Pourquoi ce qui pue pue?
(Chronique radio pour l’émission L’art de conjuguer à CKIA, printemps 2007, sur le verbe puer)
Comme tu sais David, j’avais très hâte à l’émission sur puer parce que je voulais en profiter pour répondre à cette question essentielle (pour moi en tout cas) : pourquoi ce qui pue pue?
D’abord, comme toute chercheuse qui se respecte, j’ai commencé par taper dans Google « Pourquoi ce qui pue pue? » (j’ai même cherché en anglais : « Why stinking things stink? »), mais il semble que je sois la seule que la question intéresse. Par contre, en fouillant, j’ai trouvé des réponses partielles : par exemple, si le pipi pue, c’est parce qu’il y a dans l’urée des déchets soufrés et de l’ammoniaque. Ou encore, si la sueur ne sent pas bon, c’est parce qu’elle macère au contact des bactéries qu’on trouve sur la peau. Les flatulences, elles, quand elles empestent, c’est à cause, entre autres, du sulfure d’hydrogène et du mercaptan qu’il y a dans les gaz. En fait, la plupart des odeurs corporelles proviennent des colonies de bactéries qui se trouvent dans notre système digestif et les replis de notre peau. Même chose pour les matières en décomposition : l’action des bactéries qui s’y agitent crée des gaz malodorants. Donc, explication : ce qui pue puerait à cause des bactéries.
Mais, me diras-tu, ça ne nous dit pas pourquoi le gaz produit par l’action des bactéries a une mauvaise odeur. Autrement dit, dire que le soufre sent l’œuf pourri ou que l’œuf pourri sent le soufre, ça ne nous dit pas pourquoi le soufre et l’œuf pourri sentent mauvais, hein? Comment expliquer le phénomène de la malodorance? Pourquoi y a-t-y des choses qui sentent mauvais, dans le monde?
Mon hypothèse – et je ne suis pas la seule à la formuler –, c’est que les choses sentent mauvais pour qu’on sache qu’elles ne sont pas bonnes pour nous. La
nourriture avariée ne sent pas bon, le caca ne sent pas bon, etc. On peut donc en déduire que pour un vautour, le cadavre d’une vache sent très très bon. Ce serait un merveilleux truc de l’évolution pour nous garder en vie. Mais alors, que penser des fromages, hein? C’est bon, le fromage, mais ça pue. Et puis les substances toxiques, elles ne sentent pas toutes mauvais. L’oxyde de carbone ne sent rien. Le gaz naturel ne sent rien; en fait, s’il sent quelque chose, c’est qu’on ajoute dedans des composés qui sentent mauvais pour éviter les accidents. Alors l’incinérateur et la Stadacona, dont les cheminées empestent Limoilou quand le vent souffle de l’est, est-ce que le fait que ça sent pas bon veut dire que ce n’est pas bon pour les habitants? D’après le comité de citoyens pour la fermeture de l’incinérateur, ce serait le cas. Si le comité a raison, est-ce que ce n’est pas bon juste quand ça sent mauvais, ou c’est dangereux tout le temps? Bref, le nez est-il un bon système d’alarme? Non, on dirait que non.
Autre aspect de la question : la variété du concept de mauvaise odeur. Les mauvaises odeurs ne sont pas mauvaises pour tout le monde. Quand tu rentres dans une pièce quelqu’un vient de faire frire du poisson, tu sens tout de suite l’odeur, mais la personne qui l’a préparé ne la sent plus. Idem : pourquoi les gens qui sentent mauvais ne s’en rendent pas compte? On a tous côtoyé une personne qui empestait la transpiration, une vraie infection, que c’est un vrai mystère pourquoi elle ne le sentait pas. Et puis rappelez-vous de ce prof qui avait tellement mauvaise haleine tout le temps que c’était à se demander s’il n’avait pas un pois chiche pourri coincé entre les dents depuis la dernière guerre. En plus, c’est évidemment celui qui vous parlait toujours à deux pouces de la face.
C’est le phénomène d’adaptation : à un moment donné, le nez est saturé des particules chimiques qui véhiculent l’odeur et ne transmettent plus le message olfactif au cerveau. Dans le même genre, il existe une éducation culturelle à l’odeur. Selon les cultures, on trouve des odeurs bonnes ou mauvaises. Par exemple, il paraît que les Suédois se délectent du hareng de la Baltique
fermenté, un mets qui pour toi et moi sent l’œuf pourri et/ou la fosse d’aisance, selon les témoignages. Ils sont drôles, les Suédois, hein? Mais peut-être qu’ils n’endurent pas, eux, l’odeur des fèves au lard, qu’est-ce qu’on en sait?
Bref, la réponse à la question « pourquoi ce qui pue pue? » est multiple étant donné les nombreux aspects – culturel, social, chimique, biologique – de la mauvaise odeur. Alors pour conclure cette grande réflexion je dirais : 1) on est probablement tous le puant de quelqu’un; 2) éloignez-vous des choses qui sentent pas bon, sauf du fromage et du poisson fumé.