Nous éprouvons d’autant plus de joie que nous aimons davantage Ce qu’on aime cause notre joie, qu’on le possède présentement ou qu’on l’espère. Nous nous réjouissons, comme dit Paul, avec la joie de l’espérance (Rm 12, 12). L’amour et la joie semblent avoir le même but. Nous puisons notre joie en nous quand nous aimons, nous trouvons aussi notre joie dans les autres, à cause de nous-mêmes. Certaines personnes sont agréables en elles-mêmes car elles sont de bonne compagnie et s’entourent d’amis bienveillants. L’homme fervent perçoit que le bien seul est digne d’amour. Le bien, qui est en lui, le met dans la joie tout autant que le bien qu’il découvre dans les autres ; soit qu’ils lui ressemblent, soit parce qu’ils l’aident à l’accomplir. Quand un homme est bon, il se réjouit de la bonté des autres ; ses prières et ses désirs sont comblés quand l’autre progresse dans la bonté. La forme la plus noble de la joie est de partager le plaisir de l’âme et d’être comblé par le succès de l’autre, sans nous attarder à nos désirs personnels, à nos possessions ou à nos gains. Sous cet angle, l’homme transcende sa nature et ressemble à Dieu qui est le bien commun de tous. Tel est l’homme qui aime le bien. Il l’apprécie pour ce qu’il est et non pour son profit ; mieux il se réjouit du bien qui est dans les autres autant qu’en lui-même. Les êtres généreux désirent le bien pour tous et se réjouissent de leur bonheur. À ceci, nous pouvons discerner qu’ils sont parfaitement bons : les fruits d’un arbre indiquent sa vigueur. Avant qu’il ait atteint sa maturité, la nature ne lui donne pas de produire des fruits. De même, aucun homme n’est bon pour les autres s’il ne l’est d’abord envers lui-même. Comment peut-il être uni aux autres, s’il n’est pas déjà un en lui-même ? C’est à lui-même qu’il est attaché et sur lui qu’il doit veiller ! La bonté, voilà ce qu’il désire et ce qu’il demande dans sa prière. Qui l’empêche d’être, d’abord, utile à lui-même ? Il se réjouit de ce qui est bon et la nature le dirige
auparavant vers lui-même et son intérêt, comme elle le fait pour tous les êtres. Cet homme existe pour lui-même, et il est d’abord son propre bien. Que chacun soit lui-même et le soit bien : tel est le désir premier et le plus répandu dans l’humanité ! Si quelqu’un souhaite le bonheur des autres et s’en réjouit quand ils le possèdent, il n’en est pas lui-même privé pour autant. Son souci des autres ne lui fera pas négliger sa personne, ce qui lui est utile et ce dont il a besoin. Comment pourrait-il souhaiter voir dans la main des autres ce qu’il sait faire défaut chez lui ? Si des ennemis du bien et de la vertu prennent le masque des meilleures qualités, simulent la vertu et cherchent à conduire les autres dans des chemins qu’ils ignorent eux-mêmes, ils ne le font ni par vertu, ni par bonté ! Ils veulent seulement rehausser leur réputation et se créer une gloire factice. Ceux qui se comportent ainsi ne sont pas parfaits. En effet, la vertu parfaite est manifeste en ceux qui sont libres de toute envie et jalousie, et l’idéal de la pure sagesse est d’aimer son prochain d’un amour véritable et parfait. Ressentir la joie des autres amène à se situer parmi les meilleurs et à devenir ainsi les amis de la sagesse. En effet, les plus épris de sagesse et les plus parfaits communient à cette joie. Les êtres qui participent au bien sont amenés à le montrer dans leurs actes, car la nature du bien est de se répandre et de se communiquer. De même que tout être vise au bien, de même, la nature du bien est de se communiquer à tous les êtres. Si le bien ne s’offrait pas à tous, pourquoi chercherait-on de tous côtés à l’obtenir ? Pourrait-on concevoir que ce désir fût universel s’il s’avérait vain ? La bonté a ses exigences : l’homme bon se doit d’être donné aux autres comme à lui-même. De même, nous devons éprouver les sentiments d’angoisse et de joie des autres comme s’ils nous concernaient nous-mêmes. En fait, c’est notre amour pour Dieu qui nous inspire cette joie, et l’amoureux trouve sa joie en l’Aimé, mais aussi en ceux qui comblent de joie l’Aimé.
Parlons maintenant de la joie pure et parfaite. Celui qui vit en Dieu l’aime pardessus tout et se réjouit de la joie que suscite un tel amour... N’est-il pas raisonnable que cet homme reconnaissant, juste et avisé, aime Dieu et se réjouisse parfaitement en Lui ? C’est pourquoi sa joie doit être constante, solide, extraordinaire et merveilleuse. Elle doit être constante car cet homme vit sans cesse avec ce qui appartient à l’Aimé : ceux qu’il rencontre à tout instant, tout ce qui sert aux besoins de son corps ou ce qui forme la substance de ses pensées ; tout ce qui le fait subsister, vivre, survivre et agir. Il sait que tout est l’œuvre de Dieu, à lui toujours communiquée. Ainsi, tout rappelle en lui le souvenir de Dieu et tout garde Son amour inextinguible. Tout fait ses délices. De même qu’il ne peut s’éloigner de lui-même et ne cesse jamais d’être conscient de lui. Rien ne peut interrompre cette joie ! Nous nous réjouissons non seulement de ceux que nous aimons quand nous sommes en leur compagnie, mais nous nous réjouissons aussi de leurs actions et de tout ce qui a rapport à eux...
Nous nous réjouissons à cause de tout le bonheur qui est en Dieu Pour comprendre l’intensité de cette joie, il faut considérer ce qui la provoque. Elle est proportionnée à la grandeur de sa source. Or, comme rien n’est comparable à Dieu, rien n’équivaut pour l’homme à cette joie qui vient de Lui... Même si nous pouvions obtenir tout le bien qui existe, nous regarderions encore au-delà, cherchant ce que nous n’avons pas et délaissant ce que nous avons. Il n’est rien de créé qui puisse combler notre désir et nous rassasier parfaitement. Il n’est rien, non plus, qui apaise, en notre âme, sa soif de joie absolue. Ainsi, nous visons le bien infini : notre nature est limitée, mais non notre désir. Notre âme appartient à un être limité, et pourtant elle ne connaît pas de fin. Car Dieu a créé non seulement la vie de l’âme, mais aussi sa joie et tout ce qui est à nous, en vue de Lui-même. La vie de notre âme est immortelle afin
qu’au-delà de notre mort, vous vivions avec Lui. La joie est illimitée pour que nous puissions jouir de Dieu dans la plénitude du bonheur. Quand ces deux éléments fusionnent, c’est-à-dire le bien infini qui est sans limite et l’assouvissement de notre désir d’infini, quelle intensité de joie ! Pourtant, nous ne pouvons pas nous contenter d’un tel débordement de joie ! Si nous nous réjouissions d’avoir obtenu ce que nous désirions, notre joie serait proportionnée à notre désir. Notre plaisir serait alors limité à ce que nous aurions pu goûter. En fait, nous nous réjouissons de tout le bonheur qui est en Dieu et qu’il nous soit donné de pouvoir connaître Dieu, Lui qui est la cause de notre joie ! Ce que nous voulons, le but de notre vie n’est pas en nous-mêmes mais en Dieu. Notre volonté n’est pas dirigée vers notre bien personnel, mais vers Dieu. Réjouissons-nous des dons de Dieu, non pour notre jouissance mais parce que Dieu est en eux. Estimons-nous bienheureux non des dons qu’Il nous fait mais de tout ce qu’est l’Aimé ! Faisons fi de nous-mêmes et courons vers Dieu de toute notre volonté. Oublieux de notre indigence, aspirons ardemment à la richesse de Dieu, que nous estimons nôtre. Ne soyons pas frustrés de notre pauvreté, car nous sommes riches et heureux en Dieu. Telle est la puissance de l’amour : elle fait partager, à ceux qui s’aiment, ce qui appartient à chacun d’eux. Regardons les saints, toute l’ardeur de leur volonté et de leur désir s’épuise en Dieu. Ils Le considèrent comme leur seul et unique bien. Leur corps ne peut donc faire leurs délices, non plus que leur âme et ce qu’elle possède, pas plus que ce qui appartient à la nature, car rien de tout cela n’est en soi digne d’amour. Les saints semblent s’ignorer eux-mêmes et ils vivent hors d’eux-mêmes, comme s’ils avaient placé ailleurs leur vie et tous leurs désirs. Ce n’est pas incroyable, car l’amour humain porte à mépriser corps et biens. Certains aiment d’un amour fou et ne font pas attention à leur santé, lorsque étant eux-mêmes en excellente forme physique, ils voient leurs amis souffrir de quelque maladie. Pas plus qu’ils ne font attention à leurs propres faiblesses
lorsqu’ils sont eux-mêmes malades et que leurs amis sont en bonne santé. Beaucoup meurent avec joie pour sauver leurs amis. Ils préfèrent plutôt renoncer à leurs corps que de voir leurs amis périr. Or, l’amour pour Dieu l’emporte sur l’amour des hommes : surtout lorsque nous voyons la disproportion qu’il y a entre ceux qui sont aimés !
C’est en aimant Dieu que nous trouverons le vrai bonheur Qu’y a-t-il que nous puissions encore sacrifier pour Dieu? Que pourra lui donner de plus celui qui, entraîné par l’amour, méprise même sa propre vie (cf. Mt 16, 24-28) ? Qui méprise sa vie ne livre pas pour autant son corps à la mort, mais se détache de son âme et de ses qualités personnelles. L’homme dépravé, entièrement soumis à ses plaisirs charnels, épuise totalement son être en eux. Il agit autrement, celui qui aime Dieu, et se soumet entièrement à Son amour. Il Lui livre totalement ses désirs et son énergie. Il ne réserve rien pour luimême. S’il a souci de la santé de son âme, ce n’est pas par amour pour elle, ni pour son bonheur mais uniquement pour l’amour de Dieu et de Ses lois. C’est un peu comme si l’on prenait soin d’un outil par amour du travail qu’on exécute avec lui. Or un forgeron utilise son outil pour fabriquer une charrette, mais c’est celle-ci qui l’intéresse plutôt que l’outil lui-même. Qu’est-ce qui nous persuade de prendre soin de notre âme et de l’aimer ardemment? Rien d’autre que de vouloir vivre et être heureux. Qui supporterait à la fois d’exister et d’être malheureux ? Pour cette raison, un certain nombre d’hommes ont mis fin à leurs jours. Comme l’a dit le Sauveur : Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître (Mt 26, 24). C’est en aimant Dieu que nous trouverons le vrai bonheur. Il est clair également qu’aimer Dieu, c’est aussi aimer notre âme. Pourtant, la plupart des hommes ne savent pas d’où peut leur venir le bonheur. Ils aiment tous des choses différentes, et se détournent du droit chemin menant au but. Ils
choisissent souvent ce qui les rend pires. Ils n’honorent pas leur âme ainsi qu’ils devraient et l’ignorent contre tout bon sens. Les hommes fervents ordonnent leur vie à Dieu car Il est source de leur bonheur et les secourt dans leur conduite. Ils regardent Dieu comme l’unique objet de leur amour et L’aiment uniquement pour Lui-même. Pour Lui, ils aiment leur âme, leur existence et tout le reste... Nous aimons notre âme parce qu’elle est ce qu’il y a de plus intime en nous. Souvenons-nous que notre âme appartient au Sauveur. Il nous est plus intime encore à nous-mêmes que ce qui nous est le plus intime. Ceux qui méditent ceci tout au long de leur vie le savent. À cause de Lui, notre âme et notre vie nous sont chères et précieuses. Qui n’est soucieux que de lui-même souffre toutes sortes de conflits, car en dehors de Dieu, il ne peut pas trouver de sérénité. Ceux qui vivent en Christ ne Lui refusent pas ce qui Lui revient. Tel est le cas si nous aimons de tout notre amour Dieu qui est parfait. Notre amour serait imparfait si nous aimions quoi que ce soit en dehors de Lui. Partageant ainsi notre amour, nous irions à l’encontre de Sa loi, où il est dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir (Dt 6, 5 ; Mc 12, 30). Oui, ceux qui vivent en Christ reportent tout leur amour sur Lui. Ils n’en gardent aucune part ni pour les autres ni pour eux-mêmes. Dans ce dessein, ils fuient loin d’eux-mêmes et de tous car partout, ce qui unit, c’est l’amour. Ainsi s’étant transportés d’eux-mêmes vers Dieu, ils vivent pour Dieu seul. C’est Lui qu’ils aiment. En Lui seul ils trouvent la joie véritable... Ceux qui vivent pour eux-mêmes, tout en recevant quelque joie de vrais biens, se rendent incapables de récolter une joie sans mélange. Pendant qu’ils se réjouissent de ces biens, certains maux, visibles ou non, leur causent des ennuis. En revanche, ceux qui remettent à Dieu leur existence jouissent d’un plaisir absolu et fuient toute tristesse. Ils ont bien des sujets de se réjouir et rien ne les afflige, car rien n’est déplaisant auprès de Dieu, en qui ils vivent.
Ils ne pensent même pas que, parmi les événements présents, certains pourraient leur causer de la douleur. L’amour parfait ne leur permet pas de rechercher leur propre intérêt (1 Co 13, 5). Au contraire, ils aiment, parce que Celui qu’ils chérissent est bienheureux et ils sont enflammés de cette passion qui surpasse la raison et la nature. Bien que cendre et poussière, ils échangent pourtant ce qui leur appartient pour Dieu et Lui deviennent semblables. Comme des miséreux et des indigents qui se précipitent à l’intérieur du palais royal, ils s’arrachent à leur misère et se revêtent de toute la splendeur qu’ils trouvent en un tel lieu. C’est pour cette raison, je crois, qu’on les a traités de " violents " ; eux prennent le royaume de Dieu de force (Mt 11, 12). Ils n’attendent pas ceux qui le leur donneront, ni ne guettent ceux qui les choisiront. Ils occupent le trône de leur propre autorité, et se ceignent eux-mêmes du diadème. Ce qu’ils ont acquis, ainsi, ne suffit pas à les rendre heureux et ils n’y trouvent pas leur plaisir. Ils savent que le Royaume consiste en Celui qu’ils aiment et ils en éprouvent de la joie ! Ils trouvent leur joie, non dans les biens qu’Il partage avec eux, mais parce qu’Il est Lui-même dans ces biens. C’est d’euxmêmes et avec leur sagesse qu’ils découvrent cela ! Même s’ils n’avaient part à la royauté, même s’ils n’étaient pas participants de Sa béatitude, ils ne seraient pas moins heureux. Ils n’en régneraient pas moins, triompheraient et jouiraient de ce royaume. On peut et à bon droit, les qualifier de " violents " et de voleurs des bienfaits divins : car d’eux-mêmes, ils accaparent leur bonheur. Ce sont ceux-là qui se renient eux-mêmes [...] et qui perdent leur vie (Mt 16, 24-25). Mais en contrepartie, ils reçoivent le Maître des âmes.
Les bienheureux se réjouissent de la joie de Christ Qu’y a-t-il de plus grand et plus solide que cette joie ? Ceux qui attendent leur joie d’eux-mêmes perdront bien vite leur plaisir, car il n’est aucun bien permanent dans les choses présentes. C’est pourquoi leur joie, venant de ce qu’ils possèdent, ne le cède en rien à leur crainte de perdre leurs richesses.
Pour les saints, leur trésor de biens est inviolable et leur plaisir n’est pas mélangé de tristesse. Ils n’ont pas peur de perdre ce qui est stable et solide. Ceux qui ne trouvent qu’en eux-mêmes leur joie, savent raisonnablement qu’elle les plonge dans l’arrogance. Ils se préoccupent tellement de leur propre personne, qu’une grande part de leur plaisir est détruite. Les saints, eux, ne sont pas inquiets, car ils ne concentrent pas leurs pensées sur eux. Ils placent leur puissance en Dieu. Leur gloire et leur joie sont en Lui ! Leur plaisir ne reste pas seulement humain, comme c’est le cas de la plupart des hommes : il est surnaturel et divin ! C’est un peu comme un homme qui échangerait une mauvaise maison contre une autre en bon état. D’avance, il éprouverait plus de plaisir pour la seconde que pour la première. Pareillement, s’il se débarrassait par quelque moyen de son corps, pour obtenir un corps meilleur, il ferait sienne la joie propre à ce nouveau corps. Il trouverait alors d’autant plus de plaisir à l’organisme nouveau, bien supérieur à l’ancien. Il en est de même quand on se défait pour gagner Dieu, non seulement de son corps et de sa maison, mais encore de soi-même, Dieu prend la place du corps, de l’âme, de la famille, des amis, de tout ce que l’on possède. De la sorte, la joie surpasse tout plaisir humain et nous recevons la joie propre à la béatitude divine et qui convient à une telle transformation. Les bienheureux se réjouissent de la joie de Christ et ce qui Le réjouit les comble également de joie. Christ est Joie Lui-même et ceux qui participent à Sa joie éprouvent la même intense joie. Nous en sommes assurés par la déduction et le raisonnement, mais aussi par les déclarations très nettes du Sauveur. Quand Il proclame la loi de l’amour, Il exhorte Ses disciples à garder inchangé jusqu’à la fin l’amour qu’ils ressentaient pour Lui. Je vous dis cela, déclare-til, pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite (Jn 15, 11). Par ces paroles, Il voulait nous dire : " Je vous demande d’aimer, car tout ce qui est à Moi nous est commun dans l’amour. Vous pourrez donc trouver la même joie que celle qui est en Moi et dans les Miens. " Ailleurs, on lit : Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec Christ en Dieu (Col 3, 3). On peut en dire autant de la joie ou de tout autre sujet : il n’est rien d’uniquement humain qui subsiste en eux.
Le bienheureux Paul précise cela succinctement : Vous ne vous appartenez pas. Vous avez été bel et bien achetés (1 Co 6, 19-20). Celui qui a été acheté ne se considère plus lui-même, mais il regarde Celui qui l’a acquis. Il vit désormais selon la volonté de Celui-ci. L’esclave d’un homme est lié au désir de son maître uniquement en son corps mais il est libre en son âme et en son esprit dont il peut disposer comme il lui plaît. Celui que Christ a acheté ne peut plus s’appartenir. Aucun homme n’a jamais pu acheter complètement un autre homme car il n’existe pas de prix auquel on puisse évaluer l’achat d’un être humain. Personne n’a donc libéré ou asservi un homme si ce n’est en son corps. Le Sauveur, Lui seul, a acheté tout l’homme. Alors que les hommes ne dépensent que de l’argent pour acheter un esclave, le Sauveur, Lui, s’est dépensé en personne. Pour nous rendre libres, Il a livré Son corps et Son âme. Il a accepté la mort pour Son corps et la séparation d’avec Son corps pour l’âme. Son corps a subi la douleur des blessures reçues et Son âme fut troublée, non seulement quand Son corps fut immolé, mais dès le début de Son agonie, quand Il dit : Mon âme est triste à en mourir (Mt 26, 38). C’est ainsi que, Se livrant totalement, Il rachète l’homme tout entier. Il a donc acheté également notre volonté, d’une manière toute spéciale. À tous égards, Il était notre maître et maîtrisait toute notre nature. Mais notre volonté échappait à la Sienne. Il fit alors tout pour s’emparer de nous en totalité. C’était notre volonté qu’Il cherchait, Il ne lui fit pas de violence, Il ne s’en empara pas de force, mais Il l’acheta. Ainsi, aucun de ceux qu’il a achetés n’agira selon la justice s’il use de sa volonté pour lui-même. Ce serait léser Celui qui l’a acheté et Lui dérober, en quelque sorte, Son bien. C’est donc en nous tenant volontairement pour satisfaits de ce qui est nôtre, que notre intérêt personnel sera servi par notre volonté. Une personne droite et juste ne s’aime donc pas pour elle-même. Elle oriente en effet tout son amour vers Celui qui l’a rachetée. Quelques-uns au moins parmi ceux qui ont été rachetés, sinon tous, sont dans ces dispositions.
Serait-il raisonnable qu’un rachat, fait dans de si merveilleuses conditions, restât vain ? Ceux qui n’aiment que le Sauveur éprouvent une joie sans mélange, puisque le bien-aimé ne fait rien de contraire à leurs désirs. Ils sont dotés d’une faculté surnaturelle et divine de joie, et cela à un degré éminent. Cette faculté trouve son épanouissement complet, car ce qui les ravit surpasse toute surabondance de grâce. L’esclave d’un homme éprouve inévitablement de l’amertume. L’esclave de Christ, au contraire, ne peut que ressentir de la joie. Chacun d’eux ne cède plus à sa propre volonté mais à celle de Celui qui l’a acheté. Le premier subit les corvées et les ennuis, en suivant un maître, en butte à la tristesse et à d’innombrables peines. Comment le deuxième pourrait-il pleurer, alors qu’il est animé d’une joie authentique ? L’homme qui a dépensé de l’argent pour un esclave ne l’a pas déboursé pour procurer des bienfaits à celui qu’il a acheté. Ce qu’il veut, c’est retirer à son profit les avantages du travail de son esclave. L’esclave est utilisé pour le profit de celui qui l’a acquis et il souffre de multiples misères pour assurer à son maître joies et plaisirs. L’inverse se produit pour les esclaves de Christ. Tout a été réalisé en vue de leur intérêt. Il n’a pas payé la rançon pour tirer avantage de ceux qu’Il a libérés, mais ce qui est à Lui leur appartient aussi. Le Maître et Ses œuvres profitent aux esclaves. Celui qui a été racheté possède à son tour Celui qui l’a racheté. Voilà pourquoi ceux qui n’ont pas esquivé cette servitude, mais ont préféré les chaînes de ce Maître à toute liberté, éprouvent nécessairement de la joie : ils ont échangé la pauvreté pour la richesse et une prison pour un royaume. Au lieu de la disgrâce finale, ils jouiront de la gloire infinie. Ce que les maîtres d’esclaves, parmi les hommes, peuvent légalement demander à leurs sujets, les esclaves de Christ peuvent le faire vis-à-vis de leur maître, à cause de Sa tendresse pour les hommes. La loi des hommes fait régner les maîtres, comme des seigneurs, sur leurs esclaves et ce qu’ils peuvent posséder, à moins qu’ils n’abdiquent leur pouvoir et libèrent leurs sujets de toute servitude. Les esclaves de Christ possèdent leur propre Maître. Ils héritent de ce qui Lui appartient ; ils chérissent Son joug et se considèrent liés comme par contrat. C’est dans cet esprit que Paul recommandait de se réjouir sans cesse dans le Seigneur (Ph 4, 4), désignant par " le Seigneur " Celui qui les avait achetés.
Le Sauveur marque encore un autre motif de nous réjouir, en appelant celui qui partage Sa joie " bon serviteur ". Lui-même se nomme Seigneur, en déclarant : Serviteur bon et fidèle, [...] entre dans la joie de ton Seigneur (Mt 25, 21). Ce qui revient à dire : " Parce que tu es resté Mon serviteur, et que tu n’as pas déchiré le contrat de ton achat, reçois la joie de Celui qui a fait ton acquisition. " La même joie devient commune au Maître et au serviteur. Ce qui leur plaît est identique, et c’est le même sentiment, voilà pourquoi Christ n’a pas recherché ce qui lui plaisait (Rm 15, 3). Il a vécu et Il est mort pour Ses serviteurs. Il est né, puis Il est retourné pour prendre possession du trône du Père. Il y siège pour nous, en qualité d’avocat permanent (1 Jn 2, 1). Il appartient ainsi à Ses serviteurs. Leur maître leur est devenu plus cher que leurs propres vies et, s’oubliant eux-mêmes, ils Lui portent tout leur amour. Tel est Jean le Baptiste. Quand la manifestation publique de Christ détourne l’attention du peuple de sa propre renommée, loin d’en prendre ombrage, il proclame lui-même le Messie à ceux qui ne Le connaissent pas (Jn 3, 29-30). Rien ne lui fait plus plaisir que d’entendre cette voix par laquelle diminue sa notoriété personnelle. Il estime tout à fait juste que Christ attire les foules et les guide par Sa parole. Il est heureux de voir le peuple Le contempler avec amour, comme la fiancée se tourne vers son fiancé. Il se tient à l’écart et se réjouit d’entendre la voix de l’Ami bien-aimé (Jn 3, 29) comme la récompense de son ardeur. Paul, travaillant pour Christ, non seulement ne compte pour rien sa personne mais il va jusqu’à l’abandon total de lui-même. Autant que cela fût possible, il aurait même souffert la séparation d’avec Christ (Rm 9, 3). Il dit, prenant le langage de l’énigme, vouloir se jeter dans la géhenne pour Christ. Paul, en effet, L’aime d’un si grand amour qu’il désirait être perdant (1 Co 3, 15 ; Ph 3, 8) en Le servant. Son amour le brûle comme le feu de l’enfer et lui fait paraître moindre la joie qu’il éprouve à posséder son Aimé. Lui, qui recommande aux hommes de ne pas trop arrêter leur pensée sur l’enfer, les invite également à ne pas s’attacher à la joie. Pourtant il avait expérimenté et goûté en ses douceurs la beauté du Christ. Mais il était prêt à s’en priver, soucieux uniquement de la gloire de son Maître. Être avec Christ, vivre avec Lui et régner avec Lui : Paul ne cherche pas là sa gloire au
détriment de celle de Christ ! Il préfère de beaucoup celle de Christ. Quand Paul exprime ses désirs, il le fait toujours en vue d’aimer Christ davantage, et s’il lui avait fallu fuir Christ, il l’aurait fait (Ac 9, 25 ; 2 Co 11, 33). Paul ne désire pas accaparer pour lui Christ, l’objet de son amour, que peut-il désirer d’autre ? Il ne recherche pas pour lui ou pour sa joie personnelle, Celui pour qui il a tant travaillé et lutté. Encore moins recherche-t-il ce qu’Il méprise ! Il est évident qu’il s’oublie lui-même totalement. Sa volonté est uniquement au service de Christ et rien ne coûte, ni ne répugne à la volonté de Paul. La joie l’inonde, il en vit et, dès lors, aucune détresse n’envahit son âme. Qu’ils sont nombreux, pourtant, les soucis qui assaillent Paul ! Mais la tristesse ne l’emporte pas sur la joie, et les tracas ne viennent pas l’assombrir. La faiblesse de son cœur n’est qu’une plénitude de joie, et la douleur est fruit de l’amour et de la générosité. Ces sentiments ne produisent rien d’amer, de violent ou de mesquin. Il est lui-même toujours rempli de joie, puisqu’il exhorte les autres à se réjouir constamment : Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous (Ph 4, 4). Il n’aurait pas exhorté les autres s’il n’avait montré lui-même l’exemple en ses actes.
Amour et joie, telle est la vie en Christ Telle est la Vie des saints et, dès maintenant, elle est bienheureuse. Il convient, en effet, que nous donnions le nom de saints à ceux qui, par l’espérance et la foi, récoltent les fruits de la béatitude. Après leur mort, ces fruits sont encore meilleurs. Car la possession des réalités est meilleure que la seule espérance. Tout comme la pure contemplation du bien est supérieure à la foi. Nous recevons de Dieu, en cette vie présente, l’Esprit d’adoption. Il est source de cet amour parfait qui nous fait atteindre la vie bienheureuse. Les sacrements nous donnent de recevoir Christ.
Selon l’Écriture, à ceux qui l’ont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1, 12). C’est aux enfants qu’appartient l’amour parfait d’où toute crainte a été bannie (1 Jn 4, 8). Qui aime ainsi ne redoute pas la perte des récompenses comme un mercenaire, ni les coups comme un esclave. Le véritable amour est le propre des seuls fils. C’est ainsi que la grâce implante l’amour vrai dans l’âme des initiés. Ceux qui le veulent peuvent en connaître l’action et quelle expérience on peut en faire. L’amour fait percevoir ce que sont les biens divins par l’expérience de grands biens, il en donne l’espérance de plus grands encore et, partant de ce qui est actuel, il communique la foi en ce qui ne paraît pas encore. Nous pouvons librement persévérer dans cet amour. Il ne suffit pas d’aimer et de ressentir la passion de cet amour, il faut aussi l’attiser. Il faut donner du combustible au foyer pour que le feu continue à brûler. Or, demeurer dans l’amour, c’est ce en quoi consiste la béatitude : demeurer en Dieu, et donc L’avoir à demeure en nous. Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en lui (1 Jn 4, 16). C’est ce qui arrive lorsque notre amour est rivé à notre volonté. Nous y parvenons par l’obéissance aux commandements et l’observance des lois de Celui que nous aimons. C’est par des actes répétés que se forme dans l’âme telle ou telle habitude. Les actes nous portent alors vers le bien ou le mal. Il en est de même lorsque nous acquérons quelque savoir-faire dans la pratique d’un métier, par la répétition des gestes nécessaires. Les lois de Dieu s’appliquent aux activités humaines, les déterminent et les ordonnent vers Lui. Elles sont les seules capables de donner l’habitude convenable à ceux qui agissent avec droiture. Elles font vouloir ce qui plaît au législateur, notre volonté Lui est soumise, et ne veut rien en dehors de Lui. Voilà ce qu’on peut appeler un amour vrai. C’est à ce sujet que le Sauveur déclare : Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour (Jn 15, 10). La vie bienheureuse est le fruit de cet amour. Il agit totalement sur la volonté et l’arrache à tout le reste. Il la détache d’elle-même et la consacre à Christ. Nos efforts, corporels ou intellectuels, et toute action qui nous est propre
dépendent de notre volonté. En résumé, c’est notre volonté qui nous conduit et nous entraîne. Si elle subit quelque contrainte, tout notre être le ressent. Qui s’empare de sa volonté contrôle l’homme tout entier. Ceux dont la volonté est entièrement ravie par Christ, ne désirent que Lui, n’aiment et ne recherchent que Lui. Leur être entier et leur vie sont avec Lui. Leur volonté ne peut ni vivre ni agir, si elle ne réside en Christ, en qui demeure tout bien. L’œil ne peut remplir sa fonction qu’en présence de la lumière : en effet, c’est la lumière qui lui permet de voir. De même, notre volonté ne peut agir que mue par le bien. Christ est le dispensateur de tous biens. Si nous nous détournons de ce trésor en ne fixant pas notre volonté sur Lui, tout ce que nous faisons est vain et mort. Christ déclare : Si quelqu’un ne demeure pas en moi, on le jette dehors comme le sarment et il se dessèche; puis on ramasse les sarments et on les jette au feu et ils brûlent (Jn 15, 6). Donc, si vivre en Christ, c’est L’imiter et vivre selon Lui, notre volonté doit agir conformément au vouloir de Dieu. Christ a soumis Sa volonté humaine à Sa volonté divine afin de nous laisser un exemple de la vie selon la droiture. Par amour pour le monde, Il n’a pas repoussé la mort, lorsqu’Il dut s’y soumettre. Toutefois, avant que son heure fût venue, Il a prié pour l’éviter. Il montrait ainsi qu’Il ne choisissait pas de Lui-même les outrages qu’Il aurait à subir. Comme le dit Paul, Il se fit obéissant jusqu’à la mort (Ph 2, 8). Il alla jusqu’à la croix, non pas comme s’Il n’avait qu’une seule volonté, ou une volonté composée de deux éléments, mais Il manifesta plutôt l’accord de deux volontés. La vie bienheureuse consiste donc en la perfection de la volonté durant la vie présente. Puisque l’homme possède intelligence et volonté, il est nécessaire que celui qui est appelé à la vie bienheureuse soit uni à Dieu dans la totalité de son être par ces deux facultés. Par son esprit, il se livre à la contemplation de Dieu et par sa volonté, il L’aime de la manière la plus parfaite. Aucun homme, vivant dans un corps corruptible, ne peut cependant jouir parfaitement du bonheur en usant de ces deux facultés. Cela ne se pourra que dans la vie exempte de toute corruption. Dans la vie actuelle, ceux qui sont parfaits dans leurs rapports de volonté avec Dieu, ne le sont pas encore dans l’activité de leur esprit. On peut rencontrer l’amour parfait en eux, mais non la pure vision de Dieu. Si ce qui doit venir se trouve déjà en eux, pendant qu’ils vivent
encore dans leur corps, ils expérimentent déjà ce que sera la récompense. La vie présente ne le leur permet que d’une manière temporaire et imparfaite. Paul l’assure : Nous nous réjouissons dans l’espérance (Rm 12, 12). Et ailleurs : Nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision (2 Co 5, 7), et, en un autre endroit : Imparfaite est notre science (1 Co 13, 9). Bien qu’il eût vu Christ (1 Co 9, 1), Paul ne jouissait pas constamment de cette vision. Le " toujours " ne se réalisera que plus tard. Paul le précise quand, parlant de la dernière venue du Christ, il dit : Ainsi, nous serons avec le Seigneur toujours (1 Ph 4, 17). Si quelqu’un vit en Christ avec son corps, il peut recevoir la vie éternelle : c’est dans sa volonté, alors, qu’il la possède (car c’est par l’amour qu’il parvient à cette joie indicible). La claire vision est réservée pour lui dans la vie à venir. Aujourd’hui, c’est la foi qui le conduit par la main jusqu’à l’amour. Pierre nous le fait comprendre quand il écrit : Sans l’avoir vu, vous l’aimez, sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d’une joie indicible et pleine de gloire (1 P 1, 8). C’est en cet amour et cette joie que consiste, ici-bas, la vie bienheureuse. Cette vie est en partie cachée et en partie révélée. Paul dit : Votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu (Col 3,3). Le Seigneur dit : Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-t-il de quiconque est né de l’Esprit (Jn 3, 8). Invisible est la vie bienheureuse et invisible aussi la grâce qui l’engendre et la modèle. Cette grâce, en effet, est invisible en elle-même et dans sa façon de reformer. Mais la vie bienheureuse se manifeste aux yeux des vivants en l’amour inexprimable pour Dieu et la joie qu’elle suscite. Ces sentiments d’amour et de joie sont bien visibles et ils font percevoir la grâce invisible, car ils sont les fruits de la grâce. Ne dit-on pas que le fruit de l’Esprit [est] charité, joie (Ga 5, 22) et que c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre (Mt 12, 33) ? La grâce est donc l’esprit d’adoption filiale. L’amour porte témoignage de cette parenté et de ce que nous sommes fils de Dieu et cela ne comporte plus rien de mercenaire ou de servile. Salomon considéra l’ardent amour de la femme pour l’enfant vivant comme preuve suffisante de sa maternité (1 R 3, 16-28). Il n’est pas étonnant que, par ce même signe, nous puissions reconnaître les fils du Dieu vivant. L’affection de la femme pour l’enfant vivant, et le soin qu’elle en avait, indiquaient
aisément qu’elle n’était pas la mère de l’enfant mort. Ainsi en est-il des enfants de Dieu. Leur respect et leur tendresse pour le Dieu vivant indiquent manifestement qu’ils ne descendent pas d’ancêtres morts, de ceux que le Sauveur interdit aux vivants d’ensevelir. Ne déclare-t-il pas : Laissez les morts enterrer leurs morts (Mt 8, 22) ? Certes, le fait d’aimer manifeste notre filiation et notre attachement à Dieu, comme à un père. Notre ressemblance avec Dieu par notre amour manifeste encore mieux qui nous sommes : tout aimants, car Dieu est Amour (1 Jn 4, 16). Lui est vivant et à cause de cet amour, nous vivons vraiment. Cette passion nous habite et tout est mort pour ceux chez qui elle est absente. Comme des fils, nous honorons notre Père par notre agir. Vivants nous proclamons le Dieu vivant qui nous fit naître. Nous attestons la naissance inexprimable par laquelle nous sommes engendrés par la vie nouvelle (Rm 6, 4) dans laquelle nous marchons, comme l’exprime Paul. Nous rendons gloire au Père qui est dans les cieux (Mt 5, 16). Nous sommes nés ainsi de Sa tendresse bienveillante pour tous les hommes. Il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants (Mt 22, 32) et auprès de nous, Il trouve Sa propre gloire. Il a également déclaré aux méchants : Si je suis Père, où est mon honneur (Ml 1, 6) ? et David en témoigne dans son chant : Ce ne sont pas les morts qui louent le Seigneur, ni tous ceux qui descendent au silence, mais nous, les vivants (Ps 115, 17-18) Telle est la vie en Christ : cachée, mais manifestée par la lumière des bonnes œuvres, c’est-à-dire, par l’amour. Car dans l’amour resplendit l’éclat de toute vertu. Autant que le peut l’effort humain, l’amour constitue la vie en Christ. On peut lui donner le nom de vie, elle est en effet union avec Dieu. Et c’est l’union qui est vie, tout comme la mort est séparation d’avec Dieu. C’est pourquoi : Son ordre est vie éternelle (Jn 12, 50), dit l’Écriture en parlant de l’amour. Le Sauveur déclare aussi : Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie (Jn 6, 63) et la somme de ces paroles est amour. Ailleurs, Il ajoute : Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en lui (1 Jn 4, 16). Nous demeurons donc dans la vie, et la vie en nous, car Il est la vie, selon sa propre affirmation : Je suis le chemin, la vérité, la vie (Jn 11, 25 ; 14, 6).
Si la vie est la force qui meut les êtres vivants, qu’est-ce donc qui meut les hommes qui vivent vraiment, dont le dieu est Dieu : Il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants (Mc 12, 27). Vous découvrirez que ce n’est rien d’autre que l’amour Lui-même qui nous conduit et nous fait agir. Il nous arrache à nous-mêmes et il a plus d’emprise sur nous que la vie. Il nous persuade de mépriser la vie non seulement transitoire, mais même celle qui demeure. Quel mot conviendrait mieux pour dire " vie " que le mot " amour " ? Ce qui seul survit et permet aux vivants de continuer d’être quand tout disparaît, c’est la vie, c’est l’amour. Dans le monde à venir, tout disparaîtra, sauf l’amour, comme le dit Paul : L’amour ne passera jamais (1 Co 13, 8-10). Lui seul suffit pour la vie en Christ, Jésus, notre Sauveur, à qui est due toute gloire à jamais. Amen! Extrait de La vie en Christ par Nicolas Cabasilas (Traduction Daniel Coffigny, Nicolas Cabasilas, la vie en Christ, Éditions du Cerf, 1993.)