christian erwin andersen
BRIS DE VERRE
pour mon fils Sven et sa maman Nadine
pour Nicoletta Gossen
pour Gawril Seppers
et à tous mes amis tsiganes
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Cri de la myrtille sur un marbre blanc
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une saison saigne le corps éructe le verbe – feu - follet énonce la mort aux lèvres bleuies
tout est noir bleu crache son dégoût
un soleil schismatique érige le chaos les racines s’effarent la terre bâfre les héliotropes
la cendre trace ses ellipses la parole scelle les judas inscrit l’ombre et le feu dans la durée
cri de la myrtille sur un marbre blanc
personne n’entend tu ris mes mots ont les yeux du sommeil
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ce sont d'humbles paroles très humbles ayant le luxe noble de la précarité
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Tu souris
sur la crête au même instant le soleil déborde
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instillant ses ors dans la goutte d'eau accrochée à la toile d'épeire
l'oracle s’enchante et prophétise
il est lumineux dans sa parure d’aragne
un fil d’Ariane à la patte lui sied à merveille sa vérité n’est-elle pas pendante
c'est printemps la taupe dans sa galerie met bas une nouvelle lune elle est rousse
après automne hiver
puis justice l'été vient
au sommet de l'arbre le jour tremble demain sera précaire
Tu remues les lèvres tu parles je crois entendre un chant toute criblée d'ions tu t’es mise à vibrer
j'esquisse un premier pas et c'est un pas de danse ça tangue bascule et roule glisse par pans entiers
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du jour vers la nuit passant par midi qui croule sous les grillons
tant de beauté c'est une immolation ce vertige qui à contrejour à contresens de haut me saisit
que me veut donc l’enfant entêté appelant en moi à tue-tête alors que la mort obtuse déjà fait feu des deux naseaux
Avant de l’écrire va voir ton poème
il t’attend sur le seuil pourquoi es-tu venu il ne le sait pas tu dois le mettre en confiance
lisez vous face à face ton poème et toi lisez-vous les yeux dans les yeux comme font les gens du désert
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qui se croisent après avoir marché longtemps
ce sera sa première lecture l’inévitable par quoi tu sauras
sois prudent si ses yeux fuient c’est un poème félon égorge-le
si au contraire tu sens soudain une grande joie parce que tu viens de reconnaître ton enfant prends le dans tes bras étreins-le promène tes doigts sur son corps délicat fais qu’il s’enchante et à son tour découvre son poème
enfin si tout à coup tu vois qu’il se met à trembler réjouis-toi c’est un bon poème
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Des bonbons verts pour Marcel Moreau
Peu me chaut qu'ils soient hors du temps et de noirceur qu' ils aient battu leur coulpe d'ignominie acquis souvent relents de meurtres d'injures par la bouche de guerriers ivres dans les cités en flammes
ils ont les mains sales les yeux rougis ils sont mes mots grotesques lorsqu'en urgence d'extrusion ils braillent sous la férule du plaisir espiègles quand des picotements acidulés
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me révulsent la langue parce que ton sexe rose a ce goût incroyable de bonbons verts de serments intenables et de chèques en blanc que tu sais ils viennent d'un pays de cascatelles où les premiers ils nommèrent par son chant l'eau qui libérée se mit à courir
d'autres sont accourus de l'antre des gargouillis où premiers encore ils dirent par son cri terrible la faim qui dès lors se mit à essaimer
ils sont frères et sœurs mignons en tout venus des plaines pubiennes de nos femmes qui par l'ombilic nouèrent à nos cous la meule de dire
ils ont la lumière douce des clairs de lune quand le soleil ensanglanté déserte et que bretelles basses tapi aux lisières du plaisir l'astre satyre gicle projetant à notre face l'accusatrice lactescence des étoiles
qu'ils me nient ou m'édifient ils m'assurent source fraîche lorsque de vivre l'envahissante fièvre se fait incandescence et désespoir mêlés
ce sont paroles de bure et de silices lourdes comme le pas harassé des pèlerins formées dans l'ascèse des temps de genèse paroles si épouvantablement loin conçues et rescapées de tant de chaos qu'en invoquer l'origine vaut pardon que leurs forfaits s'en trouvent abolis
ce sont d'humbles paroles très humbles ayant le luxe noble de la précarité glanées dans les brocantes de l'homme en route vers l'homme enfin par tant de chemins malgré tant d'infamies
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tant de croisées en route oui
elles sont mon obole au présent irritant et quémandeur à l'avenir tout en dérobades et refus de perspectives elles énoncent mieux que grammaire et syntaxe mieux qu'à la vie et à la mort irrémédiablement tantôt nues tantôt vêtues de lumière que là où je me tais si je me tais l’infini trébuche
le sang a pris froid on a jeté le pain
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Pleine lune dans un ciel vide que rien n’habite hors l’effroi
pas même le cri des grands oiseaux précipités dans le puits de la nuit
pleine lune car si n’était un peu de sang pour farder l’aube qui rosirait le sourire contraint du matin
pleine lune c‘est tout ce qu’il nous reste et sa douceur pour éclairer les choses
chemins de traverse ou soleils factices pour tricher pour le sommeil cherché en vain
pleine lune et sa lumière rousse pour allumer nos yeux encore plus tard quand nous nous souviendrons
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de l’amour
pleine lune juste un peu que la nuit se taise
Je suis un petit homme que la fureur du plomb acharné sur le siècle a fait taire
une gueule cassée criant sous les acides les phosphores et les arsenics
j’ai craché mes poumons c'est peu de choses et ils ont bu leur honte enfin zyklon B a fait le reste des hommes encore sont tombés
ils tombaient sous un déluge d’acier et de mensonges appelaient leur mère et mouraient
je m’en souviendrai cent fois j’ai maudit dieu qui criait allô allô
je suis un homme hagard j’interroge le ciel seul un vent fou me répond un homme hébété de douleur
je suis un géant rétréci ma vie hoquète devenue si petite
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que je ne l’aperçois plus
je suis cet homme qui règle son ardoise et qui fut lâche
Où va donc le sang ainsi par longs écoulements à grands flots sur les pentes de l’être et des siècles
est-ce vers ces vastes prairies rousses hantées par la soif irréductible et les bêtes féroces vers ces lieux parcourus par l’ancêtre précédé des singes aux yeux malicieux ouvreurs des premières pistes
aurait-il dans la cohue des meurtres de chute en chute découvrant la litanie des défaites oublié les tropismes essentiels du ciel et de la terre de l’eau et du feu
rejeté les signes mystérieux gravés dans la pierre ou peints à la pourpre qui de tout temps menèrent à de somptueuses épiphanies
où va le sang qui le guide encore et si besoin le harcèle si ce n’est parfois les rares chiens des bergers
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tisseurs de morve accablés de mille et une syphilis je tends l’oreille en vain on n’entend plus les chants où sont-ils demeurés
est-il poète fou sur sa balancelle à chanter encore son poème où sont tambours et fifres cris de femmes rires d’enfants claquements de mains battements sourds des pieds
qui va donner rythme et tempo pour allumer les transes museler les fièvres enseigner où par où et comment arriver au gîte quand on a faim peur et froid
on a jeté du bois vert et humide sur le feu qui agonise dans l’obscurité du refuge on tousse une mauvaise toux qui n’augure rien de bon
...
le sang a pris froid on a jeté le pain
...
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J’ai attendu espéré certain bonheur mais ce n’est pas lui que j’entends ce soir descendre le boulevard au pas cadencé
nous n’avons pas démérité l’espace était trop petit le ciel trop grand déchirés par nos bras en colère maculés de crachats ils se sont disloqués peu à peu
et nous errons avec sous les yeux cette évidence : nous avons tué aussi
la vie douloureuse ne va plus danser elle a oublié de valser et de rire son cépage tordu souvent par le garrot ou blessé par le fer s’est fait trop noueux
l’espace est trop petit le ciel trop grand l’espoir s’épuise tout fuit et disparaît
nous n’avions pas thésaurisé notre temps il a flambé des portières claquent nous partons
nous avions espéré certain bonheur le temps fuit nous buvons notre vin mangeons notre pain
reste à sécher nos larmes
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Il était assis au premier rang de sa vie elle haletait là devant lui tentant bien tard de reprendre une respiration courte et rare
mais le miroir qu’il lui présentait avait épuisé son lot de bourrasques d’hivers et de froids il ne recueillait plus la moindre buée déjà le souffle avait pris le large l’apnée occupait tout l'espace ceint de rideaux de brume que le vent faisait onduler comme une eau mauvaise et provocante
jamais il ne l’avait vue cette vie en pareille nudité
il l’avait aimée luxuriante couverte d’or et de paillettes comme dans la fureur des corridas quand le torero oiseau jailli du ciel plonge l’acier dans la bête terrible
il l’avait aimée comme aucun avec cette joie insensée sans quoi il n’est folie de vivre ni de mourir
Il faut peu de choses
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un moment de fatigue ou de distraction pour qu’elle prenne place sans rien demander
elle a franchi vos défenses elle est là
la menace est directe pas un instant elle ne vous regarde dans les yeux
c’est une misérable douleur hirsute méchante sans galons froide
vous appréhendiez sa visite la tourbe acide des mots peur d’y enfoncer jusqu’aux cou peur de ne pas refaire surface
à présent le sable est dans votre bouche vos dents grincent la douleur vous envahit tout entier la glace flambe dans votre ventre gagne tout le corps c’est fini
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j'ai blessé souvent sans pitié croyant remonter ainsi aux sources de la souffrance
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Je mourrai de la même blessure au flanc que le siècle qui m’a vu naître
des lignes de front me serviront de notes et les ossements sous la terre d’échelons vers la douleur
partout dans le monde des mères attendent la cartographie de leurs deuils et que se complètent les atlas des écoliers
je ne me souviens ni de vos vingt ans ni de vos terreurs ni de vos blessures ni de vos abattements
comment le pourrais-je
alors que du ventre à la gorge cette tranchée vive encore me traverse et que les réseaux de barbelés gémissent au vent infatigable
je ne me souviens pas je vis avec vous dans le gourbi boueux de la mémoire du siècle
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Trop de rêves croupissent dans les chambres froides et le coeur bat petit quand le sang se résigne
trop de meurtres grelottent agenouillés dans nos mémoires
trop de becs d’oiseaux de visages de blés ravagés
et la lumière gémit sous le genou d’ombre ...
le soleil oscille tire un trait
un dernier pas dressera les pleureuses
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L’homme protestait ils lui ont dit de se taire mais il a refusé alors ils l’ont frappé
un peu plus tard ils l’ont arrêté
absurdement ils lui ont dit de parler mais il s’est tu il ne comprenait plus eux frappaient toujours
pour faire un exemple ils ont arraché la langue du chêne voisin pourtant il n’avait rien dit sa bonne santé les injuriait
si vous passez par là son écorce vous le contera avec ses impacts vu qu’il n’a plus de langue
pendant ce temps dans la clairière voisine une bibliothèque flambe les livres brûlent sans fin comme l’histoire de l’homme sans espoir
des livres flambent l’homme aussi le chêne sagement saigne
sous l’ample tilleul des fous ce n’est plus le simple qui dort
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ni les enfants qui jouent des soldats boivent et rient avec sur les mains le sang du chêne
lui est là retenant à grand peine les bourgeons de sa langue neuve car il parlera
l’imprécation mûrit haute comme les flammes d’une bibliothèque qui meurt belle comme la plus grande colère le plus beau poème
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C'est toujours sous le même ciel rapiécé à travers d'identiques grilles
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que se lèvent nos soleils taciturnes
peut-on croire que le jour va venir la parole réintégrer le chant et celui-ci nos corps exsangues
ce n'est jamais les mêmes cris et blessures encore moins le même râle qui écartèlent l'espace et crucifient nos horizons
c'est chaque fois la même chanson sous une copie de ciel parmi des duplicata de cages
à jamais les chaînes et l'encre inépuisable pour l'écrire
ENTRE VIZNAR Y ALFACAR sur les lieux de l’assassinat, en 1936, de Federico Garcia Lorca
Imagine
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dos au rocher l’aube épaulant son fusil et sur le cran de mire juste ce qu’il faut de soleil blafard pour le coup précis et la mort exacte
puis très vite comme déboulant d’une ravine le cabri noir de la peur et dans les yeux goulus de l’homme à bout portant une chevrotine de thym de menthe de laurier
enfin la poudre vive son crachat de métal et la montagne ivre d’échos qui ne dessoûlera plus
Tu as frappé en plein flanc
stupéfait il se tourne vers sa douleur et la regarde dans les yeux elle parle de toi en rougissant
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c'est une blessure comme une source limpide et pudique cousue de jonc par les doigts habiles de la vie
elle te tient en haute estime malgré les scellés du sang
car tu es l'orfèvre des plaies la semeuse dispensatrice des contondances du verbe nourrice aux seins rebondis
lorsque tu parais une poigne de remous gris empoigne l'eau et la tord
tout s'effare
tendue comme ton arc tu décoches les traits d'argent vif des truites du torrent
Lèvres à flanc de couperet à l’aplomb des rages connivence de pulpe et de métal
au ressac de la peur la plombagine frémit dans l’éblouissement des marges
un mot roule
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comme une tête
à flanc de couperet de continent incertain à incertain dérisoire mais dans l’ellipse des sillages pour tout le ciel inversé dans le blanc de tes yeux
Trop souvent j'ai voulu frapper ma main brutale était lourde du gravier noir que le temps dépose dans le lit des fleuves
et je frappais sans pitié croyant remonter ainsi aux sources de la souffrance
je m'éveillais armé d'un sabre la vallée résonnait de mes coups furieux
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l’eau pourfendue rugissait les à plat faisaient hurler
relisant l'histoire des hommes j'ai eu cent fois la tentation de tuer j'ouvrais ma main menaçante il en tombait des gouttes de sang
j'ai perdu tous mes combats on ne s’échappe pas de soi en vain frappe-t-on
il y avait à la niche avec moi un chien toujours prêt à mordre dans l'égarement du maître le chien fou d'un maître fou
Ongles dents crocs qui me déchirez les lèvres zébrez le dos ou exaltez dans ma nuque les frissons ongles dents crocs armes premières et primitives mises en faisceaux là où parfois l'espèce endormie campe encore autour de rares feux vacillants
ongles dents crocs
masques innocents du rire meurtrier ou grappins acérés de l'étreinte meurtrissoirs des enchères amoureuses
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autant que de la douce déchirure
ah la blessante vérité de vivre
ongles dents crocs
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cette aube est la première la nuit à venir sera celle du chant
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Beauté enfouie sous le talon du chiffre je t’ai cherchée partout
quand ruisselante de plancton toute phosphorescente tu sortais de la mer première j’ai soufflé sur toi le chaud
plus tard tu t’es élancée sur les pentes du volcan et j’ai soufflé vers toi le vent et la pluie te sauvant du feu
beauté préserve-moi des sept plaies je t’en prie
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Joie de ne savoir de l’aube que l’aube
sentir par la phalène des narines le flux d’air se réchauffer
ne pas poser de question ignorer pourquoi et comment ce matin là est là et hausser les épaules
qu’importe que le soleil qui point soit rouge plutôt que bleu et d’où il vient
sentir se nouer sa gorge si par la vertu de la mort la vie s’accomplit sous nos yeux si la grenouille a gobé l’insecte qu’elle priait l’instant d’avant
joie et pas d’autre mot pour échapper à l’entrave du cri douloureux
cette aube est la première la nuit à venir sera celle du chant qu’elle devait être comme cette joie à présent mienne
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Elle m’a hissé à hauteur de ses yeux et me tient entre ses doigts diaphanes
son regard ne me quitte pas comme si elle attendait un prodige quelque révélation un accomplissement
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j’y suis préparé le crible qui attend mon passage est terriblement étroit il faudra pour y passer être poussière plus irréversiblement que jamais
si fort que tous souffles réunis elle ne parviendra ni à me soulever ni à me chasser ou perdre
et c’est toi que je nomme ici en face
tu es la mort et tu me guettes tu viens à tout moment t’assurer de moi tu me jauges et me palpes
tu ne me feras pas de cadeaux je n’en ferai pas davantage
nul crible ne m’empêchera de vivre accroché à la crinière nimbée de soleil des chevaux fous galopant dans l’infini
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ils cultivent l’illusion sur le trèfle de s’aimer vraiment à quatre feuilles
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Il y a du pourceau dans tes yeux mon amour quelque hostie infâme fichée là dans la plaie vive de ton désir fustigé et ça crie
il y a un ruisseau dans ton ventre mon amour et je nage sans repos vers sa source harcelé par ces grands oiseaux de jais au bec jaune qui font peur
il y a tout cela en toi
tu cries et ça gueule dans mes reins
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Si n’était le regard de l’autre en quel chenil et à quel guichet aboierais-je
dis-moi homme louche de toutes les infamies et des bains de sang ma belle âme ai-je d’autres recours c’est bien dans tes yeux que je me lave et par ta bouche que je parle que je m’ampute la main m’excave les yeux ou me coupe la langue n’y changera rien
lorsque je mettrai en terre mon squelette tu en prélèveras l’omoplate qui me servait de miroir et nous rirons ensemble de nous découvrir porcs pourquoi en ferions-nous l’économie puisque nous en faisions litière
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nous avons couché dans la même bauge voyagé par de mêmes rêves obscènes et le couteau entre les dents célébré l’inceste des images captives de ce miroir
mon vieil ami toi l’autre nous nous connaissons de si près et de si longtemps tu es touchant quand tu déposes les armes et m’ouvres la porte de tes bras si je devais mourir bientôt tu es bien le seul qui me manquerait le seul
Le désir les a couchés sans appel dans l’herbe tendre du chemin creux la meute est loin ils jouent et jappent
la connaissance ici participe de l’obscène et procède de ses joies les corps nus célèbrent le sacrilège à la face du ciel de dieu confondu
de retour au chenil en bons chiens ils se déchireront et le savent
meurtris et défaits à l’échouage dans le no mans land des équivoques dextre ou senestre liés les amants joueront aux dés leurs démons à qui gagne perd et meurt
ils cultivent l’illusion sur le trèfle de s’aimer vraiment à quatre feuilles
il l’avait trouvée offerte et sitôt sans ambages troussée à présent son sexe rose bée luit et clapote sous sa main
agonisante elle gémit part en cascades
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s’y noyant en cris spasmes et saccades l’homme grogne et jure on le croirait fou d’un coup terrible de son sexe il l’éventre
la mort les unit elle pleure il la remercie
Les caresses se bousculent au portillon de mes mains laquelle courbera ton corps je la cherche laquelle t'arrachera le cri je ne sais
déjà ton sexe supplie tes yeux disent le plaisir latent nos ventres s'épousent et la noce est belle
une toute jeune fille geint en toi sa beauté me confond et nous fait complices
qu'elle est douce la mort au confluent de tes jambes lourdes et longues ainsi rançonnées
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il n’y avait ni sens ni raison mais unique le ciel unique la vie
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Il n’y a rien en moi sinon la cinglante inanité d’être moi et rien que moi
rien hormis peut-être des traîneaux tirés par les chiens fatigués de la longue approche des pôles
il y a bien cet horizon d’avis de recherche et l’absence lourde pendue à mon cou
mais pas d’obscurité pas de diable ni monstre ni fantôme
rien
ni anges ni saints ni dieux ni lumière
il n’y a rien d’autre que ces lignes échouées…
et le silence qui m’est dû
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Nous n’avions qu’un ciel en partage où jouaient les oiseaux
pour quelques rares lambeaux de bleu nous y avons fait la guerre
les oiseaux ont fui le ciel s’est fermé au printemps la débâcle a tout emporté
nous n’avions qu’une vie à vivre parmi une infinité de destins sans autre projet que de vivre immobile comme fait et se défait le soleil agité de hoquets sucrés et luxurieux dans le mûrissement du fruit
il n’y avait ni sens ni raison mais unique le ciel unique la vie
nous n’avions qu’un ciel en partage nous n’y reviendrons pas
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Au passage du gué le flot sournois attend le voyageur soudain il jaillit et l’agrippe par les chevilles
l’homme surpris vacille résiste se débat tombe au fil de l’eau apaisée un corps s’en va
pourquoi
que veut le fleuve serait-il dément est-ce vengeance réclame-t-il un tribut une rançon
l’eau ne veut rien le fleuve est sans désir le torrent sans haine il n’y a pas conjuration
chacun n’a que sa substance et sacrifie à l’éphémère
tous regardent passer l’homme ventre en l’air au gré du flot
attentifs et sévères ils tiennent la chronique des rives et comptent les noyés sur leurs longs doigts d’algues
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Les ongles se font d’airain quand l’eau ricane vivre échappe au noeud coulant du cri
herbe l’herbe incline vers la faux
granit le ventre épouse le granit et ne trahira point la chute
Je regarde mes mains
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semblables à toutes au bout desquelles il y a des doigts comme les vôtres
tous ont leurs petits ou grands secrets et forment autant de rébus ou de mystères qui ne nous appartiennent pas
les signes qu'ils tracent nous écrivent et circonscrivent ils apparaissent innombrables mais leur somme est un zéro et nous sommes leur éclatante énigme … le zéro ne se soulignant pas je regarde mes mains et les fais taire
Dépouillées les ombres ne reste que la nuit que la pâleur des phalanges dans la tourbe des mains et le chant du rasoir
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au détour l’homme sait le meurtre sous le loup du rire où le masque des babines la bouche qui tue et le crochet du boucher
dépouillées les ombres assumée la nuit l’éclisse d’un mot souvent hale remugle et rémanence hors les soutes du ventre
les paumes disent la saga des vents contraires et des oiseaux frileux nichent dans les yeux
Mon sang est né au Pays sans Chiens à deux pas des sources du questionnement il en est le féal et fleure bon l'époque
mon sang s'adresse aux chiens son chant conçu dans l’infini
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il peut être entendu du plus grand nombre
je le tiens des fourmis envoyées par les sbires elles venaient avides à mon berceau pour voler le miel de mes lèvres et tenter de tarir ma parole
mon sang aujourd'hui est joyeux il n'a cependant pas toujours chanté jeune il fut de larmes celles qui courent sur le fil des couteaux
mon chant a mémoire du linceul d'aube blême qu'il porta en ces temps de rafles et d'injures où ça cognait ferme dans les crosses aortiques
mon chant a beaucoup appris sa bannière est d'ecchymoses sur fond de casse-tête
il est devenu fier mais il peut être déférent : il parle chien aux chiens
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Auriez-vous davantage de vérité trébuchante que les plus pures gemmes sonnantes de la langue ô masques superposés et silencieux que taisent à escient les tables de loi
je m'enivre ici de l'arrachement qui vous recompose sans fin et me livre pantelant aux éblouissements du neuf
masques au levant
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les armes cliquètent
au couchant le ciel s'embrase
couteau sur la gorge la vie rougeoie
c'est à l'étale sur une plage déserte que la mort vomit nos enfantements
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Je suis né à reculons seule façon de naître sans sitôt connaître le foudroiement de la mort
car cela s’entend la fin ne fournit pas les moyens
bien sûr le jour fatalement ne peut succéder qu’à la nuit mais elle est grouillante la nuit dangereuse aussi parcourue de sentes traîtresses aux allures de coupe-gorge mieux vaut la fuir chercher le jour ailleurs
peut-être remonter à la source
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à cette pulsation qui faisait sauter le cœur dans la poitrine ou perler la sueur au front
vous souvenez-vous de cette croisée de chemins où vous avez trébuché
que s’était-il passé ? vous n’étiez pas seuls d’ailleurs tous ont trébuché je vous le dis il faut reculer laisser à l’œil le champ pour embrasser le désastre
souvent de moi à moi j’ai parcouru le chemin je partais à reculons ce sont des pas qui coûtent blessures blessures encore et l’odeur du sang
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La semaine de huit jours
dimanche
Incantation première
au seuil du lieu parfait ton sexe et sitôt dru l’engorgement du ventre
j’en sais les houilles le troc infini des grisous
qu’il y suffit de feu pour l’espace
d’être nu
lundi
Seconde incantation
à l’air
aux cisailles atroces de la glotte hachant le souffle
au silence et ses pollens qu’il m’indiffère de lire dans le fruit son l’orgasme
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mardi
Tiers noeud
en nos anatomies lépreuses tant manquent les doigts pour compter au-delà des corps
troisième incantation
aux lymphes nomades le legs émacié d’une question
mercredi
Quarto
ma dimension sans doute
incantation à l’espace
on tremble dans l’engorgement forcené
des marges
jeudi
Terre ou mer
on porte aux lèvres la conque sans trop savoir
à mi-distance quelle incantation la quantième
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dégorger
vendredi
Mur môle jetée
prennent à la gorge odeur de marée l’incantation aussi
n’ignorant rien du ressac des ses franges à travers soi
jamais tout à fait blanches
samedi
Le chant s’allume au bois de la veille humide encore
les yeux piquent la gorge est rêche
la braise sauve
jusqu’à demain
polythéidi
Hors chant fichée en gorge l’ultime incantation
tant de dieux assassinés pour un sac de clous
à la petite semaine ça taloche ferme sous l’estomac
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Je suis plusieurs sans en connaître le nombre hommes d'hier
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de demain alignés jusqu'à se confondre avec la nuit des temps
ils remuent parlent et chantent en moi fiers et joyeux forts surtout leurs muscles vibrent sous ma peau jusqu'au frisson et mon cœur bat pour mille
le faucard a décimé leurs rangs au passage des grands fleuves du temps
ils sont passés pourtant leurs hordes ont atteint l'autre rive leurs mères souvent ont mis bas dans la boue et j'en suis tout crotté
venez à moi j'ai odeur de siècles et de géhennes
accourez mes blessures sont mon chant qui vous entraîne elles annoncent mon poème qui bouge et appelle l'aube
L’outrage est sévère la langue en tremble elle se révulse d’indignation
il semble que dans l’obscurité des généalogies un gardien obtus exige le silence
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hautain il proclame qu’insoupçonné un secret nous gouverne
tellement solaire que personne n’a pu le voir en face parce qu’il aveuglerait qui ose
tellement grand qu’il n’a pas quitté encore la matrice étroite de l’univers
il freine la main quand elle voudrait écrire si la mémoire remue les lèvres il les cadenasse
le plus profond des secrets serait le plus lumineux faudra-t-il avouer que les nuits de tempête nous craignons qu’il s’éteigne
nous implorons le vent au nom des nuits à venir quand le sommeil tardera
ma langue a dit ce qui la nouait le jour se lève je n’en parlerai à personne
La mort a pris ses quartiers en moi
où dans quel coin je l’ignore
est-ce vers le cœur ou du côté
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des forges du souffle qu’elle campe
près de ces carrefours dangereux où la folie roule tantôt à gauche tantôt à droite et dieu sur la ligne blanche
dort-elle dans mon ventre et ce qui parfois y remue serait-ce elle déjà que je devine si douce partageant la couche de mon poème
vais-je l’aimer comme j’ai pu aimer
rampe-t-elle là dans mes veines pour en jaillir soudain et le moment venu me submerger
imposer à ma bouche sa main d’algues ligotant le cri qui oserait
il fait sombre chez moi la clarté n’entre qu’à mesure que ma vie fuit comme une eau perdue
il fait sombre chez moi cependant j’ai pu l’apercevoir
je l’ai trouvée belle elle m’a souri et a dit
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tu vois on t’a menti aussi sur moi
Ma vie est une équation sans inconnue une monstruosité mathématique un délire euclidien
à tout bien considérer il eut mieux valu que je l’ignore
je croyais que comme toutes les vies elle avait eu un commencement et qu’elle aurait une fin
mais voilà que je me mets à douter
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et ça remet tout en question
ma vie est une abomination mathématique une traîne d’étoiles rouges au cou d’un théorème noir
à Enno Birkner Renz, nouveau né, novembre 2005
Le vent se lève et dit :
tout est dans le souffle par moi adviennent le commencement et la fin
son ombre mauvaise ajoute :
que votre couche soit d’étoiles ou misérable grabat il est sacre et reddition d’un seul et même mouvement il intronise ou démet
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attise ce qui naît efface ce qui est
le vent reprend :
naître n’est que l’avatar du désir corrompant vos lèvres mourir est plus simple il suffit d’absence la plèvre noire douloureusement tendue entre les pôles de l’espoir ne dit rien d’autre
le vent conclut :
naître est une farce ! qui est né ? qu’il se montre celui-là !
le vent est tombé.
On a bien ri une fois n'est pas coutume bien épilogué aussi ça ne fait de mal à personne
le jour s'est défait pièce par pièce nous avons perdu nos fous noirs blancs l'échiquier s'est dépeuplé peu à peu
la nuit frappait du poing sur la table exigeant sa part de rêve
nous avons cédé elle a tout pris
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et le jeu a repris un autre jeu avec d'autre couleurs
Enfant j’aimais la compagnie des puits leurs grands yeux d’eau sombre et profonde leurs fortes épaules de pierres scellées le chant lancinant des poulies à la peine
sous ce docte magistère je connus mort heureuse sans avoir à la subir en épousailles fatales ce fut fête je pus lui rire au nez
les puits ironiques appelaient mort heureuse les pièges du sens et les contresens de la raison l’atonie doucereuse du giron la narcose des rêves
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les distillats ténus et fragiles de la conscience
ils m’enseignaient l’ivresse des vertiges m’initiant à la dangereuse proximité des gouffres
les puits furent mes miroirs j’y vis mon double en face j’ appris à lire sur les lèvres de ma mort
Il guettait les pirogues on les devinait là dans la courbe du fleuve
elles approchaient à vive allure propulsées à grand renfort de cris par des pagayeurs braillards vêtus de noir déjà elles étaient à portée de tempe quelques rapides séparaient encore l’homme de sa mort les soubresauts de l’eau se faisaient violents
il a saisi un pétale d’églantier et bu calmement l’eau accumulée en son creux
puis du bout du doigt il a cueilli un peu de poussière fine du chemin et s’est tracé un signe sur le front
une larme est apparue au coin de son œil a hésité et s’est arrêtée à tout petits coups de langue comme un chiot il s’est mis à laper
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il a bu très doucement elle a disparu à l’intérieur de son corps grand ouvert comme réconcilié
déjà les pirogues accostaient il embarqua pour un nouveau voyage
Hier je suis allé aux sources qui irriguent ma mémoire plongeant mes mains d'orpailleur dans des eaux de toutes sortes mes yeux cupides se sont allumés à bien des ors factices
ces flux ne me livrèrent jamais qu'incisions vives de carmin pourpres saturées et repoussantes rondes bosses vertes des mouches qui creusent la paupière des morts
je me suis épuisé à cette quête navrante ne découvrant jamais que reliquats frugaux parmi la rosée frêle et froide
un jour enfin j'ai regardé le fleuve dans les yeux et dit "allons-nous en"
nous sommes partis nous avons choisi de suivre le ruisseau perdu
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qui serpente en moi
et nous allons tournoyants derviches dans l’infini des affres
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Elle tend au ciel ses bras liquides par où elle meurt tailladée
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elle est la nuit du tocsin ultime la danseuse de feu qui se noie
une fatigue de roseaux brisés emmêlés de ressacs sans fin et sans espoir l'a jetée là miliaire dérisoire au bord du temps d'où elle m'appelle
tout est dit de son règne menteur tapie sous l'escalier des caries la nuit tremblante expie ses excès d'ombre et de lumière
elle a jeté à mes pieds sa robe de noces plus un signe ne me parviendra de cette voie lactée qu'elle arpentait en incendiant la dimension
tôt ce matin j'avais préparé les curares pour l'irréversible tétanie dans un fouillis de lianes où jamais je n'ai pu démêler le vrai du faux où est la clarté sinon au fond de ce que je pleure
dans le brasier de ma vie la danseuse de feu s’est noyée
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Je ponds les dernières larves noires de ma vie dans la pestilence d’un asile urbain et forme le voeux qu’elles y prolifèrent
si je vous les annonce c'est que je suis bon bougre un facteur triste vous les porterait
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franco de port mais sans préavis
par le crachoir pour tuberculeux qui tient lieu ici de portevoix j’en dis l’interminable litanie
elles remuent dans ma gorge se bousculent dans ma bouche et piétinent mes lèvres
nées les fers aux pieds elles ont traversé ma vie laissant pour seule trace une traînée sanglante
comprenant leur impatience je les libère enfin
elles vont fondre sur la ville
La lune s’est enflammée elle a mis ses cheveux roux
tout est dit je me suis assis à côté d’elle aux pieds de la muraille noire qui toujours a coupé en deux le village
je suis assis avec la lune au pied de la muraille nous parlons
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c’est notre dernière liberté même l’astre en convient
que faire d’autre quand rôde la folie et tremblent les chiens
qu’ajouter si le maître est brutal et qu’au fond, plus rien n’a vraiment d’importance
A RETRAVAILLER Quoi de plus inutile que le temps mais il passera
bien avant que la lune se noie ou que le soleil dans sa miséricorde lui tende la main
je ne dirai pas comme le sage que tout passe cependant il passera le temps n’en doute pas
et ne te méprends pas il n’est ni espiègle ni léger
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s’il te glisse entre les doigts ce n’est pas pour en prouver l’existence mais pour te dire la vanité de tout compte
à quoi pourrait-il servir d’autre d’ailleurs ce temps que tu pleureras
tu te souviendras le souvenir seul te restera la rue mouillée les voitures sales le vent le froid la boue le bruit
quand il sera passé et hors de vue que lui-même se sera égaré t’appelant - qui sait - à l’aide une fois pour toutes tu comprendras
il n’y aura plus de musique ni celle que j’aimais ni les autres d’ailleurs rien de ce que nous aimions ne subsistera ne restera que la sécheresse et l’appel du vide de la mémoire
l’ombre même de ce qui nous ensoleillait ne pourra te protéger de la brûlure atroce du temps
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Je dirai donc le meurtre pour ne pas flatter à l'angle de chaque mot la dague où déjà s'accroche une perle de sang
" si tu veux vivre ne parle plus " me chuchote un grand silence
" sois patient " lui dis-je " la nuit féconde appelle aux épousailles
et je ne mourrai qu'à l’aube“
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Tout se passe comme s’il devait n’y avoir désormais de repos que sur l’autre rive de l’autre côté dans un espace grillagé d’où je ne m’échapperai plus
le rendez-vous est promis déjà les sentinelles ont rejoint leur poste sur ma table quelques feuillets et un poème ironiquement parlent encore de liberté
C’est à pile ou face que je mourrai en une duperie ultime un jeu d’ombre dont les miradors narquois et les faisceaux de projecteurs tireront les ficelles
dans un nœud de viscères et d’humeurs corrompues si étroitement serrés que toute respiration bannie rêve ou rire n’y pourront naître et mourir que dans les larmes
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Non je ne tremblerai pas comme ces étoiles peureuses dans l'infini froid là haut très loin je me tairai nous irons aveugles entre vociférations et meurtres dans le fracas des blancheurs naïves nous porterons vêtements d'hiver de pluie et de vent mais il sera bon d'être avec toi parmi coassements et babil
pour l'instant tu respires paisiblement et mon flanc contre le tien je m'unis à ton souffle quelque part sans trop savoir où dans cette nuit d'aisselles de semence fraîche et de varech pourri j'entends hurler les menottés
je me couche à tes pieds mon triomphe est bien de mourir là sous ta fourche cependant que le cri est tien
le petit matin comme d'un cliché désuet rira de nos grands yeux cernés
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Tringle tringle homme le trou blanc des os du trou noir de la nuit
tu tringleras longtemps
fouille ce ventre qui t'épuise
crie femme crie tu crieras longtemps
quelque part vous quittez l'océan
le premier rivage vous attend celui de tous les périls
tringle tringle homme criez criez femmes longuement
la genèse est un cri et la vie l'ombre étirée de ce cri
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Au chant du coq il n’est pierre qui chante sinon la mort de marbre
sitôt pondu l’œuf fragile le convoi maternel disparaît sans regret
le lit des jours est de paille précaire les façades hautes des maisons Roncevaux
muets des otages embarquent vers un destin mécanique il fait silence si le destin aime les départs toujours il en tait les raisons
et nous allons tournoyants derviches dans l’infini des affres vers quelque collision stellaire avec aux lèvres accroché le râle
il faudra grandir vivre mourir sans que s’attache dans le vertige des puits sourds un sens à la dérive une raison aux caps pris à la sauvette
nous serons guetteurs des aubes escomptées comptables des nuits assumées de café en café de trottoir en trottoir mendiant une parole suppliant pour un rire
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glissant titubant sur les papiers gras
Au fond du jardin une source coule des jours paisibles
tu lui parles elle t’écoute tu te fies aux galons cousus sur ses bras froids ils ont le poids des vies sans fond
la tienne comme un broc percé tarde à se remplir et tu t’effrayes au fracas de toute cette eau qui coule
ton visage est pâle on dirait un masque vénitien si n’étaient quelques rides
et tu parles tu racontes les gondoles passent indifférentes s’éloignent sur le Grand Canal où toujours le vaporetto sonne à cloche fêlée
et comme lui sonne tu coules l’eau proche de tes lèvres déjà bleues monte en toi ton passé te submerge
la source est toutes oreilles elle a tressailli et lentement passé un bras autour de ton cou
elle t’entraîne en elle fermement
sa force est si grande que tu ne peux résister
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Sur le Grand Canal le vaporetto s’est tu
Pouvais-tu deviner qu’elle vivait là dans l’angle mort du jeu cachée sous ton coude qu’à deux doigts de la main brutale elle oserait te narguer
aurais-tu imaginé que le désir la jetterait haletante à tes pieds et que fatiguée de danser vainement dans ton oeil d'amadou elle viendrait exiger le saccage et le feu
le plateau de l’offrande lui brûle les doigts son corps tente d’ouvrir les fenêtres il étouffe à côté du pain et du sel elle a posé le plateau par la fenêtre un fragment d’azur dispense une lumière malade
dans la cuillère le sucre crépite roussit et fond
Blanche apparaît elle est livide et se met aussitôt à danser
elle tournoie ses yeux s'exaltent à mesure qu'elle virevolte
sur les murs de la chambre des géants mal assurés titubent et s'écroulent
convié à l’embrasement
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toi sur ton frêle esquif blanc tu as déjà rejoint le soleil
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