Villon_ballade Dite Des Proverbes

  • December 2019
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  • Words: 1,170
  • Pages: 5
Villon, Ballade dite des proverbes

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Tant grate chievre que mal gist Tant va le pot a l’eaue qu’il brise Tant chauffe on le fer qu’il rougist Tant le maille on qu’il se debrise Tant vault l’omme comme on le prise Tant s’eslongne il qu’il n’en souvient Tant mauvais est qu’on le desprise Tant crie l’on Noel qu’il vient Tant parle on qu’on se contredist Tant vaut bon bruyt que grace acquise Tant promet on qu’on s’en desdist Tant prie on que chose est acquise Tant plus est chiere et plus est quise Tant la quiert on qu’on y parvient Tant plus commune et mains requise Tant crie l’on Noel qu’il vient Tant ayme on chien qu’on le nourrist Tant court chanson qu’elle est apprise Tant garde on fruit qu’il se pourrist Tant bat on place qu’elle est prise Tant tarde on qu’on fault a l’emprise Tant se haste on que mal advient Tant embrasse on que chiet la prise Tant crie l’on Noel qu’il vient Tant raille on que plus on n’en rit Tant despent on qu’on n’a chemise Tant est on franc que tout se frit Tant vault tien que chose promise Tant ayme on Dieu qu’on fuit l’eglise Tant donne on qu’emprunter convient Tant tourne vent qu’il chiet en bise Tant crie l’on Noel qu’il vient Prince tant vit fol qu’il s’advise Tant va il qu’apres il revient Tant le mate on qu’il se radvise Tant crie l’on Noel qu’il vient

 texte en moyen-français  ballade de 36 octosyllabes : 4 huitains ou strophes (ababbcbc) de 8 vers + un quatrain (envoi ; bcbc)  ponctuation moderne ajoutée par les éditeurs successifs du texte (introduite en 1525 par Geoffroy Tory, l’apostrophe était inconnue du moyen-français) ; il y a de fortes chances pour que certaines graphies aient été normalisées  « Ballade des proverbes » : titre dû à Paul Lacroix (P.-L. Jacob, bibliophile) ; dans certaines éditions, le deuxième huitain est manquant Remarques à propos du refrain : « Le peuple crioit Noël à l’arrivée des princes, à leur naissance, et dans quelques autres solennités publiques. Le verbe crier a deux sens ; il signifie crier et appeler. Le proverbe joue sur cette double signification. Le peuple, dans ses cris de joie, appelle si souvent Noël qu’à la fin il arrive. » J.-H.-R. Prompsault, 1835, p. 323

À ce sujet, Louis Thuasne (1923, p. 553) signale un passage du Journal d’un bourgeois de Paris 1405-1449 (Alexandre Tuetey, 1881, p. 200) :

La scène décrite se passe le 8 septembre 1424. Charles VI est mort le 21 octobre 1422 ; son successeur (par le traité de Troyes), le roi d’Angleterre Henri V, est mort (à Vincennes) peu avant, le 31 août 1422 et le prince de Galles — le futur Henri VI —, né le 6 décembre 1421, n’est pas en âge de régner. C’est par conséquent son oncle, John of Lancaster, 1st Duke of Bedford, qui est alors (et jusqu’à sa mort, en 1435 à Rouen) régent de France. « Environ cinq heures après disner » : vers 17 h

Il faut lire crië (2 syllabes), faute de quoi le vers est boiteux, et Noé (la consonne finale est purement graphique). Illustrations : « C’est cil qui nasqui au noé » (Rutebeuf, La Vie sainte Marie l’Egiptianne, v. 1060, rimant avec cloé), « Tant que chascuns devra crier : Noé ! » (Eustache Deschamps, refrain de la ballade ayant pour incipit Esjoui toi, Jerusalem dolente et où le mot rime avec des formes de participe passé en -é), « C’est trop à la bille joué ; Chantons Noé, Noé, Noé » (Clément Marot, Chansons) ; Christine de Pizan, Livre des fais et bonnes meurs du sage roi Charles V, à propos du baptême de Charles VI, le 6 décembre 1368 :

sanz faire aulcun ouvrage : la journée est chômée

Notes v. 1 gist : cf. Comme on fait son lit, on se couche v. 2 brise : cf. Tant va la cruche à l’eau… ; remarquer l’emploi intransitif v. 3 chauffe on : -e est élidé dans toutes les formes verbales précédant on, sauf au refrain

v. 4 maille : mail « marteau » (cf. maillet), donc « marteler » v. 4 debrise : nous avons conservé le déverbal « débris » ; autre emploi chez Villon : En ce temps que j’ay dict devant […] Me vint ung vouloir de brisier La tresamoureuse prison Qui faisoit mon cueur debrisier

v. 5 prise : du verbe prisier « évaluer à un certain prix, estimer », nous n’avons conservé que « prisé » et « commissaire-priseur » Tout leur maton*, ne toute leur potée Ne prise ung ail, je le dy sans noisier

* « lait caillé »

v. 6 s’eslongne : « s’éloigne » ; -ongn- note la prononciation [õɲ] v. 7 desprise : desprisier « déprécier ‖ mépriser », cf. it. disprezzo, esp. desprecio « mépris » v. 10 bruyt : « réputation » v. 13 quise et v. 14 quiert (+ v. 15 requise) : du verbe querre « rechercher », devenu « quérir » comme courre est devenu « courir » v. 15 mains : issu de meins, a évolué en « moins » v. 20 bat : les assiégeants d’une ville fortifiée (une place forte) en attaquaient les murs à coups de bélier ou de canon v. 21 fault : de faillir « échouer » v. 21 emprise, du verbe emprendre « commencer, mettre en œuvre », cf. it. impresa (Le cortesie, l’audaci imprese, io canto Arioste). Selon le DRAE, l’esp. empresa est emprunté à l’italien; l’anglais emprise (Chaucer, Spenser, Milton) vient du français v. 23 embrasse : « serre dans ses bras ou contre soi, étreint » (sens conservé dans l’anglais to embrace), cf. Qui trop embrasse… v. 23 + v. 31 chiet : « tombe », de cheoir (le -e- intérieur, qui a disparu des mots de la famille tels que « chute » ou « chance », s’est maintenu dans « (d)échéance » et (le cas) « échéant ») v. 26 despent : « dépense », de despendre, qui survit dans la forme anglaise à aphérèse to spend v. 27 franc : « généreux » (voir le sens du vers précédent) v. 27 frit : on comprend généralement « tout y passe » v. 28 tien : il ne s’agit pas ici de l’adjectif possessif mais de l’impératif (« tien ou tiens — le premier est le plus suivi », écrit Vaugelas, et Féraud en 1787 n’y contredit pas), cf. La Fontaine (V, 3 : Le petit poisson et le pêcheur, vv. 24-25) dans l’édition Barbin de 1668 :

v. 29 fuit : conjectural ; le texte porte fait ou ſuit v. 30 convient : « devient nécessaire, inévitable » v. 33 fol : « sot » v. 33 s’advise : « devient sage » v. 35 mate : « vainc, dompter » v. 35 se radvise : « s’assagit »

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