Les MIX1, pour territorialiser l’Internet En 1997, l’ART indiquait http://www.art-telecom.fr/publications/rapport/lemot.htm que " La boucle locale est un enjeu décisif pour le développement de la concurrence ». Six ans plus tard, des représentants de la société civile en préparation au Sommet Mondial de la Société de l’Information s’exprimaient ainsi http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc3/td/030915/S03-WSISPC3030915-TD-GEN-0006!R1!PDF-F.pdf , « L'Internet est une ressource publique mondiale aujourd’hui incontournable pour le développement de la société de l’information. » Comment concilier l’Internet public et la concurrence sur la boucle locale ? Les MIX apportent une réponse avec l’interconnexion des boucles « locales » et de l’Internet « global ». La planète Internet est plate « [ ] les grands acteurs mondiaux de l’Internet sont tous américains : au niveau des grands réseaux mondiaux (backbones), les américains WorldCom, Sprint, Genuity, et Teleglobe totalisent plus de 50% des « routes » de l’internet http://www.caida.org/. Mi-2001, les Etats-Unis monopolisaient encore 64% des adresses internet distribuées au niveau mondial. Selon l’UIT, en 2000 les connexions inter-continentales de l’internet totalisaient 60 Gigabits/s entre les l’Europe et les USA et 20 Gigabits/s entre les USA et l’Asie. On aurait pu s’attendre à ce la boucle soit bouclée avec des liens du même ordre de grandeur entre l’Asie et l’Europe. En réalité ces liens étaient quasi inexistants (0,5 Gigabits/s). Les échanges entre l’Europe et l’Asie transitent presque tous par les Etats-Unis. […]. Bref, en termes d’interconnexions continentales la planète Internet est plate et son centre est aux Etats-Unis.» Le local se rebiffe « [ ] la France, composée à l’origine de plus de 36 000 communes, pourrait être organisée autour de 3 500 communautés de communes, 130 communautés d’agglomération et 20 communautés urbaines». (Rapport Mauroy « Refonder l’action publique locale » 17 octobre 2000) http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/brp/notices/004001812.shtml Cette dynamique de recomposition territoriale est aujourd’hui une réalité planétaire. Dès à présent en France les ¾ de la population est regroupée sur 360 aires urbaines. Les réseaux métropolitains (MAN - Metropolitan Area Network) sont une réponse, dans le secteur des télécommunications, à cette dynamique fondamentale de re-zonage territorial. Qu’ils soient déployés en zone urbaine ou rurale, en fibre ou en wi-max, les MAN visent à réunir une masse critique d’usagers, nécessaire d’une part à la mobilisation de l’initiative privée et d’autre part à l’intégrité des nouveaux territoires. Ces ouvrages permettent l’agrégation des différentes infrastructures d’accès (Wi-Max, xDSL, Wi-fi, CPL, …), en cohérence avec les re-zonages territoriaux. « Des centaines de MANs ont ainsi fait leur apparition dans le monde. [ ] des nœuds d'échange métropolitains se mettent en place pour gérer le trafic, réduire les coûts et améliorer la qualité des services au niveau local. » Les MIX, espaces de partenariats public/privé Comment maintenir et développer un bon niveau de services avec l’Internet et l’ouverture du secteur des télécommunication à la concurrence ? Les grands FAI/opérateurs installent des infrastructures d'accès à haut débit sur les portions de territoire les plus attractives. L’objectif est la desserte de segments de clientèles, tous territoires confondus. La règle est la concurrence. Il en résulte une segmentation des territoires par marchés adressables. 1
MIX :Metropolitan Internet eXchange où LIX : Local Internet eXchange
De leur coté, les aménageurs développent toute forme d’action qui préserve l’intégrité du territoire. L’objectif est la desserte de tous les usagers d’une portion de territoire. La règle est la cohérence territoriale. Et il en résulte une forme de segmentation du marché par territoires administrés. Les acteurs publics et privés sont engagés de longue date dans cette dialectique. Ils sont en recherche de dispositifs de coopération qui n’entravent pas leur action dans le respect de l'intégrité du territoire d’une part et des règles de la concurrence d’autre part. Sans dispositif adapté à la situation crée par le nouveau contexte réglementaire, la notion de territoire court le risque de s’effacer derrière celle de marché adressable (problématique de la fracture numérique). Les MIX sont au croisement de ces logiques de développement des services : « concurrence/acteurs privés » et « cohérence/action publique ». D’une part, ils ouvrent les territoires aux services distants des grands FAI/opérateurs. D’autre part ils facilitent le développement et la mise en ligne de contenus et de savoir-faire locaux. Ils sont le moyen d’introduire un nouveau maillon dans la chaîne de la valeur pour le développement et l’accès aux services dans un partenariat public/privé. L’Internet se territorialise. Les échanges qui irriguent le tissu socio-économique d’un territoire sont fortement locaux (près de 60% des communications téléphoniques et des e-mail ). Malgré ce, dans la situation actuelle deux usagers d'un même territoire, clients de deux FAI concurrents, échangeront via un GIX (Global Internet eXchange) parisien ou international. Ce principe de " verticalité " des flux locaux vers les nœuds d’échanges (inter)nationaux, est l’héritage d’un Internet de première génération qui a parfaitement fonctionné pour l’envoi de messages courts. Il ne tient pas compte de la révolution numérique fulgurante (voix, données, images sur un même support) qui, via la boucle locale, transforme l’Internet en un vecteur de communication universel. Economie, santé, enseignement, transport, sécurité, culture, recherche, …, il n’existe plus aujourd’hui de secteur socio-économique indépendant de ce moyen d’échange. L’enjeu est celui de l’organisation de la Société de l’Information. Et si l’Internet est perçu à juste titre comme « un réseau de réseaux » par les opérateurs privés de télécommunication, il est tout aussi légitimement perçu comme un outil de mise en cohérence et d’interconnexion des territoires par les aménageurs. Les MIX sont des dispositifs mutants qui permettent la coexistence de ces deux dynamiques. Ni infrastructures, ni services, ce sont des Infostructures2. [http://www.fing.org/index.php?num=1935,4] Ces «échangeurs métropolitains» donnent à l’Internet l’assise territoriale nécessaire à son ancrage local. Les MIX territorialisent l’Internet. « Ces nœuds d'échange sont aussi le prolongement, au niveau local, d'une Infostructure IP dont les nœuds d'interconnexion nationaux ou internationaux sont les GIX (Global Internet eXchange).» Des espaces neutres sont nécessaires pour permettre la coexistence des dynamiques de développement du local et du global 2
Infostructure : Néologisme qui désigne une réalité de toujours. Dans le domaine des transport par exemple, l'infostructure autoroutière désigne la signalétique, les règles de circulation, l'encadrement sécuritaire du trafic, la fourniture d'indications sur l'encombrement des routes, l'aide à la localisation des services rendus sur l'autoroute, etc. … L'infostructure est au développement de biens immatériels ce que les infrastructures sont au développement de biens matériels. C'est l'émergence de la société de l'Information qui met en relief la notion d'infostructure. Pour les autoroutes classiques de la société industrielle, l'essentiel de la valeur ajoutée est dans l'infrastructure. Pour les autoroutes de la société de l'information, la valeur ajoutée et le potentiel de création de richesses est dans l'infostructure.
Quelques grands acteurs privés maîtrisent aujourd’hui les backbones de l’Internet et la localisation des GIX est du ressort de ces opérateurs internationaux. En effet, c’est eux qui décident du tracé des réseaux transcontinentaux et in fine de leur points de convergence que sont les GIX. Vu par Worldcom, un GIX dans une campagne française n’a aucun intérêt. Les boucles locales qui irriguent ces régions reculées sont le « dernier kilomètre ». A contrario, pour un aménageur en charge du développement local, chaque boucle locale constitue le « premier kilomètre » en direction des backbones de l’Internet. Pour ces acteurs publics l’implantation d’un nœud d’échange répond à des impératifs géostratégiques d’aménagement du territoire. Et le positionnement géographique des nœuds d’échanges correspond cette fois aux points de convergence et d’agrégation des boucles locales qui irriguent le territoire. Les MIX sont à la fois le lieu où s’opère localement l’agrégation des flux de la boucle locale et des backbones de l’Internet. La localisation des immeubles qui hébergent ces infostructures, au cœur des réalités du terrain, est stratégique. Ces locaux sont des lieux d’accueil pour les acteurs du développement numérique et pour les futures places de marché électroniques. Ils créent des conditions propices à l’échange et à la concertation entre les acteurs concernés localement par la société de l’information : collectivités territoriales, acteurs privés et société civile. Ils sont les points d’ancrage locaux d’un Internet territorialisé. Les MIX sont des outils de mise en cohérence du local et du global. Leur neutralité est une condition importante d’adhésion des différents acteurs au principe de leur mutualisation. De l’industrialisation des services Si la société industrielle s’est distinguée par une capacité de production massive d’équipements, la société de l’information se distinguera probablement par sa capacité de production de services en proximité de chaque individu. Dans ce nouveau contexte, le remodelage du « service public à la française » est inévitable. Les services en général, représentent déjà 70% de la valeur ajoutée dans les pays occidentaux et l’âpreté des négociations autour de l’AGCS (Accord Général sur le Commerce et les Services ) http://www.reseauvoltaire.net/IMG/pdf/doc-707.pdf donne la mesure des enjeux économiques et sociaux. Les groupes de travail du SMSI (Sommet mondial de la société de l’Information ) http://www.wsis2005.org/wsis/indexa02.htm ont clairement exprimé le besoin de nouveaux relais décisionnels organisés en « réseaux d’acteurs ». Il est symptomatique que pour la première fois, la société civile soit invitée à participer aux cotés des Etats, du secteur privé et des organisations internationales. La question de fond est celle de l’adaptation du modèle d’organisation socioéconomique de la société industrielle, à la société de l’information. Vaste sujet que l’on pourrait ramener à la question suivante : jusqu’où peut-on traiter les services comme des produits industriels ? Les services sont « de proximité » Les produits industriels s’accommodent parfaitement d’une production hors lieu de consommation. En effet à qualité égale, il sera fait un usage similaire d’un objet industriel, quelque soit son lieu de fabrication. Que le microprocesseur ou le sèche cheveux soit produit en Europe ou en Asie du Sud Est importe peu car in fine, seule la valeur d’échange du produit à du sens. A contrario, un certain nombre de services ont une valeur, d’usage, intimement liée à leur production en proximité de l’usager (santé, culture, enseignement, ….). A la différence du client acquéreur d’un produit industriel, le destinataire de services de proximité est autant la matière première que le consommateur de la prestation. Ceci devrait nous inciter à plus de prudence
concernant les usages. Le niveau de finesse requis dans la fourniture de services de proximité, relève de « l’économie domestique », du champ de survie de l’usager, de son « biotope ». Ainsi, tandis que la production industrielle peut être mise en œuvre de façon « globalisée » et aspaciale, la production de services renvoie au « local », à la proximité physique de l’usager, à son identité et in fine au territoire. Et si les contenus numériques sont facilement délocalisables dans des « datacenters » , la culture et les savoir-faire sont liés aux terroirs. Il ne s'agit pas pour autant d'abandonner le principe d'une vision globale au bénéfice d'actions locales "aveugles". Car nous vivons avec l'Internet un changement d'échelle sans précédent, une proximité qui modifie le rapport du local au global. Les nouveaux outils de communication permettent l'élaboration d'une connaissance immédiate du contexte planétaire dans lequel les actions locales sont conduites. Dans la Société de l’Information, l’individu cour le risque d’être glocalisé Le véritable changement apporté par l’Internet réside probablement dans la mise en communication massive des individus entre eux. Cette réalité ne peut plus être négligée à l’heure de Linux et des logiciels « libres », au moment où les adolescents sont les véritables artisans du service SMS et à une époque où fleurissent les réseaux Wi-Fi dans le monde. Avec la multiplication des objets communicants personnels, les modèles coopératifs (P2P) se développent. Ce potentiel sera-t-il mis à profit ? Les nouveaux usages induits par les technologies de l’information et de la communication se réduiront-ils à une version monolithique des us et coutume ou seront-ils aussi la traduction d’un nouveau souffle de la société civile ? Dans le modèle industriel de production de services, l’usager est confiné dans un rôle de consommateur passif et la société civile n’est pas partie prenante. En outre, le phénomène mondial de concentration financière actuellement à l’œuvre, repousse les acteurs locaux en marge du système de production. L’effet de tenaille produit par l’hypertrophie des acteurs globaux et l’atrophie des dynamiques locales est une entrave à la maîtrise locale des usages. Coupé de son environnement immédiat, l’individu court le risque d’être « glocalisé » dans son quotidien d’accès aux services. La perte de lien social qui en résulte renforce le fameux sentiment « d’ultra moderne solitude » du citoyen-consommateur. Le traitement industriel des services crée « l’isolement dans la société de l’information ». Ce curieux paradoxe est admis comme un moindre mal. Mais il serait illusoire de considérer ce « blues social » comme l’unique prix à payer. Car le paradoxe se double d’une réciproque, à savoir que la perte de lien social a un retentissement négatif sur l’efficacité des actions économiques. Dans la Société de l’Information, l’efficacité économique ne pourra pas être déconnectée des modes d’échanges. La création de valeur ajoutée locale dans les services, en proximité de chaque individu, se joue sur un échiquier tridimensionnel : technologique, économique et social. Il est vital de permettre l'appropriation des technologies de l'information par les acteurs locaux et la société civile et de laisser aux usagers le choix de leurs usages. Les MIX font partie des dispositifs qui créent des conditions favorables à cette appropriation. Personne n’ignore le rôle des us et coutumes de chaque territoire, véritable ciment communautaire et outil de préservation des cultures et des biotopes. Personne non plus ne contestera sérieusement la remise en question permanente des règles de survie d’une communauté, même sous l’effet de forces extérieures, dès lors que la remise en question est endogène.
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