QU’EST-CE QU’UN OBJET ?
Alain Badiou (1° semestre 2002)
(1) 9 mars 2002
1
(2) 16 mars 2002 Exercices.
4 5
(3) 23 mars 2002 Corrigé des deux premiers exercices Les deux derniers exercices
8 9 10
(4) 30 mars 2002 Rappel bref Idée générale Exercice : Retour sur Rilke / Heidegger
10 10 12 13 13
(5) 11 avril 2002
14
(6) 18 mai 2002
17
(7) 8 juin 2002
20
(1) 9 MARS 2002 Qu’est-ce qu’un objet ? Ce sera le sujet du cours de cette année, dont l’aspect principal sera d’introduire une dé-liaison du couple traditionnel sujet/objet., avec pour ambition de produire une catégorie de l’objet indépendante de la catégorie de sujet. 1) Situer cette entreprise 2) Question de la localisation de l’être-là, en prenant « là » comme une caractéristique intrinsèque, une spécification possible de ce que peut être un objet. L’objet est ce qui se laisse compter pour un dans l’espace de l’être-là de l’être. La notion d’objet est généralement prise dans le coupe sujet/objet, dans un dispositif verrouillé par Kant. La catégorie d’objet n’est pas extraordinairement ancienne ; dans la philosophie grecque on ne trouve rien d’équivalent. L’objet est une instance de la donation d’être dans le cadre d’un certain type de déploiement de la catégorie de sujet. On pourrait dire qu’il s’agit d’une catégorie post-cartésienne. Quel est le sens élémentaire d’objet ? La réponse élémentaire est : c’est ce qui se laisse compter pour un dans le champ qu’un sujet expérimente. En ce sens, il est absolument solidaire de la catégorie d’expérience. Donc c’est une catégorie au croisement de l’empirique (corrélatif de ce qui est donné dans l’expérience) et du transcendantal (on est renvoyé au régime de constitution de l’expérience par le sujet).. Cette signification est dominante jusqu’à aujourd’hui. Elle est consolidée par les empiristes anglais jusqu’à Hume, puis par Kant. Elle reste dominante à travers le couple phénoménologie / philosophie analytique, couple aujourd’hui académiquement hégémonique. Ce qu’il y a de commun à ces deux traditions c’est qu’elles admettent qu’objet est le nouage qu’on a signalé, celui où donation et constitution se rencontrent. À vérifier dans Husserl et dans Wittgenstein. Husserl. La question de l’objet comme polarité des intentionnalités de la conscience. C’est tout le problème de ce qu’il appelle la « synthèse passive ». Une référence : tout à la fin de la seconde des Méditations cartésiennes Husserl dresse le tableau des tâches de la phénoménologie (penser le système de tous les objets d’une conscience possible et se livrer à leur propos à une recherche constitutive).
Wittgenstein : Investigations philosophiques. §126. Le philosophe place seulement toute chose devant nous et n’explique ni ne déduit rien, puisque que tout est étalé sous nos yeux il n’y a rien à expliquer. Ce qui est caché ne nous intéresse pas, c’est une invention. L’objet c’est ce qui d’aucune manière n’est caché. Pour Kant aussi, l’objet se montre, ce qui est caché c’est la chose en soi ; pour Wittgenstein la philosophie c’est la pensée de ce qui est là. Ce qu’il y a de commun aux deux c’est que l’objet est ce qui est dans l’évidence de l’expérience, ce qui dans l’expérience est effectivement là. §109. « Nous ne devons construire aucune théorie, il ne doit y avoir rien d’hypothétique dans nos constatations, toute explication doit disparaître et être remplacée par de la description. »
Le programme est aussi celui d’une description pure de ce qui est sous nos yeux. L’objet est l’unité possible dans une description pure. « Description pure », c’est ce qui rend raison de l’objet, d’une part du problème de ce qui fait qu’il est là, d’autre part de ce qui fait qu’il est là pour moi, dans le cadre d’une expérience singulière déterminée qui est la mienne. Donc, rendre raison et de la passivité et de la synthèse, qui est langagière pour Wittgenstein, mais pas nécessairement pour Husserl pour qui elle se situe plutôt du côté des intentionnalités de la conscience. La tâche de la philosophie est donc une tâche descriptive, ce qui se situe directement dans l’héritage de Kant. C’est une tradition empiriste puis scientiste qui insiste sur la passivité. On part de l’objet, voire de l’objectivité. On privilégie le côté donation. La tradition transcendantale met l’accent sur le côté de la constitution. Parenthèse. Il faudrait savoir qu’elle est la position de la théorie de l’objet dans la psychanalyse. On pourrait s’en débarrasser en disant que sous le même mot se cachent deux choses différentes. À quelle épreuve est soumise la catégorie d’objet ? Chez Lacan, il y a un mouvement qui tend à assigner l’objet au statut d’une cause. C’est un schème qui n’est ni celui de la donation ni celui de la constitution. Si l’objet est cause du désir cela suppose qu’il soit donné, qu’il y en ait même une donation primordiale, une archidonation. Il n’est pas réductible néanmoins à cette donation : en tant qu’il va revenir à sa place il va fonctionner comme cause du désir. Mais l’objet cause du désir n’est pas comme tel constitué par le sujet, on dirait plutôt l’inverse. Pour Lacan l’objet est le corrélat contingent du sujet, par quoi une partie de l’inconscient est machinée. Le sujet du désir n’est rien sans l’objet, mais l’objet est contingent. L’objet assigne le sujet à une radicale contingence de son être. Cure analytique : par des moyens étranges, constituer le champ de la logicisation de la contingence du sujet. La tentative va être d’appeler objet toute multiplicité pour autant qu’elle est là, c’est-à-dire dans l’assignation de son être à la singularité d’une situation. Pas pour autant qu’elle est là pour moi, mais pour autant qu’elle est là en soi. Il y a une figure de l’être-là qui produit de l’objet indépendamment de toute instance subjective. En ce qui me concerne, j’ai passé des années à essayer de montrer qu’on pouvait faire une théorie du sujet sans passer par la théorie de l’objet. J’entreprends maintenant le contraire : déterminer l’objet sans le sujet. Je voulais identifier la figure pure du sujet dans le champ de donation qui était celui de ce que j’ai appelé l’événement, qui n’est pas dans l’enchaînement structural à l’objet. Le sujet était certes sous condition mais pas dans une condition de sujet ou de structure. Cela ne voulait pas dire que je pensais qu’il n’y avait ni objet, ni objectivité. Cela aurait été comme un miracle. C’était une figure pure de sujet, en partie héroïque, parce que l’enchaînant à une rencontre qui l’excède de toutes parts. On sait que c’est cela le sujet. Mais il y faut quand même de l’objet. Tout cela a lieu dans des situations, dans de l’être-là, dans un monde. Qu’est-ce qu’il y a ? Le sujet est une forme du surgir, du devenir, de ce qui est fidèle à soi-même. Mais il y a du mondain ; il faut y revenir pour ne pas être dans le désespoir de la rareté du sujet. Il faut donc une théorie de l’objet, une théorie du monde, des mondes ; mais de même, il faut penser l’objet indépendamment de la figure du sujet. Il faut penser le monde avant l’homme, avant tout regard, fût-ce celui de l’animal. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un monde avant tout regard, un monde avant même l’idée de la possibilité d’une expérience du monde. La théorie de l’idéalisme pur est empiriquement insoutenable. Est-il possible de produire un concept de l’objet qui soit arraché à toute conception subjective ? Il faut revenir ici à l’héritage hégélien, cette tentative d’identifier un monde, l’être-là, comme dimension intrinsèque de l’être et non comme résultat de l’expérience. C’est l’être en tant qu’être-là (différent de l’être en tant qu’être qui est l’ontologie pure). C’est donc s’engager dans une pensée de l’être qui est liée à la détermination d’un lieu, l’être étant toujours localisé, étant là. On tente de le faire sans le sujet ayant conscience du là. Il faut donc une théorie pure du lieu. Or, le lieu est fortement marqué par l’expérience. Etre-là c’est être là dans le champ spatial d’une expérience possible. Il faut une théorie du lieu qui ne soit que
secondairement une théorie de l’espace, qui est une figure empirique de la localisation. Il faut arracher le lieu à l’expérience, le temps également, qui n’est peut-être qu’un espace particulier. Donc faire une théorie de l’être-là, ou du lieu dont espace et temps sont éventuellement des cas particuliers. Donc pas au sens d’une localisation spatiale. Méditer sur l’être-là comme ne disposant pas un espace prédonné. Ce sont au contraire les lois de l’être-là qui doivent rendre compte et de l’espace et du temps, dont il ne saurait y avoir de figure prédonnée. Dans l’histoire de la philosophie Aristote est celui qui a distingué lieu et espace ; cf. le Livre IV de la Physique. Il y est expliqué que le lieu est différent de l’espace ; donc, tentative d’une localisation qui n’est pas absolument située dans l’espace. Aristote montre que gauche/droite, haut/bas ne sont pas des déterminations incontestables, puisqu’elles changent selon ma position. « Dans la nature, au contraire, chaque détermination est définie absolument. » Le haut est l’endroit où est transporté le léger, la flamme, le bas, celui où sont transportées les choses terreuses ou pesantes. Aristote ne donne par d’exemple pour la droite et la gauche. Les choses mathématiques n’ont aucune droite et gauche intrinsèquement, c’est différent par rapport à nous. Qu’est-ce qui est localisable absolument ? Mais il faut distinguer être et être-là, sinon il n’y a pas non plus de localisation. Aristote dira, le lieu n’est pas la forme, il n’est pas non plus la matière, donc il ne saurait être la substance, celle-ci étant composée de matière et de forme. Qu’on pense le canard, comme forme, ou comme matière, quand on le mange, on ne pense pas le lieu du canard. On ne peut donc penser le lieu ni comme être, ni comme expérience. On va entrer dans le lieu par la langue. Par les divers sens du mot « dans ». Il s’agit de « comprendre dans combien d’acceptions une chose peut être dite dans une autre ». Il n’y a pas de solution empirique, pas de solution ontologique, il faut se référer à la sémantique de « dans ». Fin du § 4 : « Le lieu est la limite immédiate, immobile de l’enveloppe. » À remarquer : 1) cela ne comporte aucune référence à l’expérience 2) ne se laisse pas dériver de la substance car ce n’en est que l’enveloppe L’enveloppe c’est la chose saisie dans sa pure surface ; ce qui est la frontière d’un étant, ni lui-même, ni pas lui. Il y a lieu s’il y a intérieur. Toute chose a un intérieur, à savoir une enveloppe. Lieu d’un objet : prescription d’immobilité. On pensera la mobilité à partir du lieu, pensé comme immobile. Enveloppe/intérieur. Si on veut penser le lieu comme dimension intrinsèque et pas déductible à partir de la substance il faut un opérateur qui colle à la chose, et cependant n’est pas identique à son être. Limite de l’enveloppant, plutôt que limite de l’enveloppe. L’objet pris dans une dimension qui lui est propre. Si ça l’enveloppe, c’est lui qui est l’intérieur. Ce qui est là, c’est ça. C’est son être puisque que limite. C’est la première tentative, de faire de l’être-là une détermination intrinsèque, non réductible à ce qui est. Localisation en tant que pure identification d’une intériorité de la chose elle-même. Ce qui est dans une substance, mais ce n’est pas en tant que substance qu’il est là. Conception générale de l’intérieur ; on n’a rien d’autre que la multiplicité pure. Figure générale de la question du lieu. Cela suppose qu’on opère dans un référent quelconque. Il faut accepter d’être dans une situation quelconque, on n’est pas nulle part. Il n’y a pas d’absolu de la localisation comme l’espace pour Kant. Si on prend l’ensemble E et l’élément e, e appartient à E, alors que e’, qui est en dehors, n’appartient pas à E. Qu’est-ce que E ? Rien d’autre que l’ensemble des éléments qui lui appartiennent. Rien d’autre que sa puissance de localisation. E a pour intérieur l’ensemble des éléments qui lui appartiennent, mais il n’est rien d’autre que cela. L’intérieur de E c’est la même chose que E lui-même. On n’a, ce faisant, produit aucun concept de l’intérieur. On a posé que être-là = être. On essaie de considérer des parties. La partie B localise des éléments dans E. Mais on n’a toujours pas de concept de l’intérieur : j’ai assigné un élément e à une partie de E. Le fait que e appartient à B fait que B est à son tour la collection des éléments qui lui appartiennent. C’est une localisation extrinsèque, elle régionalise l’appartenance. Tous les éléments de B sont des éléments de E. Comment parvenir à un concept de l’intérieur ? Nécessité de ne pas être astreint à ce que les éléments d’une multiplicité ne soient pas cette multiplicité. On est resté dans des catégories ontologiques. L’étape à franchir par conséquent est de déterminer le concept de l’intérieur qui désidentifie l’intérieur de la multiplicité dont il est l’intérieur. C’est là le geste intellectuel fondateur de toute topologie. Distinguer l’intérieur de la chose de la chose, c’est de cela qu’il s’agit. Décoller de la pure présentation multiple. Il est impossible de procéder empiriquement mais on ne peut pas non plus procéder
ontologiquement. On va donc procéder axiomatiquement. (2) 16 MARS 2002 Ma thèse initiale est qu’on peut reformuler la catégorie philosophique d’objet d’une autre manière que dans sa perpétuation contemporaine, où elle demeure liée transcendantalement ou empiriquement à celle de sujet. Notre tentative consiste à essayer de définir l’objet indépendamment de la supposition d’un sujet. Notre mot d’ordre est : rendre possible l’idée d’un objet sans sujet. Pour autant, il faut qu’objet soit une catégorie qu’on puisse placer par rapport à la catégorie générique d’être, et donc penser l’être-là, au sens d’une détermination localisante de l’être. Localisation de cet être lui-même, qui advient à l’être-là comme manifestation constitutive de son apparaître, qui est celui de l’être lui-même. C’est un apparaître qui n’est pas une apparence. Il est de l’être de l’être de se manifester, d’être-là. A partir de là on assumera deux choses : 1) Qu’en est-il de la détermination de l’être comme tel ? On dira que l’être saisi dans son être est considéré simplement comme multiplicité. La multiplicité sans qualités, il en existe un développement qui est la mathématique. Un être = une multiplicité ou un ensemble. 2) Théorie du lieu. La voie de l’objectivité est la théorie de l’être-là des multiplicités ; ce n’est pas incompatible avec l’ontologie de Deleuze. Dans cette filiation on a l’idée que l’exercice de la pensée est toujours une topique des multiplicités. On s’était tourné du côté de la théorie du lieu pour la distinguer de la thèse passive de l’espace. On avait commencé par Aristote, qui propose une thèse physique (= de l’être naturel) dans sa localisation. Pour Aristote, tout étant a un lieu naturel. On avait conclu qu’il fallait s’engager dans une topique du lieu, donc dans une topologie générale. 1) Être = multiplicité pure. Figure de l’ensemble E avec un élément x qui lui appartient. 2) Lieu : à s’en tenir à la multiplicité comme telle, elle est sans détermination de ce qui constitue son intérieur. La relation d’appartenance permet de se demander ce que veut dire « dans », comme Aristote l’a fait. On peut dire x est dans E en faisant coïncider localisation et appartenance. L’intérieur de E c’est tout ce qui lui appartient, c’est-à-dire la définition de E lui-même. Donc, entre être et intérieur il y a identité. Donc, on n’a toujours pas de concept de l’intérieur. On pourrait dire que ce dont on a besoin, c’est de la possibilité de distinguer un multiple en tant qu’être pur et ce multiple. La question du lieu va donc exiger une détermination axiomatique de l’intérieur. Il est impossible de faire une axiomatique hors de toute situation d’être. Sinon on redouble l’axiomatique des multiplicités. On travaillera donc toujours à partir d’une multiplicité donnée. On constituera un univers multiple de référence, soit E. On suppose donc une donation d’être, mouvement très important, d’ailleurs hégélien ; on va considérer pour commencer les parties de E. A ⊆ E. La définition d’une partie de E est que tout élément x qui appartient à A appartient également à E ?. X ∈ A —> x ∈ E On va définir ce que c’est que l’intérieur d’une de ces parties. On s’est donné l’ensemble des parties, soit P(E). Il faut un opérateur général soit Int (A) A⊆E On va raisonner sur une intuition de l’intérieur. 1) L’être de l’intérieur va être un certain multiple, car nous n’avons que du multiple. Ce qui compose cet intérieur de A doit venir de A lui-même. On posera : Int (A) ⊆ A 2) Si on se demande ce qu’est l’intérieur de l’intérieur Int (Int (A)) = Int (A) On posera que c’est l’intérieur de A. Une fois qu’on est à l’intérieur on y est, il n’y a pas d’autre intérieur. 3) Axiome opératoire. Si on a deux parties A et B qui se coupent, qui ont donc une partie commune on notera cela A ∩ B . Que se passe-t-il dans ce cas-là pour les intérieurs ? Qu’est-ce que Int (A ∩ B) ? Int (A ∩ B) = Int (A) ∩ Int (B) L’intérieur de l’intérieur, c’est ce qu’il y a de commun aux deux. 4) Qu’en est-il de l’intérieur de E. E est notre univers de référence. Donc il n’a pas d’extérieur. S’il n’y a pas d’extérieur, il n’y a pas non plus d’intérieur. L’intérieur d’un univers c’est l’univers lui-même.
Dans ce cas Int (E) = E Ces 4 énoncés constitueront notre axiomatique de l’intérieur. Exercices. 1) Montrer que l’intérieur de l’ensemble vide est égal à l’ensemble vide lui-même. Un ensemble vide est un ensemble auquel rien n’appartient. Int (Ø) = Ø 2) Si A est inclus dans B alors montrer que Int(A) ⊆ Int (B) Deux commentaires : a) Intérieur est une fonction qui, à chaque partie de E fait correspondre une autre fonction, l’intérieur de A. Cela va des parties de E aux parties de E. Nous n’avons pas donné de définition univoque de l’intérieur. Il peut y avoir plus d’une fonction Int sur un même ensemble. On a défini formellement ce qu’était l’intériorité. On n’a pas dit, étant donné un multiple A, voici quel est son intérieur (c’est cela qui serait une définition univoque). 3) Int (A) = A Est-ce que cela vérifie les 4 axiomes ? 4) Int(E) = E Int(A) = Ø Veut dire : l’intérieur de tout est vide, sauf l’univers. Il n’y a pas d’autre intériorité que l’intérieur de la chose. Conception maximale ; il y a identité non intérieur de la chose à elle-même. — Il n’y a pas d’intérieur sauf l’univers. On va introduire ici le concept fondamental d’ensemble ouvert. On appellera ouvert tout ensemble qui est identique à son intérieur. On a un univers E, une partie particulière (O) et une fonction (Int) déterminée. O est ouvert si Int (O) = O On verra que tout univers est ouvert. Je voudrais suspendre à cette définition un examen de l’importance extrême de la notion d’ouvert dans la pensée contemporaine. Quelle est la signification de cette opposition ? Quelques références : —Bergson qui oppose la société close à la société ouverte. — Importance de la notion d’ouvert dans l’herméneutique de Heidegger. — C’est un attribut fondamental de toute multiplicité pour Deleuze, que d’être ouverte. Il n’y a pas de multiplicité exclusivement sous le signe de l’Un. — Question de l’ouverture à l’autre dans la philosophie morale. — Pour Popper, les sociétés démocratiques sont des sociétés ouvertes. L’ontologie de la démocratie est ouverte. — Il est de l’essence du marché d’être « ouvert ». Donc le XXe siècle a été traversé par cette question de l’ouvert. «Ouvert » est bien une question de localisation de l’être. C’est valable pour une société mais c’est valable pour l’individu sur le plan de la morale ; ce concept topique a donc un champ d’application énorme ; c’est de plus un concept normatif, ouvert voulant dire que c’est mieux que fermé. C’est différent de la position de Fichte quand, faisant l’apologie du fermé il parle de « l’État commercial fermé ». Pourquoi cette supériorité affirmée de l’ouvert ? Cela ne relève-t-il pas d’une option ontologique ? Mon hypothèse est que « ouvert » est bien une catégorie de l’être-là. Le privilège de l’ouvert est donc bien une option spéculative, et relève d’une décision.. Il y a deux référents sur l’ouvert comme décision sur l’être : 1) Bergson, qui est un peu l’inventeur de la chose. Cf. tout le début, en particulier, du chapitre IV, des Deux sources de la morale et de la religion, et la remarque finale sur mécanique et mystique. La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat. (p. 283)
La société close est donc une multiplicité indifférente au reste. En même temps elle est toujours prête à se défendre ou à attaquer. L’attitude combative est constitutive de son identité.
Bergson ajoutera que telle est la disposition naturelle des sociétés humaines que l’élan vital constitue ainsi, car il leur impose la norme de la survie comme individu, espèce ou groupe ; il y a obligation de survie et ces impératifs de survie constituent l’identité du groupe. Le clos c’est donc ce qui se comporte comme un univers référentiel. La société ouverte est celle qui embrasserait en principe l’humanité entière. (284)
C’est selon lui encore une conception restrictive, il faudrait embrasser la vie elle-même, comme intensité créatrice universelle. L’ouvert c’est donc le mode propre sur lequel une unité se rapporte à la totalité, dont elle se voit comme une composante. La totalité est ici comme une figure d’excès par rapport à la simple identité. Comment peut-on se rapporter à une totalité ? Bergson dit que cela ne peut être une obligation (la forme de l’obligation indique qu’on est dans le mode du rapport à sa propre identité), sinon c’est qu’il y a une identité à protéger. Bergson dira que cela ne peut se faire qu’en réponse à un appel, formulé par une singularité imprévisible, incalculable, ce qu’il appelle « mystique ». Il y a opposition stricte entre devoir et appel. Il s’agit dans les deux cas de la vie — vue comme instance de création de la diversité. Il est vital, pour cette diversité, d’être dans le principe de sa survie, chaque élément persévère obligatoirement dans son être ; — vue comme l’être de la création comme telle, de ce qu’il y a de communément créateur dans la diversité elle-même. Il s’agit donc bien d’une opposition de caractère ontologique. Le clos c’est la vie dans ses produits, l’ouvert c’est la vie dans sa créativité. Dans ces figures de l’ontologie vitaliste (Spinoza, Bergson, Deleuze), l’ouvert c’est la puissance de l’Un dans son élan vital, lisible en chacun de ses résultats. On est là dans la mystique car on subordonne l’identité à autre chose qu’elle-même. Mystique : subjectivité adaptée à la productivité créatrice, à l’élan vital. La mystique crée de l’ouvert, c’est ce dont elle est capable. Elle subordonne l’identité à l’Un ou à la totalité. C’est donc une désidentification. Le devoir, la morale, c’est la nécessité de l’identité certes vitale et respectable. À propos de la mystique, Bergson écrit : Cet élan se continue ainsi par l’intermédiaire de certains hommes dont chacun se trouve constituer une espèce dont il est le seul individu.
L’ouvert est donc lié à l’exception. Mais en tant qu’exception il laisse entendre aux autres la figure de l’élan vital comme tel, c’est ça l’appel. L’ouvert c’est donc l’être-là de l’être, comme tel. La thèse ontologique de Bergson c’est qu’il y a deux espèce d’être-là et non pas une seule. C’est un point qui ne me semble pas tenable. L’être est unique, l’être-là est double, soit résultat, inertie, produit transitoire (pour Deleuze actualité). C’est l’être-là dans la figure du clos. Puis un être-là plus proche de l’être, en tant que création, ça c’est l’ouvert. L’opposition clos/ouvert c’est l’opposition de deux formes de l’être-là. C’est la vie contre la survie ; l’option ontologique est qu’il y a une forme « authentique » de l’être-là. La vie comme capacité créatrice est visible dans le mystique. 2) Qu’en est-il de l’ouvert chez Heidegger ? C’est le nom possible de deux choses. D’abord celui qu’il déchiffre chez Rilke (8e Élégie). Cela désigne l’étant en totalité. Ensuite, l’ouverture de l’étant à son être. Est-ce si éloigné de Bergson, une fois défalqué le vocabulaire vitaliste de Bergson ? La proposition théorique la plus détaillée de Heidegger se trouve dans le texte « Pourquoi des poètes ? », contenu dans Holzwege (Chemins qui ne mènent nulle part). C’est pour part une interlocution avec Rilke et son usage du mot « ouvert ». Le texte de Heidegger, assez enchevêtré, comporte deux strates principales : a) élucidation de ce que Rilke entend par ouvert b) élucidation de ce qu’on pourrait entendre par ouvert si on n’était plus, comme Rilke, encore prisonnier d’une certaine clôture métaphysique. a) Qu’est-ce que Rilke entend par ouvert et qu’en pense Heidegger ? Rilke : Huitième Élégie v 1-34 : De tous ses yeux la créature regarde l’ouvert. Nos yeux seuls sont comme inversés et dressés autour d’elle comme des pièges, barrant sa libre issue. Ce qui est dehors nous ne le savons qu’à travers le visage de l’animal ; car déjà le petit enfant
Nous détournons son regard et le contraignons à regarder vers l’arrière, la mise en forme, et non pas l’ouvert, qui est si profondément visible dans le visage de l’animal. Libéré de la mort. C’est elle, elle seule que nous voyons ; l’animal libre a sa perte toujours derrière lui et devant lui il y a Dieu, et quand il marche, alors il marche Vers l’éternité, comme les sources. Quant à nous, jamais, pas un seul jour, nous n’avons le pur espace devant nous, celui où les fleurs éclosent à l’infini. C’est toujours un monde Et jamais un nulle part sans rien : ce qui est pur, qui n’est pas sous surveillance, que l’on respire et que l’on sait infini et qu’on ne désire pas. Comme enfant l’un se perd dans ce silence et en est ébranlé. Ou bien tel autre meurt et il l’est. Car près de la mort on ne voit plus la mort Et on regarde dehors, peut-être avec l’immense regard de l’animal. Ceux qui s’aiment, si l’autre n’était pas là, qui masque la vue, en sont près et s’émerveillent. Comme par mégarde cela s’ouvre à eux Derrière l’autre… Mais personne Parvient au-delà et tout redevient monde pour lui. Perpétuellement tournés vers la création, nous ne voyons sur elle que le reflet de la liberté que nous obscurcissons. Ou bien ce qu’un animal, Muet, aperçoit et discerne paisiblement à travers nous. C’est ça le destin : être en face Et rien que cela, toujours en face.
v. 66-75 Et nous : spectateurs, toujours, partout, tournés vers le tout et jamais vers le dehors ! Nous sommes submergés. Nous y mettons de l’ordre. Cela se défait. Nous le remettons à nouveau en ordre et c’est nous qui nous défaisons. Qui nous a ainsi mis à contresens, pour que, quoique nous fassions, nous soyons toujours dans l’attitude de celui qui part ? Et comme lui qui, sur la dernière colline, celle qui encore une fois lui montre toute sa vallée, se retourne, s’arrête, s’attarde… Ainsi vivons-nous sans jamais cesser de prendre congé.
Pour Rilke, l’ouvert est l’événement de la vie qui se donne hors de toute question sur le monde. D’où trois paradigmes : 1) Le plus insistant, l’animal, c’est être nativement dans le monde, non pas face au monde, ce qui est le destin de l’homme, être en face et être spectateur. Il y a une cécité à l’ouvert. Animalité au sens d’un regard sans question parce que ce qu’il regarde n’est pas un spectacle. 2) Figure de l’enfant Elle est présente ailleurs de façon plus déployée. Nous le dressons à devenir « en face ». Exemple aussi de l’amour : les amants (hors témoin), ont la même intériorité au monde quand ils « sont seuls au monde » que l’animal (= un certain type d’être au monde). L’animal pour lequel il n’y a pas d’objet. Pour les amants le rapport originel n’est pas que le monde soit un spectacle. On est dans l’amour, sauf quand l’amour doit rendre des comptes à l’autre. L’amour est une proposition de l’ouvert. 3) La création poétique elle-même. Le poème en conclut que l’homme est une créature à contresens. Qu’est-ce qui nous a placés ainsi, comme si tous nos gestes étaient ceux « d’un qui s’en va ». Nous sommes à contresens parce qu’en face de, en face du monde, dans son objectivation. On est à l’envers, le monde demande qu’on soit en lui. C’est un contresens au double sens du terme. Ça c’est l’objet. Le rapport au monde de celui qui est à contresens est l’organisation. Tout cela désigne négativement ce qu’est l’ouvert. Non pas en face mais à l’intérieur. Non pas à contresens mais dans la bonne direction. L’ouvert c’est ce
qui barre la route à l’objectivité. Le monde de l’ouvert n’est pas objet. Sauf si on est spectateur. Heidegger va récollecter cette signification. « L’entière perception… totalité de l’ouvert. Laisser venir est perception pure immanente. En fin de compte, rapport immanent à la totalité. Heidegger va opposer à cela une autre conception de l’ouvert, plus virtuelle. « Ce que Rilke nomme ainsi l’ouvert… Il oppose à l’ouvert de Rilke, qui est l’immédiateté immanente de la vie perceptive (le regard sans question) le monde est une habitation et non une question, une conception comme ce qui fait être l’étant comme étant, ce qu’il appelle l’éclosion. Donc pas la totalité des étants mais le mode propre selon lequel un étant s’accorde à son être, ce qui le fait être comme étant. Dans ce deuxième sens alors (le premier sens (celui de Rilke) apparaît comme le clos, le non éclairci. Car dans ce deuxième sens l’ouvert c’est la question, celle de l’être de l’étant. 1) Ouverture de l’être à la totalité (Rilke) 2) Ouverture de l’être à la question de son être. L’ouvert désigne un partage de la pensée qu’on pourrait dire partage entre totalité et question ; ouvert désigne une ouverture à la totalité, mais aussi ouverture à la question de son être. Regard de l’animal vs question du penseur. Le regard de l’animal est pour le penseur l’in-questionné radical, l’absence de toute question. Heidegger va traiter des points communs entre les deux. Il va valider toute la question négative de Rilke ; il est bien vrai que la position de l’objet interdit l’ouvert aux deux sens. « En érigeant techniquement le monde en objet l’homme s’obstrue délibérément et complètement la voie vers l’ouvert, voie qui lui est de toute façon déjà bornée. »
On peut tourner l’objet au sens de Rilke vers l’objet au sens de l’objet. Il y a complicité du poète et du penseur autour de l’objet. Une fois sorti de la figure de l’objet on peut se tourner plus facilement vers la question de l’être de l’étant. Cf. p. 260 : « Ceux qui risquent plus sont les poètes, mais ceux dont le chant tourne notre être sans abri face à l’objet, ces poètes chantent car ils […] surmontent tout l’objectif des objets ».
L’ouvert poétique est au-delà de la figure des objets, et ce faisant rend possible la question de l’être des étants. Pourquoi des poètes ? Parce que pour accéder à la question il faut d’abord raturer l’objet, se déprendre d’un face à face avec le monde. On voit donc se dessiner chez Heidegger une stratégie de l’ouvert. Ouvert désigne poétiquement une sorte de propédeutique non questionnante à la question, dans la figure de déposition de l’objet. Fonction négative de l’objet, de type poétique, on se déprend de la technique, doit restituer une innocente perdue. Vision pour qui la poésie est ce qui tourne vers la question parce qu’elle n’est pas tournée vers la question, elle nous y raccorde. Condition non questionnante de la question, c’est la poésie. L’ouvert désigne les deux choses. Finalement, ouvert désigne toujours à la fois affirmation et négation ; ouvert c’est ce qui n’est pas clos mais désigne aussi une direction. Offen / Offenheit Déjà présent chez Bergson. Possibilité ambiguë d’un être-là de l’être soit dans une figure de totalité, soit dans une figure créatrice. (3) 23 MARS 2002 Introduction à l’usage que nous allons faire de la catégorie d’ouvert. Je reviendrai sur le livre d’Agamben, L’ouvert, qui vient de paraître. On avait tenté de montrer que les catégories heideggérienne et bergsonnienne déterminent l’ouvert comme une dimension événementielle de l’être. Ouvert c’est ce qui permet de penser un étant (Heidegger) ou un vivant (Bergson) dans la dimension de son être, d’ouvrir l’étant à sa dimension d’être, d’ouvrir un vivant ou une société vivante à la dimension de la vie ; c’est une vision où ce qu’il y a est redisposé dans l’être de son être. L’ouvert c’est ce qui fracture la délimitation d’un existant dès qu’il est transi par son être. On prend le résultat en tant que porté par ce dont il résulte. L’étant redisposé dans la dimension de son être. Ouvert = dimension d’être d’une détermination de cet être, avènement de l’être d’un étant, de la vie d’un vivant. En ce sens cela désigne une dimension générique de l’être lui-même. L’ouvert chez ces penseurs c’est l’événement de l’être, qu’il faut distinguer des résultats.
Remarque incidente. Cette disposition exprime quelque chose comme l’anti-hégélianisme de ces pensées ; pour Hegel, en effet, l’être est tout entier dans son résultat, il passe tout entier dans son effectuation, à travers le passage par la négativité, quitte à revenir. La pensée de Hegel est une pensée de l’historicité de l’être, son devenir c’est lui-même. Chez Bergson ou Heidegger quelque chose dans le résultat est perdu, il y a une dualité entre intention/concept, vie/mécanique. Pour Hegel il y a une différence ontologique être/étant. On aboutit à une pensée de l’être comme réserve. Ouvert va nommer cette réserve, pour autant qu’on ouvre l’étant à la puissance d’être dont il résulte ; réserve événementielle de l’être ; être appréhendé comme événement et non seulement comme résultat. En ce qui me concerne on n’assumera pas « il y a un événement de l’être », qui est une thèse néothéologique. Elle suppose une figure d’unité de l’être. Il y a sens à parler de l’être en tant qu’en capacité d’événement. L’être est un singulier en puissance d’éclosion. On fera l’économie d’une thèse de ce genre ; on ne pourra pas déterminer l’ouvert comme figure d’un avènement de l’être. on partira d’une définition de l’être de caractère topologique. Il y aura les ouverts, donc définition topique du multiple. Pas de singularisation de l’ouvert. On part de E qui est une multiplicité donnée et du réseau de ses parties : A⊆E La définition d’une partie est : x∈A→x∈E On définit sur les parties de E la fonction Int suivant les 4 axiomes suivants : 1. Int (A) ⊆ A 2. Int (Int) (A) = Int (A) 3. Int (A ∩ B) = Int (A) ∩ Int (B) 4 Int (E) = E Ces axiomes peuvent tout aussi bien être considérés comme les axiomes du topologique. On a une théorie intégrale de ce qu’est un lieu ; c’est une axiomatique de ce que c’est qu’être dedans. Corrigé des deux premiers exercices 1) Ø (¬ ∃ x) ( x ∈ ∅) . Qu’est ce que Int (Ø) Int (Ø) ⊆ Ø Mais rien d’autre dans le vide que le vide. Toute partie du vide est vide. Int (Ø) = (Ø) C’est l’amorce d’une réflexion sur la totalité et le néant. Ils sont topologiquement définissables comme une coïncidence avec leur intérieur. Cela veut dire qu’ils n’ont pas de frontières, ils n’ont pas de « peau ». Une frontière en effet n’est ni extérieure ni intérieure. La totalité n’a pas d’extérieur. Le rien n’a rien qui puisse faire frontière. 2) (A ⊆ B) → Int (A) ⊆ Int (B) Si A ⊆ B A∩B=A Int (A) = Int (A ∩ B) A savoir Int (A) ∩ Int (B) Int (A) ⊆ Int (B) On passe du rapport entre les parties au rapport entre les intérieurs. On a montré que l’intériorité ontologique entraîne l’intériorité topologique. C’est une sorte de transitivité de l’intérieur. On propose alors une définition de l’ouvert. On le définit comme le fait qu’un ensemble est identique à son intérieur. O⊆E O est ouvert si Int (O) = O Ouvert est légitime puisqu’il n’a pas de frontière. Il est donc ouvert à l’extérieur. C’est vrai, de ce point de vue, qu’un organisme vivant est clos. Conséquence immédiate : le référentiel E est un ouvert. Tout univers est donc ouvert. C’est une pensée intuitive et profonde : ne mérite le nom d’univers que ce qui n’a pas de frontière ; si on pouvait se le représenter il serait clos, puisqu’il aurait un extérieur. « Les frontières de l’univers » est une expression incohérente. Le vide est un ouvert. On aura donc toujours deux ouverts obligatoires, l’univers et le vide.
Il y a toujours de l’ouvert. Y a-t-il d’autres ouverts ? On va classer les topologies en fonction du nombre des ouverts car cette notion cristallise la différence entre ontologie et topologie. On ne peut disposer d’une vraie théorie du lieu, si on ne dispose pas d’un vrai concept de l’intérieur, et si donc l’intérieur diffère au moins quelquefois du multiple considéré. Sinon il n’y a pas d’efficacité localisante. Pour qu’un multiple soit vraiment différent d’un autre il faut une frontière. Il n’y a donc topologie véritable que s’il existe des frontières. Au fond, l’être-là n’est distinct de l’être que s’il y a des frontières, et s’il n’y en a pas, il n’y a que l’être pur (être non localisé), il n’y a pas d’être-là (sol de toute singularité). Toute singularité est frontalière, exige qu’il y ait des frontières ; en même temps il ne peut pas y avoir toujours des frontières, car l’univers n’en a pas et le vide non plus. Aux deux extrémités des types de topologies on trouvera : 1. La « topologie grossière », pour laquelle il n’existe que deux ouverts, E et Ø. 2. La « topologie discrète » pour qui tout multiple est ouvert. Ce sont les deux cas-limite, entre les deux on trouve toutes les topologies réelles. On va extraire de la caractérisation topologique des règles de pensée topologique. On se demandera, étant donné une théorie efficace du lieu, une topologie réelle, quelle est cette structure. On va en extraire une théorie générale de ce qu’est une localisation. On va dégager cinq caractéristiques : 1) Toute cette doctrine du lieu repose sur une structure d’ordre, ici l’inclusion. 2) Pour cet ordre il y a un minimum, qui n’est autre que le vide. 3) Il a un maximum, E lui-même. 3) Il y a un opérateur de « l’être en commun ». Ce sera l’intersection. 4) Il y a un opérateur infini (l’enveloppe) (sans infini, pas de localisation possible). Les deux derniers exercices I. Vérifier que la topologie grossière est bien une topologie, c’est-à-dire vérifier que c’est bien conforme aux 4 axiomes de l’intérieur de penser qu’il n’y a que deux ouverts. On définit Int comme Int (E) et Int de tout le reste = Ø. II. Montrer que la topologie discrète : Int (A) = A dans tous les cas, répond bien aux 4 axiomes (4) 30 MARS 2002
Rappel bref L’objet est une catégorie de l’être-là, de l’être plus sa localisation, donc de son être au monde. Ce n’est pas une catégorie de l’expérience. Ce n’est pas non plus une détermination strictement ontologique. Il n’est ni subjectivé, ni absorbable ou réductible à la pensée de l’être comme tel. On a fixé notre propre conception de ce qu’est une localisation et de ce qu’est un ouvert. Il faut toujours garder présents à l’esprit les quatre axiomes du lieu : (1) Int (A) ⊆ A (2) Int (Int)(A) = Int (A) axiome de stagnation (3) Int (A ∩ B) = Int (A) ∩ Int (B) (4) Int (E) = E totalité, ou référent Une fois qu’on est doté de cela on pourra dire que E est un espace topologique, ou bien encore qu’on l’a doté d’une structure topologique, c’est-à-dire qu’on dispose d’une multiplicité référentielle plus une fonction (Int) sur P(E). La pensée topologique est une pensée partitive et non pas élémentaire. Il y a hétérogénéité entre appartenance et inclusion. Cela se donne dans le fait qu’il y a toujours plus de parties que d’éléments. Il y a impossibilité de réduction d’un multiple à ses éléments. C’est ce que j’ai appelé le théorème du point d’excès. C’est un point fondamental de la théorie de Cantor. Il entraîne des conséquences très importantes. Ce théorème est un carrefour de la pensée. L’être-dans (priorité de l’immanence) a deux formes (appartenance et inclusion). La composition
partitive a toujours une puissance supérieure à la composition élémentaire ; j’ai proposé d’appeler présentation la composition élémentaire (un ensemble n’est rien d’autre que cela) et représentation la composition partitive. Les éléments sont présentés deux fois, originairement par E, puis par A. Cela ouvre à une vision philosophique de la multiplicité, qui dit que la représentation est toujours en excès sur la présentation. Signification politique ; la critique de la représentation, de la démocratie directe, tourne autour de cette question de la représentation. Les parties = l’état de la situation. Le théorème de Cantor dit qu’il y a dans l’état toujours une puissance supérieure à celle de la présentation pure. Cet excès est errant et non mesurable. La question de la démocratie c’est comment faire valoir les droits de la présentation simple sur l’excès de la puissance de la représentation. On est toujours « sur-compté » par l’État. La question de la localisation est principalement partitive. C’est une topologie. La pensée opératoire, la relation algébrique, se passe entre éléments (cf. x + y = z). D’où deux orientations de pensée : topologique, c’est-à-dire liée à la notion de partie, localisation ; algébrique — opère sur les éléments. Certaines philosophies sont plutôt topologiques dans leur orientation, d’autres plus algébriques. Ontologiquement, rien dans le représenté qui ne soit présenté. L’idée qu’on va dresser la vie nue contre la représentation est une chimère. Pour ce faire, il faut que quelque chose d’hétéronome advienne, il n’y a pas à espérer de fin de l’État. Il faudra donc des opérateurs de délocalisation, donc nécessairement un opérateur de désobjectivation. Ensuite, définition de notre concept de l’ouvert. Quel est le lieu de l’humain comme tel ? Pour Agamben nous sommes à la fin d’une époque d’un certain type de localisation de l’humain. Définition technique : est ouverte une partie du référentiel E identique à son intérieur Int (O) = O Un ouvert est quelque chose qui n’a pas de frontières. La frontière n’est topologiquement assignable ni à l’intérieur ni à l’extérieur. C’est une partie de A qui est dans A au sens ontologique et pas dans A au sens topologique. Est ouvert ce qui est coextensif à son intérieur. Cf. Rome ville ouverte. L’ouvert dans la guerre est toujours une figure de la défaite. Il ne saurait donc y avoir de valorisation systématique de l’ouvert. Or, ce concept a une longue histoire normative. Les ouverts sont ceux qui ne portent pas de spécification de l’intérieur, ne le déterminent pas dans sa différence. Cela désigne ce qui n’est pas à proprement parler marqué par cette topologie. L’ouvert est une sorte de point neutre de la topologie, puisque qu’il n’y a pas de différenciation intérieur et extérieur. À partir de là se dessine l’espace actif d’une topologie. Intérieur systématiquement différent / intérieur systématiquement identique. I/ Int (A) = A Topologie entièrement inactive, « discrète » II/ Int (A) = Ø Int (E) = E Il faut vérifier que c’est conforme aux axiomes. I/ Topologie discrète (1) Int (A) ⊆ A Si Int (A) = A c’est évidemment le cas Id pour (2) (3) Int (A ∩ B) par définition = A ∩ B Int (A ∩ B) = A ∩ B = Int (A) ∩ Int (B) La topologie discrète est un idéal possible de quelque chose qui laisse tout ouvert. On pourrait penser à l’architecture contemporaine et son travail sur le verre. II/ Topologie grossière Il faut examiner deux cas : a) A ≠ E b) A = E a) (1) A est réellement inclus dans E. Ø ⊆ A Le vide est nécessairement une partie de toute multiplicité, car il est impossible de l’en empêcher. Être une partie : x ∈ A → x ∈ E Ne pas être une partie : ∃x [(x ∈A) et (x ¬ ∈ E)] C’est impossible pour le vide puisque le vide n’a pas d’élément. Il est donc impossible d’empêcher le vide d’être partie universelle. (2)Int Ø = Ø
Or Ø = Int (A) Int (Int (A) (à savoir Ø) = Ø = Int (A) (3) Int (A ∩ B) = Ø = Int (A) ∩ Int (B) (et Int (A) = Ø et Int (B) = Ø) Reste à démontrer b) Il y a donc bien deux topologies : discrète et grossière. Une localisation ordinaire va se situer entre les deux. Il y aura des ensembles ouverts et d’autres qui ne le sont pas. Tout ne sera pas ouvert. Mais il n’est pas requis que rien ne le soit. Donc, élément de distribution topologique de l’ouverture, qui n’est ni universel, ni absent. Il y aura de l’intérieur différencié, mais pas systématiquement. Une localisation est en général une distribution de l’ouvert, qui n’est ni minimale ni maximale. C’est cette distribution qui va caractériser la topologie. Une topologie est une singularité distributive. Cette distribution intermédiaire est la contingence primordiale de la localisation. Tout production architecturale effective, par exemple, doit manier l’ouverture dans des clauses de fermeture qui lui sont propres. C’est la singularité d’un monde. La contingence d’un monde est le type de distribution topologique. Un monde est un certain type de régime de l’être-là. C’est ça que j’appellerai le transcendantal, T. Le transcendantal d’un monde c’est sa topologie sous-jacente, la raison intime de la contingence du monde. Donc il faudra explorer le transcendantal d’un monde. Idée générale On supposera un espace topologique E, avec une fonction Int, qu’on représentera comme un plan. Le problème va être de connecter un ensemble quelconque à l’espace topologique sous-jacent, c’est là l’espace de localisation. Pour ce faire on considérera les ouverts de E. Cela dépendra de la corrélation organique entre un multiple et le transcendantal. Ce sera la fonction d’apparaître du monde considéré. Que veut dire que quelque chose « est là » ? L’être-là c’est la localisation dans un espace topologique E. Que sait-on du multiple de départ ? On sait qu’il a des éléments, x et y. Il faudra que la localisation dise comment elle se comporte par rapport à x et à y. Quelque chose qui est là est là selon un certain principe de différenciation de ce qui le compose. La fonction sera une sorte d’évaluation des différences internes à A du point du monde considéré. Donc cela portera sur le degré d’identité de (x,y) par rapport à E. La question est : ce qui apparaît dans un monde est-il le même ou est-il différent ? Le degré d’identité Id(x,y) est « localisé » (mesuré) dans l’espace topologique considéré. Int est une opération de localisation. Cela fournira le protocole d’apparition dans le monde considéré. Ce sera une détermination intrinsèque de ce que c’est qu’apparaître ; le monde, c’est une échelle d’apparition. Problème technique : il faut affiner la logique des ouverts, donner des critères pour la fonction (Id). Parmi les identités possibles, celle de x à lui-même, à savoir, Id(x,x). Ontologiquement, cela vaut le maximum. Dans l’apparaître c’est autre chose. Nous appellerons Id(x,x) existence de x, soit Ex. On distinguera donc entre être et existence ; E est une catégorie de l’apparaître, et non de l’être. a) affiner doctrine du transcendantal (plan référentiel) b) définir indexation du transcendantal sur espace topologique c) proposer une théorie de l’existence. Désormais : T = transcendantal : ensemble des ouverts d’un espace topologique E. Un élément du transcendantal Oi. Oi ∈ T veut dire Oi est une partie de E. Int (Oi) = Oi ( Oi est une partie ouverte) Caractéristiques structurelles de T Ø∈T Le vide est toujours un ouvert Int (Ø) = Ø E∈T E (ensemble référentiel est toujours ouvert Int (E) = E Ø = la plus petite partie de E, le minimum E = la plus grande partie de E, le maximum Cela va donner un cadrage des intensités d’existence.
3e propriété : Étant donnée une partie A quelconque de E : A ⊆ E Int (A) ∈ T L’intérieur de quoi que ce soit appartient au transcendantal. Quel que soit A, l’intérieur de A est un ouvert. Il y a une ouverture intrinsèque de tout intérieur. Le transcendantal contient donc tous les intérieurs. Exercice : Montrer que Int(A) est le plus grand des ouverts contenus dans A, donc l’union de tous les ouverts de A. L’intérieur d’une multiplicité est une synthèse de tout ce qu’il y a en elle de contenu, d’ouvert. Question de l’intersection. O1 ∩ O2 c’est un ouvert forcément. Modalité de l’axiome 3. Démonstration : En vertu de l’ax 3 Int (O1 ∩ O2) = Int (O1) ∩ Int (O2) Mais comme ce sont des ouverts Int (O1) = O1 et Int (O2) = O2, Donc O1 ∩ O2 est ouvert parce que identique à son intérieur. Il y a corrélation entre topologie et opération, il y a là quelque chose d’algébrique. 4e propriété : L’intersection de deux ouverts est un ouvert. C’est une autre manière de dire que l’intersection d’une intersection est l’intersection des intersections. C’est là une clause de fermeture opératoire = on ne sort pas du champ des ouverts. Il y a fermeture pour l’intersection. 5e propriété. Problème des unions d’ouverts = O1 U O2 C’est l’ensemble des éléments de O1 + les éléments de O2, alors que l’intersection représentait la totalité des éléments communs aux deux. Exercice : Montrer que O1 U O2 est ouvert. Une union infinie d’ouverts reste ouverte. Pour l’instant on suppose qu’on sait ce qu’est un ensemble infini I i ∈ I i est en nombre infini. On appelle cela « ensemble des indices », cela permettra de compter les ensembles de l’union : O1, O2, O3… On, On+1… C’est une indexation infinie d’ouverts. N, l’ensemble des nombres entiers serait par exemple l’ensemble des indices de cette opération. Mais notre ensemble d’indices est quelconque. U i∈I Oi c’est une union d’ouverts en nombre i, tous numérotés dans I. Cela reste un ouvert. Le prédicat d’ouverture est fermé pour les unions infinies. On touche à la connexion entre notion d’ouvert et notion d’infini. Ouvert et infini sont compatibles. Retour sur Rilke / Heidegger Chez Rilke, concept vitaliste et fini de l’ouvert, exemple de ce qui est ordonné à l’ouvert c’est l’enfant, l’animal, l’amant. C’est une finitude innocente de la vie, un abandon irréflexif à cette finitude. L’adversaire est la réflexivité. La finitude est entre la limite et l’élan, c’est une sorte de fusion. Heidegger dit, cela reste limité. L’ouvert c’est l’ouverture de l’étant à son être. C’est l’éclosion de l’étant dans son être. Ce que tous les deux maintiennent c’est l’idée qu’il y a un événement de l’être : l’ouvert est dans une connexion primordiale à la finitude. On retrouve là l’opposition vie / pensée qui est constitutive de la germanitude. Il s’agit de se réaccorder à l’authenticité de la finitude. Je crois qu’il faut dire qu’il y a une connexion entre ouvert et infini. cf. U i∈I Oi. Pour moi c’est un déplacement majeur du problème de l’ouvert et de la finitude. Il s’agit de se réapproprier l’infini. L’essence de l’ouvert c’est de supporter l’union ouvert / infini. U i∈I Oi Il y a i ouverts. I est infini. Que vaut son intérieur ? Int (U i∈I Oi) ? Qu’y a-t-il dans l’union elle-même ? Si on a x ∈ U i∈I Oi cela veut dire que x appartient au moins à un des ouverts en question. X ∈ Oi
(∃i) [ x ∈ Oi] Par conséquent U Oi est faite de tous ces x On a nécessairement U i∈I Oi ∈ Int (U i∈I Oi) Et comme en vertu de l’axiome 1 on a Int (a) ⊆ A, cela fait que U i∈I Oi = U i∈I Oi Montrer que étant donné une collection d’Oi, ouverts indexés dans un ensemble infini I, l’union de cette collection est nécessairement incluse dans son propre intérieur : U i∈I Oi ∈ Int (U i∈I Oi) Tout élément de cette union est nécessairement contenu dans un des Oi de la collection. Il faut combiner cela avec le fait que pour chaque Oi, Oi = Int (Oi) On voit que la fonction Int se combine avec les coalescences infinies. On voit apparaître quatre propriétés fondamentales, qui seront la base des opérations sur le transcendantal a) minimum = le vide b) maximum = E c) opération finie = ∩ d) opération infinie = U Le transcendantal a une connexion opératoire finie et une infinie. Il est ouvert sur l’algèbre et ouvert sur les regroupements infinis ; Le transcendantal est un nœud de l’opératoire et de l’infini, qui est cadré par le minimum et le maximum. Dans ce cadre-là on définira les opérations de l’apparaître, soit le minimum, le maximum, la co-apparition et l’apparaître d’une région infinie, l’enveloppe. (5) 11 AVRIL 2002 Nous sommes arrivés à un moment stratégique. On a présenté la notion abstraite d’espace topologique, la signification abstraite de ce que signifie être là, soit une théorie générale du lieu. Notre objectif est maintenant de passer de la théorie abstraite à la question de l’être-là d’une multiplicité quelconque. Il va falloir combiner pour la pensée, la pensée de l’être comme figure générique, intemporelle, avec celle de ce que c’est qu’être là. L’ensemble produisant un concept de l’apparaître, ou de la manifestation. Ce problème est originaire. C’est celui qui oppose Platon à Aristote, c’est comme un envoi de toute la philosophie. Chez Platon il s’agit de remonter de l’être-là à l’être comme tel. C’est ça l’Idée. Le mot « Idée » au sens moderne a été pris dans l’espace de la représentation, alors que tout l’effort de Platon est de montrer que la pensée existe si elle peut s’inscrire dans cet écart. Certes, après on peut faire comme si cela signifiait qu’il y a deux mondes, un sensible et un intelligible, mais c’est une métaphore secondaire. Il n’y a pas vraiment deux mondes. L’idée du lit est en fin de compte ce qui est pensable, quant à son être, du lit lui-même. Ce n’est pas un artefact intelligible. C’est ce qui du lit est pensable indépendamment du fait que c’est celui-là qui est là. C’est parce que ça fonctionne au-delà de l’être-là qui fait que cela enracine l’idée d’un autre lieu. Le sensible c’est l’être + l’être-là. L’intelligible c’est l’être – l’être-là. La pensée doit passer de l’un à l’autre et parvient à extirper l’être de l’être-là, pour Platon c’est une délocalisation. Il se trouve que, curieusement, la délocalisation n’est représentée qu’en termes de passage à un autre lieu. L’idée du Bien (υπερβολη) ou transcendance absolue est une délocalisation supérieure. A mon sens, c’est le sens en philosophie du mot Dieu. Dieu est un opérateur de la philosophie en tant qu’il désignerait l’être qui n’a pas à être là. Pour le christianisme, cependant, Dieu a également à être là. Le Christ est un lambeau d’être-là. Sa dialecticité est de redonner à Dieu même quelque chose comme de l’être-là, c’est ça l’incarnation, la relocalisation de Dieu même. On va retrouver ce problème de façon centrale : Dieu ne désigne pas l’être en tant que délocalisé, il désigne un être. Dieu c’est ce qui pense qu’on peut penser l’être sans avoir à le localiser ; C’est donc un opérateur de délocalisation de la singularité, et non seulement de l’universalité (penser l’être-là en tant qu’être). Dieu c’est l’être, cet être, un être qui est en exception du caractère localisé de toute singularité. Dieu c’est ce qui nomme l’hypothèse d’une singularité extirpée de la localisation. Finalement ou l’on a une théorie de la localisation qui autorise cette exception, ou bien une qui ne l’autorise pas. C’est ça la transcendance, Dieu, l’Idée du Bien. Pourquoi faire une théorie de la localisation qui autorise cette exception ? Pour que ce soit compatible avec la religion ? C’est pour moi une réponse superficielle. La question c’est, est-ce que finalement il y a ou pas un être de l’Un ? Est-ce que tout être est un, ce que tout le monde accorde, mais peut-on dire aussi que l’Un est, qu’il est
« comme tel », donc arraché à la localisation ? Tout ce qui est, est d’un monde, dans un monde, est là, donc, par rapport à d’autres choses qui sont là. Il y a une connexion organique entre la possibilité de l’Un et la localisation ; mais il est impossible pour autant de dire que l’Un est. Il y a de l’Un peut se dire de quelque chose qui est là. L’Un est sous condition de l’être-là. Si l’on veut prononcer que l’Un est, il faut pouvoir affirmer l’Un en l’absence de quelque chose de localisé, il faut quelque chose dont l’être n’est pas d’être dans un monde. Si l’Un est, il est hors monde ; c’est ce que Platon commence à dire quand il dit que l’Idée du Bien dépasse tout. Si l’Un est, quelque chose fait exception à la localisation. Un être transcendant au sens propre. La grande question est de savoir si on assume qu’il y a un être de l’Un. Lacan a inventé l’expression : « il y a de l’Un », ce qui veut dire, on peut faire opérer l’Un, il n’est pas absurde de dire que quelque chose est un, mais il impossible de dire que l’Un est. En un certain sens, chez Aristote, il y aurait plutôt l’idée qu’il y a de l’Un, que toute singularité a sa place dans un monde. Mais, étant l’homme des compromis, il rétablit la transcendance, pour la raison, à mon sens, qu’il n’a pas de concept de l’infini. Il lui est donc impossible de rendre compte d’une série finie, il y faut obligatoirement un moteur immobile, non pris dans la mobilité, qui rend raison du phénomène sans y être lui-même. C’est un débat originaire entre, est-ce que tout est localisé, il n’y a d’être que dans la modalité de l’êtrelà, ou bien, est-ce que la localisation admet une exception, un être qui n’est pas astreint à être-là. Le fond du débat est la question de l’Un, de l’être de l’Un. C’est là, à mon sens, un choix philosophique majeur. Cela va donner son sens à la question de la singularité. Peut-on la penser ? Dans un cas il y a une singularité transcendante, et dans l’autre pas. Mais ce qu’il faut voir et que nous enseignent Aristote et beaucoup d’autres, c’est que, si on veut une localisation sans exception, si on ne veut pas Dieu, surtout s’il est mort — il pèse alors plus lourd — il faut une théorie de la localisation qui embrasse l’infini. Autrement dit : toute doctrine de la finitude conduit à la théologie. C’est la doctrine préparatoire à la réintroduction du spirituel, de l’être de Dieu. La conception régnante est que la mort de Dieu tue la spiritualité, or, tout montre que c’est exactement le contraire. En fait, on pense que le mode de constitution de l’infini c’est l’Un. Or, nous savons, nous modernes, qu’il y a un infini de la multiplicité. L’infini est partout, il n’y a rien de plus commun que l’infini. Pour cette raison on associe volontiers la finitude à la fin de la transcendance. Je propose un renversement de la connexion spontanée entre mort des dieux et finitude. Il faut assurer « il y a de l’Un », mais également « il y a de l’infini ». La finitude est une sorte de modestie morose. C’est une culture de la peur. J’ai été frappé de cela au cours des semaines précédentes. Ce n’est guère un progrès que d’avoir peur du monde et ne plus avoir peur de l’enfer ; il n’y a plus de pari possible, on abouti à une peur généralisée. Si le monde est infini il n’y a pas d’« harmonie aimable » à attendre, il faut faire des « coupures », comme le disent les mathématiciens. La coupure suppose qu’on soit dans une pensée de l’infini qui ne vous donne pas la norme de la situation. Il faut donc une théorie de la localisation qui soit sans exception et doit embrasser l’infini. Il est essentiel qu’il y ait un opérateur qui fonctionne dans l’infini. L’union infinie d’ouverts reste un ouvert. C’est philosophiquement essentiel. Au fond, la peur c’est quand on pense qu’on ne peut pas décider. Ce n’est pas le fait qu’il y ait un péril. La clause de finitude est à mes yeux une restriction de la capacité de décision. On est paralysé par l’idée « si vous changez les choses, si vous coupez, tout va s’effondrer. » Il faut restaurer un minimum de courage. Dans cette peur du monde qu’est le conservatisme, on va tenter de garder ce qu’il y a, qui est fini. Il y a ainsi des situation où le conservatisme est partout, d’un côté de façon paroxystique, de l’autre moins. Il s’agit avant tout de conserver, de garder. Il va falloir accomplir mathématiquement le fait qu’il n’y a pas d’être de l’Un. La grande difficulté des temps contemporains est d’établir ce que peut être une pensée non conservatrice. J’ai montré que le XXe siècle n’a pas été conservateur, qu’il a cherché la coupure hors de tout regard sur le prix à payer. Le schème fondamental de la non-conservation était la destruction. On accède au nouveau uniquement dans l’élément de la destruction. Qu’est-ce qu’une pensée du nouveau qui ne serait pas une pensée de la destruction ? Si la civilisation est la conservation, si c’est là une pensée inéluctable, je dirais que ce n’est pas la peine de faire de philosophie, il n’y a plus qu’à faire des affaires, à jouir de ce qu’il y a. Cette pensée risque, en outre, de voir revenir une transcendance inquiétante. La faille du dispositif aujourd’hui dominant est qu’on n’échappe pas à un retour de la transcendance, laquelle ne peut qu’être barbare. Dans ce cadre, la norme est la jouissance (« carpe diem », « cultive ton jardin »). La philosophie a une tâche critique : montrer la faille de ce dispositif. La démocratie est la doctrine politique de la finitude.
Il y a une tâche constructive : y a-t-il possibilité d’une doctrine de la localisation non conservatrice et qui n’assimile pas l’accès au réel à l’épuration, à la destruction ? Je définirai la pensée post-vingtième comme une pensée affirmative, capable de critiquer la finitude, disposant l’universalité de la localisation et embrassant l’infini. Où en est-on de ce programme ? A la fin de la description des opérateurs de la localisation. Dans cette pensée il faut très précisément localiser l’infini. — On a défini ce qu’était un espace topologique. — On a donné sens à la notion de ce qu’est un ouvert. — On a montré un certain nombre de propriétés opératoires des ouverts ainsi définies. En particulier on a démontré que l’intersection de deux ouverts est un ouvert. On était en train de montrer qu’une réunion infinie d’ouverts est un ouvert. Ce n’est donc pas parce qu’on passe à l’infini qu’on perd le pouvoir de localisation. On est dans l’énoncé non-aristotélicien qui permet la permanence de localisation de l’infini lui-même Int(O) = O C’est la définition formelle d’un ouvert. La fonction Int est définie comme une fonction de P(E) sur P(E). On dira qu’une partie de E est un ouvert si elle est identique à son intérieur. Comment exprimer l’idée d’une union infinie d’ouverts ? On prend un ensemble infini quelconque I. On l’appelle « ensemble des indices ». L’idée, c’est de numéroter la collection des ouverts dans I sur le modèle, par exemple, de la numérotation des nombres entiers : a1, a2…… a n, a n+1……… Oi i ∈I Cette procédure indique ce que c’est qu’une collection infinie, ce sont des éléments que l’on peut indexer par des éléments d’un ensemble infini. C’est la procédure d’indexation. O i ∈I C’est la suite de tous les ouverts indexés dans l’ensemble infini I. Si on les prend tous en même temps, on prend leur union. U O i ∈I Le théorème fondamental est que cela reste un ouvert. On trouve cependant dans la philosophie quantité d’affirmations disant que le passage à l’infini fait changer de nature. (Les mathématiques consistent à montrer qu’une chose non évidente est néanmoins vraie. La mathématique est une grande école contre la doxa, contre l’évidence, c’est pourquoi Platon tient tant au géomètre.) On suppose qu’on a une collection infinie d’ouverts. On a i ouverts qui ont tous un nom dans I. C’est un infini quelconque. On prend son union = tous les éléments de tous les ouverts de la collection. On remarque que étant donné un Oi singulier, il est inclus dans U Oi ⊆ U O i i ∈I Par conséquent on sait que Int (Oi) ⊆ Int U (Oi) Si A est inclus dans B, l’intérieur de A est inclus dans B. Si chaque intérieur d’un Oi est inclus dans l’intérieur de U Oi Donc U Oi est inclus dans Int U Oi U i ∈I Oi ⊆ Int U U i ∈I Oi Mais les Oi sont des ouverts, donc Int (Oi) = Oi Ui ∈I Oi ⊆ Int U i ∈I Oi Ceci est inclus dans son intérieur et donc son intérieur est inclus dans lui Int Ui ∈I Oi = Ui ∈I Oi Donc, par la définition des ouverts Ui ∈I Oi est un ouvert Donc un union infinie d’ouverts est un ouvert. C’est ce qui assure la connexion entre localisation et infinité. C’est vraiment un passage conceptuel. On peut à partir de là dégager les caractéristiques abstraites de la localisation, de l’espace topologique. On a démontré 1) E est un ouvert 2) Ø est un ouvert 3) Si A est ouvert et B est ouvert A ∩ B est ouvert (connexion opératoire finie) 4) Ui ∈I Oi avec tous les Oi ouverts est un ouvert (connexion opératoire infinie) La stratégie ensuite sera la suivante. On prendra ces quatre propriétés comme la définition d’une instance quelconque de localisation. On formulera ces propriétés ainsi :
1) Il y a un maximum (E est le plus grand) Il y a toujours une instance maximale de la localisation pour un monde déterminé. 2) Il y a un minimum (Ø est le plus petit des ouverts). 3) Il y a une opération finie 4) Il y a une opération infinie C’est un champ opératoire, à vrai dire, une structure d’ordre (ici ⊆). On appellera ça un « transcendantal ». C’est un transcendantal parce que ce sont les conditions formelles de l’être-là (en général et pas uniquement pour nous = la pensée peut penser autrement que pour nous). C’est un transcendantal sans sujet. Il est donc normal qu’il soit formel, qu’il s’étende à l’idée d’un monde en général. Ce transcendantal n’est nullement unique, il peut y avoir de grandes variétés dans l’ordre de base. Cela veut dire qu’il peut y avoir plusieurs mondes. On appellera « monde » une certaine figure de l’être-là, réglée par un transcendantal. Il y a donc, monde par monde, des transcendantaux distincts, des conditions distinctes de l’être-là. a) Tout être est localisé, l’être-là est une catégorie nécessaire de l’être. b) Il y a des nuances infinies quant aux modalités de l’être-là, bien des manières d’être là. Il y a plusieurs mondes. La même multiplicité peut appartenir à plusieurs mondes. Si l’être-là est contraint par l’être, il n’y a pas de différence entre les deux. L’animal humain est un animal apte à vivre dans plusieurs mondes. Sa multiplicité intrinsèque est considérable, mais plus grande est celle de son être-là. On peut dire que la liberté c’est la multiplicité de l’être-là en acte. Est conservateur celui qui a fixé l’être-là et a peur de la multiplicité toujours possible de l’être-là. On construira formellement le concept de transcendantal. Ensuite on verra comment ce qui est en vient à être là. Il faut rendre compte du fait de l’indexation de l’être dans un transcendantal. Grosso modo, on appellera « objet » l’ensemble formé par un multiple et son indexation transcendantale. On appellera « monde » l’ensemble des multiplicités qui ont la même indexation transcendantale. Un monde recevra son unité du transcendantal. Difficultés : — Donner un concept rationnel de la multiplicité des transcendantaux, qui est infinie. Cela repose sur l’opposition entre transcendantal classique et transcendantal non classique. Ce seront des questions de logique, laquelle n’est pas autre chose que le transcendantal. Il n’y a pas d’autonomie de la logique formelle par rapport à l’être-là. La logique est la pensée de l’apparaître, la cohérence du monde. Les classiques obéissent au principe du tiers exclu. — Définir l’indexation. Comment rapporter une multiplicité à un transcendantal. La solution repose sur les concepts d’identité et de différence. L’être-là exhibe, plus ou moins, les différences. — Qu’est-ce qui, là-dedans, réalise le « il y a de l’Un », fait qu’il y a Un. On lui donnera une solution de type atomistique. Ce seront des atomes d’apparaître. Au fond, chaque fois qu’on a tenté de s’opposer à la transcendance on est tombé sur les atomes. C’est déjà l’opposition Démocrite/Parménide. Une philosophie non conservatrice est nécessaire d’une certaine manière atomiste. Des atomes de la manifestation et non de la substance. (6) 18 MAI 2002 Étape à replacer dans le mouvement général. On a développé la considération de ce que c’est qu’une axiomatique du lieu. Elle est constituée autour de l’opération de l’intérieur, de l’axiome de l’intérieur. La définition de l’ouvert. C’est un premier mouvement puisqu’il s’agit de sauver ce que c’est que l’être-là, il faut chercher du côté du lieu au sens d’un concept du lieu. Après l’axiomatisation on en vient à ce qui a puissance de localisation par soi-même. Dans le siècle, ouvert a été désigné comme ce qui est une disposition créatrice. C’est ce qui fait que nous attachons une valorisation à l’ouvert, en même temps qu’il y a revendication d’un désir de clôture. L’ouvert a une fonction normative/universelle, le clos a une fonction réactive/particulière. C’est un phénomène progressif, car dans de nombreuses périodes le clos est une valeur (identité fermée. Cf. Hugo, Michelet. Pendant longtemps le racialisme a été une notion tout à fait normale, au moins jusqu’à 1845. Pourquoi l’ouvert a-t-il construit une position normative ? On ne le comprend que si on voit que l’ouvert c’est l’être-là (comme le clos d’ailleurs), mais n’incluant aucune frontière, il s’agit d’une localisation expansive à l’intérieur d’elle-même. D’où la dynamique propre de l’ouvert. Ouvert = identité de l’être-là
comme dynamique et expansive, lieu pris dans sa mobilité immanente et donc adéquat à toute pensée de la création. Le clos est réactif car il se présente toujours dans l’idée qu’il y a trop d’ouverture. Il faut fermer, il y a trop d’étrangers, trop de mondialisation, etc. Il y a consensus sur la normativité de l’ouvert, même chez les partisans du clos. Il faudrait, pour être complet, examiner les usages clos de l’ouvert. C’est là une figure contemporaine. On la sent chez les apôtres de la modernisation, On veut vous clore dans l’ouvert. Dès que l’Un entre en scène, le clos devient fort, car c’est le renoncement à la multiplicité. Mais il y a déchéance si l’ouvert est l’Un, s’il n’y a que l’ouvert. Si l’ouvert se colle à l’Un, une figure de clôture s’attache à lui. Le XXe siècle a été la mise en place de la dynamique de l’ouvert. Il y a peut-être aujourd’hui une saturation dans le registre de l’Un. Il n’est pas impossible que le cycle de valorisation normative de l’ouvert aille vers la clôture. Comme en économie on voit se présenter des protectionnistes. Plus techniquement. L’ouvert et les ouverts, c’est ce qui est localisé par son intérieur. Quatre propriétés, il y a : 1) une instance de localisation minimale Ø 2) une instance de localisation maximale E 3) une opération dans le fini ∩ 4) une opération dans l’infini ∪ On était dans le chemin de définir le transcendantal d’un monde, c’est-à-dire une instance de localisation singulière. C’est ce qui va abstraitement retenir les propriétés en question. On est dans une abstraction grandissante. — Au début, instance du lieu, qui est encore celle d’Aristote (le lieu du lourd c’est le bas, etc.). Il s’agit d’une intuition élémentaire, physique, du lieu. Il y a des lieux naturels, un être-là naturel de l’être. — Théorie moderne des physiciens modernes : espace euclidien comme lieu de la disposition des corps. Ce serait le cas de Descartes. C’est un espace géométrique. Il y a un lieu des lieux qui est un espace général. C’est encore l’idée de Newton. On a abouti à une géométrie naturelle. — Après de grands efforts, un troisième niveau, celui des axiomes, donc topologie abstraite du lieu. — Nouvelle abstraction : prendre les ouverts d’une topologie et ne retenir que les propriétés fondamentales de ces ouverts. Tout être est être-là, c’est un niveau de généralité beaucoup plus grand que toute théorie de l’espace physique. C’est ça le transcendantal. Nos propriétés constituent le schéma de base. A la base, il y a une figure d’ordre qui est celle de l’inclusion. Sinon, la notion de minimum et de maximum n’ont aucun sens. En définitive, le transcendantal n’est jamais qu’une figure particulière de l’ordre. L’être-là c’est l’être corrélé à un ordre. Donc du multiple quelconque indexé sur un ordre qui a des propriétés localisantes abstraites. Le niveau d’abstraction sous-jacent c’est l’ordre. Notre idée c’est qu’il y a toujours un ordre de l’être. L’ordre est toujours local. L’être-là c’est l’advenue là d’un être dans une figure d’ordre (sans connotation normative). On peut penser ce que signifie que tel être-là, tel étant est dans le même monde qu’un autre, est proche d’un autre. Il est inhérent à l’être-là d’être là dans un ordre. Le transcendantal n’est rien d’autre que la loi formelle de cet ordre. La localisation est fondamentalement une figure de l’ordre, ce que, d’une certaine manière, Aristote avait bien en vue. Le haut et le bas étaient bien des figures, dans un ordre cosmique, qui, précisément, spécifiaient la disposition des étants. La pensée de l’ordre chez Aristote présuppose une structure d’ordre. Par conséquent, on proposera d’appeler transcendantal une structure d’ordre telle que les quatre propriétés y soient identifiables. T = {p,q,r} (éléments du multiple T) Le transcendantal est homogène à ce qu’il localise, ce n’est pas un type d’être différent de ce qu’il localise. Il y aura sur ce transcendantal une relation d’ordre ⊆, qui sera transitive, réflexive et antisymétrique. Il faudra vérifier que ces trois axiomes sont valables pour l’inclusion. Cette relation n’est pas nécessairement totale. On peut avoir des éléments non comparables. Deux éléments non reliés par la relation seront dits non comparables. (Sinon il faudrait un axiome supplémentaire disant que ou bien p ≤ q, ou bien q ≤ p.) On admet philosophiquement que l’organisation transcendantale d’un monde n’est pas nécessairement réglée par une relation totale. C’est donc une vision a-cosmique. Il faut distinguer cosmos et monde. Être cosmique est une propriété particulière pour un monde. Cela suppose que la relation d’ordre est totale. Cette hypothèse est absolument nécessaire pour la pensée contemporaine, pour qui le désordre est un régime de la pensée de l’être à étudier de même que l’ordre. Minimum : ∀p [µ ≤ p] maximum ∀p [p ≤ M] L’existence de µ signifie qu’on est en état d’exprimer transcendantalement le minimum d’apparition dans
un monde, la minimalité d’être-là. De manière immanente c’est là la non-apparition. L’existence de µ est l’expression intra-transcendantale de la négation. C’est l’indexation transcendantale du « ne pas être là ». Cela permettra de dire que tel ou tel étant n’est pas de ce monde, pas là. Si n’est pas pensable qu’un étant n’est pas là, on tombe dans l’idée du Tout, dans l’hypothèse qu’il y a un seul monde. Il faut pouvoir nommer l’absence. Cette question est examinée par Kant à l’extrême fin de l’analytique transcendantale dans la Critique de la raison pure. La maximalité norme le fait qu’un étant est absolument là. Il n’y a pas à apporter de nuances à son être-là. L’ordre mesure les nuances d’intensité de l’être-là entre µ et M. Un transcendantal sans nuances, celui d’un monde classique, est celui où, ou bien ça est là, ou bien ça n’est pas là. Ainsi conçu, l’être-là est tout proche de l’être, car il fonctionne comme être ou ne pas être. On ne s’étonnera pas que le monde de l’ontologie dit classique soit de ce type. Plus le transcendantal est riche, plus il comporte de nuances intermédiaires de l’être-là, plus il est non classique, plus il s’écarte de l’ontologie pure. Plus il y a d’écart entre ontologie et logique.Selon la métaphore de Deleuze, lecteur de Leibniz, plus on peut dire que l’êtrelà est baroque. Plus le monde détient de possibilités. Pour qu’il y ait place pour le possible il faut nécessairement un transcendantal non classique. Le transcendantal T{µ,M} a longtemps été considéré comme le seul transcendantal possible. Il est essentiel de pouvoir penser qu’un monde — ainsi qu’un sujet — est aussi ce dont il est capable, c’est-àdire plus que ce qu’il est. Il y faut des normes transcendantales complexes. La figure d’ordre ne doit pas être réductible à la dualité. Il faut maintenant ouvrir au traitement des propriétés 3 et 4. Il faut introduire deux opérations. Pour l’instant on n’a que l’ordre. Comment généraliser les deux propriétés ∩ et ∪, relativement à une structure d’ordre ? Il faut extraire de ces propriétés une propriété formelle qui puisse s’appliquer à la relation d’ordre. — Si on a A ∩ B, c’est là le plus grand des ensembles inclus (contenus) à la fois dans A et dans B. On peut transcrire formellement la propriété. A ∩ B est le plus grand de ceux qui sont plus petits, inclus dans A et plus petits, inclus dans B, donc plus petit que les deux. L’opération abstraite va consister à dire que, étant donné deux éléments de T il existe toujours un troisième qui est le plus grand de tous ceux qui sont les plus petits de celui de départ. ⊆A=≤A ⊆B=≤B — Si on prend une famille d’ouverts ∪ OiI ∈ I C’est l’union de tous les éléments , de tous les Oi. L’union c’est le plus petit de tous ceux qui sont plus grands que tous ceux dont on parle, à savoir Oi. Le plus petit de tous ceux qui sont plus grands qu’un paquet quelconque d’éléments de T. (Le plus petit de ceux qui sont plus grands qu’un sous ensemble de T). 1e opération = conjonction p ∩ q 2e opération = enveloppe ∑B (B ⊆ T) Etant donné un sous ensemble de T, il existe son enveloppe. Reste à démontrer que l’opération donne bien un résultat unique. Etant donné deux éléments il n’y a q’une conjonction, étant donné un sous-ensemble de T il n’y a qu’une seule enveloppe. Pour cela il faut utiliser l’anti-symétrie. Définition : « On appellera transcendantal un ensemble T doté d’une structure d’ordre, non nécessairement totale, qui comporte un minimum et un maximum, qui pour deux éléments quelconques comporte leur conjonction et qui pour un nombre d’éléments quelconques comporte leur enveloppe. » L’enveloppe va permettre de régionaliser une région du monde. On étendra le principe de l’être-là à l’infini. Un objet sera la manière dont un multiple quelconque est indexé sur un transcendantal. La construction de cette notion est en fait simplement une conséquence de la construction de l’être-là. Ce n’est pas donné dans l’expérience comme chez Kant. C’est l’être en tant qu’être-là, la multiplicité en tant qu’elle est d’un monde déterminé. On appellera objet, le couple d’une multiplicité et de son indexation transcendantale. Dans l’objet il y aura l’être en soi. Kant veut retirer l’en-soi à l’objet. La réalité nouménale de l’objet est non liée à l’expérience. On peut connaître le phénomène mais pas la réalité nouménale, mais c’est bien le noumène qui apparaît, la chose en soi, mais on n’en a pas d’expérience. Pour nous c’est bien le multiple pur qui apparaît, et il est mathématiquement connaissable. Il n’y a pas de retrait de l’être. Mais il est vrai que l’être-là n’est pas la même chose que l’être en tant qu’être, l’indexation transcendantale, il n’est là qu’autant qu’indexé sur un transcendantal .
Etre et être au monde ce n’est pas la même chose. Il y a une dualité. Mais, contrairement à Kant, une dualité sans retrait. Tout est connaissable, il n’y a pas d’inconnaissable, mais connaître l’être comme être-là est plus difficile que le connaître en tant qu’être. On inverse en cela la proposition de Kant. Ce qui est difficile c’est de connaître le phénomène, l’être-là. C’est la difficulté du mathème. Cela veut dire aussi que la logique est plus difficile que l’ontologie. La logique ce sont les clauses de cohésion de tout monde, ce qui fait qu’il est un monde, il est tenu par un transcendantal. Si on appelle logique la pensée de la cohérence on voit bien que le transcendantal relève de la logique. (7) 8 JUIN 2002 On a construit le concept de transcendantal, de ce qui fonctionne comme condition formelle de possibilité de l’être-là. Il faudra voir ultérieurement si le mot « manifestation » convient mieux, ou s’il faut prendre le terme de phénomène ou d’apparaître. Cette construction a été saisie à travers des niveaux de formalisation, d’abstraction grandissante. Ce sont les conditions formelles sous lesquelles il est pensable de dire qu’une multiplicité quelconque est là. Dans son être ontologique de multiplicité pure on ne la pense pas dans sa figure d’advenue dans un monde ; on va penser la même multiplicité comme étant-là, dans la singularité d’un monde, qui est un système de conditions pour l’être-là. Tout le problème est de penser l’être-là dans une abstraction suffisante par rapport à notre intuition du lieu. Il y a quelque chose qui a à voir avec le lieu, mais en même temps ce n’est pas le lieu empirique, corrélat d’une perception. Il faut que ce soit intelligible qu’on parle de lieu, ou de localisation, mais il faut que lieu soit pris en un sens où ne s’indique plus vraiment la localisation comme phénomène de perception. Cette construction formelle se laisse comprendre comme englobant l’expérience du lieu, sans être réductible à la localisation empirique. Notre intuition empirique est espacement de l’être, notre intuition en général espace l’être. Il n’y a de pensée que pour autant qu’elle espace les étants. C’est là un guide. C’est le premier temps. Le deuxième temps rejoint la formalisation aristotélicienne de la question du lieu propre des étants physiques. Aristote pose bien qu’il n’y a pas de pensée de l’être qui ne soit une topologie. On retient de sa formalisation la décision d’assigner à tout étant un lieu, comme condition inéluctable de son apparaître, comme disposé dans une topologie. Il y a une topique des étants. Dans un troisième temps on considère le propos topologique sous l’angle axiomatique. Axiomes de l’intérieur et notion d’ouvert. En délivrant les axiomes de la topologie on reprend l’effort d’Aristote, dans une pensée plus formelle. En disant topologie, axiomes de l’intérieur, ouvert, cela assume une certaine fidélité aux intuitions originaires de la localisation. Quatrième temps ; on a prélevé les propriétés formelles de la topologie elle-même. C’est cela qu’on a appelé un transcendantal. 1) Il y a une structure d’ordre ⊆ 2) Celle-ci comporte un minimum et un maximum. µ = (p ∈ T) → (µ ≤ p) M = (p ∈ T) → (p ≤ M) 3) Une opération finie : la conjonction. Elle prescrit que s’il y a deux éléments, il y a le plus grand de ceux qui sont simultanément inférieurs aux deux. (p ∩ q) ≤ p et (p ∩ q ≤ q (x ≤ p et x ≤ q) → x ≤ (p ∩ q) Dans le transcendantal, la conjonction existe toujours. Elle est finie parce qu’elle porte sur deux éléments. 4) Opération infinie (enveloppe). Elle est infinie car elle porte sur une partie quelconque du transcendantal, même infinie. Il y a un élément qui est plus petit que le plus grand de tous les éléments de B. ∑B (p ∈ B) → p ≤ ∩ B [p ∈ B) → p ≤ x] → ∑ B ≤ x S’il y en a un plus grand, ∑ B est le plus petit de tous ceux qui sont plus grands. Il est plus grand que tout
élément de B, mais il le serre de très près. Il maximise B, mais c’est ce qui serre B au plus près possible. L’enveloppe va permettre de traiter des régions du monde. C’est un pas décisif que d’avoir un opérateur infini. Dieu a toujours été le nom philosophique d’un être-là de l’infini, être-là non mondain. Dieu a été l’extension de l’être-là à l’infini au prix d’une non-extension de l’être-là à l’infini. C’est le problème des relations entre transcendantal et transcendant, qui est cette figure qui transcende les conditions de l’êtrelà, il est ultra-mondain, trans-mondain. Il a fallu déterminer la possibilité d’un être-là non mondain. C’est la spécificité du christianisme d’introduire un être-là mondain de la transcendance. Caractère miraculeux de la solution chrétienne, qui déclare qu’il y a un être-là de l’infini, sans être obligé de le disposer hors du monde. Cela suppose que le même être peut être à la fois fini et infini. Cela fait entrer le multiple dans l’Un puisqu’il y a le thème de l’indivision des trois. L’autre solution consiste à dire que l’expérience n’est pas vouée à la finitude. Il a fallu attendre que les mathématiques prennent en charge la laïcisation de l’infini. Cantor en a payé le prix par sa folie ; le problème était l’immanentisation de l’infini lui-même. Il faut en venir aux conditions de fonctionnement du transcendantal. Problème : qu’est-ce que l’apparaître d’une multiplicité quelconque dans des conditions transcendantales données ? C’est le problème de l’indexation transcendantale d’une multiplicité donnée ou conditions de l’apparaître d’une multiplicité. A (x,y,…) (multiplicité quelconque) T (p,q,…) (transcendantal) Comment s’opère la connexion de l’un à l’autre ? L’opérateur va fonctionner sur la seule chose qu’on connaisse, à savoir que cette multiplicité a des éléments. Eléments veut dire présentation de différences. Il est certain que l’indexation transcendantale d’un étant opère sur le réseau des identités et des différences. Elle va se prononcer sur le degré d’identité ou de différence de ces éléments qui constituent la multiplicité. Elle va se prononcer en les localisant dans le transcendantal. Il y a localisation d’une multiplicité pour autant qu’il y a prescription d’identités ou de différences. Les éléments sont certes ontologiquement différents. L’apparaître ouvre à la possibilité d’une distorsion des différences ontologiques. Si ce n’était pas le cas être et être-là se confondraient. Quand on perçoit quelque chose on modifie les réseaux d’identités et de différences existants ; on va formaliser indépendamment de l’existence d’un sujet. (car on sait que la perception diffère avec les sujets.) Les différences vont être intrinsèques. Etant donné deux élément constitutifs d’une multiplicité quelconque, X ∈ A y ∈ A , on aura une évaluation transcendantale de x ou y, des identités et des différences. On appellera cette fonction Id. Id (x,y) = p p ∈ T Etre là voudra dire se voir assigner un certain degré de valeur, d’identité dans le monde considéré, y compris à soi-même. Il y aura sens à dire que deux éléments sont plus identiques que deux autres puisqu’on est dans une structure d’ordre. Si (Id(x,y) = M cela veut dire que dans le monde considéré x et y sont aussi identiques qu’ils peuvent l’être. Si (Id(x,y) = µ, cela voudra dire qu’il sont aussi peu identiques qu’ils peuvent l’être. L’indexation se fait strictement sur A. x et y peuvent apparaître comme identiques, sans pour autant être ontologiquement identiques. Id(x,y) = p veut dire que leur identité est transcendantalement évaluée par le degré p. L’être-là est ouvert à des nuances de l’identité, voire même à une infinité de nuances. L’identité de x à lui-même est soumise à indexation transcendantale. Id (x,x) = p. C’est là une mesure de l’intensité d’apparition de x dans le monde considéré. Si Id (x,x) = M on dira que x affirme absolument son existence dans le monde considéré où il apparaît sans restriction. Si Id (x,x) = µ, cela veut dire que x n’apparaît pratiquement pas. On écrira Ex = p, Ex étant la même chose que Id(x,x) Définition. « Pour l’instant on appellera ‘objet’ relativement à un transcendantal T le couple formé par une multiplicité A et une fonction d’identité sur le transcendantal (A,Id). » Cette définition comporte deux éléments (comme la définition kantienne de l’objet), un élément d’être et un élément d’organisation transcendantale de cet être. Cette dualité est constitutive de l’objet, qui est en quelque sorte l’unité d’apparaître. La notion d’objet est toujours duplice. C’est une dualité constitutive car l’objet est ce qui vient à être dans l’espace d’une expérience. C’est pourquoi il y a en général objet pour un sujet. L’objet est toujours le pôle d’une constitution, le résultat d’une constitution, même s’il y a une donnée d’être absolue. Il est ce qui se donne et ce qui est constitué. Il est donation et constitution. Une très longue tradition philosophique fait de l’objet le couple de deux registres différents de la
connaissance, sensible et intelligible, connaissable et inconnaissable. On retiendra la duplicité de l’objet, mais pas un couple. Il n’enregistre pas deux régimes absolument différenciés du connaître. L’objet c’est de l’onto-logie logique. On va ouvrir maintenant à un problème qui sera traité la prochaine fois. Si on prend l’objet on peut dire que rien n’atteste qu’il y ait un croisement intégral ; est-ce que rien dans l’indexation transcendantale n’est prescrit par l’ontologie elle-même ? A certains égards on est confronté à la question du matérialisme et de l’idéalisme. N’y a-t-il pas une borne fixée à l’apparaître par l’être ? Question d’autant plus vive qu’on n’est pas dans le champ de l’inconnaissable. Kant se contente de dire, il y a a. (Cf « Réfutation de l’idéalisme). la constitution ne dévore pas la donation. Kant appelle cela un théorème. Il faut que quelque chose soit donné. Son « il y a » est démontrable ; la perception ne crée pas l’objet, mais son il y a. Il y quelque chose. La constitution requiert une donation mais on ne connaît rien du contenu de la donation. Est-ce que nous faisons comme Kant en disant « il y a une multiplicité » ? La donation serait : il y a du multiple. C’est un vrai problème. Il va falloir l’élaborer, de manière à identifier où peut se déterminer un principe de prescription sur la donation. La prescription ne peut se faire qu’au niveau des éléments ; donc, comment la constitution élémentaire d’une multiplicité introduit des limites dans la constitution de l’objectivité. On verra que ce problème conduit aux atomes (tout matérialisme est confronté aux atomes). Une fois élaboré les atomes, il faudra décider. Il y aura une décision philosophique à prendre. La question est : estce que tout atome est réel ? Cela ne peut pas de déduire. On en viendra au fait qu’à un moment donné il y a, sur idéalisme/matérialisme, une décision à prendre (ce qu’a bien vu Althusser, qui parlait de deux camps), un engagement. On peut spécifier la composition atomique d’un objet, voir ce que veut dire que tout atome est réel, mais à la fin des fins il faudra décider ; tout atome est réel est un énoncé prescriptif (c’est ce qu’il y a derrière le théorème de Kant). Toute décision contre l’idéalisme est une prise de parti. ––––––