Anesthésie – Réanimation B 130
Hypothermie accidentelle Diagnostic, traitement DR Paul BONNEIL, PR Daniel MATHIEU Service d’urgence respiratoire, de réanimation médicale et de médecine hyperbare, hôpital Calmette, CHRU, 59037 Lille Cedex.
Points Forts à comprendre • L’hypothermie accidentelle est définie par la baisse de la température centrale au-dessous de 35 ˚C. Elle résulte d’une insuffisance des mécanismes de compensation par rapport à la déperdition thermique liée à l’exposition au froid. Les perturbations des différentes fonctions physiologiques de l’organisme dépendent de l’intensité de l’hypothermie : légère (32,2 à 35 ˚C), modérée (28 à 32,2 ˚C) ou sévère (< 28 ˚C). Sa survenue dépend de facteurs qui vont diminuer la production de chaleur, augmenter les pertes de chaleur ou perturber les systèmes thermorégulateurs. • Il s’agit d’une affection rare mais souvent méconnue par défaut de moyens de mesure adaptés. L’hypothermie profonde est une pathologie grave (60 à 90 % de décès) dont l’atteinte cardiaque est le principal facteur pronostique.
Signes cliniques Mesure de la température La mesure de la température centrale est un problème important. En effet, la déperdition de chaleur n’est pas homogène et le choix du site de mesure est fondamental. L’idéal serait de mesurer la température de l’hypothalamus, ce qui, en pratique, est impossible. Les sites de mesure de référence sont le tiers inférieur de l’œsophage et l’artère pulmonaire. À ce niveau, la température est proche de celle du cerveau et égale à celle du cœur. La membrane tympanique est fréquemment utilisée en pédiatrie. La vessie, le rectum, l’aisselle et le nasopharynx n’offrent pas de mesures fiables dans le cadre d’une hypothermie. La température doit au minimum être surveillée sur 2 sites. Les thermomètres habituels ne mesurent pas les températures basses et il faut utiliser des thermomètres hypothermiques allant jusqu’à 15 ˚C. Dans les services de réanimation on utilise des thermomètres électriques,
soit à thermistance rapide, soit à thermocouple qui, une fois en place, permettent une mesure en continu de la température. Les systèmes de mesure de température par thermographie à infrarouges n’ont pas été évalués en hypothermie.
Hypothermie légère (> 32,2 ˚C) La dépression du système nerveux central est linéaire avec la diminution de la température. Le patient est conscient mais présente des phases d’amnésie, d’apathie et (ou) de dysarthrie. Il présente des troubles du jugement et semble mal adapté à la situation présente. Les réflexes ostéotendineux sont vifs. La pression artérielle et la fréquence cardiaque sont élevées. La vasoconstriction se traduit par des téguments qui sont froids, pâles avec horripilation. Le patient est tachypnéique mais l’ampliation thoracique est diminuée. L’auscultation met en évidence un encombrement bronchique, associé ou non à un bronchospasme. On observe une polyurie avec une dysurie. Les frissons sont présents uniquement à ce stade.
Hypothermie modérée (entre 28 et 32,2 ˚C) Les signes neurologiques sont caractérisés par une bradypsychie avec troubles des fonctions supérieures et dysarthrie. Les troubles de la vigilance vont de la simple obnubilation au coma. Les réflexes ostéotendineux sont diminués et il existe une hypertonie musculaire associée à de fines trémulations diffuses remplaçant les frissons. Les pupilles commencent à se dilater et le réflexe photomoteur disparaît. Les téguments sont glacés, parfois cyanosés. Il n’y a jamais de marbrures en l’absence de collapsus cardiovasculaire associé. La fréquence cardiaque est constamment ralentie, rendant la mesure de la pression artérielle au brassard semi-automatique difficile voire impossible (intérêt de mesurer la pression artérielle par voie sanglante). La pression artérielle et la diurèse sont diminuées. L’électrocardiogramme montre le plus souvent une bradycardie sinusale avec allongement des espaces PR et QT, mais des troubles du rythme sont possibles, en particulier une fibrillation auriculaire. La morphologie du QRS peut être modifiée par la présence de l’onde J d’Osborn située à la jonction entre le ventriculogramme et le segment ST. Le risque majeur est la survenue d’une fibrillation ventriculaire, surtout à partir de 28 ˚C.
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Le volume courant et la fréquence respiratoire sont diminués. Les sécrétions trachéo-bronchiques sont abondantes. Les troubles de la conscience et la diminution des réflexes pharyngo-laryngés sont responsables d’inhalations.
Hypothermie sévère (< 28 ˚C) Le patient est dans le coma. À partir de 25 ˚C, il peut être en apnée. Les complexes QRS sont larges et le risque de fibrillation ventriculaire est majeur. L’hypothermie sévère est insensible à la cardioversion et à la lidocaïne tant que la température n’est pas au moins égale à 28 ˚C. Elle est favorisée par les troubles acidobasiques, l’hypoxémie ou toute stimulation mécanique. Le cathétérisme central ou cardiaque droit est formellement contre-indiqué à ce stade d’hypothermie. En dessous de 20 ˚C, le patient peut être en état de mort apparente avec un tracé électroencéphalographique plat, ce qui ne doit pas modifier la décision de poursuite de la réanimation. En effet, des survies sont décrites dans la littérature médicale et le décès médico-légal par arrêt cardiorespiratoire doit être déclaré en normothermie.
Prise en charge thérapeutique Traitement symptomatique La diminution du métabolisme hépatique et de l’excrétion rénale ainsi que l’augmentation de la liaison aux protéines plasmatiques des agents pharmacologiques en hypothermie favorisent le risque de toxicité. Il faut donc réduire les interventions pharmacologiques au strict nécessaire. Tout collapsus cardiovasculaire doit bénéficier d’un remplissage vasculaire modéré avec des cristalloïdes. Si la pression artérielle n’est pas rapidement restaurée, de faibles doses de dopamine (3 à 5µg/kg/min) peuvent être utilisées. Un remplissage vasculaire excessif risque d’être mal toléré par un myocarde dont la fonction inotrope est altérée. La dobutamine est plus arythmogène que la dopamine. La fibrillation auriculaire ne nécessite pas d’intervention thérapeutique. Les troubles de la conscience et l’hypoxémie peuvent justifier une intubation endotrachéale et une ventilation mécanique. Elle n’augmente pas l’incidence de fibrillation ventriculaire dans les hypothermies sévères. Celle-ci doit être adaptée à l’aide de gaz du sang artériel fréquents. L’hyperglycémie initiale par diminution de la sécrétion d’insuline et glycogénolyse ne doit pas être traitée car le risque d’hypoglycémie secondaire est important.
Sur les lieux de l’accident Le traitement le plus efficace est le traitement préventif. Les sujets à risque d’hypothermie doivent se munir d’équipement de survie isolants et observer les règles de sécurité. La qualité de la prise en charge préhospitalière 2040
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est primordiale. Les premières mesures doivent limiter les déperditions caloriques en soustrayant le patient d’un environnement froid et en enlevant tous les vêtements mouillés. Ensuite, il est enveloppé dans une couverture chaude ou isothermique. L’oxygénothérapie est systématique, soit par voie nasale, soit après intubation endotrachéale si l’état de conscience est altéré. Elle peut permettre un réchauffement des gaz inhalés par un parachute thermique sur les lieux de l’accident. Le malade doit rapidement être surveillé par un électrocardioscope. S’il est en arrêt cardiorespiratoire, la réanimation doit être entreprise immédiatement et poursuivie longtemps. La voie d’abord veineuse est si possible périphérique. Elle permet d’administrer des solutés cristalloïdes réchauffés. Cette expansion volémique doit être prudente car la défaillance myocardique est souvent déjà présente à ce stade. Le malade sera ensuite transféré vers un centre hospitalier disposant d’un service de réanimation pouvant mettre en œuvre une circulation extracorporelle.
En centre hospitalier Au centre hospitalier, le réchauffement du patient est la première urgence. En cas de lésions associées, l’urgence vitale est de rétablir rapidement une normothermie afin de les traiter dans de bonnes conditions. Il existe 3 types de réchauffement : externe passif, externe actif et interne actif (fig. 1). Quelle que soit la méthode utilisée, la surveillance du patient doit être optimale car le réchauffement est souvent accompagné de complications à type de troubles du rythme, de collapsus cardiovasculaire par vasodilatation périphérique et d’aggravation secondaire de l’hypothermie par le mécanisme de l’afterdrop (aggravation de l’hypothermie après le début du réchauffement).
1. Le réchauffement externe passif C’est la méthode de choix pour les patients atteints d’hypothermie légère sans antécédents particuliers. Ils sont placés dans un environnement chaud afin de limiter toute nouvelle perte de chaleur par radiation, conduction, convection et évaporation. Le réchauffement se fait par la thermogenèse propre des patients. Cette méthode n’induit qu’un réchauffement lent, la température centrale n’augmente que de 0,5 à 1 ˚C par heure mais elle a l’avantage de ne pas induire d’hypotension artérielle.
2. Le réchauffement externe actif Il assure un transfert de chaleur par convection à partir d’une source d’énergie (matelas et couvertures chauffantes, lampes radiantes) vers la peau du patient. Cette méthode induit un réchauffement plus rapide permettant d’augmenter la température centrale de 1 à 2 ˚C par heure. En revanche, elle est potentiellement plus dangereuse. Outre le risque de brûlures, elle s’accompagne d’une vasodilatation cutanée responsable d’une diminution de la pression artérielle et des résistances artérielles systémiques qui doit être corrigée. On peut observer, à
Anesthésie – Réanimation
non
oui
Arrêt cardiorespiratoire
La circulation extracorporelle est-elle disponible ?
Température centrale > 32 °C
Température centrale < 32 °C
Présence d’instabilité hémodynamique
oui
non
Réchauffer jusqu’à 32 °C au moins
Réanimation cardiorespiratoire associée à toutes les méthodes de réchauffement internes et externes
Échec de réchauffement externe passif Présence de facteurs de risques d’hypothermie
Réchauffement passif externe
Réchauffement actif interne seul ou en association avec un réchauffement externe du tronc
1 Quel mode de réchauffement choisir ? D’après Danzl et Pozos. la phase initiale du réchauffement, une diminution de la température centrale liée à la redistribution du sang du compartiment périphérique hypotherme vers le noyau central (afterdrop). Ce phénomène s’accompagne d’une diminution de la température cardiaque favorisant les troubles du rythme. Il peut être diminué lorsqu’on limite le réchauffement actif externe au tronc. Cette méthode ne doit être appliquée que prudemment, sous surveillance étroite, en complément de la première si l’état hémodynamique est instable, si la température est inférieure à 32 ˚C ou si les mécanismes de régulation de l’homéothermie risquent d’être inefficaces.
3. Le réchauffement interne actif Il consiste à réchauffer en premier le noyau. Une multitude de moyens de réchauffement ont été utilisés. • L’insufflation d’air ou d’oxygène, humidifiés et réchauffés, est une méthode modérément efficace (1 à 2 ˚C par heure) mais non invasive et simple lorsque le patient a bénéficié d’une intubation endotrachéale pour hypoxémie ou trouble de la conscience. Elle
permet de limiter les pertes de chaleur supplémentaires par les voies aériennes et doit s’associer aux autres techniques de réchauffement. • L’administration de solutés réchauffés nécessite des volumes importants pour être efficace. Ce n’est donc pas la technique de réchauffement interne actif à utiliser car la défaillance myocardique est constante dans les hypothermies sévères. Elle est intéressante lorsque l’état hémodynamique du patient nécessite un remplissage vasculaire. • La dialyse péritonéale par des solutés cristalloïdes réchauffés entre 40 à 45 ˚C est une méthode efficace. Elle permet un réchauffement de la température centrale de 2 à 4 ˚C par heure. Elle est facilitée par la mise en place de 2 cathéters, l’un pour les entrées et l’autre pour les sorties. Le débit de soluté est de l’ordre de 4 à 6 L/h. Cette technique offre l’avantage, en ajustant les bains de dialyse, de corriger les désordres hydroélectrolytiques. Le réchauffement direct du foie facilite la reprise du métabolisme hépatique et limite le risque de désordres métaboliques en phase de réchauffement.
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• L’irrigation pleurale à thorax fermé par du sérum réchauffé entre 40 et 42 ˚C est une technique efficace mais dont le risque iatrogénique est important. Les techniques d’irrigations gastriques, coliques ou œsophagiennes sont peu efficaces car les surfaces d’échanges thermiques ne sont pas suffisamment étendues. • Les circulations extracorporelles (hémodialyse, oxygénation extracorporelle) sont les méthodes de réchauffement actif interne qui induisent le réchauffement le plus rapide lors des hypothermies sévères. Bien qu’il n’y ait pas d’étude affirmant sa supériorité, l’oxygénation extracorporelle permet de réchauffer le compartiment central de 3 à 5 ˚C toutes les 5 min pour un débit fémoral de 2 à 3 L/min. Le débit peut être augmenté jusqu’à 6 à 7 L/min. La vitesse de correction de l’hypothermie sévère n’est pas consensuelle, une durée de 2 h paraît raisonnable. Sous circulation extracorporelle, le réchauffement de la température centrale jusqu’à ce que la fibrillation ventriculaire redevienne sensible à la défibrillation est sans risque pour le patient. Elle permet d’optimiser le niveau d’oxygénation. Le risque principal est d’ordre hémorragique, car les risques liés à l’héparinothérapie nécessaire à la circulation extracorporelle s’ajoutent à la thrombopénie et à la coagulopathie induite par l’hypothermie. La voie d’abord est la thoracotomie car la sternotomie s’accompagne d’un risque important de décompensation cardiaque et de fibrillation ventriculaire. Cette technique peut être utilisée sur des patients en arrêt cardiorespiratoire. Dans ce cas, le réchauffement extracorporel veino-veineux ou artério-veineux peut être indiqué.
Points Forts à retenir • L’hypothermie accidentelle est définie par la baisse de la température centrale au-dessous de 35 ˚C. • L’hypothermie modifie toutes les grandes fonctions physiologiques de l’organisme, mais son pronostic dépend de l’atteinte cardiovasculaire. • Le risque vital majeur est la survenue d’une fibrillation ventriculaire. Elle est réfractaire à la défibrillation tant que la température centrale n’est pas au moins égale à 28 ˚C. • Devant un arrêt cardiorespiratoire sur un patient en hypothermie profonde, la réanimation doit être effectuée de façon prolongée. • La correction d’un collapsus cardiovasculaire par hypovolémie doit être très prudente car une insuffisance myocardique associée est quasi constante. • La correction des désordres acido-métaboliques doit tenir compte de l’hypothermie. • Les interventions pharmacologiques doivent être limitées au strict nécessaire du fait de l’altération des grandes fonctions vitales.
POUR EN SAVOIR PLUS Mantz J et al. Hypothermie accidentelle. Conférences d’actualisation de la SFAR, 1997.
Pronostic La mortalité globale des hypothermies accidentelles est de 60 à 90 %. Peu d’indicateurs cliniques, biologiques ou évolutifs peuvent servir de facteur pronostique. Ce dernier dépend essentiellement de l’origine des hypothermies et du terrain des patients. Lorsque la régulation de l’homéothermie est conservée, la mortalité est de 7 % alors qu’elle est de 75 % lorsqu’elle est altérée. Les hypothermies entrant dans le cadre des intoxications ont un bon pronostic. Ce dernier dépend aussi de la profondeur de l’hypothermie, il s’effondre lorsque la température centrale est inférieure à 26 ˚C. Cette pathologie est semée de pièges diagnostiques. La persistance d’une tachycardie disproportionnée par rapport à la température centrale doit faire rechercher une hypovolémie, une hypoglycémie ou une ingestion de toxique. Un coma persistant malgré la correction de l’hypothermie peut être révélateur d’une origine infectieuse, traumatique, neurologique ou toxique. Une dyspnée persistante doit faire rechercher une acidose métabolique ou une cause neurologique, alors qu’une aréflexie persistante peut correspondre à une lésion médullaire. Enfin, un électroencéphalogramme plat non en rapport avec la profondeur de l’hypothermie est évocateur d’une prise de toxique. ■ 2042
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POUR APPROFONDIR Causes d’hypothermies (d’après Danzl et Pozos) 1.
Diminution de la production de chaleur
Endocrinopathies : hypothyroïdie, hypopituitarisme, hypocorticisme. Carence énergétique : hypoglycémie, malnutrition, âges extrêmes… 2. Anomalies de la thermorégulation Système nerveux périphérique : neuropathies, diabète, compression médullaire. Système nerveux central : accident vasculaire cérébral, traumatisme crânien grave, pathologies néoplasiques ou dégénératives. Pathologies métaboliques : causes pharmacologiques (anesthésie, curarisation), causes métaboliques, causes toxiques. 3.
Augmentation de la perte de chaleur
Due à la vasodilatation : toxique, pharmacologique. Causes dermatologiques : brûlures, dermatoses bulleuses étendues. Causes iatrogéniques : exposition au froid (intervention chirurgicale prolongée), perfusion de quantités massives de solutés non réchauffés, transfusions massives. Causes environnementales : exposition au froid, noyade, avalanche… 4.
Liées à des états cliniques sous-jacents
Polytraumatisés, état de choc, pathologies cardiopulmonaires, acidoses, états septiques graves (bactériens, viraux ou parasitaires), pancréatite aiguë, insuffisance rénale chronique, carcinomatose.
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POUR APPROFONDIR (SUITE) Physiopathologie
Exposition au froid Thermorégulation L’homme est un mammifère homéotherme : la température de ses principaux organes est normalement constante. Le maintien très précis de la température de notre corps à 37 ˚C n’est valable que pour la partie centrale du corps. L’enveloppe périphérique est poïkilotherme, sa température est en fonction de sa surface et de l’environnement. Ces phénomènes nécessitent des mécanismes de régulation thermique. Le bilan calorique d’un sujet au repos est nul : la thermolyse est parfaitement compensée par la thermogenèse. Il s’agit d’un paramètre très finement régulé puisque l’écart entre les seuils de thermogenèse et de thermolyse est de 0,5 ˚C. La production de chaleur se fait par un mécanisme bien précis : le métabolisme des glucides, des protides et des lipides qui sont les 3 composants principaux de notre alimentation. Le métabolisme de base produit environ 45 W/m2/h-1 (100 kcal.h-1), dont 20 % par le tube digestif et le foie, 20 % par les muscles squelettiques, 18 % par le cerveau et 13 % par le cœur. À l’effort, la production et la répartition de chaleur varient de façon considérable†: la thermogenèse est multipliée par 3 lors de la marche, par 2 à 5 lors du frisson et par 10 à 15 lors d’un effort violent. L’hypothermie réduit le métabolisme de base d’environ 8 % par degré. La thermogenèse est souvent exprimée en termes de consommation en oxygène (VO2) car il existe un équivalent calorique de l’oxygène, égal à 4,5 kcal/L d’oxygène pour les protéines, 4,7 pour les graisses et 5 pour les hydrates de carbone. La thermolyse correspond aux mécanismes mis en jeu lors des pertes de chaleur. La conduction est l’échange de chaleur se faisant entre 2 solides par contact direct. Elle est proportionnelle à la surface de contact avec un coefficient variable d’un solide à l’autre. Elle est très importante dans l’eau ou la conduction thermique est 32 fois supérieure à celle de l’air. La convection correspond à la perte de chaleur entre la surface cutanée et l’air environnant. Elle est proportionnelle à la surface d’échange, à la vitesse du fluide et à un coefficient dépendant de la nature du fluide. La radiation est l’échange de chaleur par l’intermédiaire de photons, avec une prépondérance dans l’infrarouge. L’échange est proportionnel à la surface. L’évaporation consomme une quantité de chaleur ; ce phénomène est mis en jeu lors de l’évaporation de la sueur et lors de l’humidification de l’air inhalé par les voies aériennes. Il est important lorsque le patient porte des vêtements mouillés dans une atmosphère bien ventilée. En pratique, les pertes de chaleur se répartissent pour 3 % par conduction, 15 % par convection, 60 % par radiation et 22 % par évaporation. Les pertes transcutanées avoisinent 90 % de la thermolyse. Elles sont modulées par l’épaisseur du tissu adipeux, la couche de sébum et les vêtements. La thermorégulation nécessite des thermorécepteurs, des centres de régulation, des mécanismes effecteurs et des voies nerveuses afférentes et efférentes les reliant entre eux (fig. 2). On distingue des thermorécepteurs périphériques et centraux. Les premiers sont cutanéo-muqueux et sont sensibles à la fois à la valeur absolue et aux variations de température. Les récepteurs centraux sont situés dans l’hypothalamus, dans le tronc cérébral, dans la moelle épinière et dans le territoire vasculaire. Les centres de régulation sont situés au niveau de l’hypothalamus. Ils intègrent les informations venant des thermorécepteurs sous formes de « température corporelle moyenne » mais le poids relatif de ces informations varie selon le territoire : celles provenant du « noyau central » représentent 80 %. L’hypothalamus antérieur régule la thermo-
Thermorécepteurs cutanés
Voie spinothalamique
Température sanguine
Réflexe direct de vasoconstriction
Centre thermorégulateur hypothalamus antérieur
Frisson
Réponse hormonale retardée
Réponse système nerveux automome (immédiate)
Stimulation extrapyramidale des muscles squelettiques
Adaptation comportementale
2 Physiologie de l’exposition au froid. genèse et l’hypothalamus postérieur la thermolyse. La sensation de confort thermique dépend des informations provenant des effecteurs périphériques. Les mécanismes effecteurs tendent à maintenir la température corporelle constante. Le frisson chez l’homme adulte est le seul mécanisme de thermogenèse important en dehors des modifications comportementales. Il augmente la production de chaleur d’un facteur allant de 2 à 5. La vasomotricité cutanée permet de moduler les échanges par convection entre la peau et les milieux qui l’entourent. C’est un moyen de régulation particulièrement intéressant car d’un faible coût énergétique. La vasomotricité musculaire du compartiment périphérique permet de limiter l’essentiel de la production de chaleur au seul compartiment « central ». La sudation est le seul moyen de lutte contre l’hyperthermie. La sensibilité au froid est véhiculée par les fibres A-δ alors que la sensibilité au chaud est véhiculée par les fibres C non myélinisées (voie de la douleur). Les voies ascendantes empruntent le faisceau spino-thalamique mais de façon non exclusive. Les voies efférentes utilisent la voie motrice extrapyramidale jusqu’aux muscles squelettiques, le système parasympathique cholinergique jusqu’aux glandes sudoripares et le système sympathique noradrénergique jusqu’aux vaisseaux. Chez l’homme, la réponse au froid s’accompagne d’une hyperactivité du système sympathique et d’une sécrétion catécholaminergique qui facilitent le frisson et accompagnent la réponse à celui-ci, qu’elle soit circulatoire, ventilatoire ou énergétique. Chez le nouveau-né, la lipolyse de la graisse brune sous l’effet des catécholamines est une source de thermogenèse sans frisson. Les hormones thyroïdiennes et surrénales sont impliquées dans la thermogenèse, mais elles agissent surtout dans les phénomènes d’adaptation chronique.
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POUR APPROFONDIR (SUITE) Modifications physiologiques dues à l’hypothermie L’hypothermie modifie toutes les grandes fonctions de l’organisme. Elle perturbe aussi bien le métabolisme de base que le système cardiovasculaire, le système nerveux central, le système respiratoire, la coagulation ou le milieu intérieur. Mais c’est son atteinte cardiaque qui conditionne le pronostic. Métabolisme de base L’hypothermie diminue le métabolisme de base de 50 % à 28 ˚C, avec parallèlement une baisse de la VO2, de la VCO2 et du quotient respiratoire. En conséquence, l’hypothermie pourrait réduire le métabolisme anaérobie et l’acidose lactique qui en découle, même à de faibles valeurs de transport en oxygène. Ce phénomène serait à l’origine de l’effet protecteur de l’hypothermie, notamment au niveau des cellules cérébrales. Système cardiovasculaire Lors d’une hypothermie légère, la mise en jeu des mécanismes thermorégulateurs induit une augmentation de la fréquence et du débit cardiaque avec parallèlement une vasoconstriction. La pression artérielle est légèrement augmentée. Lorsque l’hypothermie est plus profonde, ces mécanismes sont dépassés et on observe une bradycardie avec prolongement de la systole, une baisse du débit cardiaque et une vasodilatation à partir de 28 ˚C. La fonction inotrope du ventricule gauche est altérée par une diminution de sa compliance et une augmentation de la viscosité sanguine. L’ensemble de ces facteurs prennent part dans la diminution de la pression artérielle. Mais l’importante diminution de l’index cardiaque n’est pas toujours contemporaine d’une insuffisance circulatoire car celui-ci est adapté aux besoins périphériques (différence artério-veineuse en oxygène et lactatémie normales). C’est lors du réchauffement que cet équilibre précaire peut être perturbé et que l’état de choc peut apparaître. L’hypothermie induit des altérations du fonctionnement des canaux ioniques membranaires qui provoquent un allongement des phases de dépolarisation et de repolarisation ventriculaires. Sa traduction au niveau de l’électrocardiogramme de surface est un allongement de l’espace QT puis, pour des hypothermies profondes, de l’espace PR et du QRS. Mais la modification la plus évocatrice (mais non pathognomonique) est l’onde J d’Osborn, déflexion positive apparaissant à la jonction du QRS et du segment ST. Enfin, le seuil arythmogène ventriculaire diminue avec la température corporelle, entraînant un risque majeur de fibrillation ventriculaire faisant toute la gravité de l’hypothermie profonde. Système nerveux central L’hypothermie diminue le métabolisme cérébral de façon linéaire. Elle induit une perte de l’autorégulation cérébrale et une réduction du débit sanguin cérébral. Lorsqu’elle est modérée (34 ˚C), elle a un effet protecteur cérébral vis-à-vis de l’ischémie par diminution du métabolisme cérébral et diminution de la libération de médiateurs impliqués dans la toxicité neuronale. Ces éléments doivent toujours être pris en compte lors de la réanimation d’un patient hypotherme ayant une inefficacité circulatoire. L’électroencéphalogramme est marqué par un retentissement de l’activité cérébrale avec apparition d’ondes lentes. Le tracé devient isoélectrique aux environs de 20 ˚C. Au niveau du système nerveux périphérique, on observe une diminution des vitesses de conduction, réversible lors du réchauffement. Système respiratoire Parallèlement à la diminution de la VO2, on observe une diminution de la ventilation alvéolaire à la fois sur le volume courant et la fréquence respiratoire. La réponse ventilatoire au CO2 et à l’hypoxémie
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est diminuée. L’hypothermie induit une diminution de l’activité mucociliaire associée à une diminution du réflexe de toux, voire des réflexes protecteurs pharyngo-laryngés. Ceux-ci expliquent la fréquence des encombrements bronchiques, des pneumopathies et des atélectasies rencontrés dans cette pathologie. L’hypothermie diminue l’oxygénation tissulaire. Tout comme l’alcalose ou l’hypocapnie, elle déplace la courbe de dissociation de l’hémoglobine vers la gauche. À 27 ˚C, la saturation de l’hémoglobine en oxygène est de 100 % alors que la pression partielle en oxygène est de 59 mmHg. La vasoconstriction périphérique, les anomalies du rapport ventilation/perfusion et l’hyperviscosité sanguine majorent ce phénomène. En hypothermie, l’interprétation des gaz du sang artériel est difficile. Lorsque le sang se refroidit, le pH et la pression partielle en CO2 (PaCO2) diminuent. C’est un effet direct de la température sur la dissociation des ions H+ et la pression des gaz en solution aqueuse. Un pH à 7,4 et une PaCO2 à 40 mmHg à 37 ˚C sont équivalents sur le plan physiologique à un pH à 7,5 et une PaCO2 à 30 mmHg à 30 ˚C. Maintenir un pH et une PaCO2 physiologique, chez un patient hypotherme, induirait une relative acidose respiratoire et un défaut de délivrance tissulaire en oxygène par déplacement vers la gauche de la courbe de dissociation de l’hémoglobine (liée à l’hypocapnie relative). La correction des anomalies de l’équilibre acido-basique doit être progressive car les systèmes tampons rénaux et respiratoires deviennent plus efficaces avec le retour à la normothermie. Milieu intérieur L’acidose métabolique est liée à la production de lactates à partir du frisson, de la diminution de l’oxygénation tissulaire, de la baisse du métabolisme hépatique et de la diminution de l’excrétion rénale des acides. À des températures inférieures à 32 ˚C, un iléus avec constitution d’un 3e secteur est fréquemment observé. La pose d’un cathéter vésical et d’une sonde gastrique est indispensable. L’hématocrite augmente de 2 % avec la perte de chaque degré Celsius. L’hémoconcentration est associée à une hyperhydratation intracellulaire. Les modifications électrolytiques et hématologiques ne sont pas prévisibles lors du réchauffement. En général, on observe une hyperglycémie par inhibition de la sécrétion d’insuline et glycogénolyse hépatique mais il faut toujours éliminer une décompensation acido-cétosique d’un diabète ou une pancréatite aiguë. L’hypothermie masque les modifications électrocardiographiques en normothermie des variations du pool potassique. Elle peut induire une hypokaliémie dont la supplémentation systématique est dangereuse chez un patient en acidose métabolique et à risque d’insuffisance rénale anurique. L’hypothermie s’accompagne d’une réduction de la filtration glomérulaire par vasoconstriction de l’artériole afférente et par l’augmentation de la viscosité sanguine. Dans l’hypothermie modérée, la réabsorption d’eau et d’électrolytes au niveau du tubule distal est diminuée alors que dans l’hypothermie sévère apparaît une oligo-anurie. Les amylases plasmatiques et urinaires sont fréquemment augmentées sans que l’on retrouve nécessairement des signes cliniques ou radiologiques de pancréatite aiguë. Coagulation Bien que les taux de facteurs de coagulation restent normaux, l’hypothermie s’accompagne d’une coagulopathie. La diminution de la température inhibe directement les réactions enzymatiques de la cascade de coagulation. La fonction plaquettaire est altérée car la production de thromboxane A2 dépend de la température. Cette thrombopathie aggrave la thrombopénie induite par la séquestration splénique et l’altération des capacités régénératrices de la moelle