Les recettes de la tante Riboulet Je ne sais pas si je vais me rappeler une des fameuses recettes de ma tante, celle qui était née à Cognac, qui s’était mariée avec un médecin de Maubeuge et qui travaillait rue de la Paix. Quand elle était jeune, je l’ai souvent vue venir installer sa tente sur le terrain de camping qu’elle avait loué près du parking de la mairie. Dans son foyer, tout était prévu car c’était la reine des cuisinières, l’atmosphère était gaie, se menus attiraient des nuées d’invités, mais, une fois toutes les six semaines, ma foi, elle pratiquait le jeûne. Ses recettes, qui enthousiasmaient ses amis, sont assez farfelues, essayez-les si ça vous tente, ou si ça vous chante. Avec un couteau pointu, elle taillait de grosses rouelles de porc dans le filet, mais vous pouvez aussi mettre un bon morceau de veau, avec un os. Il ne serait pas sot d’utiliser à la rigueur de l’agneau de bonne race, mais c’est plus coûteux. On fait macérer la viande crue, émincée en petits carrés, pendant des heures sous le vasistas, ouvert à cause de la buée, dans une assiette creuse, avec de l’huile, des feuilles de vigne, quelques pommes avec leur peau, ou pelées ou passées au mixer, du citron vert, des grains de pavot et du curcuma – c’est une poudre jaune qu’on trouve facilement parmi les produits exotiques, entre les baies de poivre rose et l’épice aux cinq parfums. Mettez aussi du sel et du piment des îles. N’en mettez pas des tas, ça va piquer ! Vous appuyez bien avec la paume de la main, pour que la viande soit bien imprégnée. Mais surtout, il ne faut pas l’égoutter. Faites cuire ensuite les échalotes hachées dans un bon verre de vin sec, genre muscadet ou bourgogne blanc, jusqu’à ce que le liquide soit complètement évaporé. Je sais qu’elle faisait revenir le tout sur le gaz, mais je ne saurais dire combien de temps elle laissait sa viande mijoter lentement sur le feu baissé. Si, par hasard, la viande est trop desséchée, ne soyez pas malheureux, vous pouvez augmenter l’onctuosité en ajoutant une tasse de lait, à condition de ne pas la noyer. L’ensemble doit être d’un beau ton brun, pas trop foncé. Vingt minutes avant la fin, pour obtenir une sauce bien liée, on met de la crème – au moins un pot –, un bouquet d’estragon frais et deux brins de persil. Elle allait le cueillir dehors, même quand il y avait de la boue sur le sol, et le rapportait dans un drôle de petit panier en mauvais état. Elle déposait ensuite sa casserole sur le bout du buffet, à côté de la bibliothèque, dans le living. Elle la plaçait assez haut pour que le chat n’y pose pas les pattes et ne fasse pas de taches, mais chacun pouvait aller humer le plat. Avant de le goûter, elle attendait toujours la fin, ma tata. Faites-en autant, si vous n’avez pas trop faim.
Ma tante accompagnait ce plat de champignons sautés ou en beignets, de céleri cru ou d’une jardinière de légumes, d’artichauts violets de Bretagne au beurre fondu ou en soufflé, ou, faute de légumes frais, tout simplement de riz ou même de pâtes, si ce n’était pas une noce ou un jour de fête. Essayez cette recette. On vous prendra pour un maître. Moi, je l’ai faite au mois de juillet dernier, et j’ai eu du succès. Si vous n’avez pas tout retenu, n’ayez pas honte, je vous l’écrirai et je vous facilitera la tâche en vous donnant aussi celle de la dorade farcie de crabe et de sole, celle de l’aileron de requin à la nage, du pâté de lion au cresson, de la terrine de renne aux oignons ou enfin celle de l’antilope en daube. Mais oui, c’est vrai, je le peux !