HISTOIRE DU CHATEAU DE CHANTILLY Chantilly au Moyen-Age et à la Renaissance Chantilly fut d'abord un château avant d'être une ville. Construite sur un rocher parmi les marécages de la vallée de la Nonette, la forteresse contrôlait la route de Paris à Senlis. Les Bouteiller, premiers seigneurs de Chantilly, avaient la responsabilité de la cave des princes à la cour des Capétiens, d'où leur patronyme. Les guerres des XIVe et XVe siècle ravagèrent la contrée et dès 1358, les Jacques pillèrent le château, qui fut par la suite vendu à Pierre d'Orgemont, ancien chancelier de Charles V, avant d'échoir par héritage à la famille de Montmorency en 1484. er Le connétable Anne de Montmorency, familier de François I et de Henri II, décida, au retour des guerres d'Italie, d'embellir Chantilly et d'y réunir des collections de livres et d'objets d’art, à l'imitation des seigneurs de la Renaissance italienne. En 1527 l'architecte Pierre Chambiges rénove le Grand Château et, vers 1560, Jean Bullant construit le Petit Château, appelé "Logis neuf". C'est également à cette époque que furent créés les premiers jardins de Chantilly. En 1538 fut construite une vaste terrasse donnant accès au château. La maison de Sylvie et Théophile de Viau La maison de Sylvie, dans la partie haute du parc, rappelle le souvenir du poète Théophile de Viau. Né en 1590, d’une famille protestante de Clairac, dans l’Agenais, esprit libre en mœurs comme en paroles et volontiers sceptique en matière religieuse, il fut mêlé à des intrigues de cour sous Louis XIII et crut se protéger des foudres des Jésuites en entrant au service du duc Henri II de Montmorency, le petit-fils du connétable Anne et donc seigneur de Chantilly. Condamné à mort par le Parlement de Paris pour des vers libertins qu’on lui attribuait, exécuté en effigie sur la place de Grève, Théophile se réfugia à Chantilly, dans une maison construite pour recevoir Henri IV, près de l’étang où la duchesse de Montmorency venait souvent pêcher et se reposer. Sylvie est le surnom poétique donné à la duchesse par Théophile. Celui-ci fut cependant arrêté, alors qu’il tentait de se réfugier aux Pays-Bas espagnols, mais, jugé à nouveau et condamné au bannissement perpétuel après un an de détention à la Conciergerie, il bénéficia encore de la protection du duc de Montmorency qui lui permit de passer à Paris et à Chantilly les derniers mois de sa brève existence. Il mourut en 1626, la santé détruite par les conditions de son emprisonnement. Théophile, auteur aujourd’hui oublié, de poèmes et d’une tragédie alors célèbre, “ Pyrame et Thisbé ”, fut célébré de son vivant et longtemps après sa mort comme le modèle à suivre par de nombreux écrivains du Grand Siècle, qui l’admiraient sans réserve, à l’exception notable toutefois de Malherbe. Le Grand Condé et Le Nôtre En 1632, Henri II de Montmorency fut décapité pour avoir conspiré contre Richelieu. Avec lui s'éteignit la branche aînée des Montmorency, et Louis XIII, qui aimait beaucoup Chantilly, se réserva le domaine où il venait souvent chasser. En 1643, Anne d'Autriche rendit Chantilly à la sœur d'Henri II de Montmorency, dont le fils, le duc d'Enghien, qu’elle avait eu de son mariage avec Henri II de Bourbon, troisième prince de Condé, venait de s’illustrer brillamment à la bataille de Rocroi. Mais il prit parti contre Mazarin pendant la Fronde et Chantilly fut de nouveau confisqué par le roi en 1652. Il fallut attendre la grâce imposée par l’Espagne lors de la paix des Pyrénées en 1659, pour que le duc d'Enghien, devenu le Grand Condé, retrouvât Chantilly, auquel il consacra désormais tous ses efforts, dans l’attente d’être de nouveau admis à la cour de Louis XIV. Aidé de jardiniers et d'architectes qui se rendaient au même moment célèbres à Versailles, tels Le Nôtre ou Mansart, il fit alors réaménager entièrement le parc. Le parc de Chantilly ainsi remodelé était celui que Le Nôtre préférait d’entre tous les jardins qu’il avait créés, comme il l’avoue lui-même dans une des rares lettres qu’il nous a laissées, écrite à l’ambassadeur d’Angleterre, le duc de Portland. La majorité des écrivains et des artistes du Grand Siècle furent alors reçus à Chantilly par le Grand Condé, qui se réconcilia avec le roi au cours de la célèbre fête de 1671, marquée par le suicide de Vatel qu’a relaté Madame de Sévigné, et participa encore à quelques campagnes avant de cesser de guerroyer pour se consacrer à son rôle de mécène jusqu'à sa mort, survenue en 1686. Topographie du parc de Chantilly
Le parc du château de Chantilly couvre environ 115 hectares, dont 25 hectares de plans d’eau. Il s'y adjoint le parc de Sylvie (60 hectares), non ouvert au public. La forêt de Chantilly fait partie intégrante du Domaine ; elle occupe une surface de plus de 6 300 hectares. L’aménagement du jardin de Le Nôtre est composé selon deux axes orthogonaux : - l'un, de direction nord-sud, perpendiculaire aux courbes de niveaux, révèle le relief culminant en utilisant la terrasse qui domine le site. - l'autre, de direction est-ouest, est occupé par le grand canal qui crée une perspective le long de la vallée, parallèle à la grande allée qui, dans la partie haute du parc, constituait l’accès principal avant l’intervention de Le Nôtre. En contrebas de la terrasse se déroulent les parterres, qui sont bordés de deux jardins paysagers créés postérieurement à Le Nôtre : l'un à l'est, date du XVIIIe siècle et accueille un hameau de fantaisie ; l'autre, à l'ouest, aménagé au début du XIXe siècle, reflète le goût anglais de la période romantique. Avant de pénétrer dans le musée Condé, c’est-à-dire le château, il convient d’apprécier la vaste entrée créée par Le Nôtre. L’utilisation du relief conduit le visiteur à accéder au château à partir du point le plus bas, la grille d’Honneur, dominé par la terrasse qui attire le regard tout en masquant le panorama de la vallée. De ce fait, le château se trouve désaxé sur le côté gauche au lieu de constituer l’aboutissement de la perspective d’entrée. Une longue esplanade mène à la terrasse, du haut de laquelle se découvre, d’un coup, l’ensemble des parterres avec leurs bassins-miroirs, le grand canal (1673) et le plan d’eau perpendiculaire à l’axe principal du canal, la Manche. Cet effet de brusque apparition était à l’origine amplifié par un lent cheminement depuis le carrefour des Lions, au sortir de la forêt, mais la circulation automobile qui rend le parcours pédestre périlleux devant le château en réduit considérablement la portée. Les grands parterres et les bassins-miroirs Dessinés et aménagés dans la vallée de la Nonette par Le Nôtre entre 1664 et 1688 pour le Grand Condé, ils restent aujourd'hui bien visibles depuis la majestueuse terrasse du Connétable, dont l’accès se fait par l’esplanade : agrémentés de miroirs d'eau qui reflètent les nuances du ciel, symétriquement disposés, ils sont ornés de nombreux vases et statues représentant des personnages illustres qui furent les hôtes de Chantilly (Molière, Bossuet, La Bruyère...). La plupart de ces statues datent du XIXe siècle, commandées par le duc d’Aumale pour évoquer le passé de Chantilly. Il faut cependant signaler une intéressante évolution dans le tracé des parterres, que fait apparaître la comparaison des plans du XVIIe et du XIXe siècle : les parterres dessinés par Le Nôtre étaient de forme trapézoïdale, créant ainsi un effet de ralentissement de la perpective qui accentuait leur ampleur. La restauration du XIXe siècle, en instituant des rectangles parfaits pour les parterres, a fait disparaître cet effet d’optique qu’avait voulu Le Nôtre. Plus loin, sur l'autre rive du grand canal, l'amphithéâtre du Vertugadin continué par une belle allée forestière prolonge l'axe des parterres à travers la forêt. Des témoignages des somptueux “ parterres de broderies ” (buis et ifs taillés) subsistent encore dans le petit Jardin de la Volière, situé au pied du château, côté ouest, et dans le jardin de la maison de Sylvie (1671) clos par des portiques de treillages et des haies taillées. Mais si l’essentiel de l’oeuvre de Le Nôtre se laisse encore découvrir aujourd’hui, les principaux jardins qu’il a créés, sur l’emplacement de la ville actuelle, à l’ouest du château, ont disparu sous la Révolution, lorsque le parc, devenu bien national, fut loti et vendu. Les seules traces qui en subsistent sont des noms de rues, tels la rue des Cascades, et le pavillon de Manse, destiné à abriter la machine hydraulique de l’ingénieur hollandais Jacques de Manse, qui alimentait en eau les fontaines et les cascades. Ces jardins, abondamment représentés par les gravures du temps, faisaient l’admiration de tous les visiteurs. Ils utilisaient le rebord du plateau pour déployer un système de jeux d’eaux, dont seule la cascade de Saint-Cloud peut nous donner une idée aujourd’hui. Les Bourbon-Condé à Chantilly Les membres de la famille de Bourbon-Condé portent tantôt le titre de duc de Bourbon, tantôt celui de prince de Condé. La principauté de Condé-sur-Escaut et la seigneurie d’Enghien, apportées en dot par Marie de Luxembourg à François de Bourbon, comte de Vendôme, lors de leur mariage en 1487, sont devenues l’apanage de cette branche cadette de la maison de France, à dater de l’avènement d’Henri IV, ce qui explique qu’un même personnage puisse parfois porter successivement l’un puis l’autre titre, par décision royale. Ils furent beaucoup plus présents à Chantilly que les autres familles qui les y avaient précédés.
Pour les serviteurs qui logeaient sur place, le fils du Grand Condé, Henry-Jules, fit ériger Chantilly en paroisse en 1692. On doit au fils de ce dernier, Louis-Henri, duc de Bourbon, né cette même année 1692 et appelé couramment “ Monsieur le Duc ”, la construction des Grandes Ecuries, confiée à l'architecte Jean Aubert, ainsi que les débuts de la manufacture de porcelaine de Chantilly. Ami du Régent, enrichi par le système de Law, ministre de Louis XV, il négocia le mariage du roi avec Marie Leszczynska et la combinaison diplomatique qui apporta la Lorraine à la France. Ce fut également lui le véritable créateur de la ville de Chantilly, dont il traça le premier plan. Le petit parc A partir de 1720, le duc de Bourbon s’attacha à la décoration de la partie boisée située à l’est, face à l’entrée du château, dite “ petit parc ” ou “ parc de la Caboutière ”. Il fit percer une allée en direction de la Caboutière, ce bâtiment qui fut construit dans le parc au temps de Louis XIII pour acclimater la tulipe hollandaise, nommé d’après le riche amateur qui y travaillait, Antoine Caboud, un avocat parisien. Cette allée, appelée “ allée du Quinconce ” parce qu’elle rejoignait le quinconce planté derrière la Caboutière, constitue à sa naissance une “ patte d’oie ” avec l’allée du pont du Roi, située dans l’ancien axe d’entrée du parc, et l’allée de la porte Vaillant, à gauche. Entre ces routes, deux angles aigus vont s’élargissant, qui furent remplis dans leur longueur de salles de verdure et d’allées en zigzag. Les deux avenues de gauche et du milieu se perdaient dans le lointain, mais celle de droite ne dépassait guère le quinconce et se heurtait à un carré boisé où était construit un jeu d’oie géant, avec tous ses détails, le pont, le puits, la prison, qui fut la grande attraction du parc de Chantilly entre les années 1730 et 1770. Derrière la maison de Sylvie se trouvaient d’autres salles de verdure, un “ petit labyrinthe ” et, dans le parc de Sylvie, aujourd’hui séparé du parc du château par la “ sente d’Avilly ”, un chemin accessible au public, un “ grand labyrinthe ”, dont il ne reste plus de traces. Son fils Louis-Joseph, prince de Condé, lui succéda en 1740. Il fit bâtir le Jeu de Paume (1757), le château d’Enghien (1769) et aménagea le jardin anglo-chinois avec son Hameau (1775). Avec lui, le domaine de Chantilly connut son apogée. Le Hameau et son jardin Inauguré le jour de Pâques 1775, ce jardin fut dessiné par l’architecte Jean-François Leroy pour LouisJoseph de Bourbon. Des plans aquarellés levés en 1784, qui montrent le détail des aménagements, sont conservés au musée Condé sous le nom d’album du comte du Nord. Au détour de petits chemins sinueux on découvre encore certaines des “ fabriques ” (constructions factices qui ornaient les jardins) construites à l'époque, tels que le Rocher ou les petits ponts de pierres. Cinq des sept petites maisons construites à l'origine ont été conservées : “ salon ”, “ billard ”, “ salle à manger ”, “ cuisine ”, “ moulin ”, qui constituent le “ délicieux champêtre ” du prince de Condé, véritable décor de théâtre dont le Hameau de la Reine s’inspirera à Versailles. Lieu de fêtes et de plaisirs utilisé ordinairement l’été, le Hameau reçut de nombreux invités dans la décennie qui précéda la Révolution. On s’y rendait généralement en “ pirogue ”, en s’arrosant copieusement au milieu des rires. Des poètes appointés par les princes composaient des vers de mirliton, que déclamaient en chantant des domestiques costumés en paysans et en bergères pour accueillir les visiteurs. Aujourd’hui, le Hameau est occupé par le service éducatif et culturel du musée Condé, qui propose aux groupes scolaires les Ateliers du Hameau (activités éducatives en rapport avec le patrimoine de Chantilly), et par les Goûters champêtres (dégustation de spécialités du terroir de l’Oise) installés au Moulin. La Révolution et la Restauration Dès le 17 juillet 1789 les princes, c’est-à-dire Louis-Joseph, prince de Condé, son fils Louis-HenriJoseph, duc de Bourbon, et son petit-fils, Louis-Antoine-Henri, duc d’Enghien, alors âgé de dix-sept ans, quittèrent la France pour émigrer en Allemagne. Leur domaine, confisqué, fut morcelé et vendu comme bien national en 1793. Les bâtiments commencèrent à être démantelés en 1799 par deux entrepreneurs en démolition qui en revendaient les pierres, mais ceux-ci se virent retirer le marché peu après, ce qui sauva de la destruction le petit château, les grandes Ecuries et le Jeu de Paume. Sous l’Empire, Chantilly fut donné en apanage par Napoléon à la reine Hortense. A son retour d'exil, le prince de Condé s'efforça de reconstituer ses domaines : il parvint à racheter une grande partie des anciens jardins, mais ne pouvant supprimer la route de Chantilly à Vineuil qui, tracée pendant la Révolution, coupait le parc en deux, il fit créer pour la masquer un jardin à l’anglaise par son
architecte Victor Dubois, de 1818 à 1820, à l’ouest des parterres de Le Nôtre. Il mourut en 1818 sans en voir l’achèvement, laissant le domaine à son fils, le duc de Bourbon. Le jardin anglais Adossé à la route traversant la vallée en direction de Vineuil Saint-Firmin et Creil, il conserve quelques témoins des aménagements de Le Nôtre, comme l'Ile d'Amour ou les Fontaines de Beauvais, habilement réemployés sous forme de “ fabriques ”. Des allées sinueuses ménagent des vues apparaissant subitement au détour du chemin ou laissent apercevoir des perspectives intéressantes en direction du château. Une seule des “ fabriques ” introduites à cette époque dans ce jardin subsiste encore : le Temple de Vénus en ruines aujourd'hui. Malgré son apparence “ naturelle ”, le jardin anglais répond à des critères d’organisation de l’espace qui reposent sur une répartition de bosquets et d’arbres isolés autour de vastes pelouses et de plans d’eau. Tout comme les toiles représentant un paysage, les scènes sont construites : elles ont une profondeur donnée par des plans successifs, des cadrages de premier plan, des effets de contraste. Très différent des autres parties du parc, ce jardin d’époque romantique laisse deviner l’anglomanie qui avait saisi la noblesse française sous la Restauration. Pour l’apprécier, il faut se référer au principe énoncé par le poète anglais W. Shenstone au siècle précédent : “ Lorsqu’un bâtiment ou un autre objet a déjà été aperçu de l’endroit désigné pour le voir, les pas ne devraient jamais emprunter pour l’atteindre des chemins identiques à ceux suivis d’abord par les yeux ”. Le jardin anglais est donc la dernière création paysagère de Chantilly.