Hie Lap Rattrapage 2009-3 Cours De Monsieur Levinet

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L’Europe westphalienne §. 2. Les projets Les projets étudiés illustrent les ambitions comme les contradictions de l’Idée européenne.

A. Le projet de William PENN (1644-1718) 1. Une existence mouvementée Fils de l’amiral William PENN (a conquis la Jamaïque) a) Premier élément décisif : son adhésion à la secte protestante des Quakers. Née en 1666 en Angleterre à partir de la prédication de Georges FOX (1624-1691) : Société religieuse des Amis ou Trembleurs (FOX recommande aux justes de « trembler devant la parole de Dieu »). Pacifisme et philanthropie. Opposition à tout clergé (« sacerdoce de tous les croyants », relation directe avec Dieu, culte silencieux, sans rites, dans l’attente d’une inspiration du Saint Esprit). Persécutés en Grande-Bretagne : émigration vers l’Amérique à partir de 1654 // avec les Puritains calvinistes également persécutés et qui commencent à émigrer vers l’Amérique dans la première moitié du XVII° siècle (pèlerins du Mayflower, 1620) où vont s’y considérer comme le nouveau peuple élu, le Nouvel Israël ; fondent dans le Massachusetts une république théocratique et autoritaire, dirigée par une assemblée de Saints. Aujourd’hui 300 000 dont environ 100 000 aux USA PENN fait paraître de nombreuses publications religieuses qui lui valent un emprisonnement dans la Tour de Londres. Libéré grâce à un puissant protecteur, le Duc D’YORK (futur JACQUES II, 1633-1701), fils de CHARLES 1°, qui se convertira au catholicisme avant d’accéder au trône. b) Deuxième élément décisif : un voyageur (Allemagne, Hollande, retour en Angleterre où il obtient, contre une créance de la Couronne de plusieurs milliers de Livres, une concession en Amérique du Nord, peuplée d’indiens Algonquins à qui il a acheté des terres en 1681). En 1682, il y fonde une colonie qui prend le nom de PENNSYLVANIE avec comme capitale PHILADELPHIA (« amour fraternel ») (aujourd’hui, la capitale de l’Etat est HARRISBURG), lieu de la

proclamation de la Déclaration d’indépendance (1776) et même, un temps, capitale des USA (17901800). Les premiers colons sont des quakers qui viennent d’Allemagne, des Pays-Bas et de GrandeBretagne. Il y formule la Constitution et les Lois administratives d’un Etat démocratique et libéral (Frames of Government, 1682-1701) (un des modèles des futures institutions américaines) : le système se fonde sur la problématique du contrat social, le consentement des gouvernés, la liberté politique, la souveraineté populaire, le droit de vote de tous les contribuables, la liberté de conscience absolue, l’absence de discrimination dérivée de la nationalité, non-violence.

c) Troisième élément décisif : le retour en Angleterre (1684) : il se lie avec JACQUES II (il va obtenir de sa part une certaine tolérance religieuse (Déclaration d’indulgence, 1687 : suspension de l’obligation de suivre le rite anglican pour accéder aux fonctions publiques / après l’exil de JACQUES II, les catholiques en seront exclus jusqu’en1829). Très marqué par le contexte dramatique : destitution de JACQUES II (1688) ; révocation de l’Edit de Nantes (Henri IV, 1598) en 1685 ; Guerres des Flandres et de Hollande. Ce qui va le conduire à un audacieux projet de paix entre Européens en 1693 (Essay Towards the Present and Future Peace of Europe) (Essai sur la paix présente et future de l’Europe) : « J’ai entrepris un sujet qui est au-dessus de mes forces, mais qui mérite vraiment d’être discuté, étant donné l’état lamentable de l’Europe ».

2. Les postulats du projet a) Eradiquer les causes de guerre : comme beaucoup d’autres auteurs, il pense qu’il faut orienter les instincts guerriers des hommes vers des occupations paisibles et plus utiles à la collectivité. Nul ne peut se prétendre juge de sa propre cause ; il en va de même dans la société des nations européennes ; ce qui implique une organisation « fédérale » arbitrant souverainement les litiges internationaux et, donc, l’abandon par les Etats d’une partie de leurs droits naturels et de leur liberté : en contrepartie, protection de l’Organisation internationale.

b) Comme chez CRUCE, non exclusion de la Turquie et de la Russie. c) Les principes de l’organisation internationale devraient s’inspirer de ceux régissant la Pennsylvanie.

3. Le schéma institutionnel : Le système repose sur une Diète souveraine ou impériale ou Parlement ou Etats de l’Europe : 90 délégués pour représenter les divers Etats en proportion de la population, des ressources naturelles et des richesses de chacun.

Modèle de l’assemblée parlementaire : importance de la délibération publique. Décisions au scrutin secret (éviter la vénalité et espérer que les délégués voteraient selon leur conscience et, donc, condamneraient la guerre) : majorité des ¾ ou au moins 7 voix (art. 16). Les langues de travail sont le LATIN (langue des « gens du droit ») et le FRANÇAIS (langue des « gens de qualité ») (art. 24). « Le lieu de la première session devrait être aussi central que possible ; ensuite l’assemblée le déterminera elle-même » (art. 11). Etonnant souci de l’égalité (« éviter les querelles de préséance ») le conduit à proposer une bien curieuse disposition : la salle des délibérations de la Diète sera ronde et la table ne devra comporter aucune place plus importante qu’une autre. Par ailleurs, la salle comportera de nombreuses portes, afin que les ambassadeurs des Etats puissent y entrer et en sortir sans éprouver le besoin de céder le pas les uns les autres. Elle tranche les litiges non résolus par voie de négociation diplomatique (art. 4 : « tous les différends pendants entre un souverain et un autre souverain »). En cas de refus d’exécuter la sentence ou de refus de lui soumettre ses prétentions, l’auteur prévoit une coalition de tous contre le « méchant » (art. 5 : « toutes les autres souverainetés, unissant leurs forces, devraient la contraindre à la soumission et à l’exécution de la sentence et au payement de tous les frais et dommages »).

B. Le projet de l’abbé de SAINT PIERRE (1658-1743) Charles Irénée CASTEL. Cadet de bonne noblesse normande, aumônier de la Duchesse d’Orléans. Pacifiste, esprit ouvert et curieux de politique. *A ne pas confondre avec Bernardin de SAINT PIERRE (1737-1814). Précurseur du Romantisme, lié à ROUSSEAU, auteur du célèbre roman à succès Paul et Virginie (amour idyllique de deux adolescents à l’Ile Maurice : pureté des sentiments, exotisme, ignorance naturelle du mal…). Mais aussi favorable à la solidarité naturelle de l’humanité : Etudes de la nature (1784), où il se réfère au projet de SULLY / HENRI IV ; Vœux d’un solitaire (1789).

Expérience diplomatique : il a participé aux négociations (France, Espagne, Angleterre, ProvincesUnies, Prusse, Savoie) destinées à mettre fin à la Guerre de Succession d’Espagne, et à l’origine du Traité d’Utrecht (1713) : qui sanctionne la perte par la France de la Nouvelle-écosse (une partie de l’Acadie, au Canada) / l’autre partie étant le Nouveau-Brunswick actuel ; et par l’Espagne des Pays-Bas méridionaux – l’actuelle Belgique – au profit de l’Autriche, et Gibraltar au profit des britanniques.

Il y a eu deux Traités d’Utrecht : l’un conclu entre la France et la Grande-Bretagne, l’autre entre celle-ci et l’Espagne. Ces traités sont le point de départ de l’ascension de la GrandeBretagne et du déclin de l’Espagne et des Provinces-Unies. Marqué par les guerres de Louis XIV, il proposera une alliance générale et perpétuelle des souverains de l’Europe contre toutes les guerres : Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (2 tomes) ; Projet de traité pour rendre la paix perpétuelle entre les souverains chrétiens (t. 3) (les deux premiers parus à Utrecht en 1713, le 3° en 1717).

1. Un projet célèbre Bien plus connu que celui de PENN, analysé et commenté tout au long du XVIII° siècle (notamment, par VOLTAIRE, FREDERIC II, LEIBNIZ). Il « est devenu le passage obligé d’une réflexion sur la paix » (P. ROLLAND, p. 48). Important rôle de ROUSSEAU dans sa diffusion. En 1760, il en présente un résumé commenté (Extrait du Projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint Pierre) et une analyse critique (Jugement sur la paix perpétuelle). Souvent comparé au projet de KANT (v. infra). Mais leur contexte historique diffère ainsi que leurs inspirations : Saint PIERRE « vise les Etats d’Europe » ; le projet de KANT « est plus abstrait et plus théorique ». Le 1° « se situe encore dans l’Europe monarchique », le 2° « a écrit une œuvre philosophique, assez détachée des préoccupations pratiques, mais néanmoins éclairé par les

évènements de la Révolution française ».

2. La conception de la société internationale a) L’une des principales vertus attendues de la Société européenne est la conservation du statu quo (interne et international) - Pas de refonte du statut politique et territorial de l’Europe « Chaque Souverain se contentera pour lui et pour ses successeurs du territoire qu’il possède actuellement, ou qu’il doit posséder par le traité ci-joint » (art. 4)

On évitera ainsi les prétentions sans fin et souvent peu justifiées. Aussi, le projet prévoit-il l’institution de commissions qui iront dans les Amériques et les autres continents pour borner les possessions Outre-mer des puissances européennes. - Non-ingérence dans les affaires intérieures sauf pour aider les autorités étatiques contre « les séditieux et les rebelles » (art. 3). L’Union est décrite comme « tutrice et comme protectrice », l’Union y envoie « des commissaires et des troupes pour punir les coupables selon toute la rigueur des lois » : « L’Union emploiera toutes ses forces et tout ses soins pour empêcher que pendant les régences, les minorités, les règnes faibles de chaque Etat, il ne soit fait aucun préjudice au souverain, ni en sa personne, ni en ses droits, soit par ses sujets, soit par les étrangers ».

- Ecarter les pratiques liées à la conception patrimoniale du territoire étatique (donations, cessions, ventes, héritages) : aussi, toute modification territoriale entre deux Etats supposera le consentement de l’Union à la majorité des ¾ des membres, sans oublier la garantie d’exécution apportée par l’Union. De même, KANT, pour lequel l’Etat n’est pas un patrimoine mais une personne morale et qui condamne fermement la pratique des mariages dynastiques conclus en vue d’acquérir des territoires. - Tous deux condamnent la diplomatie secrète : de même, chez l’utilitariste BENTHAM, dans l’article 18 du projet de Déclaration du droit des gens (Abbé GREGOIRE, 1795), puis dans l’un des 14 points du message au Congrès du Président WILSON (8 janv. 1918). - Nécessaire réduction des forces armées : chaque Etat mettra à la disposition de l’Union les mêmes contingents armés (une armée commune commandée par un généralissime, nommé par le Sénat). Cependant, avec le consentement de l’Union, il pourra conserver des contingents pour prévenir la sédition mais il devra s’agir d’étrangers (!!) qui n’auront aucun intérêt à renforcer la puissance des Etats qu’ils servent (d’ailleurs, ils ne pourront s’y marier ni acquérir des rentes ou des fonds). A l’opposé de KANT qui, lui, condamne nettement les mercenaires et demande leur substitution par des armées de citoyens pour faire des guerres purement défensives (les armées de métier alimentent la course aux armements). b) L’auteur (comme KANT) est très critique vis-à-vis du Principe de l’Equilibre (remis en œuvre par les souverains après les guerres de 1792-1815) et qui a fait largement la preuve de son inefficacité pour assurer la paix (simple trêve). c) La paix suppose de larges transferts de compétences vers une autorité internationale

- Comme nombre de ses prédécesseurs, SAINT PIERRE fustige la guerre. Outre l’aspect moral, il la condamne dans une perspective utilitariste : coûts en vies humaines, pertes économiques, état d’insécurité permanente en raison du surarmement et des interventions armées préventives. Ce gâchis économique perturbe le commerce, détourne nombre d’hommes et de ressources financières d’usages bien plus importants comme l’éducation et la formation. - Les Etats doivent donc abandonner leur compétence de guerre à l’Union qui arbitrera les conflits et imposera des sanctions à l’agresseur. - Plus généralement, il pense à un pouvoir supranational (ainsi, l’Union réglemente-t-elle les échanges commerciaux). Cette logique « d’abandon de la souveraineté » a été critiquée par ROUSSEAU (Jugement sur la paix perpétuelle, 1760) qui lui reproche un manque de réalisme au regard de l’importance du principe de souveraineté (pour le Genevois, la mise en œuvre du projet supposerait d’être établie par la force). VOLTAIRE qualifie le projet de « chimère qui ne se réalisera pas plus entre les hommes qu’entre les loups et les chiens ». A l’instar de MABLY et de KANT, SAINT PIERRE raisonne dans la logique du contrat social : comme les individus, les Nations doivent comprendre qu’il leur faut « entrer en société », en s’associant dans une « société permanente », plutôt que de demeurer dans l’état de nature. Par contre, ROUSSEAU ne pense pas possible de transposer la problématique du pacte social dans les relations interétatiques, dans la mesure où les Etats ne lui semblent animés que par leurs intérêts particuliers, veulent toujours augmenter leur puissance, sont voués au conflit et à la guerre. Au plan interne, le passage de l’état de nature à l’état civil est difficile, en raison de la lutte entre l’homme et le citoyen ; au plan international, le conflit entre le patriotisme et l’amour de l’humanité lui semble insurmontable. (Considérations sur le gouvernement de la Pologne). En ce sens, ROUSSEAU se révèle, comme dans d’autres domaines (théorie de l’unité du pouvoir, de la souveraineté), un élève fidèle de HOBBES et s’inscrit dans la thèse de anomie de la société internationale, qui sera illustrée par HEGEL (Principes de la philosophie du droit, 1821) que sa philosophie de l’histoire conduit à faire de l’Etat souverain le degré le plus développé dans l’échelle du progrès social, un Etat dont la volonté ne peut être réellement liée à des traités et, au XX° siècle, Raymond ARON (Paix et guerre entre les nations, 1962). - L’adhésion à l’Union n’est pas forcément volontaire : curieuse disposition de l’art. 8 § 3 : « Si après la société formée au nombre de quatorze voix, un Souverain refusait d’y entrer, elle le déclarera ennemi du repos de l’Europe, et lui fera la guerre jusqu’à ce qu’il y soit entré, ou jusqu’à ce qu’il soit entièrement dépossédé ».

3. Le schéma institutionnel

Il repose sur un traité qui se subdivise en deux types de clauses : les onze premiers articles sont des articles fondamentaux (qui ne pourront être modifiés que de façon unanime) et les autres articles (révisables à la majorité des 3/4 des voix). Tous les membres participent aux dépenses de l’Union.

SENAT D’EUROPE 24 Etats représentés (art. 9 : « vingt-quatre sénateurs ou députés des souverains unis, ni plus ni moins ») (chacun dispose d’une voix, les décisions étant prises à la majorité) Siège à Utrecht (la Hollande est un pays commerçant et tolérant, plus intéressé que tout autre au maintien de la paix), sinon Genève, Cologne ou encore Aix-La-Chapelle. Importantes compétences - Désigne le successeur des Souverains décédés sans héritier ; - Décide de l’intervention armée de l’Union pour maintenir les Souverains objet de sédition ou de subversion ; - Approuve (majorité des 3/4) les traités signés entre les membres et les garantit ; - Pouvoir législatif : élabore des lois commerciales ; - Fonctions juridictionnelles : il y aura des Chambres du commerce pour régler les litiges opposant les sujets des divers Souverains. Et d’ajouter que « chaque souverain prêtera la main à l’exécution des jugements des chambres de commerce, comme si c’étaient ses propres

jugements » (art. 7). « L’Union établira en différentes villes des chambres pour le maintien du commerce, composées de députés autorisés à concilier et à juger à la rigueur, et en dernier ressort, les procès qui naîtront pour violence, ou sur le commerce, ou autres matières entre les sujets des divers souverains, au-dessus de dix mille livres ».

S’agissant des litiges interétatiques, il prévoit le recours à la médiation ou à la conciliation et, en cas d’échec, à l’arbitrage du Sénat (à la majorité pour la « provision », 3/4 pour la «définitive ») (art. 8). Quant au refus d’exécution des sentences (idem pour le Souverain qui « prendra les armes avant la déclaration de guerre de l’Union, ou qui refusera d’exécuter un règlement de la Société »), le § 2 de l’article 8 est drastique (il comporte une sanction territoriale absurde et génératrice de nouveaux conflits) : « (il) sera déclaré ennemi de la société, et elle lui fera la guerre, jusqu’à ce qu’il soit désarmé, et jusqu’à l’exécution du jugement et des règlements ; il paiera même les frais de la guerre, et le pays qui sera conquis sur lui lors de la suspension d’armes, demeurera pour toujours séparé de son Etat »

C. Le projet d’Emmanuel KANT (1724-1804) S’est fait remarquer en 1784 avec son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. A un moment de relative détente dans les guerres de la fin du XVIII° siècle (1795, Paix de Bâle : traité entre la France thermidorienne et l’Espagne ; traité entre l’Espagne et la Prusse), il fait paraître un Projet de paix perpétuelle. Esquisse philosophique (Librairie philosophique Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », 2002, textes allemand et français). Ouvrage appelé à une grande notoriété, connu du Président WILSON (qui l’avait comme livre de chevet) et salué par le Professeur Charles ZORGBIBE (La construction politique de l’Europe. 1946-1976, PUF, 1978, Introduction, p. 10) : « Préconisant l’établissement d’une ‘société des nations’ sur la base d’un ‘Etat de droit’ international, Kant esquisse une véritable théorie pacifiste et internationaliste : il tente, pour la première fois, l’étude scientifique des causes de la guerre ; en posant l’exigence de conformité constitutionnelle des Etats membres de la ‘société des nations’, il lie pour la première fois démocratie et internationalisme »

1. La structure du Projet a) Deux Sections et deux Suppléments La 1° Section est composée de Six articles préliminaires (où l’auteur expose comment éliminer les causes de guerre) ; la 2° comporte Trois articles définitifs (en vue de la paix perpétuelle entre Etats). Le 1° Supplément vise le commerce (dont l’expansion est, nécessairement, civilisatrice) ; le 2° Supplément permet à KANT de revendiquer pour les philosophes le droit de conseiller les Etats sur les questions de paix et de guerre (avatar du despotisme éclairé ?). Fortune de la thématique du philosophe conseiller du Prince / ancienneté de la thèse chez nombre d’auteurs (Daniel MENAGER, Erasme, Desclée de Brouwer, 2003 : croyance d’ERASME et de MORE avec l’arrivée sur e trône d’Angleterre d’HENRY VIII), toujours déçus, que le roi peut réaliser l’idéal platonicien du prince-philosophe. b) Les Trois articles définitifs de la Deuxième Section -

La forme républicaine du gouvernement

« La question est dès lors de savoir si elle est la seule qui puisse amener la paix perpétuelle… Lorsqu’il faut faire appel au suffrage des citoyens (et il ne peut en aller autrement dans une constitution républicaine) pour décider si la guerre doit avoir lieu ou non, il n’y a rien de plus naturel qu’ayant à décréter contre eux-mêmes tous les malheurs de la guerre, ils réfléchissent mûrement avant d’entreprendre un jeu si dangereux. (ils devraient, en effet, combattre en personne, payer de leurs propres ressources les frais de la guerre, réparer péniblement les dévastations qu’elle laisse derrière elle ; enfin, pour comble de maux, ils contracteraient une dette qui rendrait amère la paix elle-même et qui ne pourrait jamais être amortie avant que n’éclate une nouvelle guerre). Par contre, dans une constitution où le sujet n’est pas citoyen, la guerre est la chose la plus aisée du monde, puisque le souverain n’est pas citoyen mais propriétaire de l’Etat, qu’il n’a rien à craindre de la guerre pour sa table, sa chasse, ses châteaux de plaisance, ses fêtes de cour, etc. ; il peut dès lors décider comme une partie de plaisir

pour des raisons insignifiantes, et en abandonner indifféremment la justification exigée par la bienséance, au corps diplomatique toujours prêt à la fournir… »

Déjà, non sans quelque optimisme, MONTESQUIEU avait reconnu que « l’esprit de la monarchie est la guerre et l’agrandissement, l’esprit de la république est la paix et la modération » (De l’esprit des lois, Livre IX, chap. III). KANT reprend les principes de la Révolution française : tous les peuples sont les grandes victimes des guerres qu’ils n’ont pas voulues, ils sont naturellement pacifiques (v. sa position contre la diplomatie secrète).

- L’aménagement des rapports internationaux sur un mode « fédéral » ? Pour KANT, « le droit des gens doit être fondé sur une fédération d’Etats libres ». En réalité, il s’agit de fonder une sorte d’autorité internationale grâce à un embryon d’« alliance fédérative », comme moyen d’éliminer progressivement la guerre (une série de pactes de non-agression). C’est « la raison, du haut de son trône, source suprême de toute législation morale, (qui) condamne absolument la guerre comme voie de droit et fait par contre de l’état de paix un devoir immédiat ». Aussi, pour parvenir à cet « état de paix », il faut une « convention mutuelle des peuples… une alliance d’une espèce particulière que l’on pourrait appeler alliance de paix (‘foedus pacificum’), et qui se distinguerait du traité de paix (‘pactum pacis‘) en ce qu’elle aurait pour but de mettre fin à jamais à toutes les guerres, tandis que celui-ci n’en termine qu’une seule » (la paix sera donc une paix perpétuelle). Cette alliance vise simplement la conservation et la garantie de la liberté de l’Etat, « sans que pour autant ils aient à se soumettre (comme les hommes dans l’état de nature) à des lois publiques et à la contrainte qu’elles exercent ». Cette « fédération des peuples ne serait pas néanmoins nécessairement un Etat fédératif » (refus de l’idée d’une république mondiale », « puisque nous avons à considérer ici le droit des peuples l’un envers l’autre, en tant qu’ils constituent un certain nombre d’Etats différents et ne doivent point se confondre en un seul Etat »).

- L’établissement d’un droit cosmopolitique (Weltbürgerrecht) : KANT vise ici le droit régissant les rapports des hommes en tant qu’habitants de la planète, comme citoyens de la cité universelle (jus gentium ?) : il vise le statut des individus en pays étranger car tout être humain possède des droits sur l’ensemble du globe (droit de visite, droit de libre circulation).

2. Les aspects institutionnels a) KANT ne développe guère les aspects institutionnels. Son système est profondément marqué par les impératifs de l’idéalisme moral et juridique. Il faut fixer des principes. S’il pense manifestement à l’Europe, l’abstraction du projet témoigne de sa portée universelle. Il repose sur un appel à la conscience et à la raison de l’homme afin d’établir de nouvelles relations fondées sur le droit et la justice. A cet égard, il s’inscrit dans une tradition (la paix par le droit) et participe d’un courant qui connaîtra de nombreuses concrétisations (efforts des théologiens et des juristes médiévaux, efforts des pères fondateurs du droit international (VITORIA, SUAREZ, GROTIUS), Solidarisme et idéalisme de la fin du XIX° siècle et du début du XX° siècle). En 1887, est fondée la revue La Paix par le droit (à laquelle collabore René CASSIN), que présidera durant un demi siècle Théodore RUYSSEN (1884-1950), auteur de l’ouvrage De la guerre au droit (Alcan, 1920), et qui militera, notamment, pour la création de la SDN (en 1918, RUYSSEN insistera sur la filiation directe des idées de WILSON et du Projet de paix perpétuelle de KANT). Léon BOURGEOIS (1851-1925), député radical (1888), plusieurs fois ministre, 1° Président du conseil radical (1895), représente la France aux Conférences de La Haye de 1899 et 1907 (influence sur le contenu des conventions adoptées à cette occasion). Prix Nobel de la paix en 1920 (pour son rôle dans la création de la SDN). b) Comme HOBBES et ROUSSEAU, il considère que, dans leurs rapports mutuels, les Nations en sont restées à l’état de nature. Ces relations sont régies par la violence, la ruse et les traités de paix ne sont, en réalité, que de simples trêves. Aussi, conçoit-il la paix entre Nations par analogie avec la paix civile qu’est censée produire le pacte qui a permis aux hommes de sortir de l’état ne nature (contrat social). Pour lui, l’état de paix n’est pas un état naturel ; il doit être institué par la raison humaine, par la coexistence pacifique des libertés. Le projet de 1795 reprend ici la Proposition VII de son Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique (1784) : « Sortir de l’état anarchique de sauvagerie, pour entrer dans une société des nations ».

D. Le projet du Comte de SAINT SIMON (1760-1825) 1. Le personnage Claude-Henri de ROUVROY, arrière-cousin du Duc de SAINT SIMON, le célèbre mémorialiste (16751755). Officier, il participe à la guerre d’indépendance américaine : prisonnier de guerre à la Jamaïque, il soumet au Vice Roi du Mexique un projet de canal interocéanique. Renonce à son titre de noblesse dès 1789 (il fait insérer cette renonciation dans le procès verbal de sa commune de FALVY, près de Péronne. Un temps favorable à la Révolution française, il est emprisonné de juin 1793 à juin 1794. Il reprend son titre au moment du retour des Bourbons mais se rallie à Napoléon I° lors des Cent jours et s’oppose à la Restauration (arrêté en 1820). Le précurseur de la Philosophie positiviste et le théoricien de l’industrialisme Premiers travaux de philosophie positiviste (Introduction aux travaux scientifiques du XIX° siècle, 1807). Il crée la revue L’Industrie (1816) et publie L’Organisateur (1819-1820), avec Auguste COMTE (un temps son secrétaire). Paraissent, ensuite Du système industriel (1821-1822) et Le Catéchisme des industriels (1823-1824), où il annonce l’arrivée d’une nouvelle société gérée par les industriels (les producteurs) où s’harmoniseraient, naturellement, intérêts des chefs d’entreprise et intérêts des salariés ; il affirme la valeur du travail qui doit se substituer aux valeurs de la guerre (Nation envisagée comme un vaste atelier). Dans une œuvre posthume (Le Nouveau Christianisme), il développe des idées socialisantes. Toutes ces œuvres sont au fondement de l’école socialiste saintsimonienne, avec notamment l’ingénieur Prosper Barthélemy ENFANTIN (1796-1864), qui tente de constituer une société pour le percement d’un canal entre la Méditerranée et La Mer Rouge, et Pierre LEROUX (1797-1871), membre de l’Assemblée nationale de 1848 et de l’Assemblée législative (1849). Les thèses de SAINT SIMON (sorte de mystique de l’économie, de l’essor industriel, du progrès des échanges, du capitalisme libéral) influenceront aussi des industriels comme Ferdinand DE LESSEPS (1805-1894), créateur de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, inauguré en 1869 et d’une pour le percement de l’isthme de Panama (1880). Au moment où s’ouvre le Congrès de Vienne (1814), SAINT SIMON dédie aux parlements français et britannique un projet écrit avec son secrétaire, le futur historien Augustin THIERRY (1795-1856). Préconisant une sorte d’axe franco-britannique, il exhorte les deux institutions parlementaires de ces deux Nations libérales qui doivent cesser de se combattre, à « hâter cette révolution de l’Europe » : De la réorganisation de la société européenne ou de la nécessité de et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance nationale. Originalité certaine : le premier à mettre autant en évidence le rôle que peut jouer l’économie dans la construction européenne et l’importance de l’harmonisation des intérêts particuliers par une force

communautaire. Une certaine ampleur institutionnelle (une constitution solide, des institutions communes, une autorité commune dotée de fonctions quasi étatiques) : « A toute réunion de peuples comme à toute réunion d’hommes, il faut des institutions communes, il faut une organisation : hors de là, tout se décide par la force »

Ce rêve d’harmonie universelle se retrouve également chez Auguste COMTE (1798-1857), dans la conclusion générale du Discours préliminaire de son Système de politique positive (tome I, 1851) : visant d’abord l’Europe mais destiné à connaître une extension universelle, il repose sur l’existence d’une autorité fédérale (Le Comité positif occidental) siégeant à Paris, disposant d’une armée, d’un drapeau et d’une monnaie communs.

2. Le paradigme saint-simonien Il y a, certes, des aspects ethnocentristes (« Sans activité au dehors, il n’y a point de tranquillité au dedans. Le plus sûr moyen de maintenir la paix dans la confédération sera de la porter sans cesse hors d’elle-même, et de l’occuper sans relâche par de grands travaux intérieurs. Peupler le globe de la race européenne, qui est supérieure à toutes les autres races d’hommes ; le rendre voyageable et habitable comme l’Europe, voilà l’entreprise par laquelle le Parlement européen devra continuellement exercer l’activité de l’Europe, et la tenir toujours en haleine »). Cet élément se retrouve chez Victor HUGO (préface de sa pièce Les Burgraves, 1843), et chez Ernest RENAN (La réforme intellectuelle et morale, 1871) et Jean JAURES (Discours d’Albi, 1881) (v. infra). Mais le projet saint-simonien suppose le dépassement du caractère interétatique de la société européenne et place ses espoirs dans le dynamisme du système libéral. Il conçoit l’unité européenne selon la méthode scientifique, en exploitant les leçons de la sociologie, de la science politique. a) La nécessaire sortie de la société européenne interétatique La Paix de Westphalie n’a pas apporté de réel bénéfice : la société westphalienne a alimenté la guerre (« Depuis le traité de Westphalie, la guerre a été l’état habituel de l’Europe »). b) S’il s’adresse aux deux parlements, c’est que SAINT SIMON fonde ses espoirs dans la force d’entraînement des deux systèmes libéraux français et britannique. Sa constitution est calquée sur celle de la Grande-Bretagne ; à ses yeux, système fondé sur l’opinion publique, le parlementarisme va gagner, de proche en proche, toute l’Europe et d’abord l’Allemagne. L’axe franco-britannique est donc appelé à se muer en trio. En attendant, il faut unir France et Grande-Bretagne : industrie, commerce, marine, parlement, monnaie (garantie par une banque d’émission franco-britannique). Son système est tempéré par l’option scientiste (présence du système capacitaire), présente aussi chez RENAN qui rêve de substituer au grand Etat-major un « clergé de savants » (L’avenir de la science, 1890).

3. L’institutionnalisme saint-simonien « Un parlement général placé au-dessus de tous les gouvernements nationaux et investi du pouvoir de juger leurs différends »

a) L’organisation du Parlement européen Le « grand Parlement » est bicaméral : une Chambre des pairs et une Chambre des députés spécialement composées. La Chambre des pairs (héréditaires, nombre illimité, nommé par le Roi européen). Il y ajoute 20 membres choisis parmi les hommes (ou parmi leurs descendants) qui, par leurs travaux dans les sciences , dans l’industrie, la magistrature ou l’administration, auront fait des choses jugées les plus utiles à la société européenne (ils seront dotés par le Parlement européen de 500 000 francs de rente). La Chambre des députés (« Des négociants, des savants, des magistrats et des administrateurs doivent être appelés seuls à composer la Chambre des députés du grand Parlement »). Eux seuls, en effet, ont, à ses yeux, le souci de l’intérêt général. Son projet prévoit la désignation d’un négociant, d’un savant, d’un magistrat et d’un administrateur pour 1 000 000 d’hommes sachant lire et écrire. L’éligibilité est liée à la possession de 25 000 francs de rentes au moins « en fonds de terre ». Leur mandat est de 10 ans. Son schéma comporte l’institution d’un Roi européen héréditaire (mais il ne donne pas d’indication sur son mode désignation, question qu’il entendait aborder dans un second ouvrage). b) Les compétences du Parlement européen Outre qu’il « sera le seul juge des contestations qui pourront s’élever entre les gouvernements », sa compétence est définie très largement puisque « Toute question d’intérêt général de la société européenne sera portée devant le grand Parlement, et examinée et résolue par lui ». Ce qui implique : - « (l)ever sur la confédération tous les impôts qu’il jugera nécessaires ; - « Toutes les entreprises d’une utilité générale pour la société européenne seront dirigées par le grand Parlement » (par exemple, assurer par des grands canaux la liaison Rhin / Danube et la liaison Rhin / Baltique) ; - « L’instruction publique dans toute l’Europe sera mise sous la direction et la surveillance du grand Parlement » ; - « Un code de morale, tant générale que nationale et individuelle, sera rédigé par les soins du grand Parlement, pour être enseigné dans toute l’Europe ». Ce qui permettra la diffusion du patriotisme européen et l’auteur d’ajouter : « Ainsi, il y aura entre les peuples européens ce qui fait le lien et la base de toute association politique : conformité d’institutions, union d’intérêts, rapport de maximes, communauté de morale et d’instruction publique ».

E. Le projet de Victor HUGO (1802-1885) Fils d’un général napoléonien : une ode à la gloire impériale salue le retour des cendres de l’Empereur en 1840. Adde le caractère peu engageant de son discours de réception à l’Académie française (1841) : « Je suis de ceux qui pensent que la guerre est souvent bonne ». Pourtant, en 1829, plaidoyer contre la peine de mort (Le dernier jour d’un condamné). En 1843 (préface de sa pièce Les Burgraves) : « Quelles que soient les antipathies momentanées et les jalousies de frontières, toutes les nations policées… sont indissolublement liées entre elles par une secrète et profonde unité. La civilisation nous fait à tous les mêmes entrailles, le même esprit, le même but, le même avenir… Oui, la civilisation tout entière est la patrie du poète. Cette patrie n’a d’autre frontière que la ligne sombre et fatale où commence la barbarie. Un jour, espérons-le, le globe entier sera civilisé, tous les points de la demeure humaine seront éclairés, et alors sera accompli le magnifique rêve de l’intelligence : avoir pour patrie le monde et pour nation l’humanité »

Evolution politique vers les Républicains en 1848 (député à l’Assemblée nationale constituante, après avoir été membre de la Chambre des Pairs en 1845). S’exile après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Vit à Bruxelles où il écrit un grand pamphlet contre LOUIS NAPOLEON BONAPARTE (Napoléon le Petit, 1852), critique qu’il reprend dans Les Châtiments (1853). Vit à Jersey (1852-1855) puis à Guernesey jusqu’au 4 septembre 1870. Elu à l’Assemblée nationale (1871), puis Sénateur (1876). Obsèques nationales. 1. Le contexte de 1848

a) Le bref Printemps des peuples Difficulté de concilier démocratie, Principe des nationalités, idée européenne, pacifisme (v. le patriote et révolutionnaire italien Guiseppe MAZZINI (1808-1872 : « L’humanité ne sera vraiment constituée que lorsque tous les peuples qui la composent, ayant conquis le libre exercice de leur souveraineté, seront associés dans une fédération républicaine ») ; LEDRU-ROLLIN (1807-1874) ; Félicité Robert

de LAMENNAIS (1782-1854).

b) Les mouvements pour la paix Les premières sociétés de paix apparaissent dans les pays (anglo-saxons) protestants de tradition libérale (USA, 1815-1828 / fédération des diverses sociétés en 1828 : Société américaine de la paix). En Grande-Bretagne, ce sont les Quakers qui fondent à Londres une société de paix. D’autres sociétés sont créées : à Genève, en France où, après 1840, la Société de paix de Paris est fondée par Eugénie NIBOYET, écrivain saint-simonienne féministe née à Montpellier (1797-1883), fondatrice, ne 1848, du journal La voix des Femmes.

La Société américaine lance l’idée d’un Congrès international de la paix : Le 1° se réunit à Londres en 1843 ; Le 2° à Bruxelles, en pleine tourmente révolutionnaire, en 1848. Le 3° s’ouvre à Paris le 21 août 1849 : 850 représentants. Elu président, Victor HUGO prononce les discours d’ouverture et de clôture (v. infra). D’autres suivront : Francfort (1850), Londres (1851)… Lugano (1872). Le mouvement de la paix doit toutefois se concilier avec la montée des nationalismes : l’enthousiasme des pacifistes français, par exemple, sera fortement mis à l’épreuve avec la Guerre de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine.

c) L’ambiguïté du fédéralisme européen Signification de l’emploi récurrent de l’expression Etats-Unis d’Europe ? (Patrice ROLLAND y consacre les pp. 216 à 329 : Les Etats-Unis d’Europe (1849-1900) La 1° formulation revient à l’avocat VEZINET en 1847. En 1848, il est utilisé par le journaliste écossais MAC KAY, par l’homme politique et républicain fervent italien Carlo CATTANEO (18011869) (Histoire de l’insurrection de Milan, septembre 1849 : « Nous aurons la paix quand nous aurons les Etats-Unis d’Europe ») et le publiciste et homme politique Emile DE GIRARDIN, membre de l’Assemblée législative en 1849 (La Presse, 14 août 1848 : « Pourquoi n’y aurait-il pas des Etats-Unis d’Europe comme il y a les Etats-Unis d’Amérique ? »). Mais l’étiquette recouvre des sens variés et elle renvoie à un humanitarisme assez flou et assorti d’une dimension institutionnelle limitée. L’économiste français Henri FEUGUERAY (1813-1854)1 , un des grands disciples du socialisme chrétien de Philippe BUCHEZ (philosophe et homme politique, saint-simonien, fondateur et directeur du journal catholique L’européen). Le théoricien de l’anarchisme (L’Etat et l’Anarchie, 1873), Mikhaïl Alexandrovitch BAKOUNINE (1814-1876) écrit un ouvrage sur le thème : Les Etats-Unis d’Europe (1867) où il plaide pour la forme républicaine de l’Etat, l’anti-centralisme, le fédéralisme antiautoritaire. L’ancien saint-simonien Charles LEMONNIER (1806-1891) est l’auteur de l’ouvrage Les Etats-Unis d’Europe (1872), où il insiste, aussi, sur la nécessaire forme républicaine. Journaliste et directeur du contentieux de la Compagnie des chemins de fer du Nord, secrétaire du Crédit immobilier, il présidera, à la suite de HUGO, la Ligue internationale de la paix et de la liberté et dirige jusqu’à sa mort l’organe de propagande de la Ligue (Les Etats-Unis d’Europe). Au XIX° siècle, en effet, c’est PROUDHON qui semble avoir été le plus clair, l’un des plus fermes défenseurs du fédéralisme, dans lequel il voyait une instrument à même de réduire l’autorité redoutable de l’Etat (Du principe fédératif, 1863). Les Romantiques en ont une vision plus floue (c’est le cas de HUGO).

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« De la Fédération européenne », publié dans l’édition du 23 mars 1848 de la Revue nationale créée en mai 1847 par BUCHEZ.

Après le désastre de Sedan, en pleine guerre, Ernest RENAN (1823-1892) montre les dangers du Principe des nationalités et estime la paix durable que grâce à une Fédération européenne (« La guerre entre la France et l’Allemagne », Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1870) Au même moment, dans une lettre adressée à David STRAUSS (1808-1874), historien et philosophe allemand, RENAN se réfère à la nécessité d’une « sorte de Congrès des Etats-Unis d’Europe, jugeant des Nations, s’imposant à elles et corrigeant le principe des nationalités par le principe de fédération ». Aristide BRIAND se réfèrera à une union fédérale européenne mais respectueuse des souverainetés des Etats ; de même, chez Richard de COUDENHOVE-KALERGI. Seuls Robert ARON et Alexandre MARC, dans la lignée des thèses de PROUDHON, y voient une technique d’aménagement de l’ensemble des rapports sociaux en dehors du cadre rigide et autoritaire de l’Etat. L’autorité fédérale doit abolir la souveraineté des Etats au profit d’une démocratie généralisé ; le fédéralisme européen est conçu comme le prélude de l’instauration de structures fédérales au plan mondial. Leur fédéralisme est un fédéralisme intégral (Principes du fédéralisme, 1948)

2. La force de l’européisme hugolien a) Son incontestable enthousiasme pour une Europe des peuples plus que des gouvernements s’inscrit dans une philosophie du progrès (le développement des communications relativisera les frontières), la nécessaire diffusion des lumières au monde entier, une étonnante conscience de l’accélération de l’histoire, qui n’exclut pas un discours justificatif de la colonisation. Discours d’ouverture au Congrès de la paix (21 août 1849) : « Nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’évènements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.(…) Que de progrès, que de simplifications ! Comme la nature se laisse de plus en plus dompter par l’homme ! Comme la matière devient de plus en plus l’esclave de l’intelligence et la servante de la civilisation ! Comme les causes de guerre s’évanouissent avec les causes de souffrance ! Comme les peuples lointains se touchent ! Comme les distances se rapprochent ! Et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité ! Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen Âge ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde… »

HUGO reprend le thème de l’inutilité des milliards dépensés pour la guerre, alors qu’il faut « les donner à l’harmonie, au travail , à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts ». Et d’ajouter, que si cela avait été fait : « La face du monde serait changée ! Les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n’y aurait plus nulle part ni landes, ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n’y encore que des solitudes ; on creuserait des ports là où il n’y a que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail des hommes, et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions… Au lieu de se déchirer

entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! »

Ce discours se rencontre aussi chez Jean JAURES (1859-1914), Conférence d’Albi, 1881. Il est présent également chez Jules FERRY (1832-1893) plaide aussi pour « le côté humanitaire et civilisateur » de la politique coloniale (Le Tonkin et la mère patrie, 1890) et Ernest RENAN évoque « un ordre providentiel de l’humanité » (La Réforme intellectuelle et morale, 1871)2. Le discours positiviste de la diffusion des lumières et de l’évolutionnisme unilinéaire se retrouve chez le grammairien Pierre LAROUSSE (1817-1875), auteur du célèbre Grand Dictionnaire universel du XIX° siècle (1865), présenté dans le Nouveau Petit Larousse illustré (1952, p. 1486) comme une « immense encyclopédie, gigantesque projet, dans l’exécution duquel il apporta pendant dix années ses qualités de travailleur infatigable, d’esprit éclairé et libre » (v., notamment, son article Nègre). b) Religiosité du discours (esprit de 1848) qui, retrouvant les accents d’ERASME, conçoit la paix universelle comme une « pensée religieuse » (« toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Evangile pour loi suprême » ; « La loi du monde n’est pas et ne peut pas être distincte de la loi de Dieu .Or la loi de Dieu, ce n’est pas la guerre, c’est la paix » ; « Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer. Nous aimer ! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la merveilleuse manière d’aimer Dieu ! Car Dieu le veut, ce but sublime ») (Discours d’ouverture du Congrès de la paix, Paris, 21 août 1849). c) Fidélité au thème des Etats-Unis d’Europe : même si, à partir de 1871, HUGO est conscient du préalable que constitue la restitution de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne. Le Discours de Paris (ouverture du Congrès de la paix, 11 août 1849) : « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le Parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France ! Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les EtatsUnis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ! »

1872, Congrès Lugano : « Mes compatriotes européens… A coup sûr, cette chose est immense, la République européenne. Nous l’aurons. Nous aurons ces Etats-Unis d’Europe qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d’Amérique couronnent le nouveau… » ; ne fait-il pas planter, en

2

« La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure qui s’y établit pour le gouverner n’a rien de choquant… Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité ».

1870 (à la veille de la guerre), dans son jardin de Guernesey, un chêne en l’honneur des Etats-Unis d’Europe ?

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