Vendredi 13 mars – Gazon maudit 06 h 45 Je reviens à l’instant de la «boulangerie» locale (le K-Mart du coin, espèce de magasin de station service, mais sans station service qui le jouxte), où je suis allé chercher un pain de la forme la plus usitée qui soit, ici : un pain de mie carré destiné à être toasté, qui me rappelle non sans émotion les Pains Jacquet de l’époque (point encore révolue) où je dépensais ma jeunesse dans les festivals pop-rock. Soudain, sur le court chemin qu’il me faut parcourir, me voilà contraint de procéder à un bond périlleux de côté ; en effet, à ma gauche se sont déclenchés, une fois de plus, les jets d’eau automatiques qui arrosent les pelouses locales. C’est qu’ici, en plein désert, le petit carré de gazon, situé devant l’habitat, a longtemps été érigé en mode de vie. Jusqu’à un passé très récent, il me semble que plus ou moins chaque parcelle en était dotée. L’eau, à tout le moins pour ce qui me concerne, fait l’objet d’une tarification très modique (environ 15 $, soit 10 € par mois) et, surtout, forfaitaire. L’on comprend que, puisque l’on a payé pour cette eau et que l’on y a droit, on serait bien bête de ne pas la dispenser à foison sur ses pelouses, fussent-elles en l’occurrence implantées en plein désert. L’autorité communale, soucieuse d’écologie (et donc saisie du désir contradictoire, d’une part, de s’autosaborder avec cette ville insensée sur le plan écologique et, d’autre part, de se pérenniser), l’autorité communale disais-je donc, a décrété et levé une taxe sur ces fameux carrés de pelouse. A priori, si j’en juge les pelouses devant les complexes d’appartements, même «crapy» (pas le grand luxe, quoi), cette mesure ne vaut que pour les particuliers et, à part dans les banlieues clairement friquées, n’a pas manqué de produire des effets utiles (la taxe en question étant, paraît-il, prohibitive). L’on constate en effet, de passage dans les «voisinages» (les neighbourhoods), que bon nombre de locaux ont opté, qui pour du gravier, qui pour un jardin du désert (cactus, fleurs et différents arbustes propices étant donné le climat). C’est quelque chose qui nous avait frappé à Tucson, probablement moins riche mais également plus ancienne ; là-bas, nulle trace des carrés de pelouse verte, nul jardinet «à la française», nul magasin de réparation de tondeuse. Ces espaces verts étaient très avantageusement remplacés par un florilège de plantes du désert, lesquelles, placées dans leur biotope naturel, nécessitent à la fois nettement moins d’eau et moins d’entretien. Je ne peux vous dire à quel point le contraste est criant entre ces pelouses totalement décalées, que l’on aperçoit à Tempe / Phoenix et celles des jardins de Tucson. C’est qu’en réalité, la superficialité et le décalage des pelouses à leur environnement ressort très fort, alors que les plantes désertiques se glissent avec aisance, naturel et volupté dans les espaces qui leur sont dédiés. Ainsi, la terre dure absorbe très mal l’eau et le gazon, arrosé trop souvent, se couvre ci et là de gigantesque flaques, voire de micro-inondations. Malgré tout, l’herbe pousse étrangement, et l’étendue verte dissimule mal sa fragilité et les quelques touffes dégarnies qui la parsèment par endroits. En outre, personne ne se hasarde sur ces pelouses, la modeste couche de terre accueillant ces dernières étant imbibée d’eau et extrêmement glissante. De surcroît, le passage à pied ou à vélo dans le gazon, accompagné le cas échéant d’une petite glissade, abîme très fortement celui-ci et génère de très peu élégantes traces à l’endroit du passage. La jolie demoise#e, c’est Catherine
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