John Peter B. - Clich' 01

  • June 2020
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View John Peter B. - Clich' 01 as PDF for free.

More details

  • Words: 985
  • Pages: 10
La mouche a vaincu

M

a soirée d’hier était très différente de celle que je vis actuellement ! Aujourd’hui ! Cette nuit ! Là, maintenant !

Hier soir, j’avais des yeux de mouche. Au sens propre ! Imagine ! Une vision kaléidoscopique permanente. Dorothy avait une trentaine de seins, et comme j’avais une trentaine de mains, le compte était bon. Je la pénétrais de mes dix phallus érigés, et ses cris puissants me firent penser à un troupeau d’éléphants qui auraient -3-

jailli d’une forêt-penderie, dans un studio grand comme un mouchoir de poche. Elle tournait, affolée par le plaisir, la tête sous des angles bizarres, des angles non-euclidiens. Évidemment que j’étais au courant de la remise en question de la géométrie d’Euclide. Ses « éléments » avaient été bouleversés, et on était de moins en moins sûr que deux droites se coupent toujours en un point unique (passé, présent, avenir…). Si Euclide avait ingéré la dope que j’avais ingérée depuis quelque temps, ces postulats lui auraient paru évidents. Euclide était un sale petit bourgeois conformiste et frileux, je ne voyais pas d’autres explications. Il était même peut-être réac, l’Euclide ! Va savoir ! Tu me diras : « Comment fais-tu pour penser à Euclide en te tapant Dorothy ? » Dorothy (qui s’appelait en fait Marie-Annick, serveuse dans ce troquet sale et repaire des dealers du coin) était une belle pouliche, pas farouche, qui faisait fantasmer tous les clients. Enfin, quand je dis fantasmer, … façon de parler ! Tout le monde avait une chance de l’emballer pour un soir. Le fantasme résidait plutôt dans le fait de pouvoir passer une nuit entière avec elle. Parce qu’elle nous épuisait en deux heures d’étreintes torrides, nous vidaient de nos substances, physiologiques et plus intimes encore. De l’ordre du Moi profond. Dorothy extirpe ton âme en même temps que ton -4-

sperme. Elle te digère alors que tu es à peine déshabillé. On sent qu’elle n’a pas de temps à perdre. Elle se goinfre de tes intimités, te met à sac. Je me rappelle avoir vu, enfant, une mouche coincée entre deux morceaux de bois (une porte et le chambranle), et une araignée l’avait littéralement aspirée devant mes yeux ébahis. La mouche bougeait les pattes puis, une peau translucide l’avait remplacée. Dorothy, c’est une araignée, en fait. Elle te laisse ta peau, transparente, savamment léchée, et quelques os pour que tu puisses encore donner un peu le change, que les taxis ne te rejettent pas tous, quand tu voudras rentrer chez toi, deux heures après la rencontre fatale. Et comme des suicidaires, on fantasmait tous sur une nuit entière entre ses mandibules. Certains avaient parié gros, et invariablement perdu ! Ils avaient pris leurs hardes sous le bras, et avaient rampé jusqu’à la bouche de métro la plus proche. Se glisser dans cette gorge profonde leur avait fait peur, comme s’ils revivaient les instants d’amour précédents. Mais, l’homme… il DOIT survivre. Se refaire un fixe, et rentrer vomir dans ses propres cabinets. C’est ça l’homme. Un survivant.

-5-

Ç

a, c’était hier soir. Des yeux de mouche entre les pattes d’une araignée, finalement, tout est normal en ce bas monde. Le produit que m’avait vendu Yvan n’était pas mal du tout.

D’ailleurs, quand j’ai pris la route, que j’ai serré le bitume dans mes bras meurtris par les soubresauts de ma cavalière, elle s’était mise à ondoyer. C’est bon signe, quand la route a une vie propre. La nature reprend ses droits, du mieux qu’elle peut. Dorothy avait sombré dans un sommeil profond. J’avais gagné, je pouvais passer la nuit près d’elle. Elle dormait, et on ne vire pas son amant en -6-

hurlant que c’est un impuissant vérolé quand on dort, qu’on se nomme Dorothy ou Lucrèce. Je bandais encore, boosté par les toxiques des pilules de l’ami Yvan. Mais, j’avais surtout l’impression que le sang ne cessait pas d’affluer dans mon pénis, que celui-ci allait sûrement exploser, sous la pression du liquide. Mon cœur pompait comme un fou. Je m’habillais du mieux que je pus, et l’araignée dormait en grognant que la deux n’avait qu’à se tenir tranquille si elle ne voulait pas que Gérard sorte le canon scié ! Je compris dans ma buée personnelle qu’elle rêvait du bar, de la table deux, et de clients un peu turbulents. Le léger vent frais me prit à la gorge, me faisant tousser en raclant. La minette qui me croisa du haut de ses longues jambes gainées de soie, eut un air dégouté, me traitant de « sale clodo ». J’suis pas un clodo, ma princesse, j’suis défoncé, et j’ai survécu. La mouche aux yeux de kaléidoscope a baisé l’araignée. Elle a vaincu le monstre aux trente seins, aux multiples tentacules. Elle … Un volet claque, et une voix tonitruante me dit de la fermer, que le quartier s’en tape de ma victoire. Et depuis … Je suis assis là.

-7-

ne pierre, usée par les années. Elle est froide sous mes fesses, mais, je ne peux pas me lever. Je n’ai pas bougé depuis combien de temps ? Sais pas ! Sais plus. J’ai survécu, c’est le principal. Je regarde une lune spermatozoïdale qui vibre légèrement, après sa chute des cieux. Il fait nuit, je devrais être glacé, pourtant, je transpire par chaque pore de mon parchemin huileux, transparent.

U

-8-

Je vais me laisser mourir, en récompense, face à cette mare d’eau noire. Un lac ? Ils appellent ça un lac ? C’est comme une mare, mais en plus touristique. On est en novembre, les touristes ont déserté le lac, c’est donc à nouveau une flaque d’eau, sans intérêt. Sinon celui de m’aspirer dans ses méandres clapotants. La mouche a vaincu l’araignée, elle peut mourir, confiante, collée à ce tissu mouvant d’eau en forme de peau. Que la lumière soit, que je ne cille plus, qu’elle puisse imprimer l’éternité sur ma rétine.

-9-

Related Documents