Faites vos jeux ! Rien ne va plus ! Et si la chasse n’était qu’un jeu, à l’origine de l’aventure humaine ? Et si la fameuse exception humaine, résidait justement dans la conjonction du jeu et de la chasse : un jour, des groupes de primates ont décidé de sortir des arbres pour attraper des animaux qui passaient par là. Par jeu ? L’époque de la prédation est terminée nous dit l’écologiste, au siècle de la consommation effrénée. Il faut désormais refréner nos pulsions carnivores. Mais la chasse n’a jamais été, à un moment de l’hominisation, une activité indispensable pour survivre. Les végétaux et les fruits suffisaient amplement pour vivre et procréer. Le “chasseur-cueilleur“ qui chassait pour survivre en alimentant sa famille est un cliché de maternelle : la chasse a été beaucoup plus que cela. Elle a été un processus majeur de l’hominisation au point que les aptitudes mentales et physiques humaines sont directement issues de la chasse : nos ancêtres, des hominiens, étaient chasseurs avant d’être humains. Et c’est, en grande partie par la chasse que l’homme s’est édifié en tant qu’homo sapiens.
Pas de chasse, pas d’humanité. Leur faible intelligence de l’époque, a été aux prises avec ce qu’il y a de plus habile et de plus rusé dans la nature : les carnivores. Chassés avant d’être chasseurs, cette position fragile a suscité l’émergence de capacités nouvelles qui s’apparentent précisément à la chasse : Sortant des arbres rassurants de la forêt, ils se sont livrés aux périls de la savane, nouvel écosystème : la vigilance, la ruse, l’attention deviennent vitales pour survivre. En attrapant des petits animaux, il devient chasseur. La chasse a provoqué de nouvelles aptitudes stratégiques : l’attention, la ténacité, la combativité, l’audace, la ruse, le leurre, le piège, l’affût qui ont abouti, en plusieurs milliers d’années, à l’homo sapiens, véritable aboutissement de la chasse. Mais pourquoi chasser alors que notre petit hominien aurait pu rester dans les arbres et s’y alimenter ? En cours d’hominisation, beaucoup de groupes, prometteurs d’humanité, ont disparu, un seul est à l’origine de l’homo sapiens. Quel est le facteur déterminant qui a abouti à cette évolution extraordinaire ? Seul le jeu donne une réponse éclairante. Cette action ludique, dénuée de toute utilité, de tout intérêt vital est un agissement tout à fait gratuit. Le jeu existe chez les animaux, en particulier dans l’apprentissage des petits chez les vertébrés : chez les carnivores, les petits jouent à la capture avant d’être capables de le faire. Ils jouent uniquement lorsque tous les besoins vitaux sont satisfaits. Il semble que notre ancêtre a poussé le jeu de la chasse jusqu’à se transformer lui-même radicalement.
Pas de chasse sans le jeu
Si on examine les aptitudes classiques de la chasse et les aptitudes au jeu (qu’a listé Roger Caillois dans “Les jeux et les hommes“) la similitude est confondante : l’hominisation s’est construite en grande partie dans le jeu des hominiens. Selon ses critères, le jeu permet de sortir des réalités pour se préparer à surmonter des obstacles normalement impossibles: le jeu autorise de se lancer dans une performance ou on n’a pas a priori les aptitudes requises. L’hominien, petit, à quatre pattes, n’a pas du tout les dispositions pour devenir un prédateur. Pourtant, en jouant à la chasse, il a réussi, en quelques millions années, à devenir le super prédateur de tous les animaux. Sa spécialité : sa généralité. « Si quelqu’un est capable de faire les trois tâches de marcher 35 Kms dans une journée, de grimper 5 mètres à la corde, de nager sur une distance de 15 mètres, à 4 mètres de profondeur, de rechercher et de trouver des objets au fond de l’eau, tous exploits qu’un homme qui n’est pas sportif peut accomplir…on ne trouvera pas un seul autre Mammifère capable de le faire. » K.Lorenz La chasse est un jeu car improductive au départ. Qui a faim ne joue pas .La chasse n’est pas là pour assouvir un besoin vital, se nourrir ou protéger son clan comme un carnivore. Nous avons commencé à chasser alors que nous étions encore des végétariens. Le déclencheur de jeu, c’est le plaisir. Les animaux jouent quand les besoins vitaux sont satisfaits. Pas de jeu sans plaisir. De même façon, pas de chasse sans plaisir. Il y a du secret dans la chasse comme dans le jeu : le résultat n’est jamais garanti. Y a t il du gibier dans cette enceinte pour le chasseur? Quels sont les cartes de son adversaire ? Le secret nous pousse à réfléchir, à décider, à construire une stratégie et contribue à développer la capacité de notre cerveau dans notre évolution.
Je joue donc je me transforme ! La chasse, jeu de force et d’adresse, rend le corps plus vigoureux, la vue plus perçante, le toucher plus subtil. C’est dans le jeu de chasse que l’évolution physique de l’homme a commencé : la locomotion bipède, la station verticale qui a libéré la main de toute contrainte locomotrice, l’opposition du pouce qui permet à la main d’être un instrument capable d’utiliser des outils, la capacité de course dans un milieu arboricole, puis l’endurance avec l’apparition de glandes sudoripares.
Je joue donc je pense ! L’évolution physique a été accompagnée par une évolution intellectuelle. La communication a été de plus en plus indispensable au fur et à la mesure que la chasse est devenue stratégique. Sur des milliers d’années, elle a ouvert la voie au langage qui permet de nommer l'objet absent. Le développement de la chasse, nécessite la désignation d’objets, d’outils, de lieux divers, de plantes, d’animaux, de traces. La signalisation d’opérations articulées logiquement et modifiables selon les avatars de la chasse, est impossible sans une
communication riche et complexe. Ainsi la chasse a contribué puissamment au langage. Encore aujourd’hui, notre vocabulaire est traversé de locutions, d’expressions de chasse dans notre vie courante. (Notamment dans le vocabulaire des commerciaux).
Les prémices du droit La chasse des grands animaux a été collective. Comme beaucoup de jeux, elle oblige à inventer des règles : les jeux se caractérisent le plus souvent par des règles du jeu qui sont une préfiguration de ce que sera la vie en société avec ses règles, ses conventions et ses satisfactions et ses tabous. Ce sont souvent des jeux éducatifs qu’ils démontrent à l'enfant le bien fondé de la loi. C’est aussi en chassant collectivement que notre ancêtre a inventé les prémices de la loi, du droit, de l’éthique et même de la morale. La chasse collective ne peut pas réussir sans des règles de partage de gibier admises par tous. Dominique Lestel, dans « Les origines animales de la culture » écrit : « Le régime carnivore est un catalyseur de l’apparition de la morale…il favorise le partage et la démarche égalitaire et il est une condition nécessaire à l’apparition de la morale ainsi que l’éveil d’un souci de la communauté ». Ainsi, la solidarité, la coopération puis l’affection entre les hommes vont refouler les caractères dominants chez les primates de l’intolérance et de l’évitement. L’amitié est née dans la chasse. Le jeu n’est pas soumis aux conventions sociales. C’est une répétition de la vie, un entraînement, un apprentissage ou l’erreur est autorisée. Certes, rater un gibier immanquable, déclenche des quolibets de la part de ses camarades mais jamais de punition véritable. Encore aujourd’hui, les manquements de certains aux règles de gestion entrainent des sanctions qui ne sont jamais définitives : amendes, journées de bâtons, engueulades mais rarement un licenciement de l’équipe. Les « mauvais chasseurs » restent dans l’équipe. Nous sommes dans un jeu où il faut continuer à jouer même si le résultat est déplorable. L’absence de sangliers pendant plusieurs années n’empêche pas les chasseurs de chasser : l’action est plus importante que le résultat pour progresser.
Pas de chasse sans un minimum de mystère Tous ce qui est mystère ou simulacre est proche du jeu. Dans la chasse, l’approche, l’affût, les déguisements de chasse, mais aussi se mettre debout pour voir plus loin ou se grandir face aux prédateurs, sont de l’ordre du mimétisme du chasseur. Une chasse réussie incite à la fête. Elle pousse au récit des exploits de chasse, au mime, à l’art rupestre et prépare à la magie puis à la religion. L’imaginaire chez l’homme va prendre une place très importante, avec une distinction très fragile entre le réel et l’imaginaire. Elle est à l’origine des mythes universels. La chasse la plus rituelle aujourd’hui est la vénerie, véritable métaphore de la vie sociale qui symbolise la vie et la mort, le sacré et le profane. Mais Il suffit d’armer sa carabine ou poser une flèche sur son arc pour retrouver la part la plus profonde et la plus authentique de nousmêmes. La magie opère et nous sommes de nouveau dans un monde imaginaire.
Il faut peu de choses, nous dit Bernardina, pour que le chasseur soit dans un lieu mythique, demeuré miraculeusement intact, toile de fond de la nature sauvage même s’il est en réalité dans un parc à gibier. La myopie des chasseurs, qui ne voient jamais les clôtures en Afrique du sud, chassant les antilopes sauvages, élevées depuis longtemps dans le parc attenant. Même chose pour le pécheur qui occulte son environnement de pollution et de nitrates et passe un excellent après midi. En fait, l’homo sapiens sapiens, l’homme sage, est en réalité un homo ludens qui a besoin d’introduire dans le cours insipide et brutale des jours, un monde imaginaire : jeu et vie courante, nous dit Roger Caillois, sont constamment et partout domaines antagonistes : le jeu et le travail, la chasse et l’agriculture, le nomade et le sédentaire. Le jeu a permis de sortir de la nature pour accéder à une culture. Il a permis de sortir du monde animal. La fécondité du jeu est à l’origine de notre culture, dont les manifestations les plus remarquables seront érigées en institutions, en règles du jeu social, en lois mais aussi en art, en poésie, en théâtre, en musique. C’est en ce sens que le jeu peut être considéré comme la figure de la liberté humaine. Grâce à la chasse civilisatrice, l’homme vit dans un monde ouvert, ou la capacité de changer son avenir et sa planète est entier. L’animal, lui, vit dans un monde fermé, prisonnier de ses mécanismes génétiques. C’est peut être la vraie différence qui justifie l’exception humaine. Sources Edgar Morin « le paradigme perdu » Roger Caillois »Les jeu et les hommes » Bernardina « L’utopie de la nature » Dominique Lestel « les origines animales de la culture » François BASSE
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