La Rumeur En Finance

  • June 2020
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LA RUMEUR EN FINANCE par

Fadel AKASBI et

Mémoire soutenu en vue de l’obtention du Diplôme Grande Ecole option de spécialisation Finance

Sophia OULHAJ

Directeur de Recherche :

M. Alain CHEVALIER

Professeur de Finance à l’ESCP-EAP, Doyen du Corps Professoral. Année Universitaire 2005/2006 Session de Juin 2006

NON CONFIDENTIEL

Résumé Avec le développement des technologies de l'information, la propagation des rumeurs s'est accentuée. Leurs conséquences dans le domaine de la finance sont exacerbées. Après avoir déterminé la Finance Comportementale comme cadre général de l'étude de la rumeur en finance, une analyse détaillée des mécanismes de la rumeur s'impose. Cette étude montre que la rumeur naît essentiellement de l'ambiguïté qui plane autour d'un sujet et de l'importance de ce sujet aux yeux de ses protagonistes. Elle montre aussi qu'il est difficile de séparer le processus de naissance d'une rumeur de son processus de transmission et que l'ambiguïté, l'importance mais aussi l'angoisse et la croyance sont tant d'éléments explicatifs pour l'un comme pour l'autre. Cela étant, la transmission peut être également étudiée selon une approche psychologique, focalisant sur l'individu, puis par une approche sociologique, focalisant sur les phénomènes de groupe. Il en ressort que la rumeur est un phénomène potentiellement dangereux, notamment parce qu'elle est facilement manipulable. Une tentative de mesure de ses effets est à ce stade embryonnaire. Parce qu'une évaluation du risque induit semble peu réaliste, l'étude conclut par des recommandations à l’intention des entreprises et autorités financières pour la prévention et la neutralisation des effets de la rumeur en finance.

Abstract Given the development of information technologies, the propagation of rumors tends to be emphasized. Their consequences in the financial marketplace are exacerbated. After setting Behavioral Finance as a general framework for the study of rumor in finance, a detailed analysis of the mechanisms of the rumor has become essential. This study shows that the rumor is primarily generated by the ambiguity surrounding a subject and the matter importance to the protagonists of the rumor. It also shows that it is difficult to separate the birth and the transmission processes of a rumor and that ambiguity, importance but also anxiety and the belief are so much of explanatory elements for one as for the other. Furthermore, the transmission process can be also studied according to a psychological approach focusing on the individual, or a sociological approach focusing on the group phenomena. This reveals that the rumor is a potentially dangerous phenomenon, in particular because it is easily manipulating. An attempt of measurement of rumor effects reminds embryonic. The study finally concludes by recommendations to companies and financial authorities in order to prevent and neutralize the effects or the rumor in finance, as a valuation of the rumor’ s induced risk seems to be not very realistic.

Mots-clés rumeur, information financière, efficience des comportementale, psychologie des investisseurs, l’information. -2 -

marchés, finance manipulation de

Sommaire Introduction .............................................................................................................5 1

Rumeur et psychologie des investisseurs........................................................7 1.1

Définition et caractéristiques de la rumeur ..............................................7

1.1.1 La rumeur, « le plus vieux media du Monde » .................................7 1.1.2 Les caractéristiques de la rumeur .......................................................8 1.2

Typologie de la rumeur............................................................................10

1.2.1 Faire l’inventaire des rumeurs..........................................................10 1.2.2 La rumeur dans le cadre de l’entreprise ..........................................11 1.2.3 Typologie des rumeurs financières en fonction de leur contenu...13 1.3

Psychologie des acteurs, formation des prix et rumeur ........................15

1.3.1 Efficience des marchés et rationalité des investisseurs...................15 1.3.2 Les apports de la Finance Comportementale .................................16 1.3.3 Heuristiques, biais et rumeur............................................................19 2

Composantes et mécanismes de la rumeur...................................................22 2.1

Naissance de la rumeur............................................................................22

2.1.1 L’incertitude et l’angoisse .................................................................22 2.1.2 L’importance et la croyance ..............................................................23 2.2

Transmission de la rumeur ......................................................................25

2.2.1 L’individu : approche psychologique .............................................26 2.2.2 Le groupe : approche sociologique..................................................28 2.3

La manipulation de la rumeur et ses limites ..........................................30

2.3.1 Manipulation......................................................................................30 2.3.2 Réglementation ..................................................................................31 3

Mesures et limitation des effets de la rumeur en finance ............................34 3.1

Différentes approches pour la mesure de la rumeur.............................34

3.1.1 Le cas des rumeurs d’acquisition .....................................................34 3.1.2 Mesure de l’expansion de la rumeur................................................36 3.1.3 Effets de la rumeur sur la formation des prix :................................37 3.2

Recommandations pour limiter les effets potentiellement dangereux

de la rumeur.......................................................................................................38 3.2.1 La prévention .....................................................................................39 3.2.2 La neutralisation: ...............................................................................40 Conclusion .............................................................................................................43 Bibliographie .........................................................................................................45 Annexe ...................................................................................................................48 -3 -

« D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil ; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ? » Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte II, scène VIII

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Introduction … Il n'en avait pas fallu plus, hier, pour relancer les rumeurs sur une possible fusion entre les numéros un et deux français… « Infogrames cède des actifs pour 20 millions d'euros », La Tribune ...alors que refaisaient surface des rumeurs récurrentes d'une offre de Vodafone à 34 euros sur le groupe… « La Bourse de Paris repasse sous les 5.300 points avant la Fed », Reuters ...la rumeur indiquait que BAE et VT jugeaient leur projet trop cher… « BAE Systems et VT Group renoncent à acheter Babcock », AFP – FinWebPlus ...revêt un intérêt spéculatif du fait de rumeurs récurrentes sur un rapprochement entre Altadis et le britannique Imperial Tobacco... « Altadis affiche un excédent brut d'exploitation supérieur aux attentes », AOF ...Eurotunnel n'a pas démenti hier les rumeurs d'accord en vue qui circulent autour de sa dette.... « Eurotunnel : accord sur la dette avant la fin de la semaine ? », Boursier.com Cette rapide revue de la presse financière du Mercredi 10 Mai 2006 est assez révélatrice de la présence effective de la rumeur dans l’information financière. Les médias spécialisés semblent ainsi très souvent présenter la rumeur, lorsqu’elle est citée, comme une explication des variations notables de la cotation boursière des compagnies sur lesquelles elle porte. Celles-ci seraient ainsi sujettes à des spéculations, craintes ou pertes de confiance des investisseurs qui se rueraient sur le marché pour acquérir des actions, ou au contraire s’en délester, et ainsi par le jeu de l’offre et de la demande, influeraient sur la formation prix. La rumeur semble ainsi prendre le statut d’information, et avoir sur le marché des conséquences similaires à celles de toute information. Aujourd’hui avec l’extraordinaire développement que connaissent les technologies de l’information, les sources sont de plus en plus nombreuses, diverses, et faciles d’accès, mais parallèlement de moins en moins contrôlables. En témoigne par exemple la polémique actuelle concernant la

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fiabilité des sources de Wikipedia remettant en cause la qualité voire véracité de l’information qui y est proposée. La rumeur se pose alors en quelque sorte comme concurrent de l’information, car difficilement différentiable de celle-ci. À partir du moment où la rumeur véhicule une information fausse, elle devient dangereuse, à la fois pour les investisseurs, et pour les entreprises qui en sont l’objet. Dès lors quelles stratégies adopter face à la rumeur afin d’en minimiser les effets négatifs ? Il semble nécessaire dans un premier temps de définir la rumeur de manière générale, puis d’établir un cadre d’étude de la rumeur dans la finance en particulier. L'Hypothèse d'Efficience des Marchés (HEM), une des bases de la théorie financière classique, estime que dans un marché suffisamment large où l'information se répand instantanément, les opérateurs rationnels réagissent correctement et quasi immédiatement aux informations, et ainsi le prix d’un actif financier intègre en temps réel toute l’information disponible. En définissant a priori la rumeur comme expansion d'une information non vérifiée, son essence même s'avère ainsi à la fois centrale dans le cadre de l’HEM car elle bien expansion, et contradictoire : ce n’est pas à proprement parler de l’information. La théorie financière classique peut ainsi poser des limites à la compréhension du phénomène de la rumeur en finance. C’est dès lors à travers une grille de lecture alternative constituée par la Finance Comportementale – ou ensemble des approches analysant la formation des prix à travers la psychologie des investisseurs – que nous tenterons de définir la rumeur. Nous analyserons ensuite les manifestations de la rumeur dans les marchés financiers à travers la détermination de ses composantes et mécanismes. En particulier, nous nous intéresserons au cycle de vie de la rumeur, de sa naissance à sa mort, en développant notamment ses modes de transmission. L’enjeu sera alors d’identifier, parmi les acteurs de la rumeur ceux qui interviennent directement pour la manipuler ou au contraire la limiter. L'objectif dans un troisième temps sera de s’intéresser aux tentatives de mesures des effets de la rumeur en finance, pour en dégager une approche permettant d’avoir des stratégies effectives de protection contre la rumeur.

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1 Rumeur et psychologie des investisseurs L’objectif de cette première partie est de définir la rumeur de manière générale puis ses manifestations en finance. On s’attachera ainsi à en dégager les principales caractéristiques avant d’envisager différentes typologies. Nous introduirons ensuite un cadre théorique qui nous permettra d’étudier la rumeur en finance.

1.1 Définition et caractéristiques de la rumeur 1.1.1 La rumeur, « le plus vieux media du Monde »1 La rumeur vient du mot latin « rumor » qui signifie le bruit qui court, le propos colporté de la foule. Son sens évolue par la suite au cours des siècles. Ainsi au XIIème siècle, « rimor » est désigne le bruit produit par une armée en marche, et introduit dès lors la dimension de menace. Quant à sa forme actuelle, Pascal Froissart (1995) fait remarquer qu’ « on en trouve les premières traces dans un édit de 1274 du Parlement de Paris où elle désigne tout autre chose: le "haro" que tout citoyen est obligé au nom de la loi de pousser s'il assiste à un crime, de manière à attirer l'attention de la maréchaussée! » Elle est ainsi devenue le cri poussé par la victime ou le témoin d’un délit. La dimension de danger est là encore bien présente. Parallèlement, elle continue de signifier le bruit qui court. Au XVème siècle, les deux dimensions de bruit de foule diffus et de menace sont alors regroupées dans le même sens. En témoigne son utilisation dans le Journal de Nicolas de Baye (1407), greffier du Parlement de Paris, comme « bruit sourd et menaçant d'une foule, annonçant quelque disposition à la révolte »2. À partir du XVIème siècle, la rumeur publique désigne toujours ce bruit diffus, mais introduit une dimension de cacophonie, d’incohérence, de chaos sonore. Elle est le bruit confus que produit une assemblée mécontente, disposée à la révolte, à la violence ou à la protestation. Notons que dans le sens de « bruit qui court », les notions de véracité et de fausseté de la rumeur n’interviennent qu’au XVIIIème siècle : vrai bruit et faux bruit, démentit ou au contraire authentification de la rumeur. L’idée du 1 2

Kapferer J.-N. (1987), Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Seuil. « rumeur », Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr

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bouche a oreille, supposant une origine de la rumeur, n’apparaît, comme le fait remarquer Froissart (1995) qu’à la fin du XIXème siècle, impliquant « la différenciation des locuteurs ; perdus dans une masse, dans le corps d'une foule anonyme, ceux-ci sont bientôt les acteurs de la rumeur ». Prenant le sens de l’ « on-dit », elle devient potentiellement « injurieuse ou infamante ». Le concept de manipulation de la rumeur est dès lors présent. Il nous intéresse tout particulièrement car il représente probablement le plus grand danger que celle-ci fait courir aux marchés financiers. Aujourd’hui, la rumeur est cette nouvelle qui apparaît on ne sait trop comment, se répand au sein d’un groupe, subit diverses altérations, s’amplifie sans jamais être vérifiée car non vérifiable. DiFonzo, Rosnow et Bordia (1994) qualifient les rumeurs de propositions ou allégations masquées par de diverses nuances de doute, parce qu'elles ne sont pas accompagnées de preuves pouvant les certifier. La rumeur prend alors bien le statut d’une information, à la nuance près qu’elle est invérifiée. C’est également en référence à la fonction de diffusion et de propagation de l’information (certes non vérifiée) que Kapferer (1987) qualifie la rumeur de « plus vieux média du monde ».

1.1.2 Les caractéristiques de la rumeur Une approche de la rumeur à travers sa personnification dans la littérature mythologique semble très intéressante puisqu'elle permet de dégager les points essentiels des caractéristiques et attributs majeurs de la rumeur. Fama, déesse de la rumeur et de la renommée dans la mythologie romaine est décrite comme un monstre fabuleux muni de deux trompettes, une trompette courte pour la rumeur et une longue pour la renommée. Ubiquiste et omnisciente, elle voit tout, entend tout et se fait l'écho de la Terre, sa mère qui l'a engendrée pour se venger des dieux, grâce à sa trompette. Virgile dit à son sujet dans son Livre IV de l'Enéide1 (173,190) : « La Renommée, de tous les maux le plus véloce : […] rapide car dotée de pieds et d'ailes agiles, monstre horrible, gigantesque ; autant porte-t-elle de plumes sur son corps, autant possède-t-elle sous ces plumes d'yeux vigilants, autant 1

l'Enéide, traduction de la Bibliotheca Classica Selecta, http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V04-Plan.html

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de langues, autant de bouches sonnantes, autant d'oreilles dressées. […] opiniâtre messagère d'inventions, de faux et de vérité. Elle se plaisait à répandre partout les propos les plus divers et diffusait tout à la fois ce qui était arrivé et ce qui ne l'était pas […] » Ovide dans le Livre XII des Métamorphoses (39-63)1, imagine Fama habitant un palais qui laisse percer tous les bruits du monde à travers ses nombreux trous et qui les renvoie ensuite de manière amplifiée. Autour de Fama, « […] résident [dans le palais], la Crédulité facile et l'Erreur téméraire, la vaine Joie, la Crainte au front consterné, la Sédition en ses fureurs soudaine, et les Bruits vagues qui naissent des rapports incertains. » Cette approche mythologique est très intéressante en ce sens qu'elle souligne plusieurs caractéristiques de la rumeur. La première est que la rumeur, parce qu'elle désigne une information invérifiée, peut être fausse et donc source d' « Erreur » ou de « Sédition ». On peut constater ici la connotation péjorative attribuée à la rumeur dans la mythologie, du fait des conséquences négatives qu'elle est susceptible de provoquer car non confirmée et donc potentiellement fausse. C'est une manière de prévenir contre les dangers et la perversité de la rumeur. En effet, dans le monde de l'entreprise, plusieurs exemples de fausses rumeurs montrent que ces dernières peuvent être ravageuses et très coûteuses. En atteste l'exemple d'une rumeur lancée sur Morgan Stanley en Juillet 20002 selon laquelle la banque aurait connu des pertes substantielles sur son desk « junk bonds », en particulier concernant des papiers sur des sociétés de télécommunication. L'action de Morgan Stanley a connu une baisse quasi-instantanée de 10% et le co-directeur du desk a du démissionner le lendemain. La rumeur le concernait également puisqu'elle précisait qu'il était sur le départ depuis quelques semaines à cause des pertes enregistrées sur son desk. Après un démentit3, l'action a pu recouvrir l'essentiel de sa valeur. En revanche, une des sociétés de télécommunication IGC, dont la rumeur disait que Morgan

1

Les Métamorphoses, traduction de la Bibliotheca Classica Selecta, http://bcs.fltr.ucl.ac.be/meta/12.htm 2 Iyer S. (2000) « Short Takes On High Yield », High Yield Report, October 16th, 11 (40), p. 3-6. 3 Gasparino C. & Aubin D. (2000), « Morgan Stanley Damps Rumors On Junk Bonds », Wall Street Journal - Eastern Edition, December 10th, 236 (72), p. C19.

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Stanley détenait des centaines de millions de positions de ses bonds, a vu son cours dégringoler et son action traiter sur le marché à 0.41$. La présence de la déesse Terreur autour de Fama est très révélatrice des conditions propices à la naissance d’une rumeur (que nous analyserons plus en détail dans la seconde partie) : ainsi une deuxième caractéristique de la rumeur est qu'elle jaillit des soucis collectifs. L’ « information improvisée » telle que formulée par Shibutani (1966) vient en réponse à ces soucis, et trouve donc un public attentif. Émanent des esprits de ce même public, elle reflète forcément son anxiété, ce qui explique ce que nous verrons par la suite concernant la prépondérance des rumeurs négatives. Cela confirme également le fait que les conséquences de la rumeur peuvent être facheuses. La déesse Crédulité accompagnant Fama renseigne sur une troisième caractéristique de la rumeur, jugée essentielle par Allport et Postman (1947). Les chercheurs montrent que la rumeur apparaît comme substitut lorsque la véritable information n'est pas disponible. Ainsi la rumeur est une spéculation qui répond à un besoin d’information et comble une lacune. En ceci elle se différencie des commérages, futiles. Ces trois caractéristiques de la rumeur vont nous permettre d’introduire différentes typologies de la rumeur de manière générale, puis en finance.

1.2 Typologie de la rumeur 1.2.1 Faire l’inventaire des rumeurs La tâche est ardue, pour ne pas dire impossible. Par ailleurs, ce n’est pas l’objet de notre étude, mais intéressons nous à deux tentatives particulièrement intéressantes : celle de Knapp (1944) dont la typologie est souvent citée comme référence classique, et celle de Gritti (1978). Knapp s’intéresse aux rumeurs circulant dans la ville de Boston en 1942, en temps de guerre, et en dresse une typologie selon leurs motivations. Les conclusions sont édifiantes : près des 2/3 sont des rumeurs d’agression (« wedge driving rumors »), 1/4 sont des rumeurs d’anxiété (ou « bogey rumors »), 2% sont des rumeurs de désirs (« pipe dream rumors »). Le reste correspondant à des rumeurs difficilement classifiables. Le constat est ainsi très clair : les rumeurs sont à très forte majorité négatives, pessimistes, et

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celles portant l’espoir sont très rares. Ne généralisons pas pour autant, gardons à l’esprit que l’expérience a eu lieu en temps de guerre, ce qui pourrait expliquer ces résultats extrêmes. Gritti dresse un inventaire que lui-même avoue « inachevé » des rumeurs. Il mène une enquête dans six villes françaises en confiant à des journalistes « localiers » la tache de rapporter tous les bruits qui courent. La question clairement posée concerne la possibilité de « retrouver des constances à travers le temps et de retracer des figures typiques dans le vrac des rumeurs anciennes ou modernes ». Gritti balaye ainsi différents secteurs d’activité dans lesquels la rumeur intervient : magistrats et policiers, pédagogues et animateurs de groupe, militaires, informateurs, acteurs économiques, animateurs urbains, hommes politiques. Il en détermine les stratèges, les vecteurs et les victimes, puis en étudie l’origine, le développement et la fonction sociale avant de se pencher sur les cas précis de la rumeur dans la presse et dans la rue. Gritti note que les enquêtes urbaines débouchent sur un fort déséquilibre en les « rumeurs roses », à caractère positif (exaltant ou étrange), et les « rumeurs noires », menaçantes. L’on retrouve ici une des caractéristiques de la rumeur préalablement citée : le fait que les rumeurs négatives l’emportent en nombre et en intensité sur les rumeurs positives. En finance nous verrons que cela se traduira par une prédominance des rumeurs annonciatrices d’Offres Publiques d’Achat (OPA) hostiles, de résultats financiers inférieurs aux prévisions, de scandales touchant les dirigeants des sociétés, ou d’autres scénarii catastrophes.

1.2.2 La rumeur dans le cadre de l’entreprise Le thème de la rumeur dans le monde de l’entreprise est plus proche de notre sujet qu’il ne paraît a priori. Le périmètre des entreprises n’est pas étanche à l’information : en témoigne l’existence de fuites d’informations confidentielles. Ainsi l’information circulant dans une entreprise est susceptible d’être transmise par ses employés à l’extérieur de cette entreprise, et par conséquent aux marchés financiers. Cette possibilité est encore plus importante lorsqu’il ne s’agit pas d’information, mais de rumeur. Nous verrons en effet que les marchés sont particulièrement friands de rumeurs émanent des entreprises, et les médias s’en font facilement l’écho.

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Difonzo, Bordia et Rosnow (1994) ont mené une étude sur le sujet qui sert aujourd’hui de référence dans le domaine. À travers plusieurs exemples de rumeurs dans le monde de l’entreprise, les chercheurs ont dressé une typologie des rumeurs dans les organisations. Ils distinguent ainsi les rumeurs de rotation de personnel (« turnover »), de hiérarchie (« peckingorder »), de qualité ou sécurité du travail (« Job-Security or Job-Quality »), d’erreurs coûteuses (« costly-error ») et d’inquiétude du consommateur (« consumer concern »). Intéressons nous en particulier à celles qui semnlent pouvoir affecter directement ou indirectement les marchés financiers. Les rumeurs de rotation de personnel et de hierarchie concernent essentiellement les départs des cadres dirigeants des entreprises. Celles-ci inquiètent alors à la fois le management, les employés, mais aussi par extension les investisseurs inquiets de l'avenir de la compagnie. Les rumeurs sur la sécurité de l'emploi ont des effets encore plus prononcés car elles concernent l'ensemble des employés. Une rumeur d'acquisition ou de mauvais résultats s'accompagne ainsi souvent de rumeurs de réduction d'effectifs. Anxieux, les employés auront tendance a amplifier les rumeurs. L'instabilité sociale crée au sein de l'entreprise inquiète alors également les investisseurs. Enfin, les rumeurs d'erreurs coûteuses intéressent directement les marchés financiers. Les investisseurs parient en effet sur une répercussion immédiate et négative sur la valeur des actions de l'entreprise. Parallèlement, les dirigeants s'inquiètent quant aux conséquences sur l'image de la compagnie. Il s ‘avère que les rumeurs représentant un danger au sein même d’une organisation ont des répercussions potentielles sur les marchés dans le cas ou l’entreprise en question est cotée. Cette constatation nous permettra par la suite d’envisager les mesures à prendre en compte pour limiter les effets de la rumeur sur les marchés financiers à partir des recommandations élaborées par Difonzo, Bordia et Rosnow concernant les rumeurs dans les organisations. L’approche qui consiste à étudier la rumeur en finance en se basant sur les recherches faites dans le monde de l’entreprise est intéressante, mais probablement incomplète. Nous verrons ainsi que les rumeurs en finance ne concernent pas toujours les compagnies.

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1.2.3 Typologie des rumeurs financières en fonction de leur contenu Kimmel (2004) dresse une typologie de la rumeur en partant d'une simple constatation : les rumeurs financières concernant les cotations boursières ou les fusions acquisitions sont devenues tellement fréquentes que de

nombreux

medias

ont

été

spécialement

crées

pour

reporter

systématiquement ces rumeurs. Kimmel cite notamment les colonnes « Abreast of the Market » et « Heard on the street » du Wall Street Journal (nous reviendrons sur cette dernière en troisième partie de notre étude), ainsi que « Inside Wall Street » de Business Week. À partir de la lecture de ces colonnes, il dégage alors trois types de rumeurs, selon qu’elles concernent des compagnies, des individus, ou un environnement politique et économique. Les rumeurs portant sur les compagnies sont le plus souvent celles rapportant l’intention d’une compagnie A de lancer une OPA sur une compagnie B. À titre d’exemple, citons l’article paru dans Le Nouvel Observateur1 début Mars 2006 lançant une rumeur selon laquelle Citigroup chercherait à lancer une offre sur la Société Générale. La cours de l’action de la banque française enregistre une performance de 4% dans la journée (Cf. Graphique 1) prenant ainsi la tête du CAC40. Graphique 1 : Cours de l’action Société Générale suite à la rumeur d’offre de Citigroup

Source : Yahoo Finance, http://finance.yahoo.fr

1

« Raid américain sur la banque française ? », Le Nouvel Observateur, 9 Mars 2006.

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Kimmel explique que la seconde catégorie de rumeurs financières concerne les personnalités du monde de l'entreprise dont l'activité peut avoir des implications sur la stabilité de leurs compagnies ou les marchés financiers de manière générale. Il peut s'agir de rumeurs de démission d'un dirigeant, ou de conflit internes à une compagnie entre deux cadres haut placés, entre les actionnaires et le management etc... Le 14 Mai 2005, The Wall Street Journal lance une rumeur selon laquelle M. H. Greenberg, PDG du groupe d’assurances américain AIG, pourrait démissionner1. Ceci serait en rapport avec l’inquiétude du Conseil d'administration de la firme suite à des soucis avec les instances de régulation américaines. La réponse des marchés ne se fait pas attendre : le titre d’AIG chute de 3% à Wall Street dans la journée (Cf ; Graphique 2). Graphique 2 : Cours de l’action AIG suite à la rumeur de départ de son PDG

Source : Google Finance, http://finance.google.com

Enfin le dernier type de rumeurs financières exposé par Kimmel concerne les évènements des mondes économique et politique. Il semble très clair que les rumeurs dans ces domaines peuvent avoir des influences fortes et diverses sur l'activité des marchés. Citons les rumeurs récurrentes concernant les politiques monétaires des banques centrales, notamment de la Fed. Chaque rumeur de remontée des taux directeurs, par exemple, se traduit immédiatement pas une hausse des taux sur le marché. Après avoir vu les différents types de rumeurs qui peuvent influencer les marchés financiers, déterminons les phénomènes expliquant la rumeur en finance. En particulier, on s’intéresse ici à la psychologie des investisseurs. 1

rapporté dans « AIG : chute en pré-séance sur la rumeur d'une démission de Greenberg », www.boursier.com, 14 Mars 2005.

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1.3 Psychologie des acteurs, formation des prix et rumeur 1.3.1 Efficience des marchés et rationalité des investisseurs Pour analyser l’impact de la rumeur sur les marchés financiers, il semble tout d’abord nécessaire de rappeler l’impact de l’information sur la formation des prix. À ce sujet, l’Hypothèse d’Efficience des Marchés, une des bases de la théorie financière moderne, formulée par Fama (1970), considère qu’à chaque instant donné, les prix reflètent entièrement toute l'information disponible, publique (efficience semi-forte) voire privée (efficience forte). La question dès lors serait de savoir si, dans cette conception, les prix reflètent également la rumeur. Une des déductions immédiates de l’HEM consiste à affirmer que seules les informations non anticipées ont une influence sur le marché, les autres étant déjà intégrées dans les cours. Or de fait les marchés sont bousculés par les rumeurs ce qui nous conduirait à conclure que la rumeur, au moment où elle apparaît, est considérée comme de l’information non anticipée. Par ailleurs, la rumeur qui touche les marchés financiers est toujours présentée comme une information confidentielle émanant d’une fuite, d’une source interne, d’un « insider ». Et si le marché réagit, c’est en prévision de la confirmation de cette nouvelle par les intéressés. La rumeur revêt ainsi la forme d’une anticipation d’information, notamment dans le cas où celle-ci se confirme en définitive. L’HEM implique alors ce premier paradoxe : l’anticipation d’une information incertaine serait appréhendée par le marché comme une information non anticipée. Intéressons nous plus en détail au processus par lequel une information nouvelle impacte le prix d’un actif. Reprenons l’exemple cité par Ferrillo, Dunbar et Tabak (2004) : une information sur une société A arrive sur un marché un Lundi. Supposons, en contradiction avec l’hypothèse d’efficience, que ses effets ne soient pas immédiatement incorporés dans le prix de l’action de A. Ceci signifierait que cette information renseigne également le marché sur des changements futurs du prix de cette action. Le scénario considéré est le suivant : on suppose que l’information du Lundi a fait passer le prix de l’action de 20$ à 25$, et que le marché estime que le jour suivant cette même information fera passer le prix à 30$. Dans ce cas, quel intérêt aurait un détenteur de cette action à la vendre à 25$ Mardi en sachant -15 -

bien qu’elle en vaudra 30 le lendemain ? Si en revanche le marché estime que l’information fera retomber le prix à 20$ Mercredi, qui l’achèterait à 25$ Mardi ? Ce raisonnement par l’absurde montre ainsi que soit l’information est effectivement intégralement intégrée comme supposé par l’HEM, soit il existe sur le marché des investisseurs suffisamment irrationnels pour effectuer des transactions telles que celles citées. En d’autres termes, cela montre que la manière dont l’information nouvelle impacte le marché est intimement liée à la rationalité des acteurs sur ce marché. L’investisseur est rationnel quand sa réaction à l’information est cohérente avec la valeur de cette information, et a pour but d’optimiser sa satisfaction. Qu’en est-il de la cohérence d’une réaction à la rumeur ? Un des points majeurs de la définition de la rumeur est l’impossibilité de la vérifier. Cette impossibilité implique également l’impossibilité de mesurer la fiabilité de la source (celle-ci étant par définition inconnue) et par conséquent impossibilité de mesurer le risque induit par une réaction à cette rumeur. Or le concept même de la rationalité de l’investisseur repose sur sa capacité à mettre en relation risque et espérance de rendement. En d’autres termes, en théorie classique, la rumeur présenterait un risque trop important pour qu’un investisseur rationnel y réagisse. Et pourtant de fait des acteurs y réagissent, ceux qualifiés par Black (1986) de « bruiteurs », ou intervenants du marché qui prennent des positions sur ce qu’ils estiment être de l’information mais n’en n’est pas réellement, à commencer par le comportement des autres investisseurs.

Par

leur

mimétisme,

ils

contredisent

l’hypothèse

d’indépendance des individus supposée par l’HEM. Par ailleurs, ce phénomène particulier est un des amplificateurs des effets de la rumeur sur les marchés financiers : il suffit que des acteurs réagissent à la rumeur, pour que d’autres acteurs réagissent à leur réaction. Nous retrouverons d’ailleurs cet effet « boule-de-neige » dans la transmission de la rumeur elle-même abordée plus tard.

1.3.2 Les apports de la Finance Comportementale Faces aux limites imposées par le cadre de la finance classique développées ci-dessus, nous allons envisager la rumeur dans un cadre théorique qui s’est justement établi en opposition aux trois principes de base de la théorie financière classique, c’est-à-dire : l’HEM, l’hypothèse d’absence

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d’opportunité d’arbitrage, et la maximisation de l’espérance d’utilité1. L’idée sous-jacente à la Finance Comportementale est la suivante : la psychologie des investisseurs influe sur les cours des actifs financiers. Ceux-ci ne sont pas totalement rationnels, car soumis a des émotions et biais. Sans entrer dans le détail du développement de la Finance Comportementale, notons que celle-ci s’est développée en réponse à la constatation d’anomalies récurrentes, corroboré par des études empiriques contredisant les hypothèses de la finance classique, notamment l’HEM. Les premières anomalies émanent de constatations de comportements influencés par des cycles : le « January effect » (hausse générale des cours des marchés pendant le mois de janvier) ou « weekend effect » (tendance des cours d’ouverture du Lundi à être inférieurs à ceux de clôture du Vendredi). Une autre de ces anomalies par exemple est l’existence de portefeuilles qui ont sur du long terme et en permanence sur performé le marché (chose impossible au vu de l’HEM), le plus célèbre étant celui géré par le légendaire Warren Buffet. Certains krachs boursiers comme celui de 1987 où le Down Jones à perdu 20% de sa valeur en une journée sont tout a fait inexplicables dans une optique de l’HEM. Plus récemment, l’éclatement de la bulle spéculative en 2000 a aussi remis en cause le cadre de l’HEM. La Finance Comportementale a d’ailleurs été reconnue officiellement en tant que telle en 2002 lorsque le prix Nobel d’Economie a été décerné à Daniel Kahneman et Vernon L. Smith pour leur travaux en Economie respectivement Comportementale et Expérimentale : Kahneman « pour avoir introduit en sciences économiques des acquis de la recherche en psychologie, en particulier concernant les jugements et les décisions en incertitude »1; et Smith « pour avoir fait de l'expérience en laboratoire un instrument d'analyse économique empirique, en particulier dans l'étude de différentes structures de marché »2. En Finance Comportementale, les « anomalies » de la théorie classique n’en sont plus, et des comportements tels que ceux qui sont induits par exemple par la rumeur sont tout à fait envisageables. Ils sont notamment imputables à l’irrationalité, ou rationalité limitée des acteurs sur le marché. Shefrin (2002) distingue deux types de comportements irrationnels communs : 1

Broihanne, Merli et Roger (2004). « The Nobel Memorial Prize in Economics 2002. Press Release from the Royal Swedish Academy of Sciences », Scandinavian Journal of Economics, 105 (2), p. 155–156, 2003. 2

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les jugements basés sur des stéréotypes, et la tendance à privilégier la forme sur le fond. Concernant les stéréotypes, le plus intéressant dans le cadre de notre étude sur la rumeur est celui qui consiste à croire que plus on traite sur le marché, plus élevée sera la rentabilité. Une étude statistique conduite par Barber et Odean (2000) sur près de 66 500 ménages intervenant via des brokers sur le marché entre 1991 et 1996 révèle pourtant que ceux qui traitent le plus1 obtiennent une rentabilité annuelle moyenne de 11,4%, contre 17,9% pour le marché et 16,4% pour l’ensemble des ménages. Les chercheurs expliquent en grande partie cette contre-performance par une surconfiance des investisseurs les plus actifs. Odean (1998a) note ainsi que les stratégies actives d'investissement sous performent les stratégies passives : les investisseurs surconfiants ont tendance à surestimer la valeur de l'information privée dont ils disposent (ou pensent disposer), à traiter encore plus activement, et par conséquent à obtenir des rendements inférieurs à la moyenne. La moindre rumeur serait ainsi considérée par ces derniers comme information privée, donc une bonne raison de prendre de nouvelles positions pour ne pas passer a coté de l’opportunité de gains sous-jacente. Ce comportement est aggravé par une tendance des acteurs à chercher des preuves confirmant leurs croyances en écartant celles qui les contredisent2. Un investisseur qui prend une position sur une rumeur risque ainsi de la garder voire de la multiplier tant que la rumeur n’est pas infirmée. Il s’engage ainsi dans un cycle vicieux et destructeur de valeur, entraînant avec lui par effet de mimétisme déjà évoqué d’autres investisseurs puis l’ensemble du marché. Notons que Shefrin insiste sur le fait que l’irrationalité n’est pas le propre des investisseurs individuels, mais tout aussi présente chez les institutionnels. En ce qui concerne le second type de comportement irrationnel, rappelons que dans la théorie financière classique, les acteurs prennent des décisions d’investissement au regard du couple risque rentabilité qu’ils peuvent dégager de l’information à leur disposition. Selon Shefrin, les investisseurs sont également très influencés par la forme de cette information, au point d’en négliger parfois le contenu. Nous pouvons ainsi supposer que la rumeur, car souvent présentée comme information privée, confidentielle, peut 1

i.e. qui effectuent plus de 48 opérations par an, ou qui détiennent à n’importe quel moment plus de 100.000$ en actions, ce qui est le cas de près de 40% des ménages considérés. 2 Bowen Jr. J. J. (2006)

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sembler tentante. Les investisseurs y réagissent ainsi en omettant de vérifier son bien-fondé.

1.3.3 Heuristiques, biais et rumeur Les théories financière et économique classiques supposent que lors de la prise de décision dans un environnement incertain, un acteur rationnel se réfère au lois de probabilité. À partir de leurs recherches en psychologie, Amos Tversky et Daniel Kahneman (1974) ont établi la théorie suivante : des individus confrontés à des choix complexes ont recours à un petit nombre de raccourcis de raisonnement, ou heuristiques. L'objectif étant « de réduire les taches complexes d'évaluation des probabilités et de prédiction des valeurs, à de simples opérations ». Leurs décisions sont alors guidées par des règles intuitives dont l’utilisation conduit à des erreurs systématiques, ou biais. Rabin (2003) note que cette approche est particulièrement intéressante et novatrice sur deux aspects essentiels. D’une part, elle ne renseigne pas simplement sur le fait que les individus ne sont pas rationnels, mais sur la manière dont les jugements dévient des modèles théoriques. Par ailleurs, les individus sont présentés comme certes non rationnels, mais intelligents dans leur prise de décision. L’implication dans notre étude de la rumeur est importante : la réaction à une rumeur n’est pas une erreur grave qui serait due à une incompétence de l’investisseur, mais le résultat d’un jugement « naturellement » biaisé. Intéressons nous alors aux heuristiques et biais qui interviennent dans le phénomène de réaction à la rumeur en finance. Notons que les chercheurs distinguent les biais de cognition (liés à la mémoire des individus et leur compréhension des situations) et les biais émotionnels (ou passions). La rumeur semble se nourrir de ces deux types de biais. L’heuristique la plus classique est celle de représentativité. Elle concerne la probabilité qu’un phénomène A induise un phénomène B. Plus B sera représentatif de A, plus les individus associeront une probabilité élevée au lien entre A et B. Dans des rumeurs du type : la compagnie X a publié des résultats bien en deçà des prévisions des analystes financiers, et la rumeur court sur ceux de la compagnie Y qui seraient tout aussi décevants. Si le marché est convaincu que l’activité de Y est proche de celle de X, les acteurs auront tendance à accorder à cette rumeur plus de crédit qu’elle n’en mérite réellement. L'heuristique de représentativité est par ailleurs associée à un

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biais cognitif d'insensibilité aux fréquences. L'exemple le plus souvent cité à ce sujet est celui des maladies rares : si un test médical est toujours positif pour les personnes porteuses d'une maladie rare, et occasionnellement pour des patients sains, les individus tendent à exagérer la probabilité d'être malade en cas de résultat positif. Dans le domaine de la rumeur, les acteurs auront tendance à exagérer la probabilité que la rumeur se révèle vérifiée, si quelques conditions jugées propices à sa réalisation sont réunies. L’heuristique d’ancrage désigne le fait que les individus ont un point de référence, qu’ils ajustent pour prendre leur décision. Celui-ci induit un biais cognitif d’ajustement, désignant le fait que « cet ajustement est systématiquement trop faible ». Ainsi, lors de l’apparition d’une rumeur, les acteurs peuvent parier sur sa réalisation (sa non réalisation) et prendre leurs positions. Au fur et à mesure qu’arrivent de nouvelles informations, ils ajustent leur position, mais trop faiblement (sous-réaction). Une fois que l’accumulation d’informations infirme (confirme) sa réalisation, ils ajusteront cette fois ci trop fortement et brusquement leur position (sur-réaction). En découlent des mouvements brusques et comportements chaotiques sur le marché. L’heuristique de disponibilité désigne le fait que les individus évaluent la probabilité d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle ils peuvent se référer à des exemples similaires, biais cognitif là encore. Une rumeur sera ainsi susceptible d’être prise plus au sérieux si elle rappelle des phénomènes qui se sont passés sur le marché et que les investisseurs ont facilement à l’esprit. De nombreux biais émotionnels découlent de ces heuristiques. Un des plus intéressants pour comprendre l’étendue des pertes sur le marché est la théorie de l’aversion à la perte, ou théorie de la perspective selon laquelle les individus évaluent différemment les pertes et les gains. Formulons simplement une de ses conséquences immédiates : les individus tendent à considérer la possibilité de recouper une perte comme plus intéressante qu'un gain équivalent. Une étude menée par Odean (1998b) sur 10 000 comptes révèle que les dénouements de positions déficitaires sont bien moins fréquents que les dénouements de positions bénéficiaires. Ce résultat confirme l ‘effet de disposition, formulé par Shefrin et Statman (1985), selon lequel les investisseurs tendent à garder des positions perdantes trop -20 -

longtemps, et à dénouer des gains trop tôt. Les conséquences dans le cadre de la rumeur sont très édifiantes : non seulement, comme évoqué précédemment, les investisseurs surconfiants pariant sur la rumeur vont tenir leurs positions et ne réagir que très lentement, mais quand bien même la rumeur est définitivement confirmée ou infirmée ils auront des réticences à dénouer la position lorsque celle-ci est une perte. Jusque-là, nous ne nous sommes intéressés qu’aux biais individuels. Mais le champ des biais collectifs est tout aussi étendu. Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet ici car il sera abordé plus en détail par la suite dans les mécanismes de transmission de la rumeur. Intéressons nous néanmoins à l’effet de mimétisme déjà évoqué. Il s’agit d’un biais cognitif collectif par lequel les individus sont tentés de suivre la tendance des marchés (vendre lorsque le marché est vendeur et vice-versa), et ainsi à la renforcer. Cet effet est accentué par un biais émotionnel de groupe qui s’en rapproche beaucoup : le « herd instinct » ou instinct de troupeau, qui pousse les individus à suivre la masse. Sans analyser les théories de transmission de l’information qui en découlent, nous pouvons voir comment ce biais influe sur la propagation des rumeurs et l’aggravation de leurs effets sur les marchés financiers. Grâce a la définition de la rumeur, à l’étude de ses caractéristiques, et à son encrage dans la psychologie des acteurs financiers, nous allons tenter maintenant d’analyser ses composantes et mécanismes.

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2 Composantes et mécanismes de la rumeur Etant donné les différentes formes que la rumeur peut prendre tant dans les marchés financiers que dans d’autres domaines, il serait logique d’en déduire que les sources de la rumeur sont au moins aussi diverses et variées. Il est ainsi difficile d’essayer de comprendre pourquoi la rumeur naît dans un premier temps, pourquoi et comment elle se transmet d’un individu à l’autre dans un deuxième temps. Toutefois, de nombreuses études se sont penchées sur cette question et il en ressort globalement qu’il est difficile d’établir une nette séparation et distinction entre naissance et transmission concernant leurs causalités.

2.1 Naissance de la rumeur Selon Bordia et DiFonzo (2002), Prasad est l’un des tous premiers à avoir étudié le phénomène de naissance de la rumeur en 1935. Il établit, à travers sa théorie, quatre éléments explicatifs de base quant à la naissance d’une rumeur qui vont être repris par la suite à des différences et variantes près, par les divers théoriciens: l’angoisse, l’incertitude, l’importance et la croyance.

2.1.1 L’incertitude et l’angoisse Il apparaît à travers les différentes études que la naissance de la rumeur est habituellement une tentative de remplir le vide créé par l'absence ou le manque d'information dans des situations peu claires. Une rumeur naît de l’incertitude, elle est une alternative en l'absence d'information vérifiable. C’est ainsi que Allport et Postman (1947) ont établit à travers leur recherche que plus une situation est claire pour un individu, plus il a de l’information et moins il a recours à des substituts tel que la rumeur. En d’autres termes, l’ambiguïté qui plane autour d’un sujet est un élément nécessaire à la création de la rumeur. Hormis l’ambiguïté contextuelle, un autre élément explicatif est l’angoisse. Comme on l’a vu plus haut, Fama est entourée dans son palais de la Crainte et de la Sédition. Celles-ci sont propices à la naissance de la rumeur en ce sens qu’elles créent un contexte de trouble, de crise et donc d’incertitude. Il n’est pas anodin en effet que le travail d’Allport et Postman (1947) ait été mené pendant la Seconde Guerre Mondiale, en temps de crise et -22 -

de conflit international. Ils se sont penchés sur le cas des colporteurs de rumeurs pendant la guerre, qu’ils appellent « rumormongers », et ont établit que l’angoisse suscitée par un environnement ou un contexte instable et incontrôlable, favorise le développement des rumeurs. Prasad (1935) avait déjà évoqué cet aspect en notant que la naissance et la transmission de la rumeur étaient directement liées au niveau d’angoisse constaté : les rumeurs s’amplifiant aux pics d’angoisse et diminuant lorsque celle-ci disparaissait. Pour établir un lien avec le monde des affaires, on peut facilement se référer aux exemples de rumeurs diffamantes qui ont circulé au sujet de certaines entreprises, et le rôle que joue l’angoisse dans le développement de ces rumeurs. En effet, un certain nombre de rumeurs concerne directement les craintes que peuvent avoir les consommateurs vis-à-vis des produits qui leur sont proposés par les firmes. Kapferer (1989) analyse l’exemple célèbre de la rumeur du « tract de Villejuif » qui a sévit d’abord en France à partir de 1976 puis dans toute l’Europe pendant plus de dix ans. Ce tract consistait à faire passer des conservateurs alimentaires, dont le E330, qui n’est autre qu’un acide citrique, pour des produits cancérigènes. Il invitait ensuite à boycotter une dizaine de produits qui en contenaient (Coca-cola, Schweppes, Martini, moutarde Amora…). L’un des thèmes essentiels sur lesquels cette rumeur a joué et qui explique en partie son grand succès est le thème de la peur en matière de sécurité alimentaire. D’autre part, Kapferer montre que ce succès est également dû à l’ambiguïté produite par l’encodage excessif des additifs alimentaires dans le tract. En effet, très peu de personnes ont une idée claire de ce que les codes inscrits sur les emballages comme E330, E100, E267… veulent dire ; et à supposer même qu’on leur détaille le nom chimique complet de chaque additif, ils ne sauraient toujours pas déterminer son utilité et encore moins établir sa toxicité ou non-toxicité. Par ailleurs, cette étude illustre également, en dehors de l’incertitude et l’angoisse, deux autres points essentiels qui contribuent à la naissance et à la transmission des rumeurs : l’importance du sujet de la rumeur aux yeux des divers acteurs de cette rumeur et le rôle de la croyance.

2.1.2 L’importance et la croyance Reprenons donc l’exemple du « tract de Villejuif » ; l’étude de Kapferer montre que la rumeur a connu le plus de succès auprès des individus qui se

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sentaient le plus concernés par son sujet : en l’occurrence, les mères de famille ayant des enfants en âge, susceptibles d’être affectés par le type de produits dénoncés par le tract. En d’autres termes, pour que la rumeur naisse et circule, il faut que son thème ait de l’importance pour celui qui la transmet comme pour celui qui la reçoit. Une rumeur qui génère une forte implication personnelle de la part d’un individu a plus de chances d’être transmise par lui, contribuant ainsi à sa propagation (Kimmel, 2004). On peut également noter que la corrélation entre rumeur et importance est à double sens. La rumeur circule parce qu’elle nourrit un sujet qui a de l’importance aux yeux de ses interlocuteurs et les sujets importants ou d’actualité appellent et nourrissent les rumeurs les plus variées. L’exemple du 11 Septembre est en ce sens édifiant. L’importance de l’évènement était telle qu’il a suscité toutes les rumeurs possibles et imaginables : de l’histoire des 3000 juifs du World Trade Center qui ne s’étaient pas rendus à leur travail ce jour là à l’histoire du pompier volant qui survit à une chute de 80 étages en surfant sur les débris ! Ainsi, dans leur analyse, Allport et Postman (1947) ont dégagé ce qu’ils ont surnommé « basic law of Rumor » qui modélise la rumeur comme étant une fonction de l’incertitude (ou ambiguïté) et de l’importance (du contenu de la rumeur) comme ceci : R = i *a où R : l’activité de la rumeur i : l’importance a : l’ambiguïté / incertitude C’est une formule qui identifie assez bien ce qui sera considéré par la suite, à travers les différentes études sur la rumeur en finance, comme étant les deux principales variables explicatives de la naissance et vie d’une rumeur. Pour illustrer cela, un bref regard sur les marchés financiers, nous permet de voir que l’incertitude est une des variables principales rencontrées par un investisseur. Les marchés financiers ont en effet connu une prolifération

exponentielle

des

données

en

circulation

grâce

au

développement fulgurant des technologies de l’information (Internet, Reuters, Bloomberg…). L’information s’est ainsi noyée parmi tant d’autres, elle est devenue difficilement identifiable, compréhensible et surtout évaluable. Dans ce contexte d’ambiguïté, l’incertitude qui caractérise déjà par définition les

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marchés financiers (gains futurs incertains, marchés en mouvement perpétuel…) ne cesse d’augmenter et d’attiser la peur, l’angoisse des investisseurs face à ce qui devient de plus en plus incontrôlable, imprévisible. Dès lors, un sujet particulier (un titre, une fusion acquisition…) qui intéresse tout particulièrement un acteur sur le marché, acquiert une tout autre dimension : son importance est amplifiée par cet état d’ambiguïté, le manque de contrôle est palpable, l’angoisse monte crescendo… et la rumeur trouve son nid là où l’information claire n’a pas su répondre présente. Enfin, une dernière variable qui a toute son importance du fait de la polémique qu’elle suscite et qui est considérée généralement pour l’explication du processus de transmission de la rumeur est la croyance. Rosnow (1994) définit la rumeur comme une « information invérifiée, généralement d‘intérêt local, destinée en premier lieu à la croyance ». Selon lui, pour qu’une rumeur puisse vivre il faut que des gens puissent y croire, sans cela, elle ne connaîtra jamais le jour. Par ailleurs, la croyance d’un individu est fonction de sa crédulité d’une part et de son degré d’esprit critique de l’autre et la crédibilité de la rumeur en soi. Cela étant, des rumeurs qui sont très loin d’être crédibles ont pu tout de même exister. De plus une question nous interpelle à ce propos : la croyance, tout comme l’angoisse, lorsqu’il s’agit purement de transmission de la rumeur, ne peuvent-ils pas être des phénomènes de groupe, donc des phénomènes sociologiques, plutôt qu’un état psychologique individuel isolé ? Nous allons donc nous intéresser de plus près aux phénomènes de transmission de la rumeur afin de mieux comprendre en quoi l’individu ou le groupe jouent un rôle dans la circulation de la rumeur.

2.2 Transmission de la rumeur Comme nous venons de le voir, il est très difficile de séparer naissance et transmission lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs explicatifs. Il semble que ce qui fait qu’une rumeur naît, pousse par la suite à ce qu’elle soit transmise d’une personne à l’autre. Le point de départ de la transmission, c’est-à-dire la source, reste quant à elle la grande inconnue dans l’étude du phénomène. L’étude de la naissance de la rumeur est rendue de ce fait très difficile, donc peu étudiée et la majeure partie des travaux s’intéresse aux modes et processus de transmission. -25 -

Deux approches semblent se profiler quant à la transmission de la rumeur : une approche psychologique centrée sur l’individu et sa propre réactivité par rapport à la rumeur, une approche sociologique centrée sur les phénomènes de groupe et de foule.

2.2.1 L’individu : approche psychologique L’expérience d’Allport et Postman (1947) est une simulation en laboratoire du processus de transmission d’un message. Un premier individu doit observer une image figurant une scène de la vie courante et ensuite la décrire à une deuxième personne qui la décrit à une autre par un processus en chaîne. L’image de départ étant « ambiguë » (elle ne correspondait pas aux habitudes sociales des individus sélectionnés pour l’expérience), Allport et Postman ont constaté une nette altération du message au fur et à mesure de sa transmission. C’est ainsi qu’ils ont établit trois niveaux dans la transmission de la rumeur : - la réduction (« leveling ») consiste à éliminer le superflu (bruits, détails) qui entoure la rumeur, le message devenant ainsi de plus en plus clair et concis au fur et à mesure qu’il est transmis d’une personne à l’autre ; - l’accentuation (« sharpening ») est le fait qu’un individu retienne des mots et ou les idées essentielles à ses yeux lors de la transmission ; - enfin l’assimilation (« assimilation ») est le résultat de l’introduction par cet individu, de ses propres expectatives et interprétations avant de faire passer le message. Toutefois, cette approche considère que l’individu va transmettre d’une manière ou d’une autre la rumeur dans tous les cas et que son interaction avec elle réside uniquement dans le fait de la remodeler à sa manière. Or, ce n’est pas toujours le cas : tout dépend de la disposition de l’individu qui la reçoit. Une étude de Buckner (1965) sur la transmission de la rumeur présente cette analyse comme un cas particulier d’une typologie des attitudes de transmission qu’un individu peut adopter face à la rumeur. Buckner établit trois types d’attitudes : une attitude critique, une attitude acritique et une attitude de transmission. L’individu peut avoir une attitude critique (« critical set ») lorsque le sujet de la rumeur touche de près ou de loin à son périmètre de connaissance de par son expérience passée, des informations précises ou un contact direct

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avec le sujet. À partir de là, il choisira de transmettre ou non une partie ou la totalité de la rumeur en fonction de ce qui lui semble concorder avec ses connaissances. Sur les marchés financiers, l’investisseur qui adopterait typiquement cette attitude face à une rumeur d’acquisition par exemple, est un investisseur qui serait soit directement informé du fait de sa contiguïté avec l’une des entreprises concernée par la rumeur, soit du fait de ses propres connaissances ou expériences à leur sujet. L’individu va adopter une attitude acritique (« uncritical set ») lorsqu’il n’a pas d’éléments en main lui permettant d’évaluer la véracité et la crédibilité de la rumeur ou lorsque celle-ci satisfait un besoin qu’il a d’y croire du fait de son importance, sa concordance avec ses espérances ou l’urgence de la situation. Dans ce cas, l’individu va spéculer sur le sens de la rumeur afin de l’adapter à ses propres besoins psychologiques. C’est souvent le cas pour la majorité des acteurs sur le marché, l’information y étant difficilement vérifiable, la vélocité et la haute sensibilité des marchés obligent les investisseurs à réagir aux rumeurs dans l’urgence en prenant une position qui consiste simplement à parier sur la véracité ou non de la rumeur. Enfin l’individu a une attitude de transmission (« transmission set ») lorsqu’il n’accorde pas d’importance au sujet de la rumeur et qu’il ne se soucie que de la transmettre. C’est ici que son attitude de transmission rejoint l’analyse d’Allport et Postman. L’individu va alors opérer sur cette rumeur une série de transformations : réductions pour éliminer les nuisances (détails, parties qui lui semblent obscures…) et accentuations afin de ne retenir que l’idée essentielle (ne pouvant pas se souvenir de l’intégralité). Enfin il va l’assimiler en la reformulant à sa manière. Pour résumer, la transmission de la rumeur dépend de la crédibilité de la rumeur mais surtout du degré de crédulité et d’esprit critique du relais. Cela étant, d’autres facteurs rentrent en jeu : la fiabilité de la source ou transmetteur si celle-ci est connue du récepteur et la répétition tendent à encourager la transmission de la rumeur. Kimmel (2004) note ainsi que la répétition a pour effet de renforcer la croyance. Un individu qui entendrait une rumeur plus d’une fois et qui n’a pas la possibilité d’adopter une attitude critique, aura tendance à lui accorder encore plus de crédibilité. D’autre part, on peut reprocher aux travaux d’Allport et Postman le fait même qu’ils aient été menés en laboratoire, de manière déconnectée de la -27 -

réalité, en se basant de surcroît sur un modèle testant plus la mémoire que la transmission de la rumeur en soi. Ils considèrent en effet la rumeur comme n’importe quel autre message, qui est « vrai » au départ et qui subit diverses distorsions pour être « faux » à l’arrivée, omettant ainsi l’aspect sociologique de la rumeur. C’est dans ce sens que Peterson et Gist (1951) ont conduit leur étude terrain afin de vérifier les résultats empiriques d’Allport et Postman.

2.2.2 Le groupe : approche sociologique Peterson et Gist se sont penchés sur le cas réel de rumeurs qui ont circulé aux Etats-Unis concernant le double crime de viol et de meurtre d’une baby-sitter dans un petit village. En l’absence de preuves et du fait de l’incapacité des autorités locales à livrer à « l’opinion publique » un coupable, les rumeurs allèrent à vau-l’eau, accusant l’employeur d’homicide et la police de complicité. En analysant les 71 rumeurs (sans compter les variantes) qu’ils ont pu rassembler sur le terrain, Peterson et Gist ont dégagé un certain nombre de caractéristiques concernant la transmission de la rumeur : - la similitude entre les rumeurs relevées, à quelques des détails près : la trame principale est toujours la même avec quelques variantes. - la multiplication de ces détails (qui se superposent au fur et à mesure que de nouvelles idées surgissent lors de la transmission) qu’ils appellent « effet boule-de-neige ». Buckner (1965) souligne d’ailleurs que cet effet est en contradiction avec le phénomène de « réduction » constaté par Allport et Postman. - l’absence d’information claire concernant l’évènement a conduit le public à une sorte de chasse aux rumeurs. Buckner cite, toujours à ce sujet, un témoin de l’événement : « les gens allaient "faire des emplettes" aux rumeurs et les négociaient dans les bars et dans d’autres lieux publics de réunion. Certains allaient de table en table dans les bars, donnant et recevant les dernières rumeurs ». Peterson et Gist concluent au fait que les rumeurs apparaissent et se transmettent par la formation d’un public (groupe d’individus) qui se constitue une opinion concernant un sujet d’intérêt commun (d’où « public opinion ») au fur et à mesure d’ajustements mutuels lors de phases de communication intense, d’échanges et de discussions. C’est par ailleurs cette phase qui permet aux détails de se multiplier, chaque individu apportant sa

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pierre à l’édifice, en fonction de l’imaginaire collectif. Kapferer (1987) le formule ainsi : « C’est la base de l’effet boule-de-neige : chacun apporte sa propre contribution à la thèse de la rumeur». Cette nouvelle approche met l’accent sur l’aspect social de la rumeur, comme phénomène de groupe et de foule et rompt en ce sens avec l’approche traditionnelle initiée par Allport et Postman qui ne considère la rumeur qu’à travers des mécanismes linéaires : un transmetteur – une rumeur – un récepteur. Concernant l’aspect social de la rumeur Kapferer ajoute : « En effet, la rumeur est un phénomène collectif, impliquant non des milliers de personnes isolées, mais le groupe. Adhérer à la rumeur, c’est manifester son allégeance à la voix du groupe, à l’opinion collective. La rumeur fournit une occasion de se compter, de s’exprimer : cela se fait en général sur le dos d’un autre groupe, de quelque bouc émissaire » Dans une telle optique, la transmission de la rumeur, avec les caractéristiques qu’on lui connaît - rapide et expansive -, paraît compréhensible voire logique. Ne pas adhérer à la rumeur, c’est aller à contre-courant, s’extraire du groupe, s’isoler… Cette attitude est identifiable sur les marchés financiers, où les phénomènes de groupe sont un élément très important dans l’explication du comportement des acteurs. Rappelons que l’investisseur est soumis à des biais tel que « l’effet de troupeau ». À l’apparition d’une rumeur sur le marché, il va vendre (ou acheter) parce que les autres investisseurs vendent (ou achètent). Il participe ainsi à la transmission de cette rumeur aux autres investisseurs, par le même effet de contagion et de mimétisme. La variation du prix de l’action est considérée comme une information supplémentaire et équivaudrait dans le modèle de Peterson et Gist à l’accumulation des détails. La multiplication de ce processus aboutit alors à l’effet « boule-de-neige ». La rumeur, de sa naissance à sa transmission est ainsi basée sur des phénomènes psychologiques et sociologiques. Elle n’est pas le fruit d’un unique acteur, et ses effets sont le résultat de la réaction de chacun des individus formant l’ensemble du marché. Nous avons pu voir auparavant que cette rumeur pouvait être particulièrement dangereuse. Une question cruciale se pose alors : qu’en est-il si des individus malintentionnés veulent profiter de cette rumeur ? Jusqu’à quel point peut-on manipuler la rumeur et par suite le marché ? -29 -

2.3 La manipulation de la rumeur et ses limites 2.3.1 Manipulation La rumeur est, rappelons le, cette information non vérifiée et dont la source n’est pas identifiée. Nous avons vu que bien souvent pourtant, les acteurs sur le marché y réagissent comme si c’était de l’information. Un acteur malintentionné poursuivant un but bien précis peut ainsi lancer une rumeur dont les effets lui seront avantageux. L’on peut tout à fait envisager l’exemple d’un investisseur qui prend une position courte sur une action, lance une rumeur négative sur la société émettrice, attend la chute du cours, puis dénoue sa position en empochant la plus value. Le seul point qui semble délicat dans cette hypothèse concerne la faculté de cet acteur à lancer la rumeur. Il existe dans le domaine du marketing de nombreuses analyses concernant la manipulation de la rumeur. Celle de Donavan, Mowen et Chakraborty (1999) est particulièrement édifiante. L'étude s'intéresse aux facteurs qui influencent la diffusion d'informations négatives via le bouche-àoreille. L'expérience conduite par les chercheurs a consisté à prendre une légende urbaine et à en manipuler 3 aspects : l'intention du caractère central (bonne ou mauvaise), le dénouement de l'histoire (heureux ou malheureux) et la présence ou nom d'un nom de marque. Les résultats ont prouvé que les individus ont tendance a faire beaucoup plus circuler les rumeurs négatives, et plus encore si elles concernent des noms de sociétés connus. Ce qui nous semble le plus intéressant dans cet étude, au delà de cette conclusion, est le fait qu’elle montre que l’ont peut volontairement faire courir une rumeur pour manipuler un marché. Et cette manipulation est d’autant plus efficace que la rumeur est négative, et touche des sociétés connues. Ces conclusions sont bien en adéquation avec notre étude de la rumeur. Sa manipulation est facilitée car la rumeur elle même repose sur des biais psychologiques. Par ailleurs, en raison des phénomènes de mimétismes déjà évoqués, il s’avère que les foules sont plus facilement influençables que les individus. Tout s’opère comme si le premier individu manipulé participait lui-même à la manipulation d’autres individus et ainsi de suite, jusqu’à manipuler tout le marché.

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La manipulation est d’autant plus efficace quand la rumeur est relayée ensuite par les médias spécialisés puis généralistes. Il arrive même que celle-ci soit reprise et commentée par des experts. Or un des biais dénoncé par la finance comportementale concerne la tendance des investisseurs à donner trop de crédits aux analyses et suppositions des analystes célèbres. A ce sujet, l'exemple de la rumeur d'OPA de Pepsi sur Danone en Juillet 2005 est particulièrement intéressant. Lemaire (2005) en fait une critique très détaillée, et note que cette rumeur rapportée pour la première fois (lancée ?) par le magasine économique Challenges est très bénéfique à la fois au Groupe Danone (hausse du cours de 28%), et à son dirigeant dont l’image n’était jusque là pas très bonne. L’affaire implique les politiques, fait couler beaucoup d’encre au point que même le président de la République l’évoque dans son intervention télévisée du 14 Juillet en citant « les risques de prise de contrôle d’entreprises françaises par des capitaux étrangers ». Puis on s’interroge sur la source de la rumeur mais celle-ci est tenue secrète. Jusqu’au jour ou l’International Herald Tribune révèle que la sœur du PDG de Danone est rédactrice à Challenges. Une association de consommateur dépose plainte auprès de l’AMF pour « manipulation de cours ». La rumeur enfin est publiquement démentie par PepsiCo interrogé par l’AMF. La manipulation de la rumeur, car aisée, fait donc courir de grands risques sur les marchés financiers. La seule limite à cette manipulation semble provenir, comme le montre l’exemple précédent, de la réglementation.

2.3.2 Réglementation En France, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) est l’organisme régisseur des marchés. Il est né de la fusion de la Commission des Opérations de Bourse (COB), du Conseil des Marchés Financiers (CMF) et du Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Il est public, indépendant et l’une de ses principales responsabilités est de « [réglementer] et [contrôler] l'ensemble des opérations financières portant sur des sociétés cotées […] [et de vérifier] que les sociétés publient, en temps et en heure, une information complète et de qualité, délivrée de manière équitable à l'ensemble des acteurs »1.

1

Source : www.cob.fr

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En ce qui concerne la réglementation vis-à-vis de la rumeur sur les marchés financiers, le règlement COB n° 98-07, relatif à l'obligation d'information du public est clair. L’Article 2 précise en effet: « L’information donnée au public doit être exacte, précise et sincère ». Une rumeur étant définie comme une information invérifiée ou « une affirmation générale présentée comme vraie, sans qu’il existe de données concrètes permettant de vérifier son exactitude »1, elle ne peut être ni exacte, ni sincère. L’Article 3 du même règlement, vient compléter l’article précédant en introduisant la notion de « bonne information » qui peut être directement opposée à la rumeur : « Constitue, pour toute personne, une atteinte à la bonne information du public la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse. Constitue également une atteinte à la bonne information du public sa diffusion faite sciemment. » Ainsi, ces deux articles mettent clairement une limite à l’utilisation réglementaire des rumeurs sur les marchés financiers. Toutefois, dans la pratique, il est difficile d’arrêter la rumeur, étant donné que la source de « l’information inexacte, imprécise ou trompeuse » n’est pas connue par définition. Qui punir dans ce cas là ? Peut-on parler d’une « atteinte à la bonne information » due à une personne ? En l’absence de punition, une loi ne perd- elle pas son pouvoir dissuasif ? Une manière de régler le problème est de considérer la chose sous un angle différent : la rumeur sur les marchés financiers concernant généralement des entreprises (des faits ou des personnes liés à celle-ci), il est plus simple de contrôler les sujets de la rumeur. Reprenons l’exemple de communiqué de l’AMF au sujet de la rumeur d’OPA de Pepsico sur Danone.

L’AMF fait le point sur les rumeurs d’OPA concernant DANONE Par application de l’article L. 621-18 du code monétaire et financier, qui dispose que l’Autorité des marchés financiers peut porter à la connaissance du public les informations qu’elle estime nécessaires, l’AMF confirme qu’elle a reçu, à sa demande, de PepsiCo, la confirmation que cette entreprise n’était pas, vis-à-vis de Danone, dans la situation visée par l’article 222-7 du règlement général de l’AMF. L’AMF a par ailleurs recommandé à PepsiCo de veiller au respect de son règlement général en cas d’évolution de la situation. Il est rappelé que l’article 222-7 du règlement général fait obligation à toute personne « qui prépare une opération financière susceptible d’avoir une incidence significative 1

Allport & Postman (1946)

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sur le cours d’un instrument financier… de porter à la connaissance du public les caractéristiques de cette opération ». Source : www.cob.fr

L’article 222-7 constitue une disposition répressive face à la rumeur en ce sens que l’AMF peut expressément demander aux sujets concernés de démentir ou d’authentifier la rumeur afin de mettre fin aux débats. C’est une mesure qui joue sur le cycle de vie et de transmission de la rumeur, celle-ci étant, comme on a pu le constater, incontrôlable à la naissance. Ainsi la manipulation de la rumeur fait peser un danger réel sur les marchés financiers. Et le pouvoir du régulateur pour lutter contre les manipulations ou même les rumeurs semble très limité. Il s’avère ainsi que la rumeur reposant sur des biais psychologiques des investisseurs

naît

rapidement.

En

se

basant

sur

des

phénomènes

sociologiques elle se transmet facilement. Elle est de plus facilement manipulable, et difficilement gérable par la réglementation. Si l’on ajoute à cela sa dangerosité sur les marchés, nous dressons bien le tableau d’un véritable fléau. Il s’agit maintenant d’en étudier la véritable portée. Peut-on modéliser les effets de cette rumeur ? Avec ou sans modélisation, comment limiter les effets potentiellement dangereux ?

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3 Mesures et limitation des effets de la rumeur en finance Nous nous interrogeons sur la possibilité d’une mesure des effets de la rumeur en finance. Nous verrons ensuite quelles sont les stratégies à adopter pour limiter ces effets.

3.1 Différentes approches pour la mesure de la rumeur Nous consacrons une première étape de la mesure des effets de la rumeur au cas spécifique des rumeurs d’acquisitions. Celles-ci sont, comme explicité précédemment, parmi les plus fréquentes. L’analyse de leurs effets est assez particulière.

3.1.1 Le cas des rumeurs d’acquisition Les rumeurs d’acquisitions présentent la particularité d’être facilement comparables : dans toutes les situations, il y a un acquéreur, une cible, un moment ou apparaît la rumeur, et en définitive sa confirmation ou infirmation. Comme par ailleurs elles sont très fréquentes, on peut facilement trouver un échantillon significatif de rumeurs présentant des caractéristiques communes. Ce qui permet de mener des études sérieuses sur les rumeurs d’acquisitions passées et les répercussions qu’elles ont eu sur le marché. Nous nous intéresserons à trois de ces études là qui apportent des conclusions très intéressantes. Pound et Zeckhauser (1990) ont ainsi constitué un échantillon de rumeurs d’acquisitions à partir de celles publiées dans la colonne « Heard on the Street » du Wall Street Journal de 1983 à 1985. Ils ont ensuite examiné a posteriori les effets de ces rumeurs sur les cours des actions, en examinant l’historique des cours autour des dates des rumeurs. Une des premières conclusions à laquelle ils sont amenés est que le marché réagit de manière efficiente au rumeurs. En d’autres termes des stratégies simples qui consistent à acheter ou vendre des actions sur lesquelles porte la rumeur et à porter ces positions pendant un an donnent des rendements moyens qui sont égaux à ceux du marché. Quant à l’impact des rumeurs sur les cours, les chercheurs notent que les actions sur lesquelles portent les rumeurs connaissent des hausses de cours importantes dans le mois précédant la publication des -34 -

rumeurs d'acquisition. Alors même que ces rumeurs ne sont vérifiées que moins d'une fois sur deux. Enfin Pound et Zeckhauser notent que la plupart des rumeurs d'acquisitions sont également précédées par des niveaux élevés de volumes de trading des actions des compagnies sur lesquelles portent les rumeurs. Zivney, Bertin et Torabzadeh (1996) ont mené une étude similaire qui nuance ces résultats. Ils ont fait remarqué qu’une autre colonne du Wall street Journal, « Abreast of the Market » mentionne souvent ces mêmes rumeurs d’acquisition avant qu’elles ne soient publiées dans « Heard on the Street ». Ce qui limite en fait l’effet de surprise des rumeurs publiées dans « Heard on the Street ». Ils mènent ainsi une étude sur des échantillons constitués des rumeurs des deux colonnes. Ils trouvent qu’entre 1985 et 1988, des positions d’achat ou vente maintenus pendant 80 jours donnent des rendements moyens très inférieurs (-4%) à ceux du marché. Quand ces positions sont maintenues un an, la sous performance est réduite (-1,8%). Gao et Oler (2004) se sont également intéressés aux activités de trading qui précèdent les annonces d'acquisitions, mais en élargissant le champs de recherche des rumeurs à des bases de données plus importantes. Leurs recherches montrent que des volumes plus importants que la normale précèdent des mouvements de prix significatifs d'à peu près 7 jours. Ils confirment ainsi les études précédentes qui démontrent que le marché surréagit aux rumeurs. Par ailleurs pendant la période de 7 jours, les opérations inhabituelles d'achat compensent les opérations inhabituelles de vente : les cours sont donc stabilisés par les effets opposés des deux activités, mais le volume de trading est très élevé. Ils notent ensuite que lorsque l’acquisition attendue n’a pas lieu (suffisamment souvent), l’action retrouve son cours d’avant la rumeur. Ces caractéristiques présentent alors des opportunités d’arbitrage : la stratégie qui consiste à prendre des positions courtes sur les cibles des rumeurs dégage des rendements positifs, qui restent intéressants même une fois ajustés par les facteurs risque et coût de transaction. L’étude des rumeurs d’acquisition est ainsi édifiante parce qu’elle montre trois choses essentielles : d’une part, les marchés régissent vraiment à la rumeur, en témoignent les volumes d’activités élevés à leur apparition. Mais ces surréactions du marché dues aux rumeurs n’affectent pas -35 -

énormément les cours du fait de l’équilibre entre les positions courtes et longues . Pour schématiser, sur 2 personnes qui régissent à la même rumeur, l’une vend, l’autre achète : le cours n’est pas impacté. Ceci montre que d’une certaine manière les effets des rumeurs d’acquisition s’autorégulent. Ce qui quelque part les rend à terme moins dangereuses pour le marché et les investisseurs que d’autres types de rumeurs. Enfin le dernier point important à ce sujet concerne les opportunités d’arbitrages présentes : miser sur la rumeur, vendre les actions, puis collecter les plus values. Cette stratégie est aussi connue sous l’expression « buy the rumour, sell the fact »1. Indépendamment du cas particulier des rumeurs sur les acquisitions, il nous a semblé lors de nos recherches qu’il serait intéressant d’aborder une modélisation de la rumeur et de ses effets sur les marchés financiers. Il s’avère l’essentiel du travail de modélisation qui a été réalisé à ce sujet concerne les processus de transmission de la rumeur, présentés comme un cas particuliers des processus d’expansion de l’information. Nous verrons en revanche que l’impact des rumeurs sur les prix de marché sont eux très peu étudiés.

3.1.2 Mesure de l’expansion de la rumeur L’étude théorique de Pittel (1987) présente des résultats sur le nombre de boucles et le nombre de transmissions requises pour infecter chaque processus de l’expansion de la rumeur, avec une probabilité élevée. Pittel analyse un modèle simplifié, dans lequel la rumeur ne perd jamais d'intérêt lors de sa transmission, c’est à dire que (1) un individu qui reçoit la rumeur la retransmet inévitablement (2) et ce jusqu'à ce que toute la population soit affectée. Soit n le nombre d’individus d’une population. Supposons qu’une seule personne sur n est au courant d’une rumeur et qu’il la transmet à une autre personne désignée aléatoirement. Supposons aussi que cette personne va suivre le même processus de manière indépendante et ainsi de suite. Soit Sn, le nombre d’étapes de transmission nécessaire avant que toute la population soit informée : 1

également titre d’un ouvrage : Maiello M. (2004), Buy the rumour, Sell the fact, McGraw-Hill Education - Europe.

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Alors Sn / (Log2 n + Log n) tend vers 1 lorsque n tend vers l’infini. i.e

Sn = Log2 n + Log n + O(1)

Ce modèle est applicable lorsque la rumeur suit un processus épidémique. Le processus d’expansion de la rumeur est probabiliste par nature : un relais choisit les interlocuteurs, à qui il va transmettre le message, de manière aléatoire. De plus chaque relais transmet seulement un nombre fixe de messages, indépendant du nombre d’interlocuteurs dans le groupe. Si ce modèle permet de chiffrer l’expansion de la rumeur, il ne nous renseigne en rien ses effets.

3.1.3 Effets de la rumeur sur la formation des prix : Il semble qu’il n’y ait pas de modélisation mathématique des effets de la rumeur sur la formation des prix. Nous découvrons en réalité que toute tentative de modélisation supposerait de prendre des hypothèses trop simplificatrices, en totale opposition avec la complexité et diversité du phénomène de la rumeur. Cela est dû en grande partie là encore au fait (développé en première partie de notre étude) que la réaction à la rumeur est fortement liée à l’irrationalité des acteurs sur le marché. Pour étudier l’économie comportementale les chercheurs ont eu recours aux expériences en laboratoire. De la même manière, le meilleur moyen d’étudier les effets de la rumeur sur la formation des prix passe par la finance expérimentale. Nous allons nous intéresser dans ce qui suit à une étude de Brandouy, Barneto et Leger (2003). L’expérience menée en laboratoire est consiste en une simulation de la formation des prix sur le marché des actions. Pour ce faire, ils ont utilisé un programme informatique (ESLDA) du Laboratoire expérimental de l’Université d’Arizona et ont demandé à douze individus volontaires (les traders), tous étudiants en Master Banque et Finance, après formation et instructions au préalable, de passer et d’exécuter des ordres de marché en fonction des informations dont ils disposent. L’expérience qui se déroule en 5 sessions, consiste ensuite à introduire des « insiders » pour dupliquer les asymétries de l’information (notamment la rumeur) afin de reproduire les conditions de « l’effet de troupeau » ou « mimétisme » que l’on a évoqué plus tôt. L’objectif étant de démontrer que ce

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mimétisme est en grande partie responsable de la forte volatilité observable sur les marchés. Une première session où les traders ne sont pas mis au courant de l’existence des deux « insiders », aboutit à une quasi-efficience du marché quant à la formation des prix. Chacun utilise l’information dont il dispose. Une légère augmentation de la volatilité résultant de la spéculation des insiders est tout de même constatée. Par la suite, lors des sessions 2, 3 et 4, où les « insiders » ont été introduits sans que les traders puissent les identifier, des phénomènes de « mimétisme » apparaissent et s’accentuent, au fur et à mesure que l’asymétrie de l’information se fait de plus en plus ressentir. Toutefois, cela n’entraîne pas de surévaluation des prix. Enfin, lors de la dernière session, les traders ont le droit de communiquer entre eux. La spéculation augmente et aboutit à une inefficience au vu de la formation des prix. Cette session permet aux traders de parler librement et donc de faire circuler les rumeurs et d’accentuer les asymétries informationnelles. Ainsi, la circulation de la rumeur sur les marchés financiers a pour effet d’augmenter les asymétries de l’information, poussant les acteurs sur le marché à adopter une attitude de mimétisme (« imitative behaviour ») en copiant les réactions déjà observée sur le marché, ou une attitude de troupeau (« herd behaviour ») qui conduit généralement à de forts mouvements des prix (haute volatilité) et à des possibles bulles spéculatives ou krach. Cette expérience confirme ainsi les liens entre rumeur et psychologie des acteurs préalablement étudiés. L’impossibilité de mesurer de manière chiffrée les effets de la rumeur accentue encore le danger impliqué par celle-ci. Si l’on ne peut pas évaluer le risque que la rumeur fait encourir au marché, la question de limitation de ses effets devient encore plus cruciale.

3.2 Recommandations pour limiter les effets potentiellement dangereux de la rumeur Comment limiter les effets dangereux de la rumeur ? Cette question, en apparence toute simple, cache une réalité bien complexe. Nous proposons nos propres recommandations pour limiter les effets de la rumeur en finance à -38 -

partir de la structure exposée par DiFonzo, Bordia et Rosnow (1994) traitant de la rumeur dans les organisations. Les chercheurs ont répertorié les attitudes et comportement que doivent adopter les managers pour combattre la rumeur et ses effets néfastes au sein de leur entreprise. Un tableau schématisant leurs recommandations est présenté en Annexe. Notons que nous nous inspirons de cette typologie, mais détaillons la mise en œuvre de ces mesures dans le domaine de la finance DiFonzo, Bordia et Rosnow ont catalogué deux types de mesures : les actions de prévention et les actions de neutralisation. Cette structure classique nous semble tout à fait appropriée à l’étude des mesures à prendre en compte pour limiter les effets de la rumeur en finance.

3.2.1 La prévention Pour limiter les effets de la rumeur en finance, un première optique consisterait à travailler sur prévention de la rumeur elle-même. DiFonzo, Bordia et Rosnow proposent 3 moyens de prévention. Dans un premier temps, il s’agira d’empêcher autant que possible l’apparition de la rumeur. Nous avons vu lorsque nous avons abordé les caractéristiques de la rumeur que celle-ci apparaissait en réponse à un besoin d’information, ou dans des climats d’anxiété. Ainsi, dans un marché financier, pour empêcher l’apparition de la rumeur, il semble que c’est le rôle des sociétés cotées de communiquer suffisamment, d’anticiper les besoins en information que pourra éprouver le marché. Par ailleurs en privilégiant une communication totalement honnête et transparente, les directions financières parviendront à apaiser les éventuelles inquiétudes des acteurs du marché, et par conséquent limiter l’apparition de rumeurs. Mais on n’arrivera pas à couper court à toutes les rumeurs. Quand bien même les marchés seraient totalement transparent, des phénomènes externes (économiques, politiques…) ou de cyclicité peuvent entraîner une certaine anxiété des investisseurs propice aux développement des rumeurs. Dès lors ce que l’on cherche à prévenir, c’est les réactions des acteurs du marché à la ruemeur. Dans cette perspective, c’est aux autorités de régulation des marchés qu’incombe la responsabilité d’éduquer les intervenants : en réduisant leur crédulité, en les informant des dangers de la rumeur. DiFonzo, Bordia et Rosnow préconisent ainsi d’ « encourager le scepticisme à propos

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des rumeurs ». Les entreprises ont elles aussi dans ce cadre un rôle à jouer : en communiquant rapidement et honnêtement avec le marché, elles établiront une relation de confiance avec les investisseurs qui croiront ainsi plus en l’entreprise qu’aux rumeurs autour. Enfin, toujours pour prévenir contre les effets des rumeurs, autorité de régulation des marchés et entreprises doivent travailler efficacement ensemble à réduire leurs transmissions. Non pas en censurant les rumeurs, mais en informant l’ensemble des acteurs du marché du danger de prendre des positions en se basant dessus. Sauf que comme nous l’avons noté précédemment,

les

médias,

notamment

ceux

qui

consacrent

systématiquement de l’espace à la rumeur, ne facilitent pas la tâche. Toujours au sujet de l’OPA de PepsiCo sur Danone, Lemaire note, en faisant référence à la colonne « Confidentiels » de Challenges « L’" info " n’est pas " sourcée ", le rédacteur ne lésine pas sur le conditionnel [9], deux caractéristiques assez fréquentes dans ce genre de rubrique auto-proclamée " indiscrète ", dont, paraît-il, raffolent les lecteurs ». Ce qui nous renvoie à la nécessaire éducation des acteurs du marché pour qu’il cessent de « raffoler » des rumeurs. Cependant, opter pour la prévention, même de la meilleure manière qui soit ne garantit pas que l'on arrivera à empêcher totalement son apparition, sa transmission ou ses effets. Ainsi dans le cas où la rumeur est déjà ancrée, l’objectif sera de mettre en œuvre des stratégies appropriées pour la neutraliser.

3.2.2 La neutralisation: Pour neutraliser les rumeurs, DiFonzo, Bordia et Rosnow envisagent et commentent les différents moyens à la disposition des managers : les ignorer, confirmer la part de vérité, les commenter ou non, les réfuter. Analysons de quelle manière est ce qu’on pourrait extrapoler ces attitudes au marché et à ses acteurs. Il semble que, dans le marché, l’attitude qui consiste à ignorer la rumeur est très peu convaincante. En effet, dans les organisations la rumeur reste essentiellement de l’ordre du bouche à oreille : afin de ne pas leur donner trop d’importance, les managers peuvent décider d’ignorer les rumeurs, faisant comme s’il n’en n’avaient jamais entendu parler. Sur le

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marché en revanche, la présence de la rumeur écrite et colportée par des médias spécialisés rend cette attitude impossible. Les entreprises concernées ne peuvent pas feinter d’ignorer la rumeur qui court à leur sujet. Leur mutisme sera très certainement interprété par le marché comme une volonté de cacher une réalité, celle de la rumeur ou pire. Nous déconseillons fortement une telle attitude, qui risquerait d’accentuer les effets de la rumeur. L’attitude consistant à confirmer la part de vérité nous semble ainsi beaucoup plus sage. Elle permet à l’entreprise de développer la confiance des investisseurs envers elle. En effet, il faut garder à l’esprit que dans le marché, le recours ultime serait que les autorités de régulation s’en mèlent (Cf. AMF obligeant PepsiCo à statuer) : la compagnie serait ainsi forcée d’admettre la véracité de la rumeur, et perdrait ainsi tout crédit auprès du marché. Avec toutes les conséquences négatives que cela implique. De la même manière, nous encourageons les entreprises à commenter les rumeurs car une absence de commentaire peut être mal interprétée par le marché (l'entreprise aurait quelque chose à cacher). Dans le cas des organisations, DiFonzo, Bordia et Rosnow préconisent en cas de refus de commenter, de présenter au moins une raison de ce refus. Nous pensons que dans le marché, ceci ne serait pas suffisant. Nous ne conseillerons donc pas l’attitude de refus de commentaire, même argumentée. La dernière alternative envisagée dans les organisations consiste à réfuter la rumeur. DiFonzo, Bordia et Rosnow préviennent les managers : il s’agit d’une solution dangeureuse, à double tranchant. Car pour peu qu’elle ne soit pas faite dans les règles de l’art, une réfutation risque d'augmenter la crédibilité de la rumeur. Quelles sont les conditions d’une « bonne réfutation » ? Il faut s'assurer de la cohérence de l'ensemble des informations communiquées pour réfuter la rumeur. En effet, la multiplication de commentaires contradictoires peut s’avérer très dangereuse. Le meilleur moyen est de sélectionner consciencieusement un porte-parole qui seul communiquera sur les faits. Qui choisir comme porte-parole ? Un personnage de l’entreprise dont le rang est en adéquation avec la gravité de la rumeur : CEO, CFO, directeur des ventes… S’il est trop « haut gradé » les investisseurs risquent de s’inquiéter d’avantage de la gravité de la situation. S’il n’a pas suffisamment de responsabilités au sein de l’entreprise son démenti ne sera pas pris en compte par le marché. Enfin, comme le soulignent DiFonzo, -41 -

Bordia et Rosnow la forme du démenti est très importante: il doit être bref, concis et intelligible, et ne dois surtout pas citer la rumeur pour ne pas la rappeler à l’esprit des investisseurs. Kimmel

(2004)

dresse

à

l’intention

des

entreprises

des

recommandations similaires : s'engager dans un effort soutenu de relations publiques et être vigilant. Il propose ensuite deux mesures pratiques qui nous semblent particulièrement intéressantes. La première consiste à désigner officiellement un responsable de la gestion des rumeurs qui ferait de la veille pour déceler les rumeurs à temps et faire en sorte qu’elles ne se transmettent pas dans le marché. Cette personne serait ainsi chargée de surveiller de très près les médias spécialisés, mais aussi internet dans son ensemble. Nous pensons en particulier aux blogs personnels, aux forums de discussion, et au wiki (articles rédigés par une communauté). La popularité de ces derniers est croissante, alors qu’ils présentent un danger certain : comme l’article est rédigé par un ensemble d’individus, il est impossible d’en identifier précisément les sources. La seconde mesure préconisée par Kimmel est de développer un plan de management de crise tel que celui présenté par Yeshin (1998). Un tel plan doit être rapide, précis, crédible et consistant, englobant en quelques sortes les caractéristiques déjà évoquées dans nos recommandations.

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Conclusion La rumeur s’est avérée être un sujet passionnant, fascinant, intriguant. Bormans (2003) souligne à juste titre d’ailleurs au sujet de la rumeur : « Dans la rumeur, on a sans cesse cette impression subreptice d’être manipulé, d’être manipulé précisément par ce qui nous fascine. Cette impression d’y être, nous aussi sur la scène, c’est là tout de même, il faut bien le dire, le clou du spectacle !». N’est-ce pas là finalement la potion magique de la rumeur ? elle nous fascine parce qu’elle nous implique, parce qu’elle fait de nous des acteurs sur la scène de la rumeur, une fois qu’on est sur scène, on goûte à la joie de la partager avec d’autres, de faire partie de ses privilégiés, on est envoûté, que le spectacle commence… ! Nous avons pu démontrer à travers cette recherche l’importance que revêtit la rumeur sur les marchés financiers. Les effets qu’elle peut avoir sur la réputation, les rendements et l’avenir des entreprises et par conséquent sur la formation des prix sur les marchés, nous ont poussé à tenter d’examiner de très près les composantes et mécanismes de la rumeur, afin d’en déduire une approche efficace de sa mesure. Toutefois, il semblerait que la littérature n’aie pas abondé dans ce sens et que la recherche demeure à ce sujet embryonnaire. Les études se sont essentiellement penchées sur les processus de transmission de la rumeur, aboutissant généralement à des résultats empiriques. Dans ce contexte, nous avons essayé de retenir les modèles les plus pertinents à nos yeux, en ce sens qu’ils s’inscrivent dans notre cadre d’étude général, à savoir la finance comportementale. Il en découle que la rumeur en finance est avant tout un phénomène sociologique de groupe qui est à la fois cause et conséquence de biais cognitifs et émotionnels. Ces biais peuvent déboucher sur des asymétries de l’information qui agissent comme éléments perturbateurs sur les marchés. Par ailleurs, ces perturbations peuvent dans certains cas (la majorité des cas concerne des rumeurs négatives) être très nuisibles pour les entreprises. C’est pour cette raison que la formulation de recommandations pour se préserver contre ces effets indésirables, nous a semblé être cruciale en l’absence d’une prédictibilité de la rumeur et de ses répercussions.

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Ainsi, à la suite de notre étude, des points précis dans ce qui vient d’être évoqué ont suscité notre étonnement et les quelques réflexions qui vont suivre. Tout d’abord, la seule formule mathématique modélisant clairement la rumeur (R = i * a), avancée par le modèle d’Allport et Postman (1947), date de maintenant une soixantaine d’année. Sa prépondérance encore aujourd’hui dans la littérature et son extrême simplicité sont d’autant plus frappantes que la recherche n’a pas énormément avancé dans le sens d’une modélisation des effets de la rumeur. La majorité des travaux conduits se contentent de résultats empiriques, ou se basent sur ce qui a déjà été fait en matière de modélisation de la transmission de l’information en général. Cette approche nous paraît biaisée en ce sens qu’elle ne tient pas compte de la singularité de la rumeur, à savoir son aspect sociologique comparé à la linéarité de l’information. Ensuite, cette omission justement évoquée de la composante sociologique de la rumeur nous a également étonnée dans une grande partie des travaux sur lesquels nous nous sommes penchés. Pourtant, la psychologie des masses, comme nous l’avons étayé dans notre étude, nous a semblé liée de manière évidente au processus de formation et circulation de la rumeur. Enfin, une constatation de type plus générale, est la faible quantité de travaux mené sur la rumeur en finance en comparaison à celles sur la rumeur en général. Un point essentiel dans le développement futur de la recherche dans le domaine sera l’utilisation et l’application des études empiriques et théoriques sur la rumeur dans le domaine de la finance. Celui-ci en aura certainement besoin, confronté comme il l’est à la prolifération de l’information de toutes sortes grâce à l’ère de la technologie et de la communication : ne dit-on pas que l’on n’arrête pas le progrès ?

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Annexe Cadre théorique pour la prévention et neutralisation des rumeurs, par DiFonzo, Bordia et Rosnow (1994).

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Déclaration sur l’honneur Nous soussignés Fadel AKASBI et Sophia OULHAJ, étudiants à l’ESCP-EAP, déclarons sur l’honneur que le travail présenté dans ce mémoire a bien été réalisé par nous-mêmes. Nous nous sommes efforcés de clairement identifier tout emprunt et citation, et de répertorier dans la bibliographie l’ensemble des sources ayant servi de support à notre étude. Les propos dont nous sommes les auteurs n’engagent que nous-mêmes et en aucune façon ESCP-EAP.

Fadel AKASBI

Sophia OULHAJ

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