Comment Le Web Change Le Monde

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Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes.

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Francis Pisani & Dominique Piotet

Comment le web change le monde L’alchimie des multitudes

Par Francis Pisani et Dominique Piotet

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Mise en pages : FAB Orléans © 2008, Pearson Education France, Paris Aucune représentation ou reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l’article L. 122-5 2° et 3° a) du Code de la propriété intellectuelle ne peut être faite sans l’autorisation expresse de Pearson Education France ou, le cas échéant, sans le respect des modalités prévues à l’article L. 122-10 dudit code. ISBN 978-2-7440-6261-2

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Sommaire

Introduction

1 Première partie

Le web d’aujourd’hui 1 Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages 2 De la dynamique relationnelle 3 Les techniques discrètes du web d’aujourd’hui

17 35 51

Deuxième partie

L’alchimie des multitudes 4 Les webacteurs, créateurs de valeur 5 L’alchimie des multitudes

85 117

Troisième partie

Ce que cela change 6 7 8 9

Une économie de la relation peut-elle être rentable ? Vers l’entreprise liquide ? Les multitudes et leurs médias Le web de demain

151 179 203 231

Postface, par Antoine Sire Notes Remerciements

245 249 265

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Introduction « Never mistake motion for action. » Ernest HEMINGWAY

DES INTERNAUTES AUX WEBACTEURS Le nombre d’utilisateurs de l’internet croît si vite que bientôt, au début de l’année 2009 peut-être, il devrait correspondre au quart de la population mondiale1. Encore faut-il tenir compte de toutes les zones qui échappent à la mesure faite depuis les pays développés, de la vitesse de pénétration des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Chine et en Inde et du fait que l’accès par le biais des téléphones mobiles s’accélère. Mais le nombre d’internautes n’est qu’une pâle indication. Ce qui a le plus changé, c’est ce que nous faisons sur et avec l’internet dont nous sommes en train de devenir les vrais acteurs. Au milieu des années 1990, les premiers internautes s’émerveillaient de toutes ces informations brusquement disponibles, de leur facilité d’accès grâce aux premiers moteurs de recherche, et de la puissance de la communication par le courriel. Ils commençaient à acheter en ligne, à faire des rencontres, à chercher l’âme sœur, à suivre des conversations de groupe. Progressivement, par petites touches, ils se sont mis

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à participer. Les outils pour le faire sont devenus courants, simples à manier. Les logiciels gratuits de création de blogs (ces fameux journaux personnels en ligne) leur permettent de créer leurs sites et de s’exprimer aussi bien directement qu’en laissant des commentaires sur les blogs des autres. Ils publient leurs photos sur Flickr.com ou Snapfish.com, par exemple, pour que leurs amis les voient. Pour les vidéos familiales et autres, ils ont maintenant YouTube.com et Dailymotion.com. Les sites de réseaux sociaux enfin – MySpace, Facebook, Bebo et les autres – comptent leurs utilisateurs en dizaines de millions. Ils sont loin ces internautes un peu passifs, qui consommaient sans réagir l’information qui leur était proposée sur des sites réalisés par des spécialistes. Les utilisateurs du web d’aujourd’hui proposent des services, échangent des informations, commentent, s’impliquent, participent. Ils et elles produisent l’essentiel du contenu du web. Ces internautes en pleine mutation ne se contentent plus de naviguer, de surfer. Ils agissent. Nous avons décidé de les appeler « webacteurs ». Ce livre leur est consacré. Pour bien comprendre ces nouveaux acteurs, il faut marquer la distinction entre l’internet et le web. Les deux sont souvent confondus, par facilité de langage, et du fait de leur indissociable proximité. L’internet est le réseau informatique mondial qui nous permet d’accéder à nos courriers électroniques ou à des sites web par exemple. Le web, ou world wide web, est une des applications majeures permises par l’internet. C’est un système qui permet de consulter, avec un navigateur, des pages mises en ligne sur des sites2. Nous avons donc d’un côté un ensemble d’ordinateurs connectés entre eux et de l’autre un ensemble de documents modifiables, également connectés entre eux. L’internet est le réseau, le web une de ses applications les plus populaires. Les premiers utilisateurs étaient d’abord des voyageurs, passant grâce à ce réseau de site web en site web, sans être trop capables d’y faire autre chose que d’y recueillir les informations disponibles. Mais ces sites sont devenus de plus en plus ouverts aux utilisateurs, et de plus

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en plus simples à créer et à développer, même pour des néophytes. Ainsi, avec le temps, les utilisateurs sont-ils passés du statut de voyageurs de l’internet (internautes) au statut d’acteurs du web, façonnant tous ces sites à leur manière, proposant services et contenus qui leur sont propres, commentant ou discutant les informations disponibles. En se simplifiant, le web est devenu une plateforme plus ouverte aux utilisateurs, alors que l’internet s’est lui-même ouvert à des débits croissants, permettant d’accéder à des contenus et à des services plus « riches ». Un autre rapport devenait possible, et c’est ainsi que sont nés les webacteurs, ces internautes qui s’impliquent sur les sites qu’ils visitent, quand ils ne les créent pas eux-mêmes. L’attitude n’est pas la même. Les internautes consultent Wikipedia.org, l’encyclopédie en ligne, les webacteurs écrivent des articles ou corrigent ceux dans lesquels ils trouvent des erreurs. La mutation est profonde, mais elle est arrivée comme par surprise, sans que nous nous en rendions bien compte.

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ? S’abaisser pour conquérir est une tactique souvent oubliée dans la stratégie, notamment dans celle de la séduction. La pièce classique de l’auteur irlandais du 18e siècle, Olivier Goldsmith, She stoops to conquer3, met en scène le jeune et riche Charles Marlow, intimidé par les jeunes femmes de sa classe sociale. Pour le conquérir, Kate Hardcastle, héritière fortunée, se fait passer pour une servante. Au terme de nombreuses péripéties, elle finit, grâce à son stratagème, par vaincre la timidité de son bien-aimé ; elle apparaît alors sous son vrai visage, obtient le mariage et peut reprendre sa place légitime. Et si le web avait suivi le même mouvement ces dernières années ? D’abord étincelant jusqu’en 2000-2001, puis modeste après l’éclatement de la bulle, mais dur à la tâche, il finit par s’imposer. C’est un web plus mûr auquel nous avons affaire.

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Souvenons-nous de la première période (avant 2000). On y mettait en scène des « barbares » qui devaient briser les chaînes de valeurs de l’économie des « empereurs » en dématérialisant totalement l’acte d’achat. On nous promettait une « nouvelle économie », selon l’expression popularisée par Newsweek dès 1995. Elle allait faire trembler les acteurs traditionnels dans tous les domaines. Le temps internet se comptait en « années chien » (tout allait si vite qu’une année d’existence en ligne valait bien sept ans de vie dans le monde réel, « de briques et de mortier » comme disent les anglophones). La Silicon Valley se trouvant en Californie, il était naturel d’invoquer le mythe de la ruée vers l’or : les pelles et les pioches du jour étaient dans les mains des opérateurs de télécom déployant le réseau. Les nouveaux chercheurs d’or étaient les créateurs de « dot-coms ». Et Wall Street, mise en appétit par des modèles d’affaires exubérants et des espoirs de retour sur investissements importants et rapides, était à l’affût d’investissements mirobolants. Il y eut 78 introductions en Bourse de sociétés technologiques de la Silicon Valley en 2000 (contre sept en 2005). Trop d’argent investi trop vite, alors que les bons projets manquaient et que, faute d’utilisateurs en nombre suffisant, le marché n’était pas encore mûr. Paradoxe : ce sont ces mêmes utilisateurs, oubliés dans la première vague, qui dessinent les contours de cette nouvelle phase de l’internet. La révolution du peuple après la tentative de révolution bourgeoise, en quelque sorte… Le 19e siècle aura connu ses enthousiasmes débridés suivis de crises de « luddisme » (du nom d’un mouvement ouvrier de rébellion contre les métiers à tisser). Avec moins de violence, le 20e siècle aura lui aussi été secoué par des phases d’espoir exagéré en certaines technologies, suivies de déceptions puis d’acceptation et de diffusion. Ces différentes phases – généralement accompagnées de fortes spéculations boursières – sont caractéristiques des « attentes démesurées » (inflated expectations, selon l’expression du Gartner Group4) que nous avons aujourd’hui tendance à placer dans les TIC.

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Le concept de hype cycle (« cycle de frénésie », dans une traduction littérale) a été développé par le Gartner Group pour représenter de façon graphique le cycle de maturité, d’adoption et d’application commerciale des différentes technologies. L’analyse sous-jacente reprend l’hypothèse d’un enthousiasme exagéré, doublé d’un effet de mode. Cette démesure des attentes – parfois savamment orchestrées par les acteurs eux-mêmes pour valoriser leurs découvertes – est généralement suivie d’une phase de déception proportionnelle. Les innovations technologiques qui passent cette phase avec succès peuvent ensuite aspirer à la maturité, associée à la profitabilité et au développement de nouvelles générations. Le hype cycle le plus célèbre est celui consacré au e-business en 1999. Fin du e-business (qui devient du commerce usuel)

Visibilité

Pic d'intérêt

Plateau de rentabilité Renaissance Naissance de la technologie

Désillusion

1990-96 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

Source : Gartner Group, 1999.

Le hype cycle du Gartner Group appliqué au e-business

Il prédisait l’explosion de la bulle internet pour l’année 2000, mais annonçait aussi que l’e-business atteindrait son plateau de rentabilité aux alentours des années 2006-2007. Nous y sommes ! Et des entreprises comme Yahoo!, Google, eBay ou Amazon, qui ont survécu à cette

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phase d’attentes démesurées, sont aujourd’hui très largement profitables. Alors que Wall Street tombait, et que les investisseurs se désengageaient comme ils le pouvaient des « valeurs technologiques », l’internet entamait sa véritable croissance auprès du grand public. Les chiffres sont éloquents et la concordance troublante… Il y avait 400 millions d’utilisateurs d’internet en 2000, ce qui n’était déjà pas négligeable, mais pas encore suffisant pour générer un business de masse. Malgré l’éclatement de la bulle, il y en avait trois fois plus à l’automne 2007. L’internet est l’un des réseaux de communication dont la pénétration aura connu la progression la plus forte et la plus rapide dans l’histoire. Il a été vingt fois plus vite que le téléphone, dix fois plus que la radio et trois fois plus vite que la télévision. Sans parler du développement de la route ou du chemin de fer5. La croissance des connexions à haut débit est particulièrement impressionnante. Selon Point-Topic.com, il y avait près de 330 millions d’abonnés à l’internet à haut débit dans le monde au troisième trimestre 2007. À la même date, en France, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) recensait 14,3 millions de foyers connectés à l’internet à haut débit. À cela, il faut ajouter l’augmentation constante des débits disponibles, permettant des usages toujours plus riches et rapides. En cinq ans à peine, les débits offerts par les technologies DSL6 ont été multipliés par 40, passant de 512 Kbits/s à 20 Mbits/s. Les technologies de fibre optique, qui permettent aujourd’hui des débits jusqu’à 100 Mbit/s, sont en cours de déploiement. La progression est fulgurante, mais une large partie de la population mondiale reste exclue de l’internet. Il en résulte une géographie bien particulière : dans les pays développés, on distingue les zones rurales et défavorisées des zones urbaines et riches. À l’échelle mondiale, cette géographie recoupe très souvent la carte du développement. À peine 2,9 % de la population africaine est connectée.

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La proportion est de 3,7 % pour l’Inde, 12,3 % pour la Chine et 19,8 % pour l’Amérique latine7. Mais les grandes villes, et surtout leurs quartiers les plus nantis, peuvent réserver des surprises.

LA GÉNÉRATION GOOGLE ET LA « GOOGLE ÉCONOMIE » Présent sur tous les fronts – un peu trop peut-être –, Google remplit une fonction structurante du web, tant par sa fonction de moteur de recherche dominant que par sa capacité d’innovation et par son modèle économique. C’est l’introduction en Bourse réussie en août 2004 qui a permis au mouvement de création d’entreprises de retrouver son souffle après la bulle, mettant en lumière l’intérêt et la puissance de ces nouveaux usages. 19 août 2004, Wall Street : Larry Page, cofondateur de Google, fait sonner la cloche pour marquer l’ouverture de la Bourse. Il lance l’introduction du titre de l’entreprise qu’il a cofondée cinq ans plus tôt avec Sergeï Brin. L’homme timide et réservé a endossé un costume strict pour l’occasion… historique à plus d’un titre. Le style, d’abord. Refusant le jeu traditionnel, l’introduction est faite en août, une période calme, même à New York. Les banquiers d’affaires n’ont pas été invités à déterminer le prix d’introduction, ni même à contribuer à la réussite de l’opération grâce à des « préventes » bien rémunérées. Les deux fondateurs ont imposé leurs propres règles au marché. Ils se sont même autorisés quelques fantaisies avec la législation, en accordant notamment une interview au magazine PlayBoy en pleine période dite de « silence »8. Un mélange de naïveté et de rébellion contre les règles établies accompagnées d’un zeste de provocation. Car cette introduction hors normes est un indéniable succès. Le titre, introduit à 85 dollars, atteindra plus de 470 dollars en janvier 2005, à peine six mois plus tard, faisant de Google l’une des entreprises les plus capitalisées au monde9.

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Ainsi menée, l’opération avait le mérite de montrer qu’il était de nouveau possible d’introduire en Bourse avec succès une entreprise high-tech née dans la Silicon Valley et que Wall Street était à l’écoute. L’initiative de Larry Page et Sergeï Brin bénéficiait des critiques formulées après l’éclatement de la bulle. Bill Draper, l’un des pionniers du capital-risque, dira : « il y avait trop d’argent, pas assez de bons projets, et trop de spéculations, alors que les conditions n’étaient pas encore réunies pour le succès10 ». Parmi ces conditions : un nombre suffisant d’ordinateurs connectés à internet, le haut débit, une période d’apprentissage et l’arrivée d’une nouvelle génération. Le temps d’adoption normal pour toute nouvelle technologie un tant soit peu perturbatrice… Le style des deux acolytes issus de Stanford correspond aussi à un changement profond dans la région de la baie de San Francisco. Frappé plus que tout autre par l’éclatement de la bulle, puisque l’ensemble de l’économie locale est tourné vers les nouvelles technologies, le microcosme a brièvement donné l’impression de se replier sur lui-même. Ingénieurs et développeurs en ont profité pour retourner à leurs ébauches, alors que les hommes d’affaires cherchaient de nouveaux modèles économiques. La réussite de Google a redonné un moteur à l’économie de la région et débridé les énergies toujours disponibles. Plus important encore, les conditions n’ont jamais été aussi favorables à la création d’entreprise. La généralisation d’internet, la baisse des coûts des équipements et de la bande passante, le recours de plus en plus répandu aux logiciels libres ont beaucoup fait baisser la barrière à l’entrée de la création d’entreprise11. Les levées de fonds, quand elles sont nécessaires, n’ont plus rien à voir avec les montants investis avant la bulle. Et les internautes sont là, en masse, prêts à utiliser les nouveaux services proposés. Le renouveau touche aussi les femmes et les hommes. C’est une nouvelle génération d’entrepreneurs, de chercheurs, de créateurs, mais aussi d’utilisateurs qui prennent le pouvoir. C’est la génération internet qui arrive, une

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« génération Google » qui monte au créneau après les générations Hewlett-Packard (HP), Apple et Microsoft. Les nouveaux acteurs qui comptent ont grandi et fait leurs études avec le web. Certains n’ont jamais vécu sans. Ils savent intéresser les jeunes, comme le montre le succès de MySpace, mais aussi WordPress, le programme pour blogs, ou encore Skype, YouTube, Facebook, Flikr, Twitter…

1 + 1 = BEAUCOUP, OU L’ALCHIMIE DES MULTITUDES Les outils de création de blogs, de partage de photos, de messagerie instantanée, de téléphonie, poussent un nombre étonnamment élevé d’utilisateurs à devenir des webacteurs, parce qu’ils sont plus simples, plus accessibles, plus transparents. Connectés en réseaux, ils permettent de créer des liens, de tisser des relations aussi bien entre données qu’entre personnes ou qu’entre personnes et données. La dimension relationnelle du web s’est ainsi trouvée accélérée par l’augmentation très forte du nombre d’utilisateurs et d’outils à leur disposition. Plus il y a de webacteurs, plus ils tissent de relations, plus le système est riche et mieux il marche. C’est ce qu’on appelle les effets de réseaux dont, après avoir expliqué la mécanique très concrète à l’œuvre sur certains des sites les plus connus, nous évoquerons le fonctionnement notamment dans les domaines de l’économie, de l’entreprise et des médias. Une publication sur un blog va générer des commentaires, des réactions, des reprises, des révisions. L’inscription d’un webacteur sur le site de réseau social Facebook va lui permettre, en quelques clics, d’entrer en relation avec des milliers de personnes et d’échanger, de partager, d’organiser des événements. Sur le web, aujourd’hui, 1 + 1 est très vite égal à beaucoup. Et cela produit du sens, du contenu, des richesses, de la nouveauté, des services utiles. Un moteur de recherche comme Google s’améliore au fur et à mesure qu’on l’utilise.

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Chacune de nos utilisations précise au moteur la pertinence des réponses que son algorithme propose. Plus nous l’utilisons, plus nous sommes nombreux à l’utiliser, meilleur il sera. Il se passe quelque chose qui nous dépasse quand nous sommes si nombreux à y participer. Les dizaines de millions d’utilisateurs de MySpace, Facebook ou Beebo trouvent un intérêt plus grand à être en relation que s’ils n’étaient qu’une poignée. Chaque agissement des webacteurs connectés entre eux et avec des données ajoute un petit quelque chose, une valeur qui n’y était pas et dont l’ensemble débouche sur ce que certains sont tentés d’appeler « intelligence collective » ou « sagesse des foules ». Des termes peut-être trop ambitieux, qui promettent beaucoup et risquent de décevoir tout autant. Nous préférons, pour notre part, parler d’« alchimie des multitudes ». Les contours de cette foule, ou de ce « collectif », sont difficiles à préciser. Les webacteurs sont hétérogènes et divers, au gré de leur implication, de leur participation… La seule chose sûre étant leur grand nombre, autant les reconnaître comme ce qu’ils constituent, des multitudes. Et il nous semble difficile de qualifier de « sagesse » ou d’« intelligence » des phénomènes encore si contradictoires, trop souvent décevants. Ces étranges effets peuvent nous donner de l’or, mais ça n’est jamais sûr. On trouve sur Wikipedia des articles qui valent bien ceux de l’Encyclopædia Britannica, mais la qualité d’ensemble, toujours perfectible, demeure inégale. C’est le processus lui-même qui veut ça. Voilà pourquoi nous avons choisi l’expression « alchimie des multitudes ». Passionnant, stimulant, prometteur, le phénomène peut être porteur du meilleur, mais aussi du pire, ce qu’il ne faut jamais oublier et contre lequel il faut toujours agir. Nous l’illustrerons largement dans le cours de l’ouvrage. L’alchimie des multitudes, c’est la participation des webacteurs. C’est le cœur de notre lecture de ce qui se joue aujourd’hui, aussi bien sur le web que dans les rapports de celui-ci avec le monde réel, dans la dimension digitale de nos vies comme dans leur dimension physique.

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NOTRE APPROCHE Parler du web aujourd’hui, oblige à se situer par rapport à l’expression « web 2.0 », inventée en 2004, puis propulsée par l’équipe de l’éditeur californien Tim O’Reilly. Peu explicite, elle est en plus très contestée. L’auteur et consultant Don Tapscott préfère « wikinomics », qui souligne le rôle essentiel de la collaboration et du partage (les « wikis » sont des outils simples et ouverts de travail collaboratif en ligne). Pour certains, c’est la notion d’intelligence collective qui est centrale. D’autres, comme l’auteur et rédacteur en chef de la célèbre revue Wired, Chris Anderson, caractérisent le moment par ce qu’ils appellent la « longue traîne », pour mettre en valeur l’émergence de nouveaux modèles économiques basés sur l’abondance et la diversité permises par cet internet sans limites. Mais le terme web 2.0 est celui qui a fait à la fois fortune et le tour du monde. Nous avons pourtant décidé de prendre nos distances avec lui. « Web 2.0 » nous semble trop réducteur et trop marqué par l’idée qu’il s’agirait d’une « nouvelle version » du web. Il reste très ancré dans les racines du web d’avant, même s’il en est aussi très différent par les usages qu’on en fait, son ampleur, le développement de certaines fonctionnalités et les nouveaux modèles d’affaires qu’il induit. L’important, c’est que le web auquel nous avons affaire aujourd’hui est le produit des effets de réseaux qui surgissent quand un grand nombre d’internautes réalisent une bonne partie de leurs activités sur le web en utilisant sa dimension collaborative et interactive. Nous assistons en fait à l’appropriation du web par les webacteurs connectés les uns aux autres en réseaux. Les développements les plus intéressants s’articulent autour de six éléments : 1. Plateforme : le web devient la plateforme sur laquelle on peut « presque » tout faire : courriels, partage de documents, transactions commerciales, conversations téléphoniques, etc.

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2. Recevoir/publier/modifier : la plateforme permet les interactions. Quand l’information est trouvée ou modifiée, la conversation commence. Les utilisateurs contribuent en apposant leurs commentaires et en « montant » leur propre contenu sur les blogs et wikis. 3. Haut débit : les « gros tuyaux » par lesquels transitent textes, images, musique et vidéos attirent de plus en plus d’utilisateurs. L’essentiel est sans doute qu’ils permettent d’être toujours connecté (always on). Les réseaux mobiles sont en passe d’ajouter une dimension au phénomène. 4. Contributions : le haut débit encourage les contributions et facilite les modifications de la plateforme. 5. Effets de réseaux : les contributions s’ajoutent, au point de créer un ensemble qui est plus grand que la somme de ses parties. Sociétés et technologies exploitent le contenu généré par les usagers pour développer de nouveaux types d’affaires. La nature du savoir change et laisse entrevoir la possibilité de tirer parti de formes émergentes d’intelligence collective. 6. La « longue traîne » : le web donne lieu à de nouvelles opportunités de création de valeurs, notamment sur des marchés de niches, ouvrant la voie à une économie de la diversité et de l’abondance. Le web peut donc être abordé comme une plateforme dynamique. Par « plateforme dynamique », nous entendons qu’elle est aussi bien l’endroit où l’on va chercher du contenu que celui où on en publie, et qu’elle peut être modifiée à tout moment. Les éléments technologiques radicalement innovants sont rares. Les services originaux naissent souvent du mélange de technologies et/ou de sources d’informations différentes, les mashups. Hétérogénéité et interopérabilité deviennent des notions dominantes. Tout cela contribue à la naissance d’une nouvelle économie et d’une nouvelle culture. C’est le sujet de notre livre.

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Faut-il définir le web 2.0 ? Rencontre avec Tim O’Reilly Tim O’Reilly est patron et fondateur d’une célèbre maison d’édition qui porte son nom. Il est aussi celui qui a popularisé le terme « web 2.0 », en organisant la première conférence web 2.0 à San Francisco en octobre 2004 et en posant les premières bases du concept dans un texte qu’on peut retrouver sur son blog12. O’Reilly nous a reçus dans ses locaux de la Russian River, à Sebastopol, loin de l’effervescence de la Silicon Valley. Un homme facile à aborder, à la pensée riche et originale, dont voici les éléments les plus saisissants concernant web 2.0… aujourd’hui. « Les définitions sont des constructions de langage pour expliquer des choses. Or, le web 2.0 n’est pas vraiment une chose. C’est plutôt la description d’un “tipping point”13, un point de bascule, de ce moment où un phénomène un peu unique et isolé devient commun et se généralise. Une sorte de point de rupture et de passage à une nouvelle ère, avec de nouveaux acteurs et de nouvelles règles. Pour bien le comprendre, on peut faire une analogie avec le développement de l’ordinateur personnel dans les années 1980. Les ordinateurs sont progressivement devenus de plus en plus personnels, et à un certain moment (difficile à dater avec précision), le centre de gravité est passé du mainframe à l’ordinateur personnel. Tout à coup, des acteurs comme IBM, au centre du développement des ordinateurs dont ils étaient les constructeurs, perdent la main au profit de nouveaux acteurs comme Microsoft, qui proposent les outils d’exploitation de cet objet personnel. D’une certaine façon, nous sommes alors passés de l’ère du PC 1.0, avec IBM comme acteur principal, à celle du PC 2.0, beaucoup plus personnel, avec Microsoft comme acteur principal. Il ne s’agit pas d’une définition, mais d’un fait ! Le web 2.0 est très similaire. Il y a aujourd’hui un tipping point dans le développement du web. Internet a 25 ans, le web a déjà 15 ans. Au début, ils n’étaient qu’un “plus” parmi les applications et les services utilisés sur les PC. Il sont aujourd’hui passés au centre. L’introduction en bourse de Google en août 2004 a certainement été emblématique de ce tournant, mais en fait il faut analyser ce passage comme l’arrivée d’internet au cœur des PC. Le pouvoir s’est déplacé à nouveau. »

Le web appartient maintenant à ceux qui l’utilisent… dans les deux sens : pour recevoir et pour créer, pour accéder à l’information et la partager, la faire circuler. Il est façonné

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par les webacteurs qui s’en servent à leur tour pour changer le monde. Ce changement de pratique (pas d’outil) est au cœur de l’évolution en cours, de celle que nous devons tous comprendre. Nous l’aborderons en trois parties. Le web d’aujourd’hui : une analyse de ce que font les jeunes sur le web nous ouvrira les premières pistes de ce qui bouge, des grandes tendances porteuses (Chapitre 1). Nous insisterons ensuite sur ce qui apparaît comme l’énergie dont s’anime l’ensemble : la dynamique relationnelle créée par la participation de milliards d’individus, d’entreprises, de groupes et de documents (Chapitre 2). La technologie, certes fondamentale, l’est d’autant plus qu’elle a su s’effacer (Chapitre 3). L’alchimie des multitudes : convaincus de ce que l’entrée en scène des webacteurs est essentielle, nous nous attacherons à montrer comment ils opèrent et le genre de valeurs qu’ils créent (Chapitre 4). Partant d’une écoute attentive des critiques les plus sérieuses à l’évolution du web, nous expliquerons la notion d’« alchimie des multitudes » et proposerons des attitudes et des actions utiles aux webacteurs (Chapitre 5). Ce que cela change : pour terminer, nous montrerons les changements entraînés par une telle dynamique dans trois domaines : l’économie (Chapitre 6), l’entreprise (Chapitre 7) et les médias (Chapitre 8). La conclusion, enfin, nous permettra d’évoquer les principales composantes de ce que pourrait être… le web de demain. Nous poursuivrons ces débats sur nos sites respectifs : www.transnets.net et www.alchimie-des-multitudes.atelier.fr. Bons voyages…

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Première partie

Le web d’aujourd’hui

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1 Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages Ce que font les jeunes sur l’internet dessine de grandes tendances. Celles qui vont se généraliser, à mesure qu’ils vont grandir, entrer dans le monde du travail, entraînant avec eux leurs usages du web d’aujourd’hui. Ils vont disséminer ces usages nouveaux autour d’eux : amis, parents, collègues. Car le web, ce sont d’abord les jeunes qui se l’approprient et le popularisent. Leur rôle de early adopters (« utilisateurs de la première heure ») nous montre la voie des usages futurs. Ils nous montrent aussi que la technologie importe peu, surtout si elle sait se faire simple et peu intrusive. Ce qu’ils aiment avant tout : les réseaux sociaux et tous leurs outils. Cela traduit une rupture générationnelle, mais surtout des ruptures d’usages.

LE WEB, LIEU SOCIAL DE L’ADOLESCENCE L’internet, parce qu’il permet de créer des liens, est un très puissant outil de réseau social. Les jeunes en sont friands et un premier éclairage s’impose. Car c’est d’emblée vers les relations amicales que se sont créés les premiers sites de réseaux sociaux : le site d’anciens camarades de classes

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Classmates.com dès 1995, puis le site d’amis Friendster en 2002. Ils permettent aux jeunes de rester en contact avec leurs amis en ligne, et de faire de nouvelles connaissances. Mais c’est MySpace, le site permettant aux jeunes de créer en ligne un espace personnel à leur image et de partager leurs passions avec leurs amis, qui a popularisé le système et connu le premier un succès de grande ampleur. Facebook, à l’origine simple trombinoscope électronique pour étudiants d’universités, s’est largement ouvert fin 2006 et connaît lui aussi un grand succès. Dans le monde professionnel, LinkedIn est le plus connu. Ce site permet de publier en détail son profil professionnel et d’entrer en relation avec des collègues, des amis, mais aussi de se créer un réseau professionnel, pour chercher un emploi, recruter ou monter un projet. Facebook, Myspace… les réseaux sociaux Selon Wikipedia, « un réseau social est composé de nœuds (qui sont généralement des individus ou des organisations) reliés entre eux par un ou plusieurs types de relations, comme des valeurs, des visions, des idées, des échanges financiers, de l’amitié, des goûts ou des dégoûts communs, des conflits, du commerce, des relations sexuelles, pour ne citer que quelques possibilités1 ».

Le web a remplacé la voiture d’Harrison Ford dans American Graffiti2, mais aussi le parking ou la falaise éloignée, c’est-àdire ce lieu où, au cinéma, les jeunes se retrouvent en quête de leur identité, à l’abri de l’intrusion des adultes. Le web est à la fois l’outil relationnel et l’espace où les relations ont lieu. À cet égard, MySpace est un site emblématique. Il est élaboré par les jeunes et pour les jeunes. Les adultes ont parfois du mal à le comprendre3. Si la technologie n’a rien d’exceptionnel, son usage est propre à bouleverser les modes de développement personnel et de rapports sociaux des

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nouvelles générations. Très prisé par les adolescents américains, qu’il séduit en leur offrant un espace inégalé d’expression libre, MySpace est un des sites les plus visités au monde, en compétition directe avec les leaders de l’internet : Yahoo!, Google et MSN. Lancé par des passionnés de musique indépendante de Los Angeles, MySpace compte fin 2007 plus de 100 millions de comptes. En février 2006, il a reçu 35 millions de visiteurs qui ont vu 22 milliards de pages. En 2008, il gagne 300 000 nouveaux inscrits chaque jour. L’usager moyen regarde 500 pages par mois et 37 pages par visite. Un flux considérable qui n’a pas échappé à l’attention de Rupert Murdoch, le magnat des médias, qui a acheté le site pour 580 millions de dollars en juillet 2005. Depuis, ses revenus publicitaires doublent tous les six mois. Beaucoup de jeunes Américains s’identifient très tôt avec MySpace. Originellement fixé à 18 ans, l’âge limite est passé à 16 ans puis à 14 ans. La première chose que fait un nouveau membre de MySpace est de créer un « profil ». Sur cette page personnalisée, il fait part à la communauté de ses goûts, de ses envies, des musiciens qu’il adore, des livres qu’il a lus (ou qu’il aimerait lire), des membres de MySpace qu’il connaît (avec des liens renvoyant à leurs pages). Clips, vidéos, musique et photos rendent le tout sympa… ou « cool ». « Les profils sont comme des personnes digitales. Ils sont la représentation numérique publique de l’identité4 », déclare Danah Boyd, anthropologue américaine qui se spécialise dans la recherche sur les communautés de jeunes en ligne (voir son interview en fin de chapitre). Elle ajoute : « Pour les adolescents, donner une image cool de soi-même est fondamental. MySpace leur permet de décrire leur propre identité au travers de ces pages personnelles incroyables. Et, ce faisant, cela leur permet de montrer une image d’euxmêmes et de recueillir des réactions. » Ils définissent virtuellement leur image par petites touches et ajustent en fonction des réactions de leurs copains.

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Il en résulte souvent une atmosphère spéciale qu’on ne peut sentir qu’en visitant les pages en question avec leurs collages sur fond le plus souvent sombre de photos, clips, vidéos, images et textes pas toujours faciles à lire. « Ça ressemble à une chambre d’ado », suggère Danah Boyd, en référence à une forme plus traditionnelle de recherche et d’affirmation d’identité. Les commentaires laissés par les visiteurs transforment le site en un espace public virtuel. C’est, avec la production d’identité, l’autre notion clé. « Ce n’est pas la technologie qui pousse les jeunes à passer du temps connecté, c’est le manque de mobilité et d’accès à un espace réel et physique pour les jeunes, où ils peuvent être ensemble sans être interrompus et observés », ajoute Danah Boyd. Elle explique que l’absence d’espaces publics où se retrouver entre copains est une des caractéristiques de la situation de la jeunesse américaine d’aujourd’hui. MySpace offre une alternative. À la différence de certains de ses prédécesseurs (Friendster notamment), MySpace a choisi de laisser les jeunes fixer les règles, définir la culture. C’est bien pour cela qu’ils aiment s’y retrouver. L’enjeu pour les jeunes Américains : trouver des espaces publics d’expression libre avec leurs amis, indispensables à leur développement. Ces espaces sont de moins en moins existants dans le monde réel des jeunes Américains. Alors, ils se digitalisent. Ils créent des espaces où se jouera une bonne partie du futur du web.

LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES RÉSEAUX SOCIAUX De nombreuses études permettent d’appréhender de façon quantitative les usages des jeunes à travers le monde. L’institut américain Pew Internet Research est un des organismes qui fournit de façon la plus régulière la matière la plus abondante sur les États-Unis. Pour l’Europe, les données sont plus dispersées, alors que les études sur l’Asie sont plus

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difficilement accessibles5. Ces études permettent de mettre en avant quelques divergences, mais surtout des similarités et des grandes tendances. Quel que soit le moyen d’accès (plutôt l’ordinateur pour les États-Unis, plutôt le téléphone mobile pour l’Asie et mixte pour l’Europe), les usages semblent converger : ce que les jeunes cherchent avec l’internet, c’est un outil puissant de socialisation.

Les jeunes Américains Les jeunes Américains vivent « enveloppés » dans les nouvelles technologies. L’internet surtout, et les téléphones mobiles dans une moindre mesure pour le moment, rythment leur vie quotidienne. D’après le Pew Internet Research, le nombre d’adolescents utilisant l’internet a augmenté aux États-Unis de 24 % entre 2003 et 20066. Quatre-vingt treize pour cent des 12-17 ans sont connectés, soit 21 millions de jeunes. Pour la même tranche d’âge, ils sont 45 % à posséder un téléphone mobile. Les adolescents américains privilégient avant tout les réseaux sociaux, comme le montrent les résultats d’une étude réalisée en 2006 sur des enfants américains de 12 à 17 ans par le Pew Internet7 : ◆





55 % des jeunes Américains utilisent les réseaux sociaux. Les jeunes filles de 15 à 17 ans sont les plus nombreuses (70 % contre 54 % pour les garçons). Plus d’un sur deux s’y rendent quotidiennement ; 55 % des jeunes ont un « profil » (70 % des filles). Seuls 31 % d’entre eux le rendent public, alors que les autres en restreignent l’accès à leurs amis ; 91 % d’entre eux le font pour rester en contact avec des amis proches, 82 % pour rester en contact avec des amis éloignés, 72 % pour organiser des soirées, 49 % pour se faire de nouveaux amis. Le rôle dominant tenu par les réseaux sociaux est à la fois celui de ciment et d’outil quotidien de la relation amicale ;

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leurs activités préférées consistent à laisser des commentaires sur les pages de leurs copains (84 %) et sur leurs blogs (76 %), s’envoyer des messages privés (82 %), ou de groupes (61 %).

Les jeunes Européens En Europe, une enquête NetObserver menée sur cinq pays par l’institut d’études Novatris/Harris Interactive nous donne des clés très similaires aux analyses que nous trouvons aux États-Unis. En y ajoutant une dimension comparative intéressante, puisque l’étude introduit des données sur les plus de 25 ans8 : ◆ la majorité des jeunes internautes européens se connectent à internet plusieurs fois par jour ; 46 % des Allemands de 15-24 ans passent plus de 3 heures en ligne chaque jour, devant les Italiens (36 %), les Britanniques (32 %), les Français (27 %). La différence avec la tranche d’âge immédiatement supérieure est significative. En Grande-Bretagne, par exemple, à peine 20 % des plus de 25 ans se connectent 3 heures par jour ; ◆ les 15-24 ans utilisent plus que leurs aînés les outils de communication disponibles sur le net, à commencer par la messagerie instantanée ; 80 % des jeunes Espagnols y ont recours régulièrement (75 % des Français, 69 % des Italiens, 59 % des Allemands qui sont de plus gros utilisateurs de chats que leurs pairs) ; ◆ la principale activité de la plupart des jeunes Européens consiste à consulter des blogs ou des sites communautaires. Les plus férus dans ce domaine sont les jeunes Français (46 %) qui sont aussi les plus nombreux à déposer des commentaires. Viennent ensuite les Italiens (41 %) et les Allemands (40 %). Ces derniers, là encore, se distinguent de leurs homologues européens par un engouement spécifique pour les jeux vidéos en ligne (49 %). Enfin, les Espagnols affichent un intérêt particulier pour le développement de leur espace personnel (30 %), que celui-ci soit une page personnelle ou un blog ;

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les jeunes plébiscitent la publication et l’échange d’informations (texte, audio, vidéo) au sein d’une communauté (Myspace, Skyblog...). Cette fonctionnalité est principalement appréciée des jeunes Italiens et Espagnols (88 %) et dans une moindre mesure des Français (81 %). Vient ensuite la personnalisation de pages d’accueil de sites, de blogs ou de pages personnelles, en particulier chez les jeunes Anglais et Espagnols (70 %). La contribution au contenu de sites collaboratifs arrive en troisième position. Elle se taille d’ailleurs un succès tout particulier auprès des jeunes Allemands (79 % la trouvent utile). Les flux RSS (Really simple syndication, ou flux d’informations auxquels il est très simple de s’abonner) sont l’outil de collaboration le moins utilisé par les Européens de 15-24 ans.

L’information et le commerce électronique ne font pas recette Une étude réalisée par le Joan Shorenstein Center de l’université de Harvard montre que les jeunes Américains ne s’intéressent pas aux nouvelles que leur donnent les médias, qu’il s’agisse des conflits en Irak et en Afghanistan ou de la présidentielle de 20089. Soixante pour cent des adolescents ne font pas attention aux actualités quotidiennes. La proportion est de 48 % chez les jeunes adultes (18 à 30 ans) et de 23 % chez les plus âgés. Même en ligne, les actualités ennuient les jeunes. Parmi les conclusions de l’étude : ◆



les moins de 30 ans utilisent plus l’internet que les plus de 30 ans, mais leur intérêt pour les news est si faible que les deux groupes consacrent à peu près le même temps aux actualités en ligne ; la lecture quotidienne d’un journal occupe un adolescent sur vingt, un jeune adulte sur cinq et un « plus de 30 ans » sur cinq.

La nature du rapport aux news semble également changer. Les moins de 30 ans grappillent des informations de différentes sources, sur différents médias, à différents moments

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de la journée, alors qu’ils se livrent à diverses activités. Ils se contentent souvent d’un survol et d’une approche superficielle. Ils préfèrent les faits divers (soft news) aux nouvelles de la guerre (hard news). Le web met en évidence le fait que la conception de ce qui constitue l’actualité diffère en fonction du groupe social, du pays, de la génération. Les médias traditionnels n’en ont pas encore tiré toutes les conséquences. Leur pouvoir d’achat inférieur et des moyens de paiement inadéquats font que les jeunes Européens de 15-24 ans consomment moins sur le web que leurs aînés. Ce qui ne signifie pas qu’ils n’y ont pas recours. Quel que soit le pays considéré, 60 % d’entre eux déclarent avoir utilisé l’internet au cours des six derniers mois pour se renseigner avant d’effectuer un achat on- ou off-line, contre 70 % des plus de 25 ans. En dehors du Royaume-Uni, les jeunes internautes ont une moins bonne perception de la publicité en ligne que leurs aînés. Pour les séduire, les campagnes en ligne doivent donc intégrer davantage d’outils d’expression personnelle et jouer sur le registre du divertissement10. Ce sont donc les outils de la dynamique relationnelle, sur lesquels nous revenons dans le chapitre suivant, qui sont plébiscités par les jeunes, au mépris des usages plus « classiques » de l’internet. La communauté, la relation, la création de l’identité : l’internet est devenu consubstantiel d’une certaine partie de la jeunesse du monde, de sa formation et de son passage à l’âge adulte. Pour ceux qui y ont accès…

Ruptures de génération, ruptures d’usages L’expression « digital natives », les « autochtones du monde numérique » ou « ceux qui sont nés avec », est en train de rentrer dans le langage courant, un peu de la même façon que « to google » est devenu un verbe. Elle peut nous aider à mieux poser certaines questions concernant le futur du web. L’expression a été lancée par le consultant et auteur spécialisé dans l’éducation et le savoir Marc Prensky, d’abord

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dans un article en 2001, puis reprise dans un essai écrit en 2004 sous le titre The Death of Command and Control11. Il l’oppose à la notion de digital immigrants, les immigrés du monde digital, venus aux nouvelles technologies du web sur le tard. La différence la plus importante entre les deux générations étant, selon l’auteur, que les autochtones sont les « scribes » du nouveau monde, capables de créer les instruments dont ils se servent dans des langages que les autres ne comprennent pas. Et quand ils ne programment pas les instruments dont ils se servent, ils utilisent à leur façon ceux qui sont aujourd’hui sur le marché. La seconde dimension se révèle bien plus importante et répandue que la première. Prensky ne retient pas moins de dix-sept domaines dans lesquels les « natifs » agissent différemment de ceux qui sont arrivés dans le cyberespace à un âge plus avancé. Ils communiquent, échangent, créent, se rencontrent, coordonnent leurs activités, apprennent, analysent, évoluent et grandissent différemment. Leurs jeux ne sont plus les mêmes et leur façon d’écrire des logiciels n’est pas la même. Prenons quelques exemples : l’orthographe remaniée en un code incompréhensible par les adultes ; les SMS inscrits d’une seule main dans la poche ; les messageries instantanées avec dix fenêtres et dix dialogues simultanés. Les immigrants ont tendance à mener une conversation jusqu’à sa conclusion avant de passer à autre chose. Courants dans le monde des affaires, du journalisme et de la politique, les blogs d’immigrants sont un « instrument de partage des connaissances intellectuelles ». Par contraste, les blogs d’autochtones visent avant tout à partager des émotions. Il s’agit presque d’un média différent. Pour les autochtones, eBay ou Craigslist ne sert pas seulement à acheter et vendre. Ils y trouvent emplois, amis et même partenaires amoureux ou sexuels. Ça n’est plus un sujet d’émerveillement, mais une évidence de leur vie ordinaire. Leur rapport à l’information est différent. L’excès ne les préoccupe pas et, selon Prensky : « Au contraire de leurs parents, qui adoraient garder leurs informations secrètes (“Le savoir est le pouvoir” était leur devise), les digital natives

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aiment partager et diffuser l’information dès qu’ils la reçoivent (peut-être que “Partager le savoir est le pouvoir” est leur devise implicite). » Leur rapport au jeu, notamment vidéo, est aussi différent. Alors que les jeux vidéos les plus anciens étaient surtout individuels, linéaires (il fallait tuer le plus de monde possible pour arriver à un but facilement identifiable), les plus récents dépendent de la participation et de la coordination de dizaines, de centaines, voire de milliers de joueurs. « Le jeu solitaire est dépassé – une réminiscence du temps où les ordinateurs n’étaient pas encore connectés », écrit Prensky. Les joueurs d’aujourd’hui créent des outils ou des armes, des espaces, des univers et, parfois, des jeux entiers. Ils ne se contentent plus d’utiliser la technologie, ils se l’approprient. Pourtant, les digital natives ne sont pas tous égaux. De fortes inégalités d’accès demeurent : différences sociales et géographiques ont un impact fort. Être né à l’heure du digital ne garantit pas le statut de insider (membre). La fracture numérique est, en fait, double : sans accès, ils sont également écartés de ce qui est considéré comme un common knowledge (savoir partagé) par toute une génération. Il leur faudra, le jour où ils pourront se connecter, combler ce double fossé. Les ruptures qui comptent sont des ruptures d’usages. Si elles sont plus fortes et plus visibles chez les jeunes générations, elles existent aussi dans les générations précédentes. Ainsi, les jeunes ne sont pas les seuls à utiliser les réseaux sociaux. Si MySpace est très marqué par la jeunesse de sa population, en partie du fait de la culture musicale forte qui le soutient, un site comme Facebook, issu de la culture universitaire, est plus mixte. D’ailleurs, son ouverture au grand public en septembre 2006 a permis l’entrée de nombreux jeunes désireux de s’associer à la culture de réseau des grandes universités, mais aussi de personnes plus âgées. Il n’y a donc pas que des ruptures de génération. Facebook est devenu en moins d’un an l’un des sites les plus utilisés au monde, pas seulement grâce aux jeunes qui l’utilisent, mais aussi avec le concours de tous les autres qui y trouvent un réel intérêt. Ces ruptures d’usages comptent plus que les

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ruptures de générations. Mais ce sont bien les jeunes nés après l’internet qui, le plus souvent, nous révèlent ces usages nouveaux qui façonneront le web de demain.

OÙ VA LE WEB ? L’exemple de MySpace et de Facebook, symboles américains des sites utilisés par les jeunes, permet d’éclairer cinq tendances de fond.

Les technologies comptent peu Les débats dont les médias rendent compte sont souvent le fait de passionnés de technologie, de développeurs, d’éditeurs ou de journalistes spécialisés. Or, les jeunes ne semblent pas massivement attirés par les technologies complexes et se désintéressent de leur fonctionnement. Les technologies de sites comme MySpace n’ont rien d’exceptionnel. Facebook est plus intéressant, mais pas fondamentalement différent du point de vue de l’utilisateur. Ce sont donc les fonctionnalités, la souplesse, le capacité de créer, d’animer un réseau qui vont compter. La simplicité prime. La technologie s’efface au profit de l’utilisation que nous en faisons. Les jeunes l’ont compris tout de suite, eux qui ne cessent d’explorer ce qu’ils peuvent faire avec toutes les nouvelles techniques mises à leur disposition sur le web. Ils ne sont pas tous programmeurs ou hackers, loin de là ! Mais les barrières à l’entrée sont faibles, les connaissances nécessaires à son utilisation limitées, et le potentiel fort. Pas besoin d’être ingénieur pour utiliser la messagerie instantanée ou créer son profil sur Facebook ou monter un blog.

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L’appropriation du web par ses utilisateurs est décisive Le web permet aux jeunes d’utiliser l’outil comme bon leur semble, les aider à construire leur identité en relation avec les autres et au-delà de toute mécanique institutionnelle classique. Les outils comme Facebook, MySpace ou les blogs le leur permettent, car ils sont des plateformes ouvertes, modifiables, aux règles souples. SMS et messagerie instantanée permettent de s’exprimer spontanément, avec ses mots, son propre langage (alors que le courriel introduit la distance de l’écrit réfléchi et de l’envoi différé). Créer, publier et modifier son profil sur un site de réseau social, c’est ajuster son identité par petites touches face aux autres. Créer un blog, commenter sur ceux de ses amis, c’est forger son opinion, s’affirmer, dire ce que l’on pense et se confronter. Toutes ces fonctions, très largement utilisées par les jeunes, montrent une dimension très différente des potentialités de l’internet dans la sphère économique et sociale. C’est sans doute pour cela que ces sites comptent parmi les plus visités et les plus utilisés au monde. Mieux vaut les suivre de près.

Communiquer « dans les nuages » Le téléphone ou le mail sont orientés vers un destinataire spécifique, dont on attend une réponse, une interaction. C’est une communication sous contrôle. Le web, lui, permet d’envoyer des informations tout en laissant aux intéressés (les happy few, dirait Stendhal) la possibilité de répondre comme et quand ils le désirent. C’est ce qui se passe quand un jeune crée son profil et l’ouvre à ses amis ou qu’il laisse un commentaire sur la page publique de ses amis (le wall de Facebook). On passe d’une communication proactive et institutionnalisée à une communication souple et non maîtrisée. Twitter, l’outil qui permet à tous les membres d’une communauté de savoir en permanence ce que les autres membres font grâce à de très courts messages instantanés, est l’archétype de cet usage naissant.

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Le web comme espace et outil relationnel Pour les jeunes, le potentiel du web est d’abord un potentiel relationnel : absence de normes préétablies, liberté d’expression, multiplicité des outils et des moyens, présence d’un très grand nombre d’utilisateurs, des proches et des plus éloignés. Possibilités de rencontre, de découvertes. Même des sites comme eBay ou Craigslist sont des sites relationnels, avec la mise en relation d’un vendeur et d’un acheteur, comme l’est Skype qui nous permet de parler pour très peu cher. Le potentiel relationnel du web apparaît comme un des piliers de la compréhension de son succès. Mais la possibilité de la relation n’est pas efficace si elle ne peut pas être un tant soit peu organisée. Le web conçu comme une plateforme s’organise très bien et très facilement en communautés souples, aux frontières changeantes. La beauté de la chose, c’est qu’il semble repousser les frontières de ces communautés plus loin que dans le monde physique. Un jeune peut à la fois appartenir au groupe de ses amis sur Facebook et MySpace, mais aussi au groupe des fans de ses chanteurs préférés, de son équipe de foot favorite et de sa classe d’école. Il y agira différemment, y rencontrera des gens différents, y proposera une image de lui différente. Les possibilités d’appartenir à plusieurs communautés sont plus grandes, et les possibilités de participations et d’interactions plus fortes. C’est la puissance de l’effet de réseau. Mais, à y regarder de plus près, ce phénomène ne concerne pas que les jeunes.

Les amateurs experts prennent la parole Le web qui se construit est un web de participation, comme le montrent abondamment les usages des jeunes qui n’y agissent pas en tant que consommateurs, qu’ils ne sont pas encore vraiment, mais bien en tant qu’acteurs engagés. C’est aussi un web d’amateurs qui accèdent à des outils d’experts, à commencer par des outils de publication et de création. Cela change beaucoup de choses, notamment dans toutes les

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mécaniques institutionnelles bien établies de production du savoir et de sa diffusion. Cela change déjà les choses dans la façon dont les jeunes apprennent, par exemple en utilisant Wikipedia, une encyclopédie d’experts amateurs collectifs et actifs… plutôt que l’Encyclopædia Britannica. Parce qu’il est ouvert, relationnel, communautaire, qu’il est construit par ceux qui l’utilisent et qu’il est plus porté par des usages en cours d’invention, le web se théorise mal. Il se prête peu à la conceptualisation, et il ne poursuit pas des buts prédéfinis, ce qui ne facilite pas la compréhension. La très forte multiplicité des sites, des usages, des services, des possibilités le rend finalement très divers. Il est souvent une réponse à un besoin mal appréhendé qui rencontre des utilisateurs. Un bon exercice consiste à interroger les créateurs, souvent eux-mêmes très jeunes, des sites les plus à la mode. Les cofondateurs de Google expliquent qu’ils ont créé leur moteur de recherche parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de ce qu’ils trouvaient sur le marché. Les fondateurs de YouTube racontent qu’ils ne trouvaient pas de site leur permettant d’échanger facilement de la vidéo et de la partager avec leurs amis. Le créateur de Facebook cherchait simplement à construire le trombinoscope électronique de son université… Tout cela sans trop bien savoir ce que cela allait donner. Les utilisateurs ont décidé ! Cette difficulté de conceptualisation peut rendre le web délicat à comprendre, et le soumet aux jugements de valeurs et aux analyses approximatives dont il n’est pas toujours facile de faire la part. L’expression « web 2.0 » en est probablement l’archétype. Finalement, ce sont les grandes lignes de forces du web que nous désignent les usages des jeunes. Ce que nous appelons la dynamique relationnelle peut se décrire de la manière suivante : ◆



les technologies sont présentes, mais se font oublier au profit des usages ; une vraie souplesse de la plateforme, qui permet une appropriation facile par ses utilisateurs ;

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une capacité à communiquer « dans les nuages », avec le plus grand nombre et de façon très libre ; un espace social et relationnel ; qui donne la parole aux amateurs experts. La parole à un expert : ce qui compte, c’est la combinaison de la technologie et du style de vie Interview de Danah Boyd, anthropologue et doctorante de la School of Information de l’université de Berkeley12

Pourquoi les adolescents aiment-ils tellement les sites de réseaux sociaux ? Les adolescents ne s’intéressent pas spécialement à la technologie en tant que telle. En revanche, ils s’intéressent beaucoup à leurs amis, et il leur importe de passer du temps avec eux (hanging out) où qu’ils soient. La plupart d’entre nous avons eu la possibilité de sortir, nous promener dans notre quartier, traîner avec nos copains dans des lieux publics tels que supermarchés, parcs, ou parkings. Aujourd’hui, les adolescents américains n’ont plus cette liberté. Lentement, mais sûrement, nous leur avons fermé les portes du monde extérieur. Il y a eu une très belle émission diffusée par la BBC montrant que le grand-père, à 8 ans, avait le droit de s’éloigner de plusieurs kilomètres, alors qu’aujourd’hui ses petits-enfants n’ont pas le droit de sortir du jardin. Alors ils trouvent d’autres moyens. Tous leurs amis sont en ligne, dans l’espace public numérique… un superbe endroit pour hang out. On peut y faire beaucoup de choses que nous avions l’habitude de faire off-line. Pas toutes... mais beaucoup. Les adolescents vont où leurs amis se trouvent, en ligne. Qu’entendez-vous par l’expression « hanging out » ? Dans une société centrée sur la productivité, nous pensons que tout doit être utile et mesurable. « Hanging out » c’est autre chose : c’est se réunir et ne rien faire, écouter de la musique, parler de Dieu sait quoi. C’est une façon de se positionner socialement par rapport aux autres, interagir avec eux, se créer des relations sociales et donc se créer une identité. C’est une façon de donner une image de soi, et que cette image soit reçue par d’autres. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une action concrète, mesurable, que cela n’a pas de valeur. Les adultes comprennent souvent mal cela et parfois le détestent. Mais ce n’est pas très différent de ce qu’ils font dans les bars avec leurs amis. Ils n’y font rien. Les adolescents ne font rien en buvant des sodas au lieu de ne rien faire en buvant de l’alcool.

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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE

Quels outils les jeunes utilisent-ils ? Et que font-ils que les adultes ne font pas ? Leur premier outil est la messagerie instantanée qu’ils utilisent pour parler à leurs amis. C’est aujourd’hui la norme chez les collégiens. À mesure qu’ils grandissent, ils commencent à utiliser les sites de réseaux sociaux. Le décollage de MySpace, après Xanga, a vraiment marqué une étape. Il y a maintenant deux usages dominants chez les adolescents : les sites de réseaux sociaux et les téléphones mobiles. C’est universel. Ils utilisent tous YouTube, mais ils consomment et ne produisent pas de vidéos. Sauf, évidemment, une minorité plus créative qui aurait de toute façon trouvé des moyens d’expression. Ils ne regardent pas les mêmes vidéos que les adultes, mais leur comportement n’est pas très différent. Sur Facebook par exemple, ils font ce que font leurs parents : du networking ! À leur manière. Le networking est l’action explicite et volontaire d’essayer de rencontrer de nouvelles personnes, de construire un réseau et de l’animer. C’est très fort dans un contexte professionnel. On dit plutôt des adolescents qu’ils socialisent. Ils organisent le réseau des gens qu’ils connaissent et échangent avec eux. Que se passe-t-il quand ces adolescents, un peu plus âgés, entrent dans le monde du travail ? Le font-ils changer ? Pas vraiment. Ils vont utiliser les e-mails, dont ils ne se servent pas pour socialiser. Pendant un temps, ils continuent à hanging out avec leurs amis, alors même qu’ils sont dans le monde du travail. Mais ils arrêteront quand ils songeront à se marier et à avoir des enfants. Aux États-Unis, c’est la fin du hanging out et le déplacement vers la banlieue. Les dingues de technologies, les accros, les geeks sont une minorité. La majorité des « 20 ans et quelques » ont un petit boulot, vivent chez leurs parents et socialisent chez eux. Malgré cela, ils contribuent à faire évoluer les outils dont se servent les entreprises – la messagerie instantanée par exemple, qui leur est très familière. La façon dont les personnes se contactent spontanément est la distinction la plus forte entre générations dans l’univers du travail. Les plus seniors utiliseront le téléphone, les générations d’en-dessous utiliseront volontiers l’e-mail et les plus jeunes, la messagerie instantanée. Dans vos travaux récents, vous analysez la différence entre MySpace et Facebook. Vous tentez notamment de comprendre pourquoi certains adolescents quittent l’un pour l’autre. Pouvez-vous nous l’expliquer ? Il faut d’abord se souvenir que nous parlons des adolescents aux ÉtatsUnis. MySpace a émergé grâce aux jeunes qui n’étaient pas satisfaits de Friendster, et a touché les adolescents grâce à la culture musicale. C’est

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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES

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très différent de la population attirée par Facebook à ses débuts. C’était une application dédiée aux grandes universités américaines. Il a remplacé le trombinoscope (facebook en anglais) physique, une série de photos et de profils que les étudiants ont pris l’habitude de regarder pour voir avec qui ils ont envie d’entrer en contact pendant leurs études. Quand Facebook s’est lancé, ceux qui souhaitaient entrer dans ces grandes universités voulaient y avoir accès. Les spécialistes pensaient que tout le monde allait quitter MySpace pour Faceboook quand ce dernier s’est ouvert en septembre 2006. Or, ça n’est pas ce qui est arrivé. MySpace a continué de grandir. On constate en fait une sorte de rupture sociale en fonction des origines des adolescents. Une sorte de rupture de classes. C’est un sujet tabou aux États-Unis, difficile à aborder et à quantifier. Et ça n’est pas seulement une question de niveaux de revenus. Les modes de vie, l’origine… marquent l’appartenance de classe. Cela ne ressemble pas du tout à ce qu’on peut voir en Europe. Les deux sites ont des publics, des mondes très différents, qui ne parviennent pas à communiquer. Bien sûr, beaucoup d’adolescents qui connaissent des gens sur les deux sites ont des profils sur chacun, mais ils parlent à des groupes différents. Que pensez vous de la distinction « digital natives »/« digital immigrants » ? Je n’aime pas le terme. Mais je comprends pourquoi les gens l’utilisent. En fait l’expression est utile pour les politiciens. En utilisant « digital natives » ils pensent à une partie de la population qui n’est pas comme eux ! Et c’est une source de problèmes car ils présument que tout jeune est un « digital native », ce qui est faux. D’abord, la génération des 30 ans est beaucoup plus à l’aise avec les technologies un peu avancées et les usages du web. Nous savons ce qu’est une adresse URL, par exemple, et comment l’entrer dans la barre correspondante, alors que les jeunes n’ont pas cette connaissance. Ils vont utiliser Google. Ils vont sur MySpace et c’est tout. Ils sont natifs d’un monde dont ils ont du mal à imaginer qu’il ait pu exister sans internet. Comme nous avons du mal à imaginer un monde dans lequel le téléphone n’existait pas. Mais on ne s’appelle pas des « phone natives » ! Mais la vraie séparation est entre ceux qui utilisent internet et ceux qui ne l’utilisent pas, elle dépend aussi de la profondeur de leurs usages. Aux États-Unis, une famille avec un seul enfant dont les deux parents travaillent aura probablement un ou deux ordinateurs à la maison auquel l’enfant aura un accès quasi illimité. Dans une famille plus nombreuse, avec la mère au foyer et un père n’ayant pas accès à l’internet à son travail, l’ordinateur de la maison sera pris d’assaut par les membres de la famille. L’accès en sera très certainement plus limité et les usages de chacun très différents. Il faut donc aller un peu plus en profondeur.

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Est-ce que la façon dont les jeunes utilisent le web aujourd’hui nous dit quelque chose du futur ? Ce qui compte, c’est la combinaison de la technologie et du style de vie. La façon dont un adolescent utilise une technologie est probablement différente de la façon dont quelqu’un de 30 ou 60 ans l’utilise. À 16 ans, on n’a pas forcément envie ou besoin d’utiliser un site de rencontres. Ça change quand on approche de la trentaine. Cette génération qui va grandir, va probablement utiliser les technologies qu’elle utilise déjà, mais en adapter les usages à ses besoins et son style de vie, qui va changer avec l’âge. Donc finalement, cela ne nous dit pas beaucoup de choses du futur. Il est évident, en revanche, que le téléphone mobile va très certainement finir par décoller aux États-Unis. Il y a une très forte pression pour « devenir mobile ». On ne veut pas rester bloqué devant son ordinateur comme aujourd’hui. Les barrières ne sont pas technologiques, elles nous sont imposées par les opérateurs de téléphonie mobile. Comment voyez-vous le web aujourd’hui, et le rôle des jeunes ? Nous assistons au fond à une rupture d’usages et à une réorganisation de la façon dont les gens s’informent et se socialisent. C’est la notion magique « d’amis ». Les « amis », ce sont les gens avec lesquels vous parlez, ceux qui constituent votre audience, ceux auxquels vous êtes attentifs. Ce qui fait que le web d’aujourd’hui est si puissant, c’est qu’il permet aux gens d’organiser leurs activités avec l’audience et la communauté de leur choix. C’est une sorte de petit monde dont le contenu est généré par ses utilisateurs, avec une dimension de communication, de partage, de socialisation, de mise en commun entre amis. Les gens n’ont pas forcément envie de communiquer avec des étrangers. Ils ont plutôt envie de passer du temps avec ceux qu’ils inviteraient volontiers à dîner.

Par Francis Pisani et Dominique Piotet

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