Kim

  • April 2020
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  • Words: 30,689
  • Pages: 175
CATHERINE DÔ-DUC FRÉDÉRIC MASSIE

KIM &

LES CANARDS AVENTURE À TÉLÉCHARGER © 2009 FM - CDD

KIM ET LES CANARDS Toute ressemblance avec des événements, des lieux ou des personnages existant ou ayant existé serait pure coïncidence puisqu'il s'agit d'une œuvre de fiction.

*** Bien que téléchargeable gratuitement, ce roman est sujet à des droits d'auteur en cas de reproduction, même partielle, sans autorisation écrite des auteurs.

AVENTURE À TÉLÉCHARGER © 2009 FM - CDD

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KIM ET LES CANARDS

-1Une mauvaise blague "Au secours, maman, viens vite, il y a une énorme araignée sur mon oreiller ! Kim se dressa comme un ressort sur son lit. Paralysée par la peur, elle se réfugia sous la couverture pour ne plus voir la gigantesque tarentule poilue qui se promenait audessus d'elle. Blottie dans le noir, elle entendit le son étouffé de la voix de son frère, au premier étage du lit gigogne. - Froussarde ! Froussarde, criait-il en tirant sur le fil de nylon qui pendait au-dessus du lit de sa soeur. Mort de rire, il mit prestement l'objet du délit dans la poche de son pyjama, dévala l'échelle et ouvrit la porte de la chambre... pour se retrouver nez à nez avec sa mère : - Qu'est-ce qui se passe dans cette chambre ? - Rien, Maman, mais regarde l'heure, on va être en retard, dit Thomas en se précipitant dans la salle de bain. Lise Vétheuil souleva d'un coup la couverture qui protégeait Kim du monstre velu. 3

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- Qu'est-ce que tu fabriques encore ? Une boule de cheveux noirs surgit hors du lit, bientôt suivie du corps tout entier de Kim qui hurlait : - Cette fois-ci, c'est trop. Il m'a fait le coup de l'araignée, il sait très bien que ça me fait mourir de peur. La prochaine fois c'est la crise cardiaque ! Je veux ma chambre à moi, Maman, ça ne peut plus durer ! Sa mère la rassura : - Allons, calme-toi ! Tu sais bien que papa te repeint ta chambre pour tes onze ans. Il aura bientôt fini. Dépêche-toi un peu, on va être en retard ! - C'est pas juste ! Thomas est méchant et c'est moi qui me fais attraper ! - Je te promets qu'il va m'entendre dès qu'il sera sorti de la salle de bains, soupira Lise. Descend prendre ton petit déjeuner maintenant. Kim enfila sa robe de chambre et ses pantoufles et se dirigea vers la cuisine. - Super, tu as fait des pancakes aujourd'hui ! Elle ouvrit le placard au-dessus de l'évier, en retira 4

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un gobelet en plastique puis se dirigea vers le réfrigérateur et se versa un grand verre de jus d'orange pétillant. - Dis donc Maman, tu n'oublies pas que tu m'as promis une écharpe marron ? - Mais je viens de t'en acheter une ! - Oui mais ... ça n'est pas celle que je voulais. Toutes mes copines se moquent de moi. Tu pourrais peut-être l'échanger contre une marron. Tu sais, celle en chenille. - Écoute, celle que je t'ai achetée est très bien. En plus, elle est beaucoup plus chaude que les babioles de tes copines. - Oh, Maman, s'il te plaît. - Bon, bon, on verra. Allez, dépêche-toi de manger. Kim avala une dernière bouchée de pancake, vida d'un trait son verre de jus d'orange et fila sans dire un mot de plus au premier étage. Lise s'assit et se versa une deuxième tasse de café. Enfin un moment de calme ! Elle n'eut pas le temps de terminer sa tasse que déjà des hurlements retentissaient à l'étage. 5

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- Tom, sors de là tout de suite ! Il faut que je prenne ma douche. - J'ai pas fini, va te faire voir ! Kim mit ses mains en porte-voix et cria en direction de l'escalier qui menait à la cuisine : - Maman, maman, dis-lui de sortir; ça fait vingt minutes qu'il est enfermé là-dedans. Et n'oublie pas ce que tu m'as promis ! Lise Vétheuil, qui n'avait pas l'intention de rentrer dans leur jeu, se contenta d'un " Pour une fois, laissez-moi tranquille" qui n'était pas du goût de Kim. Au même moment, la porte de la salle de bains s'ouvrit et laissa échapper un nuage de vapeur. - C'est pas vrai, tout est trempé ! Et tu n'as même pas rincé la douche. T'es vraiment répugnant, se lamenta Kim qui ne supportait pas le désordre de son frère. Lise, sa tasse de café fumante à la main, monta la dernière marche de l'escalier : - Tom, tu files un mauvais coton aujourd'hui. Si tu continues à harceler ta soeur, je t'interdis d'inviter ton nouveau copain Kevin mercredi ! - D'abord, elle a un caractère de cochon, ma soeur. 6

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C'était juste une blague. Et puis elle n'a qu'à attendre que j'ai fini. Lise se fit plus ferme : - S'il te plaît, n'en rajoute pas. Tu sais très bien que Kim a une peur bleue des araignées... Tom comprit qu'il n'aurait pas le dessus cette foisci. - Allez Kim, ne fais pas la tête ! Je te promets que je ne le ferai plus. Quelques minutes plus tard, Kim enfilait sa doudoune rouge devant le miroir de l'entrée. - Maman, si je me laissais pousser les cheveux ? - Pourquoi ça ? Tes cheveux courts te vont très bien. - C'est Mathieu. Il dit qu'il préfère les filles à cheveux longs. - Il n'a aucun goût, ton Mathieu, ajouta Lise qui savait très bien que l'avis de Mathieu était très important pour sa fille adoptive. - De toute façon, longs ou courts, tu seras toujours aussi tarte, ne put s'empêcher de glisser Tom en bousculant sa soeur pour sortir avant elle. - Maman, il recommence ! Quelle brute ! Poil de Carotte, Poil de Carotte ! 7

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Lise ne savait plus comment détendre l'atmosphère. - Ne fais pas attention, 10 ans, c'est l'âge bête pour les garçons. Dites donc, c'est bien aujourd'hui que la maîtresse rend les copies du premier groupe ? - Oui, et j'ai une de ces frousses, répondit Thomas. Kim a de la chance d'être dans le deuxième groupe. La semaine prochaine, ce sera son tour. - Eh bien, on verra ça ce soir. Je suis sûre que tu auras une bonne note, conclut Lise en fermant la porte derrière elle.

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-2Premier jour de classe "Atcha, atcha !" Mme Saint-Martin, l'institutrice, entra dans la classe, le nez enfoui dans un mouchoir géant, l'oeil larmoyant derrière ses lunettes d'écaille. - Un peu de silence, zil vous blait ! - A bos souhaits, Badame ! s'écria Thomas, ce qui fit rire tout le monde. - Thomas, de profitez pas de la situation ! Le garçon se calma et baissa ses yeux verts sur son cahier de texte. Il avait beau faire le malin, il n'en menait pas large. La première rédac de l'année, en CM2, avec une note qui comptait pour le bilan du premier trimestre ! Non seulement il avait le trac mais en plus il craignait d'être ridicule devant ses nouveaux camarades. Madame Saint-Martin posa son cartable et s'assit à son bureau surélevé sur une estrade dans le coin gauche de la classe. De l'autre côté de la salle, Kim observait son frère. Cette fois, 9

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c'était lui le trouillard ! - Je ne veux pas entendre un bruit ce matin, sinon je ne vous rends pas vos copies. Elle fouilla nerveusement dans son cartable et en retira une liasse de feuilles annotées au feutre rouge. - Je commencerai par les derniers. Mathieu Pasteur, 5/20 ! Pas brillant ! Et j'ai été généreuse ! Je n'ai rien compris à votre rédaction ! Je vous rappelle que le sujet était "Imaginez une histoire extraordinaire dont vous êtes le héros". Votre aventure n'est pas extraordinaire, elle est abraca..... Atcha ! Mathieu, le regard furieux sous sa tignasse noire, alla prendre sa copie. - Tu parles qu'elle n'a rien dû y comprendre ! Il m'a dit qu'il avait utilisé un épisode des X-Files, chuchota Kevin dans l'oreille de Thomas. La distribution des notes continua, et bientôt il ne resta plus que Thomas à ne pas avoir appelé au bureau. - Et voici la meilleure note de la classe : Thomas Vétheuil : 18/20. Vous m'avez étonnée. Quelle imagination ! S'il n'y avait pas eu de fautes d'orthographe, je vous aurais mis 20/20. 10

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Thomas baissa la tête, rouge comme une pivoine. Kim, fière de lui et pas rancunière, le regardait en souriant. L'institutrice s'adressa à la classe avant même que Thomas ait eu le temps de se lever pour aller chercher son chef-d'oeuvre. - Cette rédaction est exemplaire. Non seulement l'histoire est bien construite mais en plus votre camarade a un vrai talent de scénariste fantastique. Après une salve d'éternuements, elle ajouta : - Puisque nous avons du temps devant nous et que demain il n'y a pas classe, j'ai décidé de vous en lire un extrait. Ainsi, vous comprendrez peut-être ce que c'est que raconter une histoire. Mme Saint-Martin se moucha bruyamment, respira profondément, et commença sa lecture : " Mes parents avaient décidé de quitter notre appartement de Paris pour s'installer dans une maison, en banlieue. Ils avaient déjà visité des dizaines de pavillons et leur choix s'était porté sur une maison ancienne dans la banlieue est. L'acte de vente était signé et ils avaient rendez-vous le soir même avec la secrétaire du notaire pour prendre les clés. Un rendez-vous à dix heures du soir, drôle d'idée, avait dit Papa. Mais le notaire avait expliqué 11

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qu'il partait en vacances et que sinon il faudrait attendre un mois.

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-3La nouvelle maison " On est bientôt arrivés ?, demanda Kim. - Mais oui, ma souris, encore deux minutes, répondit son père. Lise, tu peux regarder le plan, s'il te plaît. Je ne me rappelle jamais si c'est à gauche ou à droite. C'est la première fois que je viens ici la nuit, je ne reconnais rien ! - Tourne à gauche, Vincent ! Le break familial s'engagea au ralenti dans un chemin étroit bordé par un champ au bord d'un petit lac qui luisait dans la pénombre. Au milieu du plan d'eau bordé de petits rochers et de saules pleureurs, on distinguait un îlot où trônait un grand sapin. - C'est là, annonça Lise en essuyant la vitre couverte de buée. Normalement on aurait dû arriver par la route de devant. Vincent Vétheuil gara la voiture. Kim faillit glisser lorsqu'elle descendit de la voiture directement dans une flaque de boue. En cette fin de mois d'août 13

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humide, il faisait déjà presque nuit. Une fine pluie tombait sans discontinuer. A la lumière des phares du break Volvo rouge maculé de boue, la famille Vétheuil au grand complet avança en direction de la maison qu'elle dut contourner pour accéder à la porte principale qui se trouvait de l'autre côté. Une petite Twingo blanche les attendait tous phares allumés. Une jeune femme en descendit et s'approcha d'eux en trottinant sur ses hauts talons. - Monsieur et Madame Vétheuil ? dit-elle, toute essoufflée. Je suis Chantal Boisrouge, la secrétaire de Maître Renard. Je vais vous ouvrir la maison. Elle ôta ses lunettes et les essuya avec le rebord de sa veste. Elle fouilla dans son sac et en retira une lampe de poche qui diffusa un maigre faisceau lumineux en direction de la porte. Mme Boisrouge brandit un gros trousseau de clés et en essaya plusieurs avant que la porte daigne s'ouvrir bruyamment. Elle entra la première et s'avança dans l'obscurité, à la lueur tremblotante de sa lampe qui donnait des signes de faiblesse. Puis elle disparut complètement. - Où est-elle passée ? demanda Vincent qui 14

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commençait à s'impatienter. Comme pour répondre à cette interrogation, un cri étouffé suivi d'un bruit de chute leur parvint du fond de la maison. Kim se blottit dans les jambes de Lise tandis que Tom serra un peu plus fort la main de son père, comme pour l'empêcher de pénétrer dans cette maison qui lui semblait hostile. - Lâche-moi, il faut bien que quelqu'un aille voir ce qui se passe, dit Vincent en secouant le bras pour se libérer. A son tour, il entra en prenant garde de ne pas trébucher contre des obstacles invisibles. - Si cette gourde avait eu la bonne idée de garer sa voiture face à la maison, on aurait pu au moins y voir quelque chose, chuchota Lise en serrant contre elle ses deux enfants humides et frissonnants. Aucun son ne filtrait du fond de la pièce où leur père et la secrétaire du notaire avaient disparu depuis deux malheureuses minutes qui leur parurent un siècle. - Ça y est, je l'ai trouvée, elle est tombée dans l'escalier de la cave... Je vais essayer de brancher le compteur... Si je me souviens bien il est placé près du cellier. 15

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On entendit un grand fracas de verre brisé et comme par miracle la maison tout entière s'illumina. Un instant plus tard, Vincent Vétheuil remontait de la cave en soutenant Madame Boisrouge, les cheveux en bataille, les lunettes en biais sur son nez d'où coulait un mince filet rouge vif. Lise lui tendit un mouchoir en papier. L'entrée était une petite pièce où s'ouvraient trois portes. Kim remarqua tout de suite le petit couloir qui donnait au fond sur le jardin. - Vous connaissez la maison, je crois. Je vous laisse faire le guide, dit Mme Boisrouge, la tête penchée en arrière pour stopper l'hémorragie nasale. Lise se dirigea vers la première porte en face légèrement à gauche: - Ici, la cuisine. Elle alluma la lumière. Kim et Tom se précipitèrent: - Qu'est-ce que c'est grand ! - Oui, ça va nous changer de Paris ! On pourra même dîner dans la cuisine. En plus, tout est équipé. Cuisinière, lave-linge, lave-vaisselle étaient 16

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impeccables. Pas une trace de gras, pas un grain de poussière sur les placards de chêne blond qui venaient d'être cirés : cela sentait encore l'encaustique ! Le sol recouvert de carreaux en terre cuite rouge était lui aussi rutilant. Lise manoeuvra le robinet d'eau chaude au-dessus de l'évier mais l'eau coula glacée. - Nous avons fait le nécessaire pour l'électricité mais il vous faudra rebrancher la chaudière à gaz si vous voulez de l'eau chaude, annonça madame Boisrouge en se pinçant le nez fermement. Kim allait et venait, excitée comme une puce à l'idée d'emménager dans unesi grande maison. - On pourra faire la cuisine toutes les deux, c'est géant ! Tu m'apprendras à faire des gâteaux ? Sans même attendre la réponse elle se mit à ouvrir tous les placards. Les étagères avaient été nettoyées, tout était nickel à l'exception d'une toute petite plume verte qui n'échappa pas à l'inspection de la fillette : - Regarde, Tom ! on dirait une plume de paon avec toutes ces couleurs! - Mais non, idiote ! C'est une plume de canard. - Arrête de me traiter d'idiote. Elle est super jolie, 17

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cette plume". Kim planta sa trouvaille tout en haut de sa petite tête et entreprit une danse de sioux autour de la cuisine en vociférant " Je suis la squaw, je suis la squaw ! - Fais-nous la danse des canards, pendant que tu y es ! lança Thomas d'un air méprisant. - Venez les enfants on continue la visite.

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-4Curieuse rencontre Ils repassèrent tous dans l'entrée et suivirent Mme Boisrouge qui se dirigea vers la porte de droite. Thomas et Kim qui n'avaient pas encore eu l'occasion de visiter la maison n'en croyaient pas leurs yeux. A elle seule, cette pièce aurait pu contenir les trois chambres de leur appartement parisien ! Le beau carrelage ancien avait été ciré. Et la cheminée, gigantesque ! Avec son encadrement de bois sculpté, elle occupait un bon quart du mur : on aurait presque pu y installer une table et des chaises et y prendre son repas. Au fond, une porte-fenêtre ouvrait sur une grande terrasse donnant accès au jardin. - Alors, ça vous plaît ? questionna Vincent. - Wow ! C'est top ! Qu'est-ce que c'est grand ! s'écrièrent en choeur les deux enfants. Tom ouvrit la porte-fenêtre, fit un pas dehors et regretta : - Dommage qu'il fasse nuit, on ne voit pas du tout le jardin. 19

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Mme Boisrouge appuya sur un interrupteur et un flot de lumière inonda la terrasse. - C'est quoi, le bâtiment là-bas ? demanda Kim. - C'est un pigeonnier. Le toit, les murs et la charpente ont été entièrement restaurés, mais nous n'avons pas refait les peintures, ni l'électricité, répondit Chantal Boisrouge. - Papa, tu crois qu'on pourrait se faire une maison là-dedans ? interrogea Tom. - Pas question ! J'ai prévu d'y installer mon bureau. Comme ça au moins, j'aurai la paix. Vincent Vétheuil travaillait chez lui la plupart du temps. Graphiste spécialisé dans le dessin d'architecture assistée par ordinateur, il utilisait des programmes très sophistiqués avec lesquels il pouvait créer des immeubles virtuels. Ceux-ci servaient aux architectes pour vérifier la résistance des matériaux et l'habitabilité de leur création. - Je pourrai quand même venir jouer sur ton Macintosh ? s'inquiéta Tom. Vincent ne prit pas la peine de répondre car il savait que de toute façon son fils avait toujours le dernier mot lorsqu'il s'agissait de jouer à Sim City ou à Sim Tower. 20

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- Dites donc, il n'y a pas beaucoup de voisins, constata Kim, le nez collé sur la vitre. - Mais si, regardez la fenêtre allumée, là-bas, derrière le pigeonnier, s'exclama Mme Boisrouge. C'est la maison de Monsieur Guillevic, le bibliothécaire du village. Vous verrez, il est très gentil et très savant. - Je veux voir ma chambre, demanda Kim. - Les chambres sont à l'étage, si vous voulez bien me suivre. Ils suivirent Chantal Boisrouge qui s'engageait dans l'escalier. - Je veux la plus grande ! fit Tom en montant les marches quatre à quatre. - Ah non, vous n'allez pas recommencer à vous disputer. Toutes les chambres sont magnifiques, vous allez voir, répliqua Lise. - Mais il y en a quatre ! annonça fièrement Kim qui avait compté les portes. - Oui, et il y a même un grenier, fit remarquer Mme Boisrouge en montrant une trappe au plafond. Même en se hissant sur la pointe des pieds, Vincent n'arrivait pas à la targette qui commandait son ouverture. 21

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- On grimpe par une échelle, questionna Thomas, toujours en quête d'une nouvelle bêtise à faire. - Oui, mais attention, pas question d'y monter sans nous, avertit Vincent. La première chambre n'était pas très grande, mais coquette. Kim s'y sentit tout de suite à l'aise. Toute carrée, ses murs étaient aussi blancs que ceux de la salle de séjour. Une paroi entière était occupée par un placard à vêtements. Le parquet de chêne blond étincelait. Une fenêtre fermée par des persiennes donnait sur le jardin. La deuxième chambre était presque la jumelle de la première, avec un balcon qui donnait sur la cour devant la maison. - Toutes les rambardes ont été renforcées, remarqua Mme Boisrouge. - Vous me rassurez ! Avec ces deux-là, ça n'est pas du luxe, acquiesça Lise en souriant. Kim et Tom couraient de l'une à l'autre, tellement excités qu'un instant, ils oublièrent de se chamailler. Pendant ce temps, les adultes jetaient un coup d'oeil à la grande salle de bains, à la chambre du fond, celle des parents, et à la chambre d'amis, plus petite. 22

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- Je vais enfin pouvoir ranger toute ma collection de Barbie sur mes étagères ! - Je te préviens, maintenant que tu auras ta chambre à toi, plus question de squatter la mienne avec tes trucs de fille ! D'ailleurs, je demanderai à Papa de me mettre un verrou, au moins tu me laisseras tranquille. - Moi aussi ! Comme ça, tu ne me piqueras plus mes Spirou. Tout à coup, ils se turent. Un drôle de petit bruit venait du rez-de-chaussée, juste sous leurs pieds. Comme si quelqu'un frappait sur une vitre... Des petits coups plus ou moins rapides, un rythme bien régulier, répétitif... Tip tip tip taaa taaa taaa tip tip tip. Ils se précipitèrent dans l'escalier, direction la cuisine. Ouvrirent la porte-fenêtre, mais Mme Boisrouge avait éteint la lumière extérieure et on ne voyait plus rien. Kim s'avança dans l'obscurité. - Il n'y a rien, c'est sûrement une branche dans le jardin, annonça-t-elle. Elle recula et vlan ! se retrouva assise par terre. "Aïe !" Tom accourut à son secours. - T'as encore vidé la bouteille de Coca, t'es complètement soûle... 23

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- J'ai glissé sur un caillou ! - Un caillou? Tom se baissa pour examiner le sol. - Drôle de caillou ! - Qu'est-ce que c'est ? - Je ne sais pas. On dirait une châtaigne. Et il n'y en a pas qu'une. Regarde, ça fait comme un dessin, c'est bien régulier... Sauf là où tu as marché ! - Allez, les enfants, il faut y aller. Il est déjà tard et vous avez classe demain matin. Kim et Thomas voulurent faire partager leur découverte avant de partir. - Attends, papa, viens voir ! - Non, non, dépêchez-vous, il est déjà onze heures et on n'a même pas eu le temps de dîner avec toutes ces histoire.

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-5Tom se pose des questions Malgré l'heure tardive, Vincent décida de s'arrêter une demi-heure au Pizza Quick qu'ils avaient aperçu en sortant de l'autoroute. - Alors, les enfants, la maison vous plaît ? - C'est génial, tu veux dire ! J'espère juste que l'école sera sympa, répondit Tom. - Eh bien tu verras ça dans huit jours, mon petit bonhomme. On se presse de manger car je tombe de sommeil, annonça Lise en se frottant les yeux rougis par la fatigue. Vincent arrêta le break sur le parking presque vide devant le restaurant. Tous affamés, ils se précipitèrent à l'intérieur. Au fond de la salle accueillante, un feu de bois flambait, et le pizzaiolo s'affairait en sifflotant. Une jeune fille tout habillée de rouge et de vert les installa à une table ronde et leur distribua les menus. - Une orientale, commanda Lise qui adorait les merguez. 25

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- Pour moi, ce sera une fruits de mer, annonça Vincent. Tom et Kim réfléchirent une dizaine de secondes en regardant attentivement la carte - Une Margarita pour Tom et une Forestière pour moi, d'accord ? - Et des Cocas ! - Et des Cocas, bien sûr. - Vous avez droit à des crudités. La serveuse qui se prénommait Claudine comme indiqué sur son badge, leur montra une photo appétissante. Toute la famille affamée se tut pendant un bon quart d'heure. On aurait entendu une mouche voler. Ce fut Lise qui parla la première. - Beurk, il y a du maïs dans la salade, j'ai horreur de ça ! - Tu n'as qu'à me le donner, j'adore ça, dit Vincent. Tom avait déjà presque fini son assiette. - Dites donc, c'est vachement calme, ce coin ! - Tom, arrête de dire " vachement", s'il te plaît. - N'empêche que c'est super calme. - Eh bien tant mieux, répondit Lise. C'est exactement ce qu'il nous faut. De toutes façons, je compte sur vous pour mettre de l'animation. 26

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- Quand je pense qu'il va falloir ranger toutes mes Barbies dans des cartons, ça me rend malade, pleurnicha Kim. J'espère qu'elles ne seront pas abîmées. - Eh bien tu n'as qu'à les emballer toi-même ! fit Lise. Nous n'avons qu'une semaine pour terminer les paquets. Vous m'aiderez, tous les trois ! - Bien sûr, Maman ! - Moi, je m'occupe de mes ordinateurs, de mes affiches et de mes bouquins, c'est déjà énorme, insista Vincent. - Tu ne crois pas que tu vas t'en tirer comme ça ! Lise sourit. Quand les pizzas arrivèrent, toutes fumantes et odorantes, la répartition des tâches était faite. Lise s'occuperait des vêtements et de la vaisselle, les enfants de leurs jouets et de leurs livres, Vincent de tout le reste, avec l'aide de son frère Marc qui ne ratait jamais une occasion de donner un coup de main. Heureusement, les appareils ménagers qui pesaient très lourd resteraient dans l'appartement. Ceux qui les attendaient étaient tout neufs et en parfait état. Décidément, cette maison était une bonne affaire. 27

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Quand ils reprirent la route pour Paris, Kim et Tom étaient épuisés. Ils s'effondrèrent sur la banquette arrière. A moitié endormi, Tom murmura à l'oreille de Kim. - J'espère qu'il n'y aura pas trop de vent cette semaine. - Pourquoi ? - Parce que je voudrais bien que les châtaignes ne bougent pas devant la porte de la cuisine. - Tu es complètement fou, Tom ! - Non, pas du tout. Tu ne les as pas bien vues, toi. Moi, je suis certain qu'elles ne sont pas venues toutes seules. Elles étaient trop bien rangées. - Arrête, tu perds la boule. Kim se retourna, se pelotonna dans le coin du siège... et s'endormit aussitôt.

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-6Le déménagement Samedi matin, huit heures. - Debout, les enfants. Venez vite prendre votre petit déjeuner. Kim ouvrit un ?il, s'étira de tout son long. - Allez, Thomas, réveille-toi, c'est l'heure ! - Gron ! grogna-t-il. - C'est samedi, Tom, on déménage, il faut se lever ! - Laisse-moi, j'ai encore sommeil ! - Ça ne m'étonne pas, laissa échapper Kim entre deux bâillements. Tu n'as pas arrêté de bouger dans tous les sens. Je n'ai pas fermé l'?il de la nuit. Et en plus tu tapais comme un sourd sur le mur ! Tip tip tip taap taap taap tip tip tip... Tu l'as fait au moins cent fois. J'ai bien essayé de te réveiller, mais tu m'as envoyé une gifle. - C'est pas vrai ! - Oh que si ! - Encore ce rêve ! Ça fait trois nuits de suite que je fais le même. Mais là, ça devient grave. Je n'arrive 29

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pas à me rappeler l'histoire, mais uniquement ce bruit : Tip tip tip taaa taaa taaa tip tip tip. - Tu regardes trop les Contes de la Crypte. Allez, debout, paresseux ! Dans l'entrée, des monceaux de cartons soigneusement scotchés étaient entassés. Kim et Tom filèrent à la cuisine où Lise, déjà habillée, finissait de ranger la vaisselle. - Tiens, des corn pops ! Tu ne veux jamais en acheter d'habitude !, fit remarquer Kim. - C'est tout ce qui restait et je n'allais pas retourner faire des courses pour notre dernier jour ici. Kim retourna le carton de céréales et constata que la date était dépassée depuis au moins six mois - Regarde, tu ne vas pas nous faire manger ça, tout de même ! Elle lui tendit l'emballage en insistant sur l'inscription jaunie. - Ah bon ? Pourtant, j'y ai goûté, et j'ai trouvé ça plutôt bon. Vincent entra dans la cuisine. - Allez, on se dépêche ! Marc arrive dans une heure avec le camion de déménagement. Branle-bas de combat. A peine son jus d'orange 30

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avalé, Kim se précipita dans sa chambre pour une dernière vérification. Tom, de son côté, aida son père à descendre les premiers cartons de vêtements dans l'ascenseur. Il avait pour mission de rester en bas, dans l'entrée, à surveiller les affaires en attendant l'arrivée de Marc. Vincent, quant à lui, s'occupait de réserver la place de stationnement devant l'immeuble. Marc arriva une heure en retard. - Quelle idée de déménager un samedi, le jour où tout le monde fait ses courses ! La circulation est infernale. Allez, l'équipe, on charge ! A midi, le camion était plein comme un oeuf, ainsi que le coffre du break. Vincent prit l'ascenseur une dernière fois jusqu'au cinquième étage. Lise était dans l'entrée, le paquet de corn pops à la main. Elle regardait l'appartement complètement vide d'un air hébété. - Alors, Lise, tu crois que c'est le moment de manger des céréales. On y va ! Elle sursauta, comme si Vincent l'avait tirée d'un rêve. - Oui, oui, j'arrive... Cinq minutes plus tard, toute la famille suivait le 31

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gros camion qui contenait tous leurs biens, direction La Hourcade en Brie par l'autoroute de l'est.

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-7Un drôle d'oiseau A peine arrivé, Tom se précipita vers la cuisine sans même prêter attention à son père qui criait dans l'entrée : - Thomas, tu viens nous aider, s'il te plaît, tu joueras quand tout sera rangé ! Il fonça quand même vers la porte-fenêtre, l'ouvrit et regarda sur la terrasse. Ouf ! Les châtaignes étaient toujours là, bien alignées. Il sortit de sa poche le petit carnet et le crayon dont il ne se séparait jamais, chercha une page blanche juste après les codes de triche de Streetfighter, et reproduisit le dessin que formaient les châtaignes sur les dalles de ciment. A peine le carnet avait-il retrouvé le chemin de sa poche, que Vincent surgissait dans la cuisine, visiblement agacé par le silence de son rejeton. - Mais où étais-tu passé ? - Il fallait que je me lave les mains. - Bon, allez, au boulot. 33

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A six heures de l'après-midi, les cinq Vétheuil, harrassés, s'écroulèrent devant la grande cheminée. - Papa, quand est-ce qu'on ira chercher mes étagères ? Mes Barbies ne peuvent pas rester dans les cartons ! - On verra ça demain, Kim. Pour l'instant, on se repose cinq minutes. - Si tu as encore la force de mettre la main dans ta poche, passe-moi donc les clés de la voiture. Il faut que j'aille au supermarché : il n'y a rien à manger ici, annonça Lise en se frottant le dos, endolori à force de porter des paquets. - On peut aller se balader dans le jardin avant la nuit ? demanda Tom. - D'accord, mais ne vous éloignez pas trop : pas plus d'une demi-heure, acquiesça Lise en enfilant sa vieille veste de daim. Tom regarda sa montre : - OK, à tout à l'heure. Tu viens, Kim ? La berge du petit lac était déserte. Kim et Tom s'assirent sur un petit rocher, tout près du bord, au pied du saule pleureur. - Super, il y a des canards ! - Thomas, donne-leur un des Petits-Lu que tu as 34

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mis dans ta poche tout à l'heure. Avant même qu'il ait esquissé un geste, les volatiles s'approchèrent de la berge en cancanant. Dix canards, vingt canards... Des bruns, des colverts, des blancs, des mâles, des femelles, des tout petits jaunes, une nuée de plumes se dirigeait vers eux en jacassant de plus belle. Le bruit était assourdissant. - C'est dingue, il y en a au moins cent , s'écria Thomas. - Quoi ? Qu'est-ce que tu dis, questionna Kim en tendant l'oreille vers son demi-frère. - J'espère qu'ils se taisent pendant la nuit, sinon il va falloir acheter des boules Quiès. Les enfants avaient toujours vécu à Paris. De la campagne, ils ne connaissaient pas grand'chose, sauf quelques week-ends chez les parents de Vincent, près de Fontainebleau. Hypnotisé, Thomas ne pouvait détacher ses yeux des canards qui maintenant couvraient presque toute la surface du lac. - Laisse tomber les canards. Si on allait plutôt explorer le pigeonnier ? Pour une fois, Thomas ne se laissa pas tenter. Et 35

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pourtant, Indiana Jones dans l'âme, il ne ratait jamais l'occasion de s'offrir une nouvelle aventure. - On n'a pas le droit d'y aller tout seuls, tu sais bien. - Oh, allez, on fera attention. De toute façon, ils sont tous tellement occupés qu'ils ne nous verront pas. Juste une minute ! Ils se levèrent et se dirigèrent vers la maison. Tout à coup, Kim poussa un petit cri et trébucha. - Regarde, Tom, un bébé canard ! Il a failli me faire tomber. - Il te prend pour sa mère, ma parole. C'est normal, j'ai toujours dit que tu marchais comme un canard, avec tes cannes de serin ! ricana Tom en regardant la petite boule jaune qui tenait fermement dans son bec le lacet de Kim. - Ce qu'il est mignon ! Kim, subjuguée ne releva même pas l'allusion à sa maigreur. Elle se baissa et caressa doucement le duvet de la bestiole qui la regardait fixement, la tête penchée sur le côté. Il ne semblait pas vouloir la lâcher. Au contraire, il tirait sur le lacet de toutes ses forces. - Mais qu'est-ce qu'il veut ? - A manger, sûrement. Tom sortit des miettes de 36

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biscuit de sa poche et les jeta à l'animal, qui ne prêta aucune attention à son geste, trop occupé qu'il était à tirer sur le lacet de Kim. Il la regardait d'un oeil tellement perçant qu'elle se mit à frissonner. - Tom, fais quelque chose, il m’attire vers le lac. C'est un sadique, ce canard. Kim éclata en sanglots. - Ah non, pas la crise de nerfs ! Tom prit les choses en mains. Il souleva violemment le lacet de sa s?ur et le caneton voltigea au bas de la rive, avant de plonger la tête la première dans l'eau verdâtre. - Tu vois, ça n'était pas plus difficile que ça.

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-8Maman fait les courses Déjà huit heures du soir ! Cette première journée à La Hourcade avait été épuisante. Tous les cartons n'avaient pas encore été déballés, et Lise avait fait ses courses au supermarché du coin. Tom et Kim n'avaient eu que le temps de galoper jusqu'au premier étage pour nettoyer leurs chaussures pleines de boue avant de redescendre pour se mettre à table. Comme à son habitude, Kim fila à la cuisine pour aider sa mère à préparer le repas. - Qu'est-ce qu'on mange, maman ? - Je suis trop fatiguée pour faire la cuisine. On va faire une grande salade, d'accord ? - OK. Je fais une sauce, alors ? - Oui, tu seras gentille. Kim attrapa un bol dans le placard au-dessus de l'évier, une fourchette dans le tiroir, l'huile, la moutarde et le citron et se mit en devoir de confectionner sa grande spécialité : la sauce salade au citron. Affairée à la table, elle entendit derrière 38

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elle sa mère qui fouillait dans les placards. Puis, ce fut le bruit de l'ouvre-boîtes électrique qui fonctionna trois fois de suite. - Laisse-moi deviner... Tu mets du thon et des champignons ? fit Kim - Tout faux ! - Des c?urs de palmier, des asperges ? - Non plus ! Ne cherche pas, c'est une surprise. Kim donna un dernier tour de fourchette et se retourna vers sa mère qui, penchée au-dessus de l'évier, rinçait dans une grande passoire les ingrédients de la salade et les recouvrait d'un torchon propre. - Zut, je n'ai pas ouvert le carton des saladiers ! Il faut que je descende à la cave. Attention Kim, interdiction de soulever le torchon ! avertit Lise en se dirigeant vers l'escalier. Kim avait deux péchés mignons : la curiosité et la gourmandise. Elle n'osa pas soulever le torchon, mais après tout, sa mère ne lui avait pas interdit de regarder dans les placards ! Lise avait à peine le dos tourné que Kim filait vers la première porte des éléments de cuisine, qu'elle ouvrit toute grande. Elle leva la tête, puis se frotta les yeux pour être 39

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bien sûre qu'elle ne rêvait pas. Car devant elle, sur les trois étagères, on ne voyait que des boîtes de maïs. Incrédule, elle attrapa un tabouret et grimpa dessus pour voir ce qu'il y avait derrière. Encore du maïs. Des boîtes grand format, bien alignées les unes à côté des autres, sur trois rangées. Elle fit un rapide calcul mental. Trois étagères, trois rangées sur chaque étagère, quatre boîtes par rangée... Ça faisait quand même... trente-six boîtes de maïs. Bizarre, pour quelqu'un qui la veille au soir encore, faisait la dégoûtée devant le moindre grain jaune ! Kim ouvrit le deuxième placard et faillit tomber à la renverse : au moins vingt boîtes de corn pops ! Jamais on n'avait vu ça chez les Vétheuil. De plus en plus troublée, Kim ouvrit vivement le dernier placard, le plus grand. Là, à gauche, elle vit une dizaine de paquets de blé précuit ! Et à droite, de petites boîtes de lentilles, et puis une drôle de chose baptisée pili-pili, et des graines de soja ! Pas un paquet de spaghetti, pas une boîte de sauce tomate, pas le moindre haricot vert ! Pas de biscuits au chocolat non plus, ni de biscottes. Kim était là, perchée sur son tabouret, bouche bée devant tous les placards ouverts, quand Lise entra, 40

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son grand saladier jaune à la main. - Alors Kim, tu joues à quoi ? Elle est faite, cette sauce ? - Mmmmais Mmmmaman, c'est toi qui as acheté tout ça ? - Bien sûr, qui veux-tu que ce soit ? - Mais tout ce maïs... D'habitude on n'en mange jamais ! - Eh bien ça va changer ! C'est très bon pour la santé. En fait, ce sont des réserves, j'aurais dû ranger tout ça à la cave mais je n'ai pas eu le temps. Allez, donne-moi ta sauce, la salade est prête. Encore à moitié sonnée par sa découverte, Kim sauta à terre, tendit le bol à sa mère et fila vers la salle à manger, où Vincent, Marc et Tom étaient déjà attablés. Elle s'assit près de Tom, se pencha vers lui et lui chuchota à l'oreille : - Vas voir dans les placards de la cuisine. - Qu'est-ce que tu veux que j'aille faire dans la cuisine ? C'est la pièce des filles, répondit Tom tout fort. Il faut dire qu'il était dans sa période macho et refusait toute tâche qui lui semblait indigne de sa condition de garçon. Kim reprit : 41

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- Tais-toi, stupide ! Vas voir, tu vas comprendre. A ce moment précis, Lise entra et déposa au milieu de la table son grand saladier. Marc s'écria : - Oh ! une salade ronde, comme je les aime ! Kim et Tom regardèrent le plat, puis se tournèrent l'un vers l'autre, interloqués. L'oncle Marc faisait toujours de drôles de réflexions, mais cette fois, il avait raison. Car dans le saladier, il n'y avait que des choses rondes : du maïs à profusion, des lentilles, des graines de soja sans leur queue, quelques petits pois pour faire joli, et des grains de pili-pili. Kim se tourna vers son frère et lui murmura : - Tu as compris maintenant ? - Compris quoi ? Kim haussa les épaules en maudissant la lourdeur d'esprit de son frère. Puis elle regarda son père. Sûrement, il allait dire quelque chose. Jamais Lise n'avait fait ce genre de salade auparavant. Eh bien non ! Il se servit copieusement, l'oeil brillant, et se mit à dévorer comme un ogre : - Hmmm ! Lise, ta salade est formidable. C'est exactement ce dont j'avais envie. Kim regarda Marc. Il mangeait aussi, mais plus 42

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calmement, et dit : - C'est Kim qui a fait la sauce, je parie. Elle est délicieuse. La petite fille, flattée, consentit enfin à goûter la salade. Finalement, ça n'était pas mauvais, ce petit mélange ! Et effectivement, elle avait parfaitement réussi sa sauce salade au citron. Le gros gâteau de semoule qui faisait office de dessert acheva de la mettre de bonne humeur, et elle n'en laissa pas un grain.

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-9Kim est inquiète Dimanche matin, grasse matinée ! Il était près de onze heures quand Tom s'éveilla en sueur. Il ouvrit un oeil, puis deux, se dressa sur un coude et murmura " Mais où je suis ? ". Et d'un seul coup, les événements de la veille lui revinrent : le déménagement, sa nouvelle chambre, sa nouvelle ville. Ça lui fit tout drôle de se retrouver tout seul au réveil, et de ne pas pouvoir taquiner Kim qui dormait dans la chambre en face. Mais attention, pas question de le dire tout haut ! Officiellement, Tom était très content d'être tranquille et fier d'avoir sa chambre à lui. Par la fenêtre sans rideaux, à travers les fentes des persiennes, une vive lumière dessinait des raies régulières sur le parquet. Tom se sentait tout drôle, aussi épuisé qu'après un cours de gym. Son lit était en bataille, sa couverture était allée valser au pied du matelas. Petit à petit, il se rappela les images de la nuit, et surtout les sons. Il avait encore fait le même rêve. 44

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Ça commençait à l'agacer drôlement, ces petits bruits " tap tap tap tiiiip tiiiip tiiiip tap tap tap ". Ça n'a aucun sens, c'est complètement absurde, se ditil, en s'asseyant sur le bord de son lit et en glissant ses pieds nus dans ses pantoufles ornées d'un très beau Bugs Bunny avec carotte. Dans la pièce d'en face, Kim était déjà debout. Elle avait enfilé son kimono rouge à dragon doré, ses mules noires brodées et se préparait à descendre à la cuisine car elle mourait de faim. Elle avait dormi comme une souche : une journée de déménagement, ça vous tue une petite fille ! Mais ce matin, elle était en pleine forme, et son estomac criait famine. Elle sortit de sa chambre comme une tornade et se retrouva nez à nez avec Tom qui se frottait les yeux. - Salut, t'as bien dormi ? - M'en parle pas. J'ai encore fait ce rêve. - Heureusement que j'ai ma chambre maintenant, sinon je n'aurais pas fermé l'oeil de la nuit. - Sale égoïste ! Tous deux dégringolèrent l'escalier et foncèrent vers la cuisine. Personne à l'horizon ! Ils firent le tour du rez-de-chaussée : personne non plus dans le 45

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salon, ni dans la salle à manger. - Ils doivent être à la cave en train de déballer les cartons. Tom fila vers l'escalier qui descendait, se percha sur la première marche et appela : -Maman, Papa ? Rien. Un grand silence. - Ils doivent être allés faire des courses, supposa Tom. - Mais non, Maman y est allée hier. - Et il n'y a personne dans la salle de bains non plus - Eh bien on va se débrouiller tout seuls ! Et Kim retourna à la cuisine pour faire chauffer de l'eau. Elle sortit du placard à vaisselle leurs deux tasses rouge et bleue et ouvrit la porte du réfrigérateur. - Mince, elle a oublié le jus d'orange ! Et aussi mes barres de chocolat, râla-t-elle. - Peut-être qu'il y a des oranges dans la corbeille ? - Non, il n'y a pas un seul fruit. Tu te rappelles ce que je t'ai dit hier ? - Non, quoi ? - Vas-y, regarde dans les placards. Pendant que Tom ouvrait les portes des éléments de cuisine, Kim sortait dans le jardin. 46

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- Il fait un temps magnifique aujourd'hui. Regardemoi ce soleil ! Quand elle rentra dans la pièce, Tom était perché sur le tabouret et regardait sur les étagères du fond. - T'as raison. Y a un truc ! - C'est complètement dingue, tu veux dire. - Mais tu as demandé à Maman pourquoi elle avait acheté tout ça ? - Oui, elle m'a répondu que c'était des réserves, qu'elle n'avait pas eu le temps de les descendre à la cave. - Mais attends : elle n'achète rien de tout ça d'habitude. - Il paraît que c'est bon pour la santé. - Bon, cherchons pas à comprendre. Tu veux des corn pops ? - De toute façon, il n'y a pas le choix ! Ils s'attablèrent devant leurs deux grands bols de corn pops et leurs deux tasses de lait chaud, qu'ils eurent tôt fait de vider. Kim commençait à ranger les bols dans le lave-vaisselle quand la porte d'entrée s'ouvrit. Vincent et Lise, tous deux vêtus de K-Way, de bottes en caoutchouc et de chapeaux 47

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imperméables, étaient de retour. - Ah ! Vous êtes levés, dit Lise. On est allés explorer le coin. - Vous voyez, on s'est débrouillés tout seuls, dit fièrement Tom. - Il fait un temps magnifique. Pourquoi vous avez mis des impers ? s'étonna Kim. - Quand on est sortis ce matin, il y avait des nuages. On n'est jamais trop prudent ! fit Vincent. Allez, à la douche ! - On peut prendre chacun une salle de bains ? - Oui, bien sûr, c'est fait pour ça ! Kim et Tom remontèrent l'escalier. Arrivés sur le papier, Kim se retourna et dit à Tom : - Tu as vu leurs affaires ? Elles sont trempées. Pourtant, quand je suis sortie sur la terrasse, tout était sec : le sol, l'herbe, les arbres, tout... - Non, j'ai pas fait attention. Ils ont dû aller dans les bois. - Oui, peut-être. Ils auraient pu nous attendre quand même. Bon, je vais m'habiller.

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-10La visite du pigeonnier Vingt minutes plus tard, Tom et Kim étaient en bas, prêts à commencer une nouvelle journée. - Vous avez faim, les enfants ? s'enquit Lise. - Non, pas trop, répondit Tom. On a déjeuné à onze heures ! - D'accord. On fera un grand goûter vers trois heures, ça vous va ? - Super ! On va avoir le temps d'explorer nous aussi. Au fait, pourquoi vous ne nous avez pas attendus pour aller dans le bois ? - Dans le bois ? Nous n'y sommes pas allés, pourquoi ? - Ah, je croyais. Kim, on joue aux espions ? - Bonne idée ! Je vais chercher les talkie walkies. Kim remonta l'escalier quatre à quatre et en redescendit avec un boîtier dans chaque main. - On va vraiment s'amuser ! fit-elle. Dans l'appartement, ce n'était pas drôle, on s'entendait parler à travers les murs. Tandis que là, 49

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ça fera plus vrai. - Bon alors comment on fait ? Kim et Tom réfléchirent un instant puis mirent au point un plan d'attaque. - Les ennemis se cachent dans le pigeonnier. Tu t'approches par la droite, moi par la gauche, et on essaie de les coincer. Tu me dis tout ce que tu vois, OK ? - OK, on y va. Ils sortirent de la maison par la cuisine. Comme prévu, Kim se dirigea à gauche, le long de la haie de thuyas, tandis que Tom, à droite, rejoignait les rosiers qui grimpaient le long de la clôture. Kim attendit d'être à vingt mètres de la maison, puis appuya sur le bouton de son talkie walkie et parla dans le micro : - Ici agent 008, tu m'entends, agent 009 ? - Cinq sur cinq. Rien à signaler. - Limace orange dégoûtante juste devant moi ! - Attention, c'est peut-être un micro déguisé ! Droit devant, petit escargot gris sur feuille de rosier ! - Avance doucement, comme si de rien n'était ! Et parle plus bas ! - Pigeonnier en vue ! fit Tom. 50

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- Moi aussi, répondit Kim. - Je commence l'approche. - OK, silence radio ! Effectivement, Kim était arrivée à l'entrée du pigeonnier. Tout doucement, elle poussa la porte qui se mit à grincer. Elle l'ouvrit juste assez pour pouvoir s'introduire dans le bâtiment. " Il fait noir là-dedans. J'aurais dû emporter ma torche", se ditelle. Pas trop rassurée, elle commença à s'avancer dans la pénombre. Elle avait du mal à s'habituer à l'obscurité. Le sol de terre battue collait aux pieds, comme s'il était humide. Au fond de la pièce, Kim distingua une échelle appuyée au mur et décida de s'y diriger. Petit pas par petit pas, les bras étendus devant elle, elle avança. Tout doucement, elle arriva jusqu'au milieu de la pièce ronde. Transpirant à grosses gouttes, elle tendit l'oreille. Pas un bruit ... " Et Tom, qu'est-ce qu'il fabrique ? " Maintenant que ses yeux s'étaient accoutumés à la pénombre, elle percevait mieux son environnement. Les murs du pigeonnier étaient percés, à intervalles réguliers, de petits trous dans la pierre. L'échelle menait à un trou plus grand, à environ deux mètres du sol, d'où provenait un rai 51

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lumineux. Elle avança, accrocha son talkie walkie à sa ceinture, mit les deux mains sur les montants et posa prudemment un pied sur le premier barreau. Il semblait solide. Elle s'enhardit et grimpa trois échelons. Soudain, la porte se referma bruyamment. Plus aucune lumière dans le pigeonnier, à part ce petit rayon lumineux qui provenait du trou au-dessus d'elle. Kim hésita : " Je redescends ou je continue ? Allez, à la guerre comme à la guerre, je continue ! " Trois autres barreaux ... Elle arriva en haut, face à la grande cavité. Tout doucement, elle y plongea le bras. C'est alors que, frôlant sa main, elle sentit quelque chose de duveteux passer à côté d'elle avec un courant d'air. Dans sa frayeur, elle se redressa sur ses pieds et fit tomber l'échelle. Heureusement, elle eut le réflexe de s'accrocher à une aspérité, et se retrouva suspendue par un bras, les jambes ballantes. Elle se mit à hurler : "Tom, au secours, Tom ! Tom ! Tom !". Elle n'osait pas bouger de crainte de lâcher prise. Elle cria encore plus fort. rien ! Et en plus, le talkie walkie était inaccessible sans risquer de lâcher prise. Sa main s'accrochait désespérément à la pierre providentielle, mais elle 52

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ne tiendrait pas longtemps... A l'extérieur, Tom était tombé en arrêt devant un nid de fourmis volantes, au pied du rosier. Accroupi, le nez à terre, il observait les allées et venues des petites bêtes noires. Les unes transportaient des brindilles plus grosses qu'elles, les autres tiraient une de leurs camarades morte ou blessée, et toutes convergeaient vers un petit monticule de terre. Tom se laissa aller à imaginer l'univers microscopique qui se cachait là-dessous. Soudain, il sentit quelque chose tirer le bas de son pantalon. "Encore toi ! Ma parole, tu nous suis ! ". Le caneton qui avait saisi dans son bec le bord de son vêtement le tirait avec plus d'insistance. " Lâche-moi donc, qu'est-ce que tu veux ? Je n'ai même pas une miette de pain à te donner. " La bestiole ne voulait rien savoir et tirait de plus belle. Tom soupira, saisit le caneton et le força à ouvrir le bec pour le faire lâcher prise. Ce dernier ne s'avoua pas vaincu et se mit à couiner de toutes ses forces en fixant Tom des yeux. Sans détourner sa petite jaune, il recula en dodelinant en direction du pigeonnier, redoublant de cris. Tom, intrigué, le regarda incrédule : " C'est pas vrai, maintenant je 53

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rêve tout éveillé. On dirait qu'il veut m'attirer vers le pigeonnier ". Tout à coup, le canard se tut et partit à toute vitesse en direction de la porte du pigeonnier. Tom, fasciné, le suivit jusqu'aux abords de la tour. C'est alors qu'il entendit les cris assourdis : " Tom, Tom, au secours ! Je vais tomber ! ". Il se précipita, poussa la porte qui résista un peu avant de s'ouvrir dans un grincement sourd. - Mais c'est pas possible, qu'est-ce que tu fabriques là-haut ? Kim cligna des yeux, aveuglée par la lumière qui s'engouffrait dans le bâtiment : - Imbécile, tu vois bien que l'échelle est tombée. Dépêche-toi, je vais lâcher, vite !... Tom se précipita pour porter secours à sa soeur, qui était à deux doigts de lâcher prise. - Allez, mets ton pied gauche sur le barreau ! Bien ! Maintenant, attrape le montant avec ta main gauche et tiens bon ! Lâche la main droite, tu peux y aller ! Je tiens l'échelle en bas. - Non, si je lâche je tombe ! - Ne fais pas l'idiote, allez, lâche, ton pied est sur le barreau, tu ne risques rien. - J'ai peur, sanglota Kim. 54

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- C'est pas le moment de couiner Kim, allez, vas-y. La petite fille ferma les yeux et lâcha prise. Son coeur fit un bond dans sa poitrine au moment où sa main droite cherchait le montant de l'échelle. Elle se retrouva perchée sur le troisième barreau, les deux mains tremblantes accrochées aux deux montants. - Je ne tiens plus sur mes jambes, je vais tomber, Tom ! - Non, tu fermes les yeux et tu respires un grand coup ! - OK, j'y vais. - Ca va ? - Ouuui... je crois. - Alors commence à descendre, doucement, sans regarder en bas ! Il n'y a que six barreaux, c'est facile, tu vas y arriver. Lentement, très lentement, Kim descendait. Un barreau, puis deux, puis trois... Enfin, elle mit un pied à terre... et éclata en sanglots. Tom la prit dans ses bras pour la rassurer : - Allez, c'est fini. Mais qu'est-ce qui t'a pris de grimper là-haut ? Kim lui raconta l'incident. 55

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- Tout à coup, j'ai senti quelque chose qui passait à côté de moi, comme une boule de plumes. J'ai eu tellement peur que j'ai fait tomber l'échelle. Qu'estce que ça pouvait bien être ? - A mon avis, tu as dérangé un volatile quelconque qui s'est envolé. En tout cas, tu peux dire merci à ton petit canard chéri : c'est lui qui est venu me chercher. Sans lui, je ne t'aurais pas entendue et tu te serais écrasée comme une crêpe ! - Tu crois ? Mais un canard, ça n'est pas comme un chien, ce n'est pas capable d'intelligence ? - A mon avis, ce canard-là n'est pas comme les autres. Tu aurais dû voir comment il est venu m'avertir. C'est incroyable ! - Il faudrait peut-être en parler à Papa et Maman. - Sûrement pas. Tu as oublié qu'on n'a pas le droit d'aller au pigeonnier. En plus, ils ne nous croiraient pas, tu sais bien ! Et puis après tout on s'en est sortis tout seuls, pas vrai ! Kim sécha ses larmes : " T'as raison. On n'est pas mauvais, quand même! N'empêche, je trouve que depuis qu'on est ici, il se passe des drôles de trucs !" - Ça, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais 56

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n'oublies pas que nous sommes les meilleurs agents secrets du monde ! On les aura!" Ils rentrèrent à la maison, où les attendait un goûter phénoménal : galettes de maïs, crêpes de sarrasin et gâteau de riz au caramel, s'il vous plaît.

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-11Le cadeau du bibliothécaire - Vincent, tu es impossible. Je croyais que tu avais fait le tri dans tes vieux bouquins ! râlait Lise. Regarde, il y en a encore six cartons pleins. Où vat-on mettre tout ça ? - Ne t 'énerve pas. Ce sont les cartons que j'avais préparés pour la bibliothèque municipale. - Bonne idée. Je vais t'aider à les mettre dans la voiture ? - Téléphone avant tout de même, pour être sûr que c'est ouvert. Quand Vincent revint dans le salon, Kim avait fini son petit déjeuner et était déjà toute habillée, prête pour une nouvelle journée. - Bon, j'ai appelé : c'est ouvert aujourd'hui et demain à partir de onze heures, annonça Vincent. Tu viens avec moi, Kim ? - Où ça ? - À la bibliothèque, en ville. Je vais leur donner mes vieux bouquins. 58

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- D'accord. Je pourrai regarder les livres ? - Bien sûr ! Une bibliothèque, c'est fait pour ça. Vincent, Kim et Lise transportèrent les cartons dans le coffre de la voiture. Le père et la fille se mirent en route. - Il paraît que c'est juste dans une impasse, à côté de la mairie, dit Vincent. Regarde bien Kim, dismoi si tu la vois. Ils tournèrent devant l'église et se retrouvèrent sur une petite place, devant la mairie. Le long du bâtiment, ils prirent une ruelle bordée d'arbres, avec à l'entrée un panneau indiquant" Voie sans issue ". - Je ne vois rien, dit Kim. - Tu sais, ce n'est pas un grand bâtiment comme à Paris, lui répondit Vincent. Ici, la bibliothèque est installée dans un petit pavillon blanc, d'après ce que m'a dit le bibliothécaire au téléphone. Regarde, c'est sûrement là. Ils s'arrêtèrent devant une maison aux murs crépis de frais. Près du portail noir, un panneau indiquait "Bibliothèque municipale". - Heureusement que c'est marqué ! dit Vincent. 59

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Regarde, il y a quelqu'un dans la cour. Effectivement, un homme grand, maigre et voûté sortait du bâtiment principal. A l'étage, quelqu'un regardait par la fenêtre entrouverte. Ils poussèrent le portail et l'homme vint vers eux. - Vous êtes certainement Monsieur Vétheuil ? C'est vous qui avez téléphoné tout à l'heure ? questionnat-il. - Oui, c'est bien moi. Et voici ma fille Kim. M. Guillevic, je suppose. Nous sommes vos nouveaux voisins. - Ah oui, la maison au pigeonnier ! répondit le bibliothécaire. Il les regarda tous deux d'un air inquisiteur, la bouche cachée derrière une épaisse barbe rousse. Son vieux costume verdâtre élimé avait connu des jours meilleurs. Quant à ses chaussures de cuir de couleur indéfinissable, on les aurait volontiers mises à la poubelle ! Vincent fit demi-tour en direction de la voiture : - Je vais chercher les livres. Tu viens m'aider, Kim ? Ils durent faire deux voyages car M. Guillevic ne s'était pas donné la peine de les aider. Il était rentré directement dans la maison, où ils le trouvèrent 60

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assis devant un antique bureau de bois qui faisait face à la porte d'entrée, le nez plongé dans un registre. La bibliothèque occupait apparemment tout le rez-de-chaussée de l'habitation. Des rayonnages parallèles, dressés du sol jusqu'au plafond, abritaient une quantité de livres impressionnante pour une si petite ville. Sur les étagères étaient soigneusement collées des étiquettes indiquant les thèmes. En regardant ses visiteurs par en dessous, M. Guillevic se contenta de grommeler : - Posez tout ça là, je m'en occuperai plus tard. Vincent, un peu vexé par cet accueil peu aimable, s'avança : - Vous n'avez pas de rayon d'architecture, je suppose ? Le bibliothécaire releva aussitôt la tête, repoussa ses lunettes sur son front ridé et, haussant les sourcils, répliqua d'un air outragé : - Détrompez-vous, cher monsieur ! M. Guillevic se leva pour guider Vincent jusqu'à un rayonnage situé juste derrière son bureau. Le marquis de Sarcelles a légué à la bibliothèque toute sa collection de livres d'architecture. Je vous 61

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recommande le plus grand soin : ce sont des pièces rares et elles ne sont consultables que sur place. Alléché, Vincent suivit le bibliothécaire jusqu'au rayonnage. Effectivement, il y avait là des merveilles du XIXe et du début du XXe siècle. Une vitrine fermée à clé renfermait les volumes les plus précieux et les plus anciens. - Puis-je voir ces livres ? demanda-t-il à M. Guillevic. - Ah, pour ceux-là, en principe, il faut une autorisation. Mais entre voisins... Il sortit de sa poche une petite clé, et, l'oeil brillant, ouvrit la vitrine. Mais attention, je vous surveille ! conclut-il en esquissant un sourire pincé. Kim commençait à s'agiter dans son coin. Si son père mettait le nez dans des livres d'architecture, il y en aurait pour des heures ! Elle se rappela à son bon souvenir : - Papa, je peux regarder les BD ? Ce fut le bibliothécaire qui répondit d'un ton indigné : - Ici, il n'y a pas de BD ! Mais il y a beaucoup de livres pour enfants là-bas, dit-il en étendant le bras en direction des derniers rayonnages, à l'autre 62

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extrémité de la bibliothèque. Voulez-vous prendre une carte ? - Papa, on prend une carte ? Vincent acquiesça d'un air distrait. Kim se dirigea vers le secteur " Jeunesse ". Elle commença à explorer l'étagère, mais malheureusement il n'y avait aucun volume de sa collection préférée, " Morts de trouille ". - Rien que des vieux machins, c'est pas possible, grogna-t-elle tout bas. C'est normal, même le bibliothécaire est un vieux machin. Elle feuilleta un ou deux volumes de la bibliothèque verte, qu'elle reposa aussitôt. Pas assez d'action, là-dedans. Enfin, elle tomba sur un livre de Roald Dahl, un auteur qu'elle ne connaissait pas encore. Il s'agissait d'une histoire de sorcières... Et elle se mit à lire. - Tssst, tsssst... Kim sursauta et le livre qu'elle tenait entre les mains se referma d'un coup sec. Elle se retourna et ne put retenir un petit cri. Un peu au-dessus de sa tête, entre deux rangées de livres, une tête grimaçante émergeait d'une broussaille rousse. - Alors, tu as trouvé ton bonheur ? demanda M. 63

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Guillevic - Oui, oui, je vais prendre celui-là ! - Ah, tu aimes les histoires de sorcières, je vois. Viens par ici, je crois que j'ai quelque chose qui va t'intéresser. Kim n'en menait pas large. Elle se raisonna néanmoins, car elle savait que son père n'était pas loin. M. Guillevic était accroupi par terre, face au rayon " Sciences occultes ". - Ce livre devrait te plaire. Il raconte l'histoire d'un sorcier qui habitait La Hourcade au XVIIIe siècle. Tu verras, c'est très intéressant. Tiens, prends-le, mais inutile d'en parler à ton papa. Les grandes personnes n'aiment pas beaucoup ces histoires-là, ricana le bibliothécaire en tendant à Kim un petit livre tout poussiéreux à couverture de cuir rouge. - Non, non, ça ne m'intéresse pas, je vous remercie ! j'ai ce qu'il me faut, répliqua Kim en reculant. - Si, si, je t'assure, c'est passionnant, insista-t-il. C'est autre chose que ces bouquins américains ! Au moins, ce sont des histoires vraies. Tiens, prendsle. Kim n'osa pas refuser. Elle mit le petit volume dans 64

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sa poche et fourra sous son bras le livre de Roald Dahl, puis se dirigea vers le bureau où le bibliothécaire lui remplit sa carte d'inscription. - Papa, on y va ? Maman va nous attendre pour le déjeuner ! Kim n'avait qu'une hâte : se retrouver à l'air libre. - Oui, oui, j'arrive... Vincent se tourna vers M. Guillevic et lui dit : Je reviendrai cet après-midi. - Vous serez toujours le bienvenu... vous et votre fille, bien entendu !

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-12Le marquis d'Anaxagore - Kim, tu viens ?, glapit Tom. - Tu vois bien que je suis en train de lire. Laissemoi tranquille ! - Tu liras ce soir. Regarde, il fait un temps superbe. Tu as déjà passé la matinée enfermée dans cette maudite bibliothèque. Allez, on sort. - Non ! A ce moment de la discussion, Lise entra dans la chambre. - Kim, si tu ne sors pas, ce serait gentil de m'aider à ranger le linge ! - Maman, justement, j'allais faire un tour avec Tom. - Comme par hasard ! Kim ferma à regret son livre et rejoignit Tom qui, mort de rire, la guettait en bas de l'escalier. - Alors, on a changé d'avis ?, ricana-t-il. - Oh, ça va, ça va... J'aime encore mieux sortir que de me taper le rangement. C'est pas juste. Maman me demande ça à moi parce que je suis une fille. 66

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- C'est la vie, ma vieille ! - Pas d'accord, rétorqua Kim. - Bon alors, qu'est-ce qu'on fait ? - Ah, parce que tu n'as même pas d'idée ! Bravo ! - Et si on retournait au pigeonnier ? - Certainement pas, après l'histoire d'hier, je n'y remettrai jamais les pieds. A ce moment, la sonnerie de la porte d'entrée retentit. - Les enfants, allez ouvrir, je suis occupée ! cria Lise. Une petite camionnette bleue était garée devant la porte, et un livreur en jeans attendait. Tom vint audevant de lui. - Bonjour Monsieur, c'est pour quoi ? - C'est la supérette. Je livre votre commande. Mais je dois faire signer le bon de livraison. - Attendez, je vais chercher ma mère. Kim les rejoignit : - Mais non Tom, c'est pas la peine de la déranger. On va signer, puisque c'est payé de toute façon. - Bon, d'accord. Fier comme Artaban, il écrivit son nom et son prénom en bas du bon de livraison et ouvrit la porte 67

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au livreur qui avait chargé sur son diable trois gros cartons. - Dis donc, fit Kim à l'oreille de son frère, il va y avoir la guerre ou quoi ? Maman a déjà fait des courses gigantesques il y a deux jours ! - Où est-ce que je mets tout ça ? demanda le livreur. - Vous n'avez qu'à les poser dans l'entrée, merci. Le livreur parti, Kim reprit : - Tiens, on va faire une surprise à maman et lui ranger ses provisions. - Eh ben, ça alors, qu'est-ce qui t'arrive, t'es malade ? s'inquiéta Tom. Kim haussa les épaules : - Un déménagement, c'est beaucoup de boulot. Maman est crevée. Et puis je regrette de ne pas l'avoir aidée tout à l'heure. Allez, si on s'y met à deux, ça ira vite. - OK pour la BA. Tom fila à la cuisine chercher un couteau pour couper l'adhésif qui fermait les cartons. Il ouvrit le premier et sortit un paquet de semoule de blé dur. Kim le regarda avec surprise : - On n'achète jamais ça d'habitude. Je me demande 68

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à quoi ça sert. Fais voir ce qu'il y a en-dessous ! A ce moment, Lise descendit l'escalier : - Ah, les provisions ! Ça n'est pas trop tôt. Mais qu'est-ce que vous faites, tous les deux ? - Laisse, maman, dit Kim. On va tout ranger. - Mêlez-vous donc de vos affaires ! Allez plutôt vous balader, il fait beau dehors. Kim et Tom ne se le firent pas dire deux fois. La petite fille, songeuse, remarqua quand même : - Tu as vu comme elle nous a parlé ! C'est bien la dernière fois que je lui propose de l'aide. Quand je pense qu'à Paris, c'était toujours moi qui rangeais les provisions ! - Tu l'as dit toi-même tout à l'heure : elle doit être énervée par le déménagement, il ne faut pas faire attention. - Oui, tu as sûrement raison. Au fait, on n'a toujours pas décidé de ce qu'on allait faire ! - Vu l'heure qu'il est, je te propose une ballade jusqu'au centre ville. Comme ça on pourra acheter les journaux. - D'accord. Vingt minutes plus tard, Kim et Tom sortaient de la Maison de la Presse, le magazine préféré de Tom 69

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sous le bras. Hélas, celui de Kim n'était pas encore sorti. - Dis donc, je commence à avoir un petit creux, fit Tom en se frottant le ventre. - Oui, moi aussi. C'est normal, il est cinq heures et on n'a même pas goûté. Allez, on rentre vite fait. En plus, maintenant que tu as ton journal, tu vas peut-être me laisser lire tranquille ! Ils pressèrent le pas, songeant à l'avance au goûter qu'ils allaient se préparer. - Maman ! On peut goûter ? demanda Tom. - Oui, bien sûr. Sortez les bols, je fais chauffer le lait, dit Lise. - On pourrait pas avoir des biscuits au chocolat, pour changer ? - Non, non. De toute façon, je n'en ai pas acheté. Et puis je vous ai déjà expliqué que j'avais décidé de ne plus manger de saletés. Uniquement du naturel ! Allez, sortez les bols et les céréales, plus vite que ça ! Kim soupira. Elle rêvait de chocolat ! - Si j'avais su, je me serais acheté un pain au chocolat à la boulangerie, murmura-t-elle à l'oreille de son frère. 70

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- Oui, moi aussi. Mais j'ai vraiment trop faim... Comme pour confirmer, l'estomac de Tom émit un " groink " sonore, ce qui le fit éclater de rire. Ils avalèrent leurs céréales en deux temps trois mouvements et grimpèrent quatre à quatre l'escalier. Kim se précipita dans sa chambre, où l'attendait son histoire de sorcières, et s'offrit une bonne heure de frissons et de rigolade. Quant à Tom, il dévora entièrement son Super Mickey et s'attaquait au cahier de jeux quand Kim fit irruption dans sa chambre : - J'ai fini mon bouquin, c'était génial. - Déjà ! Il ne devait pas être bien gros ! Si tu pouvais me laisser tranquille maintenant, je fais un jeu super-difficile. - Tu veux que je t'aide ? - Sûrement pas. Tu vois comment tu es. Tu as fini ton bouquin, alors maintenant que tu ne sais plus quoi faire, tu viens me casser les pieds ! Débrouille-toi toute seule ! Furieuse, Kim claqua la porte et se jeta sur son lit en boudant. Il y avait encore un grand moment à occuper avant l'heure du dîner, et elle regrettait d'avoir lu si vite. C'est alors qu'elle se rappela le 71

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petit livre rouge que lui avait conseillé le bibliothécaire. C'était un vieux bouquin, sûrement très ennuyeux, mais enfin, c'était mieux que rien. Elle fouilla dans la poche de sa veste et en sortit l'ouvrage poussiéreux. Sur sa couverture était imprimé en lettres d'or : " La Hourcade et ses mystères - Récit véritable d'une histoire effroyable ". La première page de gauche était ornée d'une gravure ancienne représentant un homme à la mine inquiétante, vêtu d'un costume étrange. Il se faufilait entre deux arbres, au bord d'un lac entouré de grenouilles et de canards. Le récit commençait par une très longue description un peu ennuyeuse du village de La Hourcade et de ses habitants au XVIIIe siècle. Kim s'empressa de sauter les premières pages. " Ce genre de bouquin, ça intéresserait plutôt Papa ! ", se dit-elle. Un peu plus loin, cela devenait plus intéressant. L'auteur s'intéressait de près à l'un des notables du village, le Marquis d'Anaxagore, un riche aristocrate cruel qui faisait la pluie et le beau temps dans le pays. Il avait deux filles jeunes et belles qu'il traitait comme des servantes, et qu'il enfermait volontiers dans les caves du château quand il 72

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jugeait qu'elles n'avaient pas été assez dociles. Ces deux jolies demoiselles avaient bien sûr des prétendants : le Comte de La Rochelle et le Duc de Poitou, qui venaient faire leur cour au château d'Anaxagore, en lisière de la forêt de La Hourcade. Depuis plus de trois ans déjà, ces deux jeunes gens se déplaçaient régulièrement tous les mardi aprèsmidi, et, pour résumer, ils commençaient à en avoir assez car les choses n'avançaient pas. Ils voulaient épouser les deux demoiselles, mais hélas, à chaque fois qu'ils s'apprêtaient à demander leur main au Marquis d'Anaxagore, celui-ci, comme par hasard, ne pouvait pas les recevoir ou bien était en voyage. En plus, les deux jeunes gens voyaient bien que leurs bien-aimées étaient malheureuses et qu'elles avaient très peur de leur père. Ils décidèrent ensemble de surprendre le Marquis en venant non pas le mardi suivant, mais le lundi, sans se faire annoncer. Aussitôt dit, aussitôt fait : le lundi suivant, ils partirent ensemble pour le château d'Anaxagore. Le soir, leur famille s'étonna de ne pas les voir revenir et les envoya chercher. Peine perdue : le Marquis d'Anaxagore affirma qu'il ne les avait point vus. Quant aux jeunes filles, 73

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impossible de leur parler : elles étaient souffrantes. Le lendemain, toujours pas de nouvelles. La semaine qui suivit, on envoya des hommes sillonner la campagne environnante, en vain. Kim en était là de sa lecture lorsque Lise annonça que le dîner était prêt. - Zut, juste quand ça devenait intéressant !, pesta Kim.

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-13Le fantôme d'Anaxagore Kim et Tom se retrouvèrent en bas de l'escalier et filèrent se laver les mains à la cuisine où Lise finissait de préparer le repas. - Encore du taboulé ! dit Tom. - Non, ce n'est pas le même qu'hier, rétorqua Lise. Aujourd'hui, il est fait avec du pili-pili, c'est tout à fait différent ! Toute la famille se mit à table. Après le repas, Tom murmura à l'oreille de sa soeur -Tu crois que ça va durer longtemps, cette bouffe. Je rêve de pizzas et de hamburgers ! - T'as raison, moi aussi , j'en ai ras le bol. Mais on ne peut même pas en parler à maman : à chaque fois, ça la met en rogne. Ce que je trouve encore plus bizarre, c'est que papa ne râle pas. D'habitude, il est plutôt difficile pour la cuisine. - Ce doit être l'air de la campagne ! - Dis donc Papa, demanda Kim. Dans les bouquins d'architecture que le bibliothécaire t'a montré, est75

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ce qu'on parlait d'un château d'Anaxagore ? - Oui, bien sûr. D'ailleurs, il existe encore, mais il est en mauvais état. Il est juste à la sortie de la ville, au bord de la forêt, pas très loin d'ici. Pourquoi tu me demandes ça ? - Oh, pour rien. J'ai vu ça dans un bouquin, marmonna Kim en remontant dans sa chambre. -Tu sais que finalement ce M. Guillevic est très cultivé ? Il m'a montré des documents incroyables. J'y retournerai un de ces jours. - Brrr... Il me fait froid dans le dos, rétorqua Kim. - Mais non, c'est à cause de sa barbe. C'est un drôle de bonhomme, mais il est certainement très gentil. Il nous a même tous invités à boire l'apéritif demain soir. Il ne faudra pas oublier. Et puis il m'a dit qu'il avait trouvé des livres pour toi, Kim. - Kim, tu ne viens pas voir le film à la télé, appela Tom qui s'était étalé de tout son long sur le canapé. - Non, je ne sais pas ce que j'ai, je suis crevée. Je crois que je vais aller me coucher. Bonne nuit, tout le monde ! - Dors bien ! Kim n'y tenait plus. Elle voulait absolument savoir ce qui était arrivé aux deux jeunes gens, et elle ne 76

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voulait surtout pas qu'on la dérange. Elle se brossa les dents, se coiffa, se lava les mains et le visage, sauta dans son pyjama et se mit au lit, son livre à la main. Les choses ne s'arrangeaient pas pour les deux jeunes gens. Ils restèrent introuvables. L'auteur, qui avait l'air d'avoir bien connu le château, se mit alors à raconter ce qui s'y passait en ces temps reculés. Et là, ça devint vraiment effrayant. Le Marquis était un horrible bonhomme. Il avait un tel caractère qu'aucun domestique n'avait voulu rester au château. Il y vivait donc tout seul avec ses deux filles qui faisaient tout le travail dans la maison mais aussi dans le carré de potager qui se trouvait derrière le château. S'il n'y avait pas d'autres humains, en revanche, on y rencontrait toutes sortes d'animaux : des chiens, des chats, des poules, des souris, des crapauds et surtout une quantité invraisemblable de canards qui grouillaient dans le château. Inutile de dire que les deux jeunes filles avaient du travail pour le ménage : toutes les bestioles se promenaient partout et faisaient des dégâts là où elles passaient. Les rares meubles étaient tout déglingués, les tapisseries 77

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tombaient en poussière, les tableaux représentant les ancêtres Anaxagore étaient tellement sales qu'on distinguait à peine les visages. Partout au plafond pendaient des toiles d'araignées gigantesques. Le Marquis, en plus, était avare, et économisait les chandelles. Ce qui faisait que tous les couloirs étaient sombres. Dès qu'on posait le pied par terre, on courait le risque d'écraser une souris ou un crapaud, ou de se retrouver emmêlé dans une toile d'araignée. Ça couinait dans tous les coins ! Ce qui fait que les jeunes filles ne se risquaient pas souvent en dehors de la grande salle commune et de leurs chambres. Le Marquis, quant à lui, n'avait pas l'air gêné. Tous les jours, après le déjeuner frugal, il empruntait un corridor tout noir et disparaissait par une porte grinçante en interdisant qu'on le suive. Et il arrivait souvent qu'on l'entende discuter dans un couloir où il n'y avait rigoureusement personne, sauf des poules ou des canards ! - Kim, Kim ! La petite fille releva le nez : - Tom, qu'est-ce que tu veux, entres ! - J'arrive pas à dormir. Ça fait une heure que je me 78

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tourne et me retourne, rien à faire. En plus j'ai mal au ventre. Je crois que ça ne me réussit pas, ce nouveau régime. Mais tu ne dors pas, toi ? - Non. Tu sais, le vieux bouquin que m'a donné le bibliothécaire ? Eh bien il avait raison, c'est passionnant... mais ça fait un peu peur. Kim résuma à son frère l'histoire du Marquis et des disparitions. - Eh bien dis donc ! C'est pour ça que tu demandais à Papa s'il connaissait le château ! On pourrait aller le voir, un de ces jours, fit Tom, qui semblait avoir oublié les gargouillis dans son ventre. - Non merci ! Il doit y avoir plein de bestioles horribles là-dedans. Allez viens à côté de moi, on va lire ensemble. Tom sauta sur le lit, s'installa à côté de sa soeur, et ils mirent le livre au milieu. Tard dans la nuit, alors que le réveil Mickey marquait deux heures du matin, les deux enfants étaient toujours rivés au petit volume rouge. Kim tournait la dernière page. Ils se regardèrent : - Tu parles d'une histoire ! Ça vaut tous les " Morts de trouille " du monde. - Parle moins fort, tu vas réveiller les parents. Dis 79

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donc, tu veux toujours aller te promener au château ? - Non, t'as raison... Si le fantôme d'Anaxagore traîne dans le coin, il serait capable de nous transformer en hérisson ou en chauve-souris ! Car au fil des pages, Kim et Tom avaient découvert le fin mot de l'histoire. Derrière la porte grinçante au fond du couloir, il y avait un laboratoire, dans lequel l'affreux Marquis concoctait potions et pommades maléfiques. Sa grande spécialité : transformer les humains en animaux, qu'il gardait ensuite prisonniers dans son abominable demeure. Le plus horrible, c'était que tous les dimanches, il demandait à ses filles de tuer une poule ou un canard pour le repas dominical. Ce qui fait que chaque semaine, la sinistre famille dévorait un valet de ferme, le facteur, la laitière... et même Monsieur le Curé. Au bout d'un certain temps, la population s'était inquiétée de voir disparaître tous ceux qui avaient le malheur de passer par les terres du château d'Anaxagore. Les habitants de La Hourcade s'étaient rendus tous ensemble au domaine, brandissant des fourches et des haches, et c'est là qu'ils avaient découvert l'antre du sorcier. 80

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Hélas, le Marquis avait réussi à s'échapper par un souterrain, mais les villageois avaient malgré tout réussi à détruire toutes les potions magiques et les alambics. Quant aux deux malheureuses filles, elles avaient été recueillies par une famille de nobles des environs et avaient finalement épousé deux charmants jeunes hommes. Une fin heureuse en somme, sauf que personne ne savait où était passé le maléfique Marquis. Du coup, le château d'Anaxagore fut déserté et tout le monde se mit à craindre " le fantôme ", qui rôderait aujourd'hui encore dans les corridors ! - T'as vu, il est deux heures du matin ! s'exclama Tom - Nom d'un chien, c'est pas vrai. Allez file, il faut dormir. Ne fais pas de cauchemar ! Bonne nuit.

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-14Les nouveaux copains - Kim, Tom ! Il est huit heures. Il y a école aujourd'hui !, cria Lise en bas de l'escalier. Tom ouvrit un ?il, et le referma aussitôt. Non, ça n'était pas possible. Il avait l'impression de s'être endormi juste quelques minutes auparavant. - Allez, on se remue ! Il grogna, rouvrit les yeux et constata en regardant à travers les persiennes qu'effectivement, il faisait jour ! Un pied par terre, puis l'autre, il se frotta les yeux et tituba jusqu'à la porte. Il tomba nez à nez avec sa soeur, qui n'était pas beaucoup plus fraîche que lui. - Bravo pour hier soir ! Nous faire coucher à deux heures matin la veille de la rentrée, sympa !, fit Tom. - Dis donc, je ne t'ai rien demandé. C'est toi qui es venu me voir. Au fait, tu as rêvé au Marquis ? - Je n'ai rêvé à rien du tout, j'ai dormi comme une souche. Allez, c'est toi qui vas à la salle de bains. 82

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- D'accord, d'accord. Tom, surpris, la vit ouvrir la porte et entendit couler la douche. D'habitude, c'était toujours la bagarre et personne ne voulait aller se laver en premier. Là, Kim n'avait pas fait d'histoire. Bizarre. Tom descendit l'escalier pieds nus et se glissa dans la cuisine, où Lise faisait chauffer du lait. Les bols pleins de corn pops étaient déjà sur la table. - Bonjour, bonhomme ! Elle l'embrassa derrière l'oreille. Bien dormi ? - Oh oui, super ! - Prêt pour l'école ? - On a pas le choix, de toute façon ! - Je suis sûre que vous allez vous faire plein de copains. Dis donc, tu es pieds-nus ! - Ben oui, j'ai perdu mes pantoufles. - C'est moi qui les ai jetées hier, elles étaient trop moches. Regarde celles que je t'ai achetées. Lise sortit d'un sac en plastique une paire de charentaises ornées d'un superbe Daffy Duck. - Merci m'man, fit Tom, encore à moitié endormi. Et il enfila sa paire de canards. L'école était à peine à trois cents mètres à pied. En plus, on contournait le lac et on passait par le petit 83

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bois, ce qui fait que le trajet était vraiment agréable. Kim et Tom avaient insisté pour y aller tout seuls, même le premier jour. Ils se rappelaient la dernière rentrée à Paris, où Lise les avait accompagnés. Tous les autres les avaient traités de bébés ! Comme ils arrivaient en cours de route, tout le monde allait certainement les observer. Ce n'était pas la peine d'en rajouter ! Sur le sentier, dans le bois , de petits groupes d'enfants s'acheminaient vers l'école, à la queu leu leu. L'école était au bout d'une petite rue, bordée de maisons et de jardins bien entretenus. Les groupes d'enfants convergeaient vers la placette qui se trouvait devant le vieux bâtiment. Kim et Tom se retrouvaient dans la même classe, comme l'avait demandé Lise. Ils franchirent le portail et se dirigèrent vers une dame brune en tailleur bleu qui surveillait l'entrée des élèves. - Bonjour Madame, nous sommes Kim et Thomas Vétheuil, les nouveaux du CM2. - Ah oui ! Vous tombez bien, je suis votre institutrice. Je m'appelle Madame Duchamp. Bienvenue dans notre école. Vous allez voir, nous allons bien travailler ensemble. La dame souriante 84

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les guida vers le rang qui commençait à se former, devant la porte principale de l'école. Très vite, Kim et Tom constatèrent qu'ils n'auraient pas beaucoup de mal à s'habituer à leur nouvelle école. La maîtresse les plaça ensemble au troisième rang. La journée commençait par un cours d'histoire sur la Révolution française. A dix heures : récré. Kim et Tom sortirent avec les autres dans la cour, sous le soleil. Une petite fille blonde aux yeux verts pétillants de malice s'approcha d'eux : - Bonjour, je suis Christine. Vous pouvez m'appeler Kris, comme les autres. Vous habitez où ? - La maison au pigeonnier, près du petit lac ! - Oh ! Vous venez d'emménager alors. Vous étiez où avant ? - A Paris. - Eh bien ça va vous changer ! De l'autre bout de la cour, un garçon brun se mit à crier : - Kris, on n'attend plus que toi ! Grouille ! - Deux minutes, Fabien ! Je parle aux nouveaux ! Ils habitent le pigeonnier ! Le garçon se mit à courir et les rejoignit. 85

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- Vous habitez le pigeonnier ? fit-il d'un air incrédule. - Ben oui ! Qu' est-ce que ça a de bizarre ? demanda Tom. - Rien, rien... Sauf que ... - Sauf que quoi, fit Kim, un peu agacée. - Ben... Kris prit la parole : - Ne l'écoutez pas, il est idiot. Venez jouer avec nous ! - Je ne suis pas idiot ! Tu sais très bien ce que je veux dire, râla Fabien. - Bon allez maintenant, tu en as trop dit, fit Tom. Raconte ! - Ah c'est malin, tu vas leur faire peur avec tes histoires. Kris fronçait les sourcils et regardait Fabien d'un oeil noir. Ce dernier se mit à parler. - Oh c'est rien ! On s'est juste fait un film avec cette maison. Figurez-vous que vous êtes la troisième famille en deux ans à y emménager. Personne n'y reste, on ne sait pas pourquoi. On a à peine fait connaissance avec les nouveaux habitants que pffuitt... ils s'en vont. Alors on a imaginé que la maison était maudite ! La 86

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malédiction du Pigeonnier, c'est un de nos jeux préférés ici. - Moi je préfère la cave du vieux château, avec les murs qui bougent ! lança Kris. - Tais-toi donc, tu sais bien que c'est notre secret... Kris reprit la parole : - Ne faites pas attention : Fabien fait partie d'une bande de fanas d'histoires fantastiques. Ils se racontent des trucs pas possibles et ils organisent des expéditions le mercredi et le samedi. Mais c'est juste un jeu. Allez venez, on rejoint les autres. Kim se mit à courir avec ses nouveaux amis. Tom, songeur, traînait en arrière. Il sortit de sa poche le petit carnet qui ne le quittait jamais et où il notait ses codes de jeux, ainsi que les événements importants de sa vie. Il s'apprêtait à y noter l'étranger conversation qui venait de se dérouler quand il tomba sur la dernière page utilisée, où il avait dessiné la forme des graines qu'il avait trouvées sur son balcon. " Bon sang, je l'avais complètement oublié, ce dessin. Il faut absolument que je trouve ce que ça veut dire. " - Alors Tom, tu viens. - Oui, oui, j'arrive. Tom rangea son carnet et galopa 87

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pour rejoindre les autres. Finalement, ce n'était pas difficile de se faire de nouveaux copains !

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-15Tom va mal Kim et Tom étaient en vacances depuis trois jours déjà. Noël approchait et ce matin-là, une drôle de lumière blanche passait à travers les volets, Kim fut la première à se réveiller; très tôt. Intriguée par l'étrange luminosité, elle courut vers la fenêtre, l'ouvrit et repoussa les volets.. Et là, surprise ! Tout le jardin était recouvert d'une épaisse couche de neige. Le grand sapin était tout blanc, le pigeonnier avait pris une allure fantomatique et la girouette qui le dominait était enfouie sous la neige. Kim essuya l'appui de la fenêtre et recueillit une poignée de neige. Elle sortit en trombe de sa chambre, traversa le couloir en courant et pénétra chez Tom qui dormait encore à poings fermés... Elle lui écrasa sur le nez les flocons glacés qu'elle avait dans la main. Sans attendre la réaction, elle fila se recouche, se cachant la tête sous les draps en résistant de toutes ses forces pour le pas éclater de rire. Trois secondes plus tard, Tom entrait chez elle 89

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en vociférant : - Sale bête ! Je sais bien que tu ne dors pas : tes volets sont ouverts. Tu veux me faire attraper la crève ou quoi ? Il sauta sur le lit et, pour se venger, chatouilla sa soeur sous la plante des pieds jusqu'à ce qu'elle ne puisse même plus parler.. - Hi hi hi... Arrête, hips ? jjjje vais faiire dans ma culotte ! Ce qui eut pour effet de faire redoubler les chatouilles. Kim parvint à reprendre son souffle et cria : - Regarde dehors ! Tom, surpris, leva les yeux et s'approcha de la fenêtre.. - Super ! Regarde-moi ça, il y en a au moins un mètre. - Il faut toujours que tu exagères. Et tous les deux se turent pour admirer le spectacle. Car la neige à Paris, ça n'était pas du tout la même chose. Tout de suite, le sol se transformait en une vilaine bouillasse ! Là, dans le jardin, elle était si belle, si blanche et si brillante qu'elle ressemblait à une couche de sucre glace sur un gros gâteau à la crème. Kim et Tom se regardèrent et, sans un mot, 90

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se mirent d'accord : la douche pouvait attendre. Ils s'habillèrent en un éclair et se précipitèrent dans le jardin. Ils durent ouvrir eux-mêmes les volets car Lise et Vincent, dormaient encore. Il n'y avait pas un mètre de neige, heureusement, mais bien dix centimètres, ce qui suffisait largement pour entamer une belle bagarre de boules de neige. Les quatre fers en l'air, Tom se mit à geindre : - T'es vraiment une brute ! J'aurais pu me casser une jambe. - Allez, relève-toi, tu n'as rien. Ça n'est quand même pas ma faute si tu ne tiens pas debout. Je t'ai à peine touché, répliqua Kim en ouvrant la porte pour rentrer dans la cuisine. Tout en ouvrant le réfrigérateur pour sortir la bouteille de lait, elle regarda son frère d'un air intrigué, mais sans rien dire. " Il est bizarre en ce moment. Il n'arrête pas de trébucher, il laisse tout tomber, je ne sais pas ce qu'il a. Peut-être qu'il faudrait que j'en parle à maman ", se dit-elle. Car depuis quelque temps, effectivement, Tom se montrait de plus en plus maladroit. Au tennis, il ne touchait plus une balle. Quant aux rollers, il avait pris tellement de bûches qu'il n'osait même plus les 91

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enfiler. En fait, il était plein de bleus et de bobos. La veille, Kim avait voulu en parler à Kris, qui était devenue sa meilleure amie. Elle lui avait ri au nez : - T'inquiète pas, mon frère est pareil. C'est l'âge bête chez les garçons, tu ne savais pas ? Kim était restée sceptique, l'explication ne l'avait pas convaincue, mais elle n'avait pas insisté pour ne pas donner l'impression de vouloir trop dénigrer son frère. En plus, Tom était devenu très susceptible : on ne pouvait rien lui dire, il se mettait tout de suite à hurler d'une drôle de voix un peu nasillarde. "Ça doit être la mue", se disait Kim. En effet, sa maman lui avait expliqué que chez les garçons, vers 12 ans, la voix changeait, et qu'il ne fallait surtout pas se moquer d'eux. Tout de même, la mue n'expliquait pas ce qui venait de se passer dans le jardin. A peine avaient-ils commencé la bataille de boules de neige que Tom avait glissé et s'était étalé de tout son long. Kim s'était précipitée pour le relever, car il n'y arrivait pas tout seul. C'est là qu'il avait commencé à crier et à l'accuser de l'avoir poussé, alors qu'elle 92

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avait juste voulu l'aider. "Cette fois-ci, ça commence à bien faire, se dit Kim. Il me rend la vie impossible, je vais en parler à maman". Kim et Tom prirent leur petit déjeuner seuls dans cuisine, en tète à tête, sans s'adresser la parole. Tom était déjà monté dans la salle de bains quand Lise descendit en s'étirant de tout son long. Kim prit son courage à deux mains, et, après avoir embrassé sa mère, encore toute ébouriffée par une bonne nuit de sommeil, elle dit d'un air détaché : - Dis donc maman, tu ne trouves pas que Tom est bizarre depuis quelque temps ? - Comment ça bizarre ? - Il fait tout de travers, il n'arrête pas de tomber ou de glisser; de casser des choses... Et en plus il râle tout le temps. Lise fronça les sourcils et répondit : - Écoute-moi bien Kim I Tu n'as qu'à le laisser tranquille à la fin. Tu n'arrêtes pas de le harceler, si tu crois que je ne te vois pas. Finis tes céréales et file t'habiller. On en reparlera plus tard en présence de ton frère, on verra bien ce qu'il en dit. Suffoquée, Kim se mordit les lèvres pour ne pas 93

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pleurer, alla poser son bol dans l'évier et grimpa l'escalier quatre à quatre pour se réfugier dans sa chambre. De toute sa vie, elle ne s'était jamais sentie si malheureuse. C'était tellement injuste ! Surtout que Lise tenait toujours à rester à l'écoute des enfants. Qu'est-ce qui lui prenait donc ? Kim s'essuya les yeux puis se rappela qu'elle avait rendez-vous à 10 heures avec Kris et deux autres filles à la papeterie, où elles voulaient acheter du papier crépon pour fabriquer des guirlandes de Noël... Elle sortit sur le palier et dit à travers la porte de la salle de bains : - Tom, ça fait une heure que tu es là-dedans. Dépêche-toi, je vais être en retard. Du rez-de-chaussée, Lise cria : - Fiche la paix à ton frère ! Au même moment, la porte de la salle de bains s'ouvrit sur Tom qui se dirigea vers sa chambre directement, sans même lui adresser un regard. Kim pataugea jusqu'à la douche car son frère avait complètement inondé la salle de bains, et en plus il n'avait même pas pris la peine de vider la baignoire, pleine à ras bord. Comme elle n'avait pas envie de se faire enguirlander encore une fois, 94

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elle se tut, mais n'en pensa pas moins : "Il ne manquait plus que ça ! Maintenant, il prend des bains, alors que d'habitude il reste à peine une minute sous la douche ! Il est vraiment tombé sur la tète." Kim en avait gros sur le coeur, mais elle décida que la journée ne serait pas gâchée par cette accumulation de contrariétés, même si cela faisait beaucoup pour une petite fille de 1m30. Elle épongea la salle de bains avec une serviette et prit sa douche en un temps record. Elle redescendit tout aussi vite, chercha ses après-skis dans le placarde de l'entrée puis fila au centre ville, où l'attendaient ses amies. Son journal préféré sous le bras, Kris, emmitouflée dans un anorak rouge un peu trop grand, attendait Kim devant la papeterie. - Tu as pris tes sous, j'espère, dit-elle. - Mais oui, ne t'inquiète pas, répondit Kim. - C'est qu'il en faut au moins quatre rouleaux si on veut que ce soit chouette. - Je sais ! Ca fait un mois que j'économise sur mon argent de poche, ça devrait aller. - Salut ! - Ah, vous voilà ! On n'y croyait plus, fit Kris en 95

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voyant arriver Sophie et Elodie, les deux inséparables. Allez, on y va ? - Bonjour Monsieur ! fit Kim en entrant dans la Maison de la Presse. Vous avez du papier crépon ? - Oui, bien sûr. Regardez, c'est là-bas, au fond du magasin, avec le papier cadeau. Cinq minutes plus tard, les quatre filles ressortaient, les bras chargés de rouleaux multicolores. Elles avaient eu assez d'argent pour acheter aussi du papier doré. - Kim, on va chez toi ? demanda Kris. - Je préfère pas.., Maman est d'une humeur massacrante, je ne sais pas ce qu'elle a... - OK, chez moi alors, répliqua Kris.. La petite bande se dirigea à pas prudents vers le quartier du moulin, sans oublier de jeter quelques boules de neige sur les fenêtres de Françoise, leur ennemie jurée, la première de la classe qui était aussi une vraie peste. Arrivée chez elle, Kris jeta son anorak sur un fauteuil, ôta ses bottes fourrées et grimpa l'escalier jusqu'à sa chambre en criant : - N'oubliez pas d'enlever vos godillots les filles, sinon ça va chauffer. La maman de Kris était gentille, mais elle tenait à 96

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sa moquette ! Kris se jeta sur son lit et ouvrit son livre sur les décorations de Noël. - Alors, qu'est-ce qu'il faut ? Des ciseaux, de la colle et du scotch ? Je vais chercher tout ça, attendez-moi. Les quatre filles avaient décidé d'organiser pour le lendemain de Noël une boum d'enfer. Et pour que ce soit réussi, il fallait bien sûr des guirlandes. Pour l'occasion, Kris et Kim avaient dû mettre Sophie et Elodie dans la confidence, car c'était chez les parents de Sophie qu'il y avait le plus de place, en particulier un sous-sol tout à fait adapté à leur projet Elles se mirent au travail aussitôt. Mais ce fut une entreprise de longue haleine, car les explications n'étaient pas très claires. À midi, elles avaient à peine fini de découper les bandes, La mère de Kris appela : - Kris, on déjeune dans un quart d'heure ! - Oh non ! pas déjà ! Il faut qu'on finisse aujourd'hui, maman ! Si Kim s 'en va, on n'y arrivera jamais, gémit Kris. Car si Sophie et Elodie habitaient tout à côté, Kim habitait à plus d'un 97

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kilomètre. En plus, vu l'humeur de Lise, il n'était pas certain du tout qu'elle ait le droit de revenir après déjeuner. - Eh bien dis-lui de rester déjeuner ! - Super bonne idée ! Allez Kim tu restes ? - Il faut que je téléphone chez moi, et si maman est toujours aussi ronchon, c'est pas dans la poche, répondit Kim. - Tu veux que j'appelle ? - Non, il vaut mieux que je le fasse moi-même. Km téléphona donc et, à sa grande surprise, Lise accepta sans difficulté. - Ca alors, fit Kim ! A croire qu'elle était contente d'être débarrassée de moi. - Là, je crois que tu exagères. A mon avis, elle a dû vouloir se faire pardonner pour la scène de ce matin, suggéra Kris. - Tu as peut-être raison, conclut Kim, sceptique. La maman de Kris avait fait un déjeuner pizzacoca. Du coup, en une demi-heure, le repas était expédié. Mais il fallait encore attendre le retour de Sophie et Elodie. - Et les invitations, tu y as pensé ? demanda Kim. - Mince ! J'avais complètement oublié ! 98

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- Écoute, je vais demander à mon père de nous les faire sur son ordinateur. On pourra même les imprimer en couleurs. La classe ! - Eh ben voilà ! Tu vois bien, quand tu veux, tu as de bonnes idées, taquina Kris. Allez viens, on va continuer les guirlandes, tant pis pour les deux autres. Une heure plus tard, les décorations étaient terminées. Sophie et Elodie avaient un peu boudé parce qu'on ne les avait pas attendues, mais maintenant, toutes les quatre admiraient leurs chefs-d'oeuvre. A la fin de l'après-midi, le dessin pour la carte d'invitation était prêt, et Kim repartit chez elle avec la feuille de papier sous le bras. Avec la neige et l'obscurité grandissante, le chemin lui parut encore plus long que d'habitude. Pour tout dire, elle n'était pas très rassurée... En arrivant, elle put constater aussitôt que l'humeur maternelle n'avait guère changé depuis le matin. - Vraiment, Kim, tu exagères. Tom est resté tout seul à s'ennuyer toute la journée pendant que tu t'amusais avec tes amies, dit Lise. Tu aurais pu rentrer avant le goûter, tout de même 99

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- D'abord, on ne s'est pas amusées, on a travaillé ! En plus, je te signale que j'avais demandé à Tom de nous aider, et qu'il a refusé, répliqua Kim, furieuse. - Tu me parles sur un autre ton, s'il te plaît. Et pour la peine, tu iras te coucher directement après dîner. Pas de télé ce soir. Inutile de préciser que le repas ne fut pas joyeux. En plus, Lise avait fait une de ses horribles soupes au pain et au lait qu'elle avait pris l'habitude de préparer presque tous les soirs. Kim n'ouvrit pas la bouche - sauf pour avaler quelques à contre-coeur. Elle monta enfin sans un mot. Se lava les dents, enfila son pyjama et se glissa sous la couette. Cinq minutes plus tard, elle oublia tous ses tracas et s'endormit presqu'immédiatement : la journée avait été dure.

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-16Tom prend un bain " Snif, snif,..." L'espace d'un instant, Kim se demanda si elle rêvait. Le bruit reprit de plus belle : reniflements, sanglots... Pas de doute : c'était Tom qui pleurait à fendre l'âme. Pendant une seconde, Kim hésita : - Après tout, qu'il se débrouille tout seul ! Mais bientôt, n'écoutant que son bon coeur, elle se leva et fila voir son frère sur la pointe des pieds. Tom, en larmes, se cacha sous sa couette en l'entendant arriver. Elle s'assit sur le bord du lit et attendit sans un mot. Enfin, la tête de Tom émergea. - Qu'est-ce qui t'arrive ? - JJJe ne peux pas te le dire... Tu ne comprendrais pas, tu ne comprends jamais rien ! sanglota Tom. - Chut, moins fort, tu vas réveiller les parents. Tu pleures parce que je t'ai laissé tout seul hier ? - Ca va pas la tète ! Je m'en fiche pas mal de tes histoires de filles 101

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- Alors, qu'est-ce qui se passe ? - Il se passe que ... ça ne tourne pas rond, chez moi. - Qu'est-ce que tu veux dire ? - Tu le sais bien, tu n'arrêtes pas de te moquer de moi. Je tombe tout le temps, je suis de plus en plus maladroit. Si tu crois que je ne m'en suis pas aperçu ! - Oui, je sais, dit Kim. Mais tu as mal quelque part ? - Non, je ne sens rien. Mais c'est pas normal. Je suis peut-être très malade sans le savoir. Une de ces maladies dont on parle à la télé. Tu sais, un truc génétique ou une saleté comme ça ! - Mais tu en as parlé à Maman ? - Oui, mais elle n'a même pas voulu m'écouter. Elle m'a tout de suite coupé la parole et en plus elle s'est moquée de moi . - Tu sais, moi aussi je lui en ai parlé hier. Je te dis pas la réaction. C'est bizarre quand même, d'habitude elle s'inquiète au moindre bobo. - Elle est complètement dans la lune en ce moment. Tu ne sais pas la meilleure : elle veut qu'on aille à la piscine tous ensemble demain. - Qu'est-ce que tu racontes ? Aller nager en plein 102

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hiver ! Elle va pas bien... - Tu verras, je te parie qu'on y coupera pas. - On en reparle demain. Arrête de t'inquiéter et essaie de dormir. Si tu veux, je reste avec toi. - Non, ça va aller, retourne te coucher. Je me sens mieux maintenant que je sais que tu ne me laisseras pas tomber. Kim retourna à sa chambre. A son réveil, il était trois heures et demie du matin. A quatre heures, elle ne dormait toujours pas et ruminait les événements récents. Elle n'arrivait pas à leur trouver un sens, et c'était ça le plus inquiétant. -Allez, debout les enfants, n'oubliez pas qu'on va nager tous ensemble ce matin ! Kim ouvrit un oeil et regarda l'heure : huit heures ! - Maman ! Pourquoi tu nous réveilles si tôt, on est en vacances ! - Pas de discussion.., Il faut qu'on soit à la piscine à l'ouverture. - Mais... Kim stoppa net : sa mère était déjà sortie et tirait Tom de son sommeil.. "Je vais lui acheter un clairon pour Noël", se ditelle en enfilant ses pantoufles. Elle descendit à la 103

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cuisine et s'apprêtait à faire chauffer l'eau quand Lise et Tom entrèrent. - Non, pas de petit déjeuner maintenant. On le prendra en rentrant de la piscine. Kim resta interloquée. Quoi, pas de petit déjeuner avant d'aller faire du sport ? - Mais j'ai faim ! - Si tu manges maintenant, tu ne pourras pas nager correctement, répliqua Lise. - Maman, je croyais que tu détestais la piscine, demanda Tom en se frottant vigoureusement les yeux. Il aurait mieux fait de se taire... - Pas du tout. D'ailleurs pendant les vacances, nous irons tous les j ours. - Mais on est en plein hiver ? - Bien sûr, c'est excellent pour la forme. Kim et Tom se regardèrent, perplexes. Apparemment, toute discussion était inutile, aussi filèrent-ils s'habiller pendant que Lise sortait la voiture. Pendant la nuit, la température avait joliment baissé : la couche de neige était maintenant complètement gelée, le sol était dur et glissant. Bien sûr, Tom s'étala de tout son long en sortant de la maison. Voyant qu'il était prêt à 104

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pleurer, Kim s'empressa d'en faire autant et éclata de rire : - Même pas besoin d'aller à la patinoire ! - Si ça glisse comme ça sur la route, on va avoir un accident, remarqua Tom. Il n'avait pas entièrement tort. La piscine se trouvait à l'autre bout de la ville, et toutes les rues n'avaient pas encore été salées . À plusieurs reprises, Lise dérapa et rattrapa la voiture de justesse. Le trajet, de glissade en glissade, dura près de trois quarts d'heure. Lise ne disait pas un mot, concentrée sur sa conduite. Tom se rappela que l'an passé, quand il avait neigé à Paris, Lise avait catégoriquement refusé de conduire la voiture, alors que les rues étaient dégagées et salées dans tout le quartier. Décidément, plus rien n'était comme avant. Enfin, ils arrivèrent à se garer juste devant la piscine, qui venait d'ouvrir. Leur voiture était le seul véhicule sur le parking. Kim remarqua : - On dirait qu'on va avoir le bassin pour nous tout seuls. - Tant mieux, répondit Lise sèchement. Allez, on se dépêche. 105

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Quelques minutes plus tard, Tom et Kim, frissonnants, se retrouvèrent au bord du grand bassin olympique. - Elle va nous faire attraper la crève, pesta Kim. - Allez, au bain, au bain ! Lise arrivait au petit trot... et les poussa tous les deux à l'eau sans ménagement. Kim toucha le fond, donna un grand coup de pied et, suffocant, remonta et se mit à crier : - Maman, tu sais bien que j 'ai horreur qu' on me pousse. C'était tout à fait inutile : Lise avait déjà entamé sa première longueur et ne répondit pas. Kim et Ton, accrochés au bord, se regardèrent, puis se décidèrent et. se mirent à nager, doucement d'abord, puis de plus en plus vite. Un peu de brasse pour s'échauffer, puis Tom passa au crawl et noya Kim sous les éclaboussures. Elle se mit à protester, puis plongea sous l'eau pour tirer les pieds de son frère, comme d'habitude. Elle nageait mieux que Tom, et adorait l'eau. Mais ce jour-là, impossible de le rattraper. - Oh là I T'as pris des vitamines ou quoi ? Tom ne répondit pas. Il avait rejoint Lise, qui en 106

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était à sa quatrième longueur en brasse coulée. Elle nageait, nageait sans s'arrêter, régulièrement, sans effort. Tom se plaça à côté d'elle et cala son rythme sur celui de sa mère. - Si je vous gêne, je peux m'en aller, proposa Kim en s'asseyant sur le bord de la piscine. Vous vous entraînez pour les championnats ou quoi ? Pas de réponse. Tom et Lise continuaient leurs allers et retour, sans un temps d'arrêt, sans relever la tête, sans un mot. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Kim se dirigea vers le petit plongeoir et fit quelques sauts pour s'occuper. Elle aimait bien la piscine, mais à condition qu'on s'y amuse. Elle ne pouvait pas jouer au ballon toute seule quand même. Elle décida donc, plutôt que de bouder dans son coin, d'imiter son frère et sa mère... Elle attendit qu'ils soient arrivés au bout du bassin et se jeta à l'eau avec eux. "Je vais leur montrer de quoi je suis capable, se dit-elle." A Paris, elle avait participé plusieurs fois à des compétitions, et s'en était toujours bien tirée. Quant à Tom, il aimait bien barboter, mais de là à faire des longueurs ! Or, aujourd'hui, il en était au moins à la cinquième, sans une minute de pause, et sans 107

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fatigue apparente. Kim se concentra pour se mettre à leur rythme. Mais au bout d'une demi-longueur, elle n'arrivait déjà plus à les suivre. "Oh, attendez-moi !" Pas de réaction. Elle continua à avancer. Les pieds de sa mère et de son frère battaient si vite qu'elle ne voyait plus qu'un tourbillon d'eau. Ils avaient pris quatre mètres d'avance au moins. Kim se tut et se concentra sur sa respiration. "Je manque d'entraînement, voilà tout, se dit-elle... Mais au fait, eux aussi !" Tom et: Lise étaient arrivés au bout et faisaient demi-tour. Ils la croisèrent sans lui accorder un regard. Quant à elle, elle était hors d'haleine. Elle barbota jusqu'au bord, sortit de l'eau, vexée, et dit : "Bon, moi j'ai froid, je sors." Toujours pas de réponse. Lise et Ton continuaient, et en plus ils allaient de plus en plus vite. Kim s'enveloppa dans son drap de bain et prit son mal en patience. Au bout d'un quart d'heure, toujours en silence, Tom et Lise sortirent, s'ébrouèrent vigoureusement et se dirigèrent vers les cabines sans même prendre la peine d'utiliser leurs serviettes, Kim, abasourdie, courut après eux. Elle entra dans la cabine voisine de celle de Tom et 108

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se rhabilla en hâte, car elle commençait à avoir vraiment froid. En sortant, elle regarda son frère par en-dessous : il avait un drôle d'air, comme si il venait de se réveiller. - Tom, tu es sûr que ça va ?. - Oui, oui... Je me sens tout bizarre. - Tu m'étonnes.. Vous avez dû battre les records du monde, tous les deux I - C'est vrai ? Je ne me suis pas rendu compte. - Tu te fiches de moi ou quoi ? Vous avez nagé pendant presque une heure d'affilée, à toute vitesse , sans vous arrêter une seule fois. Moi, la prochaine fois, je reste à la maison. Tom s 'assit sur le siège de bois dans le couloir, l'air songeur : - C'était incroyable comme sensation. Tellement facile, on aurait dit que j'avais fait ça toute ma vie. Et je ne suis même pas fatigué. J'aurais pu continuer pendant des heures. - Eh bien, ça montre au moins que tu n'es pas malade. Ou bien que tu es devenu fou? Kim se mit à rire. - Si je suis fou, alors Maman aussi, répondit Tom. - Une vraie famille de dingues, je l'ai toujours dit, 109

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conclut Kim. Allez, je vais voir si Maman est prête. Elle se leva et, sans même frapper, ouvrit la porte voisine. Sa mère était en train d'enfiler ses chaussettes. Elle leva les yeux et, l'air furieux, dit : - Kim, tu ne refais jamais ça, tu as bien compris.. Interloquée, Kim s'immobilisa puis referma la porte. Stupéfaite.. Soit elle avait besoin de lunettes, soit sa mère avait un problème aux pieds. Entre chaque orteil, il lui avait bien semblé voir de petites pellicules de peau. Un peu comme des palmes en fait... Le retour à la maison fut silencieux, tout comme le déjeuner. L'après-midi, Kim travailla avec Vincent sur l'invitation pour la boum de Noël. Le résultat fut à la hauteur de ses espérances : c'était la plus belle carte qu'on ait jamais vue. Très fière de son père, elle téléphona aussitôt à Kris pour lui annoncer la bonne nouvelle, et elles décidèrent de s'occuper de la distribution dès le lendemain. Après un dîner tranquille et un film rigolo à la télé, Kim et Tom passèrent une nuit sans cauchemars.

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-17Une troupe de canards Le lendemain, les enfants prirent leur petit déjeuner tout seuls. Lise était partie faire des courses à Paris, et Vincent était en rendez-vous chez un architecte de la ville voisine. La température extérieure avait encore baissé. Le thermomètre du jardin indiquait -8°. - Tom, tu nous aides à distribuer les invitations aujourd'hui ? - Avec un froid pareil ! Pourquoi vous ne les envoyez pas par la poste ? - D'abord parce que c'est moins drôle, et puis c'est pas toi qui va payer les timbres ! - Bon OK. Mais alors je téléphone à Nicolas. J'ai pas envie d'être le seul garçon ! - D'accord, répondit Kim, qui avait un petit faible pour Nicolas. Au fait, tu n'as pas trop de courbatures ? - Non, je ne sens rien. C'est incroyable, s'exclama Tom en renversant son bol de céréales et de lait.. 111

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- Bravo... En tout cas, tu es toujours aussi maladroit, Le regard de Tom s'assombrit soudain : - Ca n'était pas la peine de le faire remarquer, sale peste ! Tom se leva et se dirigea vers l'escalier. En le regardant, sa soeur remarqua que Tom se dandinait légèrement, les pieds écartés. "En fait, il est plein de courbatures mais il ne veut pas me le dire, se dit-elle ". Ils s'habillèrent chaudement pour affronter la température glaciale, et Tom n'oublia pas ses aprèsskis qui lui éviteraient peut-être quelques chutes sur la glace. Ils avaient tous rendez-vous chez Kris à dix heures. La maîtresse de maison leur avait préparé un super petit déjeuner : chocolat chaud, jus d'orange, croissants tout chauds, beurre et confiture .. - Avec tous les kilomètres que vous allez faire aujourd'hui, il faut prendre des forces, dit-elle. Kim se jeta sur les croissants et souffla à l'oreille de son frère : - Ca nous change des céréales... Hum ! Délicieux. Mais Tom, qui pourtant, d'habitude, adorait les 112

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croissants, ne semblait pas avoir très faim. - Tu n'en veux plus ? demanda Kim en lorgnant sur le croissant de son frère, à peine entamé. - Non, tu peux le prendre, répondit Tom. Elle ne se fit pas prier. Aussitôt après, la petite bande se mit en route. Il y avait une trentaine d'invitations à distribuer, aussi Kris proposa de faire trois équipes de deux et de se donner rendez-vous chez elle vers midi. Bien sûr, les deux garçons restèrent ensemble, ainsi que les inséparables Kris et Kim. Elodie et Sophie partirent de leur côté. Chaque équipe avait son lot à distribuer aux quatre coins de la petite ville. Kris et Kim, malines, s'étaient débrouillées pour s'attribuer les quartiers les plus proches. A onze heures et demie, elles avaient fini leur distribution et étaient de retour. - On les a bien eus ! On est là, bien au chaud, pendant que les quatre autres sont en train de se geler je ne sais où ! On n'est pas très sympas, quand même, remarqua Kim. - Dis donc, qui est-ce qui a fabriqué les invitations, qui est-ce qui a écrit les adresses, rappela Kris. - Après tout, tu as raison, fit Kim en se vautrant au 113

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fond d'un fauteuil, la conscience tranquille. Elle soupira d'aise et dit : - Qu'est-ce qu'elle fait à manger ta maman, pour le réveillon ? - Du canard à l'orange, je crois, répondit Kris. J'adore ça. Tu connais ? - Non. Tu pourrais me donner la recette ? Ca nous changerait de la grosse dinde habituelle. - Je t'en ferai une photocopie cette après-midi. - D'accord. La sonnette retentit. C'était Sophie et Elodie, essoufflées et toutes rouges. - On n'en peut plus ! Vous êtes là depuis longtemps ? demanda Sophie. - Non, penses-tu, cinq minutes, répondit Kim, malicieuse. Elle avait bien du mal à ne pas éclater de rire en voyant ses deux amies épuisées. Car en fait, cela faisait plus d'une demi-heure qu'elles étaient en train de bavarder dans le salon. Les quatre filles, satisfaites du travail accompli, s'accordèrent un repos bien mérité en écoutant, verre de coca à la main, le dernier disque que Kris avait acheté. A midi et demi, les deux garçons n'étaient toujours pas rentrés. 114

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- On pourrait peut-être aller les chercher, suggéra Kim, un peu inquiète. - Sûrement pas, répondit Kris. Laisse-les se débrouiller tout seuls. En plus, on ne sait même pas par où ils vont arriver, ça ne servirait à rien. La maman de Kris régla le problème en appelant les filles à table. C'était jour de poulet rôti, et une délicieuse odeur embaumait la maison. Pourtant Kim, qui adorait le blanc de poulet, n'avait pas beaucoup d'appétit. Kris s'en aperçut : -Kim, arrête de t'inquiéter. Si ça se trouve, ils se sont arrêtés pour déjeuner chez Nicolas. - Non, Tom aurait téléphoné. - Il a peut-être oublié ? - Pourquoi ne téléphonez-vous pas chez Nicolas, suggéra la mère de Kris. - Bonne idée, fit Kris en se dirigeant vers le téléphone. Deux minutes plus tard, elle revint, déçue : - Il n'y a personne, c'est le répondeur. Il était maintenant une heure et demie, et Kris ellemême commençait à se poser des questions quand la sonnette retentit. Elle se précipita pour ouvrir. Hors d'haleine, tout en sueur, Nicolas soutenait par 115

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le bras son copain Tom, qui, lui, était blanc comme un lavabo. - Qu'est-ce qui vous est arrivé, demanda Kim. - Oh rien ! C'est juste que Ton n'arrive pas à marcher sur la neige. Il se casse la figure à tous les coins de rue, alors évidemment, ça fait baisser la moyenne ! Nicolas avait beau essayer de plaisanter, Tom n'avait visiblement pas envie de rire. - On vous a laissé du poulet, annonça Kris. - Ca c'est sympa ! Je crève de faim, répondit Nicolas en ôtant son. Tom, effondré sur le canapé, ne s'était même pas déshabillé. -Allez, Tom, viens déjeuner, fit Kim. - J'ai pas faim, marmonna-t-il. - Attends : tu n'as pratiquement rien mangé ce matin. Tu as fait des kilomètres à pied dans la neige, et tu n'as pas faim ? Tu n'es pas malade au moins, demanda Kris en posant sa main sur le front de Tom. Il n'a pas de fièvre, son front est tout frais, dit-elle en se tournant vers Kim.. - Écoute, je crois qu'on ferait mieux de rentrer, dit Kim. - Tu as raison, je ne me sens pas très bien, répondit 116

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Tom en s'extirpant du canapé. - Attendez, vous n'allez pas rentrer à pied. Je vais demander à Maman de vous raccompagner en voiture. A deux heures et demie, Kim et Tom descendaient de voiture devant chez eux. Sans un mot, Tom monta s'enfermer dans sa chambre. Kim frappa doucement à la porte. - Tom, ça va ? Allez, ouvre-moi. - Fiche-moi la paix, je dors. - Arrête de bouder, il faut qu'on parle. - Je n'ai rien à te dire. - Ne m'agresse pas ! Ca n'est pas ma faute, ce qui t'arrive, après tout. - Qu'est-ce qui m' arrive, d'abord ? - Ben... la fatigue, les chutes, tout ça. - Ca n'est pas tes affaires. - Écoute, j'ai pensé à un truc... - Je ne veux pas le savoir. A bout d'arguments, Kim renonça. Elle descendit au salon avec sa collection de CD et commença à enregistrer une cassette pour son walkman. Tout à coup, elle repensa à la recette du canard à l'orange. Elle avait complètement oublié de la redemander à 117

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Kris. Elle lui téléphona aussitôt. Kris lui promit de passer en fin de journée pour lui apporter. Elle tint parole : à six heures, elle sonnait à la porte. - Salut. Tom va mieux ? - Je n'en sais rien. Il s'est enfermé dans sa chambre, il ne veut pas me parler.. - Tu sais quoi ? Je suis sûre qu'il est amoureux. Mon frère, quand il est amoureux, il est insupportable. - Attends, il a dix-sept ans, ton frère. Ca n'a rien à voir. - Ha ! Parce qu'à onze ans, tu crois qu'on ne peut pas aimer quelqu'un ? Ca te va bien de dire ça, avec ton Nicolas. Kim devint toute rouge : - Ca n'est pas "mon" Nicolas ! Et puis je suis une fille. Les filles, c'est beaucoup plus mûr que les garçons . Tom est encore un bébé. - Bon, d'accord. Mais alors qu'est-ce qu'il a ? - Je ne sais pas... Enfin, j'ai bien une idée, mais c'est complètement dingue ... - Raconte ! - Non, tu vas me prendre pour une folle. - Eh bien, vous faites la paire, tous les deux ! Tiens, 118

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la voilà ta recette ! Kim prit la feuille de papier sur laquelle Kris, à la main, avait recopié la recette, et la posa bien en évidence sur la table de la cuisine. - Allez, il faut que je rentre, il est tard, fit Kris. - Attends, je vais t'accompagner un peu. Ca me fera du bien de prendre l'air. Les deux filles se mirent en route dans la nuit. Au bout de la rue, Kim rebroussa chemin : - Je ne peux pas aller plus loin. Si ma mère arrive, elle va encore dire que je laisse Tom tout seul. Allez, on se téléphone demain ? - OK, bonne soirée. Il faisait de plus en plus froid. Kim remonta son col et se mit à marcher plus vite. Sur le bord du petit lac, une pancarte avait fait son apparition. "DÉFENSE DE PATINER - DANGER". Kim s'approcha prudemment de la berge, s'accroupit et tendit la main L'eau était complètement gelée. "Les pauvres canards", se dit-elle. Elle regarda autour d'elle, cherchant les silhouettes familières des innombrables volatiles qui, d'habitude, se bousculaient à la surface de l'eau. Pas une seule 119

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bestiole en vue. "Ils ont dû se mettre à l'abri dans les buissons", pensa Kim. Elle se releva et se préparait à reprendre sa route quand elle vit une forme bouger de l'autre côté du lac, près du saule pleureur. Kim était de nature curieuse. Malgré l'obscurité et la brume glacée qui commençait à recouvrir le lac, elle ne put s'empêcher d'aller voir ce qui bougeait là bas. D'autant qu'en regardant mieux, elle s'aperçut qu'il n'y avait pas une forme, mais plusieurs. Prudemment, en regardant bien où elle mettait les pieds, elle contourna le plan d'eau. Là-bas, sous le saule, une silhouette accroupie. Et un cri régulier : "Coin... coin". Les canards, quant à eux, ne faisaient pas un bruit. Stupéfaite, Kim vit alors toute une troupe de canards qui, en file indienne, se dirigeait lentement vers la silhouette accroupie. Les canards n'avaient pas l'air gênés par la glace. Ils avançaient tranquillement, l'air déterminé. Et ce cri incessant venait sans aucun doute de la personne qui se blottissait sous le saule. "Ma parole, c'est un fou ? En tout cas, il imite drôlement bien les canards, se dit Kim en s'approchant à pas de loup. Elle était maintenant à quatre mètres à peine du saule, et ne se sentait pas 120

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trop rassurée... "Trop tard pour reculer, il faut que je voie qui c'est !" Comme s'il avait lu dans ses pensées, l'homme se releva lentement et se retourna vers Kim. -Papa !?? Mais qu'est-ce que tu fais là ? s'écria Kim, stupéfaite. Car c'était bien Vincent qui venait à sa rencontre. - Je donnais à manger aux canards. - Comme ça, tout seul, dans le noir ? Drôle d'idée ? Au fait, tu me refais le cri du canard. Tu l'imites drôlement bien, dis donc ! - Ah ça ! C'est un appeau. - Un quoi ? - Une sorte de sifflet dont se servent les chasseurs pour attirer les canards sauvages. C'est un client qui me l'a donné. J'ai voulu l'essayer et puis en me relevant, je l'ai laissé tomber. Impossible de le retrouver ! Je reviendrai voir demain matin quand il fera jour. - Dommage, j'aurais bien voulu essayer, dit Kim. Tu viens, on rentre. Elle prit la main de son père et ils se dirigèrent d'un pas rapide vers la maison. 121

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A peine avaient-ils franchi la porte que Kim comprit que sa mère était toujours d'humeur bagarreuse. - Kim, ton frère était encore tout seul quand je suis rentrée. Tu vas encore aller au lit sans télé ! Et puis qu'est-ce que c'est que cette horrible recette ? Tu ne crois quand même pas que je vais faire du CANARD ? ! -Mais maman, je suis juste allée au bout de la rue pour raccompagner Kris qui est venue exprès pour apporter la recette ! Il paraît que c'est délicieux. - De quoi se mêle-t-elle ? De toute façon, mon menu est déjà prévu et j'ai fait toutes mes courses aujourd'hui. - C'est vrai ? Qu'est-ce que tu nous prépares de bon, demanda Vincent, alléché. - Un Christmas pudding traditionnel, à l'anglaise. - Oh là ! Tu crois que mes parents vont aimer ça ? interrogea Vincent, alarmé. - Bien sûr. Et puis il faut bien changer un peu. Il n'y a que des bonnes choses dans le Christmas pudding. - Très bien, je te fais confiance, comme d'habitude, conclut Vincent en embrassant Lise, qui, du coup, 122

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leva la punition. Kim monta dans sa chambre et constata que Tom ne boudait plus. Il la gratifia même d'un sourire en passant. -Alors, ça va mieux ? - Ca va très bien ! Kim et Tom se lavèrent les mains et descendirent pour le dîner. Pour la première fois depuis plusieurs jours, la soirée se déroula sans disputes d'aucune sorte, et la nuit suivante fut paisible pour tout le monde.

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-18Marc et Aline font leur entrée C'était la veille de Noël. Tôt le matin, Vincent était allé acheter un grand sapin. Tom et Kim étaient occupés à le décorer. Il avait fallu racheter de nouvelles guirlandes car il était deux fois plus haut que celui qu'ils avaient d'habitude d'installer dans leur appartement parisien. Lise s'était enfermée dans la cuisine, avec interdiction formelle d'entrer dans la pièce jusqu'à ce qu'elle donne le feu vert. Quant à Vincent, il avait disparu dans le pigeonnier sans rien dire. Quelques jours auparavant, des électriciens étaient venus et avaient aménagé toute une installation là-bas. Le soir, grand réveillon à la maison. Les parents de Vincent étaient invités, bien sûr, mais aussi son frère Marc, avec sa nouvelle fiancée que personne n'avait encore rencontrée, et qui s'appelait Aline. L'après-midi avait été consacrée à la décoration du salon et à la préparation d'une belle table de fête. Nappe blanche brodée, petits bouquets de fleurs 124

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fraîches devant chaque assiette, bougies dorées, branches de houx, porcelaine fine, cristal et argenterie étincelante : tout était parfait. De la cuisine émanait un fumet étrange mais pas désagréable, très épicé. Vincent avait disposé du caviar dans un plat rempli de glace. Bref, à six heures, tout était pratiquement prêt. - Il ne manque plus qu'une chose, dit Vincent. - Quoi donc, je ne vois pas, s'interrogea Tom.. - Attends deux minutes, je m'en occupe. Vincent se dirigea une fois de plus vers le pigeonnier, où il pénétra. Trente secondes plus tard, le grand sapin du jardin, tout enneigé s'illuminait de milliers de petites étoiles scintillantes ! - Wow ! On se croirait aux Champs-Elysées, fit Lise. Kim et Tom admiraient, bouche bée, le spectacle. Vincent rentra, tout fier : - Alors, qu'est-ce que vous pensez de ma surprise ? - Oh papa, c'est magnifique, s'écria Kim. - Ca mérite pas une bise, ça ? Les yeux brillants, Kim, Tom et même Lise se jetèrent sur Vincent pour l'embrasser. - Tu es sûr que ce n'est pas dangereux, avec toute 125

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cette neige ?, s'inquiéta Lise . - Mais non, c'est conçu pour, répondit Vincent. - Tu as mis le champagne au frais , j'espère ? - Mais oui, dès ce matin ! Kim et Tom étaient dans un état bizarre : mifatigués par leur journée bien remplie, mi-excités car le soir du réveillon était aussi celui des cadeaux. Tom espérait bien recevoir une nouvelle console de jeux vidéo. Quant à Kim, elle priait pour que ce brave Père Noël lui apporte enfin des rollers. Pour le reste, ce serait, comme d'habitude, la surprise ! Ce qui était encore plus excitant. En prime, ce soir-là, il y avait une autre surprise : la nouvelle fiancée de Marc. Il s'était spécialisé dans les drôles d'oiseaux. La dernière en date, Muriel, avait quitté son cabinet d'avocat, ses amis, sa famille, comme ça, d'un seul coup, pour s'installer chez des moines tibétains. Sept heures : bientôt, tout le monde serait arrivé. Toute la famille monta au premier étage pour revêtir une tenue de fête. Kim avait choisi ellemême la robe de satin rouge brodée de fleurs de lotus qu'elle allait porter ce soir. La couleur du tissu faisait ressortir le noir de ses cheveux et la pâleur 126

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de son teint. Les reflets du satin accrochaient la lumière et les broderies étaient d'une finesse incroyable. La robe n'était pas "top mode", comme le lui avait fait remarquer Kris, mais elle lui allait formidablement bien. Et Kim ne détestait pas l'originalité. Tom, quant à lui, avait catégoriquement refusé de s'habiller "en pingouin"... Chemise, gilet de peau, jeans et bottes de cow-boy : un véritable petit oncle Sam ! Et tant pis pour les convenances. Lorsqu'ils descendirent, Vincent, avec son éternel costume de velours bleu, avait déjà pris un peu d'avance et dégustait en douce une cuiller de caviar. - Dis donc Papa, tu pourrais attendre, fit Tom. - Il fallait que je goûte ce caviar, on ne sait jamais ? C'est un de mes fournisseurs qui me l'a offert, dit-il sur un ton très sérieux. - Arrête, papa, tout le monde sait que tu ne peux pas résister au caviar, dit Kim. - Dis-moi, tu es très belle ce soir, répondit Vincent. - C'est ça, détourne la conversation ! Allez, on ne le dira pas à Maman va ! - Quand on parle du loup... Lise, tu es superbe. 127

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Lise Vétheuil avait sorti le grand jeu : maquillage sophistiqué, robe fourreau en soie bleu nuit et petites bretelles, escarpins assortis, parfum épicé, elle n'avait rien négligé. - Wow, Maman la star, s'écria Tom. Lise rougit jusqu'aux épaules et sourit. Apparemment, elle avait retrouvé sa bonne humeur. - Ouf ! Tout est prêt, je vais pouvoir profiter de la fête ! voilà ce que c'est que d'être organisé. Quelques instants après, les parents de Vincent arrivaient, les bras chargés de paquets enrubannés et de bouteilles de champagne. C'était le signal : Lise et Vincent s'éclipsèrent et revinrent déposer au pied du grand sapin deux piles de cadeaux soigneusement étiquetés. On n'attendait plus que Marc et sa fiancée. Kim et Tom rôdaient autour du sapin, essayant de deviner ce que pouvaient bien contenir les paquets qui leur étaient destinés. Vingt minutes plus tard, les parents de Vincent étaient confortablement installés dans le canapé, mais toujours pas de Marc. - J'espère qu'ils ne sont pas perdus, fit Vincent. - Mais non, il connaît le chemin par coeur. Et puis 128

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il aurait téléphoné avec son portable, répondit Lise. - N'empêche, une heure de retard, ce n'est pas dans ses habitudes, fit Vincent, un peu inquiet. - Je suis sûre que son amie n'était pas prête, dit Mme Vétheuil mère. Tu sais comment sont les femmes... - Oui, je suis bien placé pour le savoir, répliqua son mari en souriant ... Si vous saviez le temps qu'il lui a fallu pour se préparer ! -N'empêche que nous n'étions pas en retard, nous ! - Bon, une coupe de champagne pour patienter ? suggéra Vincent. - Bonne idée ! Encore trente minutes, et les enfants étaient au bord de la crise de nerfs lorsqu'enfin la sonnette retentit. Vincent ouvrit la porte et laissa entrer un Marc visiblement furieux. - Eh bien, tu es tout seul ? - Non, Aline se recoiffe, elle vient. - Qu'est-ce qui vous est arrivé ? - Oh rien, elle a voulu conduire. Résultat, on a raté la sortie d'autoroute et on s'est retrouvé en pleine forêt, complètement perdus dans la neige. En plus, elle m'a pris mon portable ce matin et a 129

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complètement oublié de le recharger : impossible de vous appeler.. - Allez, Marc, ça n'est pas grave ! Va la chercher, le trottoir est glissant. - Elle serait bien capable de se casser quelque chose. Il ressortit sans même avoir dit bonjour. - Hé bien, c'est le parfait amour, remarqua la mère de Vincent, moqueuse . Enfin, Marc et Aline firent leur entrée. Aline était blonde, avec une cascade de cheveux bouclés et, sur le devant, deux ravissantes mèches bleues. Lorsqu'elle ôta son long manteau de laine noire, elle dévoila une robe en satin bleu électrique ultracourte. Quant à ses pieds, ils étaient chaussés de baskets à grosses semelles lamés bleu et argent. - On se demandait où était passée la cinquième Spice Girl, eh bien la voilà, chuchota Tom à Kim qui faillit s'étrangler de rire. - Je vous présente Aline, fit Vincent à la cantonade. - Comme je suis contente de vous rencontrer ! Vous avez bien fait de mettre vos chaussures de sport, avec cette neige et ce verglas, dit la mère de Vincent. 130

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Aline regarda Marc sans mot dire. Il avait du mal à garder son sérieux, mais le regard d'Aline se fit menaçant, à tel point qu'il dut prendre sa défense. - Ces chaussures sont très à la mode, Maman. Elles viennent de Londres. - Les cadeaux, les cadeaux, scandèrent Kim et Tom, ce qui eut pour effet de détendre l'atmosphère. Et la distribution commença par les plus gros paquets. Oh joie ! La console vidéo et les rollers étaient au rendez-vous. Puis ce fut le tour des petits paquets. Une houppette en plumes de cygne pour Kim, qui la rendit perplexe - Je ne me maquille pas, murmura-t-elle à Tom. - Et moi, tu crois que je fais de la plongée ? répliqua-t-il en lui montrant une superbe paire de palmes qu'il avait sortie de son paquet. Le troisième cadeau de Kim était un très beau livre sur... les canards sauvages. - J'ai cru comprendre que tu t'y intéressais, dit Vincent. - Oui, papa, il est très beau, c'est vraiment une bonne idée. Quant à Tom, il découvrit une cassette vidéo de Saturnin, le petit canard. Sur la boîte était indiqué : 131

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"A partir de trois ans". Stupéfait, Tom remercia quand même ses parents, sans conviction. Puis il continua son déballage pour découvrir les cadeaux de ses grands-parents et de son oncle. Dieu merci, ceux-là étaient parfaitement normaux : deux jeux vidéo pour aller avec la nouvelle console, et un super bateau télécommandé. Quant à Kim, elle hérita d'un peignoir chinois en soie jaune et d'un métier à tisser dont elle avait envie depuis longtemps. Le quart d'heure suivant fut consacré à la tournée des embrassades et des remerciements. Au passage, Kim nota qu'Aline se parfumait à la banane, et trouva ça un peu nul pour une fille de cet âge. Enfin, on se mit à table. Après le caviar, Lise apporta son pudding, mijoté dans le plus grand secret. C'était une gigantesque montagne de couleur brunâtre, avec quelques raisins, de la confiture d'airelles et une couronne de fruits rouges. - C'est une recette traditionnelle anglaise, annonçat-elle. - Comment faites-vous. ça, demanda' a mère de Vincent. 132

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- Oh, c'est un mélange très complexe à base de farce, de purée de marrons et de raisins de Corinthe, le tout lié avec de la farine d'avoine . - Hummm... Ce doit être délicieux, fit Marc en se servant une grosse part. Je te sers, Aline ? - Oui, pas trop, s'il te plaît. C'étaient les premiers mots prononcés par Aline depuis son arrivée. Vincent alla mettre un disque de Frank Sinatra. Aline se leva, alla dans l'entrée et en rapporta un sac en plastique : - Tenez, j'ai apporté quelques disques pour mettre de l'ambiance. - Comme c'est gentil ! fit Vincent en regardant les boîtiers : - House, Techno, Garage, Trip Hop, Jungle ... Dites donc, vous êtes plus branchée que nous ? Si vous voulez, on les passera après dîner. Pendant le repas, je mets juste un fond sonore. - Bon très bien, comme vous voulez, répliqua Aline, un peu vexée... Marc fit mine de s'essuyer le front, l'air de dire: "On l'a échappé belle !" Kim et Tom, de leur côté, avaient dressé l'oreille. Aline avait raison : Lise et Vincent n'étaient pas vraiment branchés ! En fait, 133

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leurs goûts musicaux s'étaient arrêtés à la fin des années 80. Ils écoutaient Bob Dylan, les Rolling Stones et même Led Zeppelin. La techno, ils détestaient. Tom avait beau leur faire remarquer qu'ils n'en n'avaient jamais écouté, rien à faire. Cette fois, ils n'y couperaient pas : il fallait bien faire plaisir à Aline. Le Christmas pudding remportait un succès mitigé : Tom, Lise et Vincent avaient presque fini leur assiette. Quant aux autres, ils semblaient avoir perdu l'appétit. Marc dépiautait sa part en petits morceaux qu'il répartissait dans son assiette. Aline avalait de minuscules bouchées avec un sourire forcé. Quant aux parents de Vincent, ils avaient renoncé après deux essais. De son côté, Kim regrettait amèrement de ne pas avoir un chien auquel elle aurait pu donner toute sa part en douce, sous la table. Lise n'avait pas l'air de s'inquiéter. Elle se leva et dit : - Eh bien, vous n'avez pas beaucoup d'appétit ce soir. Il va nous rester du pudding pour toute la semaine, plaisanta-t-elle. Kim se dit : "Oh non, elle va nous le resservir ?". 134

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Vincent et Tom, eux, semblaient plutôt satisfaits. Lise changea les assiettes et apporta une salade tout à fait normale, sur laquelle se jetèrent les invités. Personne n'avait osé faire de commentaires sur le pudding, et on s'était remis à bavarder gaiement. - AAhhhh ! Un cri à glacer les sangs retentit dans la cuisine. Marc bondit sur ses pieds : - Aline, qu'est-ce qui t'arrive ? Effectivement, Aline avait disparu depuis quelques minutes. Marc se précipita à la cuisine et trouva la jeune femme sanglotant, assise par terre devant le réfrigérateur ouvert. Sur l'étagère du bas, une boîte en plastique renversée laissait échapper des dizaines de petits vers bruns qui se tortillaient dans tous les sens. - Quelle horreur ! s'écria Marc en aidant Aline à se relever. - Allons, ce sont des vers de vase. Pour la pêche ! expliqua Vincent qui était accouru. J'avais pourtant bien fermé la boite. Lise ! viens m'aider s'il te plaît. Dans l'entrée, Marc essayait de calmer son amie. - Allons, ce n'est rien. Mais pourquoi as-tu ouvert cette boîte ? 135

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- Je mourais de faim ! Je n'ai pas pu avaler une bouchée de cet affreux pudding. Je n'ai rien voulu dire pour ne pas faire d'histoires mais franchement, c'était à faire vomir un rat. Je suis allée me chercher quelque chose dans le réfrigérateur. J'ai fait tomber la boîte et ça s'est mis à grouiller dans tous les coins. - Eh bien ça t'apprendra à mettre ton nez partout, fit Marc. - C'est tout ce que tu trouves à dire ? Vous êtes tous fous, dans cette famille, répondit Aline, furieuse. Je veux rentrer... - Excuse-moi et viens manger ta salade. Tu verras, elle est délicieuse. - Je n'ai plus faim I Aline se rassit néanmoins à table et toute la famille s'efforça de reprendre le fil de la conversation interrompue. Mais le c?ur n'y était pas et, à peine le dessert avalé, les invités se levèrent pour rentrer chez eux. Kim et Tom montèrent se coucher pendant que Lise et Vincent débarrassaient la table et faisaient un peu de rangement.. - Quelle soirée ? Des Noëls comme ça, non merci ! soupira Kim. 136

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- T'as raison; c'était l'horreur. Enfin, j'ai ma console. Quand je pense que je n'ai même pas pu l'essayer ! - Et tes palmes ! - Je les avais oubliées, celles-là ! - Dis donc, Tom, depuis quand Papa va à la pêche ? - Je suis pas au courant... - C'est bien ce qui me semblait... Et ce pudding ! Je n'en ai pas mangé beaucoup, mais je ne me sens pas bien. Et toi, ça va ? - Oui, j'ai trouvé ça super ! - Oui, j'ai vu que tu en avais pris deux fois. Je n'arrivais pas à le croire. Tom avait. déjà enlevé ses chaussures. Il s'était assis au bord de son lit et s'apprêtait à ôter ses chaussettes. Kim, songeuse, était appuyée au chambranle de la porte et réfléchissait aux étranges événements des jours derniers. Soudain, son regard rencontra les pieds nus de Tom. - Tom, regarde tes pieds. -Quoi, qu'est-ce qu'ils ont ? - Écarte tes doigts s'il te plaît. Ton obéit, et devint soudain tout pâle. - Maman a la même chose , dit Kim. Je l'ai vu 137

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l'autre jour à la piscine, mais je n'étais pas sûre. Montre-moi. Tom, terrifié, lui tendit son pied droit. - Arrête de me ficher la trouille ! - Ne fais pas l'autruche, Tom. Il se passe quelque chose de grave. - Eh bien il faut aller voir le docteur. - Non Tom. C'est autre chose. Le docteur n'y pourra rien. - Bon tu m'expliques maintenant. Il est trop tard pour jouer aux devinettes. Kim ne savait pas par où commencer. - Tu vas me prendre pour une folle. - N'aie pas peur, c'est déjà fait, répondit Ton avec un petit sourire. - Bon, tu te rappelles le livre de la bibliothèque, avec le marquis sorcier ? - Oui, bien sûr. J'en ai même fait des cauchemars. - Ah, toi aussi... Je n'arrête pas d'y penser en ce moment. - Bon, alors ? - Tu te rappelles la fin ? - Oui, bien sûr. Il transforme tout le village en bestioles, puis il disparaît et personne ne le revoit jamais. 138

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- Exactement. - Maintenant, tâche de te souvenir de ce que nous ont raconté Kris et Fabien le premier jour d'école . - Ha, l'histoire de la maison, avec ces gens qui ne restent jamais. - Oui, c'est ça. Et tu ne trouves pas ça bizarre, tous ces gens qui déménagent sans prévenir personne ? - C'est vrai, mais je ne vois pas le rapport. - Moi non plus... Enfin, pas encore. Ce que je sais en tout cas, c'est que Maman et toi, il vous pousse des palmes aux pieds. Ce que je sais aussi, c'est que Papa passe des heures au bord du petit lac à parler aux canards. - Quoi ? - Je ne t'en ai pas parlé pour ne pas t'affoler, mais... Kim lui raconta comment son père avait voulu lui faire avaler une histoire d'appeau mystérieusement disparu. Le lendemain matin, en douce, elle était retournée sous le saule, mais n'avait rien trouvé, bien sûr. - Et pour couronner le tout, maman et toi, vous nagez comme des champions, enfin comme des canards, je veux dire ! Au fait, tu te rappelles la tête de Maman quand elle a trouvé la recette du canard 139

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à l'orange ? Elle était horrifiée, on aurait dit qu'elle avait peur. - Attends, tu ne crois pas que tu vas un peu loin ? - Non. Tom, j'ai bien réfléchi. Il faut faire quelque chose, ou bien je te donne un mois pour te transformer en canard ! Et je ne t'ai pas tout dit ! - Quoi encore ? - Tout à l'heure, quand Aline a failli se trouver mal dans la cuisine, j'ai feuilleté mon nouveau livre sur les canards. Tu sais ce que ça mange les canards, à part du grain? Des vers de vase ! Attends, c'est pas fini. Tu te rappelles que Maman nous a interdit d'entrer dans la cuisine pendant qu'elle faisait son ignoble pudding ? Ca m'a travaillée toute la journée, cette histoire. D'habitude, elle veut toujours que je l'aide à préparer le repas. - Et alors ? - Au moment où tout le monde se disait au revoir devant la maison, je me suis glissée dans la cuisine. Dans l'évier, il y avait le moule à pudding et le saladier dans lequel Maman a fait son mélange. Devine ce que j'ai trouvé au fond du saladier? Un petit bout de ver de vase ! Son pudding à l'anglaise, c'était un pudding au vers de vase, spécial canards ! 140

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Tom eut un haut-le-coeur : - Kim, arrête de me faire marcher. Tu veux que je vomisse ou quoi ? - Je ne plaisante pas, Tom. Le pire, c'est que tu as aimé ça ! - Oh non, c'est pas vrai, geignit Tom, désespéré. Mais qu'est-ce qu'on peut faire ? - Il nous faut de l'aide. Le problème, c'est que personne ne nous croira, surtout pas Papa et Maman. La seule personne possible, ce serait M. Guillevic. - Le bibliothécaire ? - Oui. Depuis le début, je me demande pourquoi il a tellement insisté pour que je prenne ce livre. C'était peut-être pour nous prévenir. - Tu as raison. Il faut aller le voir le plus vite possible, dit Tom. Tu sais, moi aussi, j'ai découvert quelque chose. - C'est vrai ? - Tu te rappelles les petits bruits que je faisais en dormant quand on est arrivés ici ? Et les petites graines que j'ai trouées sur mon balcon ? Eh bien j'ai compris ce que ça voulait dire l'autre jour, quand on jouait. au talkie walkie avec Nicolas. On 141

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s'envoyait des messages en morse en utilisant le petit livret. Tu sais ce que ça veut dire "tip tip tip taaap taaap taaap tip tip tip" ? Ca veut dire SOS ! - Nom d'un chien ! Tu n'aurais pas pu me le dire avant ? Alors le petit canard du pigeonnier, tu crois qu'il essayait de nous avertir? - Oui, sûrement ! - Bon, de toute façon on ne peut rien faire ce soir. On ferait mieux d'essayer de dormir pour être en forme demain. Surtout qu'il va falloir trouver une bonne raison pour sortir tous les deux demain matin, un jour de Noël. Allez, bonne nuit. - Dors bien, Kim.

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-19Une visite chez le bibliothécaire Pour un drôle de Noël, c'était un drôle de Noël. Kim se réveilla à sept heures. Il faisait encore nuit, mais le ciel tout blanc chargé de nuages neigeux laissait filtrer une lumière blafarde à travers les persiennes. Le lit de Kim était en bataille, la couette tire-bouchonnée, le drap de dessous tout plissé. Apparemment, son sommeil avait été agité. Kim se leva et traversa le couloir pour entrouvrir la porte de son frère qui dormait à poings fermés. Elle entra dans la chambre et referma la porte tout doucement. Se penchant au dessus de l'oreille de Kim elle chuchota: - Tom, réveille-toi ! Tom ! Le garçon grogna, se retourna, se mit la tête sous l'oreiller en marmonnant : - Oh non, Maman, laisse-moi dormir, s'il te plaît ! - C'est moi, c'est Kim, allez, réveille-toi vite, on sort . Tom ouvrit un oeil et se frotta les paupières : 143

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- T'es pas folle ? Tu as vu l'heure qu'il est ? - Justement ! Les parents ne seront pas levés avant neuf heures. On a juste le temps d'aller voir le bibliothécaire et de revenir. - Mais enfin, tu te rends pas compte ! Il dort, à cette heure-là, en plus le jour de Noël. - Regarde par la fenêtre, gros paresseux. Il y a de la lumière chez lui. Allez, viens vite, il n'y a pas de temps à perdre. On prend les chaussures et les vêtements, on s'habillera en bas. Ca fera moins de bruit. Tom se leva de mauvaise grâce et ils descendirent sur la pointe des pieds. Dix minutes plus tard, ils sortaient dans le froid. - Quel temps pourri ! Regarde la brume sur le petit lac, fit Kim. Il faisait très froid et effectivement, une nappe cotonneuse flottait comme un nuage humide audessus du plan d'eau, à tel point qu'on avait du mal à distinguer la berge. - Fais attention, regarde où tu marches Tom ? - Bon, ça va, je sais que je ne tiens pas debout, mais quand même Les réverbères qui cernaient le petit lac 144

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vaporisaient des halos de lumière diffuse, mais ils n'éclairaient rien à terre, tant la brume était épaisse. Tels deux petits fantômes, Kim et Tom avançaient à pas hésitants. Ils avaient rabattu les capuches sur leurs têtes. L'un derrière l'autre, ils cheminaient en silence en direction de la maison de M. Guillevic. Au premier étage, la lampe était toujours allumée, et les volets n'étaient même pas fermés. Arrivés à la porte, Kim et Tom hésitèrent devant la sonnette. Tout à coup, ils réalisèrent l'étrangeté de la situation : deux enfants, au petit matin. d'un jour de Noël, sous la brume et dans le froid, s'apprêtaient à raconter une histoire abracadabrante à un homme qu'ils connaissaient à peine. Il y avait de quoi se poser des questions. Ce fut Tom qui se décida le premier. - Allez, maintenant qu'on est là, on ne va pas se dégonfler. De toute façon, il ne dort pas. Et d'un index ferme, il appuya sur la sonnette. Le carillon sourd qui retentit leur fit l'effet d'une sirène. Dans le silence et l'obscurité, on n'entendait que cela et on n'avait l'impression que le "Ding Dong" allait réveiller tout le quartier. Pétrifiés, les deux enfants rentrèrent la tête dans les épaules, comme si le ciel 145

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allait leur tomber sur la tête. Au premier étage, la fenêtre s'ouvrit et une silhouette auréolée de cheveux hirsutes se pencha au-dehors. - Qu'est-ce que vous voulez, tous les deux, demanda une voix enrouée.. - Nous habitons la maison du pigeonnier. Ouvreznous, s'il vous plaît, il faut nous aider ! plaida Kim. Manifestement, le bonhomme s'attendait à leur visite, même s'il paraissait plutôt fâché que celle-ci se fasse le lendemain du réveillon, au petit jour. Pourtant, il n'hésita pas une seconde. -Attendez, je descends. Tom tira sa soeur par la manche : -Viens on s'en va. Il me fait peur, ce bonhomme. - Écoute, on n'a rien à perdre de toute façon. A moins que tu ne veuilles terminer ta vie dans la peau d'un canard... - Qu'est-ce qui vous arrive ? M. Guillevic, vêtu d'une robe de chambre écossaise et chaussé de charentaises, la tignasse rousse en bataille et la barbe emmêlée, avait allumé la lumière extérieure et venait de faire son apparition en haut du perron. - On ne peut pas parler devant chez vous, dit Kim. 146

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Laissez-nous entrer, s'il vous plaît, c'est très grave. Le bonhomme descendit les cinq marches en grommelant, puis sortit une clé de sa poche et ouvrit la grille. - Allez, dépêchez-vous, il fait un froid de canard... Eh bien, qu'est-ce qu'il y a, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, peut-être ? ricana-t-il. Tom était tellement interloqué qu'il fut incapable de répondre. Heureusement, Kim n'avait pas perdu sa langue : - Mais alors vous êtes au courant ? Ils montèrent un vieil escalier de bois grinçant et suivirent le bibliothécaire dans une petite pièce dont les murs étaient entièrement recouverts de rayonnages de livres. Le sol était jonché de papiers, de journaux, de livres ouverts. Quant. à la table, on ne la voyait même plus sous les piles de documents. La lampe de bureau éclairait un vieux livre grand format dont les pages usées étaient noircies d'un texte en caractères étranges. M. Guillevic s'empressa de fermer le livre à l'approche des enfants. - Je savais que vous viendriez un jour ou l'autre. Sauf s'il ne vous en avait pas laissé le temps... Kim 147

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et Tom se frayèrent un chemin en essayant de ne rien piétiner jusqu'à un vieux divan, au fond de la pièce. Débarrassant quelques centimètres carrés, ils s'assirent côte à côte, Kim regarda son frère qui était pâle comme un linge et comprit qu'il fallait qu'elle se jette à l'eau. Elle raconta toute l'histoire, sans rien oublier. M. Guillevic l'écoutait attentivement, sans la regarder, fixant un point imaginaire sur le sol. - ... Je n'ai pas pu m'empêcher de repenser au livre que vous m'aviez prêté la première fois que je suis allée à la bibliothèque, vous savez, l'histoire du marquis qui transformait les humains en animaux. - Vous étiez au courant et vous n'avez rien fait ? s'exclama Tom en se levant d'un bond pour donner plus de poids à sa révolte. - J'ai bien essayé de vous prévenir quand votre soeur est venue à la bibliothèque, et puis je vous ai aussi envoyé Baptiste... Incrédule, Kim se tourna vers son frère pour l'interroger du regard. Le bibliothécaire poursuivit. - Vous vous rappelez le petit canard, celui qui est allé chercher votre frère lorsque vous avez failli 148

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tomber dans le pigeonnier ? M. Guillevic s'écroula sur son siège, s'accouda sur la table et cacha son visage entre ses mains en sanglotant. Puis il reprit la parole d'une voix tremblante d'émotion et leur conta en quelques mots l'histoire de sa vie qui s'était pour ainsi dire arrêtée un autre sinistre soir de Noël, quelques années auparavant. Pour donner plus de véracité à son récit, il leur tendit une vieille photographie jaunie, dont les couleurs avaient passé depuis longtemps. On apercevait un couple avec un adorable petit garçon d'environ trois ans. La femme était brune, mince et élégante. Elle avait un très beau regard clair et un sourire éclatant. L'homme était grand et solide. Ses cheveux roux flamboyants lui donnaient un petit air irlandais, et il paraissait le plus heureux des hommes. Quant à l'enfant, il avait hérité de son père une tignasse cuivrée. Les trois protagonistes restèrent silencieux un long moment et ce fut Kim qui comme à son habitude rompit le silence la première. - Mais comment se fait-il qu'à moi, il ne m'arrive rien ? - C'est la question que je me pose depuis le début, 149

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répondit M. Guillevic, songeur. Tu dois être protégée par quelque chose... Tu es née au Viet Nam? - Mais qu'est-ce que cela a à voir? - Eh bien, la sorcellerie d'Anaxagore est peut-être neutralisée par un élément génétique lié à tes origines, qui sait ? Ou alors tu es toi-même un peu sorcière sans le savoir ! lança M. Guillevic en souriant timidement. Kim rougit de colère : "Alors ça, ça m'étonnerait beaucoup! Si j'étais sorcière, j'aurais su comment arrêter cette catastrophe, vous ne croyez pas ? De toute façon, maintenant, il faut agir. Comment peut-on arrêter la transformation de Tom ? M. Guillevic qui avait retrouvé son sang froid, ouvrit le gros livre qu'il avait promptement fermé à l'arrivée des enfants et saisit un vieux parchemin qu'il avait caché entre deux pages. - C'est le plan du château d'Anaxagore et de ses sous-sols. C'est là qu'il faut chercher la clé de la malédiction. Je sais qu'il existe un passage souterrain mais je n'ai jamais réussi à en trouver l'entrée. Soudain, Kim se rappela sa conversation avec ses 150

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nouveaux camarades leur premier jour d'école, en particulier l'allusion de Kris aux "murs qui bougent" dans les caves du vieux château. Elle rapporta fidèlement le dialogue avec Kris et Fabien, et le regard de M. Guillevic s'illumina d'un nouvel espoir. - Si on téléphonait tout de suite à votre amie pour lui demander où se trouve ce "mur qui bouge" ? Kim regarda sa montre et constata qu'il n'était que huit heures et demie. Tant pis, la situation était trop grave pour laisser sa copine dormir, même si elle avait fait la fête tard dans la nuit avec ses parents. Par chance, ce fut Kris elle-même qui répondit car elle s'était levée très tôt pour profiter de tous ses cadeaux. Elle leur indiqua avec précision comment accéder à la porte secrète, et Kim eut beaucoup de mal à la dissuader de les accompagner. Elle dut même inventer une histoire de jeux de rôles dont elle préparait le scénario et qui devait absolument rester secrète. Tout le monde se mit d'accord pour se retrouver devant la maison de M. Guillevic après le dîner. Il les emmènerait en voiture aux ruines du vieux château qui se trouvait tout de même à près de 3 km de là, en lisière de la forêt. 151

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-20A l'assaut du château Après le dîner, Kim et Tom rivalisèrent de bâillements et d'étirements. Jamais ils ne s'étaient sentis si fatigués... Ce fut du moins ce qu'ils affirmèrent à leurs parents avant de faire semblant d'aller se coucher. Quelques minutes plus tard, ils se glissaient en silence hors de la maison pour aller à leur rendez-vous. Équipée de pied en cap, la bande des trois s'engouffra dans la voiture de Guillevic. Direction : le château d'Anaxagore, en lisière de forêt, à la sortie de La Hourcade. - Les enfants, n'oubliez pas que quoi qu'il arrive, il faut rester groupés. - On va réussir, j'en suis sûr, fit Tom. Le bibliothécaire sourit et renchérit : - Bien sûr qu'on va y arriver. Il le faut ! Le reste du trajet se déroula dans le silence et la concentration. Christian Guillevic gara la voiture à l'abri d'un fourré, près de la vieille grille du 152

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château. Il longea la grille et parvint au pied d'un mur de deux mètres de haut environ. - Première mission : un peu d'escalade. Il faut passer par-dessus le mur. Pas de panique, c'est facile. Suivez-moi et marchez dans mes traces. Tom, tu me suis et tu mets tes pieds là où je mets les miens." Dans le feu de l'action, le bibliothécaire avait naturellement tutoyé les enfants, qu'il considérait maintenant comme ses compagnons d'armes. "C'est l'endroit le plus pratique, on met les pieds et les mains dans les trous, c'est enfantin. Et de l'autre côté c'est beaucoup moins haut car il y a un talus. Il suffit de sauter. Tu vas doucement, on n'est pas pressés. Kim, tu fermes la marche de la même manière. Allez, c'est parti." Surprise, Christian grimpait comme un singe ! Pour un rat de bibliothèque, c'était plutôt étonnant. Tom était un peu angoissé, mais il fallait réussir... et il réussit. Quant à Kim, elle passa le test sans aucune difficulté. Ils se retrouvèrent tous les trois de l'autre côté. Il faisait très sombre sous les arbres, malgré le manteau de neige. La lune était cachée sous une épaisse couche de nuages. Christian alluma sa torche. 153

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- N'allumez les vôtres que si vous ne pouvez pas faire autrement. Il faut économiser les piles ! indiqua-t-il. Sans un mot, Kim et Tom se mirent en marche. Ici, la neige était restée immaculée, car nul promeneur ne s'était aventuré dans le parc du château. Le donjon en ruines émergeait, majestueux, de la rangée de grands chênes tout blancs. Le spectacle était magnifique, mais, leur rappela Christian, ce n'était pas le moment de faire du tourisme ! Il avançait rapidement, d'un pas sûr. Ils marchèrent un moment en silence quand Christian leur fit signe. - C'est là ! Attention, le sol est en pente, ça glisse ! Il avait atteint une sorte d'ouverture pratiquée dans le talus qui longeait le donjon. Il se baissa car l'accès était bas de plafond. Kim et Tom passèrent, eux, sans encombre. Effectivement, la pente était courte, mais rude, si bien que Kim et Tom la descendirent sur les fesses. - Je vous avais prévenus ! s'exclama Christian. Ils en seraient quittes pour quelques bleus. - Voilà la cave. L'entrée devrait être par là... Allumez vos torches, on n'y voit rien ! 154

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Ils s'approchèrent du fond de la cave entièrement vide. - Vous croyez que c'est là que se trouvait l'antre du sorcier ? demanda Kim. - Probablement. - Venez m'aider ! Kim avait trouvé en suivant les indications de son amie le mécanisme qui actionnait le déplacement d'un pan de mur. Les enfants de l'école n'avaient jamais poussé suffisamment fort pour déplacer le bloc de pierre, d'autant qu'ils n'imaginaient pas que derrière se cachait peut-être l'entrée d'un passage secret. Christian avait prévu que le mécanisme serait grippé par les années et il avait emporté avec lui un pied-de-biche qui leur fut d'un grand secours. A trois, ils eurent vite fait d'en venir à bout. - J'espère qu'il n'y a pas de rats ? fit Kim en frissonnant. - Pour l'instant il n'y a que nous ! observa Christian. Le passage était très étroit et bas de plafond, à tel point que le bibliothécaire était obligé de baisser la tête. Heureusement, le sol était relativement plat, et ils avançaient vite. Il régnait dans ce boyau une 155

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forte humidité, et les parois étaient recouvertes d'une véritable pellicule d'eau. A chaque inspiration, on avait l'impression d'avaler de la glace. Un joli rhume en perspective, se dit Tom. qui sentit un courant d'air et un frôlement au-dessus de sa tête. - Hé, qu'est-ce que c'est ? cria-t-il, alarmé. Christian leva sa lampe pour éclairer le plafond. Il fit apparaître un escadron de minuscules chauvessouris. Kim hurla de terreur car elle se voyait déjà entourée de vampires sanguinaires. - Allons du calme ! Ces petites bêtes sont tout à fait inoffensives. En fait, elles ont sûrement plus peur que nous. Et je m'y connais en chauves-souris, affirma Christian. Et surtout ne criez pas, ça pourrait provoquer un éboulement. Il regretta aussitôt ces derniers mots : il voulait rassurer ses compagnons, et il n'avait fait qu'augmenter leur angoisse ! Heureusement, Kim et Tom étaient bien décidés à aller jusqu'au bout. Ils marchèrent pendant plus de vingt minutes sans un mot... et sans chauves-souris. Soudain, Christian stoppa net. - Voilà, je crois qu'on est arrivés. Maintenant, plus un bruit. Il y a une porte devant moi, il faut que 156

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j'arrive à l'ouvrir. Éclairez-moi, chuchota Christian. Il cala la torche-stylo entre ses dents et dirigea le faisceau de lumière vers son sac à dos qu'il avait posé à terre pour sortir ses outils. Kim et Tom le regardèrent travailler, fascinés. A croire qu'il avait été cambrioleur ? Décidément, il ne fallait pas se fier aux apparences. Quelques minutes lui suffirent pour venir à bout de la serrure. Une petite poussée, et la porte s'ouvrit sans un grincement. - Attention, j'entre, murmura Christian en avançant précautionneusement. Vous pouvez venir, la voie est libre. Ah ! J'en étais sûr... Regardez, les enfants ! La pièce était suffisamment vaste pour que le faisceau des lampes électriques n'atteigne pas le mur du fond. Partout, des étagères bourrées de vieux livres, des grimoires, des manuscrits. Au milieu de la pièce, une "paillasse" de chimiste avec des tuyaux, des becs bunsen, des alambics et toutes sortes d'appareils étranges. Et à gauche, sur une table, un écran d'ordinateur sur lequel on pouvait voir scintiller des milliers de points lumineux signalant que l'appareil était en veille. A côté, une petite boîte grise reliée à l'ordinateur. 157

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- Regarde, Tom, on dirait un modem, dit Kim. En plus, j'ai bien l'impression qu'il fonctionne, ajoutat-elle en montrant du doigt les petites lumières rouges et vertes qui luisaient dans la pénombre. - Hé bien dites donc, il ne se refuse rien, notre sorcier, ironisa Christian. Bon, il n'y a pas une minute à perdre, il faut trouver comment arrêter la mutation. C'est peut-être une formule magique à prononcer, ou une soupe d'ingrédients bizarres à concocter. Au travail. - Mais nous ne savons même pas ce que nous cherchons, ni chez qui nous sommes ! On n'y connaît rien, nous, rappela Kim. - Ah oui, c'est vrai ! Voyons, comment faire ? Christian se mit à réfléchir en regardant les rangées de livres. La formule que nous cherchons doit forcément se trouver dans un vieux bouquin du XVIIIe siècle. Voilà, ça doit être là ... Il leur montra du doigt une rangée d'ouvrages reliés à l'ancienne de cuir craquelé par le temps. Vous commencez par la gauche, moi je prends ceux de droite. Christian prit le premier volume et le feuilleta. Kim et Tom firent de même, mais au bout de quatre pages, Tom se lamenta : 158

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- On n'y comprend rien, on n'y arrivera jamais ! Les lettres sont toutes biscornues, on n'arrive même pas à déchiffrer une ligne... C'est du chinois ! - Bon, eh bien il va falloir que je me débrouille tout seul. Après tout, la nuit est à nous. Christian avait beau faire le fier, la tâche était phénoménale. Il y avait au moins cent volumes à examiner, et il faudrait beaucoup de chance pour que la clé du mystère se trouve dans un des premiers. Résignés, mais agacés de ne pouvoir rien faire, les enfants se mirent à fureter. Tom était fasciné par l'ordinateur. - Ne touchez à rien, les enfants, il y a des tas de produits dangereux ici, avertit Christian sans cesser de lire. Tout à coup, l'écran s'alluma et un bip sonore retentit. Une fenêtre s'afficha : "You have new mail". - Ce n'est rien, c'est un logiciel automatique, expliqua Christian. Quand l'ordinateur reste en veille, il se connecte au réseau à intervalles réguliers et va relever le courrier. Ca m'étonnerait que le propriétaire descende à deux heures du matin pour lire ses messages ! 159

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- Détrompez-vous, mon cher Guillevic ! Tom, pétrifié, se retourna. Qui avait parlé ? Dans l'encadrement de la porte était apparue une silhouette vêtue d'une longue robe noire brodée de signes ésotériques. Personne ne l'avait entendue approcher. - On y voit plus clair maintenant, n'est-ce pas, Monsieur Guillevic ? Christian s'immobilisa et tandis que ses yeux s'habituaient au flot de lumière qui provenait d'une rangée de néons tapissant le plafond, un spasme de terreur lui vrilla l'estomac, coupant sa respiration. A leur tour Kim et Tom ouvrirent de grands yeux affolés. Face au bibliothécaire se tenait l'exacte réplique de leur nouveau partenaire d'aventure. Même regard, même cheveux, même corpulence, et si ce n'était la différence de vêtement on aurait pu les confondre. Anéantis, ils se tournèrent vers Christian qui tremblait de terreur. - Qui... qui êtes vous ? Ce n'est pas possible... Il n'avait pas fini de balbutier ces mots que déjà le jumeau de Christian Guillevic se dématérialisait en un milliard de scories tournoyantes qui recomposèrent en quelques secondes la forme de 160

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Madame Boisrouge, la secrétaire du notaire qui avait accueilli la famille Vétheuil le jour de leur emménagement. - Ha ha ha , et encore, vous n'avez pas tout vu, leur lança-t-elle en projetant ses cheveux flamboyants en arrière. - Je peux prendre n'importe quelle forme ! Guillevic, qui avait recouvert ses esprits, voulut s'avancer vers l'ennemie pour bien lui montrer qu'il n'avait pas peur d'elle. Mais sa manoeuvre eut pour résultat d'exciter encore plus la créature, qui le repoussa d'un geste rapide et presque imperceptible. - Vous ne pouvez rien contre mes pouvoirs, vous le savez bien, Guillevic ! Pourquoi vous entêter ? Puisque vous êtes parvenu jusqu'à moi, je vais être obligée de me débarrasser de vous, cette fois ! Elle se mit alors à réciter d'une voix tonitruante une étrange incantation qui résonnait en écho dans le sous-sol : "Calamaster sarcellus avis mutatio ! Mutationis sarcellus ! Sarcellus ! Sarcellus !" 161

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Dès les premiers mots, Christian et Tom se figèrent, comme paralysés. Kim, qui avait eu le réflexe de se glisser sous la paillasse, observait la scène, terrorisée. La sorcière psalmodiait sa litanie maléfique, les bras tendus en direction de ses victimes. Du bout de ses ongles démesurés, elle projetait vers eux des éclairs fluorescents qui formaient autour de Christian et Tom un cocon de lumière qui bientôt les cacha aux yeux de Kim. Mme Boisrouge explosa alors en une multitude de lucioles incandescentes qui fusionnèrent pour former une boule de lumière aveuglante tournoyant comme une toupie. Kim, qui malgré la peur n'avait pas perdu son sang-froid, risqua le tout pour le tout. Il fallait agir avant qu'il ne soit trop tard et que ses compagnons ne soient définitivement transformés ou, pire, volatilisés. Elle regarda autour d'elle en quête d'une arme quelconque à projeter vers la sphère de feu qui traversait la pièce avec des mouvements circulaires de plus en plus rapides. Sans sortir de sa cachette, elle explora à tâtons le dessus de la paillasse qui lui servait de refuge et toucha un grand bocal de verre qu'elle saisit au moment précis où la comète de feu 162

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s'avançait dans sa direction. La chance peut-être, et surtout des réflexes aguerris par des années de pratique de la chasse aux mouches avec son frère, placèrent le bocal directement sur la trajectoire de la boule de feu qui s'engouffra tout droit dans le récipient. Kim se leva d'un bond et rabattit le bocal, ouverture vers le bas, sur la table, emprisonnant ainsi ce qui avait été Mme Boisrouge. Un son bizarre, mélange de cris d'enfants et de caquètements stridents, attira l'attention de Kim qui se retourna vers l'endroit où se tenaient encore Tom et le bibliothécaire. Une vision de cauchemar la glaça sur place. Le nez et le menton de Tom s'étaient allongés pour former un bec là où autrefois il y avait eu une bouche. Ses cheveux s'étaient détachés de son crâne maintenant pourvu d'un duvet vert et brun. Il essayait manifestement de crier, mais ne pouvait émettre que de malheureux petits "Couac". Ses vêtements étaient comme aspirés vers l'intérieur de son corps tandis que des plumes émergeaient à leur place. Deux ailes de canard avaient remplacé son anorak. Son jean avait disparu, laissant à la place deux pattes maigrichonnes prolongées par des pieds palmés. 163

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Christian subissait le même sort. Maintenant, leur taille diminuait à vue d'oeil... Bientôt, la transformation fut achevée. Kim avait mis sa main devant sa bouche pour ne pas crier. Que faire ? Elle se retourna vers le bocal et eut la surprise de découvrir qu'à la place de la boule de feu se tenait à nouveau Mme Boisrouge, pas plus haute qu'une poupée Barbie ! Elle s'évertuait à taper contre la paroi de verre pour la briser. L'inscription "Verre incassable" gravée sous le récipient rassura Kim qui malgré l'horreur de la situation ne put s'empêcher de sourire. Les deux canards, le grand et le petit, s'envolèrent dans un battement d'ailes et se posèrent sur la table près de Kim. - Maintenant, à nous deux, Madame la sorcière ! La formule, et vite. Et pas de bêtises ! Si vous essayez de m'embobiner, je remplis le bocal d'eau histoire de voir de quoi vous avez l'air en poisson rouge. Et ne croyez pas que je plaisante ! A l'intérieur du bocal, la mini-sorcière s'était calmée. Assise sur la paillasse, les bras croisés, elle hochait la tête en ricanant. Kim, qui avait déjà eu l'occasion d'assister à des cours de chimie sur la cinquième chaîne, mit alors en pratique une 164

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expérience qu'elle avait trouvé très intéressante. Elle attrapa un bec bunsen qu'elle alluma avec un briquet, et en dirigea la flamme vers le fond du bocal, ce qui eut pour effet de chauffer instantanément l'air dans lequel était emprisonnée la sorcière. L'atmosphère à l'intérieur du bocal devint rapidement étouffante et Mme Boisrouge commença à suffoquer sans pour autant donner de signe de reddition. En désespoir de cause, Kim prit alors un manuscrit relié qui était posé sur le plan de travail et s'adressa à la sorcière qui maintenant avait pris une drôle de couleur cramoisie. - Bon. Puisque c'est ainsi, je vais toutes les essayer, vos fichues formules. Kim ouvrit au hasard le livre et se mit à lire tout haut les mots incompréhensibles. Vous savez, j'ai tout mon temps. Toute ma famille est transformée et je n'ai plus rien à perdre. Alors on peut y passer des heures ! Elle commença sa lecture tandis que la sorcière ricanait dans son coin. Au bout d'une cinquantaine de pages, enfin, il se passa quelque chose. Kim avait commencé de prononcer une nouvelle formule illustrée d'un dessin représentait un 165

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crapaud. Elle baissa les yeux vers le bocal et entendit une petite voix qui s'adressait à elle : - Je croaaa que je vais vous la donner, votre formule... Des pustules immondes étaient apparues sur les joues écarlates de la sorcière. Une odeur marécageuse flottait dans l'air. - Petite malheureuse, croassa Mme Boisrouge, tu as prononcé la formule du crapaud ! - Vous voulez dire que... vous êtes en train de vous transformer ! Sale histoire, dites donc ! - Arrête de rire, stupide gamine ! Je te donne la formule de retransformation, en échange, tu me prépareras la potion qui brisera le sort du crapaud. - Vous me prenez pour une idiote ? Si je fais ce que vous demandez, qui me dit que vous respecterez votre parole ? On va plutôt faire le contraire ; vous me donnez la formule et je vous libère. - Bon, bon, ça va, je n'ai pas le choix... écoute-moi bien : pour la retransformation, une incantation ne suffit pas. Il faut préparer un philtre que tu devras leur faire boire. - Allez, je vous écoute. - Tu commences par ouvrir ce placard ! 166

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Kim obtempéra. Sur les étagères, bien rangés, se trouvaient des dizaines de flacons soigneusement étiquetés, contenant des liquides, des poudres, des perles, des pâtes visqueuses de couleurs répugnantes. - Maintenant, tu prends ce grand récipient, près du lavabo, et tu le rinces soigneusement. Bien. A présent, tu prépares la balance. Tu y es ? - Oui, je suis prête. - Fiente de poule, 2 grammes. - Poils de renards, trois - Têtes de chauves-souris écrasées, deux - Pâte de cervelle de rat, 4 grammes - Perles de morve de chien, 5 Un quart d'heure plus tard, ce n'était toujours pas fini. - Dites donc, fit Kim , vous êtes sûre que vous ne vous moquez pas de moi ? - Tais-toi et dépêche-toi, répondit Mme Boisrouge, dont les mains et les bras avaient commencé à se couvrir de cloques volumineuses. Il fallut encore un bout de temps à Kim pour parvenir au bout de la liste. Enfin, la sorcière s'écria : 167

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-Stooop ! Cette fois, elle avait perdu tous ses cheveux. Sur le devant de son cou avait poussé une grosse boule qui montait et descendait. - Vous êtes sûre que c'est complet, demanda Kim? - Oui, croassa la femme-crapaud qui avait de plus en plus de mal à articuler. Maintenant, ma potion, vite ! - On a tout le temps. D'abord, on va voir si ça marche, répondit Kim. Elle saisit une pipette de verre et en trempa l'extrémité dans l'ignoble mixture puante pour en prélever quelques gouttes. Par qui commencer ? Tom ou Christian ? Elle réfléchit un moment. "Christian est adulte, il résistera donc mieux si jamais c'est du poison ", se dit-elle. Elle se pencha aussitôt, la pipette à la main vers le beau colvert qui avait assisté à la scène absolument immobile. A son approche, il avança le cou et ouvrit le bec. Kim, toute tremblante, introduisit la pipette dans le bec tendu. Le canard avala, puis s'ébroua. La retransformation commença par les pattes. Kim eut alors la vision horrible d'un buste de canard perché sur des jambes humaines. La 168

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métamorphose s'arrêta. - Non, elle ne m'a donné que la moitié de la formule, se dit-elle. Mais non, la transformation reprit et se poursuivit jusqu'au bout. Christian, qui avait retrouvé forme humaine, se jeta littéralement sur elle et l'embrassa sur les deux joues : - Kim, tu es la meilleure. Tu t'es débrouillée comme un chef. Et il se mit à danser une gigue effrénée. Mais l'attention de Kim était ailleurs : - Bon, à Tom maintenant. Cette fois, la métamorphose fut beaucoup plus rapide. En deux temps trois mouvements, il avait retrouvé son aspect de petit garçon. - Ffff ! Quelle horreur ! Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Cette fois, Kim craqua. Toutes ces émotions, c'était trop d'un seul coup. Elle s'assit par terre et se mit à hoqueter, pleurant et riant en même temps. Puis son regard se posa sur le bocal qui ne contenait plus qu'un petit crapaud croassant à fendre l'âme. - Christian, qu'est-ce qu'on en fait ? Après tout, je lui ai fait une promesse. 169

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- Avec le Mal, il n'y a pas de promesse qui tienne. Tu crois qu'elle a tenu ses promesses, elle ? - J'ai une idée : on n'a qu'à la garder avec nous. Elle nous servira au moins à prédire la météo ! Il leur restait encore une tâche à accomplir pour que la malédiction soit définitivement levée. Le trajet retour fut plus rapide qu'à l'aller, et il se déroula en silence. L'escalade du mur fut un peu compliquée, à cause du crapaud qu'il ne fallait pas laisser tomber. La petite bande monta en voiture, et se dirigea vers la ville.

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-21Le carnaval de Noël Cinq heures du matin. La nuit était encore noire, et la petite ville endormie. A part les réverbères, les phares de la voiture de M. Guillevic étaient la seule source de lumière. Il ne leur fallut pas longtemps pour arriver à la station d'épuration des eaux. - Si j'en crois ce que j'ai lu dans le grimoire, quelques gouttes dans la citerne qui alimente la ville en eau potable devraient suffire pour stopper toutes les transformations en cours, expliqua Christian Guillevic. Mais il nous reste le plus important : tous ceux qui n'ont pas eu la chance que nous avons eue. La première partie de leur tâche accomplie, Tom, Kim et Christian prirent le chemin du petit lac, mais avant cela ils voulurent laisser le bocal contenant le crapaud météorologue dans leur maison. Une surprise attendait les enfants. Lorsqu'ils franchirent la porte de leur demeure, une odeur de 171

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bacon leur titilla les narines. Vincent et Lise, sur qui le sort n'opérait plus, étaient en train de se régaler d'un énorme petit déjeuner à l'anglaise avec fromage, oeufs, saucisses, le tout arrosé de thé au lait et de jus d'orange. Kim et Tom éclatèrent de rire et embrassèrent avec effusion leurs parents redevenus normaux. Par la fenêtre de la cuisine, ils aperçurent Christian Guillevic qui s'affairait autour du lac. L'eau était encore gelée, les canards n'étaient pas là. Lorsqu'il vit Kim et Tom arriver, il leur dit avec inquiétude: - Je ne sais pas où ils sont passés. J'ai regardé sous les arbres, dans les buissons... rien ! - J'ai une idée ! On va chercher du pain à la maison. Ça les attirera sûrement. Une fois qu'ils seront là, on casse la glace à coups de pioche, et on verse la potion dedans. - Pourquoi pas ? fit Christian, sans enthousiasme. Cinq minutes plus tard, Kim était de retour, un grand sac de pain à la main, et Tom rapportait une pioche qu'il était allé chercher dans la cabane à outils. Ils se mirent à appeler à grands cris et à émietter le pain. Toujours rien. Encore une fois, ce fut Tom qui avait retrouvé toute ses facultés, qui 172

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eut la bonne idée : - Tu te souviens des messages en morse que nous avions déchiffré les premiers jours après notre arrivé et bien il n'y a qu'à utiliser la même méthode pour les appeler. Aussitôt dit aussitôt fait, et le résultat ne se fit pas attendre : une nuée de canards convergea de tous les coins de la forêt et des marécages alentours. Christian saisit la pioche et se mit à casser la glace. Heureusement, elle n'était pas trop épaisse. Il réussit facilement à dégager un trou qui s'étendit rapidement au fur et à mesure que les canards sautaient dans l'eau. - Kim, on y va ? Elle s'approcha de la berge avec son récipient. - Ne verse pas tout, surtout ! Gardes-en au moins la moitié au cas où ça ne marcherait pas. - Bien sûr ! fit Kim. Et elle versa la moitié de la potion dans l'eau, puis passa le récipient à Christian. Elle alla s'asseoir près de Tom, sur le petit rocher qui surplombait le lac... et attendit en tremblant. Tom la prit par l'épaule pour la réchauffer et la réconforter. Bientôt, Christian les rejoignit, accompagné par sa femme Anémone, toute souriante, et leur petit 173

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garçon Baptiste qui se plaçant devant Kim lui attrapa subrepticement le lacet de ses baskets : - Ça ne te rappelle pas quelque chose? Ils éclatèrent tous d'un fou rire de bonheur et mirent à danser de joie tandis qu'une rumeur s'enflait tout autour du lac. En ce lendemain de Noël, les habitants de La Hourcade eurent la surprise du siècle en découvrant à leur réveil un carnaval comme ils n'en n'avaient jamais vu. Le village était envahi par des centaines de personnages hébétés, en costumes de toutes époques, à la recherche d'un certain Marquis d'Anaxagore... qui prédit pour les semaines à venir un temps sec mais ensoleillé ! FIN

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KIM ET LES CANARDS

Catherine Dô-Duc Frédéric Massie

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Kim et les canards *** Catherine exerce le métier de chargée d'édition à l'AFNOR. Frédéric est journaliste autrefois spécialisé dans les arts et les antiquités.

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