Anesthésie - Réanimation
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Hypothermie accidentelle Diagnostic, traitement Dr Philippe LE CONTE, Pr Denis BARON Service d’accueil et d’urgence, CHU, 44035 Nantes cedex 01
Points Forts à comprendre • Le diagnostic d’hypothermie accidentelle repose sur la prise de la température avec un thermomètre spécial car les signes cliniques sont non spécifiques. • Les causes sont nombreuses et peuvent être regroupées en deux catégories : à défense maximale ou à défense minimale mais concernent essentiellement les personnes âgées et les intoxications aiguës. • Le réchauffement lent externe demeure la base du traitement dans les hypothermies modérées et graves. • La dialyse péritonéale avec un liquide chaud et la circulation extracorporelle sont indiquées en cas d’hypothermie majeure.
Les hypothermies accidentelles représentent une pathologie fréquente dans les services d’urgence pour peu que le diagnostic soit évoqué et que la température soit mesurée en utilisant un thermomètre spécial. Celles-ci peuvent survenir même en cas de température clémente lorsque les mécanismes de lutte contre le froid sont inhibés.
Diagnostic 1. Circonstances de survenue Les circonstances de survenue d’une hypothermie accidentelle peuvent être classées en deux grandes catégories : sujets dits à défense maximale ou les patients sont jeunes et exposés à un froid rigoureux (naufragés ou alpinistes) ou sujets dits à défense minimale lorsque les mécanismes de lutte contre l’hypothermie sont inhibés. Dans cette dernière catégorie, plusieurs causes peuvent être individualisées mais sont souvent associées chez un même patient. • Intoxication éthylique aiguë ou intoxication par des dépresseurs du système nerveux central : il s’agit clairement de la première cause d’hypothermie à défense mini-
male. Ces intoxications s’accompagnent d’un coma et d’une inhibition des mécanismes de lutte contre le froid du fait de l’altération des mécanismes centraux de régulation thermique. Comme chez les sujets âgés, l’exposition à une température modérée suffit pour provoquer une hypothermie, mais celle-ci demeure cependant plus fréquente l’hiver. • Les sujets âgés possèdent des mécanismes de lutte contre le froid moins efficaces du fait de la diminution de l’activité et de la masse musculaire qui représente le principal mécanisme de production de chaleur, de l’amincissement de la couche graisseuse sous-cutanée responsable d’une perte accrue de calories et d’une hyporéactivité vasculaire. Ces trois facteurs expliquent la survenue d’hypothermie après une courte exposition à des températures modérées. Par ailleurs, la présence d’une pathologie organique, l’isolement et de mauvaises conditions socio-économiques sont des facteurs favorisants. • Anesthésie générale prolongée qui inhibe les mécanismes de lutte contre le froid. • Perturbations hormonales : plusieurs causes endocriniennes peuvent être responsables d’hypothermie : l’hypothyroïdie et le pan-hypopituitarisme ainsi que l’hypoglycémie et l’acidocétose diabétique. • Syndromes septiques : l’hypothermie peut remplacer la fièvre dans les syndromes septiques, mais elle est toujours modérée (> 35 °C). Les germes en cause sont plus souvent des bacilles gram-négatifs et la physiopathologie de cette hypothermie reste obscure. • Affections neurologiques : de nombreuses maladies neurologiques s’accompagnent d’hypothermie : accidents vasculaires cérébraux, traumatismes et tumeurs cérébrales, encéphalopathie de Wernicke, maladie de Parkinson et d’Alzheimer ainsi que les sections de la moelle épinière.
2. Diagnostic clinique Il faut tout d’abord savoir reconnaître l’hypothermie. Pour tout patient admis dans un service d’urgence, la température centrale doit être mesurée. Si celle-ci, avec le thermomètre habituel ne dépasse pas 35,5 °C, il faut vérifier la température avec un thermomètre spécial descendant jusqu’à 16 °C. La symptomatologie clinique est directement liée à l’intensité de l’hypothermie. • Signes cutanés : la peau est froide, livide avec une horripilation et les extrémités sont cyanosées. Il est important de noter que les extrémités sont souvent froides chez les sujets âgés normothermes mais que la palpation de l’abdomen permet de redresser le diagnostic. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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HYPOTHERMIE ACCIDENTELLE
• Signes musculaires : il existe des frissons jusqu’à 34 °C qui disparaissent lorsque la température baisse, et font place à une rigidité musculaire qui s’accroît parallèlement à l’hypothermie. • Signes neurologiques : au-dessus de 32 °C, il n’existe qu’une asthénie, en dessous apparaissent des troubles des fonctions supérieures qui s’aggravent progressivement vers un coma calme et aréactif apparaissant vers 28 °C. Cette symptomatologie n’est bien sûr pas valide en cas d’intoxication éthylique ou médicamenteuse associée où le coma toxique domine le tableau. Les réflexes tendineux sont présents jusqu’à 28 °C mais avec une phase lente de décontraction. Les pupilles sont en myosis lentement réactif jusqu’à 25 °C puis en mydriase aréactive en dessous. Sur l’électro-encéphalogramme, l’activité électrique cérébrale diminue lors de l’hypothermie et disparaît entre 15 et 20 °C. • Signes respiratoires : la tachypnée constatée dans les hypothermies modérées fait place à une bradypnée puis à un arrêt respiratoire. Une pneumopathie d’inhalation est fréquente. • Signes cardiovasculaires : initialement, il existe une hypertension artérielle et une tachycardie progressivement remplacées par une bradycardie et une hypotension artérielle vers 30 °C. En l’absence de correction, un état de choc apparaît et aboutit à l’arrêt cardiorespiratoire. L’électrocardiogramme montre un allongement de l’espace QT puis de l’espace PR et enfin un élargissement des complexes QRS. L’onde J d’Osborn est pathognomonique mais inconstante et consiste en une déflexion positive et concave vers le haut suivant immédiatement le complexe QRS. Le point J est souvent surélevé. La ligne de base est fréquemment parasitée par l’activité musculaire. • Signes biologiques divers : plusieurs anomalies biologiques peuvent être retrouvées dans les hypothermies accidentelles : hémoconcentration, thrombopénie, coagulation intravasculaire disséminée si la température est inférieure à 28 °C ou lors du réchauffement, hyperglycémie et hypokaliémie. Sur le plan acido-basique, la correction des valeurs mesurées en fonction de la température n’est pas standardisée et leurs mesures sont donc d’un intérêt relatif. On observe souvent une acidose mixte.
3. Diagnostic différentiel Le diagnostic différentiel essentiel des hypothermies profondes est la mort. En effet, devant un patient hypotherme en arrêt cardiaque et respiratoire, en mydriase bilatérale avec une rigidité importante, la distinction entre les deux états ne peut reposer sur les simples données cliniques. La littérature fait état de patients réanimés avec succès avec des températures extrêmement basses. En pratique, le problème ne se pose que lorsque l’hypothermie profonde, voire très profonde résulte d’une chute dans l’eau glacée ou dans une crevasse. Les seuls signes distinctifs entre les patients très profondément hypothermes et les patients décédés seraient un sang totalement incoagulable (fibrinolyse postmortem) et une hyperkaliémie franche, au-dessus de 10 mmol/L, témoin de la lyse cellulaire. 344
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Traitement 1. Réchauffement Plusieurs modalités de réchauffement sont possibles : externe ou interne, actif ou passif. Leurs indications dépendent essentiellement du niveau d’hypothermie lors de l’admission. • Le réchauffement externe passif consiste à supprimer les causes extérieures de refroidissement. Le patient est déshabillé puis enveloppé dans des couvertures dont une de survie en aluminium. La remontée de la température se fait à un rythme de 0,5 à 1 °C par heure. Cette modalité thérapeutique est indiquée dans les hypothermies supérieures à 30 °C et permet un réchauffement harmonieux des parties périphériques et centrales du corps. • Le réchauffement actif externe consiste à placer le patient près d’une source de chaleur telle qu’une couverture chauffante. Elle présente l’inconvénient majeur de provoquer un réchauffement des parties périphériques du corps avant la partie centrale, et donc d’entraîner une vasodilatation périphérique responsable d’un afflux de sang froid au niveau du centre. Des complications à type de collapsus, de troubles de conscience, ou d’état de choc sont susceptibles d’apparaître. Cette technique ne peut donc être utilisée que dans des circonstances particulières (anesthésie générale, par exemple). • Le réchauffement actif interne a pour principe de réchauffer initialement le centre de l’organisme grâce à l’emploi de techniques invasives qui ne sont réalisables que dans un service de réanimation. Plusieurs techniques ont été décrites : – réchauffement des voies aériennes par application d’un mélange air-oxygène réchauffé et humidifié via un masque ou une sonde d’intubation ; cette technique est moins efficace que le lavage péritonéal mais est beaucoup moins invasive et permet en association avec les mesures de réchauffement passif externe d’obtenir une remontée thermique de 0,5 à 1 °C/heure ; – réchauffement gastro-intestinal par lavage de l’estomac ou du côlon ou des deux par une solution réchauffée ; cette technique simple est contre-indiquée lors des polytraumatismes ou en cas d’antécédent chirurgical digestif. L’irrigation gastrique est d’une efficacité limitée et doit être employée en association avec d’autres techniques ; – lavage péritonéal avec un dialysat réchauffé ; cette technique permet une remontée thermique rapide même en cas d’hypothermie profonde mais nécessite la mise en place d’un cathéter de dialyse péritonéale ; – irrigation pleurale par un liquide chaud ; cette technique peut se faire à thorax fermé ou ouvert. À thorax fermé, deux drains pleuraux sont mis en place et une irrigation par du sérum physiologique à 40 °C est instituée. Les risques liés à la pose de deux drains thoraciques doivent être mûrement pesés. La technique à thorax ouvert nécessite la présence de chirurgiens thoraciques et peut être considérée comme une technique d’exception ; – circulation extracorporelle ; elle peut être réalisée par voie fémoro-fémorale avec un oxygénateur et un échangeur
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Classification des hypothermies : – hypothermie modérée : 35 à 32 °C ; – hypothermie grave : 32 à 28 °C ; – hypothermie majeure : inférieure à 28 °C.
thermique et permet d’obtenir un réchauffement extrêmement rapide et contrôlé. Elle constitue le traitement de choix des hypothermies avec arrêt cardio-circulatoire mais nécessite une équipe entraînée et comporte des risques inhérents aux abords vasculaires et au circuit extracorporel.
2. Thérapeutiques symptomatiques Plusieurs mesures symptomatiques sont, à côté du réchauffement, indispensables lors de la prise en charge de ces patients : – l’admission en réanimation est indispensable dès que l’hypothermie est inférieure à 32 °C dans le but de monitorer attentivement les paramètres vitaux de ces patients, y compris la température grâce à la pose d’une sonde rectale ; – une oxygénothérapie, par masque ou après intubation trachéale en cas de coma ou de bradypnée majeure, est nécessaire car les besoins en oxygène de l’organisme vont augmenter au cours de la période de réchauffement ; – une hydratation intraveineuse adaptée à l’équilibre hydroélectrolytique du patient est indiquée ; – l’hypotension artérielle accompagnant toute hypothermie inférieure à 32 °C se corrige souvent spontanément au cours du réchauffement ; en cas d’hypotension sévère, une voie veineuse centrale doit être posée pour mesurer la pression veineuse centrale (PVC) dans le but de guider un éventuel remplissage vasculaire. La pose d’une sonde de SwanGanz est dangereuse car elle peut provoquer une fibrillation ventriculaire. L’emploi des amines sympathomimétiques peut être responsable de troubles du rythme. Cependant, devant un état de choc avec PVC élevée, de petites doses de dopamine (5 à 8 µg/kg/min) peuvent être employées ; – la survenue de troubles du rythme ventriculaire est une complication sévère car les fibrillations ventriculaires au cours des hypothermies ont un pronostic redoutable. En effet, en dessous de 32 °C, le choc électrique externe est rarement efficace et le seul traitement est le massage cardiaque externe pendant qu’une circulation extracorporelle est mise en place. La prévention de ces troubles du rythme repose sur la mobilisation minimale du patient ; – une éventuelle acidose respiratoire devra être traitée par une ventilation mécanique, alors que le traitement d’une acidose métabolique par des bicarbonates est d’un bénéfice hypothétique ; – l’insuline doit être évitée même en présence d’une hyperglycémie car elle est inactive en dessous de 30 °C et s’accumule, risquant donc de provoquer une hypoglycémie secondaire au cours du réchauffement.
Dans les hypothermies modérées (32 °C à 35 °C), le réchauffement passif externe est le plus souvent suffisant. Il peut y être associé le réchauffement des perfusions pour éviter les pertes de chaleur induites par des liquides froids. Dans les hypothermies graves (28 à 32 °C), les mêmes modalités thérapeutiques restent valables mais il sera souvent nécessaire de réchauffer les gaz inspirés. Le transfert en réanimation est indispensable. Dans un second temps et en l’absence de réchauffement suffisant (moins de 0,5 °C par heure), une dialyse péritonéale pourra être envisagée. Dans les hypothermies majeures (inférieures à 28 °C) et en l’absence d’arrêt cardiocirculatoire, en sus des mesures citées au-dessus, une dialyse péritonéale est indiquée en première intention dans le but de remonter rapidement la température. En cas d’arrêt cardiaque avec une kaliémie inférieure à 10 mmol/lL, la solution de choix est la circulation extracorporelle. En son absence, un massage cardiaque externe prolongé associé à une dialyse péritonéale ■ pourra être tenté.
Points Forts à retenir • Le métabolisme de base des patients en hypothermie est abaissé proportionnellement à la température mais le débit cardiaque et les échanges ventilatoires demeurent longtemps adaptés. • En l’absence d’étiologie évidente, une cause métabolique ou neurologique devra être recherchée. • La surveillance clinique comprenant une prise régulière de la température et un monitoring cardiaque sont des éléments majeurs lors de la prise en charge des hypothermies. • Le recours au médecins réanimateurs doit être précoce.
SCHÉMA THÉRAPEUTIQUE Le traitement des hypothermies accidentelles repose sur le réchauffement des patients et sur le traitement symptomatique des perturbations associées. Le réchauffement peut être réalisé par voie externe et passive, externe et active ou interne et active. – Le réchauffement passif externe est toujours de mise et consiste à supprimer les causes extérieures de refroidissement puis à envelopper le patient dans des couvertures dont une de survie. – Le réchauffement externe et actif consiste à placer une source de chaleur telle une couverture chauffante près du patient. Cette technique n’a que de rares indications car elle peut provoquer des troubles du rythme et un collapsus. – Le réchauffement actif et interne a pour principe de réchauffer initialement le centre de l’organisme par l’emploi de techniques invasives dont les plus efficaces sont la dialyse péritonéale et la circulation extracorporelle.
3. Stratégie thérapeutique LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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