Art Negre

  • November 2019
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«art nègre», de l'art africain ancien, de l'ethnologie et du musée: pour un «recentrement» de l'esthétique...

Au commencement était la nuit. Une longue nuit pour l'esthétique africaine. Ce fut le règne sans partage du musée dit «de séries», véritable vitrine du colonialisme, de confession évolutionniste et dont l'approche contextualiste célébrait l'Etrange, chantait l'Aventure et la Science. A cette époque point d'« objets », que des curiosités, trésors de guerre et pièces de laboratoires de chevronnés « Civilisateurs ». Il n'était pas rare alors, de voir des sculptures côtoyer dans les vitrines : cornes, peaux de bêtes et autres feuilles de palmier. Puis, il y eut le regard affûté d'une jeune génération d'artistes particulièrement douée et par ailleurs cruellement blasée, en quête de médecine pour un art européen las de son académisme figé. Cette génération vit dans ce fouillis les moyens d'une rédemption... Une certaine révolution est venue corriger l'évidente injustice, consacrant depuis le siècle dernier des expositions à caractère esthétique pour la production africaine. Désormais, les objets, dans une dramaturgie suggérée par les seules qualités plastiques, invitent à un rapport nouveau. Exit la surabondance, la cacophonie et le "meurtre du vrai" que génère la tentative bancale de reconstitution de l'ailleurs fantasmé. Ici on ne rejoue pas le film de l'heureuse rencontre avortée entre "civilisés" et "primitifs". Nous avons les vrais Stars que sont les objets, mais d'une histoire dont le scénario n'est pas écrit. Tout le génie de l'architecture et de la scénographie d'exposition étant, dans une juste science de l'espace, du temps et de la lumière, l'affirmation d'une présence-absente au service exclusif du confort des visiteurs et du discours des œuvres d 'art. La rencontre n'étant plus tramée, l'œuvre est laissée libre de dire ce qu'elle veut et l'observateur d'en prendre une possession libre et vraie. « Qu'il s'agisse des tableaux, des statuettes, des œuvres d'art, le principe est toujours le même : concentrer le regard sur l'œuvre elle même. Le musée est fait pour mettre les œuvres d'art en valeur et éviter la fatigue physique et intellectuelle au visiteur » Louis HAUTECOEUR. Et le « Musée d'Art Africain » a ainsi fini de rejoindre le rang des autres musées d'art pour remplir son véritable rôle : s'effacer, se taire. Ceci à n'en point douter est une victoire pour l'esthétique africaine. Mais, si le musée et les espaces d'expositions semblent avoir enfin pris conscience de leur mission (le tour de force d'exprimer leur neutralité), le visiteur, lui, n'a pas toujours cette

innocence à laquelle invitait il y a un siècle déjà, le Manifeste de la peinture et de sculpture Futuriste :« Le public doit aussi se convaincre que pour comprendre des sensations esthétiques auxquelles il n'est pas habitué, il lui faut oublier sa culture intellectuelle, non pour s'emparer de l'œuvre d'art mais pour se livrer à elle éperdument ». Se livrer à l'œuvre ! C'est là, généralement, la difficulté de l'observateur occidental. Face à l'objet africain, une surprenante incapacité à mettre sous boisseau le " savoir déjà su" pour risquer l'aventure, la vraie: synonyme de Découverte, d'Inconnu, de Partage mais surtout d'étonnement. Cette difficulté est une réelle souffrance que nous nous proposons ici de mettre en lumière. Il est clair qu'un certain public, va encore dans les musées d'art africain pour voir du « Sauvage ». Mais quand, point de sauvage il ne trouve à se mettre sous la dent , l'observateur occidental lambda, désemparé, interroge ; comme le montre cette réaction, glanée dans le livre d'or d'une récente exposition: « Expo comme trop souvent esthétique et esthétisante mais bien peu anthropologique et anthropologisante ! Bien peu d'explications de supports pour comprendre un peu plus profondément ! A quand cette révolution muséographique ?». Nous avons pris la liberté de répondre: « Anthropologie ! ethnologie ! tribalogie !sauvalogie ? Dès qu'il s'agit de la production africaine, pourquoi cette toujours, systématique et seule quête abstraite et maladroite d'exotisme ? Demandons-nous un habillage anthropologique quand nous allons visiter les antiquités grecques au Louvre ? Ceci est un musée d'ART. A quand des commentaires sur le formidable apport des arts nègres à l'enrichissement de l'univers plastique et sa contribution à l'édification de l' "esprit moderne" ?». « Objet muséal » ou Art ? « Qu'est-ce que voir ? C'est voir le monde. Qu'est-ce que le monde ? C'est ce que nous voyons ». (Merleau-Ponty) « Les poésies ne sont pas faites d'idées, mais de mots » (Mallarmé) Pourquoi continue-t-on de demander aux objet africains de ne dire que "mœurs étranges" et "réminiscences de pratiques d'un autre âge" ? La sorte de Complexe qui s'ignore totalement, et qui, se découvrant

cruellement au détour de notre questionnement, cherche à rationaliser ce qui ne peut l'être, offre généralement une argumentation à double tranchant dont la lame la plus érodée coupe en ce sens: Ces objets n'ayant pas été faits dans une démarche artistique (entendez que les auteurs n'étaient pas guidés par une volonté de faire de l'« art »!) peut on les considérer comme art ? Une société qui produit des objets à valeur cultuelle , des outils servant « uniquement » à fixer la tradition est t-elle une société d'art au même titre que celle là "efficiente" de son «faire» ? N'est-il pas irrespectueux pour ces gens de faire rentrer leurs créations dans des schémas typiquement occidentaux et de les dépouiller ainsi de leurs valeurs hautement fonctionnelles et spirituelles ? La rhétorique qui s'épand en longues litanies, qu'elle en ait conscience ou non, vient là de consacrer ce qui n'est autre chose que de la Négation d'Art. Nous ne le savons que trop bien, quand on évacue l'art on commence d'évacuer l'«humain», alors nous nous empressons de mettre les choses au clair. 1- Si un objet qui a une destination cultuelle et qui est régit par la tradition ne rentre pas dans le domaine artistique ; alors il n'eut pas vraiment d'art en Égypte, en Grèce, en Mésopotamie etc. Il n'y eut peut-être pas d'art nulle part dans le monde avant l'«ère moderne». Inutile de dire que ce sont d'abord des pièces, et non les sociétés et leur pensée, qui sont présentées et l'objet de l'analyse artistique. Nous précisons aussi que les différents canons africains ne trouvaient pas - c'est bien loin d'être le cas - leur expression uniquement dans le religieux et le « purement fonctionnel ». S'agissant de peignes à cheveux, d'appuis tête, d'ustensiles de cuisine, d'instruments de musique, le fait que l'artiste mette toujours un point d'honneur à sublimer ces objets, rend caduque l'argument qui nous est opposé, le délire qui tend à faire croire que le faire africain était au service exclusif du religieux. 2- Nous mettons quiconque au défi ne nous prouver que le sculpteur dogon, le bijoutier akan, le tisserand kuba, ou l'architecte musgum n'a pas conscience de faire du beau..., ne cherche pas à faire du beau. La thèse du « hasard » est définitivement une insulte pour l'imaginaire africain et participe de l'esprit infantilisateur. Nous diagnostiquons un haut degré d'esthétique, qui n'est pas faite non seulement pour contenter l'esprit humain, mais pour, et surtout, séduire le divin, une supra-esthétique en quelque sorte. L'artiste joue

de codes très complexes qui, au prime abord, ont construit le mythe de la maladresse infantile congénitale du Nègre mais qui, à la lueur d'une analyse sérieuse, révèlent une mesure très intellectualisée du monde. L'existence d'écoles différentes et le témoignage de concurrences entre sculpteurs nous prouve que les africains avaient l'intuition et la science du beau, la cultivaient et rivalisaient pour l'amener à son plus haut niveau. 3- Les pièces africains ne sont pas « des objets fabriqués », dans le sens où ils ne sortent pas d'une chaîne de production , ni ne peuvent se réduire à une pratique simpliste artisanale. Le caractère sacré même de la destination en fait, des objets qui ne peuvent être vides de dimension humaine. Comprenez bien : la conception de la Religion Africaine est incompatible avec une quelconque « faire » standardisé, fonctionnel (dans le sens rationnel) ou décoratif. Même si les canons sont régis par une tradition, celle ci ne les fixe pas. Le canon n'est pas MODELE, il est CONCEPT. Le sculpteur africain ne copie pas, il ne reproduit pas. Le « classique » est le cadre à l'intérieur duquel toutes les interprétations, innovations et expérimentations liées au « faire » sont possibles. Ce que nous disons là est très important. Le canon est définitivement intégré; il crée les conditions générales du langage, mais le sculpteur le restitue comme il l'entend, du mieux qu'il peut en faisant confiance à son sens profond et intime de l'«accord». Il « dépose toujours, inconsciemment, une partie de lui même dans son œuvre » (Cheik Anta DIOP). Cela à n'en point douter est de la CREATION. 4- C'est le plus important: on ne juge pas un objet d'art sur l'intention de l' « artiste » ni sur sa rhétorique. On juge un objet d'art à posteriori, sur ce qu'il apporte comme questionnement, innovation, sur la pertinence de la démarche (consciente ou non, raisonnée ou non, dirigée ou non) de l'auteur et sur les horizons nouveaux qu'il ouvre à l'esprit et au sensible. Est art ce qui parle à l' «Humain». Et de ce point de vue la production africaine fait sûrement partie de ce qui aux niveaux historique et expérimental (en situation) a et continue de satisfaire le mieux à la définition, tant les solutions plastiques ici sont radicales. On a tendance à penser le contraire, mais la complexité de la conception moderne du « fait d'art » n'a rien changé à cette assertion. L'urinoir de Duchamp n'est pas art parce que Duchamp l'a décrété (même si c'est vrai, l'homme l'a décrété). Cet objet se trouve aujourd'hui au MAM parce qu'ils, l'oeuvre et la démarche de l'auteur, interrogent tout ce qui a été fait jusque là. Il marque une rupture. Il est « une dynamique » . Il en est de même pour les agitations nihilo-subversives de Dada et les « photocopies » de

Warhol. De fait une simple chaise devient un objet d'art si elle transcende la seule destination fonctionnelle et qu'elle devient le siège d'une force incoercible. Alors peu importe ce qu'en dit le menuisier. Qu'il crie haut et fort qu'il n'a pas voulu faire de l'art n'y change rien. L'objet ne lui appartient déjà plus, il rentre automatiquement dans le giron de la création humaine. Ajoutons qu'un concepteur ne trouvera sûrement nullement irrespectueux de voir son produit consacré, surtout que le sacre n'est pas "volonté", il est "évènement" dont il s'agit de prendre acte. Bref, le fait artistique est LA caractéristique du Genre Humain et la valeur ontologique des particularismes artistiques n'appartient pas en propre aux sociétés qui les génèrent (ou si vous préférez ne sont pas leur bien exclusif).On ne peut donc pas se fonder sur la conscience (ou la volonté consciente) que ces sociétés aient eu de leur participation au TOUT, de même qu'on n'a pas besoin de leur demander caution pour prendre possession du legs (nous ne parlons pas ici de possession matériel vous l'aurez compris). Conclusion : l'art africain est définitivement de l'Art. Un art qui a nourrit la peinture et la sculpture mais aussi l'architecture moderne, le design, la mode. Tous ont bu à la source. Comprenez bien : des lignes pures de votre table IKEA, jusqu'aux motifs géométriques de votre papier peint en passant par la coupe droite de votre costume, tous doivent à cette esthétique « sauvage » et « enfantine ». Mais, bien sûr, l'observateur occidental décidément bien résolu à ériger de toutes pièces, entre lui et l'objet africain, ce pont qui sépare plus qu'il ne relie, persiste dans sa quête obsessionnelle en servant généralement la deuxième interrogation que voici : Et l' « arrière plan » ? N'est il pas tout simplement « inconcevable », et à proprement parler insultant pour les " artistes" (!!!) d'exposer ces œuvres sans chercher à connaître les cultures et les modes d'exister dont elles sont l'expression ? Cette réduction n'est elle pas tout simplement aussi grave que la négation d'art ? Ce deuxième argument qui prend des allures d'un humanisme plus ou moins étrange a au moins, nous le reconnaissons, le mérite d'une pertinence dont le premier était complètement dénué. Nous répondons : Loin de nous l'envie de reproduire ici le polémiquedébat sur du rôle du musée. Nous dirons juste que même si nous ne pensons pas que le musée doivent se faire le porte voix du projet ethnologique (celui ci ayant d'autres modes d'expression qu'il peut investir: livres, documentaires, exposés, média etc.), nous reconnaissons qu'il est indispensable qu'un minimum d'information

vienne "éclairer" la compréhension. Il s'agit de ne pas oublier que Musée est fils de «Mnémosyne» ( déesse de la mémoire), elle même fille d'«Ouranos» (le ciel) et de "Gaia" (la terre) , comprenez : « fille de l'inspiration poétique ET de la connaissance ». Les préoccupations historique et scientifique, ne sauraient donc être évacuées de l'espace muséographique. Le renseignement devient d'autant plus indispensable qu'il s'agisse d'objets d'"ailleurs" (de fait nous préférons dire "information" plutôt que "lecture anthropologique"). Pédagogie et savoir ont donc tout à fait leur place dans le programme muséographique. La chose est désormais admise et la réflexion moderne sur le musée l'intègre complètement, les modalités d'exécution achoppant sur la proportion et les moyens d'introduction de l'Information, donc des modalités pratiques. Vidéos projections, bibliothèque intégrée, cartels informatiques etc. sont au cœur de nombreuses expérimentations devant donner naissance au "musée de demain": le Modèle Hybride. Le but étant d'arriver à concilier raisonnablement culture "scientifique" et délectation esthétique sans que cela devienne déroutant pour le visiteur (L'espace Arts d'Afrique et d'Océanie du Louvre est une tentative avortée, mais le très attendu Musée du Quai Branly promet d'éditer la performance). Le reste est question de volonté et de parti pris muséographique mais aussi, contraintes liées au parcours, séquences, maîtrise de l'acoustique etc. donc affaire d'architectes et autres muséographes. Ainsi la démarche qui tendrait à donner à l'ethnologie droit de cité dans le musée est tout à fait légitime, respectable et souhaitée pour peu qu'elle n'entre pas en conflit avec la dynamique muséographique . Les Africains, les premiers, dans le besoin qu'ils ont de se construire, sont demandeurs d'"informations". Mais il semblerait que le public occidental ne soit pas guidé par des aspirations du même ordre. Alors, même si nous sommes d'accord, en principe, avec la demande exprimée, qu'on nous permette d'en questionner l'esprit, au risque de porter un jugement d'intention qui à l'épreuve des faits nous apporte tout de même un crédit certain. D'un déficit d'innocence ou la complexité du "Oui léger" « Que venons-nous chercher, désormais aussi souvent et à l'égal des autres musées, dans ceux qui présentent des objets venus d'Afrique, d'Océanie, de l'Amérique indienne ou d'Asie du Sud-Est ? Pas tout à fait la même chose que dans les autres musées. (Oeuvres ou curiosités ) Henri GODARD « Ce que je désire et que j'attends sans préjugé ni impatience, ce que mon ouverture, mon approbation va faire venir est de ce monde, et tout près, là : sous mon regard. » Bruno-Nassim ABOUDRAR

Il s'agira ici d'analyser les travers d'une demande que nous soupçonnons ne pas refléter la simple critique muséographique. C'est l'innocence de la demande et à un autre niveau, la réception de l'information ethnologique que nous questionnons. C'est à l'inavoué ( ou, à leur décharge, à l'insu) des différents discours auquel nous voulons arriver. Nous avouons clairement que nous soupçonnons la demande exprimée de ne pas refléter la simple critique muséographique mais de dire autre chose. C'est l'innocence de la demande et à un autre niveau (plus inquiétant celui-là) de la démarche ethnologique que nous questionnons. C'est l'inavoué ( ou à leur décharge, l'insu) de leur discours et de leur but auquel nous voulons arriver. Que cache la demande anthropologique ? C'est un anthropologue qui le mieux nous éclaire là dessus. François LAPLANTINE est directeur du département d'anthropologie de l'université de Lyon II et à la page 45 de son ouvrage "L'Anthropologie" il nous apprend ceci: « Tous les discours que nous venons de rappeler, et en particulier ceux qui exaltent la douceur des sociétés « sauvages », et corrélativement fustigent tout ce qui appartient à l'Occident, sont toujours d'actualité. S'ils ne l'étaient pas, ils ne nous seraient plus directement accessibles, ils ne nous parleraient plus. Or, c'est précisément à cet imaginaire du voyage, à ce désir de faire exister dans un « ailleurs » une société de plaisir et de bonté, bref une humanité conviviale dont les vertus s'étendent à la magnificence de la faune et de la flore, que l'ethnologie doit auprès du public une grande partie de son succès » Nous y voilà ! Des livres entiers ne suffiraient pas à analyser le latent de ce discours. Monsieur LAPLANTINE poursuit: « Une grande partie du public est infiniment plus disponible qu'auparavant pour se laisser persuader qu'aux sociétés contraignantes de l'abstraction, du calcul et de l'impersonnalité des rapports humains, s'opposent des sociétés de solidarité communautaire, bercées par la somptuosité d'une nature généreuse ». (L'exaltation de la « nature somptueuse et généreuse » est symptomatique chez l'occidental de quelque chose que nous espérons avoir l'occasion, un jour de développer). Nous voyons donc que ce qu'on nous demande ici c'est du rêve (le mot doit être saisi dans toute sa dimension). Car que voit en fait l'observateur occidental quand devant un masque africain, il se retrouve ? Il voit : lueurs de torches, obscurs cérémonials, procession de femmes et d'hommes nus et nuit. Il voit danse, il voit transe .Il voit SON Afrique. il SE voit lui même. Bref il voit tout sauf l'objet «masque». Le visiteur, le plus aguerri à l'observation, peut en arriver presque sciemment et de manière très raisonnée à

justifier une limitation de l'appréciation artistique, ici complètement assumée et contrôlée. Henri GODARD dans son ouvrage "L'expérience existentielle de l'art", dans un chapitre où il nous entraîne au Musée des arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille, confirme, par ce frein étonnant qu'il semble opposer à la lecture innocente de ces œuvres d'un autre temps qu'il y découvre : « Mais ces masques étaient faits, non pour être regardés, mais pour être portés dans des cérémonies ou des danses rituelles. C'est pourquoi ils n'ont ni ces indications de pupille, par peinture, incision ou incrustation, qu'ont parfois les statues, ni même la cornée vide des autres. L'exposition du masque dans le musée opère de même un renversement par rapport à sa fonction première ». Ici nous nous observons une manifestation à un niveau plus complexe, plus intellectuel des « mécanismes d'opacité » face à l'art africain. Nous ne sommes pas en face du visiteur moyen qui se laisse déborder par l'appel des tam-tams et de la forêt cannibale aux milles promesses aventurières, monde vaporeux s'il en est, véritable chef d'oeuvre de l'architecture ethnologique. Nous avons affaire à un observateur rompu à l'exercice esthétique, qui décèle assez naturellement les qualités plastiques de la production africaine ; mais qui, on se demande bien pourquoi, s'empresse aussitôt de brider, par une urgente intellectualisation de la pensée, son « aller vers l'objet ». La dialectique rationnelle occidentalo-occidentale se déploie dans toute sa verve pour nous expliquer que les africains travaillent et font plus qu'ils n'œuvrent. Ainsi à en croire Henri GODARD - et c'est là, à n'en point douter, une assertion largement partagée par les "spécialistes" - il y aurait deux fonctions à l'objet africain. La « fonction première » : la vraie, la sauvage , celle là essentiellement fonctionnelle (une fonctionnalité qui, il faut le préciser, n'est elle même que vacuité dans l'esprit de l'occidental puisqu'aux antipodes de ce à quoi la définition moderne progressiste a consacré la chose). Et une autre fonction : intelligible, celle que consacre le musée en lui accordant un traitement d'art. L'observateur occidental " intelligent et prudent" se sent donc obligé au musée d'art africain de faire taire (ou du moins de nuancer) la reconnaissance esthétique à laquelle pourtant hurle le travail de l'artiste africain « par respect ». Une " résistance " du même ordre que ce qui amène un GOMBRICH à mettre art entre guillemets quand il fait référence à la production « primitive ». Cette approche qui se veut, qui se croit scientifique, nous l'avons démontré plus haut, dépossède l'Africain de tout contrôle sur "le beau" qu'il produit de façon inopportune. Cette tendance a une hiérarchie recèle les mêmes germes qu'une théorie déjà menée il y a un siècle et demi par un certain Comte de GOBINEAU : « Ainsi le nègre possède au plus haut degré, le faculté sensuelle sans laquelle il n'y a pas d'art possible ; et, d'autre part, l'absence des aptitudes intellectuelles le

rend complètement impropre à la culture de l'art, même à l'appréciation de ce que cette noble application de l'intelligence des humains peut produire d'élevé. Pour mettre ces facultés en valeur, il faut qu'il s'allie avec une race différemment douée » (Essai sur l'inégalité des races humaines, Livre II) On nous pardonnera d'avoir mis les remarques de Monsieur Henri GODARD en parallèle avec les malheureuses spéculations de GOBINEAU, mais il est important qu'on comprenne que dans la mesure de l'Africain, l'Occident avec toute la bonne volonté dont il peut sembler faire montre, continue à faire du surplace. Nous disons que le masque africain est bel et bien fait, d'abord et avant tout, pour être vu. La danse est la mise en scène qui permet au beau d'ÊTRE en puissance, d'atteindre son niveau supérieur de perception, de s'exprimer et de générer la communion autour de l'UN, bref de construire le TOUT. La relative simplicité, les libertés prises avec le naturel ne servent pas la fonction (au sens positiviste ). La danse est au service du masque et non le contraire; tout comme le Musée est au service de l'Art. La danse célèbre le masque. Cela l'anthropologie aura semble-t-il toujours du mal à le comprendre. L'intelligence, la pertinence du discours matérialisé échappent ainsi complètement à l'observateur occidental, trop distrait qu'il est par l'effort inconscient et mécanique qui vise à raviver l'Afrique fantasmée ou par cette démarche maladroite qui consiste à vouloir dire ou faire dire l'Africain (objet qui apparemment continue à lui échapper). Cette Afrique construite de toute pièces par des schèmes de pensée, fruits de rapports malhonnêtes des deux côtés. Cette vision qui n'est que cécité, a un nom: EXOTISME .(Nous reviendrons sur les mécanismes de la demande et de l'offre exotique). Le savoir anthropologique est la base sur laquelle s'est définitivement édifiée, la méta-structure fantasmatique profondément ancrée dans l'inconscient occidental et qui s'invite à l'occasion des tête à tête qui raidit (dans tous les sens du terme), corromps et définit les règles de la perception. Le manque d'innocence (la quête exotique) qu'elle provoque - caractéristique de l'approche occidentale des œuvres d'art africains - se cristallise en une complexité du « oui léger » qui est certainement un danger plus grand. L'habillage ethnologique consacrée en science s'érige en une supra-culture indiscutée qui nuit à une certaine autonomie de l'art. Cela fait partie - avec d'autres comme : « l'évaluation, l'identification rapide des mérites et défauts, la prospective et le pari » - de ce que BrunoNassim ABOUDRAR appelle la « Contingence » caractéristique des « agencements intellectuels » (« systèmes de rapprochement » qui éloignent

complètement des œuvres) et dont les effets, hautement complexes, sont : « la difficulté de l'intimité à l'art » :« une difficulté à se maintenir dans l'ouverture, à attendre sans préjuger mais non pas sans désirer, que le prochain de l'œuvre se manifeste. » d'œil. Laissons Maurice BLANCHOT nous rappeler ce devrait être la Lecture (l'approche littéraire et artistique) : la simplicité du oui léger et transparent : « Le mot faire n'indique pas ici une activité productrice : la lecture ne fait rien, n'ajoute rien ; elle laisse être ce qui est ; elle est liberté, non pas liberté qui donne l'être ou le saisit, mais liberté qui accueille, consent, dit oui, ne peut dire que oui et, dans l'espace ouvert par ce oui, laisse s'affirmer la décision bouleversante de l'œuvre, l'affirmation qu'elle est, et rien de plus » (L'espace littéraire, p.258) Ces quelques mots sont peut être les meilleurs qui aient été écrits sur le respect auquel invite " l'œuvre". Comment retrouver cette liberté « qui accueille, consent, dit oui » ? Comment retrouver cette liberté « qui accueille, consent, dit oui »? Comment « restituer l’intimité »? La médecine d' ABOUDRAR, prescrite contre la crise actuelle de l'Art en général, est cruellement plus urgente pour l'art africain :« Il faut d'abord restaurer le caractère absolument singulier, solitaire et intime de l'expérience esthétique. Elle est l'expérience d'un lien, né du désir d'art. Seul le désir de voir me fait parvenir l'œuvre, qui sans lui, peut rester absente, en face de moi. Aussi, l'expérience de l'œuvre d'art, comprise comme un désir, est-elle, avant d'être une connaissance de l'œuvre, une expérience intérieure ». Ici l'intérieur s'oppose à un extérieur du su et de la culture car « Notre culture inhibe en chacun de nous l'exercice esthétique ». Ainsi donc :« La relation à l'art peut être, et doit redevenir, quotidienne, sinon dans sa fréquence, du moins dans sa manière. Cessons de formuler à tout instant et pour toutes œuvres des exigences à la hauteur des seules contraintes que nous nous imposons. ». Si notre intuition est que l'art africain ne soit prisé pour lui même mais pour les fantasmes qu'il génère, notre crainte résolument fondée est que la chose, de par ses allures trompeuses de savoir, ne finisse d'éroder la « simplicité » et la « transparence » - gages de l'expérience esthétique heureuse - de la rencontre entre l'observateur et l'art ancien africain. François LAPLANTINE confirme les travers d'une certaine réception du savoir anthropologique en indexant ces « différentes constructions en présence (dans lesquelles, la répulsion est toujours prompte à se transformer en en fascination) de cette altérité fantasmatique qui n'a vraiment pas grand chose à voir avec la réalité ». Nous en arrivons à conclure que la demande ethnologique n'est pas l'expression d'un manque scientifique, mais bien d'un manque onirique. Il est tout simplement (du point de vue africain), tristement dommageable que cette terre à travers son héritage

artistique, du fait de la référence anthropologique, nourrisse un imaginaire abstrait et rigide, plus ou moins en décalage avec les réalités et les urgences d'un continent entier et en fracture avec sa conception de l'histoire partagée. Le préjudice pour l'art lui même est considérable, d'être un prétexte et de perdre dans l'appréciation de l'observateur sa valeur ontologique. Paul GUILLAUME, qui avec Guillaume APPOLINAIRE, forme à n'en point douter la paire d'esprits les plus lucides et de sensibilités les plus éclairées que les questions d'esthétique aient connues au début du XXe siècle, avait lui aussi mis le doigt sur le manque évident d'innocence:« Les imaginations trop civilisés et fatiguées éprouvent le besoin d'adorer la force rude du primitif, rêvent du noble sauvage et lui attribuent des vertus mythiques. Le fétiche africain leur sert d'excuse à rêver de profondes forêts mystérieuses, de tam-tams et d'étranges incantations, de noirs guerriers et de leurs voluptueuses compagnes ». Il n'avait alors manqué de manifester son scepticisme par rapport à la consistance de cette approche et de mettre en garde contre le tort qu'elle pouvait causer à l'analyse scientifique de la plastique :« Pour délicieuses que soient de telles rêveries, elles n'en constituent pas moins une espèce de jouissance tout à fait différente de celle que nous donnent les mérites d'un objet, envisagé comme œuvre d'art ». Nous disons que le « faire » africain souffre, depuis trop longtemps, du regard essentiel et essentialiste ethnologique pourvoyeur de mythes particulièrement néfastes à l'identité africaine. Il est d'autres dangers de l'ordre du viol par anticipation inhérent à tout fantasme. Bref, en réalité la nécessité qu'on nous oppose de "faire dire" les objets est une fuite en avant du visiteur, et bien trop peu souvent une soif de "vérité vraie". Nous assistons à une exaltation de la science anthropologique et à une vénération du personnage de l'anthropologue ( sorte de savant aventurier des temps modernes qui, seul, sait communiquer avec les "sauvages", s'attirer leur confiance et pénétrer leurs secrets) . Face au manque évident de questionnement de la sacro-sainte vérité anthropologique et de la rigueur de sa démarche de la part de l'observateur occidental, notre connaissance de l'histoire de la discipline, nous invite, nous, à la prudence. A ce propos, ce qui suit finit de construire notre méfiance: « Si cette recherche du dernier mohican, cette ethnologie du Sauvage du genre « vent dans les palmes de cocotier »(qui est fait une ethnologie sauvage) contribue à la popularité de notre discipline, elle n'est pas absente des motivations des ethnologues eux- mêmes » (L'anthropologie, page 46) Cette fois-ci ce n'est plus le « rêveur » qui est en cause mais le faiseur de rêves en proie lui même à un abandon onirique frisant la

possession. Et l'auteur de citer Malinowski (« père fondateur de l'anthropologie scientifique moderne ») dont il salue en passant la « franchise »: « L'un des refuges hors de cette prison mécanique de la culture est l'étude des formes primitives de la vie humaine, telles qu'elles existent encore dans les sociétés lointaines du globe. L'anthropologie, pour moi du moins, était une fuite romantique loin de notre culture standardisée.» ! Nous arrêterons là. Pour ceux qui veulent poursuivre cette charmante introduction à la « rigueur scientifique » de "L'anthropologie", nous vous renvoyons à l'ouvrage éponyme aux éditions Payot. Il reste qu'il se dégage clairement de toutes ces réactions une ligne dure. L'Occident qui est plus que jamais « las de son effort immense » et malade de sa toute puissante raison, pratique un culte intellectuel (de la répulsion et de l'attrait ) d'hypothétiques manifestations à rebours. Il tend à construire un "ailleurs" figé dans les archétypes de la succursale dont la principale caractéristique est l'absence de sérieux. La rhétorique extrêmement bien exercée ne suffit plus à cacher que tous les élans (aux grotesques alibis scientifiques) vers l'Afrique, transpirent la volonté de fuite. La dangerosité d'un fantasme résidant dans un rapport de force nonéquilibré entre le sujet au fantasme et l'objet fantasmé, il est normal ici de s'inquiéter. L'Occident croit à tort que le pan entier de spiritualité sacrifié sur l'autel de la ratio, l'humain distancé un peu plus à chacun de ses pas sur l' "autoroute" du "progrès" - et qu'il pressent dans une certaine mesure, encore libre et entier dans les sociétés de tradition - est contenu dans les sillons brumeuses du "laisser aller". Tout est donc mis en œuvre (ceci est un chantier intellectuel gigantesque) pour maintenir (ou tenir tout simplement) les sociétés d'Ailleurs dans l'imagerie de l'univers opposé à celui de l'ordre .(Nous proposons une analyse de cette absurdité dans le prochain sujet de la série). Cet « aller vers l'Afrique » n'est pas foi en l'Afrique. Il est déni pur et simple et exploitation de l'Afrique. Le sort malheureux de l'art des africains qui s'épuise à tenter de se dépêtrer de la contingence, nous renseigne le premier sur la dangerosité de ce « projet ». Aujourd'hui les objets ! refusent de servir de visa vers la destination onirique aux millions d'apprentis anthropologues qui se pressent dans les musées pour les "admirer ". L'esthétique africaine réclame d'être tout simplement. A ce niveau de notre exposé ( dont le propos se voulait l'art africain) qu'on nous permette d'ouvrir une large parenthèse pour nous intéresser aux errances du « programme » ethnologique africaniste.

Un questionnement de l'ethnologie «L'anthropologie, ce monologue tranquille de l'Occident avec lui-même, dans lequel il n'y aurait de rationalité que conférée par un sujet actif à un objet passif » ?(L'Anthropologie, page198) Nous commençons par saluer l'honnêteté du Professeur LAPLANTINE, le félicitons et le remercions d'avoir su en quelques 200 pages, nous introduire à l'histoire, au projet et à la complexité de cette matière pour laquelle nous nous serions presque vus tomber en affection. Bien évidemment nous recommandons chaudement à tous ce petit ouvrage. Tout ce qui va suivre peut paraître critique gratuite et ingrate contre une discipline qui a permis de "fixer" nombre de spécificités en voie de disparition ou complètement disparues, et qui a ouvert de nouveaux horizons à la compréhension de l'Autre. Il n'en est rien. Nous précisons que nous n'indexons pas le "Projet anthropologique" en général mais l'anthropologie africaniste en situation. Le caractère salvateur que peut avoir la démarche ne nous échappe pas. elle n'est pas absente des motivations des ethnologues eux- mêmes Combien resterons nous reconnaissant à GRIAULE pour le coup de projection franc sur la pensée africaine que constitue "Dieu d'Eau" . Que ce soit le vieil aveugle, l'initiateur de la rencontre (et accessoirement son unique acteur), ne change rien à l'affaire. Il reste que « le sauvage » a eu devant lui cette fois là, un «observateur» prudent, aux dispositions évidentes (notamment celle de se laisser étonner), au fait des us et coutumes et respectueux des règles d'usage. L' « immersion totale », l' « acculturation à l'envers » et « l' observation participante », produisent des résultats dont nous ne pouvons évacuer la portée. Si nous généralisons ici, c'est du fait de l'économie que nous impose le canal choisi. Et nous ne manquerons pas de saluer les heureux fruits de la recherche anthropologique chaque fois qu'il nous sera donné d'en remarquer. Mais il est d'autres conséquences dues aux conclusions par trop hâtives d'une « science » qui a oublié de prendre les précautions inhérentes à sa définition. Des conséquences de celles que le Nègre d'Occident peut lire tous les jours dans les yeux de sa boulangère. Ces malentendus sont le résultat de la parenté d'esprit qu'a entretenu à une certaine période l'ethnologie avec la biologie, la philosophie et l'histoire. « Ethnologie », l'Africain n'aime pas ce mot ! Et il a raison;

tant sa personne s'en est trouvée écartelée. Le préjudice est immense et il n'a finit d'être nivelé. Le terme consacre d'emblée une Hiérarchie. D'un côté l'observateur, de l'autre son objet, d'un côté le rationnel de l'autre l'irrationnel, d'un côté la lumière de l'autre l'obscurité. Positivisme, Evolutionnisme, Messianisme, Naturalisme, Humanisme, etc. autant de slogans vides de contenus personnels pour l'Africain et qui l'ont consacré dans sa mesure de l'occidental. (Et «le sauvage» attend avec beaucoup d'appréhension la prochaine invention de «l'observateur»...). Autant de coups portés à la société de tradition. Toujours "hors de l'histoire et de la culture", l'Autre est le maître-étalon de la pensée de lui même de l'occidental, le seul être qui "EST" et qui "avance". L' "auto-référentiation" est la gangrène de la mentalité occidentale et en l'ethnologie elle a trouvé sa plus grande expression. L'entreprise étant "dire de l'autre", un autre passif, sans retour sur lui même et surtout pas sur son observateur. Alors même qu'elle manifeste une frivolité inquiétante pour une discipline qui se veut « Savoir », donc « scientifique », l'anthropologie a le projet, ô combien audacieux (dénué de modestie serait peut être plus juste) de « dire l'Homme" », être éminemment complexe s'il en est, qui défi les lois les plus fines de l'objectivation comme le reconnaît Georges DAVY : « Il n'y a donc pas de rigueur de méthode qui tienne : l'humain ne se laisse résorber ni dans le mécanisme ni dans le matérialisme » (Emile Durkheim, Leçons de sociologie / page 20). Des contradictions qui n'en sont peut être pas et qu'il revient à l'anthropologue de gérer convenablement pour éviter les désagréments sus déclinés à ses « objets ». Pour que la vie des « primitifs » ne fasse plus les frais de la toute puissance raison occidentale qui « devant n'importe quel objet nouveau, se demande : « quelle est celle de ses catégories anciennes qui convient à l'objet nouveau. Dans quel tiroir prêt à s'ouvrir le ferons-nous entrer, de quels vêtements déjà coupés allons nous l'habiller "? ». (Gaston Bachelard énonçant Bergson: La poétique de l'espace, page 80). Les idées stéréotypées - que dénonce la métaphore des tiroirs - caractéristiques de la pensée ethnologique ont conduit à une lecture réductive des modes originales d'exister des africains, forçant ceux ci à les prendre en horreur et à se lancer dans une course effrénée pour ressembler au "civilisé", à l'occupant, au maître, au colon. Nous avons eu l'heureuse surprise, au cours de notre réflexion de nous rendre compte qu'elle avait déjà été menée par certains «intellectuels du tiers monde», desquels, un certain Stanislas Spero ADOTEVI (1972) et un certain Frantz FANON (1952) . Chaque fois

que sous nos pas, nous découvrons des sentiers déjà battus par le dernier, nous en éprouvons une légitime fierté, nous ne rougissons plus de nos intuitions et nous nous trouvons confortés dans notre démarche. Cela nous renseigne sur la justesse de notre interrogation. La « mort du primitif » n'a pas entraîné la mort annoncée de l'ethnologie (peut- être parce que dans l'esprit des anthropologues, le «primitif» est encore vivant ). La discipline a mué, diversifiant ses compétences et se découvrant de nouveaux terrains de jeu (où par ailleurs elle est, nous le reconnaissons, très efficace); mais il semblerait que de ses vieux démons africains, elle n'a pas encore fait l'exorcisme et continue de revisiter allègrement les fourvoiements de ses autres vies. Nous savons maintenant que l'Occident manifeste une capacité rare à tourner les pages de ses errances mais oublie toujours en même temps que les termes de jeter les préceptes hérités et de procéder au questionnement des comportements qui leur sont liés. Ainsi aujourd'hui l'anthropologie affirme avoir pris un nouveau départ parce qu'ayant rejeté dans la forme, en vrac toutes les imageries qu'elle a mise au monde, alors que son esprit même en reste profondément imprégné. Dans un autre ouvrage : "Architecture et Nature" (page 16), LAPLANTINE dans une sorte d'amorce de critique de l'anthropologie, reconnaît une autre manifestation de cette tendance dichotomaniaque dominante de la pensée occidentale qui, en ce qui concerne l'étude des sociétés d'ailleurs, « conduit à séparer le fond de la forme ». Nous rectifions : dans le cas de l'analyse de l'art africain, ce n'est pas d'une séparation qu'il s'agit. C'est plus grave. Le fond étant intimement lié à la forme, il ne peut en être séparé et ce qu'initie l'approche occidentale, est plutôt la construction d'un habillage complètement fictif qui tend à cacher la forme. De fait, il n'y a d'écriture anthropologique exacte que celle de l'objet lui même. C'est dire que : le fond c'est la forme. La « culture comme texte » n'est pas l'écrit de l'africaniste mais la plastique de l'objet africain (l'anthropologue étant tout simplement dans l'impossibilité matérielle, temporelle et spirituelle de copier la culture). L'information anthropologique est un signifiant ( la théorie construite pour rendre compte ) d'un signifié absent (l'observé), dont l'écho de la voie est scellé dans l'objet avec lequel est mis en relation l'information. Le signifiant habille. Il est par définition instable. Le culte de ce discours rationalisant travaille contre le "signifié", et est œuvre de son "muselage". Les différents niveaux d'abstraction que constituent dans la "méthode", la collecte des informations sur le terrain (ethnographie), leur agencement (ethnologie) puis leur mise en rapport

(anthropologie), sont autant d'éloignement de l'objet observé. L'exposition dépouillée d'œuvre d'art africain est seule anthropologie africaniste vraie, l'objet étant lui même et lui seul ethnographie (écriture de la culture). Voici une posture qui ne manquera pas d'être qualifiée de phénoménologique. Elle n'en a certainement que l'apparence (la mesure pensée africaine aime assez à se dérober à tous les costumes pré-taillés de la pensée occidentale). Elle l'est néanmoins résolument dans sa foi en une « stabilité du sens » (ce sens là est celui exclusif du "parler" de l'objet. Il n'est pas donné comme objectif à atteindre mais EST et est « inséparable du sensible »). Elle (notre posture) se nourrit d'une critique de la confrontation dialogique, présentée un peu comme l'état adulte (l'age 4) de la démarche descriptive. L'herméneutique ou cette irruption du langage prônée par GADAMER nous semble en effet un meurtre du juste. Elle ouvre la voie à l'intrusion dans le champ scientifique d'une donne mouvante et instable : le discours. La pluralité, la confrontation et la discussion gages d'une compréhension herméneutique heureuse, étant absentes de l'anthropologie africaniste, la démarche tend à édifier, au lieu de la multitude harmonieuse de langages, un métalangage : LA Référence. Les limites de cette posture résident donc dans ce qui devait garantir son efficacité: l'approximative. « Toute description est imprégnée d'une histoire, d'une mémoire et d'un patrimoine et est construite à travers un imaginaire » (LAPLANTINE). L'équivocité du langage lié d'abord et avant tout à l'instabilité de la personne du chercheur finit de construire la faiblesse de l'anthropologie et pernicie son diktat. Nous ne proposons ici, nous en sommes conscients, ne serait-ce que l'ébauche d'une démonstration (notre propos pèche sûrement par le trop d'intuition qui la sous-tend et la crainte latente qui la motive). Nous en laissons le soin à Stanislas Spero ADOTEVI . Comme nous, l'auteur de Négritude et Négrologues affiche son scepticisme fasse à la prétendue évolution de la discipline. « La problématique de l'ethnologie est posée.(...) Entre ce moment , celui de Livingstone-Stanley, puis celui de l'autonomie interne et enfin celui de la décolonisation, l'ethnologie n'a été que la pratique victorieuse d'une pensée douteuse. Il s'agit de nier la diversité, la dissoudre dans une démarche univoque, ne la considérant que comme un moment appauvri d'une histoire unilinéaire : cette histoire blanche donnée comme modèle indépassable. Toute l'évolution ultérieure de l'ethnologie traduit les ruses inopérantes d'une civilisation qui, ayant choisi de mentir et de se mentir, a été incapable de surmonter les apories soulevés par son propre développement grâce à son extension au delà des mers. » Il questionne le caractère auto-proclamé scientifique, dit et répète la difficulté pour la recherche occidentale

de se vêtir de la blouse blanche de l'honnêteté scientifique et de manifester une rationalité vraie dans le rapport aux autres peuples. « C'est donc à cette ratio occidentale qu'il faut s'adresser pour indiquer, non seulement l'impossibilité d'un discours scientifique en ethnologie, mais que cette discipline intégrant dans sa structure les séquences mythiques de la suffisance et du racisme européen, repose en raison et en fait sur les fondements idéologiques d'une civilisation de la destruction et de la négation des autres. De même il ne saurait y avoir d'ethnologie progressiste. Ni science, ni pensée sérieuse, indifférente aux problèmes des peuples, incapable d'instaurer un vrai dialogue, sans objet pour les peuples du tiersmonde, abrutissante, pour tout le monde, l'ethnologie, dernier raffinement intellectuel d'une idéologie de la domination et de l'exploitation essentielle, révèle la face étroite et narcissique de l'histoire bourgeoise. Son existence contredit toute possibilité de progressisme dans les sciences humaines. » Et le " Nègre lâché" de sanctionner : « l'ethnologie est une idée fausse. C'est la conscience permanente d'une politique de domination quoi n'ose plus dire son nom ». Au risque de nous fâcher définitivement avec Laplantine et Claude Lévi-Strauss nous affirmons que: l'anthropologie est bel et bien un « avatar de l'esprit colonial ». Voilà pourquoi l'Africain reste prudent et continue de questionner : « l'arrière plan » tant réclamé sert quel intérêt ? S'agit-il de rééditer la démarche hautement culturicide d'ethnologues aussi présomptueux les uns que les autres, qui ont sillonné le continent, figeant l'être et l'exister des Africains en des archétypes à valeur d'Enargeia qui nourrissent encore nombre de malentendus ? En attendant qu'une réponse claire nous soit donnée et que les manifestations d'un repenti véritable soient visibles, on comprendra que nous nous fassions un devoir de rester vigilants. Un challenge est lancé aux nouvelles générations "Chercheurs". Les africains réclament: Prudence, Mesure et Humilité. A moins qu'elle n'entame cette réforme, l'ethnologie africaniste restera indéfiniment éloignée des populations dont elle prétend parler et demeurera dangereuse pour elles. Alors, il appartiendra peut être aux Africains d'en construire la mort. Nous ne saurions conclure sur ce questionnement de l'anthropologie sans cette évidente vérité énoncée par LAPLANTINE à la page 16 de Architecture et nature en conclusion à un résumé la pensée de HUSSERL sur la description : « ..S'il existe une rationalité descriptive, elle n'est davantage du « côté » du sujet ou de l'objet, mais dans la relation qui les unit ».

Nous mettrons donc en garde contre toute canonisation du savoir anthropologique et rappelons : Aucun "tiroir" ne peut contenir la « démence précoce », la « folie flambante » et le « cannibalisme tenace ». L'homme qui se propose de mesurer un autre homme devra à un moment ou un autre se mettre à son niveau, soit en s'abaissant, soit en s'élevant ; c'est un poncif de dire que s'il fait la même taille que son "objet" c'est économie pour son entreprise. Nous disons que l'ethnologie doit revoir son éthique. Elle doit nuancer son propos (nous aimons le mot « nuancer » parce qu'il renvoie à la coloration) et définir une approche autre, dépouillée des préjugés qu'elle a construits jusque là et attentive à ne pas en produire d'autres. On comprend désormais, la défiance manifeste des étudiants africains vis-à-vis de ce cursus. Une défiance qui n'est autre chose que réaction allergique aux présupposés ethnologiques. Cette légitime méfiance se cristallise dans la très regrettable indifférence clairement affichée vis-à-vis des arts anciens africains. Et on glose sur « l'attitude décourageante» des africains, leur indécrottable manque d'ouverture vis à vis de « leur passé » et sur une hypothétique herméticité à l'art. On serait presque tenté d'y voir le signe d'une certaine indisposition "naturelle" à apprécier "le beau". (Inutile de répéter que le public européen ne va généralement pas dans les musées d'art africain pour manifester cette « haute capacité » qu'est la culture de « la sensualité éclairée et de l'abstraction intellectuelle », mais mu par des élans d'un autre genre que nous avons mis en lumière plus haut. Elans qui pour des raison qu'on imagine aisément ne sont pas le partage de l'africain). Toute hiérarchie serait vue de l'esprit et retour masqué de précepte "gobinal" . Le succès auprès du public noir d'une certaine exposition d'art contemporain érode le mythe de l'herméticité. (Nous reviendrons sur l'art contemporain et présenterons la complexité des rapports qui là aussi sont en jeu dans les prochains sujets). En définitif, on ne peut demander à l'africain d'Afrique ou de le diaspora, à l'africain américain, à l'antillais de faire sien un héritage systématiquement associé à : «sauvage», «pratiques obscures», «innocente personnalité et généreuse nature», et qu'on tient pour témoignages de sociétés à l'âge de l'«enfance de l'humanité». Il est donc évident que le gentil mépris dans lequel les africains tiennent l'art "traditionnel" est d'abord une « résistance», qu'un "recentrement " de la chose pourrait facilement amener à faire tomber.

Perspectives: Art, Musée et Nègre... construire le trio « Lyrisme, tournez à gauche; prenez garde à la poésie... » (Paul GUILLAUME) En plus d'une approche ethnologique autre il est définitivement crucial que soit engagé une nouvelle expérience de l'art africain, celle là esthétique, que nous voulons suggérer. Les Avant-Gardes ont flairé la pertinente richesse plastique des arts nègres et y ont trouvé les conditions d'une révolution, mais ont, ô ultime réminiscence d'une mentalité de clocher, refusé d'en supporter l'aveu d'une quelconque parenté. L'analyse plastique n'est pas donc allée plus loin, et celle là philosophique, n'a jamais à notre connaissance été initiée. Cette nouvelle démarche sera le fait d' historiens de l'art, qui jusque là, en ce qui concerne le faire africain, ont beaucoup plus limité leur intérêts à des considérations contextuelles se rendant complice de l'ethnologie doigtée plus haut, des fois même s'y substituant ; une histoire de l'art entamant elle aussi l'aventure exotique, oubliant son propos véritable qui doit être l'art. L'affaire aussi d'intellectuels, théoriciens, philosophes, esthètes et autres plasticiens. Mais déjà, quelque chose nous dit que cette approche originale des arts nègres, l'occident ne l'initiera pas. Il appartient aux africains de découvrir la leçon de ligne courbe, l'enseignement du poteau et les secrets du masque... Si l'anthropologie a pu s'élever au niveau de science, l'esthétique le peut aussi. L'Afrique gagnera beaucoup à initier cette révolution. Pour finir nous plaiderons en faveur d'une Démocratisation de l'art traditionnel africain. Il est souhaitable que les dépositaires que sont les musées et galeries d'art prennent conscience de leur devoir de mémoire et qu'ils mettent en place des programmes pédagogiques en direction des scolaires, des publics jeune et adulte. Des action ciblées envers "la jeunesse de nos banlieues". Il s'agit de combattre le "désamour du soi" et tous les troubles de comportement qui y sont liés en offrant les raisons d'une fierté vraie. Poser les jalons d'une quête identitaire heureuse. Des programmes plus transversaux, visant à « désintoxiquer l'imaginaire occidental ». Des projets de vulgarisation auprès des publics blanc et noir pour corriger les travers de l'Histoire et bâtir une unité autour d'une l'esthétique africaine désormais bien public de l'ensemble du genre humain. Des actions aussi en Afrique en direction des masses africaines qui se sont vus dépossédées à des niveaux différents (matériel et ou psychologique) de la façon la brutale ou la plus subtile du bénéfice de ces objets. (Ceci est un appel, mais

bien entendu il ne s'agira pas d'attendre en pariant sur la bonne volonté des personnes concernées.) Bref, il faut repenser le musée d'art africain et sa philosophie. Ici nous retrouvons Bruno-Nassim ABOUDRAR : « La philosophie étant le dispositif de pensée qui reconnaît et désigne , celui qui intègre les objets à l'ordre supérieur de la pensée, quand ce dispositif est inadéquat, c'est l'objet lui-même 'l'art-, qui paraît, par une sorte d'effet d'optique intellectuel- un « effet de pensée » - être devenu inadéquat. Or la philosophie de l'art qui a cours aujourd'hui est doublement inadéquate, qu'elle soit obsolète ou qu'elle prétende adhérer au fait qu'elle fonde...». Plus que d'une inadéquation ou d'une obsolescence de la philosophie, il serait juste, s'agissant du traitement de l'art ancien africain, de parler de son absence, l'imposture intellectualisée de la lecture ethnologique s'y étant substituée. Le diagnostic est donc plus cruel. Et la "culture" sous ses formes les plus abstraites, travaille à l'agonie de l'art : « La muséologie, l'éducation, les pratiques sociales, pleines de bons sentiments à leur habitude, élèvent entre l'art et nous l'opacité des offices de médiation. Rien ne nous pousserait à voir ou à entendre, que nous n'y soyons appelés par toute une cohorte d'agents qui simplifiant, qui expliquant, bonimentant, mettant à la portée, traduisant, transcrivant, décrivant. Et c'est d'autant qu'à chaque fois l'art semble moins fondé, plus lointain, plus hautain, plus complexe. Et moins utile ». C'est cela : les musée d'art ancien africain sont des cimetières, où les "Spécialistes" que sont les directeurs de musée, conservateurs, conférenciers, véritables fossoyeurs, à longueur de journée prononcent l'oraison funèbre d'un art qui du fait de l'énergie qu'il concentre ne demande pourtant qu'à vivre. Vivre et faire vivre. Rendre l'Art africain « utile » tel est le challenge qu'ils ont à relever. Cela passera par l'émergence d'une Philosophie, un rapport nouveau à l'Afrique, à l'Africain et à leur Art. Changer de philosophie c'est d'abord dédramatiser l'art et le rendre accessible en le libérant de l'arrogance et de l'autorité de la rhétorique anthropologique mais aussi l'évacuer de son "défi" de classes. Les "spécialistes" gagneraient à comprendre ceci :« Le saupoudrage hâtif d'une culture superficielle ne favorise en rien une relation esthétique heureuse aux œuvres de l'art ». ABOUDRAR dit, ce qui devrait, à notre avis, être au cœur des préoccupations de tous les responsables de musées et de musée d'art africain en particulier :« Il faut sortir l'exercice esthétique de tout l'appareil de contraintes, de sérieux, de lourdeurs, bref de l'outrecuidance qui le leste. Et si jamais, quelque chose comme la vérité surgit dans l'œuvre : « c'est un surgissement joyeux et presque riant, et la

contemplation qui l'occasionne a le rythme intime du plaisir.. » Nous venons de lancer un appel. Ce n'est que cela : un appel. Mais bien entendu, nous n'attendrons pas en pariant sur la bonne volonté des personnes concernées. L' "Homme Nouveau" que nous œuvrons à mettre sur pied , devra impérativement reprendre contact avec la production de ses pères, sa production. Forcer les barrières évidentes que souvent les maisons dont nous venons de parler, semblent dresser devant le public africain, investir ces lieux de non droit, se mêler à la clientèle bourgeoise habituelle. Arracher de la main d'une corporation élitiste le monopole du bénéfice de ces objets. En briser l'actuelle sacralité, pour en construire une autre qui puise aux sources d'un désir de reconstruction, au service d'une dynamique. Ces objets ont des choses à dire. Il va nous falloir tendre l'oreille. Initier des têtes à tête soutenus pour épuiser les enseignements. Entrer dans une entière possession du testament pour engager " la Marche Irréversible du Sujet Efficient ". Il ne s'agira pas de sauter les étapes, car comme l'enseigne un proverbe bien de chez nous : "C'est au bout de l'ancienne corde qu'on tisse la nouvelle". Nous laisserons les derniers mots à Paul GUILLAUME : « Les générations à venir y trouveront (dans notre "célébration" du génie africain) la source féconde d'élans généreux vers un développement des formes plastiques, vers une compréhension plus large de la vérité esthétique. L'art héroïque des noirs, ordonné, lyrique, empreint d'humanité, dramatique, douloureux, hautement désintéressé, initiateur de réalités profondes, réapparaît aujourd'hui, dressant devant la vie universelle le flambeau spirituel de son incontestable, de sa formelle et éternelle beauté. (...) L'étude de l'art des Noirs est une science naissante que demain glorifiera, dont demain s'honorera ». Auteur : Sé Notes : La question de l'approche à avoir vis à vis des arts dits premiers (scientifique OU esthétique) a été longuement et suffisamment débattue (et s'est d'ailleurs trouvée révélatrice de nombreux blocages de la mentalité occidentale). Nous avons essayé ici de fournir une esquisse du point de vue africain , qui a été jusque là copieusement ignoré. Il peut se résumer en deux points: 1/ Nous sommes hostile à toute approche "scientifique" dirigée et

plus objectivante qu'objective, 2/ Nous battons en touche toute approche esthétique élitiste et exclusive. C'est une prise de parole à la négative, c'est normal nous attendons toujours. Inutile de préciser que ceci est un écrit engagé et que de fait, il fait fi de quelques règles généralement consacrées à l'exposé. Ce n'est pas une tare. Pour une démonstration beaucoup plus raisonnée que la nôtre ( et sûrement plus complète) du statut d'art de l'art africain, nous conseillons le chapitre « Par-delà la représentation » in Michel Leiris et la théorie des arts africains de Ange-Séverin MALANDA. Pour un résumé de l'histoire des différents modes d'exposition de l'art nègre, le texte : « Les autres cultures vues par les musées » de Stéphanie Béreau dans le n°5 du magazine « Art Tribal »

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