Sur le Manifeste du SNP du 31 janvier 2009 pour un Ordre professionnel des psychologues François-Régis Dupond Muzart juriste de droit public — Février 2009 —
Le 31 janvier 2009, le Conseil syndical national du Syndicat National des Psychologues adoptait un Manifeste pour un ordre professionnel des psychologues, document publié le 8 février sur le site du SNP sur l’Internet : cf. http://tinyurl.com/bbtpv9. Cette publication, alors que le document s’adresse aux autres organisations de psychologues, en fait un texte de référence pour le public. Malheureusement, et comme cela est constant jusqu’ici lorsqu’il s’est agi de cette question d’ordre professionnel, il n’est fait dans ce document nulle mention des activités de nature à justifier dans l’intérêt public l’instauration d’un tel ordre professionnel. Pourtant, le manifeste est remarquablement argumenté sur tous les autres points. C’est-à-dire que ce document ne porte que sur la forme, et omet d’aborder le fond, le principal, la seule chose important vraiment. Lorsqu’il le fait, c’est en creux, par la phrase « Protéger le public face aux pratiques se réclamant abusivement de la psychologie ». Cette formule est “décalquée” de celle figurant à l’actuel “Code de déontologie des psychologues” — lequel est en réalité un simple code d’éthique privé. Voici la formule de ce code, qui n’a pas évolué vers plus de précision depuis des dizaines d’années : « Sa finalité est avant tout de protéger le public et les psychologues contre les mésusages de la psychologie et contre l’usage de méthodes et techniques se réclamant abusivement de la psychologie. ». Mais quelles sont donc les « pratiques se réclamant non abusivement de la psychologie », telles qu’il y aurait lieu de les présenter explicitement au soutien d’une demande d’ordre professionnel ? Mystère. Aucune définition n’est donnée, aucune description n’est fournie. Où peut donc bien être l’intérêt public d’établir un ordre professionnel pour des activités que même les intéressés s’abstiennent continûment de décrire dans la perspective d’un ordre, ce qui suscite le doute sur leur capacité à les décrire dans des termes acceptables pour figurer dans un texte juridique de réglementation ? Dans ces conditions, la phrase « Protéger le public face aux pratiques se réclamant abusivement de la psychologie » manifeste l’arbitraire le plus total, à l’instar de celle qui figure au code d’éthique dit « code de déontologie » actuel. Une telle marque d’arbitraire est bien entendu inac-
ceptable pour les juristes, si pas pour les psychologues. Créer un ordre professionnel dans ces conditions non seulement ne présente aucun intérêt public, mais présente un danger public. De plus, s’il en fallait, la phrase « Protéger le public face aux pratiques se réclamant abusivement de la psychologie » présente implicitement la notion d’actes réservés au monopole des psychologues. Mais comment pourrait-il exister un monopole d’activités non définies ? L’arbitraire est renforcé par cette non-définition d’un monopole sous-entendu. Pourtant, dans d’autres pays où un ordre des psychologues existe ou au moins une réglementation des activités, ces activités sont définies, même de manière insatisfaisante. Il existe donc des précédents, dans d’autres pays, dont les psychologues pourraient s’inspirer pour proposer une définition « juridique », c’est-à-dire une définition qui soit juridiquement acceptable, de leurs activités à réglementer au travers de l’instauration d’un ordre professionnel. Mais ils ne le font pas. Ils ne le font toujours pas, dans aucun document, depuis qu’il est question d’ordre — et ce n’est pas d’hier. C’est qu’ils ne veulent pas le faire : quoi conclure d’autre ? Et alors, c’est qu’ils attendent des juristes qu’ils définissent ces activités « psychologiques » que les psychologues ne veulent pas décrire euxmêmes aux fins de l’ordre qu’ils réclament ? Tout ceci est curieux, extrêmement curieux ; la seule chose de claire est l’arbitraire sur lequel ouvre la formule « Protéger le public face aux pratiques se réclamant abusivement de la psychologie ». Une telle constance dans une telle formule, après des dizaines d’années de “code de déontologie” (code d’éthique privé) comportant une mention analogue, fait regarder avec effroi la perspective de délégation de puissance publique à un ordre des psychologues pour assurer des fonctions juridictionnelles disciplinaires. Effroi, n’exagérons rien : l’on peut dire aussi « étonnement ». Il semble que le public auquel s’adresse la publication volontaire sur l’Internet d’un « manifeste » ait « droit », à un moment ou à un autre, de s’attendre enfin à des précisions sur le flou artistique des formules censées le « protéger ».
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