont voulu contribuer à la paix en refusant les extrémismes ou encore, de manière plus insupportable, de tous ceux qui n'ont pas eu la chance de naître dans la bonne ethnie, qui n'est pas la même pour tous les extrémismes. Donc de nombreuses personnes sont en danger de mort face aux porteurs d'armes de tous bords. Les radios indiquent que les Nations unies pourraient retirer leurs troupes. Cette erreur dramatique relèverait de la non-assistance à personne en danger ou de la complicité de crimes contre l'humanité. La MINUAR (Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda) doit au contraire avoir le mandat clair d'arrêter les massacres, de désarmer et de s'opposer à toutes forces militaires quelles qu'elles soient qui prendraient encore les populations civiles comme cibles, sur la base de listes à tuer établies de longue date. Elle doit réussir dans cette tâche. Une intervention commune franco-belge La MINUAR pourrait être inefficace comme l'ont été d'autres forces des Nations unies en d'autres lieux. A Kigali, on raconte que l'armée française penche du côté du pouvoir en place tandis que l'armée belge aurait des sympathies pour le Front patriotique. Une intervention commune de la France et de la Belgique serait une bonne occasion de retravailler à la mise en place d'accords si possible durables, après avoir neutralisé les tueurs. Construire l'Europe devrait se faire aussi en oeuvrant ensemble pour sauver les vies de nos amis rwandais. Dans tous les cas, nous avons le devoir d'ingérence. La France ne peut pas laisser un peuple être massacré par des tueurs, même s'ils sont nés en leur sein. Pour sauver les porteurs de paix rwandais et les gens simples comme les porteurs d'armes, la France a l'obligation morale de continuer inlassablement ses efforts pour ramener la paix. Elle doit remettre à la table de négociation les représentants des forces en présence, y compris le gouvernement actuel. Dire cela n'est pas cautionner ce dernier. Mais l'absence de pouvoir est encore la chose la plus redoutable, comme ces derniers jours l'ont prouvé. Encore fautil que le gouvernement en place ait, dès aujourd'hui, des alliés pour ne pas tomber sous la coupe (la kalachnikov ?) d'une force armée incontrôlable, s'il ne l'est pas déjà. Il faut que les pays occidentaux aident les forces non fascisantes à retourner autour d'une table pour qu'on en finisse à tout jamais avec les charniers, là où nos nombreux amis résident aujourd'hui. Il faut que la menace de l'arrêt de l'aide sur une longue période soit brandie, en expliquant qu'on ne saurait reconstruire ce que des gens qui prétendent à la
détention du pouvoir auraient laissé détruire. Et n'y aurait-il pas des places dans les avions pour évacuer les femmes et les enfants de tous ces hommes de bonne volonté, Hutus et Tutsis, qui n'ont jamais, au grand jamais, voulu ce carnage ? Sauvons au moins les enfants de ces amis-là, qui ne sont pas des tueurs mais des morts en sursis. Faisons vite : ce matin, le téléphone de mon plus proche ami rwandais ne répond plus. Où qu'il soit, on aimerait tellement lui dire qu'on reste à ses côtés. TAILLEFER BERNARD
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