Still Life, Pourquoi avoir choisi la version anglaise du mot « nature morte » comme titre à notre exposition ? Est-ce une façon de nous détourner de ce qui dérange, par des paroles qui murmurent une musique plus douce à nos oreilles que celle de notre langue maternelle, des mots à la fois étrangers et universels, pour parler de ce que nous osons plus volontiers affronter au travers de notre pratique plastique ? Est-il toujours si difficile de dire l’inéluctable, de formuler cette possibilité absolument certaine, de penser cette absence inhérente à notre condition d’êtres humains ? Parce que dans « nature morte » il y a aussi notre propre définition, oui, notre nature d’êtres vivants est bien d’être mortels. Still : c’est l’image fixe au Cinéma, l’arrêt sur image, le photogramme (pellicule ou numérique) que l’on coupe par l’opération du montage, ou que l’on ralentit jusqu’à l’immobilité. C’est le temps en suspens. Matérialisée par une série de dessins aux techniques mixtes, comme des pages arrachées à un carnet de voyage, pour finir épinglés le long d’un mur comme autant d’insectes morts dans leur boîte, la flèche du temps, pointée vers l’inéluctable finitude, effeuille des instants suspendus de vie. Still : c’est aussi, l’image mortifère sur laquelle est tombé le « rideau - couperet » de l’appareil photographique qui de son regard de Méduse pétrifie nos souvenirs en inscrivant leurs traces. « Plâtrifiés », à l’image de ces fruits et légumes qui deviennent comme des figures de stèles, des portraits abstraits à la fois inanimés et vacillants, stables et mouvants, hésitants entre éphémère et inaltérable, entre le net et le flou. Still : signifie aussi la persistance infime du vivant, quelque chose de l’ordre de la vibration, de l’émotion : un reflet, une ombre portée, au détour d’un drapé évoquant une forme humaine. La persistance de l’organique dans les matériaux comme la terre, le feu, le papier ; certains même sont de provenance animale comme les plumes. L’assemblage du mot Still avec le mot Life donne des ailes à la nature morte, l’expression Still Life s’envole, elle a quelque chose d’aérien, de léger, de presque fantaisiste. Ce qui était voué au rebut, parce que devenu déchet, se fait une fois recyclé, devinette, plaquée sur aluminium, pour provoquer notre interrogation et nous obliger à une parenthèse dans notre course contre la montre face au « rébus » inscrit tel une épitaphe. Et au delà de la référence à l’histoire de l’Art, le clin d’œil aux maîtres du genre (on pense notamment à Chardin) nous inscrit, de part la forme (thermocollage sur alu, sorte de gravure inversée) dans une réalité en prise directe avec la « vraie vie », une écriture en relief pour les aveugles que nous sommes et qui nous rappelle que morti natus est. Et même quand la forme se fait plus académique, comme par exemple avec ces tirages photographiques numériques imprimés sur toile, pour nous entraîner dans l’illusion de la peinture, le sujet nous ramène à des objets bien contemporains, tel l’écran d’ordinateur qui devient modèle ou qui aurait ici remplacé le pinceau du peintre. L’humour, le jeu, comme arme face à l’inacceptable, Still Life est aussi le nom d’un jeu vidéo dans lequel la référence à la mort est constante. Le virtuel prend la place de l’imaginaire, mais la question reste toujours celle de la différence entre le rêve et la réalité, le vrai et le faux, et celle de la représentation dans l’Art. Le jeu d’une petite fille qui marche vers la mer et s’amuse à éviter les vagues devient dans la manipulation de l’image par le montage une chorégraphie mélancolique mettant l’accent sur l’hésitation de l’enfant face à l’inconnu. Variation et répétition, pour se souvenir du passé, et rester un temps entre-deux. Avec toujours le parti pris de la légèreté dans l’utilisation du tulle, référence directe au vêtement des danseuses, comme écran de projection, qui à la fois retient et diffuse l’image, la démultiplie. Déjà inscrite dans les Images Super 8, auxquelles les vibrations de la lumière ont redonné vie : la destinée Icarienne d’une Ombre de terre brûlée que l’on devine dans l’agitation des bras de l’enfant. L’ombre, par définition insaisissable, captée grâce à l’instantanéité de l’appareil photographique puis révélée par l’application de terre, et fixée par l’écriture ignée devient une image immobilisée (Still) de ce qui était la preuve fugace de l’existence (Life) corporelle (l’ombre). L’ombre, la trace, l’empreinte, la peau « enveloppe mémoire » du corps absent. Des carcasses souples de latex semblent nous tendre la main et s’avancent vers nous telles des sculptures encore vivantes. D’autres plus loufoques, telles des pastilles colorées à outrance nous ramènent vers les pitreries de l’enfance. Des moulages, comme des masques. Le burlesque, toujours, pour prendre le parti d’en rire. Rire ou sourire devant l’accidens : ce qui arrive. Devant la chute, corollaire inévitable du désir de vol, du désir d’élévation. Chute des corps ou chute des matériaux, confondus dans l’idée de la catastrophe tellement contemporaine. La matière qui touche le sol devient déchet. L’accumulation de jouets abandonnés dans un bac à sable, tels des cadavres sur un champ de bataille nous rappelle l’insouciance perdue de notre enfance et la cruauté du temps qui passe. Pour d’autres, les matériaux aussi différents que l’acier, le marbre, et le bois jonchent le sol comme un squelette désarticulé, dont les membres tubulaires semblent chercher à toucher le ciel malgré la lourdeur du marbre qui rattache à la terre ou à proliférer en rampant au ras du sol telle la mauvaise herbe encore vivace. Le minéral, le métal, le bois, autant de matériaux bruts qui s’offrent a tous les possibles de la création, en attente du geste de l’artiste. La mise en espace quasi chorégraphique des objets nous fait oublier leur caractère inanimé, et nous rappelle que dans le chaos est inscrite la reconstruction. L’expression Still Life est peut-être tout simplement celle qui correspond le mieux à cette pause dans nos parcours d’artistes où un coup de dés nous a rassemblé afin de mettre en écho nos travaux le temps d’une exposition. Florence Babin. ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------------[ Exposition Still Life, du 22/10/08 au 08/11/08 - Galerie CROUS Beaux-Arts, 11 Rue des Beaux Arts 75006 Paris ]