AFRIQUE
RWANDA, UN NOUVEAU FRONT POUR LA FRANCE Après l'invasion du Rwanda par des réfugiés rebelles, et de violents combats dans la capitale, Paris a envoyé un nouveau contingent de militaires pour protéger ses ressortissants. La Belgique, le Zaïre ont également acheminé des troupes, mais la situation paraît pour l'instant stabilisée. Samedi 6 et dimanche 7 octobre 1990 Quelques heures seulement après avoir repoussé les rebelles venus d'Ouganda en début de semaine, l'armée rwandaise a dû répliquer vendredi à l'aube, dans les rues mêmes de la capitale Kigali, à des attaques nocturnes de groupes armés. Des soldats français, disposés près de l'ambassade de France, ont été mêlés à ces engagements et « obligés de riposter, à titre purement défensif», face à «des éléments armés», a-t-on précisé de source militaire à Paris. La situation paraissait hier revenue sous contrôle des autorités, «sous réserve de nouvelles attaques cette nuit», analyse un diplomate rwandais. Il estime que les rebelles ont changé de tactique après leur échec initial, et adopté les méthodes de la guérilla urbaine faute d'avoir réussi leur invasion. A Kigali, toute activité est paralysée, et les 400000 habitants sont consignés chez eux par un couvre-feu permanent. Le pouvoir interdit toute circulation automobile pour mieux repérer d'éventuels mouvements ennemis. Le général-président, Juvénal Habyarimana, demande à ses compatriotes « de coopérer avec les forces de sécurité », et assure que les étrangers résidant au Rwanda n'ont «aucune raison de s'inquiéter car leur sécurité est assurée par l'Etat ». Paris n'en demande pas moins aux Français de quitter le pays, en raison des « risques qu'ils courent » s'ils restent sur place, a annoncé hier soir le ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas. La France imite ainsi l'Allemagne et la Corée du Sud. 670 Français vivent au Rwanda, pour les deux tiers dans la capitale. La Belgique, de son côté, n'entend pas évacuer dans l'immédiat ses 1630 ressortissants, qui constituent le groupe étranger le plus important de leur ancienne colonie. Les combats de la nuit dernière avaient débuté à 2h20 locales (lh20 en France), aux alentours du palais présidentiel et de l'école militaire où le chef de l'Etat, le général-major Juvénal Habyarimana, s'était momentanément retranché. Les rebelles, armés de fusils ou de mitraillettes, ont ouvert le feu sur les militaires qui ont répliqué et conservé la maîtrise du terrain. Les affrontements se sont par la suite déplacés à une dizaine de kilomètres vers l'est de la capitale, à proximité de l'aéroport où est installé un camp militaire. Le calme est revenu vers 7h30. L'aéroport était hier considéré comme «sûr» en raison notamment de la présence des 150 légionnaires du 2e REP et des 150 parachutistes du 3e régiment parachutiste de l'infanterie de marine, ordinairement basés à Bangui (Centrafrique). Le porte-parole du Quai d'Orsay, Daniel Bernard, a précisé que leur mission est «exclusivement d'assurer la sécurité des ressortissants français ainsi que la protection de l'ambassade de France». A 9h25 hier matin, quatre Hercules C-130 et un DC-10 s'étaient déjà posés sans encombre avec quelque 500 parachutistes belges. Le chef de l'Etat zaïrois, le maréchal Mobutu Sese Seko, a lui aussi répondu favorablement à la demande d'assistance militaire de Kigali, en envoyant jeudi 500 hommes au Rwanda et en mettant en état d'alerte un bataillon de parachutiste de Kinshasa. Le Front patriotique rwandais (FPR), groupe d'opposition au régime de Juvénal Habyarimana, a revendiqué, de
Kampala où il est basé, l'initiative de la tentative d'invasion, qui aurait mobilisé 5000 hommes, selon des estimations ougandaises. Ceux-ci ont été recrutés en Ouganda, principalement parmi les 250000 ressortissants rwandais de l'ethnie tutsie. Ces réfugiés s'étaient installés en Ouganda en 1956, après les massacres intertribaux qui ont accompagné la prise de pouvoir au Rwanda par l'ethnie Hutu, démographiquement majoritaire. Le chef des rebelles, le commandant Fred Rwigyema, appartient effectivement à l'ethnie tutsie. Le FPR dément néanmoins répondre à des préoccupations d'ordre ethnique. Il assure bénéficier du soutien de nombreux Hutus, qui composeraient le tiers de ses effectifs. C'est le cas du colonel Alexis Kanyarengwe, l'un des chefs de la rébellion. Il avait aidé Juvénal Habyarimana à s'emparer du pouvoir en 1973, avant de s'enfuir du Rwanda après un coup d'Etat manqué en 1980. A Kigali, on s'interroge sur le rôle joué dans toute cette affaire par l'Ouganda. Fred Rwigyema fut en effet chef d'état-major adjoint de l'armée ougandaise, et ses hommes sont pour la plupart des «déserteurs» qui ont franchi la frontière sous uniforme ougandais, avec armes et véhicules de l'armée régulière. Auraient-ils pu (…) sans la bienveillante neutralité, (…) moins, de l'actuel président ougandais, Yoweri Museveni, également président en exercice de l'Organisation de l'unité africaine (OUA)? Christian LIONET (avec Reuters et AFP)
Armée française : la logistique suit mal Les envois simultanés des différents contingents français dans le Golfe, a Tchad et au Rwanda, commencent à poser de sérieux problèmes. Une deuxième compagnie de combat appartenant au 3e régiment d'infanterie de marine de Carcassone a rejoint hier le Rwanda pour prêter main forte aux 150 légionnaires du 2e REP de Calvi protégeant, depuis la veille, l'aéroport de Kigali. Pour remplacer ces deux unités appartenant aux Eléments français d'assistance opérationnelle (EFAO) « prépositionnées» en permanence aux camps de Bangui et de Bouar (Centrafrique), l'état-major de la 11e division parachutiste a fait partir hier deux compagnies du 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine de Castres. Toutes ces unités, dépêchées sur ordre du gouvernement, «ont répondu en un temps record », n'excédant pas quelques heures, se félicite-t-on à l'état-major de l'armée de terre. Il n'empêche que cette nouvelle intervention militaire française, modeste en volume si on la compare aux deux autres, commence à poser de très sérieux problèmes de logistique à l'armée de l'air. Concrètement, elle est parvenue à l'extrême limite de ses capacités de transport et a dû interrompre toutes ses missions prévues à l'intérieur des frontières nationales, à l'exception de celles relevant de la formation de ses jeunes pilotes. Ce qu'un officier traduit par la formule: «On est full up. La saturation est arrivée ! » Le commandement du transaérien militaire doit en effet «soutenir» simultanément les troupes françaises déployées à AbouDhabi (..) avions de chasse arrivés en Arabie Saoudite, de même que les (…) mille militaires de l'armée de terre de l'opération Daguet. Elle doit (…) face également à la poursuite de l'opération Epervier au Tchad, alors que la tension monte sur la frontière soudanaise. Il y a quelques semaines, alors que commençaient les préparatifs de déploiement significatifs en Arabie Saoudite, un officier général de l’armée de l'air, spécialiste du transport, nous confiait ses craintes: «Avec le concours des compagnies civiles, nous pourrons assurer deux opérations simultanées en Arabie Saoudite et au Tchad. Mais je crains comme la peste un troisième engagement de la France. Dans cette éventualité, nous souffrirons ! » Concrètement, le Cotam dispose d'environ soixante-dix C160 Transall, de dix C130 Hercules et de quatre DC8. Tous ces appareils sont actuellement mis à contribution au maximum de
leur potentiel, hormis les Transall déployés outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Antilles, Polynésie) et les appareils subissant les entretiens périodiques. Le déclenchement inopiné de l'opération au Rwanda a nécessité, pour le transport des troupes, la mise en place d'un C-130 Hercules et d'un DC8 partis de France, et de deux C160 Transall prélevés sur le dispositif mis en place au Tchad. Tout ceci n'aurait pas posé de problème majeur si pratiquement l'ensemble de la flotte aérienne militaire de transport n'était actuellement engagée dans un véritable pont aérien à destination de la péninsule arabique. Il reste possible d'employer des Boeing747 cargos d'Air France, mais cela ne dispense pas de migraines les logisticiens du Cotam : les avions civils, contraints d'observer les règles de l'IATA (1), ne peuvent transporter ni munitions ni cargaisons dangereuses. Plus sérieux encore: les avions civils nécessitent des installations de déchargement dont les aéroports saoudiens ne sont pas tous dotés. Les militaires français seront donc toujours contraints de procéder à des ruptures de charges coûteuses en temps et en matériels pour décharger les cargaisons avant de les réinstaller à bord de Transall, seuls capables d'opérer sur des aéroports sommairement aménagés. La dernière difficulté vient de la fatigue des pilotes : une rotation (aller-retour) de la France vers le Golfe avec un Transall d'ancienne génération, c'est-à-dire non ravitaillable en vol, nécessite —y compris les escales— vingt-huit heures de vol ou de veille en moins de quatre jours. C'est beaucoup, surtout si l'on tient compte des contraintes de sécurité pesant sur les pilotes, « tous très motivés mais aussi très fatigués», admet l'un d'entre eux... Toujours est-il que la situation actuelle, sans précédent pour les armées françaises depuis la fin de sa dernière grande opération coloniale en Algérie en 1962, démontre que les limites de la « capacité de projection » sont rapidement atteintes. Avec des différences selon les armées : l'armée de terre, par exemple, est loin d'être au bout de ses possibilités humaines et matérielles, tandis que la rapidité de réaction et la disponibilité des troupes professionnalisées de la Force d'action rapide—qu'elles appartiennent à la 6e division légère blindée (Arabie Saoudite) ou à la 11e division parachutiste (Rwanda)— sont un gage de leur efficacité. Mais pour l'armée de l'air, c'est une autre paire de manche. L'acharnement et le fighting spirit des pilotes de transport militaire ne suffiront pas éternellement à compenser la faiblesse de leurs moyens. Les partisans d'un renforcement —même modeste— des capacités de transport à long rayon d'action de l'armée de l'air trouveront dans cet état de fait de nouveaux arguments. Jean GU1SNEL (l) International Air Transport Association