Livre : Bris De Verre / Poemesn Brugesooooooooooooooooooo

  • May 2020
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Livre : Bris De Verre / Poemesn Brugesooooooooooooooooooo as PDF for free.

More details

  • Words: 6,808
  • Pages: 85
christian erwin andersen

BRIS DE VERRE

pour mon fils Sven et sa maman Nadine

pour Nicoletta Gossen

pour Gawril Seppers

et à tous mes amis tsiganes

2

Cri de la myrtille sur un marbre blanc

3

une saison saigne le corps éructe le verbe – feu - follet énonce la mort aux lèvres bleuies

tout est noir bleu crache son dégoût

un soleil schismatique érige le chaos les racines s’effarent la terre bâfre les héliotropes

la cendre trace ses ellipses la parole scelle les judas inscrit l’ombre et le feu dans la durée

cri de la myrtille sur un marbre blanc

personne n’entend tu ris mes mots ont les yeux du sommeil

4

ce sont d'humbles paroles très humbles ayant le luxe noble de la précarité

5

Tu souris

sur la crête au même instant le soleil déborde

6

instillant ses ors dans la goutte d'eau accrochée à la toile d'épeire

l'oracle s’enchante et prophétise

il est lumineux dans sa parure d’aragne

un fil d’Ariane à la patte lui sied à merveille sa vérité n’est-elle pas pendante

c'est printemps la taupe dans sa galerie met bas une nouvelle lune elle est rousse

après automne hiver

puis justice l'été vient

au sommet de l'arbre le jour tremble demain sera précaire

Tu remues les lèvres tu parles je crois entendre un chant toute criblée d'ions tu t’es mise à vibrer

j'esquisse un premier pas et c'est un pas de danse ça tangue bascule et roule glisse par pans entiers

7

du jour vers la nuit passant par midi qui croule sous les grillons

tant de beauté c'est une immolation ce vertige qui à contrejour à contresens de haut me saisit

que me veut donc l’enfant entêté appelant en moi à tue-tête alors que la mort obtuse déjà fait feu des deux naseaux

Avant de l’écrire va voir ton poème

il t’attend sur le seuil pourquoi es-tu venu il ne le sait pas tu dois le mettre en confiance

lisez vous face à face ton poème et toi lisez-vous les yeux dans les yeux comme font les gens du désert

8

qui se croisent après avoir marché longtemps

ce sera sa première lecture l’inévitable par quoi tu sauras

sois prudent si ses yeux fuient c’est un poème félon égorge-le

si au contraire tu sens soudain une grande joie parce que tu viens de reconnaître ton enfant prends le dans tes bras étreins-le promène tes doigts sur son corps délicat fais qu’il s’enchante et à son tour découvre son poème

enfin si tout à coup tu vois qu’il se met à trembler réjouis-toi c’est un bon poème

9

Des bonbons verts pour Marcel Moreau

Peu me chaut qu'ils soient hors du temps et de noirceur qu' ils aient battu leur coulpe d'ignominie acquis souvent relents de meurtres d'injures par la bouche de guerriers ivres dans les cités en flammes

ils ont les mains sales les yeux rougis ils sont mes mots grotesques lorsqu'en urgence d'extrusion ils braillent sous la férule du plaisir espiègles quand des picotements acidulés

10

me révulsent la langue parce que ton sexe rose a ce goût incroyable de bonbons verts de serments intenables et de chèques en blanc que tu sais ils viennent d'un pays de cascatelles où les premiers ils nommèrent par son chant l'eau qui libérée se mit à courir

d'autres sont accourus de l'antre des gargouillis où premiers encore ils dirent par son cri terrible la faim qui dès lors se mit à essaimer

ils sont frères et sœurs mignons en tout venus des plaines pubiennes de nos femmes qui par l'ombilic nouèrent à nos cous la meule de dire

ils ont la lumière douce des clairs de lune quand le soleil ensanglanté déserte et que bretelles basses tapi aux lisières du plaisir l'astre satyre gicle projetant à notre face l'accusatrice lactescence des étoiles

qu'ils me nient ou m'édifient ils m'assurent source fraîche lorsque de vivre l'envahissante fièvre se fait incandescence et désespoir mêlés

ce sont paroles de bure et de silices lourdes comme le pas harassé des pèlerins formées dans l'ascèse des temps de genèse paroles si épouvantablement loin conçues et rescapées de tant de chaos qu'en invoquer l'origine vaut pardon que leurs forfaits s'en trouvent abolis

ce sont d'humbles paroles très humbles ayant le luxe noble de la précarité glanées dans les brocantes de l'homme en route vers l'homme enfin par tant de chemins malgré tant d'infamies

11

tant de croisées en route oui

elles sont mon obole au présent irritant et quémandeur à l'avenir tout en dérobades et refus de perspectives elles énoncent mieux que grammaire et syntaxe mieux qu'à la vie et à la mort irrémédiablement tantôt nues tantôt vêtues de lumière que là où je me tais si je me tais l’infini trébuche

le sang a pris froid on a jeté le pain

12

13

Pleine lune dans un ciel vide que rien n’habite hors l’effroi

pas même le cri des grands oiseaux précipités dans le puits de la nuit

pleine lune car si n’était un peu de sang pour farder l’aube qui rosirait le sourire contraint du matin

pleine lune c‘est tout ce qu’il nous reste et sa douceur pour éclairer les choses

chemins de traverse ou soleils factices pour tricher pour le sommeil cherché en vain

pleine lune et sa lumière rousse pour allumer nos yeux encore plus tard quand nous nous souviendrons

14

de l’amour

pleine lune juste un peu que la nuit se taise

Je suis un petit homme que la fureur du plomb acharné sur le siècle a fait taire

une gueule cassée criant sous les acides les phosphores et les arsenics

j’ai craché mes poumons c'est peu de choses et ils ont bu leur honte enfin zyklon B a fait le reste des hommes encore sont tombés

ils tombaient sous un déluge d’acier et de mensonges appelaient leur mère et mouraient

je m’en souviendrai cent fois j’ai maudit dieu qui criait allô allô

je suis un homme hagard j’interroge le ciel seul un vent fou me répond un homme hébété de douleur

je suis un géant rétréci ma vie hoquète devenue si petite

15

que je ne l’aperçois plus

je suis cet homme qui règle son ardoise et qui fut lâche

Où va donc le sang ainsi par longs écoulements à grands flots sur les pentes de l’être et des siècles

est-ce vers ces vastes prairies rousses hantées par la soif irréductible et les bêtes féroces vers ces lieux parcourus par l’ancêtre précédé des singes aux yeux malicieux ouvreurs des premières pistes

aurait-il dans la cohue des meurtres de chute en chute découvrant la litanie des défaites oublié les tropismes essentiels du ciel et de la terre de l’eau et du feu

rejeté les signes mystérieux gravés dans la pierre ou peints à la pourpre qui de tout temps menèrent à de somptueuses épiphanies

où va le sang qui le guide encore et si besoin le harcèle si ce n’est parfois les rares chiens des bergers

16

tisseurs de morve accablés de mille et une syphilis je tends l’oreille en vain on n’entend plus les chants où sont-ils demeurés

est-il poète fou sur sa balancelle à chanter encore son poème où sont tambours et fifres cris de femmes rires d’enfants claquements de mains battements sourds des pieds

qui va donner rythme et tempo pour allumer les transes museler les fièvres enseigner où par où et comment arriver au gîte quand on a faim peur et froid

on a jeté du bois vert et humide sur le feu qui agonise dans l’obscurité du refuge on tousse une mauvaise toux qui n’augure rien de bon

...

le sang a pris froid on a jeté le pain

...

17

J’ai attendu espéré certain bonheur mais ce n’est pas lui que j’entends ce soir descendre le boulevard au pas cadencé

nous n’avons pas démérité l’espace était trop petit le ciel trop grand déchirés par nos bras en colère maculés de crachats ils se sont disloqués peu à peu

et nous errons avec sous les yeux cette évidence : nous avons tué aussi

la vie douloureuse ne va plus danser elle a oublié de valser et de rire son cépage tordu souvent par le garrot ou blessé par le fer s’est fait trop noueux

l’espace est trop petit le ciel trop grand l’espoir s’épuise tout fuit et disparaît

nous n’avions pas thésaurisé notre temps il a flambé des portières claquent nous partons

nous avions espéré certain bonheur le temps fuit nous buvons notre vin mangeons notre pain

reste à sécher nos larmes

18

Il était assis au premier rang de sa vie elle haletait là devant lui tentant bien tard de reprendre une respiration courte et rare

mais le miroir qu’il lui présentait avait épuisé son lot de bourrasques d’hivers et de froids il ne recueillait plus la moindre buée déjà le souffle avait pris le large l’apnée occupait tout l'espace ceint de rideaux de brume que le vent faisait onduler comme une eau mauvaise et provocante

jamais il ne l’avait vue cette vie en pareille nudité

il l’avait aimée luxuriante couverte d’or et de paillettes comme dans la fureur des corridas quand le torero oiseau jailli du ciel plonge l’acier dans la bête terrible

il l’avait aimée comme aucun avec cette joie insensée sans quoi il n’est folie de vivre ni de mourir

Il faut peu de choses

19

un moment de fatigue ou de distraction pour qu’elle prenne place sans rien demander

elle a franchi vos défenses elle est là

la menace est directe pas un instant elle ne vous regarde dans les yeux

c’est une misérable douleur hirsute méchante sans galons froide

vous appréhendiez sa visite la tourbe acide des mots peur d’y enfoncer jusqu’aux cou peur de ne pas refaire surface

à présent le sable est dans votre bouche vos dents grincent la douleur vous envahit tout entier la glace flambe dans votre ventre gagne tout le corps c’est fini

20

j'ai blessé souvent sans pitié croyant remonter ainsi aux sources de la souffrance

21

22

Je mourrai de la même blessure au flanc que le siècle qui m’a vu naître

des lignes de front me serviront de notes et les ossements sous la terre d’échelons vers la douleur

partout dans le monde des mères attendent la cartographie de leurs deuils et que se complètent les atlas des écoliers

je ne me souviens ni de vos vingt ans ni de vos terreurs ni de vos blessures ni de vos abattements

comment le pourrais-je

alors que du ventre à la gorge cette tranchée vive encore me traverse et que les réseaux de barbelés gémissent au vent infatigable

je ne me souviens pas je vis avec vous dans le gourbi boueux de la mémoire du siècle

23

Trop de rêves croupissent dans les chambres froides et le coeur bat petit quand le sang se résigne

trop de meurtres grelottent agenouillés dans nos mémoires

trop de becs d’oiseaux de visages de blés ravagés

et la lumière gémit sous le genou d’ombre ...

le soleil oscille tire un trait

un dernier pas dressera les pleureuses

24

L’homme protestait ils lui ont dit de se taire mais il a refusé alors ils l’ont frappé

un peu plus tard ils l’ont arrêté

absurdement ils lui ont dit de parler mais il s’est tu il ne comprenait plus eux frappaient toujours

pour faire un exemple ils ont arraché la langue du chêne voisin pourtant il n’avait rien dit sa bonne santé les injuriait

si vous passez par là son écorce vous le contera avec ses impacts vu qu’il n’a plus de langue

pendant ce temps dans la clairière voisine une bibliothèque flambe les livres brûlent sans fin comme l’histoire de l’homme sans espoir

des livres flambent l’homme aussi le chêne sagement saigne

sous l’ample tilleul des fous ce n’est plus le simple qui dort

25

ni les enfants qui jouent des soldats boivent et rient avec sur les mains le sang du chêne

lui est là retenant à grand peine les bourgeons de sa langue neuve car il parlera

l’imprécation mûrit haute comme les flammes d’une bibliothèque qui meurt belle comme la plus grande colère le plus beau poème

26

C'est toujours sous le même ciel rapiécé à travers d'identiques grilles

27

que se lèvent nos soleils taciturnes

peut-on croire que le jour va venir la parole réintégrer le chant et celui-ci nos corps exsangues

ce n'est jamais les mêmes cris et blessures encore moins le même râle qui écartèlent l'espace et crucifient nos horizons

c'est chaque fois la même chanson sous une copie de ciel parmi des duplicata de cages

à jamais les chaînes et l'encre inépuisable pour l'écrire

ENTRE VIZNAR Y ALFACAR sur les lieux de l’assassinat, en 1936, de Federico Garcia Lorca

Imagine

28

dos au rocher l’aube épaulant son fusil et sur le cran de mire juste ce qu’il faut de soleil blafard pour le coup précis et la mort exacte

puis très vite comme déboulant d’une ravine le cabri noir de la peur et dans les yeux goulus de l’homme à bout portant une chevrotine de thym de menthe de laurier

enfin la poudre vive son crachat de métal et la montagne ivre d’échos qui ne dessoûlera plus

Tu as frappé en plein flanc

stupéfait il se tourne vers sa douleur et la regarde dans les yeux elle parle de toi en rougissant

29

c'est une blessure comme une source limpide et pudique cousue de jonc par les doigts habiles de la vie

elle te tient en haute estime malgré les scellés du sang

car tu es l'orfèvre des plaies la semeuse dispensatrice des contondances du verbe nourrice aux seins rebondis

lorsque tu parais une poigne de remous gris empoigne l'eau et la tord

tout s'effare

tendue comme ton arc tu décoches les traits d'argent vif des truites du torrent

Lèvres à flanc de couperet à l’aplomb des rages connivence de pulpe et de métal

au ressac de la peur la plombagine frémit dans l’éblouissement des marges

un mot roule

30

comme une tête

à flanc de couperet de continent incertain à incertain dérisoire mais dans l’ellipse des sillages pour tout le ciel inversé dans le blanc de tes yeux

Trop souvent j'ai voulu frapper ma main brutale était lourde du gravier noir que le temps dépose dans le lit des fleuves

et je frappais sans pitié croyant remonter ainsi aux sources de la souffrance

je m'éveillais armé d'un sabre la vallée résonnait de mes coups furieux

31

l’eau pourfendue rugissait les à plat faisaient hurler

relisant l'histoire des hommes j'ai eu cent fois la tentation de tuer j'ouvrais ma main menaçante il en tombait des gouttes de sang

j'ai perdu tous mes combats on ne s’échappe pas de soi en vain frappe-t-on

il y avait à la niche avec moi un chien toujours prêt à mordre dans l'égarement du maître le chien fou d'un maître fou

Ongles dents crocs qui me déchirez les lèvres zébrez le dos ou exaltez dans ma nuque les frissons ongles dents crocs armes premières et primitives mises en faisceaux là où parfois l'espèce endormie campe encore autour de rares feux vacillants

ongles dents crocs

masques innocents du rire meurtrier ou grappins acérés de l'étreinte meurtrissoirs des enchères amoureuses

32

autant que de la douce déchirure

ah la blessante vérité de vivre

ongles dents crocs

33

cette aube est la première la nuit à venir sera celle du chant

34

35

Beauté enfouie sous le talon du chiffre je t’ai cherchée partout

quand ruisselante de plancton toute phosphorescente tu sortais de la mer première j’ai soufflé sur toi le chaud

plus tard tu t’es élancée sur les pentes du volcan et j’ai soufflé vers toi le vent et la pluie te sauvant du feu

beauté préserve-moi des sept plaies je t’en prie

36

Joie de ne savoir de l’aube que l’aube

sentir par la phalène des narines le flux d’air se réchauffer

ne pas poser de question ignorer pourquoi et comment ce matin là est là et hausser les épaules

qu’importe que le soleil qui point soit rouge plutôt que bleu et d’où il vient

sentir se nouer sa gorge si par la vertu de la mort la vie s’accomplit sous nos yeux si la grenouille a gobé l’insecte qu’elle priait l’instant d’avant

joie et pas d’autre mot pour échapper à l’entrave du cri douloureux

cette aube est la première la nuit à venir sera celle du chant qu’elle devait être comme cette joie à présent mienne

37

Elle m’a hissé à hauteur de ses yeux et me tient entre ses doigts diaphanes

son regard ne me quitte pas comme si elle attendait un prodige quelque révélation un accomplissement

38

j’y suis préparé le crible qui attend mon passage est terriblement étroit il faudra pour y passer être poussière plus irréversiblement que jamais

si fort que tous souffles réunis elle ne parviendra ni à me soulever ni à me chasser ou perdre

et c’est toi que je nomme ici en face

tu es la mort et tu me guettes tu viens à tout moment t’assurer de moi tu me jauges et me palpes

tu ne me feras pas de cadeaux je n’en ferai pas davantage

nul crible ne m’empêchera de vivre accroché à la crinière nimbée de soleil des chevaux fous galopant dans l’infini

39

ils cultivent l’illusion sur le trèfle de s’aimer vraiment à quatre feuilles

40

Il y a du pourceau dans tes yeux mon amour quelque hostie infâme fichée là dans la plaie vive de ton désir fustigé et ça crie

il y a un ruisseau dans ton ventre mon amour et je nage sans repos vers sa source harcelé par ces grands oiseaux de jais au bec jaune qui font peur

il y a tout cela en toi

tu cries et ça gueule dans mes reins

41

Si n’était le regard de l’autre en quel chenil et à quel guichet aboierais-je

dis-moi homme louche de toutes les infamies et des bains de sang ma belle âme ai-je d’autres recours c’est bien dans tes yeux que je me lave et par ta bouche que je parle que je m’ampute la main m’excave les yeux ou me coupe la langue n’y changera rien

lorsque je mettrai en terre mon squelette tu en prélèveras l’omoplate qui me servait de miroir et nous rirons ensemble de nous découvrir porcs pourquoi en ferions-nous l’économie puisque nous en faisions litière

42

nous avons couché dans la même bauge voyagé par de mêmes rêves obscènes et le couteau entre les dents célébré l’inceste des images captives de ce miroir

mon vieil ami toi l’autre nous nous connaissons de si près et de si longtemps tu es touchant quand tu déposes les armes et m’ouvres la porte de tes bras si je devais mourir bientôt tu es bien le seul qui me manquerait le seul

Le désir les a couchés sans appel dans l’herbe tendre du chemin creux la meute est loin ils jouent et jappent

la connaissance ici participe de l’obscène et procède de ses joies les corps nus célèbrent le sacrilège à la face du ciel de dieu confondu

de retour au chenil en bons chiens ils se déchireront et le savent

meurtris et défaits à l’échouage dans le no mans land des équivoques dextre ou senestre liés les amants joueront aux dés leurs démons à qui gagne perd et meurt

ils cultivent l’illusion sur le trèfle de s’aimer vraiment à quatre feuilles

il l’avait trouvée offerte et sitôt sans ambages troussée à présent son sexe rose bée luit et clapote sous sa main

agonisante elle gémit part en cascades

43

s’y noyant en cris spasmes et saccades l’homme grogne et jure on le croirait fou d’un coup terrible de son sexe il l’éventre

la mort les unit elle pleure il la remercie

Les caresses se bousculent au portillon de mes mains laquelle courbera ton corps je la cherche laquelle t'arrachera le cri je ne sais

déjà ton sexe supplie tes yeux disent le plaisir latent nos ventres s'épousent et la noce est belle

une toute jeune fille geint en toi sa beauté me confond et nous fait complices

qu'elle est douce la mort au confluent de tes jambes lourdes et longues ainsi rançonnées

44

il n’y avait ni sens ni raison mais unique le ciel unique la vie

45

46

Il n’y a rien en moi sinon la cinglante inanité d’être moi et rien que moi

rien hormis peut-être des traîneaux tirés par les chiens fatigués de la longue approche des pôles

il y a bien cet horizon d’avis de recherche et l’absence lourde pendue à mon cou

mais pas d’obscurité pas de diable ni monstre ni fantôme

rien

ni anges ni saints ni dieux ni lumière

il n’y a rien d’autre que ces lignes échouées…

et le silence qui m’est dû

47

Nous n’avions qu’un ciel en partage où jouaient les oiseaux

pour quelques rares lambeaux de bleu nous y avons fait la guerre

les oiseaux ont fui le ciel s’est fermé au printemps la débâcle a tout emporté

nous n’avions qu’une vie à vivre parmi une infinité de destins sans autre projet que de vivre immobile comme fait et se défait le soleil agité de hoquets sucrés et luxurieux dans le mûrissement du fruit

il n’y avait ni sens ni raison mais unique le ciel unique la vie

nous n’avions qu’un ciel en partage nous n’y reviendrons pas

48

Au passage du gué le flot sournois attend le voyageur soudain il jaillit et l’agrippe par les chevilles

l’homme surpris vacille résiste se débat tombe au fil de l’eau apaisée un corps s’en va

pourquoi

que veut le fleuve serait-il dément est-ce vengeance réclame-t-il un tribut une rançon

l’eau ne veut rien le fleuve est sans désir le torrent sans haine il n’y a pas conjuration

chacun n’a que sa substance et sacrifie à l’éphémère

tous regardent passer l’homme ventre en l’air au gré du flot

attentifs et sévères ils tiennent la chronique des rives et comptent les noyés sur leurs longs doigts d’algues

49

Les ongles se font d’airain quand l’eau ricane vivre échappe au noeud coulant du cri

herbe l’herbe incline vers la faux

granit le ventre épouse le granit et ne trahira point la chute

Je regarde mes mains

50

semblables à toutes au bout desquelles il y a des doigts comme les vôtres

tous ont leurs petits ou grands secrets et forment autant de rébus ou de mystères qui ne nous appartiennent pas

les signes qu'ils tracent nous écrivent et circonscrivent ils apparaissent innombrables mais leur somme est un zéro et nous sommes leur éclatante énigme … le zéro ne se soulignant pas je regarde mes mains et les fais taire

Dépouillées les ombres ne reste que la nuit que la pâleur des phalanges dans la tourbe des mains et le chant du rasoir

51

au détour l’homme sait le meurtre sous le loup du rire où le masque des babines la bouche qui tue et le crochet du boucher

dépouillées les ombres assumée la nuit l’éclisse d’un mot souvent hale remugle et rémanence hors les soutes du ventre

les paumes disent la saga des vents contraires et des oiseaux frileux nichent dans les yeux

Mon sang est né au Pays sans Chiens à deux pas des sources du questionnement il en est le féal et fleure bon l'époque

mon sang s'adresse aux chiens son chant conçu dans l’infini

52

il peut être entendu du plus grand nombre

je le tiens des fourmis envoyées par les sbires elles venaient avides à mon berceau pour voler le miel de mes lèvres et tenter de tarir ma parole

mon sang aujourd'hui est joyeux il n'a cependant pas toujours chanté jeune il fut de larmes celles qui courent sur le fil des couteaux

mon chant a mémoire du linceul d'aube blême qu'il porta en ces temps de rafles et d'injures où ça cognait ferme dans les crosses aortiques

mon chant a beaucoup appris sa bannière est d'ecchymoses sur fond de casse-tête

il est devenu fier mais il peut être déférent : il parle chien aux chiens

53

Auriez-vous davantage de vérité trébuchante que les plus pures gemmes sonnantes de la langue ô masques superposés et silencieux que taisent à escient les tables de loi

je m'enivre ici de l'arrachement qui vous recompose sans fin et me livre pantelant aux éblouissements du neuf

masques au levant

54

les armes cliquètent

au couchant le ciel s'embrase

couteau sur la gorge la vie rougeoie

c'est à l'étale sur une plage déserte que la mort vomit nos enfantements

55

Je suis né à reculons seule façon de naître sans sitôt connaître le foudroiement de la mort

car cela s’entend la fin ne fournit pas les moyens

bien sûr le jour fatalement ne peut succéder qu’à la nuit mais elle est grouillante la nuit dangereuse aussi parcourue de sentes traîtresses aux allures de coupe-gorge mieux vaut la fuir chercher le jour ailleurs

peut-être remonter à la source

56

à cette pulsation qui faisait sauter le cœur dans la poitrine ou perler la sueur au front

vous souvenez-vous de cette croisée de chemins où vous avez trébuché

que s’était-il passé ? vous n’étiez pas seuls d’ailleurs tous ont trébuché je vous le dis il faut reculer laisser à l’œil le champ pour embrasser le désastre

souvent de moi à moi j’ai parcouru le chemin je partais à reculons ce sont des pas qui coûtent blessures blessures encore et l’odeur du sang

57

La semaine de huit jours

dimanche

Incantation première

au seuil du lieu parfait ton sexe et sitôt dru l’engorgement du ventre

j’en sais les houilles le troc infini des grisous

qu’il y suffit de feu pour l’espace

d’être nu

lundi

Seconde incantation

à l’air

aux cisailles atroces de la glotte hachant le souffle

au silence et ses pollens qu’il m’indiffère de lire dans le fruit son l’orgasme

58

mardi

Tiers noeud

en nos anatomies lépreuses tant manquent les doigts pour compter au-delà des corps

troisième incantation

aux lymphes nomades le legs émacié d’une question

mercredi

Quarto

ma dimension sans doute

incantation à l’espace

on tremble dans l’engorgement forcené

des marges

jeudi

Terre ou mer

on porte aux lèvres la conque sans trop savoir

à mi-distance quelle incantation la quantième

59

dégorger

vendredi

Mur môle jetée

prennent à la gorge odeur de marée l’incantation aussi

n’ignorant rien du ressac des ses franges à travers soi

jamais tout à fait blanches

samedi

Le chant s’allume au bois de la veille humide encore

les yeux piquent la gorge est rêche

la braise sauve

jusqu’à demain

polythéidi

Hors chant fichée en gorge l’ultime incantation

tant de dieux assassinés pour un sac de clous

à la petite semaine ça taloche ferme sous l’estomac

60

Je suis plusieurs sans en connaître le nombre hommes d'hier

61

de demain alignés jusqu'à se confondre avec la nuit des temps

ils remuent parlent et chantent en moi fiers et joyeux forts surtout leurs muscles vibrent sous ma peau jusqu'au frisson et mon cœur bat pour mille

le faucard a décimé leurs rangs au passage des grands fleuves du temps

ils sont passés pourtant leurs hordes ont atteint l'autre rive leurs mères souvent ont mis bas dans la boue et j'en suis tout crotté

venez à moi j'ai odeur de siècles et de géhennes

accourez mes blessures sont mon chant qui vous entraîne elles annoncent mon poème qui bouge et appelle l'aube

L’outrage est sévère la langue en tremble elle se révulse d’indignation

il semble que dans l’obscurité des généalogies un gardien obtus exige le silence

62

hautain il proclame qu’insoupçonné un secret nous gouverne

tellement solaire que personne n’a pu le voir en face parce qu’il aveuglerait qui ose

tellement grand qu’il n’a pas quitté encore la matrice étroite de l’univers

il freine la main quand elle voudrait écrire si la mémoire remue les lèvres il les cadenasse

le plus profond des secrets serait le plus lumineux faudra-t-il avouer que les nuits de tempête nous craignons qu’il s’éteigne

nous implorons le vent au nom des nuits à venir quand le sommeil tardera

ma langue a dit ce qui la nouait le jour se lève je n’en parlerai à personne

La mort a pris ses quartiers en moi

où dans quel coin je l’ignore

est-ce vers le cœur ou du côté

63

des forges du souffle qu’elle campe

près de ces carrefours dangereux où la folie roule tantôt à gauche tantôt à droite et dieu sur la ligne blanche

dort-elle dans mon ventre et ce qui parfois y remue serait-ce elle déjà que je devine si douce partageant la couche de mon poème

vais-je l’aimer comme j’ai pu aimer

rampe-t-elle là dans mes veines pour en jaillir soudain et le moment venu me submerger

imposer à ma bouche sa main d’algues ligotant le cri qui oserait

il fait sombre chez moi la clarté n’entre qu’à mesure que ma vie fuit comme une eau perdue

il fait sombre chez moi cependant j’ai pu l’apercevoir

je l’ai trouvée belle elle m’a souri et a dit

64

tu vois on t’a menti aussi sur moi

Ma vie est une équation sans inconnue une monstruosité mathématique un délire euclidien

à tout bien considérer il eut mieux valu que je l’ignore

je croyais que comme toutes les vies elle avait eu un commencement et qu’elle aurait une fin

mais voilà que je me mets à douter

65

et ça remet tout en question

ma vie est une abomination mathématique une traîne d’étoiles rouges au cou d’un théorème noir

à Enno Birkner Renz, nouveau né, novembre 2005

Le vent se lève et dit :

tout est dans le souffle par moi adviennent le commencement et la fin

son ombre mauvaise ajoute :

que votre couche soit d’étoiles ou misérable grabat il est sacre et reddition d’un seul et même mouvement il intronise ou démet

66

attise ce qui naît efface ce qui est

le vent reprend :

naître n’est que l’avatar du désir corrompant vos lèvres mourir est plus simple il suffit d’absence la plèvre noire douloureusement tendue entre les pôles de l’espoir ne dit rien d’autre

le vent conclut :

naître est une farce ! qui est né ? qu’il se montre celui-là !

le vent est tombé.

On a bien ri une fois n'est pas coutume bien épilogué aussi ça ne fait de mal à personne

le jour s'est défait pièce par pièce nous avons perdu nos fous noirs blancs l'échiquier s'est dépeuplé peu à peu

la nuit frappait du poing sur la table exigeant sa part de rêve

nous avons cédé elle a tout pris

67

et le jeu a repris un autre jeu avec d'autre couleurs

Enfant j’aimais la compagnie des puits leurs grands yeux d’eau sombre et profonde leurs fortes épaules de pierres scellées le chant lancinant des poulies à la peine

sous ce docte magistère je connus mort heureuse sans avoir à la subir en épousailles fatales ce fut fête je pus lui rire au nez

les puits ironiques appelaient mort heureuse les pièges du sens et les contresens de la raison l’atonie doucereuse du giron la narcose des rêves

68

les distillats ténus et fragiles de la conscience

ils m’enseignaient l’ivresse des vertiges m’initiant à la dangereuse proximité des gouffres

les puits furent mes miroirs j’y vis mon double en face j’ appris à lire sur les lèvres de ma mort

Il guettait les pirogues on les devinait là dans la courbe du fleuve

elles approchaient à vive allure propulsées à grand renfort de cris par des pagayeurs braillards vêtus de noir déjà elles étaient à portée de tempe quelques rapides séparaient encore l’homme de sa mort les soubresauts de l’eau se faisaient violents

il a saisi un pétale d’églantier et bu calmement l’eau accumulée en son creux

puis du bout du doigt il a cueilli un peu de poussière fine du chemin et s’est tracé un signe sur le front

une larme est apparue au coin de son œil a hésité et s’est arrêtée à tout petits coups de langue comme un chiot il s’est mis à laper

69

il a bu très doucement elle a disparu à l’intérieur de son corps grand ouvert comme réconcilié

déjà les pirogues accostaient il embarqua pour un nouveau voyage

Hier je suis allé aux sources qui irriguent ma mémoire plongeant mes mains d'orpailleur dans des eaux de toutes sortes mes yeux cupides se sont allumés à bien des ors factices

ces flux ne me livrèrent jamais qu'incisions vives de carmin pourpres saturées et repoussantes rondes bosses vertes des mouches qui creusent la paupière des morts

je me suis épuisé à cette quête navrante ne découvrant jamais que reliquats frugaux parmi la rosée frêle et froide

un jour enfin j'ai regardé le fleuve dans les yeux et dit "allons-nous en"

nous sommes partis nous avons choisi de suivre le ruisseau perdu

70

qui serpente en moi

et nous allons tournoyants derviches dans l’infini des affres

71

Elle tend au ciel ses bras liquides par où elle meurt tailladée

72

elle est la nuit du tocsin ultime la danseuse de feu qui se noie

une fatigue de roseaux brisés emmêlés de ressacs sans fin et sans espoir l'a jetée là miliaire dérisoire au bord du temps d'où elle m'appelle

tout est dit de son règne menteur tapie sous l'escalier des caries la nuit tremblante expie ses excès d'ombre et de lumière

elle a jeté à mes pieds sa robe de noces plus un signe ne me parviendra de cette voie lactée qu'elle arpentait en incendiant la dimension

tôt ce matin j'avais préparé les curares pour l'irréversible tétanie dans un fouillis de lianes où jamais je n'ai pu démêler le vrai du faux où est la clarté sinon au fond de ce que je pleure

dans le brasier de ma vie la danseuse de feu s’est noyée

73

Je ponds les dernières larves noires de ma vie dans la pestilence d’un asile urbain et forme le voeux qu’elles y prolifèrent

si je vous les annonce c'est que je suis bon bougre un facteur triste vous les porterait

74

franco de port mais sans préavis

par le crachoir pour tuberculeux qui tient lieu ici de portevoix j’en dis l’interminable litanie

elles remuent dans ma gorge se bousculent dans ma bouche et piétinent mes lèvres

nées les fers aux pieds elles ont traversé ma vie laissant pour seule trace une traînée sanglante

comprenant leur impatience je les libère enfin

elles vont fondre sur la ville

La lune s’est enflammée elle a mis ses cheveux roux

tout est dit je me suis assis à côté d’elle aux pieds de la muraille noire qui toujours a coupé en deux le village

je suis assis avec la lune au pied de la muraille nous parlons

75

c’est notre dernière liberté même l’astre en convient

que faire d’autre quand rôde la folie et tremblent les chiens

qu’ajouter si le maître est brutal et qu’au fond, plus rien n’a vraiment d’importance

A RETRAVAILLER Quoi de plus inutile que le temps mais il passera

bien avant que la lune se noie ou que le soleil dans sa miséricorde lui tende la main

je ne dirai pas comme le sage que tout passe cependant il passera le temps n’en doute pas

et ne te méprends pas il n’est ni espiègle ni léger

76

s’il te glisse entre les doigts ce n’est pas pour en prouver l’existence mais pour te dire la vanité de tout compte

à quoi pourrait-il servir d’autre d’ailleurs ce temps que tu pleureras

tu te souviendras le souvenir seul te restera la rue mouillée les voitures sales le vent le froid la boue le bruit

quand il sera passé et hors de vue que lui-même se sera égaré t’appelant - qui sait - à l’aide une fois pour toutes tu comprendras

il n’y aura plus de musique ni celle que j’aimais ni les autres d’ailleurs rien de ce que nous aimions ne subsistera ne restera que la sécheresse et l’appel du vide de la mémoire

l’ombre même de ce qui nous ensoleillait ne pourra te protéger de la brûlure atroce du temps

77

Je dirai donc le meurtre pour ne pas flatter à l'angle de chaque mot la dague où déjà s'accroche une perle de sang

" si tu veux vivre ne parle plus " me chuchote un grand silence

" sois patient " lui dis-je " la nuit féconde appelle aux épousailles

et je ne mourrai qu'à l’aube“

78

Tout se passe comme s’il devait n’y avoir désormais de repos que sur l’autre rive de l’autre côté dans un espace grillagé d’où je ne m’échapperai plus

le rendez-vous est promis déjà les sentinelles ont rejoint leur poste sur ma table quelques feuillets et un poème ironiquement parlent encore de liberté

C’est à pile ou face que je mourrai en une duperie ultime un jeu d’ombre dont les miradors narquois et les faisceaux de projecteurs tireront les ficelles

dans un nœud de viscères et d’humeurs corrompues si étroitement serrés que toute respiration bannie rêve ou rire n’y pourront naître et mourir que dans les larmes

79

Non je ne tremblerai pas comme ces étoiles peureuses dans l'infini froid là haut très loin je me tairai nous irons aveugles entre vociférations et meurtres dans le fracas des blancheurs naïves nous porterons vêtements d'hiver de pluie et de vent mais il sera bon d'être avec toi parmi coassements et babil

pour l'instant tu respires paisiblement et mon flanc contre le tien je m'unis à ton souffle quelque part sans trop savoir où dans cette nuit d'aisselles de semence fraîche et de varech pourri j'entends hurler les menottés

je me couche à tes pieds mon triomphe est bien de mourir là sous ta fourche cependant que le cri est tien

le petit matin comme d'un cliché désuet rira de nos grands yeux cernés

80

Tringle tringle homme le trou blanc des os du trou noir de la nuit

tu tringleras longtemps

fouille ce ventre qui t'épuise

crie femme crie tu crieras longtemps

quelque part vous quittez l'océan

le premier rivage vous attend celui de tous les périls

tringle tringle homme criez criez femmes longuement

la genèse est un cri et la vie l'ombre étirée de ce cri

81

Au chant du coq il n’est pierre qui chante sinon la mort de marbre

sitôt pondu l’œuf fragile le convoi maternel disparaît sans regret

le lit des jours est de paille précaire les façades hautes des maisons Roncevaux

muets des otages embarquent vers un destin mécanique il fait silence si le destin aime les départs toujours il en tait les raisons

et nous allons tournoyants derviches dans l’infini des affres vers quelque collision stellaire avec aux lèvres accroché le râle

il faudra grandir vivre mourir sans que s’attache dans le vertige des puits sourds un sens à la dérive une raison aux caps pris à la sauvette

nous serons guetteurs des aubes escomptées comptables des nuits assumées de café en café de trottoir en trottoir mendiant une parole suppliant pour un rire

82

glissant titubant sur les papiers gras

Au fond du jardin une source coule des jours paisibles

tu lui parles elle t’écoute tu te fies aux galons cousus sur ses bras froids ils ont le poids des vies sans fond

la tienne comme un broc percé tarde à se remplir et tu t’effrayes au fracas de toute cette eau qui coule

ton visage est pâle on dirait un masque vénitien si n’étaient quelques rides

et tu parles tu racontes les gondoles passent indifférentes s’éloignent sur le Grand Canal où toujours le vaporetto sonne à cloche fêlée

et comme lui sonne tu coules l’eau proche de tes lèvres déjà bleues monte en toi ton passé te submerge

la source est toutes oreilles elle a tressailli et lentement passé un bras autour de ton cou

elle t’entraîne en elle fermement

sa force est si grande que tu ne peux résister

83

Sur le Grand Canal le vaporetto s’est tu

Pouvais-tu deviner qu’elle vivait là dans l’angle mort du jeu cachée sous ton coude qu’à deux doigts de la main brutale elle oserait te narguer

aurais-tu imaginé que le désir la jetterait haletante à tes pieds et que fatiguée de danser vainement dans ton oeil d'amadou elle viendrait exiger le saccage et le feu

le plateau de l’offrande lui brûle les doigts son corps tente d’ouvrir les fenêtres il étouffe à côté du pain et du sel elle a posé le plateau par la fenêtre un fragment d’azur dispense une lumière malade

dans la cuillère le sucre crépite roussit et fond

Blanche apparaît elle est livide et se met aussitôt à danser

elle tournoie ses yeux s'exaltent à mesure qu'elle virevolte

sur les murs de la chambre des géants mal assurés titubent et s'écroulent

convié à l’embrasement

84

toi sur ton frêle esquif blanc tu as déjà rejoint le soleil

85

Related Documents