No Format

  • October 2019
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« J’aimerais que des pirates viennent passer quelques jours dans un petit label » par Astrid Girardeau mardi 7 octobre 2008

tags : musique, interview, riposte graduée, Loi "Création et Internet"

Illustration de Ninja Pleasure pour « Solo Piano » de Gonzales - DR Créé en 2004, le label parisien No Format se présente comme un « véritable appel d’air frais » dans « le paysage musical factice fabriqué de toutes pièces par la logique de formatage des goûts qui régit aujourd’hui la politique de l’industrie du disque. ». Son catalogue accueille par exemple Nicolas Repac, Misja FitzGerald Michel, ou Gonzales. C’est donc un petit label indépendant comme il en existe des centaines en France, et des milliers dans le monde. Dans le débat actuel sur la création musicale et la lutte contre le piratage, Laurent Bizot, le directeur du label, nous fait partager sa vision, ses coups de gueule, et ses attentes. Pouvez-vous présenter No Format ? No Format ! est né en 2004 pour défendre des projets musicaux hors normes, et proposer autre chose que le paysage musical formaté en vigueur dans l’industrie du disque. Nous avons 13 références à notre catalogue, des albums tous très différents, certains sont des albums de collaborations musicales libres et inattendues tels Yelema de Mamani Keita et Nicolas Repac, le duo balafon-vibraphone Kangaba de Lansine Kouyaté et David Neerman, ou encore Julia Sarr et Patrice Larose qui ont marié musique sénégalaise et flamenco. D’autres sont des pieds de nez à l’industrie musicale, tels Solo piano de Gonzales, ou Identité en crescendo de Rocé. En tant que producteur indépendant, pouvez-vous expliquer votre fonctionnement ? Entre l’idée de l’album,— parfois née d’une rencontre initiée par le label ou d’un coup

de cœur—, son écriture, son enregistrement, et ensuite la conception graphique de l’objet, et la promotion, on travaille en général deux à trois ans sur un projet. Pendant ces deux à trois années, on se voit pour travailler quasiment tous les jours. Petit à petit, on avance ensemble. Mon boulot c’est de donner à l’artiste les moyens de concrétiser son œuvre du mieux possible. Mes contrats sont très différents de ceux des majors. Ils sont très courts, souvent limités à un seul projet pour donner plus de liberté à l’artiste, contrairement aux contrats d’exclusivité usuels qui peuvent s’étaler sur 5 à 10 ans. Les recettes de l’exploitation de l’œuvre sont partagées entre l’artiste et le label, selon une clé de répartition variable et adaptée à l’économie du projet, l’artiste gagnant entre 40 et 65% des recettes encaissées par le label, et ce dès le premier disque vendu. Ce qui est également assez loin du système habituel de redevance. Vous réagissez vivement à l’image générale du producteur de musique... Produire un artiste, c’est un gros investissement, financier mais surtout humain. C’est un métier passionnant, prenant, nourrissant, mais très difficile. Surtout aujourd’hui. Dans mon entourage on me prend pour un fou. Car parmi les petits labels, les audacieux, les aventureux, la plupart sont obligés d’arrêter, de mettre la clé sous la porte. Or non seulement on ne parle jamais de ça, mais l’image du producteur de disque dans les médias et dans l’opinion est très caricaturale, à mille lieues de la réalité. A chaque fois que je lis un article sur la musique, ça me frappe. Producteur de cinéma, éditeur de livre, ce sont des métiers nobles, artistiques. Mais dans la musique, le cliché qui revient toujours c’est le producteur flambeur, le producteur "Star Ac", avec le gros cigare, qui exploite l’artiste. Evidemment à ce compte-là, le piratage parait légitime. Voler un riche malhonnête, où est le mal ? Malheureusement, les gens ne se doutent pas que 95% des artistes musiciens ne sont ni connus ni riches, et que leurs producteurs non plus. Les musiques dites du monde, l’électro, le jazz, le classique, la musique contemporaine, les musiques improvisées, les musiques moins commerciales que la pop ne passent pas à la télé et ne sont pas forcément produites par des majors. Ca représente pourtant pas mal d’artistes, de visions. Et aussi de nombreux labels, managers, éditeurs. Car contrairement à ce qu’on peut croire un artiste ne construit pas une carrière tout seul, sur mySpace, il a besoin d’un entourage professionnel pour mener à bien son projet. Je constate simplement que le producteur de musique n’est pas considéré comme il devrait l’être. Aujourd’hui tout cet équilibre est en danger, et on n’en parle pas. Est-ce dû au fait que les médias ne donnent la parole qu’aux dirigeants de majors, qui ne vivent pas les mêmes réalités que nous ? Ou est-ce que les groupes de nouvelles technologies sont beaucoup plus forts en communication que les gens de la musique ? J’imagine que ça arrange aussi beaucoup de gens de laisser le haut débit se développer, or clairement il s’est développé à vitesse grand V grâce au peer to peer. En tout cas il y a un gros manque de communication entre les professionnels de la musique et le grand public, et du coup un climat qui favorise le téléchargement illégal c’est clair. Quand on réalisera les dégâts, est-ce que ça ne pas trop tard ? Sur votre site, vous ne proposez pas de versions numériques des albums. Pourquoi ? On travaille beaucoup sur Internet. Mais sur notre site le développement d’une application informatique type i-Tunes coûterait très cher, or soyons clair, aujourd’hui le numérique légal, ça ne rapporte presque rien. Aujourd’hui, au niveau strictement économique, i-Tunes me rapporte quelques centaines d’euros par mois tout au plus, et

je ne parle même pas des autres sites, ça tend vers zéro. Ce qui n’empêche pas qu’on doive y être et préparer l’avenir. Pour l’instant on a fait le choix de laisser les grosses plate-formes distribuer nos albums, et on propose au public de commander les albums en version physique. Ce qui a un sens parce que nos albums sont de beaux objets. On travaille énormément sur le graphisme et les illustrations. Et je crois que pas mal de gens aiment acheter un beau disque, comme ils achètent un beau livre. Somme toute mon métier ressemble beaucoup à celui d’un petit éditeur de livre. Pourtant l’un des grands enjeux de l’industrie musicale aujourd’hui est la distribution sous format numérique... C’est vrai, le format numérique va certainement dominer dans l’avenir,— même si je crois que l’objet va coexister—, mais on ne sait pas quel modèle économique s’imposera. Le modèle i-Tunes, j’achète un fichier numérique à l’unité et il m’appartient ? Le modèle streaming, j’écoute et je partage ? En m’acquittant d’un abonnement mensuel ou en acceptant de subir de la pub ? Ou bien le piratage, je prends tout et je ne paie rien ? Ou bien tous les modèles vont cohabiter ? De toute façon pour les producteurs et les artistes, l’équation est simple, d’une manière ou d’une autre il faut qu’il y ait une rémunération, il ne peut y avoir pas d’œuvre sans une économie qui tienne la route. Sur un plan personnel on ne peut pas passer trois ans à travailler sur un projet, y mettre tout son temps et des dizaines de milliers d’euros, et accepter de ne rien gagner de l’exploitation de ce projet. Sur un plan plus large, si le piratage s’impose il n’y aura que deux solutions pour l’artiste, soit il sera sponsorisé par des marques genre Coca-Cola, qui exigeront un certain niveau de notoriété préexistant,— ce qui laisse augurer de ce qui arrivera au plan de la diversité des œuvres—, soit on reviendra au temps ou l’artiste était complètement pris en charge par le Roi, ou par l’Etat, ce qui ne semble pas souhaitable. Donc format numérique, oui bien sûr, mais à condition de trouver un système de rémunération juste, qui permette aux artistes et aux producteurs de vivre et de continuer à produire. Justement, quelle est votre vision du piratage ? Je comprends que ça existe puisque c’est facile à faire et qu’on ne risque quasiment rien. Ce qui me surprend beaucoup c’est qu’autant de gens trouvent ça normal. Par le biais d’un concept très étrange, « le droit d’accès à la culture ». La culture devrait donc être accessible à tous, gratuitement, sans effort ni contrepartie. Ce week-end, j’ai essayé de forcer l’entrée d’un cinéma sans payer, j’ai pris un coup de pied au cul, ils n’avaient pas l’air de connaître le concept. Au théâtre, ça n’a pas marché non plus. Le week-end prochain j’irai me servir dans une librairie, j’espère que ça se passera mieux. Sérieusement, le discours des associations de consommateurs ou d’internautes qui justifient le piratage par cette idée, c’est vraiment n’importe quoi. Réclamer le libre accès à la culture, tout en méprisant les artistes qui la font, c’est quand même paradoxal non ? Jusqu’au jour où ils n’auront accès à rien du tout, parce si la musique continue à se paupériser, elle perdra fatalement en qualité et en diversité. Seuls les gros du music business qui rempliront le Stade de France auront les moyens de financer leurs albums. Ce n’est pas à eux que le piratage nuit. La gratuité a un prix. Que pensez-vous de la riposte graduée ? Ca me parait une solution de dissuasion plutôt douce, raisonnable, beaucoup mieux que la doctrine précédente de pure répression. Apparemment ça a marché dans d’autres

pays. Mais on n’aura probablement pas le temps de voir si ça marche puisque les députés Européens ont jugé que couper l’abonnement d’un pirate récidiviste, même après plusieurs "s’il vous plait, soyez gentil d’arrêter", c’était porter atteinte à un droit fondamental de la personne ! Incroyable... Je n’en reviens pas... Entendons-nous bien, le gars commet un délit, on le prévient, on le re-prévient, on le re-re-prévient et à la fin on lui suspend son abonnement pendant quelques mois, sans aucune autre sanction ni amende, et on nous dit qu’on porte atteinte à un droit fondamental ! J’aimerais vraiment que des pirates viennent passer quelques jours dans un petit label pour réaliser le travail qu’il y a derrière un album. Soit dit en passant, c’est déjà Bruxelles qui empêche le disque de mettre en place le système de prix unique, — système qui a sauvé les librairies de quartier et qui aurait à coup sûr permis de sauver les disquaires indépendants—, et c’est encore Bruxelles qui refuse d’entendre parler de la TVA à 5,5% pour le disque comme c’est le cas pour le livre. Décidément pour eux, la musique ce n’est pas de la culture. Beaucoup d’acteurs du milieu appellent avant tout, et d’urgence, à la réflexion et au développement d’un vrai nouveau modèle économique. Bien sûr qu’on doit plus réfléchir, tous ensemble. Bien sûr qu’il y des nouveaux modèles à inventer. Je vous invite par exemple à lire les propositions formulées par Marc Benaiche ou les réflexions de Gerd Leonhard. Soyons honnête, si on en est là, c’est aussi parce qu’on a manqué de plein de choses, faculté à anticiper, à réfléchir, à expliquer et défendre notre métier, à se grouper pour faire du lobbying. Que pensez-vous de la licence globale ? Je n’étais pas vraiment pour, mais ma position évolue. C’est très compliqué à mettre en place, mais c’est sans doute un système de ce type qui seul peut permettre aux gens de consommer la musique d’une nouvelle façon tout en permettant à ceux qui la font d’en vivre. En tout cas les majors et les organismes influents n’ont pas réussi à proposer un système plus efficace que la licence légale, et le marché ne cesse de baisser donc on va fatalement y revenir. Quelle est votre vision du secteur de la musique dans 10 ans ? C’est un peu comme l’écologie, j’hésite entre vous répondre le marasme total et une situation qui se serait naturellement rééquilibrée. Je n’en sais rien, mais il est vraiment temps de réagir.

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