l’espace numérique d’éducation
QUELLES RESSOURCES, POUR QUELS USAGES ? Caroline d’Atabekian LE CAFÉ PÉDAGOGIQUE
Un point de vue d’usager, avant usage…
L’offre semble bien couvrir l’ensemble des champs disciplinaires : si les encyclopédies et dictionnaires s’adressent à tous, Hachette paraît particulièrement attrayant pour les animations scientifiques en Flash contenues dans l’encyclopédie professionnelle ; l’AFP et la presse intéresseront plutôt les professeurs d’histoire et d’éducation civique, mais aussi ceux de lettres ; les données de l’INSEE seront exploitées en histoire, en
À
l’heure où la quasi-totalité des établissements du second degré est en passe d’accéder à Internet, et bientôt les écoles, et où, à en croire le récent
rapport de l’Inspection générale sur les réseaux numériques1,
le réseau devient « le cœur de l’établissement »,
on ne peut que se réjouir qu’une initiative comme l’Espace numérique d’éducation voie enfin le jour. Certes, il existe en parallèle, et depuis qu’il est à la portée de tout un chacun de créer un site internet, une offre privée importante, issue d’initiatives individuelles et associatives notamment, qui mériterait elle aussi d’être promue et mise en valeur, d’autant plus que son succès auprès des enseignants est avéré et que le stade expérimental est largement dépassé. Ces deux pôles sont complémentaires dans l’aide qu’ils apportent aux enseignants puisque ENÉE propose des ressources éditoriales ou institutionnelles, coordonnées à l’échelle natio-
« C’est une première, et sans doute est-ce propre à Internet: on nous propose comme outils le matériel à partir duquel, habituellement, les éditeurs scolaires élaborent des propositions de cours conformes aux programmes scolaires et, en quelque sorte, "prêts à l’emploi" dans les manuels. »
géographie, mais aussi en sciences, et il en est de même des images satellitales de Spot Image. L’INA, qui s’adresse particulièrement aux professeurs d’histoire, propose environ 200 documents audiovisuels d’une durée moyenne de deux minutes. Enfin Basile, banque de données élaborée par le CNED et l’éditeur Honoré Champion, donne accès à 103 auteurs et 1 000 œuvres romanesques du Moyen Âge au XIXe siècle, dont le CNED précise que « les textes sélectionnés sont des fondamentaux, libres de droit » et qu’ils sont « issus de versions sans fautes ». En fin de compte, la meilleure utilisation d’ENÉE sera peut-être l’interdisciplinarité : autant de données brutes à exploiter pour les IDD, TPE et autres classes à PAC.
… et quels contenants ?…
nale, quand Internet propose celles conçues par les
Pour envisager des applications pédagogiques de l’Es-
enseignants eux-mêmes.
pace numérique, encore faut-il savoir quel type d’accès sera proposé pour les différentes ressources, et quels types de droits pour les exploiter.
Un point d’actu
Quels contenus ?… Il serait vain de statuer sur les ressources nécessaires
L’accès
aux enseignants : ENÉE ne sera jamais complet, proba-
Chaque éditeur prend en charge la réalisation de l’in-
blement même jamais adéquat à la fois aux besoins de
terface qui donnera accès à ses ressources ; chacun
M. X à Montpellier et de M. Z à Châteauroux. Les bonnes
aura son langage de requête et son ergonomie propres.
ressources sont celles dont l’enseignant a besoin à un
Dans ce contexte, on conçoit la nécessité, pour ne pas
moment donné, pour un cours donné, et qui corres-
s’y perdre, d’un site portail ouvrant sur l’ensemble des
pondent à sa pratique. Dans les ressources envisagées,
ressources. L’outil n’est encore qu’un projet mais il se
certaines paraîtront prioritaires pour X, pas pour Z…
développe, et nous ne pouvons que souhaiter une inter-
C’est inévitable, mais ce n’est sans doute pas très grave.
face à la fois simple dans sa présentation et complexe
On peut néanmoins regretter le retard du projet de
dans la finesse des interrogations qu’elle permettra.
WebTV commun à France 5 et au Scérén, qui devrait
N’oublions pas que, si les enseignants ont accès à
mettre à la disposition des établissements, en streaming
l’ENÉE, ce sont surtout les élèves que l’on enverra « dans
ou en téléchargement, un catalogue de programmes
l’espace » et que de leur facilité à y naviguer et à y trou-
composé de séquences vidéo courtes immédiatement
ver ce qu’ils y cherchent dépendra le succès de l’opé-
exploitables en classe.
ration.
70 L’ESPACE NUMÉRIQUE D’ÉDUCATION
Les droits Le problème des droits est complexe, puisque les données proposées sont de natures différentes : textuelles, iconographiques, sonores, audiovisuelles… Néanmoins, il serait souhaitable qu’une tentative d’uniformisation soit engagée pour tous les éditeurs, de manière que : – les ressources soient accessibles non seulement de l’établissement, mais aussi depuis le domicile des enseignants, qui préparent leurs cours chez eux ; – les ressources sélectionnées (image, texte, extrait audiovisuel) à partir desquelles les élèves auraient réalisé une production puissent être rediffusées dans une certaine mesure sur les sites internet d’établissements, comme cela se fait de plus en plus pour une meilleure mise en valeur du travail des élèves. On sait déjà, par exemple, que Hachette Multimédia va dans ce sens.
… pour quels usages ? Bien que la question des accompagnements pédagogiques soit évoquée, Enée propose, pour l’essentiel, des données brutes : archives de presse, images, textes littéraires, documents audiovisuels… Seule l’encyclopédie présente quelques animations pédagogiques pour illustrer des faits scientifiques, mais, dans l’en-
Néanmoins, ce cas de figure concerne encore aujour-
semble, nous avons affaire à des bases de données.
d’hui une minorité d’enseignants ; il est fort probable
Aucune ressource didactisée, aucune piste pédago-
que bon nombre d’entre eux, ceux qui ne sont pas
gique pour exploiter les bases ne sont prévues pour le
encore familiers des salles informatiques, se trouvent
moment. Faut-il le déplorer ou s’en réjouir ?
quelque peu perplexes devant cet ensemble de données, non seulement parce qu’elles sont brutes, mais aussi parce qu’elles sont… numériques, c’est-à-dire
C’est une première, et sans doute est-ce propre à Inter-
qu’elles appellent des usages pédagogiques intégrant
net : on nous propose comme outils le matériel à par-
les nouvelles technologies. Il est donc probable que,
tir duquel, habituellement, les éditeurs scolaires élabo-
dans un premier temps, l’utilisation de l’Espace numé-
rent des propositions de cours conformes aux
rique sera freinée par une réticence non seulement à
programmes scolaires et, en quelque sorte, prêts « à
recourir aux données brutes, dont il faudra imaginer
l’emploi » dans les manuels. Or, on le sait, les ensei-
une exploitation en classe, mais encore à se servir de
gnants aménagent presque toujours les ressources des
données numériques, que certains apprécieraient sans
manuels pour les adapter à leurs élèves et à leur sen-
doute sous une forme plus traditionnelle. Faut-il pour
sibilité ; avec Internet, les initiés ont même pris l’habi-
autant « pédagogiser » ces ressources afin d’encourager
tude de puiser directement des données sur le réseau
les enseignants à les intégrer dans leurs pratiques ?
pour les exploiter en classe dans un cours qu’ils auront
Le risque serait dans ce cas d’imposer des modèles,
eux-mêmes élaboré. Dans ce cadre, ENÉE est l’espace
des « bons usages », voire une didactisation abusive,
approprié.
venue d’en haut, qui risquerait d’encourager davantage
1. L’école et les réseaux numériques, juillet 2002.
Un point d’actu
Pour une didactisation des ressources?
L’ESPACE NUMÉRIQUE D’ÉDUCATION 71
des pratiques singeant des exemples en ligne. La bonne pratique d’un enseignant, c’est la sienne propre, en accord avec ses objectifs pédagogiques, la classe avec laquelle il travaille, son expérience, sa démarche didactique. Plus qu’un accompagnement, c’est sans doute une formation pédagogique réelle qu’il faudrait mettre en place ; l’expérience montre que la formation efficace chez les enseignants est la formation par les pairs. La véritable clé du succès d’ENÉE est sans doute dans l’échange, la discussion, les expériences qu’il engendrera sur le terrain. Il serait donc souhaitable de soutenir largement les outils d’échange horizontal.
La liberté à l’épreuve d’Enée La précieuse liberté pédagogique des enseignants est donc mise à l’épreuve avec ENÉE : à nous de nous montrer inventifs, pour élaborer des activités pédagogiques à partir des ressources proposées, tous horizons ouverts. De ce type d’expérience cependant, nous avons déjà matière à réflexion avec les deux projets qui ont préfiguré l’Espace numérique : les accordscadres avec la BBC d’une part, le partenariat avec Louvre.edu d’autre part. On en trouve sur Educnet quelques exemples : une utilisation heureuse de la BBC en classe 2 , ou encore une série de liens vers des exemples d’exploitations pédagogiques de bases de textes numérisés3 (transposables à Basile). Mais l’expérience la plus spectaculaire, celle qui a le plus suscité l’imagination et la créativité, est celle de Louvre.edu. On en trouve quelques utilisations à partir de la présentation qui en est faite sur Educnet4. Ces nouveaux usages, induits par ces ressources d’un genre nouveau, appellent sans doute des démarches didactiques non moins nouvelles, indissociables des toujours nouvelles technologies. Gageons que les enseignants y trouveront l’occasion pour affirmer leur liberté pédagogique en se montrant créatifs,
Un point d’actu
et que celle-ci ne deviendra pas une contrainte ! ●
1. L’école et les réseaux numériques, juillet 2002. ftp://trf.education.gouv.f/pub/edutel/syst/igen/rapports /rapportfinal.pdf 2. www.educnet.education.fr/actu/reportage/bbc.htm 3. www.educnet.education.fr/lettres/anim/usages.htm 4. www.educnet.education.fr/louvre/louvre5.htm
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