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Diego Garcia : l’aspect criminel de la déportation L’excision des Chagos (dont Diégo Garcia) de la colonie Maurice et ses dépendances en 1965 par les autorités britanniques et la déportation en masse de ses populations à d’autres pays (l’île Maurice et les Seychelles) est un acte pouvant donner lieu à de multiples considérations juridiques. Toutes n’ont pas été évoquées, nous semble-t-il, par les différentes parties en présence.
Les déportés ilois ont mené avec courage et succès des actions en justice devant les juridictions britanniques notamment. Ils ont eu moins de succès devant les tribunaux américains. Leur revendication, pour résumer, est triple : ils ont demandé et obtenu une certaine réparation financière de leur drame ; ils ont soutenu qu’ils sont des sujets de Sa Majesté la Reine Elisabeth II et citoyens britanniques ; ils invoquent un droit de retour dans certaines îles des Chagos, question que devra trancher la Chambre des Lords prochainement en raison d’un pourvoi du gouvernement britannique alors que la Cour d’appel a estimé illégale toute interdiction au retour.
Le gouvernement mauricien, sous l’impulsion de Paul Bérenger, et en particulier lorsque celui-ci était Premier ministre, revendique, à juste titre, une entière souveraineté sur l’archipel parce celui-ci a toujours fait partie des dépendances ou territoires de Maurice. Toutefois, la République de Maurice ne peut saisir la Cour internationale de justice en tant que membre du Commonwealth à l’encontre de la Grande-Bretagne. C’est une règle du Commonwealth qui l’en empêche. L’actuel gouvernement rejette toute idée de retrait de Maurice du Commonwealth pour entamer une action devant la Cour internationale de justice, sans doute pour des raisons économiques. La revendication de souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos ne demeure, en l’état, qu’un vœu politique. Le récent discours de Navin Ramgoolam à l’Assemblée Générale de l’ONU en est la démonstration, ainsi
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que sa demande tendant à l’ouverture des négociations avec la GrandeBretagne.
Il reste que la question de la responsabilité pénale des acteurs de la déportation des ilois n’a pas été posée judiciairement.
La déportation généralisée et forcée d’un peuple constitue un crime contre l’humanité.
La notion de crime contre l’humanité a pris naissance après la fin de la seconde guerre mondiale. C’est en vertu de ce principe que des criminels nazis ont été traduits en justice. Le droit n’exige pas que la sanction soit prévue avant la commission du crime.
L'article 7 § 1 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 définit onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité lorsqu’ils sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l'attaque » : •
le meurtre ;
•
l'extermination ;
•
la réduction en esclavage ;
•
la déportation ou le transfert forcé de population ;
•
l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique
en
violation
des
dispositions
fondamentales
du
droit
international ; •
la torture ;
•
le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
•
la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux
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ou sexiste, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; •
la disparition forcée de personnes ;
•
le crime d’apartheid ;
•
d'autres
actes
inhumains
de
caractère
analogue
causant
intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. Le terme « attaque généralisée ou systématique » ne nécessite pas en l’occurrence une connotation militaire mais simplement une politique appliquée par la force (tel est le cas de l’apartheid également visé). Le § 2 de l’article 7 énonce : « Par attaque lancée contre une population civile, on entend le comportement qui consiste à multiplier les actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ».
Le même article indique que « par déportation ou transfert forcé de population, on entend le fait de déplacer des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ; ».
La déportation ou le transfert forcé de la population des Chagos constitue incontestablement un crime contre l’humanité. Tout un peuple a été déraciné de leur terre, de leur histoire, de leurs ancêtres etc.
L’intérêt de cette analyse est la suivante. Le crime contre l’humanité est imprescriptible (il n’existe aucun délai pour engager des poursuites à l’égard des responsables du crime). Personne ne peut échapper à la répression, des chefs de l’État aux simples exécutants (article 27 du Statut). L’action peut être
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menée par toute victime individuellement, sans besoin pour un Etat d’être partie à l’action comme lors d’une saisine en revendication de souveraineté à l’égard d’un territoire donné devant la Cour internationale de justice.
Une telle action est possible devant la Cour pénale internationale, à la Haye. Certes, la Cour est compétente pour examiner des faits produits après juillet 2002 selon le texte constitutif. Néanmoins, la déportation des ilois est un crime continu, qui se poursuit encore (the crime is on-going). Tant que les ilois ne peuvent pas être rétablis dans leur droit (c’est-à-dire retourner dans les îles et y habiter de nouveau), le crime se perpétue. La situation est comparable à la séquestration d’une personne : le crime se poursuit tant qu’elle n’est pas libérée. D’ailleurs, les autorités anglaises ont pris, le 10 juin 2004, une Ordonnance en Conseil de Sa Majesté pour interdire tout retour des chagossiens. Une Ordonnance en Conseil (Order in Council) est une décision de la Reine d’Angleterre, exerçant une compétence propre.
Qui sont ceux qui peuvent être visés par une action pour crime contre l’humanité ? De nombreux responsables de la déportation (dont des acteurs politiques mauriciens) des ilois sont décédés, ce qui signifie une extinction de toute poursuite à leur égard. Quelques uns sont toujours en vie et peuvent répondre de leurs actes, au premier desquels figure la Reine Elisabeth II.
Si en droit public anglais elle est irresponsable, à la fois politiquement et pénalement, ce principe ne s’applique pas en droit pénal international. Un des objectifs du Statut de Rome sur la Cour pénale internationale est d’ailleurs de permettre la mise en cause des chefs d’État en exercice.
La Reine Elisabeth II est l’autorité qui a permis l’excision des Chagos de Maurice et c’est elle, en dernier lieu, qui a autorisé la déportation des ilois. En matière de territoires d’outre-mer et des colonies, il appartient à la Souveraine de prendre les décisions par Ordonnance en Son Conseil. Ce sont des décisions qui portent la signature expresse de la Souveraine.
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Il est, à ce titre, significatif de relever que c’est la Reine Elisabeth II qui a pris la décision d’interdire aux ilois de retourner sur leurs îles natales. La gestion des territoires d’outre-mer relève de la compétence de la Souveraine.
D’autres responsables politiques peuvent également être poursuivis. Le Commissaire des Chagos (BIOT) qui a fait procéder à la déportation peut l’être également.
La Cour pénale internationale peut donc être saisie d’une plainte à cet effet. Il appartiendra à la Cour de mener les investigations nécessaires. Les pouvoirs du Procureur de la Cour sont proches d’un juge d’instruction à la française.
Une telle action judiciaire peut aider Maurice dans ses revendications sur le plan politique également. Nous ne faisons toutefois pas d’illusions sur l’aboutissement d’une telle action. Le droit international s’applique à géométrie variable selon qu’il va à l’encontre ou en faveur des pays disposant d’une puissance économique et militaire.
Enfin, nous pouvons aussi indiquer que d’autres actions judiciaires sont également envisageables. A titre indicatif, les ilois peuvent demander devant les juridictions britanniques la suspension de toute décision britannique sur Diégo Garcia comme étant contraire à la Human Rights Act 1998 et demander leur suspension. Ils peuvent également tenter la résiliation du contrat de location de Diégo Garcia aux États-Unis comme étant contraire à l’ordre public.
Dr. Parvèz DOOKHY Article publié in L’EXPRESS du 22 janvier 2008