Psychiatrie
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Crise d’angoisse aiguë Orientation diagnostique et conduite à tenir en situation d’urgence Dr Antoine PÉLISSOLO, Pr Jean-Pierre LÉPINE Service de psychiatrie, hôpital Fernand-Widal, 200, rue du Faubourg Saint-Denis, 75475 Paris cedex 10.
Points Forts à comprendre • Les crises d’angoisse aiguës ne sont spécifiques d’aucune pathologie psychiatrique, et peuvent toucher environ 5 à 10 % des sujets de la population générale au moins une fois dans leur vie. • Elles peuvent survenir spontanément, comme dans le trouble panique, ou être déclenchées par des facteurs psychologiques, somatiques ou toxiques. • Reconnaître rapidement une crise d’angoisse et identifier sa cause est indispensable pour la traiter dans l’urgence, puis pour orienter au mieux le patient.
Diagnostic Clinique des crises d’angoisse La crise d’angoisse aiguë, aussi appelée aujourd’hui attaque de panique, correspond à la survenue brutale d’une sensation de peur intense qui s’accompagne de symptômes psychiques, physiologiques et comportementaux. Le nombre et l’intensité de ces symptômes peuvent varier d’un patient à l’autre et d’une crise à l’autre.
1. Symptômes psychiques Les symptômes psychiques sont les émotions, les perceptions et les pensées qui accompagnent la peur. Ils peuvent aller d’une sensation de malaise vague et mal défini, à une impression violente de dépersonnalisation (altération du sentiment d’identité) ou de déréalisation (modification imprécise de la perception de l’environnement). Des symptômes psychosensoriels (augmentation de la sensibilité au bruit, flou visuel, impression de « déjà vu », etc.) peuvent être rapportés, et doivent être distingués d’hallucinations vraies et de crises d’épilepsie temporale. L’humeur anxieuse (appréhension, impression de catastrophe imminente, d’anéantissement) s’accompagne d’une incapacité partielle à penser, à rassembler ses idées, à se concentrer sur une tâche, et à retrouver des souvenirs. L’esprit est assiégé par des pensées catastrophiques : peur de s’évanouir, d’étouffer, d’avoir un accident cardiaque, et surtout de perdre le contrôle de soi (impression de devenir fou) ou de mourir.
2. Manifestations somatiques Elles sont très polymorphes, les plus fréquentes concernent la respiration (polypnée, dyspnée, sensation d’étouffement ou de blocage respiratoire) et le rythme cardiaque (palpitations, tachycardie), à côté de symptômes généraux : étourdissement, vertiges, sensation de dérobement des jambes, sueurs, bouffées de chaleur ou frissons, tremblements, secousses musculaires, douleurs ou gênes thoraciques ou abdominales, nausées, vomissement, diarrhée, impériosité mictionnelle, paresthésies. Certains signes peuvent être objectivés à l’examen clinique, comme une élévation de la tension artérielle systolo-diastolique, ainsi qu’une discrète augmentation de la température corporelle.
3. Manifestations comportementales Elles peuvent être aussi très variables : agitation désordonnée, fuite immédiate d’un lieu considéré comme anxiogène vers une « zone de sécurité », ou au contraire inhibition comportementale plus ou moins marquée, jusqu’à la sidération totale. À la différence des crises conversives d’agitation hystérique, les crises d’angoisse s’accompagnent peu de manifestations spectaculaires et théâtrales, les sujets anxieux ayant le plus souvent tendance à dissimuler autant que possible leur gêne aux yeux des autres.
4. Évolution de la crise L’évolution de chaque crise d’angoisse dépend de son origine et du contexte dans lequel elle survient. Typiquement, le début de la crise est brutal, parfois précédé par une « aura » de quelques minutes pendant laquelle l’anxiété et le malaise montent progressivement, et les symptômes atteignent leur maximum très rapidement, en quelques secondes ou quelques minutes. La phase d’état est de durée variable, en moyenne de 10 à 30 min. Pendant cette période, la crise a tendance à s’autoentretenir, voire à s’aggraver, par l’interaction des différents symptômes entre eux : l’anxiété psychique augmente les symptômes somatiques, notamment cardiovasculaires et respiratoires, qui eux-mêmes augmentent l’anxiété et notamment les pensées catastrophiques. La fin de la crise survient soit spontanément, soit sous l’effet d’une intervention thérapeutique. L’intensité des symptômes va ensuite décroître progressivement, laissant place à une sensation de soulagement souvent associée à une fatigue intense. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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CRISE D’ANGOISSE AIGUË
TABLEAU Critères diagnostiques de l’attaque de panique selon la classification DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manuel, 4e révision) Période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, durant laquelle au moins 4 des symptômes suivants se sont développés de façon brutale et ont atteint un pic d’intensité dans les 10 min : 1. Palpitations, sentiments de battement cardiaque ou accélération du rythme cardiaque 2. Transpiration 3. Tremblements ou secousses musculaires 4. Sensations de « souffle coupé » ou d’étouffement 5. Sensation d’étranglement 6. Douleur ou gêne thoracique 7. Nausée ou gêne abdominale 8. Étourdissement, sensations d’instabilité ou d’évanouissement 9. Déréalisation (sentiment d’irréalité) ou dépersonnalisation (sentiment d’être détaché de soi) 10. Peur de perdre le contrôle ou de devenir fou 11. Peur de mourir 12. Paresthésies (sensations d’engourdissement ou de picotements) 13. Bouffées de chaleur ou frissons
Diagnostic étiologique 1. Crises d’angoisse spontanées Certains sujets ont des crises totalement imprévisibles, sans facteurs déclenchants. Ces crises inaugurent souvent une pathologie anxieuse dénommée « trouble panique ». Au cours du trouble panique, les crises spontanées se répètent à une fréquence variable (de plusieurs par mois à plusieurs par jour) et vont être à l’origine d’une anxiété quasi permanente, le sujet appréhendant continuellement la survenue d’une nouvelle attaque de panique. Cette « peur d’avoir peur » est dénommée anxiété anticipatoire. Elle s’accompagne souvent d’un évitement des situations dans lesquelles le sujet se sent particulièrement vulnérable, dont il ne peut s’échapper facilement ou dans lesquelles il ne peut être aidé en cas de crise (éloignement du domicile, foule, transports en commun, grands espaces, etc.). Il s’agit alors d’un trouble panique associé à une agoraphobie. Dans certains cas cependant, une crise spontanée peut rester isolée et ne pas rentrer dans le cadre d’un trouble panique.
2. Crises d’angoisse déclenchées par une situation Des situations extrêmes de la vie peuvent déclencher des réactions d’angoisse chez des sujets indemnes de pathologie préalable : accident, agression, annonce d’une mauvaise nouvelle, imminence d’un événement important, etc. 1030
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Certains sujets, souffrant de troubles anxieux, ont en revanche une vulnérabilité très particulière à des situations spécifiques, à l’origine de crises d’angoisse prévisibles. Les sujets phobiques (phobies spécifiques, phobies sociales) peuvent ainsi avoir de véritables attaques de panique lorsqu’ils sont « exposés » à un objet phobogène (animal, objet, lieu, situation sociale, etc.). Les sujets souffrant de syndrome de stress post-traumatique peuvent également présenter des crises d’angoisse dans des circonstances qui leur rappellent l’événement traumatisant antérieur.
3. Crises d’angoisse au cours d’autres pathologies psychiatriques La plupart des troubles psychiatriques peuvent être à l’origine d’états anxieux aigus, dont les caractéristiques peuvent se rapprocher plus ou moins de la crise typique décrite ci-dessus. Il s’agit notamment des troubles dépressifs, qui peuvent s’accompagner de crises d’angoisse aiguës comme d’états anxieux intenses mais beaucoup plus durables (plusieurs heures voire toute la journée), et des troubles psychotiques. L’angoisse associée aux troubles psychotiques peut être de nature très variable, primaire (angoisse psychotique dans la schizophrénie) ou secondaire aux autres symptômes (délire, hallucinations, etc.). Les crises d’angoisse sont également de survenue fréquente dans les pathologies alcooliques et les autres dépendances, avec de nombreuses étiologies possibles (intoxication, sevrage, troubles anxieux, dépressifs, ou organiques associés, etc.).
4. Crises d’angoisse induites par une substance De nombreuses substances sont susceptibles d’induire à elles seules des crises d’angoisse aiguës, et leur recherche doit être systématique en cas de contexte évocateur : alcool, cannabis, cocaïne, hallucinogènes (LSD), amphétamines, solvants volatifs, théophylline, phencyclidine, produits anticholinergiques, dérivés nitrés, préparations thyroïdiennes, corticostéroïdes, oxyde et dioxyde de carbone. Des crises peuvent être également induites par le sevrage de certaines substances : alcool, opiacées, benzodiazépines, certains antihypertenseurs.
5. Crises d’angoisse secondaires à un trouble organique Il peut s’agir d’un diagnostic différentiel, mais certains troubles somatiques favorisent par ailleurs l’émergence d’une symptomatologie anxieuse aiguë, qu’il faut alors traiter comme telle en plus de la pathologie organique : crises d’angor, crises d’asthme, épilepsie partielle ou encore crises sensorielles.
Diagnostic différentiel De nombreuses pathologies somatiques peuvent comporter des symptômes anxieux, parfois au premier plan, ou mimer les symptômes habituels de l’anxiété aiguë : cardiovasculaires (angor, infarctus, poussée d’insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, troubles du rythme) ;
Psychiatrie pulmonaires (asthme, embolie pulmonaire) ; neurologiques (épilepsie, notamment les crises temporales, crises migraineuses, maladie de Ménière, accidents ischémiques transitoires) ; endocriniennes (hypoglycémie, phéochromocytome, hyperthryroïdie, syndrome de Cushing, hypoparathyroïdie) ; autres (hémorragies internes, pancréatite, porphyrie, vertiges labyrinthiques, réactions anaphylactiques).
Conduite à tenir
crise ou de la faire cesser. Si l’examen est en faveur de l’existence d’une pathologie organique associée à l’angoisse, il faut le préciser au patient et le prévenir des éventuels traitements et examens complémentaires prescrits. Dans le cas contraire, il est aussi important de le signaler au patient, sans conclure à l’absence de pathologie mais en pointant l’origine psychologique de son état, permettant d’attribuer à l’anxiété les symptômes physiques observés. Lui rappeler que la crise va naturellement céder et qu’en aucun cas sa vie n’est en danger est souvent indispensable. Des méthodes simples permettent également de réduire les symptômes psychiques et physiques : défocaliser l’attention du patient des menaces externes ou de sensations internes anxiogènes, orienter cette attention vers un essai de détente d’une partie du corps comme les muscles du bras ou des épaules, et surtout modifier le rythme respiratoire. Celui-ci doit être le plus lent et le plus « superficiel » possible, bouche fermée et en s’aidant d’une respiration abdominale plutôt que thoracique. Les respirations amples et l’hyperventilation favorisent en effet l’hypocapnie responsable de nombre de symptômes somatiques. Ces mesures permettent dans la très grande majorité des cas d’obtenir une interruption de la crise. Il faut ensuite expliquer au patient ce qu’il vient de vivre, compléter éventuellement l’examen somatique, et approfondir l’évaluation psychopathologique. En fonction de celle-ci, le patient sera orienté vers son médecin traitant ou vers un spécialiste en fonction de l’étiologie (traitement préventif dans un trouble panique par exemple). La prescription médicamenteuse au cours de la crise d’angoisse elle-même doit être limitée autant que possible. Le patient ne doit pas en effet conserver en mémoire une issue uniquement « médicalisée » de sa crise, en évitant tous les actes les plus symboliques et les plus techniques (perfusions, injections). C’est ainsi qu’un meilleur contrôle du sujet sur son anxiété pourra être obtenu, dans la perspective d’éventuelles récidives, évitant de le rendre dépendant des structures de soin les plus lourdes.
1. Évaluation
3. Traitement médicamenteux
L’examen somatique dans l’urgence est à adapter à la situation et aux premiers signes d’orientation, pouvant se limiter à une auscultation et à une prise de tension artérielle mais pouvant aller jusqu’à la réalisation d’examens complémentaires en urgence : électrocardiogramme, examens sanguins, biologiques et recherche de toxiques au moindre doute. Au plan psychopathologique, il est surtout important de recueillir le plus d’informations possibles sur les antécédents du patient et les circonstances de la crise, avec la contribution éventuelle de l’entourage. Une écoute attentive du discours du patient est naturellement indispensable, même sur une période courte, pour orienter le diagnostic étiologique.
Il ne s’impose que lorsque la crise se prolonge malgré les méthodes énoncées ci-dessus, par exemple au-delà d’une demi-heure, ou que les symptômes sont très intenses (agitation psychomotrice très importante). La voie orale est à privilégier, car elle assure les meilleures biodisponibilitée et rapidité d’action pour les produits anxiolytiques, et elle permet de limiter le caractère technique de l’acte. Si une administration médicamenteuse est indiquée, il faut choisir un produit et une dose réellement actifs et anxiolytiques et proscrire tout placebo ou produit apparenté, qui pourrait être efficace mais sans permettre au patient d’accéder à une compréhension et à une maîtrise du phénomène. Les médicaments disponibles dans le traitement aigu de l’anxiété sont essentiellement des benzodiazépines : diazépam (Valium), 1 comprimé à 5 ou 10 mg ; alprazolam (Xanax), 1 comprimé à 0,25 ou 0,50 mg ; clorazépate dipotassique (Tranxène), 1 ou 2 gélules à 10 mg. L’effet anxiolytique, s’accompagnant éventuellement d’un effet sédatif (en fonction de la dose et de la sensibilité du
Formes cliniques L’expression de certaines crises d’angoisse peut dépendre d’un contexte culturel ou religieux particulier. C’est le cas de certains états de « transes » qui empruntent une symptomatologie très spectaculaire, mais qui peuvent correspondre à une expression de l’angoisse dans certaines cultures. D’autres crises ont aussi un caractère très stéréotypé, avec une prédominance de symptômes physiques parfois totalement isolés, déterminé également par le contexte culturel. Les crises dites de « spasmophilie » par exemple, presque uniquement décrites en France, comportent une hypertonie tétaniforme et des paresthésies. Ces signes sont toujours en rapport avec une hyperventilation ou avec d’autres modifications respiratoires affectant les échanges gazeux, et donc transitoirement la fixation calcique sur les plaques motrices. Ils ne sont cependant jamais liés à une quelconque anomalie métabolique, et ne justifient en aucun cas en eux-mêmes la réalisation d’examens complémentaires ni la prescription aiguë ou chronique de calcium, de magnésium ou de vitamine D. Il existe enfin des crises dites paucisymptomatiques, dont le diagnostic peut être difficile en raison de la présence de signes peu nombreux et essentiellement somatiques (crises vertigineuses, douleurs abdominales, palpitations, etc.). Les patients consultent alors souvent en première intention en neurologie, ORL, gastro-entérologie.
2. Mesures générales Dans la plupart des cas, l’éloignement des facteurs anxiogènes extérieurs et la présence rassurante d’un professionnel permettent très rapidement de réduire l’intensité de la
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sujet), est obtenu en 15 à 30 min environ. La surveillance concerne essentiellement la vigilance et la fonction respiratoire, surtout en cas de prise récente d’alcool ou d’autres toxiques, opiacés notamment. La voie intramusculaire est à réserver aux cas exceptionnels où la voie orale n’est pas accessible (agitation majeure, contracture de la mâchoire, troubles de la déglutition), avec par exemple : diazépam (Valium), 1 ampoule à 10 mg ; clorazépate dipotassique (Tranxène), 1 ampoule à 20 mg. La voie intraveineuse ne doit pas être utilisée dans les crises d’angoisse aiguë.
4. Cas particulier des états psychotiques Les crises d’angoisse aiguës survenant au cours d'un trouble psychotique (schizophrénie, bouffée délirante aiguë, mélancolie délirante) peuvent faire l’objet d’une prescription médicamenteuse plus rapide. Le recours aux benzodiazépines est possible, mais les neuroleptiques sédatifs (phénothiazines surtout) per os ou en intramusculaire ont un effet plus spécifique et plus puissant : chlorpromazine (Largactil), 1 ou 2 comprimés à 25 mg, ou 1 ou 2 ampoules à 25 mg en intramusculaire ; cyamémazine (Tercian), 1 ou 2 comprimés à 25 mg, ou une ampoule à 50 mg en intramusculaire. L’effet apparaît également en 15 à 30 min, et la surveillance concerne surtout la vigilance, la tension artérielle, d’éventuels effets neurologiques comme des dyskinésies aiguës, et la température (syndrome malin). ■
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Points Forts à retenir • Le diagnostic d’une crise d’angoisse aiguë repose sur l’évaluation de 3 types de symptômes : psychiques, somatiques, et comportementaux. • Les causes organiques et toxiques doivent être systématiquement recherchées devant un tableau d’angoisse aiguë. • En cas d’absence de cause organique ou toxique, le médecin doit expliquer au patient que ses symptômes, même somatiques, sont liés à l’angoisse et ne mettent pas sa vie en danger. • Il est essentiel de faire comprendre au patient qu’il peut avoir une certaine maîtrise sur les symptômes anxieux, et donc d’éviter une intervention trop médicalisée et technique si elle ne s’impose pas. • Les anxiolytiques (benzodiazépines le plus souvent) ne sont à utiliser que dans les crises intenses et durables, de préférence par voie orale, et en les accompagnant d’explications sur les mécanismes de la crise.
POUR EN SAVOIR PLUS Adès J, Rouillon F. Les états névrotiques. Paris : Upjohn, 1992. Boulenger JP. Troubles anxieux paroxystiques (trouble panique) et agoraphobie. In : L’attaque de panique : un nouveau concept ? Upjohn, 1987. Lépine JP, Pélissolo A. Anxiété, attaques de panique et trouble panique. Med Ther 1998 ; 4 : 51-6.