Chaos Prêt A Cuire - Phil Hine

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  • Words: 17,546
  • Pages: 75
Ce livre est dédié aux Dents de l’Hydre — où qu’elles tombent et quoi qu’il en surgisse. Nous tenons à remercier : Charlie Brewster, Dave Lee, Hannibal The Cannibal, Ian Read, Kelly Standish, MC Medusa, Prince Prance, et Frater Remarkable. Art et graphismes renversants : Nathaniel Harris. Ce livre fut initialement publié par Chaos International, en 1992 — tirage limité à 300 exemplaires, sous le titre Condensed Chaos. Cette version on-line a un titre différent pour éviter une confusion avec l’ouvrage Condensed Chaos publié chez New Falcon Publications en 1995.

Titre original : Oven Ready Chaos, Phil Hine. Traduction française par Lysianne, 2009. Visitez nos sites : KAosphOruS : http://chaos.heliogabale.org/ Le Site de Lysianne : http://www.lysiannedetey.fr/

SOMMAIRE

Qu'est-ce que la Magie ?

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Qu'est-ce que la Chaos Magic ?

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Les principes de la Chaos Magic

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Infinie diversité, combinaisons infinies

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Que tous saluent Discordia !

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Rituel d'ouverture discordien

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Les pentagrammes en spirale

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La Magie des sigils

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La croyance, clef de la Magie

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Exercices de base

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Conclusions

52 Annexes :

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Lignes de fracture

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Hurlement

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Extase technique

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Pistes de lecture

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QU’EST-CE QUE LA MAGIE ? Qu’est-ce que la Magie ? Plusieurs définitions me traversent l’esprit, mais aucune susceptible de la montrer sous son meilleur jour. Le monde est magique : nous pouvons en prendre conscience en contemplant le paysage qui s’étend devant nous après avoir escaladé une montagne, ou dans cette sereine satisfaction concluant une journée où tout s’est déroulé à merveille. La Magie est une porte qui nous conduit vers l’inconnu, l’extravagance, et l’immanence. Nous vivons dans un monde régi par de vastes systèmes englobants de contrôle social et personnel, qui nous gavent continuellement de cette idée que nous sommes seuls, faibles, et incapables de produire des changements dans l’univers qui nous entoure. La Magie porte sur ces possibilités de transformation. Elle nous propose de moduler les contingences extérieures de façon à mener notre vie avec une conscience toujours plus aiguë de notre responsabilité personnelle, sachant que chacun peut effectuer des changements s’il le désire, conscient de n’être pas un simple rouage impuissant dans un univers mécanique. Tous les actes de libération personnelle ou collective sont des actes magiques. La Magie nous conduit à la joie de vivre et à l’extase, à appréhender les nuances de la psychologie et à comprendre les choses en profondeur ; elle nous conduit à nous changer nous-mêmes ainsi que le monde dont nous participons. Par la magie, nous pouvons explorer l’éventail des possibles de la liberté. Et sans doute, cela est-il simple ?… En fait, non. Car la magie est devenue la proie d’un jargon compliqué - des termes techniques ou voulus tels, hermétiques aux non-initiés - de ceux qui pensent ainsi légitimer leur entreprise, en faire quelque chose de suffisant et de pompeux. Des espaces spirituels abstraits ont été créés, au centre

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desquels se dressent des Babel-Lego - les « plans secrets », les hiérarchies spirituelles et les « vérités occultes », qui nous font oublier que le monde qui nous entoure est par essence magique. Le vrai mystère a été déplacé. Nous recherchons la « connaissance secrète » dans des tombes et des langues oubliées, ignorant le mystère de la vie qui nous environne. Vous allez donc devoir oublier tout ce que vous avez lu au sujet de l’illumination spirituelle, toutes ces recettes pour devenir un Mage du 99e degré et impressionner vos amis par votre charabia de grand-prêtre. La Magic est en réalité étonnamment simple. Mais qu’est-elle en mesure d’offrir ? 1. Un moyen de se dépêtrer des attitudes et restrictions dans lesquelles vous avez été élevés et qui définissent les limites de ce que vous pourriez devenir. 2. Des outils pour analyser votre vie, afin de comprendre et modifier les comportements, schémas intellectuels et émotionnels, qui vous empêchent de croître et d’apprendre. 3. Des moyens pour accroître votre confiance en vous et votre charisme personnel. 4. Une façon d’élargir votre appréhension de ce qui est possible, à condition d’y mettre votre cœur et votre âme. 5. Un moyen de développer vos capacités personnelles, vos dons et vos perceptions : plus notre vue est étendue sur le monde et plus nous percevons à quel point il est vivant. 6. S’amuser. La Magie devrait être amusante. 7. Provoquer des changements en accord avec votre volonté. La Magie peut faire tout cela, et plus encore. C’est une

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approche qui s’intéresse aux principes les plus fondamentaux de l’existence : de quoi ai-je besoin pour survivre ? Comment est-ce que je désire vivre ? Qu'est-ce que je veux être ? Elle fournit ensuite un assortiment d’armes conceptuelles et techniques permettant de parvenir à ses objectifs. La Chaos Magic est l’une des nombreuses façons de « faire de la magie » et ce livre est une introduction concise à cette approche.

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QU’EST-CE QUE LA CHAOS MAGIC ? Qu’est-ce que la Magie du Chaos ? Bonne question. Depuis son apparition sur la scène magique à la fin des années 70, elle a engendré beaucoup de débats sur ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, et qui la pratique « correctement » - ce genre d’ouroboriques arguments qu’affectionnent, semble-t-il, les occultistes. À ce stade, il serait tentant d’ouvrir un long exposé sur l’histoire de la magie et comment finit par en émerger la Chaos Magic, mais je préfère m’en tenir à une grande généralité : avant que la Chaos ne déboule en hurlant et en lançant des ruades, l’approche prédominante - qui l’est toujours, dans une large mesure - était de type « systémique ». Qu’est-ce donc qu’un système magique ? Les systèmes magiques associent des exercices pratiques, visant à réaliser des changements dans la réalité en accord avec la volonté du mage, avec des croyances, des règles de comportements, un ou des modèles abstraits de l’univers, une éthique, une morale, et quelques autres choses… Pour ne citer que quelques exemples : la Kabbale, les différentes chapelles wiccanes, le système de la Golden Dawn, avec ses grades, ses costumes, ses devises, etc., ainsi que le marché du chamanisme occidental en pleine expansion de nos jours. À la façon dont fonctionnent la plupart des systèmes magiques, avant de pouvoir commencer à agiter votre baguette ou rebondir sur la tête jusqu’à atteindre l’illumination, vous devrez consacrer beaucoup de temps à étudier les croyances associées au système pour ne pas commettre d’impair sur ce qui se fait ou pas, apprendre par cœur ses listes de symboles et de correspondances, intégrer comment il convient de parler à votre camarade-mage, et, dans certains

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cas extrêmes, comment il faut vous vêtir, marcher, ou mâcher du chewing-gum. Comment cela ? Hé bien, la magie, comme la plupart des grands messages religieux, est fondamentalement simple à la base, mais se trouve être la proie d’un processus faisant que des idées simples se transforment en croyances complexes, susceptibles de vous écarter de plus en plus de toute pratique magique. Remontons dans le temps, jusqu’à « quelque part à l’ère paléolithique », pour y découvrir un chaman tribal, assis sur un rocher, contemplant bouche bée les visions que lui octroie un bout détrempé de champignon vénéneux. Quelques millénaires passent et l’on se retrouve avec un « système magique » comportant des centaines de milliers de sophistications, diagrammes abscons et appendices qui vous affirmeront probablement, à un moment ou à un autre, que les drogues sont déconseillées. La naissance de la Chaos Magic a eu lieu vers la fin des années 70, au moment où le punk crachait à la gueule de l’industrie du disque, et que la Science du Chaos commençait à être prise au sérieux par les mathématiciens, les économistes et les physiciens. Les deux noms les plus souvent associés à cette naissance sont Peter J. Carroll et Ray Sherwin, bien que d’autres y aient contribué comme les Stoke Newington Sorcerers (SNS), qui s’associèrent ultérieurement aux premières agitations du mouvement punk. Certains des premiers écrits de Peter Carroll sur la Chaos furent publiés dans The New Equinox, une revue éditée par Ray Sherwin, et dont les éditos proclamaient l’avènement des Illuminés de Thanateros (IOT, pour Illuminates of Thanateros), un ordre magique à venir. Détail intéressant, il n’est fait aucune mention du mot « chaos » dans les premières versions des écrits de l’IOT.

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Par la suite, Morton Press, dirigé par Ray Sherwin, publia le Liber Null de Pete Carroll, ainsi que The Book of Results de Sherwin, lequel présentait une méthode très simple de sigillisation — cette technique développée par Austin Osman Spare et destinée à devenir l’une des techniques de base de la Chaos Magic. Les débuts de la Chaos Magic se caractérisèrent par un réseau informel de groupes se réunissant en vue d’expérimenter les possibilités du nouveau courant. Lorsque The New Equinox cessa de paraître, les « enfants du Chaos » publièrent les résultats de leurs expériences et autres hérésies dans The Lamp of Thoth, le magazine de Chris Bray. Les premiers ouvrages parus sur le sujet furent accompagnés de deux cassettes : The Chaos Concepts, traitant des fondements de la Chaos Magic, et The Chaochamber, combinant des éléments provenant de Star Trek, de Michael Moorcock et d’H.G. Wells. Les éditions Sorcerer’s Apprentice de Chris Bray rééditèrent le Liber Null, The Book of Results, et sortirent deux nouveaux livres : Psychonaut de Pete Carroll et Theatre of Magic de Ray Sherwin. Ces derniers ouvrages, ajoutés au matériel Chaote de plus en plus abondant dans la LOT (Lamp of Thoth), incitèrent de nombreuses personnes à expérimenter cette nouvelle approche. Grâce aux efforts de Ralph Tegtmeier, la Chaos Magic devait également retenir l’attention des praticiens en Europe continentale.
 
 Le message de base de la Chaos Magic est qu’en magie – comme dans la sexualité, aucune théorie ou intellectualisation ne peut venir remplacer l’expérience.

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Ainsi, si le Liber Null de Pete Carroll présente, dans les grandes lignes, les principes magiques pouvant être utilisés pour obtenir des changements dans le réel et donc sacrifie à la théorie, l’ouvrage se concentre surtout sur les techniques, affirmant que les véritables méthodes de la magie sont fondamentalement partagées par les différents systèmes, même si les symboles, les croyances et les dogmes divergent. Le système symbolique que vous emploierez est une question de choix, et les croyances l’habillant sont des moyens plutôt qu’une fin (nous en reparlerons). Une influence importante pour l’évolution de la Chaos Magic fut l’œuvre de Robert Anton Wilson & Cie, tout particulièrement la Société Discordienne vénérant Eris, la déesse grecque du Chaos. Les Discordiens firent observer que l’humour, l’ironie et l’allégresse en général étaient manifestement absents de la magie, laquelle avait tendance à devenir très « sérieuse et suffisante », suivant notamment cette propension des occultistes à se considérer comme une « élite » d’initiés séparée du reste de l’humanité. Contrairement à la plupart des systèmes magiques basés sur un passé mythique ou historique (l’Atlantide, la Lémurie, Albion, etc.), la Chaos Magic se sert librement dans la science-fiction, la physique quantique, et tout ce qui peut séduire ses pratiquants. Plutôt que d’essayer de redécouvrir et maintenir une tradition liée au passé - et aux anciennes gloires, la Chaos Magic est une approche autorisant l’individu à employer tout ce qu’il estime adapté comme système symbolique ou croyance temporaire. Ce qui importe, ce sont les résultats que vous obtenez, non « l’authenticité » du système utilisé. La Chaos Magic n’est donc pas elle-même un système ; elle emploie les systèmes et encourage ses partisans à créer le

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leur, donnant ainsi à la magie une véritable saveur postmoderne. Inutile de le souligner, la Chaos Magic commença à acquérir une sinistre réputation, due à trois facteurs : premièrement, son approche « sers-toi et mélange, do-it-yourself » très mal perçue par les écoles traditionnelles ; ensuite, beaucoup de gens associèrent le chaos à l’anarchie ou à d’autres images négatives ; enfin, le fait que certaines publications de la Chaos Magic furent stigmatisées comme « maléfiques, blasphématoires et dangereuses », ce qui n’était pourtant pas le cas, mais démontre la fascination qu’elle exerçait sur ceux capables de faire un tel tapage. Le milieu des années 80 vit l’apparition d’une seconde vague du courant Chaote. En 1985, fut publié The Cardinal Rites of Chaos signé sous le pseudonyme Paula Pagani ; l’ouvrage ébauchait un ensemble de rituels saisonniers tels que pratiqués par le « Cercle du Chaos », basé dans le Yorkshire. Hélas, à cette époque, la coopération entre adeptes du Chaos avait laissé la place à des querelles légales, des attaques littéraires et même à des guerres magiques. Pour certains, Chaos Magic devint synonyme d’« envoyez le pognon », tandis que d’autres se découvraient une vocation de porteparole. Fidèle à sa nature, le mouvement éclata et se mit à évoluer de diverses manières. Trois magazines distincts virent le jour et poursuivirent le débat : Chaos International, Nox, et Chaos animé par Joel Birroco. Chaos International fut élaboré sur le concept de réseau, avec notamment comme principe, celui de changer de rédaction à chaque numéro. C’était a priori une bonne idée, mais elle suscita des problèmes pratiques liés aux changements d’adresse ; la commande d’anciens numéros était délicate, et la démarche impliquait que chaque numéro soit pratiquement indépendant.

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Chaos International survécut à cinq changements de rédaction, après quoi il passa aux mains de Ian Read, qui s’en occupe toujours depuis lors. Chaos International a aujourd’hui mûri pur devenir l’un des meilleurs magazines qui soient dans le domaine des idées magiques novatrices. Le magazine Nox, né dans les régions sauvages du Sud du Yorkshire, mixa Chaos Magic, matériel relatif à la Voie de la Main Gauche, et expérimentations thélémites ; le cocktail aboutit à créer l’un des meilleurs magazines de magie expérimentale mêlant une grande variété de sources. Depuis sa naissance, Nox a évolué du fanzine format A5 au livre de poche. Chaos, de Joel Birroco, introduisit une perspective situationniste dans le débat Chaotique, prédisant que la fascination pour le Chaos-isme et ses expériences déboucherait sur la vente d’accessoires de mode ; il entreprit d’identifier divers « leaders » magiques Chaotes afin de les démolir ensuite avec l’enthousiasme d’une horde de cyniques grecs. Le débat concernant l’évolution du Courant Chaote fit rage dans ces magazines ainsi que dans la sus-mentionnée Lamp of Thoth. Les arguments avancés dans une revue étaient repris dans une autre, des fronts se constituaient, des alliances — bien que rallier les positions iconoclastes de Birroco se révélât à chaque fois une erreur tactique, puisqu’il flattait systématiquement les ego de ses « alliés » pour mieux les démonter par la suite. En 1986, S.A. Press publia Grimoire of Chaos Magic de Julian Wilde, le premier ouvrage consacré à la Chaos Magic en dehors des cercles de Sherwin et de Carroll. Mr Wilde n’expliqua jamais ses idées, et l’on n’entendit plus jamais parler de lui. Le livre s’écartait radicalement de toutes les autres approches chaotes, particulièrement en affirmant que la Chaos Magic était elle-même un « système ». Le livre

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fut suivi d’une cassette intitulée « The Chaosphere », puis d’un autre livre, The Apogeton d’Alawn Tickhill, présenté comme un « Traité du Chaos » bien que l’ouvrage lui-même traite fort peu de Chaos Magic. Aucune de ces publications ne fut reçue favorablement par les autres factions et cette « troisième vague » dans l’évolution de la Chaos déboucha sur des voix s’élevant avec colères, des concours d’insultes par voie de presse et des querelles tout aussi vives en coulisse. Fin 1987, l’un des plus atypiques groupes Chaotes qui soient, le Lincoln Order of Neuromancers - L.O.O.N., annonça la « mort » de la Chaos Magic, déclarant dans son bulletin gratuit, Apikorsus : « La Chaos Magic est déjà morte, et la seule question qui demeure est quel vautour emportera les os les plus gros ». Déclaration qui fut reprise par Stephen Sennitt, rédacteur en chef du magazine Nox. Rétrospectivement, ce fut moins la « mort » de la Chaos Magic qu’une grande lassitude des querelles faisant rage un peu partout depuis des années et dans lesquelles la critique constructive avait cédé la place aux échanges d’insultes stériles. Peut-être que certains Magiciens se reprirent et se demandèrent ce que signifiaient toutes ces histoires. À cette époque, Carroll avait commencé à reformer l’IOT sous le nom de The Pact, créant des temples au Royaume-Uni, aux USA et en Europe. L’IOT est considéré comme l’Ordre destiné aux Magiciens du Chaos « sérieux », tout comme l’OTO est là pour les Thélémites « sérieux ». Au moment où j’écris ces lignes, l’IOT/Pacte possède des temples actifs au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique, et, malgré la structure hiérarchique présentée dans le dernier ouvrage de Pete Carroll, Liber Kaos/The Psychonomicon, il

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semblerait qu’il y ait de la place pour de nouvelles excroissances et expérimentations au sein de cette structure assez lâche. Ayant examiné l’évolution de la Chaos Magic, nous allons maintenant en considérer les principes en détail.

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LES PRINCIPES DE LA CHAOS MAGIC Alors que la plupart des systèmes magiques se basent sur un modèle spirituel et matériel de l’univers, par exemple l’Arbre de Vie – système qu’on pourrait éventuellement décrire comme un « agenda cosmique », la Chaos Magic repose sur un petit nombre de principes généraux qui sous-tendent sa conception de la magie ; il ne s’agit cependant pas d’axiomes universels, alors sentez-vous libre de les troquer contre d’autres. 1. Eviter le Dogmatisme. Les Magiciens de la Chaos s’appliquent à éviter le dogmatisme - à moins que le dogmatisme ne fasse partie du système de croyances temporaire qu’ils ont choisi d’adopter. Les Discordiens emploient « Catmas ! » pour signifier « Nous, Discordiens, devons demeurer à l’écart ! » Les Magiciens de la Chaos s’estiment autorisés à changer d’opinion, à se contredire et à développer des arguments alternativement plausibles et invraisemblables. En règle générale, nous investissions beaucoup de temps et d’énergie pour être dans le vrai. Est-ce si grave que d’être occasionnellement dans l’erreur ? 2. L’Expérience Personnelle est primordiale. En d’autres termes, ne me croyez pas sur parole lorsque j’affirme que ceci ou cela est capital, vérifiez-le par vousmême. La Magie a beaucoup souffert des « théoriciens en chambre » qui ont reconduit des mythes et des connaissances surannés, simplement par paresse. Il peut être intéressant de leur soumettre quelques questions gênantes, pour voir ce que répondront les experts autoproclamés. Certains se perdront dans une diarrhée verbale plutôt que d’admettre leur ignorance, cependant qu’un véritable adepte dirait probablement : « Je n’en ai pas la moindre foutue idée. » Les Magiciens de la Chaos firent assez tôt cette

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renversante découverte : une fois évacuées les différentes strates du dogme, les prises de position subjectives, anecdotes et croyances personnelles enrobant toute technique de magie pratique, celle-ci peut être exposée de manière tout à fait simple. 3. L’Excellence Technique. L’un des plus vieux malentendus au sujet de la Chaos Magic est qu’elle donnerait carte blanche à ses pratiquants pour faire tout ce qu’ils désirent, au point qu’ils en deviendraient peu rigoureux - ou pire : brouillons. C’est faux. L’approche Chaote a toujours préconisé une rigoureuse évaluation de soi-même, de sévères auto-analyses, et fait porter l’accent sur la persévérance jusqu’à obtention du résultat désiré. Apprendre à « faire » de la magie implique le développement de talents et de compétences et, si vous décidez de vous impliquer dans cet univers étrange, pourquoi ne pas le faire du mieux que le vous pouvez ? 4. Le Déconditionnement. Le paradigme de la Chaos préconise que l’une des premières tâches du magicien en herbe doit être de se déconditionner des croyances, attitudes et fictions relatives à soi-même, la société et le monde. Notre ego est une fiction au bénéfice d’une réalité stable, qui se maintient en perpétuant la distinction entre « ce que je suis » et « ce que je ne suis pas », « ce que j’aime » et « ce que je n’aime pas » ; catégorisations auxquelles s’ajoutent des adhésions politiques, religieuses, une préférence sexuelle, une certaine dose de libre arbitre, son appartenance raciale, des phénomènes culturels secondaires, etc. Toutes ces distinctions servent à maintenir une conscience stable de soimême, tandis que les multiples petits procédés utilisés pour lutter contre un trop-plein de cette même stabilité nous permettent de nous appréhender comme si nous étions des individus uniques. En effectuant des exercices de déconditionnement, nous pouvons élargir les brèches dans

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notre réalité consensuelle, lesquelles nous permettrons de nous détacher de nos croyances et de nos fictions égotiques, et nous serons alors aptes à les abandonner ou à les modifier lorsque c’est nécessaire. 5. Des Approches Différentes. Comme nous l’avons dit plus haut, les approches « traditionnelles » de la magie impliquent de choisir un système donné et de s’y tenir. La Chaos - ne ferait-elle que cela, encourage a contrario une approche éclectique de l’évolution personnelle, et les Magiciens du Chaos sont libres de choisir tout système magique disponible, ou encore d’évoluer dans des univers issus de la littérature, de la télévision, des religions, des sectes, de la parapsychologie, etc. Cette approche signifie que si vous rencontrez deux Magiciens du Chaos et leur demandez ce qu’ils font à tel ou tel moment, il est peu probable que vous découvriez une quelconque unanimité dans la démarche. Cet état de fait rend la Chaos Magic difficile à épingler comme étant ceci ou cela, ce qui, une nouvelle fois, tend à perturber ceux qui ont besoin d’approches claires et soigneusement étiquetées.

6. Gnose. L’une des clés de la puissance magique réside dans la capacité d’accéder à volonté à des états modifiés de conscience. Nous tendons à imaginer une frontière stricte entre la conscience dite « ordinaire » et ces « états modifiés », alors que nous évoluons en fait entre différents états de conscience – des rêves éveillés, aux fonctionnements en « pilotage automatique » (ceux où nous agissons sans réfléchir), en passant par divers niveau d’attention. Néanmoins, dans le domaine de la magie, l’entrée intentionnelle dans des états modifiés de conscience intenses peut être divisée en deux pôles de « Gnose Physiologique » : les Etats Inhibiteurs et les Etats Excitatifs. Les premiers

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incluent des techniques « physiquement passives » comme la méditation, le yoga, la vision dans le cristal, la contemplation et la privation sensorielle, les seconds incluent le chant, les percussions, la danse, l'excitation émotionnelle et sexuelle.

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INFINIE DIVERSITE, COMBINAISONS INFINIES Comme je l’ai dit plus haut, l’une des caractéristiques de la Chaos Magic est la diversité des systèmes magiques où peuvent puiser ses pratiquants, plutôt que s’en tenir à un seul bien précis. Il existe, bien entendu bien sûr, de nombreuses approches possibles pour cette utilisation des systèmes dans la Chaos ; nous allons en examiner quelques-unes. Do It Yourself En d’autres termes, créez votre propre système, ainsi que le fit Austin Osman Spare. Créer ses propres systèmes magiques, efficaces sur le plan opérationnel, est une bonne démarche ; amener ensuite quelqu’un d’autre à les employer ne dépend que de vous. D’autre part, les nouveaux systèmes de magie sont parfois de bonnes affaires sur le plan commercial. Un livre consacré à un système = quelques bonnes idées ; vous pourrez ensuite rédiger une suite pour développer les idées d’origine, et puis vous poursuivrez en créant un jeu de tarot, en réalisant des vidéos, des cassettes, des jeux de Lego, etc. Œuvrer à bâtir son propre système, la plupart du temps original, est mieux - du point de vue du Chaos, que de répéter les rituels des autres et perpétuellement suivre des idées qui ne sont pas les vôtres. Faire quelque chose de novateur - tout particulièrement si vous ne connaissez personne l’ayant jamais tenté, est excellent pour ce qui relève de votre confiance en vous-même. Je me souviens, il y a des années, avoir fait un rituel et avoir pensé : « Tiens, je me suis trompé dans tous les pentagrammes, je ne m’en étais pas aperçu » et rien de négatif n’est advenu - du moins jusqu’à présent ! Métasystèmes De nos jours, les gens développent une certaine tendance à tester ou créer des méta-systèmes - c’est-à-dire des systèmes pouvant inclure tout et n’importe quoi, et qui bénéficieront si

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nécessaire d’une théorisation. On a vu des tentatives visant à connecter runes et tarot, à faire correspondre à peu près n’importe quoi à l’Arbre de Vie, à élaborer quantités de théorisations - pour tout foutre ensuite à la poubelle, le cas échéant. Rien de mal à cela, il s’agit là une fois de plus d’exercices très utiles & qui peuvent être amusants, tout spécialement si vous sortez une explication pour quelque chose basé sur des faits inventés ou douteux, et qu’un tas de gens vous disent que « c’est vraiment «éblouissant ! » - il y a quelques années, un auteur publia une version du Nécronomicon de Lovecraft qui sonnait juste, mais n’était qu’un apocryphe. Il reçut énormément de courriers de personnes ayant effectué les rituels et désirant parler de leurs résultats). Ceci a une grande importance dans la « croyance » appréhendée comme outil magique ; je reviendrai sur ce point. Pour ma part, j’aime employer de nombreux systèmes différents, que j’utilise de la manière que j’estime adéquate. J’ai tendance à osciller entre le « do it yourself » la Kabbale, le Tantra, les mythes de Cthulhu, le chamanisme, et tout ce que je peux trouver approprié à un moment donné. Cela peut valoir le coup d’explorer un système en profondeur pour y devenir plus ou moins compétent - et donc y être à l’aise, mais les magiciens ont tendance à considérer qu’en étant devenu habile dans un système, il est alors plus aisé d’en maîtriser un autre. Si vous êtes par exemple suffisamment bon en Enochien, vous ne devriez pas avoir trop de difficultés avec les Runes. La science du Chaos Certains Magiciens du Chaos ont tendance à employer dans leurs travaux des analogies et des métaphores d’ordre scientifique. C’est très bien - après tout, la science vend des poudres à laver et des automobiles, car si l’on peut démontrer qu’une chose possède une assise « scientifique », plein de gens s’y intéresseront, tout spécialement les mordus d’informatique, les étudiants en physique, etc., ce qui aidera

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beaucoup à consolider la croyance en question. Pas besoin d’aller jusqu’à la « pure science », la « pseudo science » marche aussi bien, ainsi qu’on l’a vu avec tous ces ouvrages New Age prétendant que les cristaux stockent de l’énergie « à la manière d’une puce informatique ». Je n’essaie pas de me montrer pointilleux (bon, juste un peu), et tant mieux, car c’est le facteur croyance qui est important et vous pouvez par conséquent employer l’astrologie, l’alchimie, la Théosophie ou toute chose susceptible de frapper votre imagination, aussi longtemps que vous (ou une tierce personne) le trouvez utile et cohérent. Ce n’est pas parce que vous êtes « scientifique » que vous devez, du coup, être sérieux. La sottise du Chaos Ce sont les Discordiens qui soulignèrent que, dans la longue liste de dualismes qu’aiment employer les occultistes, les opposés sérieux/humour avaient été mis de côté. L’humour est important dans la magie. Comme l’a dit une fois Janet Cliff, nous sommes trop importants pour nous prendre au sérieux. Certains membres du Pacte/IOT, par exemple, emploient le Rire en guise de bannissement. Et c’est sûr qu’il n’y a rien de mieux que le rire pour dégonfler les baudruches occultes, pompeuses et suffisantes, que nous gonflons de temps à autre. Voici une information importante : les rituels peuvent être ridicules et fonctionner aussi bien que ceux requérant une attitude sérieuse. La Magie est amusante sinon, pourquoi en ferions-nous ?
 
 Les modèles magiques La manière dont la magie est conceptualisée se modifie de la même façon que les paradigmes généraux changent dans les sociétés. Il n’y a pas si longtemps, et c’est historiquement important, les pratiquants de la magie souscrivaient au modèle « Spirituel », lequel affirme dans ses prémisses que les Autres Mondes sont réels, habités par divers panthéons d’êtres dissimulés - élémentaux, démons, anges, déesses, dieux, etc. La tâche du magicien ou du chaman consistait à

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élaborer un plan, ou à hériter d’un plan, de l’Autre Monde afin d’apprendre à en connaître les raccourcis, et de se faire là-bas de nouveaux amis, d’y rencontrer ses habitants. Y étant parvenu, ils devaient interagir avec ces esprits d’une manière définie, afin que ceux-ci exécutent leur volonté. Ainsi les prêtres prient, les chamans se gavent de champignons pour rencontrer leurs ancêtres, cependant que les démonologues menacent les entités afin de les soumettre, en leur hurlant des passages de l’Ancien Testament. Au dix-huitième siècle, avec l’émergence de la Science, l’idée de « Magnétisme Animal » surgit en Occident ; ce fut la première manifestation du modèle « Energétique » de la Magie. Ce modèle met l’accent sur la présence « d’énergies subtiles » pouvant être manipulées grâce à un certain nombre de techniques. Puis il y eut Bulwer Lytton et son idée d’énergie « Vril », Eliphas Lévi et la « Lumière Astrale », les médiums et les ectoplasmes, les versions occidentales et populaires du Prana, des Chakras, de la Kundalini, enfin, l’« Orgone » de Wilhelm Reich. La relève fut assurée par la vulgarisation de la psychologie, principalement due aux lubies psychanalytiques de Freud, Jung et cie. Durant cette phase, les Autres Mondes devinrent les mondes intérieurs, les démons furent relogés dans l’Inconscient, et les Maîtres Secrets devinrent des manifestations du « Moi Supérieur ». Ultérieurement, pour certains adeptes de ce modèle, les cartes du Tarot, de système magique et divinatoire, se firent outils de transformation personnelle, de même que les dieux et déesses ne furent plus perçus comme des entités réelles mais comme des symboles et des archétypes. Le paradigme actuellement en cours d’émergence et promis à un bel avenir, est le Modèle « cybernétique » inhérent à notre culture basée sur l’information. Ce modèle maintient qu’en dépit des apparences, l’Univers est de nature stochastique. La Magie y consiste en un ensemble de techniques visant à créer un orage neurologique dans le cerveau, lequel engendrera de

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microscopiques fluctuations dans l’Univers, susceptibles de créer par la suite des changements macroscopiques - en accord avec la volonté du magicien. Cf la Science du Chaos, l’effet Papillon, et tout le reste. Une autre occurrence du Modèle Cybernétique qui commence à être connue, est l’assertion New Age selon laquelle les cristaux fonctionneraient « exactement » comme des puces informatiques. Ce sont là des signes que le Modèle Cybernétique rejoint le Modèle Spirituel et, dans Chaos Servitors : A User Guide, vous trouverez un argumentaire assez cohérent en faveur de l’idée que des champs d’informations localisés pourraient, avec le temps, devenir auto organisés au point que nous pourrions les percevoir comme des entités autonomes - des esprits. Chaque modèle possède son propre pouvoir de séduction, ses partisans et ses détracteurs. De nombreux traités occultes mêlent, d’une façon assez heureuse, des éléments provenant des Modèles Spirituels, Energétiques et Psychologiques. Il faut également souligner que si vous vous retrouvez dans une position où il vous faut « expliquer » tous ces trucs étranges à un sceptique ou un non pratiquant, il sera sans doute plus productif de parier sur le modèle psychologique. De nos jours, les gens qui adhèrent au modèle spirituel, s’ils ne sont pas eux-mêmes de confession païenne ou occultiste, tendent à penser qu’ils possèdent un droit exclusif sur l’utilisation des esprits ! Un mordu d’informatique ou un fou de physique quantique, s’orientera évidemment plutôt vers le paradigme « cyberpunk ». Quant aux scientifiques, ils ont tendance à n’accepter quelque chose qu’à condition qu’un « raisonnement » scientifique en constitue le rouage. Un bon exemple est l’acupuncture, récemment encore expliquée par le modèle Energétique et ridiculisée par les institutions scientifiques, jusqu’à ce qu’un quidam évoque l’hypothèse de la stimulation endorphinique. Bien que certains magiciens aient tendance à être fidèles à un modèle donné, il est utile d’en changer lorsque la situation l’exige, certains modèles ayant un pouvoir « explicatif » plus

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efficace que d’autres selon l’aspect de la magie considéré. Le Modèle Spirituel, le plus ancien, peut rendre compte de n’importe quel aspect de la magie. Le Modèle Psychologique, bien qu’utile lorsque l’on considère la magie en tant que processus de développement personnel, rencontre des difficultés avec certains aspects ; prenons l’exemple d’un chamane tribal maudissant des occidentaux qui (a) ne croient pas en la magie, (b) n’ont pas encore aperçu le chamane louchant dans leur direction, (c) continuent cependant à se couvrir de furoncles et de boutons. Si vous vous restreignez à l’emploi d’un seul modèle magique, tôt ou tard l’Univers vous présentera quelque chose qui ne se conformera pas à vos critères. Lorsque vous passerez plus de temps à défendre vos modèles qu’à les modifier, vous saurez alors que le temps est venu pour une nouvelle séance de déconditionnement.

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QUE TOUS SALUENT DISCORDIA ! La Société Discordienne est, selon ses propres termes, « une tribu de philosophes, de théologiens, de magiciens, de scientifiques, d’artistes, de clowns et autres dingues intrigués par Eris, déesse de la Confusion, et Ses agissements ». L’existence de cette Société fut popularisée par la célèbre trilogie de Robert Anton Wilson & Robert Shea, Illuminatus !, ainsi que par l’ouvrage de Malaclypse Le Jeune, Principia Discordia, lequel exposait les principes de base de la Religion Discordienne - une religion basée sur la Déesse grecque Eris. Traditionnellement, Eris était fille de Nox - la Nuit et l’épouse de Chronos. Elle engendra tout un tas de divinités - la Tristesse, l’Oubli, la Faim, la Maladie, le Combat, le Meurtre, le Mensonge, etc. - de braves gosses! Les anciens grecs lui attribuaient toute forme de querelle ou de discorde. Avec la chute des vieux empires, Eris disparut, bien qu’on la soupçonne d’avoir aidé à l’apparition des bureaucraties, des factures en triplicata et des compagnies d’assurances. Elle ne réapparut pas sur Terre avant la fin des années 50, lorsqu’elle se montra à deux jeunes californiens plus tard connus sous les noms d’Omar Ravenhurst et Malaclypse Le Jeune. Eris les nomma « Gardiens du Chaos Sacré » et leur délivra ce message : « Dites aux humains sous le joug qu’il n’y a pas de règles, à moins qu’ils ne choisissent d’en inventer ». Après quoi Omar et Mal nommèrent d’autres Grands Prêtres bien allumés, et déclarèrent qu’ils formaient une Société de la Discorde, quelle que soit la signification d’une telle affirmation. Le Grand Pope : Eris est-elle vraie ? Malaclypse : Tout est vrai. G.P. : Même les choses fausses ? Mal : Même les choses fausses sont vraies. G.P. : Comment cela est-il possible ? Mal : Je ne sais pas, mon gars, c’est pas moi le responsable.

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Eris, depuis, a transité de la note historique en bas de page au statut de mégastar mythique, et le mouvement Discordien, si l’on peut dire qu’une telle chose existe, croît des deux côtés de l’Atlantique, aidé en cela par la tactique Discordienne consistant à affirmer que tout un chacun en est un Pope authentique. De plus en plus de gens se branchent sur l’idée d’une religion basée sur la célébration de la confusion et de la folie. Le principal mythe grec où Eris joue un rôle prépondérant est le soap opera du « Mont Olympe, Demeure des Dieux », dans l’épisode qui déclencha par inadvertance la Guerre de Troie. Il semblerait que Zeus ait organisé une soirée où il n’a pas voulu inviter Eris en raison de sa réputation de fouteuse de merde. Courroucée par l’affront, Eris façonna une pomme d’or où était inscrit le mot Kallisti (A la plus belle) et la lança dans la salle où se trouvaient les invités. Trois des Déesses, Athéna, Héra et Aphrodite, revendiquèrent chacune la pomme, commencèrent à se battre, renversant la nourriture. Pour faire taire la querelle, Zeus leur ordonna à toutes trois de se soumettre au jugement d’un mortel, lequel aurait en charge de décider laquelle était « la plus belle », et il voulut que ce mortel fut Paris, fils du roi de Troie. Zeus les envoya donc à Paris, grâce à l’aide d’Hermès, mais chacune des Déesses voulut se montrer plus maligne que les autres et tenta de devancer furtivement ses rivales en offrant un pot-de-vin à Paris. Athéna offrit à Paris la victoire dans les batailles, Héra une grande richesse, tandis qu’Aphrodite « se contenta de détacher les agrafes de sa tunique et de dénouer sa ceinture », offrant également à Paris la plus belle des mortelles. Elle remporta la pomme et Paris coucha avec Hélène, laquelle était malheureusement mariée à Ménélas, Roi de Sparte. Grâce aux manigances d’Athéna et d’Héra, la guerre de Troie s’ensuivit - et le reste appartient pour ainsi dire à l’histoire. Aujourd’hui, à notre époque où le chaos est plus débonnaire, Eris s’est adoucie et les Discordiens modernes l’associent à

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toute intrusion « d’une inquiétante étrangeté » dans leurs vies, des événements synchrones aux phénomènes facétieux, des traits d’inspiration créatrice aux célébrations sauvages. Elle est par moments un peu garce - mais qui ne l’est pas ?

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RITUEL D’OUVERTURE DISCORDIEN Par Prince Prance : 1. Frapper 5 fois dans ses mains. 2. La Croix Erisienne : « Lumière dans ma Tête, Feu dans mes Organes Génitaux, Force à ma Droite, Rire à ma Gauche, Amour dans mon Cœur » 3. Tracer des Pentagrammes en Spirale* aux 4 points cardinaux et au zénith. 4. Face à l’Est : « Apôtre Béni Hung Mung [1], grand Sage de Cathay, équilibre le capharnaum et accorde-nous l’équilibre » 5. Face au Sud : « Apôtre Béni Van Van Mojo[2], Docteur ès Poisse et Emmerdes, accorde-nous la Puissance Vaudou et confonds nos ennemis ». 6. Face à l’Ouest : « Apôtre Béni Sri Syadasti[3], saint patron de la psychédélie, enseigne-nous la vérité relative et éblouis nos esprits ». 7. Face au Nord : « Apôtre Béni Zarathud[4], ermite têtu, accorde-nous le doute Erisien, et la constance du Chaos ». 8. Regarder vers le haut - ou bien vers le bas : « Apôtre Béni Malaclypse[5], Saint Aîné de Discordia, accorde-nous l’illumination et protège-nous de la stupidité ». 9. Regarder tout autour de soi :

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« Grande Déesse Discordia, Sainte Mère Eris, Joie de l’Univers, Rire de l’Espace, accorde-nous la Vie, la Lumière, l’Amour et la Liberté, et fais que cette satanée magie veuille bien marcher ! » 10. « Hail Eris! Que Tous saluent Discordia ! » Notes : * Au sujet des Pentagrammes en Spirale, voir la section suivante. 1. Hung Mung constitue le lien unissant la Discordia aux Mystères Chinois ; il n’est autre que celui qui conçut le Chaos Sacré. C’est le saint patron de la Saison du Chaos. 2. Le Dr. Van Van Mojo est membre de la Guérilla Haïtienne Intergalactique et le saint patron de la Saison de la Discorde. 3. Sri Syadasti est l’Apôtre de la Psychédélie et le saint patron de la Saison de la Confusion. 4. Zarathud, un ermite de l’Europe médiévale, a été surnommé « le Malfaiteur de la Foi ». C’est le saint patron de la Saison de la Bureaucratie. 5. On dit de Malaclypse l’Ancien qu’il était un sage antique déambulant avec, pour signe de reconnaissance le mot « muet », dans les ruelles de Rome, Bagdad, la Mecque, Jérusalem et quelques autres lieux. Il est le saint patron de la Saison de l’Après-Guerre.
 


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LES PENTAGRAMMES EN SPIRALE Cette section « explique » les Pentagrammes en Spirale évoqués dans le Rite d’Ouverture Discordien ci-dessus. Le Pentagramme traditionnel est une figure géométrique très rigide - je trouve son association au bannissement tout à fait appropriée. « Mais que se passerait-il », me suis-je dit un jour, « si je me mettais à employer une étoile à cinq branches faite de courbes ? ». Vous pouvez découvrir plus bas le résultat de quelques minutes passées un compas à la main - ça aurait pris des siècles avec un ordinateur ! Contrairement au pentagramme traditionnel, qui possède en son centre un pentagone, celui-ci évoque la forme d’un pétale. Et lorsque je le dessine - il faudrait être stupide pour le tracer en l’air dès le début, je visualise les pétales extérieurs tournant dans le sens solaire, et les pétales intérieurs tournant dans l’autre sens - il n’y a pas de raison particulière à cela. La figure tout entière devient ainsi un tunnel en trois dimensions, twistant dans l’espace infini. Joli, hein ?

La première fois que nous les essayâmes, ce fut, de manière plutôt appropriée, au cours d’une invocation à Eris, et ils semblèrent bien fonctionner. Ils n’empêchent pas ce qui à l’extérieur d’entrer, mais ont plutôt tendance à attirer les énergies à l’intérieur. Vous pouvez également les utiliser

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comme portes lors des projections astrales (ce que dans le langage Chaos nous appelons la « Magie Virtuelle »), et je les ai déjà vus se présenter spontanément en rêve en tant que telles. Pour les sceller, j’inverse la rotation des pétales, je les rends à nouveau « sans vie », traçant quelquefois par-dessus un pentagramme normal - pour faire bonne mesure. Ils semblent bien fonctionner lorsqu’ils sont employés dans un travail du type spontané, moins dans les systèmes traditionnels comme la Clavicule de Salomon (m’est avis que les entités concernées sont rigoureusement conservatrices quant à la manière dont elles aiment être invoquées). Soit dit en passant, si vous décidez d’expérimenter avec ces Pentagrammes en Spirale, j’aimerais en avoir des échos. Dans toutes les techniques magiques et les rituels, il est important de faire la distinction entre Procédés et Contenus. L’un des messages fondamentaux du Courant du Chaos est que, bien que le contenu soit dans une certaine mesure arbitraire, les procédés sous-jacents sur lesquels sont basés les rituels sont primordiaux. Par exemple, le Rituel d’Ouverture Discordien est une variante sur le thème des Rituels de Centrage (ou de Bannissement), dont l’objectif est de vous placer au « centre » de votre « psychocosme », « axis mundi » ou « point zéro » d’où procèdent tous les actes de magie. Les rituels de centrage sont également là pour vous échauffer avant les choses sérieuses ; ils constituent, pour ainsi dire, l’entrée dans un espace où, durant un moment, Rien ne sera Vrai et Tout sera Permis. Tout en restant concentré sur le but du travail, effectuer à nouveau le Rite de Centrage, vous permettra de retourner dans la Réalité Consensuelle commune. Des rites tels que le classique Rituel de Bannissement du Pentagramme, ou le Bannissement Gnostique de l’IOT, mélangent gestes, paroles, respiration et visualisation dans diverses proportions mais obéissent aux mêmes principes - l’identification des quatre points cardinaux plus le cinquième point qui représente l’union à l’esprit, au chaos, ou au Kia. De tels actes rituels produisent des changements dans « l’atmosphère » de l’endroit où ils sont effectués et, avec la pratique, ces sensations surviennent

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automatiquement où que soit réalisé le rite, de sorte que le décalage entre la réalité quotidienne avec son lot de préoccupations (par exemple, qui fera la vaisselle après le rituel, etc.) et la Réalité Magique (par exemple le but du rituel) apparaît clairement.

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LA MAGIE DES SIGILS Le travail avec les sigils est l’une des techniques les plus simples et les plus efficaces employées par les magiciens d’aujourd’hui. Une fois que vous avez compris les principes de base et expérimenté quelques-unes des façons les plus classiques de créer un sigil, vous pouvez continuer en expérimentant des formes de magie sigillaire qui vous seront propres. Le processus général de la sigillisation peut être divisé en six étapes [1] : 1 - Intention Claire. 2 - Voies Disponibles ? 3 - Etablissement d’un trajet Symbolique. 4 - Gnose Intense / Vacuité 5 - Feu 6 - Oubli 1. Intention Claire La première étape du processus consiste à clarifier votre intention magique – il faut qu’elle soit aussi précise que possible sans être, pour autant, trop complexe. De vagues intentions mènent généralement à de vagues résultats, et plus clair sera l’énoncé initial, plus vous aurez de chances d’obtenir des issues en conséquence. L’une de mes connaissances réalisa une fois un sceau afin de trouver un petit ami, en donnant des indications très précises quant à son apparence, le type de voiture qu’il conduirait, etc. Inutile de le souligner, son « souhait » se manifesta exactement comme elle l’avait spécifié, mais elle découvrit trop tard qu’elle avait omis de mentionner « intelligence » dans son sceau, et elle se retrouva encombrée d’un raseur !

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2. Voies Disponibles ? En général, les sceaux sont excellents pour obtenir des résultats précis à court terme, ce qui les rend idéaux pour des travaux de Magie Pratique - guérison, modification des habitudes, inspiration, contrôle des rêves, etc. Il est généralement utile « d’ouvrir » une voie pour que s’y engouffre votre but. Voici un exemple classique relatif à l’argent : Frater Bater réalise un sort pour devenir plus riche et attend que le cosmos [2] lui expédie la monnaie. Les mois qui suivent, il gagne en effet de l’argent suite au décès subit de membres de sa famille, reçoit une indemnité de son employeur après être passé sous une moissonneusebatteuse, et ainsi de suite. S’il s’était assuré d’une possible voie, d’un chemin pouvant être emprunté, comme écrire un livre (ah ! ah !), envoyer une lettre de motivation pour trouver un emploi, ou jouer à la loterie, les choses se seraient peutêtre mieux passées. C’est la manière dont fonctionne souvent la magie, et cela prouve que l’univers, ou autre chose, possède un sens de l’humour plutôt acide. 3. Etablissement d’un trajet Symbolique Une fois que vous avez précisé votre intention, celle-ci peut être formulée sous la forme d’une analogie ou d’un code symbolique - un signe sur lequel vous pouvez concentrer votre attention, sans vous remémorer votre désir initial. Les approches les plus communes sont : (a) le Monogramme : couchez par écrit votre objectif, supprimez toutes les lettres en double, et à partir de celles qui restent ; concevez un glyphe. (b) le Mantra : couchez par écrit votre objectif, transformez le en un mot ou une phrase dénués de sens pouvant être psalmodiés. Vous pouvez également employer des supports tels que les odeurs, les saveurs, les couleurs, le langage corporel, les gestes.

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4. Gnose Intense/ Indifférence au désir Les sceaux peuvent être projetés dans le cosmos via un acte de Gnose – généralement, mais pas nécessairement, dans un contexte de nature rituélique / magique. Les manières classiques d’accéder à la Gnose sont : tourner [3], psalmodier, danser, visualiser, l’excès de stimulation sensorielle ou la privation sensorielle, l’excitation sexuelle. L’autre type d’état modifié de conscience est la Vacuité Indifférente – un état où l’on ne se sent « pas spécialement emmerdé ». Un exemple de sigillisation effectuée de cette manière consiste à griffonner des sceaux tout en écoutant un discours ennuyeux, mais à propos duquel vous êtes contraint de prendre des notes. 5. Feu Cette étape consiste en la projection du sceau dans le vide ou le Cosmos au moment de l’ « apogée » de la Gnose/Vacuité. Des exemples : l’orgasme, être sur le point de s’évanouir à cause de l’hyperventilation, ou être interrogé sur le discours ennuyeux que vous étiez supposé écouter. 6. Oubli Une fois votre sceau « enflammé », vous êtes censé oublier l’intention originelle et laisser l’Effet Papillon ou autre, s’occuper de la suite. Oublier ce que l’on vient juste de faire est souvent la partie la plus dure du processus. Ce n’est pas si difficile si votre dessein est quelque chose dont vous ne vous souciez pas vraiment – par conséquent, débuter par des sceaux se rapportant à des choses qui ne vous tiennent que modérément à cœur est une bonne façon d’entamer les expériences, mais c’est plus difficile si vous voulez que cela arrive pour de bon. Aussi longtemps que vous ne donnez pas prise aux pensées lorsqu’elles surgissent, ce n’est pas trop important. Il est temps de passer à une autre analogie.

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L’enchevêtrement toujours changeant de désirs, de souhaits, de peurs, de fantasmes, etc., se bousculant dans nos esprits peut être comparé à un jardin, bien qu’il s’agisse d’un jardin quelque peu bordélique et envahi de mauvaises herbes : fleurs, herbes sauvages, plantes grimpantes, et parfois le râteau enterré du jardinier. S’engager dans le processus de sigillisation peut être comparé au fait de s’enthousiasmer subitement pour la remise en état du jardin. Vous isolez une plante - votre dessein, la séparez des autres, l’engraissez, l’arrosez et la taillez jusqu’à ce qu’elle détonne par rapport au reste et se démarque nettement du paysage ; puis vous en avez soudainement marre de tout ça et rentrez chez vous pour regarder la télévision. Le truc étant, la prochaine fois que vous regarderez le « jardin », de ne pas prêter attention à la plante à laquelle vous avez prodigué vos soins tout récemment. Si le dessein demeure enchevêtré avec plein d’autres choses dans votre tête, vous aurez tendance à projeter divers résultats fantasmatiques – ce que vous ferez avec l’argent lorsqu’il arrivera, comment ça se passera avec l’homme, la femme, ou le fourmilier de vos rêves, etc., et ce désir interférera avec les autres, amoindrissant alors la probabilité que ceux-ci se manifestent de la façon que vous le souhaitez. Une attitude intelligente à adopter lorsqu’on travaille avec les sigils, consiste, après en avoir posté un au cosmos - lequel, comme le Père Noël, reçoit tous les messages, être certain que cela va fonctionner, de telle sorte que vous n’aurez plus besoin d’y consacrer d’efforts. Cette confiance tend se manifester lorsque vous avez bénéficié d’expériences heureuses antérieures avec les sigils. Le résultat survient souvent lorsque le désir s’est engourdi - c’est-à-dire lorsque vous l’avez totalement oublié et perdu toute illusion quant à sa réalisation. C’est comme faire du stop sur une route déserte au plus profond de la nuit. Vous êtes là depuis des heures, il pleut à torrents et vous « savez », avec une certitude mêlée de crainte, que personne ne s’arrêtera pour vous prendre maintenant ; malgré tout vous continuez à brandir votre

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pouce. Et pourquoi donc ? Cinq minutes plus tard, quelqu’un s’arrête. Et le gars, ou la fille, ou le fourmilier, invoqués deux sceaux plus tôt, au volant d’une Porsche, vous demandent où vous voulez aller. De quoi rendre fou, pas vrai ? Mais la sigillisation semble fonctionner souvent de la sorte. Notes [1] Phil Hine présente ces étapes sous la forme d’un acronyme intransposable en français : S.P.L.I.F.F. (Specify Intent, Pathways Available ?, Link Intent to Symbolic Carrier, Intense Gnosis/Indifférent Vacuity, Fire, Forget). NDT. [2] Phil Hine emploie le terme « multiverse » qui désigne en anglais un hypothétique cosmos constitué d’univers et d’espace-temps multiples. NDT. [3] A la façon des derviches tourneurs. NDT.
 
 
 
 


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LA CROYANCE, CLEF DE LA MAGIE ! L’un des aspects troublants de la Magie du Chaos est cette façon dont le Magicien du Chaos (ou Chaoiste, si vous préférez) va occasionnellement travailler avec des symboles venant de sources non historiques ; il peut ainsi invoquer les monstres des mythes Cthulhiens de Lovecraft, projeter le Rocky Horror Picture Show sur l’Arbre de Vie, foncer dans le vide astral à bord d’un avion de chasse, et recevoir des communications du type « channeling » de dieux qui n’existaient pas cinq minutes plus tôt. Vous comprendrez aisément qu’utiliser ce genre de matériel comme base d’un travail magique sérieux peut susciter quelques grimaces de désapprobation. Car, l’œuvre de Lovecraft ne relève-t-elle pas de la fiction ? Par conséquent, que devient la nécessité de se connecter avec les « plans intérieurs », les « traditions », etc. – peut-on réellement faire de la magie sans s’appuyer sur un substrat historique ou mythologique ? Dans le passé, cette idée a alimenté les critiques à l’encontre des magiciens travaillant avec des entités « fictives ». Dans cette section, je vais discuter de ce problème et j’espère arriver à réfuter les objections. La première chose à dire, c’est que la magie nécessite un système de croyances à l’intérieur duquel travailler. Le système de croyances correspond à la construction symbolique et linguistique grâce à laquelle le magicien apprend à interpréter ses expériences et peut explorer tout ce qui se trouve entre la bonne vieille Kabbale traditionnelle et le trip New Age « Je l’ai appris d’un véritable chamane amérindien » si populaire de nos jours. Peu importe le système de croyances que vous choisissez, du moment qu’il vous satisfait. Relisez cela, c’est important. En fin de compte, bon nombre de magiciens finissent par

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développer leur propre système magique, lequel fonctionne bien pour eux mais serait perturbant pour les autres : l’Alphabet du Désir d’Austin Osman Spare en constitue un bon exemple. L’une des clefs de la réussite magique est la véracité de la croyance. Si vous désirez expérimenter quelque chose et que vous pouvez fournir une explication plausible au comment/pourquoi ça doit marcher, alors ça marchera très probablement. Le charabia pseudo scientifique ou kabbaliste - parfois les deux, importe peu du moment que votre raisonnement parvient à étayer votre croyance en l’idée avec laquelle vous travaillez. Je me suis aperçu que ça fonctionnait plutôt bien lorsque je m’efforçais de tester les limites de la façon d’aborder tel ou tel acte magique que je n’avais jamais tenté auparavant. Une fois trouvée une explication plausible de la manière dont cela peut fonctionner, alors je suis évidemment plus confiant dans ce que je fais et souvent capable de transmettre cette confiance aux autres. Si je suis certain à 110% que mes rituels vont « marcher sacrément bien », ce sera alors très probablement le cas. Vous pouvez expérimenter cela en utilisant la technique du changement de croyances - que Robert Anton Wilson appelle « Métaprogrammation ». Un bon exemple en est constitué par les chakras. Il est généralement admis que nous en avons sept. Okay. Alors, méditez sur vos chakras, rentrez-vous le symbolisme dans la tête et le tour est joué ! Vous commencerez à vivre des expériences « 7 Chakras ». À présent, remplacez ce schéma par celui des 5 Sephiroth de la Colonne du Milieu (dans la théorie kabbalistique) comme centres psychiques de votre corps, et vous obtiendrez à coup sûr des résultats conformes à ce modèle. Vous saisissez l’idée ?

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Tout système de croyances peut servir de fondement à la magie, aussi longtemps que vous y investissez votre foi. Lorsque je me souviens de mes premières expériences magiques, je crois que ce qui était important pour moi, c’était

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alors la foi que j’avais dans l’ancienneté du système que j’employais, le fait qu’il soit basé sur des formules traditionnelles, etc. Un système de croyances peut être perçu comme une matrice d’informations dans laquelle nous pouvons déverser de l’énergie émotionnelle - c’est la même chose lorsque nous sommes absorbés par une pièce de théâtre, un film ou un programme télé, au point que durant un temps, tout cela devient réel pour nous et suscite les émotions opportunes. La plupart des choses que nous voyons au grand écran sont de puissantes images et des situations mythiques adaptées au goût du jour. C’est le moment de parler de « Star Trek ». Il y a plus de gens initiés à l’univers de Star Trek qu’à celui des religions à mystères. Je parie que davantage de personnes savent qui est Mr Spock que Lug. Le monde de Star Trek est par essence fantastique et il semble ne posséder que peu de points communs avec la sphère de nos expériences quotidiennes. Cependant, Star Trek est un reflet moderne, mythique, de notre psychologie. Les personnages incarnent des qualités précises : Spock est logique, Sulu est dépeint comme une figure martiale, Scotty est un « maître bâtisseur », et Kirk est un arbitre, cherchant toujours des solutions pacifiques aux conflits. Lorsque nous « entrons » dans l’univers de Star Trek, nous y découvrons plus de profondeur et de stabilité. Nous nous apercevons qu’il possède ses lois propres, auxquelles sont soumis les personnages, et qu’il est pourvu d’une cohérence interne. À chaque épisode, un aperçu de l’univers personnel de l’un des personnages clefs nous est livré. Comme c’est le cas dans notre sphère quotidienne, l’univers de Star Trek possède un au-delà qui est l’inconnu – le futur, l’espace inexploré, les conséquences des actes, quelles que soient les cartes qu’on ait pu nous distribuer. Donc, nous regardons la télé et assistons, en tant qu’observateurs, au déroulement d’un drame mythique. Nous pouvons encore accroître notre sentiment de participation à cet univers via un jeu de rôle, où la croyance de groupe nous permettra de créer, au moins pour quelques heures, un semblant d’univers Star Trek, dans

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le confort de notre salon. Il est relativement facile de créer un monde Star Trek, en raison de la pléthore de livres, bandes dessinées, vidéos et accessoires pour jeux de rôle disponibles pour faire vivre cet univers. Voici un témoignage incontestable prouvant tout ceci : l’un de mes collègues devait passer un examen d’informatique et se creusait la tête pour trouver une forme divine appropriée qui lui permettrait de concentrer son esprit sur la programmation. Mercure ? Hermès ? Et soudain il mit le doigt dessus : le plus puissant personnage mythique existant capable de traiter avec les ordinateurs était Mr Spock ! Il entreprit donc d’invoquer Mr Spock, en emmagasinant tout ce qu’il pouvait trouver sur lui et en ne cessant de répéter : « Je ne comprendrai jamais les humains » - jusqu’à devenir totalement « Spockifié ». Et il eut un A, c’est pour dire ! Revenons aux Mythes de Cthulhu. Lovecraft lui-même pensait que la peur, et spécialement la peur de l’inconnu, était la plus forte des émotions liées aux Grands Anciens. La raison pour laquelle j’aime occasionnellement travailler avec ces mythes est que les Grands Anciens sont extérieurs à la plupart des mythologies humaines, reflets des ombres des Géants des Mythes Nordiques, des Titans préolympiens des mythes Grecs, et autres groupes de bâtisseurs de mondes estimés trop chaotiques pour la société bien élevée des dieux de l’univers ordonné. Une autre chose qui m’attire là-dedans, c’est la nature de ces Grands Anciens, des êtres indistincts qu’on ne peut entrevoir que partiellement ; ils ne peuvent être assimilés ni intégrés à aucun système orthodoxe de magie et je m’amuse beaucoup à inventer des façons de travailler avec eux. Les Grands Anciens ont une nature très « primitive », laquelle me fournit l’énergie émotionnelle nécessaire à l’exploration magique. Après vous avoir raconté cela, j’imagine que vous êtes en train de penser : « Aïe, ce gars est bizarre, il aime faire l’imbécile avec des créatures visqueuses pleines de tentacules », mais je pourrais aussi mentionner que j’ai

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obtenu quelques résultats probants grâce à des travaux avec un système mythique basé sur (je rougis) les Chroniques de Narnia, de C.S. Lewis. Ce qui est intéressant dans la métaprogrammation, c’est que vous pouvez adopter une croyance pour un temps relativement bref, puis l’abandonner. Lorsque vous pratiquez la magie rituelle, c’est généralement une bonne idée - que vous considériez les dieux comme des archétypes, reflets de parties de vous-même, ou que vous pensiez qu’ils existent réellement. Et donc, dans un rituel axé sur les mythes de Cthulhu, rien n’aidera à faire monter la pression nécessaire à la magie, hormis adopter la conviction qu’en cas d’erreur Cthulhu vous engloutira ! Certes, en dehors du rituel, il n’est nul besoin de croire en Cthulhu, même si… tiens, à l’instant même, alors que j’écris, apparaît à ma fenêtre une forme visqueuse... non ! NOOON ! ... (hum, désolé pour ça). Proche de cette démarche, se trouve l’idée de « suspension de l’Incrédulité », pouvant également être utile. Prenez par exemple un livre exposant une idée que vous trouvez totalement merdique (chaque magicien a son écrivain « merdique » favori) et efforcez-vous de considérer le message de l’auteur sans que votre voix intérieure ne vocifère des injures. L’une des suspensions de l’incrédulité les plus délicates pour les magiciens novices consiste à surmonter le doute agaçant portant sur « tout ce bordel ne marche pas ». Malgré les longues heures de discussion et la lecture de gros bouquins signés Crowley et ses cohortes, ce doute agaçant a tendance à subsister et ne peut vraiment être dissipé que par l’expérience – un phénomène vous prouvant que la Magie fonctionne valant mieux que mille arguments. Ma conclusion sera donc que l’intensité de la croyance est la clef permettant aux systèmes magiques de fonctionner, qu’ils soient inhérents aux traditions historiques (lesquelles, regardons les choses en face, sont, de toute façon, très souvent réécrites), aux traditions ésotériques (qui ont, elles aussi évolué, au cours des siècles), ou qu’ils soient basés sur

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des romans ou des productions télévisuelles. C’est votre aptitude à être émotionnellement touchés, ou à les utiliser comme véhicules de votre volonté, qui compte. Si ça marche pour vous, allez-y.

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EXERCICES DE BASE Ces exercices ont été compilés à partir de sources diverses, et peut-être possèdent-ils peu de valeur en eux-mêmes, bien qu’il puisse être amusant de les essayer, et qu’on puisse en espérer de grands résultats. L’une de mes connaissances débuta son incursion dans la Magie du Chaos en adoptant le système de croyances d’un Chrétien Régénéré. Il est toujours Chrétien Régénéré, mais a l’air d’être heureux comme ça. 1. Lorsque vous obtenez un résultat magique (même dans le cas d’un 'échec'), essayez toujours de lui trouver plusieurs explications, celles-ci devant comprendre au moins : - Une explication liée aux caractéristiques du système magique que vous avez utilisé. - Une explication tenant du matérialisme pur et dur. - Quelque chose d’exceptionnellement stupide. 2. Lorsque vous aurez expérimenté durant un certain temps les changements de croyances, tentez d’en appréhender deux mutuellement exclusives, par exemple Christianisme et Tantra, Islam et Féminisme radical, Marxisme et Renouveau Celtique New Age. 3. Méditations dans les bibliothèques : lisez des magazines spécialisés dont vous n’avez rien à foutre, particulièrement ceux rédigés par des amateurs enthousiastes. Enchaînez également la lecture de publications proposant des points de vue opposés, comme Playboy et Spare Rib, ou Andrea Dworkin et le Marquis de Sade [1]. 4. Ne mettez pas de crapauds vivants dans votre bouche. 5. Tout le monde est un Bouddha, excepté vous ! Et tous attendent que vous fassiez un effort, donc sortez de votre lit et allez-y ! (la bouddhaïté est tout spécialement présente chez les gens que vous évitez soigneusement dans la rue).

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6. Efforcez-vous d’être constamment dans l’erreur. Dites des choses erronées puis, lorsque quelqu’un découvre une faille dans votre argumentation, admettez votre erreur, avec profusion si nécessaire. Vous pouvez cultiver l’erreur au sujet de l’heure, du jour de la semaine, d’une information politique, etc. 7. Dieux et Gourous : Être possédé par une entité (Dieu, esprit, drogue, etc.) vous permet de faire des choses dont vous ne vous sentez pas capable d’habitude. Dans une certaine mesure, la confiance placée en un Gourou fonctionne de la même manière. De telles personnes nous donnent l’assurance de pouvoir marcher sur une corde raide sans nous casser la gueule, de pouvoir jouer dans l’endroit le plus profond de la piscine sans nous noyer, ou d’être capables de jouer du tambourin habillé d’une robe orange dans une rue commerçante grouillante de monde. Le bon sens se situe plutôt là que dans votre tête. La plupart des gens ont l’habitude de dire qu’ils sont fous « comparés aux autres » (de même, beaucoup affirmeront être stupides. Peu admettront, par contre, que leurs fantasmes sexuels sont aberrants : pourquoi ?). La Magie du Chaos vous permet d’offrir une virée nocturne occasionnelle à vos pensées folles. Contrairement à ce que disent les livres, la magie est une activité de rez-dechaussée - voire de caniveau. Examinez le parcours en zigzag de Crowley, Cagliostro, Simon le Magicien et les autres. Apprenez à jongler, mimer, à sortir des lapins des chapeaux. Faites la quête avec votre haut de forme, arrachez un rire ou deux. Dans l’espace, personne ne vous entend rigoler. Mais le Chaos n’est rien d’autre que de la Matière Rieuse. Si vous voulez voir de la vraie magie en action, regardez un film des Marx Brothers. Harpo pouvait faire exploser un gant puis le traire. Mais comment faisait-il ? 8. Ces gens qui attirent le Chaos : Vous pouvez être certain de croiser parfois de ces personnes attirant le Chaos où qu’elles aillent. Elles possèdent une sorte de pouvoir étrange et intense, mais en sont souvent inconscientes, ou se trouvent

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simplement embarrassées par la fréquence des choses insolites qui abondent autour d’elles. Étudiez-les soigneusement (à bonne distance si nécessaire) et il se pourrait que vous appreniez quelques petites choses. 9. Déconditionnement. Comme je l’ai signalé plus tôt, il est relativement facile de passer d’une croyance magique à une autre, et d’obtenir des résultats concordants. Cela ne signifie pas, cependant, que changer de croyances soit aussi simple. Certains niveaux de notre complexe intérieur croyances/attitudes résistent remarquablement à toute tentative de modification consciente. De fait, certaines de ces structures sont capables de « résister » au changement en demeurant fuyantes et « invisibles » à la conscience. Il faut alors, à coups de pied dans le cul, les contraindre à s’exposer à la douloureuse lumière de l’autorévélation. Si je puis employer cette comparaison : les croyances sont comme des bâtiments (la ville des Moi), contre les murs desquels souffle le vent du Kia, l’incessant processus de Déconditionnement pouvant être comparé au fait d’attaquer des tours ; une éventuelle « frappe nucléaire » peut advenir lors d’une puissante forme de gnose - comme l’extase sexuelle, un excès de souffrance ou l’élixir d’Albert Hoffman. Le déconditionnement est un processus permanent - lorsque vous venez d’abattre un groupe de limitations (dans le Tantra, on appelle cela la destruction des Kleshas), vous réalisez que vous en contractez de nouvelles, généralement de manière inconsciente. Souvent les structures/croyances sont « nichées » les unes dans les autres, et peuvent plonger leurs racines dans de puissantes expériences formatrices. Timothy Leary appelle ce processus « Réactivité des Empreintes » : l’empreinte constituant une réponse de base à l’expérience et marquant les limites dans lesquelles s’inscrira toute expérience ultérieure. Le modèle des 8 Circuits de Métaprogrammation de Leary peut être employé pour aider au déconditionnement.

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Soyez conscient que le Processus de Déconditionnement ne se réduit pas à une expérience intellectuelle. Il est relativement facile « d’accepter intellectuellement » une expérience ou une croyance que vous aviez auparavant rejetée ou écartée. Il est plus difficile d’agir depuis votre nouvelle position, et il y a davantage de risques que s’ensuive un bouleversement émotionnel. Par exemple, un jeune magicien de ma connaissance examina ses propres croyances au sujet de sa sexualité et décida de se concentrer sur sa propre répulsion/peur de l’érotisme homosexuel. Il découvrit qu’il pouvait accepter intellectuellement ses pulsions refoulées à l’égard des autres mâles, et s’estima ainsi libéré. Il eut ensuite quelques rencontres homosexuelles, lesquelles, d’après lui, ne lui procurèrent aucun plaisir physique, mais ne firent qu’alimenter sa « croyance » de s’être sexuellement libéré. Le déconditionnement est rarement simple. Il arrive souvent que les personnes ayant vécu une expérience « illuminatrice » pensent que leurs vieilles structures répressives se sont évanouies. Abattez un building dans la ville des identités et il reviendra parfois sous une forme différente. L’un des effets de la Gnose Intense consiste à fracasser les couches de croyances, mais l’on s’aperçoit en général qu’à moins qu’un travail ultérieur ne soit fourni, la conviction de la destruction des croyances n’est que transitoire. Vous devriez aussi étudier les effets que ce processus est susceptible d’engendrer chez les autres - lire à ce sujet The Dice Man de Luke Rhinehart, l’histoire amusante et instructive d’un homme s’adonnant au déconditionnement. L’Ego, structure autorégulatrice qui nous maintient dans l’illusion d’être une personne unique, n’apprécie pas les processus tendant à l’assouplir. L’une de ses « défenses » les plus subtiles consiste à vous faire sournoisement croire (et ça peut vite devenir une obsession) que vous êtes meilleur que les autres. Dans certains cercles, ce phénomène est connu sous le nom de « Magusite », et il n’est pas étranger à la pathologie de ceux qui s’auto proclament Mages, Reines des Sorcières, avatars de la Déesse, ou Maîtres Spirituels. Si vous vous

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surprenez à parler des autres comme « le troupeau », ou « le bétail humain », etc., il est alors temps de considérer vers quoi vous vous dirigez. Pour ma part, je préfère les avantages offerts par l’empathie et la capacité à m’entendre avec les autres, aux restrictions imposées par le fait d’être un Raskalnikov potentiel, reclus et rêvant d’esclaves pour le servir. Bien que nous puissions nous faire écho des paroles d’Hassan I Sabbah, « Rien n’est Vrai, Tout est Permis », agir uniquement à partir de cette prémisse risque probablement de vous faire rentrer en conflit avec les autorités et les individus dont les idées sont assez strictes concernant ce qui n’est pas permis. Ainsi, bien qu’ils ressentent pour cela une certaine fascination, les Magiciens du Chaos sont rarement d’une totale amoralité. L’un des axiomes de base de la philosophie magique est que l’éthique grandit en soi-même, dès lors qu’on a commencé à cerner la différence entre ce que l’on a appris à croire et ce que l’on désire croire. D’excellentes indications quant au processus de Déconditionnement se trouvent dans le Liber Null de Pete Carroll, Magick d’Aleister Crowley, et dans Tantra Magick, un ouvrage réunissant des documents concernant les grades d’un ordre tantrique, oriental et occidental, nommé Amookos. 10. Tenir un Journal. Malgré la fascination de la Chaos Magic pour la spontanéité, le « fais comme tu veux », « pulvérise les sephiroth et libère-toi de tes démons par la magie », on considère généralement que tenir un journal pour y consigner ses expérimentations est une chose capitale. Un journal magique enregistre vos progrès, échecs, expériences et découvertes. Si après un rituel à vous broyer le cerveau, vous avez un flash d’illumination et que vous omettez de le coucher par écrit, il y a des chances pour que vous l’oubliez, et cette perle de sagesse sera perdue à tout jamais. En outre, il s’agit d’une bonne discipline et je remarque souvent, lorsque j’effectue le résumé d’un travail, que je me rémémore alors des choses qui ne m’étaient pas venues à l’esprit l’instant

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d’avant. Il s’agit aussi de l’une des rares fois où vous n’avez pas à censurer vos pensées, bien que les noms doivent parfois être changés afin de toujours protéger l’intimité des autres participants.

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CONCLUSIONS Ce livret est un essai destiné à faire passer certaines idées de base sur la Magie du Chaos. Vous devez garder à l’esprit en le lisant qu’il s’agit là de ma vision personnelle des choses issue de l’expérience et du parcours en zigzag que j’ai effectué dans l’étrange monde de la magie. Il n’existe pas de livres « faisant autorité » pour l’approche Chaote. Pas de charme issu d’une longue « tradition », à laquelle le magicien en herbe pourrait se raccrocher, et éviter par là la responsabilité d’être lui-même créatif et innovant. La Magie du Chaos requiert que vous vous frayiez votre propre voie, plutôt que suivre celle d’une autre personne - et la manière dont vous vous fraierez ce chemin repose largement sur vous. Vers quoi va la Magie du Chaos ? Il n’y a pas de sentier particulier, identifiable, menant « quelque part » - pas d’extase dorée et illuminatrice ou de but précis inhérent à cette approche. S’il existe un point final, c’est à vous d’en décider et à vous de le découvrir. Les théoriciens de l’approche Chaote qu’ils fassent ou non partie de la mouvance, ont souligné cette tendance « à jouer avec la magie », à essayer divers systèmes magiques avec la même allégresse que s’il s’agissait de goûter des parfums de glace. Certains pratiquants testent plusieurs techniques et rituels sans comprendre en profondeur comment ces expériences pourraient s’accorder. Du fait qu’il n’y a pas de sentier établi, on pourrait penser qu’il n’y a pas de sentier du tout, mais, là encore, c’est à chacun de décider pour lui-même. La Magie du Chaos se présente comme le reflet de nombreux aspects de la culture occidentale moderne, particulièrement l’éternelle mouvance des styles, de fragments diffus se mariant les uns aux autres, sans que l’on puisse identifier de « fil » susceptible de les relier. C’est à chacun de nous de découvrir l’intuition d’une connexion. Tirer un semblant d’ordre de ce que Austin Osman Spare nommait « le chaos du normal ». Le terme « Gnose »

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signifie également « connaissance du cœur » ; elle ne peut venir que de la découverte et de l’expérience personnelles et il est très souvent difficile de la communiquer à autrui, sinon de manière indirecte. La Magie du Chaos est simplement une approche visant à englober toute la Gnose, encourageant chaque individu à devenir responsable de sa propre évolution - ce que vous faites, et comment vous l’interprétez à la lumière de votre expérience. Il arrive que l’on me demande « ce qu’il faut faire » pour devenir un Magicien du Chaos. Il n’y a pas de véritable réponse à cette question. Vous pouvez, par exemple, pratiquer la Kabbale (et uniquement la Kabbale) durant dix ans, puis vous considérer comme un Magicien du Chaos - si telle est votre volonté. Par-dessus tout, ne confondez pas l’opinion avec le dogme, ou la fascination avec l’engagement - mais il ne s’agit là, dans tous les cas, que de ma propre vision des choses ! Hail Eris ! Phil Hine, mars 1992.
 
 
 [1] Spare Rib est une revue féministe anglaise ayant paru de 1972 à 1993. Andrea Rita Dworkin (1946-2005) était une féministe radicale connue en Amérique pour son combat contre la pornographie. NDT.

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ANNEXES Les essais qui suivent ont été choisis, car il s’agit de textes pouvant intéresser et inspirer les lecteurs désirant avoir un autre éclairage sur la Magie du Chaos, et non pour étoffer un ouvrage plutôt mince. Beaucoup sont déjà parus dans la revue Nox, ou ailleurs... Donc, si vous les avez déjà lus, allez regarder une vidéo ou faire autre chose. LIGNES DE FRACTURE « Si la Volonté s’arrête et s’écrie Pourquoi, invoquant Parce Que, alors la Volonté s’arrête et ne fait rien ». Liber AL, II, 30. Je me retrouve possédé par un démon. Obsession. Lacéré par des serres, l’amour et la haine de moi nouant mes entrailles. Hurlant ma frustration dans la nuit, le rêve brisé s’éparpillant autour du lit. Plus tard. Un rai de lumière traverse la nuit oppressante ; mon manteau de nuit, mon suaire auto-cousu. Connaissance. Intuition. Rire sauvage. Une voie étrange menant à la gnose. Une blessure auto-infligée me rattrape dans le présent. Je rampe à l’intérieur de mon centre, mon cercle, y grave un triangle avec ma plume. Je force le monstre à y entrer, délie les écheveaux de la forme ; moments de fragilité, de fièvre et d’attente, le désir enflammé par l’imagination. Je crée ma propre came, ma propre addiction. S’il faut patauger dans le « fumier qliphotique », alors qu’il en soit ainsi. Mais hors de ce fumier, j’ai entamé une conversation, une histoire qui n’a pas la moindre chance de connaître une fin heureuse. Qui a voilé ma volonté, empli mes yeux de larmes. C’est moi qui ai créé ce monstre ; un golem

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né de mes convoitises et de mes manques, et à présent, voilà que je le démonte, pièce par pièce, évacuant le pus des passions frustrées. Nous ne sommes que des nœuds dans une corde. Dénouonsles et nous glissons facilement au travers des éons, dans des rêves nébuleux. Mécanismes émotionnels Nous sommes entravés par notre passé, condamnés à répéter des schémas, des programmes écrits il y a bien longtemps ; ébauchés par la main crispée d’un enfant, confus comme une pelote de laine aux fils emmêlés ; une dialectique de moments critiques dans notre histoire personnelle. Des années plus tard, une brèche s’ouvre dans le monde, et nous qui pensions être des créatures dotées de libre arbitre et de volonté, sommes surpris par notre soudaine vulnérabilité. Pris au dépourvu, nous hésitons, et, durant ce silence, des doigts innocents, venus des profondeurs du passé, pincent des cordes ; nous nous retrouvons alors à sursauter maladroitement, sous l’emprise de monstres se multipliant d’eux-mêmes - obsessions. Mécanismes de défense Plus nous octroyons de valeur à un schéma émotionnel donné, plus il est probable que les informations ambiguës seront interprétées comme le corroborant. À l’inverse, les éléments qui le contredisent seront négligés ou rationalisés pour devenir plus malléables. Le conflit survient lorsque se produit une dissonance entre les désirs et les constructions mentales (n’avez-vous jamais eu peur de la puissance de vos propres désirs ?). Pour faire face à ces conflits, divers systèmes de défense peuvent être adoptés : Agressivité L’agressivité est une réponse classique aux désirs frustrés et à la perte de contrôle ; à la faillite des rêves dévorants. Elle

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peut être dirigée contre la source de la frustration, ou contre les autres. Apathie Perte de contrôle - perte de la personnalité et du soi. La machine s’arrête. Régression Adulte, moi ? Retour à une posture infantile. Pleurons assez fort et quelqu’un viendra nous réconforter. Peut-être avonsnous appris que nous pouvions contrôler les autres grâce aux larmes. Sublimation En d’autres termes, il s’agit de faire bonne figure. De rediriger l’énergie vers une forme plus acceptable. Mais les démons sont rusés. Évacuez-les par la porte d’entrée et ils reviendront en douce par-derrière, attendant avec toute la patience d’une araignée que vous laissiez entrebâillée la porte de votre esprit. Intellectualisation Déplacer l’affect grâce aux mots. Un petit mensonge à visée esthétique devient rapidement une source de revenus pour le psychanalyste. De telles stratégies sont normales, jusqu’à ce qu’elles deviennent obsessionnelles : une boucle fermée, fonctionnant de manière aussi automatique que la respiration. Hors de contrôle. Fantasme Le fantasme est la pierre d’angle de l’obsession, l’imagination s’y retrouve ficelée comme un poulet élevé en batterie ; la catharsis peut devenir catastrophique. Walter Mitty vit en chacun de nous, dans des recoins de tailles diverses [1]. Nous usons de fantasmes « de mise en marche » pour tisser du sens dans une situation neuve, de fantasmes « de maintenance » afin de poursuivre une tâche ennuyeuse, et de fantasmes « obturateurs » afin de nous persuader qu’il vaudrait mieux ne pas...

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Un fantasme possède un immense pouvoir, et dans les phases de grande anxiété, nous pouvons imaginer des milliers de résultats, bons et mauvais (surtout bons) relatifs à ce qui est craint/espéré sur le moment. Le fantasme se maintient dans une tension continuelle entre l’envie de le réaliser et celui de le maintenir en tant que fantasme - pour éviter de le perdre. Car, évidemment, toute tentative pour le réaliser menace son existence. Il en résulte une boucle autarcique, consolidée par nos mécanismes de défense favoris, flagellée par notre peur de l’échec et notre désir de résultat. L’obsession embrume la raison, entrave notre capacité d’agir, au point que tout le reste semble dénué d’importance. C’est une lutte de traction de corde, assortie d’une double contrainte. Le désir de maintenir le fantasme en tant que tel peut être plus fort que le désir de le réaliser. En termes occultes classiques, je décrirais une forme-pensée comme étant un monstre engendré des viscères les plus sombres de l’esprit, nourri d’énergie psychique, revêtu d’imaginaire et alimenté via des cordons ombilicaux qui se sont entrelacés durant les années de croissance. Nous possédons tous nos propres Tunnels de Set, établis en nous par l’habitude et l’élaboration de schémas psychiques, s’amoncelant les uns sur les autres. La forme-pensée nous chevauche comme un singe ; sa queue est fermement entortillée autour de la colonne vertébrale d’un moi perdu de vue depuis de longues années déjà ; une version antérieure de nous-mêmes fonctionnant machinalement à un stade de peur, de souffrance ou de désir. Ainsi sommes-nous faits ; dans les moments d’égarement, nous sentons le souffle chaud du monstre sur notre nuque, ses griffes labourant nos muscles et nos chairs ; nous dansons comme des marionnettes dont les ficelles sont là depuis des années. Dans un éclair aveuglant de perspicacité, ou mieux, sur les douces remontrances d’un ami, nous pouvons discerner le mensonge : le programme. Il est tout d’abord nécessaire de voir qu’il y a un programme. Pour pouvoir dire peut-être que cette créature est mienne, mais

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qu’elle n’est pas totalement moi. De là, la proie devient le chasseur, déchirant l’obsession en petits morceaux, nommant ses fragments, recherchant des bribes de sens dans ses entrailles. Les amoindrissant, les dévorant, ôtant une par une les pelures de l’oignon. C’est en soi une magie aussi puissante que n’importe quelle sorcellerie. Dénouer les nœuds que nous avons entrelacés et emmêlés ; débrouiller les fils de l’expérience et repérer grâce aux couleurs les chaînes du hasard. Cela peut nous rendre plus libres, plus à même d’agir efficacement, et moins susceptibles de répéter les vieilles erreurs. Tout cela a un côté casse-tête chinois. Nous ne pouvons appréhender que le présent, et il faut un intense effort de mémoire pour percevoir l’échafaudage sous-jacent. L’emprise de l’obsession se compose de trois éléments : Cognitif : nos pensées et nos sentiments relatifs à la situation. Ils doivent être impitoyablement analysés et fauchés par le vipassana [2], le bannissement ou autre stratégie similaire. Physiologique : les réactions anxieuses du rythme cardiaque, du tonus musculaire et de la pression sanguine. Le corps doit être apaisé par la relaxation et le Pranayama [3]. Comportemental : ce que nous devons faire (et plus souvent, ce que nous ne faisons pas). D'ordinaire, notre comportement obsessionnel est inapproprié et potentiellement nuisible aux autres. Il est généralement nécessaire que d’autres personnes nous le fassent remarquer. Des techniques analytiques comme le I Ching ou le Tarot peuvent être utiles. La colère du monstre me fait sursauter, me coupe le souffle, je me sens pris au piège. Tous les chemins envisageables sont jonchés de verre brisé. Le désespoir me conduit chez un ami. Il y a de la magie, en tout cas suffisamment, dans le fait d’aller demander de l’aide à quelqu’un. Un tirage du I Ching

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me conseille à la fois l’action et la non-action, de refuser le piège permanent du manque de confiance en soi. L’exercice du Pranayama me permet de me débarrasser de la tension physique (enfin, en grande partie). Le monstre rapetisse en flageolant sur ses jambes maigrelettes au travers des souvenirs gelés du passé, se dissolvant enfin en un tas de débris miroitants. Indice : je continue à les ajuster les unes aux autres, mais les images générées ne m’effraient plus. Notes [1] Walter Mitty est le héros de The Secret Life of Walter Mitty, un texte de James Thurber (1941) dont a été adapté le film éponyme. Il est en quelque sorte l’équivalent américain de notre Madame Bovary. NDT. [2] Vipassana bhavana, ou « développement de la vision supérieure » est une méthode de méditation découverte par le Bouddha. Elle consiste à prêter attention de façon intense à la réalité. NDT. [3] Pranayama : connaissance et maîtrise des énergies vitales, particulièrement par la respiration. NDT.

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HURLEMENT Le Babillage : un dérèglement délibéré des significations orchestrant une cacophonie personnelle, une descente dans les profondeurs du subconscient, afin de s’y confronter à ses « habitants » et les brider. Ceci est un bref compte rendu d’une exploration personnelle des « démons » de ma propre psyché. Plutôt que me baser sur des protocoles existants, pour les raisons déjà explicitées, j’ai préféré développer une approche toute personnelle. Je ne livre pas ce compte rendu pour imposer aux autres cette approche, mais dans l’espoir qu’il aidera ceux qui expérimentent de leur côté diverses techniques. Je ne souhaite pas non plus critiquer ou invalider les systèmes traditionnels de la goétie, je dirais simplement qu’ils ne sont pas pour moi. Ce travail débuta de façon plutôt inoffensive, par la compilation d’un « Livre Noir », une dissection de la personnalité, en termes d’habitude, de défauts, de fautes, d’idéaux, tout ce que j’étais, voulais être, ou refusais d’être. Inclinaisons, aversions, attirances et dégoûts. Puis les autoportraits, rédigés à la troisième personne : portrait positif, portrait neutre, portrait négatif. Un CV, une notice nécrologique. À tout cela fut ajouté un « Livre des Gaffes » compilant toute erreur, tout souvenir gênant, des extraits de livrets scolaires, lettres et photographies faisant resurgir de douloureux souvenirs. Des extraits choisis furent enregistrés sur cassette, puis les cassettes assemblées de façon à donner une série de cut-up. Une forme délibérée de chirurgie psychique : casser le vase pour le mouler de nouveau. Puis les inévitables aménagements sociaux ; se tenir à l’écart des autres, une si vieille nécessité, pour que vos démons ne dérangent point l’imprudent, mais également pour éviter qu’un

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quidam vous tombant dessus par mégarde, ne vous prenne pour un psychotique et ne vous enferme dans un asile. Je décidai de me contenter d’une nourriture simple, riche, facile à préparer. Avec une réserve d’herbe pour un coup de pouce chimique. Des drogues ? Qui en a besoin ? En attendant, quelques substances naturelles peuvent aider à faire avancer les choses. Le temple : noir, sans fenêtres, sans ornements, mais pas vide ! Sur les pourtours de la pièce, j’entassai tout un bric-àbrac. Des planches, un seau d’argile, des bouteilles, des postes de radio cassés, des rebuts provenant d’un terrain en construction, des pots de peintures, des outils, un pistolet à peinture, tout ce dont je pourrais avoir besoin, et quelques trucs supplémentaires. Mettre à jour l’Habitant Intérieur : Légion est son nom. Je me préparais à une descente dans le labyrinthe, afin d’y faire la connaissance des « Oubliés », avec seulement le plus petit des fils d’Ariane pour m’y retrouver. Pourquoi prendre de tels risques psychologiques ? C’est le voyage intérieur, le ventre de la baleine, la fête des Prédateurs. Pourquoi partir seul, sans la sécurité de rituels et bannissements testés et approuvés ? Eh bien, je n’ai aucune confiance en tous ces vieux livres, ces moines fous, leurs Nécronomicons et Sceaux blasphématoires. À quel prix, la connaissance interdite ? Environ 7€ en édition de poche, voilà. Ridicule ! Je décidai donc de compiler un grimoire vivant. Un produit de l’ère technocratique, dont j’allais employer les débris pour façonner mes rêves. « Le Hurlement » - le sifflement, la vocifération, les cris parasites de radios captant des ondes mortes. À présent, au travail ! Une structure lâche étant requise (c’était du moins mon parti-pris), je mis au point une hiérarchie basée sur les travaux du psychologue Abraham Maslow, incluant les démons de « survie » - faim, soif, etc., les démons de « l’Ego » (amour-propre, image de soi, etc.), et des

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conceptions plus abstraites telle la soif de connaissance ou de sagesse. Plus bas se situe le niveau hiérarchique, plus primitifs sont les désirs qui s’y trouvent. Les techniques : inonder et vomir (manger et excréter) inonder la conscience d’images données, mettre bas (évoquer) le démon, lui donner forme, corps, et pour finir un nom ou un sceau. Les cassettes cut-up de la personnalité avaient pour rôle d’agir comme des sceaux auditifs - des orages émotionnels suscités par la remise en mémoire intense (répétition) de groupes de souvenirs - lâcher les hyènes du cynisme sur un but ou une idée qui vous est chère. Les moyens de la Gnose : surcharge sensorielle, hyperventilation, de vieilles fréquentations comme la faim, la soif ou l’épuisement. 120 heures sans sommeil parent la conscience d’un beau « liseré » paranoïde. Rendre les images cohérentes : peindre avec ses doigts, façonner de l’argile mélangée à des fluides corporels et des excréments, sculpter à l’aide de verre brisé, et les méthodes plus classiques : sceaux, écriture automatique, dessins effectués d’un seul trait. Ce sont les moyens par lesquels prennent forme les « Oubliés » - ces « psychographes », accumulés dans les coins du temple, qui lui donnent l’aspect chaotique d’une œuvre de Spare. Mais hélas, ils sont bien en dessous des images et des visions qui dansent autour de moi. Je hurle : « Un autre tas de merde pour le Grand Livre ? » et tape dessus à coups de marteau, puis m’effondre, épuisé, avec des haut-le-cœur, sur le sol du temple. Les lignes rouges du yantra-circuit sur le sol sur le sol me semblent particulièrement moqueuses et indifférentes à mes efforts. Il y a dans ma tête comme une sensation de « violente torsion », le craquement de mes vertèbres brisées, animal impuissant dont on tord le cou, et des noms jaillissent de ma gorge : ZZZNNNAAAAAAA SHKAAA GNAAAAA IIAAAA

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Et les chacals font irruption pour se nourrir, et je me mets à rire, car tous ont mon visage. J’émerge de ce moment dans une sorte de détachement serein, momentanément vidé de toute autre sensation. Je fais le tour du temple, comme si je voyais tous ces détritus pour la première fois, en examinant soigneusement le désordre, en considérant chaque œuvre à demi achevée, comme si elle ne me concernait en rien. Je peux même donner des noms à certaines de ces œuvres : « Tu es Uul – la peur de l’échec, tu es Hamal – la culpabilité qui n’a pas disparu ». Ces noms, et leurs sceaux, constituent la base d’un alphabet des contraintes. La seconde partie de cette opération consista à expérimenter avec l’alphabet obtenu - assujettir les démons pour en faire des armes magiques destinées à un usage ultérieur. La phase initiale terminée, je dormis environ dix-huit heures, et me réveillai affranchi du délire frénétique que j’avais élaboré. Au cours des six mois qui suivirent, je traversai des accès périodiques de dépression, de paranoïa et de dégoût de moimême. Lorsque cela survenait, l’emploi des sceaux et des noms appropriés permettait de bannir ces démons, de les renvoyer dans leurs bouteilles.

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EXTASE TECHNIQUE La plupart des techniques magiques destinées à engendrer un état modifié de conscience (EMC) peuvent être rangées dans l’une de ces deux formes de Gnose physiologique : Inhibitrice ou Excitatrice. Au cours des deux dernières décennies, bon nombre de ces techniques ont été étudiées dans des conditions de laboratoire, et deux facteurs importants ont été isolés, connus respectivement comme la Réaction d’Accoutumance et de la Réaction de Désaccoutumance. La réaction d’Accoutumance concerne les processus neurologiques qui surviennent lorsqu’un individu se concentre sur une seule donnée, à l’exclusion des autres, autant qu’il est possible de le faire. Ainsi, toute technique visant à concentrer la conscience sur une unité, comme le mantra-yoga, le contrôle du souffle, le chant, le tournoiement ou la danse, oriente l’esprit vers un point focal choisi. Cet exercice a un effet particulier sur une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Formation Réticulaire. La Formation Réticulaire est, en quelque sorte, un système de censure qui « décide » quel stimulus sensoriel sera transmis aux centres supérieurs. C’est, par exemple, l’action de la Formation Réticulaire qui permet à une personne endormie de ne pas être réveillée par des bruits familiers, alors qu’un bruit inconnu la tirera de son sommeil. Du fait que la Formation Réticulaire module l’expérience perceptive du cortex cérébral, une seule donnée, toujours la même, peut servir à « amortir » l’activité de la Formation Réticulaire. Ce phénomène inhibe en retour l’activité du cortex cérébral, centrant ainsi la conscience sur l’objet désiré. De cet « endormissement » cortical, semble résulter un « haut degré de cohérence neuronale » (comme l’a postulé Karl Pribram). Une hypothèse affirme que la quiétude engendrée dans le cerveau par la réaction d’accoutumance réduit la quantité de « bruit » cérébral, à savoir les signaux neuronaux incohérents. Des schémas d’habitude indistincts les uns des autres se

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rendent clairs à la conscience, de sorte que nous devenons plus conscients du monde extérieur et que pouvons percevoir des aspects plus subtils de nos expériences. Ainsi, plus l’activité neurologique se fait ordonnée et cohérente dans le cortex, plus nous accédons à une conscience plus vaste et plus englobante de nos expériences. À l’inverse, si le cortex cérébral est surstimulé, du « bruit » est engendré dans nos structures neuronales, de sorte que notre conscience de l’environnement s’en trouve réduite.
 
 D’autres types d’exercices magiques ne cherchent pas à centrer la conscience sur un point unique, mais à l’élargir jusqu’à ce que l’individu puisse avoir en permanence conscience du champ total de l’expérience - à la fois intérieure et extérieure. On trouve des exemples de ces techniques dans le Vipasana du tantrisme, l’Attention du Zen, ou la technique de « rappel à soi » de Gurdjieff. Des recherches montrent que les pratiquants avancés ne s’habituent jamais aux bruits de fond, et qu’ils gardent pleinement conscience d’actes normalement automatiques. De telles techniques sont généralement connues sous le nom de Métanoïa - apprendre à regarder le monde de diverses manières. Il semble que les modifications dans le schéma neuronal produites par ces processus servent à « désaccoutumer » la Formation Réticulaire aux stimuli. Ainsi, après une séance de méditation, le monde semble plus vif ou plus neuf, parce que la fréquence des impulsions neuronales se trouvant à la base de l’expérience consciente a tout d’abord été « ralentie », puis de nouveau stimulée, de façon à ce que ces impulsions « s’enflamment » ensuite à un rythme plus intense que la normale. Le physicien David Bohm pense que si nous parvenions à envisager l’univers sur un mode holistique plutôt que fragmenté, alors nos esprits commenceraient à fonctionner de manière similaire, et il en découlerait « une action coordonnée » dirigée vers ce tout. C’est certainement le cas

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pour moi, ayant appris par l’expérience que nous vivons dans un univers Magique. Au sujet de la Folie et des Voyages Mystiques Les travaux d’antipsychiatres comme David Cooper et R. D. Laing ont popularisé l’idée que le syndrome complexe appelé schizophrénie est semblable, en de nombreux aspects, à un voyage mystique, et entretient des rapports étroits avec les voyages intérieurs des chamans et les odyssées des héros présents dans les mythes culturels du monde entier. Cependant, une chose est certaine : le chaman ou l’initié est un agent actif - sans peur, ce qui est rarement vrai des individus en proie à la schizophrénie. Tout comme l’initié « en transe », les schizophrènes expriment souvent un sentiment d’impuissance sur le monde qui les entoure, la dissolution des frontières de l’ego, et la sensation d’être - d’une manière ou d’une autre – « différent » ou isolé. Il semble que nombre d’entre eux échouent à trier les stimuli significatifs de leur environnement, et éprouvent la sensation d’être écrasés par ce qui se passe autour d’eux. Il existe un large panel de théories s’attachant aux « causes » de la schizophrénie, depuis des approches purement génétiques jusqu’aux perspectives exclusivement écologistes. Dans la perspective neurologique, une thérapie connue sous le nom d’Intégration Sensorielle a conduit à des spéculations intéressantes sur la nature de l’expérience transcendantale. Des recherches au cours de la dernière décennie ont montré que certains désagréments vécus par les schizophrènes étaient inhérents au processus de sélection des informations c’est-à-dire trier les données importantes. Ce trouble viendrait du fonctionnement anormal d’une région du pédoncule cérébral connue sous le nom de Noyau Vestibulaire, elle aussi reliée à la Formation Réticulaire. Le Noyau Vestibulaire intègre les informations provenant des sens ; par conséquent, un problème à ce niveau de fonctionnement subcortical se manifestera par une forme ou une autre de « confusion »

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dans la conscience. Le déficit neurologique peut être dû à des anomalies génétiques, menant à une évolution atypique du cerveau, ou provenir de réactions au stress. L’activité du niveau subcortical, qui achemine l’information destinée à devenir le contenu de l’expérience consciente, est selon certains neurologistes, la clé des EMC. Des chercheurs ont postulé que de tels vécus pouvaient être programmés à un niveau génétique, mais que c’est l’expérience individuelle qui décide en fin de compte si le programme va se manifester comme expérience évolutive (menant à une capacité de survie accrue) ou si le système aura plutôt tendance à « planter ». Illumination « L’Illumination... l’inspiration, l’éveil et la libération dépendent du succès de ces méthodes [de Gnose] » Pete Carroll, Liber Null. L’illumination est l’objectif ardemment désiré par des milliers de personnes dans le monde, lesquelles ont employé diverses psychotechnologies et développé leurs propres psychocosmes. L’illumination a également été liée à l’emploi du LSD et d’autres drogues similaires, et - chose peut-être la plus mystérieuse entre toutes - il semblerait qu’elle puisse se produire spontanément chez des gens qui ne l’espéraient ni n’en connaissaient l’existence. Qu’est-ce qui caractérise l’expérience de l’Illumination ? Nona Coxhead, un chercheur spécialisé dans les « États de Béatitude » recense certains facteurs prédominants : 1. Unité - affaiblissement de la frontière moi/l’autre. 2. Dépassement de l’espace et du temps comme barrières limitant l’expérience. 3. Sensations positives. 4. La conscience du numineux. 5. Un sentiment de certitude - la « réalité » de l’expérience.

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6. Intuitions paradoxales. 7. Caractère transitoire de cette expérience - elle ne dure pas. 8. Changements qui en découlent dans l’attitude et le comportement. En termes neurologiques, de telles expériences correspondent à une réorganisation de l’activité cérébrale dans son ensemble. La disparition des limites de l’ego et l’implication de toutes les perceptions laissent à penser que la Formation Réticulaire est influencée de telle sorte que les processus cérébraux donnant la sensation d’être enraciné dans l’espace-temps sont momentanément inhibés. La sensation de « flottement » souvent associée à la projection astrale et autres phénomènes de ce type, suggère que le système limbique du pédoncule cérébral (qui traite les informations proprioceptives relatives à la position du corps dans l’espace) se comporte également de manière inhabituelle. Nous sommes les fruits de cette expérience - les intuitions, perceptions et messages ramenés sur terre par les illuminés ? L’évolution de la conscience, par le biais de ces moyens, pourrait bien constituer un important programme de survie une façon d’aller plus loin que l’information donnée, une manière d’apprendre comment modifier le biosystème humain via l’environnement. La théorie des « structures dissipatives » d’Ilya Prigojine montre comment l’instabilité des systèmes ouverts leur permet d’être autotransformants. À la base de cette théorie, réside l’idée que le mouvement de l’énergie à travers un système y cause des fluctuations ; ces fluctuations, si elles atteignent un niveau critique (le point cuspide catastrophe), engendrent de nouvelles interactions, jusqu’à ce qu’un nouvel ensemble soit engendré. Le système se réorganise alors en un « ordre supérieur », plus complet que le précédent et réclamant plus d’énergie pour se maintenir. Il est en outre plus facilement disposé à une future transformation. Cette théorie peut également s’appliquer à l’évolution neurologique, où une psychotechnologie (ancienne ou moderne) sera utilisée comme outil de changement.

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Les principales étapes du changement semblent être : 1. Changement. 2. Crise. 3. Dépassement. 4. Transformation. 5. Prédisposition à des changements ultérieurs. Le Réflexe Conditionné Les recherches au sein des nouvelles Sciences du Chaos commençant à saper les fondements de la réalité postNewtonienne, toutes les disciplines basées sur cette vision du monde devront finalement être reconsidérées. Des révolutions dans les sciences commencent à se produire, impliquant un changement d’orientation d’une perspective réductionniste vers une perspective intégrationniste. Cela va de pair avec la prise de conscience de plus en plus forte qu’une révolution dans les esprits est en train de s’accomplir. La fragmentation de la culture occidentale montre assez clairement comment la loi « diviser pour régner » est à l’oeuvre dans tous les aspects de notre expérience. Notre culture est profondément égocentrique – l’attitude prosaïque de singes brandissant des outils. Notre boucle comportementale « nous sommes supérieurs/vous êtes inférieurs » a dominé nos relations culturelles entre humains et avec les autres espèces de la planète, et il est également à la source de notions telles que le libre arbitre ou la spiritualité. Au tournant du siècle, le passage de la religion à la science comme approche dominante pour définir la réalité, démontra que nous les singes avions besoin d’une dimension ontologique de l’acte afin de nous sentir en sécurité dans un monde de plus en plus perçu comme hostile. L’espace laissé vacant par le déclin de la religion fut rapidement comblé par les cultes de la psyché : la psychanalyse, et diverses liturgies mystiques/magiques. Ce qui offrit un mode de pensée

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confortable aux classes moyennes en cours de développement. L’illumination devint une façon supplémentaire de montrer qu’on valait mieux que ses voisins. Cette attitude a fini par devenir prédominante au cours des dernières décennies. Une magie pouvant être acceptée par la culture de masse perd toute sa puissance transformatrice, devient un agent du statu quo. Explorez par tous les moyens vos « mondes intérieurs », mais ne faites pas de vagues. L’évolution est sacrifiée à la sécurité. Dans un monde de chenilles, le papillon est un ennemi redoutable pour la stabilité. L'Ego Le concept d’Ego, provenant des cultes psychanalytiques et fermement incorporé dans notre champ d’expérience, sert à maintenir la séparation corps/esprit tellement ancrée dans notre vécu. La soi-disant pensée New Age semble préoccupée de se débarrasser de l’Ego ou de le transcender Ego derrière lequel se trouverait, cela est sous-entendu, un Moi Supérieur. Cette fiction de Moi Inférieur/Moi Supérieur maintient la scission entre « spiritualité » et vie de tous les jours. Personnellement, je préfère l’idée que nous sommes une multiplicité de personnalités ou, comme l’affirme le Tantra une boule de corps entrelacés de Shaktis (désirs-complexes) interagissant - mais pas toutes à la fois, avec Shiva (ou Kia), la divine étincelle de conscience. Une autre idée utile est que, plutôt que « vaincre » l’Ego, il est possible de passer d’une condition Ego-centrée à une condition Exo-centrée. Dans le premier cas, le moi, maintenu dans sa cohésion par le rejet de tout ce qui n’est pas lui, est séparé des autres. Dans le second, le moi est constamment renouvelé et modifié par ses relations avec les autres. Comme nous l’avons montré, les différentes pratiques psycho-technologiques comme la magie produisent des changements dans le système nerveux - la base des EMC et de l’apprentissage accéléré. L’un des moyens les plus anciens - et les plus controversés, d’induire de tels états est la

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drogue. L’utilisation, par des cultures « primitives », d’agents comme la Mescaline ou le Peyotl a longtemps été un sujet d’intérêt pour les Sciences Humaines, alors même que l’expansion de la culture des drogues à l’Ouest se heurtait à la répression et à la criminalisation. Des drogues contrôlées par ceux qui détenaient le pouvoir social furent autorisées : le tabac, l’alcool et les barbituriques – des choix de consommation considérés comme acceptables. Il serait naïf de minimiser l’influence des drogues dans la magie occidentale, cependant l’abondance des discours moralisateurs sur le sujet va de pair avec cette idée que les EMC obtenus via les drogues ne sont pas aussi valides que ceux atteints par d’autres itinéraires. Les recherches sur l’usage et l’abus des agents psychotropes montrent que leurs utilisateurs expérimentent les mêmes effets que lors d’une Illumination obtenue par d’autres techniques. Cependant, un chercheur américain, W. N. Pankhe, a souligné que le risque le plus sérieux pouvant se présenter après l’expérience, réside dans l’effort devant être effectué pour l’intégrer dans la vie quotidienne. Pour preuve, par exemple, le nombre de victimes de l’Acide qui finirent Chrétiens Régénérés. Le LSD fut, après tout, étudié par la CIA dans les années 50 comme éventuel moyen de « lavage de cerveau ». Si vous désirez lire quelques-unes des recherches modernes sur l’Illumination via les Psychotropes, consultez les travaux de Stanislas Grof.

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PISTES DE LECTURES Thundersqueak - Angerford & Lea Magick, The Book of Lies - Aleister Crowley Liber Null & Psychonaut - Pete Carroll Liber Kaos - Pete Carroll The Book of Results - Ray Sherwin Cosmic Trigger - Robert Anton Wilson Illuminatus ! - Robert Anton Wilson & Robert Shea Principia Discordia - Malaclypse le Jeune La Chasse au Snark - Lewis Carroll The Book of Pleasure - Austin Osman Spare Liber Cyber - Charlie Brewster Metamagical Themas - D. R. Hofstadter Tantra Magick - Mandrake of Oxford IMPRO - Keith Johnstone Practical Sigil Magick - Fra. U.D. Secrets of the German Sex-Magicians - Fra. U.D. Chaos Servitors : A User Guide - Phil Hine The Spirit of Shamanism - Roger Walsh Escape Attempts - Stan Cohen & Laurie Taylor Chaos - James Gleick SSOTBME - Ramsey Dukes Azoetia - Andrew D. Chumbley Stealing the Fire from Heaven - Stephen Mace

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DU MEME AUTEUR Prime Chaos, disponible auprès de Chaos International Publications, BM Sorcery, London WC1N 3XX, UK Condensed Chaos, disponible auprès de New Falcon Publications, 1739 East Broadway Rd, Suite 1-277, Tempe, AZ 85282, USA. The Pseudonomicon, disponible auprès de Productions, PO Box 17995, Irvine, CA 92713, USA.

Dagon

Un choix d’articles de Phil Hine (et d’autres auteurs) est disponible sur le site Chaos Matrix : http://www.chaosmatrix.org/ Le Site de Phil Hine : http://www.philhine.org.uk/ 
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Titre original de l’ouvrage : Oven Ready Chaos, par Phil Hine. Traduction française par Lysianne, 2009.

KAosphOruS : http://chaos.heliogabale.org/ Le Site de Lysianne : http://www.lysiannedetey.fr/

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