00-1839

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Médecine interne B 328

Lupus érythémateux aigu disséminé Diagnostic, évolution, principes du traitement DR Olivier LIDOVE1, PR Patrice CACOUB2 1. Service de médecine interne, hôpital Foch, 92151 Suresnes. 2. Service de médecine interne, groupe hospitalier La Pitié-La Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13.

Points Forts à comprendre • Le lupus érythémateux aigu disséminé est l’exemple type de maladie auto-immune non spécifique d’organe. Cette maladie touche les femmes dans environ 90 % des cas. • La cause de cette maladie est actuellement inconnue. • La présentation clinique est variée et les examens biologiques sont d’une aide importante au diagnostic. Le lupus érythémateux aigu disséminé n’est pas exclusivement une maladie dermatologique (lupus systémique). • Le traitement doit être adapté à chaque situation clinique et à chaque cas individuel.

Diagnostic La diversité des organes atteints rend difficile une définition purement clinique de la maladie. Les critères de classification de la maladie, tels les critères de l’ARA (American rheumatism association), ne doivent pas être considérés comme des critères diagnostiques (voir : Pour approfondir 1). En effet, ils ne permettent pas le diagnostic précoce de l’affection. Ces critères sont utiles aux études épidémiologiques et servent à comparer des collectifs homogènes de patients. Un score pondéré des critères du lupus a été récemment proposé (voir : Pour approfondir 2). Il permet d’obtenir une sensibilité de 92 % et une spécificité de 96 % si le score est supérieur à 2. Un terrain « génétique » est souvent retrouvé et la constitution d’un arbre généalogique est souvent intéressante. Des facteurs « innés » rendent compte des observations familiales avec une concordance de 63 % entre jumeaux monozygotes contre une concordance de 10 % entre jumeaux dizygotes. Un déficit en fraction C2 du complément peut également favoriser l’apparition d’un lupus. D’autre part, des facteurs acquis peuvent favoriser l’émergence d’un lupus (par exemple, radiations ultraviolet, hormones sexuelles). La prévalence des différents symptômes présents au cours du lupus érythémateux systémique peut être évaluée (tableau I).

TABLEAU I Prévalence des symptômes au cours du lupus Symptômes

%

Arthrite et (ou) arthralgies Fièvre Lésions cutanées Adénopathies Anémie Signes digestifs Myalgies Lésions rénales Pleurésie Péricardite Atteinte du système nerveux central

92 84 72 59 56 53 48 46 45 30 25

Classification clinique de la maladie en fonction des atteintes 1. Atteinte cutanée L’atteinte cutanée du visage a donné son nom à la maladie. Les lésions cutanées peuvent être classées en lésions lupiques, vasculaires, non lupiques et non vasculaires. Les lésions cutanées lupiques se distinguent par leur aspect clinique, leur histologie avec examen en immunofluorescence cutanée directe et leur évolution. • Le lupus chronique ou lupus discoïde (fig. 1) présente 3 lésions élémentaires : l’érythème, les squames et l’atrophie cicatricielle. • Le lupus subaigu donne des lésions annulaires et atteint préférentiellement les femmes blanches. Il prédomine sur les zones exposées (décolleté, haut du dos, face latérale du cou, visage, face d’extension des bras). Il donne des plaques annulaires polycycliques à bordure érythémato-squameuse (fig. 2).

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1 Lésions du lupus discoïde du visage associant érythème, squames et une atrophie centrale.

3 Lupus aigu se traduisant par un érythème en vespertilio.

une urticaire et un œdème angioneurotique, des hémorragies en flammèches sous-unguéales, des nécroses cutanées extensives. Il peut exister des mégacapillaires à la capillaroscopie. • Des manifestations non lupiques et non vasculaires peuvent associer une alopécie avec chute diffuse des cheveux contemporaine des poussées de la maladie, une panniculite, ou des lésions bulleuses. 2 Lésions annulaires de lupus subaigu. • Le lupus aigu constitue la 3e lésion lupique avec une nette prédominance chez la femme en période d’activité génitale. L’aspect classique est l’érythème en ailes de papillon ou en vespertilio (fig. 3). Les lésions de lupus subaigu et aigu régressent sans cicatrice. L’étude en immunofluorescence directe d’une lésion lupique montre des dépôts d’immunoglobulines (IgG, IgA, ou IgM) ou de complément (C1q, C3) à la jonction dermo-épidermique dans 90 % des cas de lupus aigu et chronique, et dans 60 % des cas de lupus subaigu. Tous les types de lupus cutanés peuvent être associés à un lupus disséminé, sans qu’il soit possible de prédire l’évolution vers une forme disséminée. Quinze pour cent des malades avec lupus chronique ou discoïde ont ou auront un lupus disséminé, plus de 50 % des malades avec des lésions de lupus subaigu ont un lupus disséminé, plus de 90 % des malades avec lupus aigu ont ou auront un lupus disséminé. • Les lésions vasculaires sont essentiellement observées dans les lupus disséminés. Dans ces cas, un diagnostic histologique est indispensable pour distinguer une vascularite d’une thrombose. Peuvent être associés : un syndrome de Raynaud, un livedo, des ulcères de jambes, 1840

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2. Atteinte rénale (fig. 4) L’atteinte rénale au cours du lupus est quasi constante histologiquement, mais ne s’exprime que dans environ la moitié des cas dans le lupus érythémateux disséminé. L’atteinte rénale est parfois révélatrice de la maladie et survient dans la majorité des cas au cours des 5 premières

4 Glomérulonéphrite lupique, classe IV de l’OMS. Il s’agit d’une urgence thérapeutique.

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TABLEAU II Classification morphologique de l’Organisation mondiale pour la Santé (version révisée de 1995) Classification Classe I – Glomérules normaux A – Normaux par toutes les techniques B – Dépôts en microscopie électronique ou en immunofluorescence Classe II – Altérations mésangiales A – Épaississement mésangial ou discrète hypercellularité B – Hypercellularité modérée Classe III – Glomérulonéphrite segmentaire et focale A – Lésions nécrosantes actives B – Lésions actives et scléreuses C – Lésions scléreuses

Classe IV – Glomérulonéphrite diffuse (prolifération mésangiale sévère, endocapillaire ou mésangio-capillaire, ou dépôts sub-endothéliaux multiples) A – Sans lésions segmentaires B – Avec lésions nécrosantes actives C – Avec lésions actives et sclérosantes D – Avec lésions sclérosantes

Classe V – Glomérulonéphrite extramembraneuse A – Pure B – Associée à des lésions de la classe II

Corrélations anatomo-cliniques

Asymptomatique ou anomalies minimes (faible protéinurie)

A – Anomalies urinaires dans 1 tiers des cas B – Anomalies urinaires dans 50 % des cas

Protéinurie constante, souvent supérieure à 1 g/L, syndrome néphrotique dans 30% des cas Hématurie et leucocyturie sont témoins de l’activité des lésions, insuffisance rénale modérée et hypertension artérielle (HTA) dans 1 tiers des cas

Forme la plus grave : – protéinurie, hématurie, leucocyturie constantes ; – syndrome néphrotique dans 60 % des cas ; – hypertension artérielle dans 40 % des cas, ces 2 éléments pouvant être associés ; – insuffisance rénale fréquente

Protéinurie importante, néphrotique dans 50 % des cas Insuffisance rénale rare

Classe VI – Sclérose glomérulaire évoluée

années évolutives. La biopsie rénale est un élément déterminant dans l’évaluation diagnostique, et surtout pronostique, et guide les indications thérapeutiques. On note essentiellement une atteinte glomérulaire dont les principales caractéristiques et les corrélations anatomocliniques sont résumées dans le tableau II. Cette biopsie peut également révéler des thromboses capillaires des artérioles associées à un syndrome des antiphospholipides. La survie des patients lupiques en dialyse ou greffés n’est pas différente de celle des autres néphropathies glomérulaires. La récidive sur le greffon ne survient que dans environ 2 % des cas.

3. Manifestations neurologiques Les manifestations neurologiques s’intègrent dans les formes graves de la maladie. Il peut s’agir de manifestations focales, de nature ischémique, souvent associées à

la présence d’anticorps anti-phospholipides ou de manifestations diffuses liées à des mécanismes inflammatoires (vascularite ou anticorps anti-neurone). La constatation de manifestations neurologiques centrales chez un ou une patiente atteint(e) de lupus soulève plusieurs questions : Ces lésions sont-elles directement reliées à la maladie ? Sont-elles secondaires ou la conséquence de la défaillance d’un autre organe, d’une infection ou d’un traitement, ou de nature thrombo-embolique ? La réponse à ces questions dicte la conduite thérapeutique : corticothérapie, anticoagulation ou association des deux, traitement antibiotique ou arrêt d’un médicament. La vascularite cérébrale est une complication neurologique très grave, heureusement devenue exceptionnelle, qui se manifeste par un tableau d’encéphalite fébrile. Il existe souvent une hypocomplémentémie associée à un titre élevé d’anticorps anti-ADN natif. La comitialité est

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rare au cours du lupus (environ 5 % des cas). Des mouvements involontaires, une myélite transverse, et des manifestations psychiatriques à type d’état psychotique ou de démence sont également possibles. Les manifestations nerveuses périphériques sont assez rares, avec possibilité de mononeuropathies multiples. L’atteinte des paires crâniennes est également possible.

4. Manifestations abdominales Elles concernent moins de 10 % des patients. Trois complications méritent d’être connues car pouvant mettre en jeu le pronostic vital : l’infarctus viscéral dans le cadre du syndrome des antiphospholipides, la vascularite mésentérique intestinale et la pancréatite lupique. Toute la difficulté, devant ces patients, est de différencier un « ventre médical » justifiant une corticothérapie à forte dose et un « ventre chirurgical » nécessitant une laparotomie en urgence. La contracture est rare chez ces patients sous corticothérapie. Une ascite exsudative, une colite ulcéreuse et de rares cas d’entéropathie exsudative sont décrits.

5. Manifestations cardiaques Elles sont dominées par la péricardite et l’endocardite non bactérienne de Libman-Sacks, très souvent associée aux anticorps anti-phospholipides. Cette endocardite expose à 2 complications : la greffe bactérienne, l’embolie cérébrale. L’insuffisance coronaire est devenue l’une des principales causes de morbidité et de mortalité chez ces patients, probablement en raison de l’augmentation de la survie, mais aussi de l’athérome accéléré en partie iatrogénique. L’incidence de l’infarctus du myocarde chez les patients lupiques est 9 fois supérieure à celle de la population de même âge. La présence d’anticorps anti-phospholipides est également un facteur favorisant. La myocardite aiguë lupique peut conduire à une insuffisance cardiaque de type diastolique.

6. Manifestations pulmonaires Elles peuvent être graves. Il faut avant tout écarter l’hypothèse d’une pneumopathie infectieuse, première cause de mortalité pulmonaire de la maladie. Une pleurésie sérofibrineuse spécifique est présente dans environ 50 % des cas. Certaines atteintes pulmonaires peuvent mettre en jeu le pronostic vital. La pneumonie aiguë lupique conduit à des infiltrats souvent bilatéraux, prédominant aux bases, avec ascension des coupoles et atélectasies en bandes. Elle est très sensible à la corticothérapie mais la corticorésistance est fréquente. Des séquelles respiratoires sont possibles. Ce tableau doit être distingué du tableau d’hypoxémie aiguë souvent associée aux poussées sévères de la maladie. Le syndrome d’hémorragie alvéolaire doit être évoqué devant une déglobulisation, des hémoptysies et également devant des épreuves fonctionnelles respiratoires pouvant montrer une augmentation paradoxale de la diffusion de l’oxyde de carbone. La fibrose pulmonaire interstitielle diffuse et l’hypertension artérielle pulmonaire sont 2 complications chroniques. Dans ce dernier cas, il faut éliminer 1842

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formellement tout phénomène thrombo-embolique, surtout en présence d’anticorps anti-phospholipides. Cinquante pour cent des formes graves surviennent de façon précoce, dans les 5 premières années de la maladie.

Diagnostic différentiel Plusieurs affections peuvent, par leurs aspects cliniques, rappeler la maladie lupique, qu’elles s’accompagnent ou non de facteurs antinucléaires : infection par le virus de l’immunodéficience humaine, par le parvovirus B19, le virus de l’hépatite C, myxomes cardiaques, lymphome intravasculaire, leucémie à tricholeucocytes. Les hépatites chroniques actives et les déficits héréditaires ou acquis en certains facteurs du complément, s’accompagnant de syndromes pseudo-lupiques, sont à retenir particulièrement. Le syndrome des antiphospholipides primitif peut également être trompeur.

Quels examens complémentaires ? La numération formule sanguine permet de retrouver une leucopénie inférieure à 4 000/mm3, une lymphopénie inférieure à 1 500/mm3, une thrombocytopénie à moins de 100 000/mm3, une anémie volontiers hémolytique. La vitesse de sédimentation est souvent augmentée alors que la protéine C réactive est souvent normale. La réalisation d’une bandelette urinaire doit être systématique à chaque consultation ou lors de chaque hospitalisation, éventuellement associée à une protéinurie des 24 h en cas de positivité. L’étude de la fonction rénale repose au minimum sur le dosage de la créatininémie. L’électrophorèse des protides sériques peut montrer une hypergammaglobulinémie polyclonale. Une étude de l’hémostase, éventuellement associée à une sérologie syphilis (en expliquant au patient le motif de la recherche), une recherche d’un anticoagulant lupique et d’anticorps anti-cardiolipine sont réalisées en cas de suspicion de syndrome des antiphospholipides. Le dépistage des anticorps anti-nucléaires par immunofluorescence indirecte est un des examens biologiques fondamentaux dans ce contexte. La recherche d’anticorps anti-ADN natif ou bicaténaire peut se faire par 3 techniques : ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay), sur Crithidia luciliæ ou par test de Farr. La recherche d’anticorps antiantigènes nucléaires solubles avec différentes spécificités : Sm, RNP, Ro/SSA, La/SSB. Les anticorps anti-nucléosome ont une grande valeur diagnostique et leur taux (surtout isotype IgG3) a été récemment corrélé à l’activité de la maladie lupique, en particulier avec la glomérulonéphrite. Certains points concernant les tests immunologiques dans le lupus méritent d’être précisés. • Les facteurs antinucléaires sont présents dans plus de 90 % des lupus, parfois absents au 1er examen. Les patients avec un lupus avéré ont souvent des titres supérieurs au 1/500 e. • Les anticorps anti-ADN natif sont beaucoup plus spécifiques du lupus. Leur présence permet d’affirmer la maladie. Les 3 techniques sus-citées sont parfois discordantes.

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• Les anticorps anti-Sm sont rares en France (environ 10 % des cas), mais d’une très grande spécificité. • Les anticorps anti-Ro/SSA peuvent être isolés ou associés à un lupus néonatal, avec ou sans bloc auriculoventriculaire congénital. Ils peuvent également être positifs en cas d’association à un syndrome de Gougerot-Sjögren. • Un test de Coombs est réalisé en cas de suspicion d’anémie hémolytique. • Un dosage du complément et de ses fractions C3 et C4 est utile lors de la découverte de la maladie, mais aussi pour la surveillance ultérieure sous traitement. • La présence d’anticorps Ro/SSA isolés correspond à la majorité des lupus dits séronégatifs. • La présence d’anticorps anti-phospholipides (voir : Pour approfondir 3) est associée fréquemment à des accidents thrombotiques artériels et veineux, une thrombopénie et des avortements répétés. • Les anticorps anti-histone, parfois présents en cas de lupus induits par les médicaments, n’ont pas d’utilité en pratique quotidienne (voir : Pour approfondir 4).

Lupus érythémateux disséminé et grossesse La fertilité des femmes lupiques est comparable à celle de la population générale. Sous cyclophosphamide intraveineux, le risque d’aménorrhée prolongée est d’environ 10 % avant 25 ans et de plus de 60 % après 30 ans. Ce risque est quasi nul avant 25 ans lorsque le traitement a comporté moins de 8 bolus de cyclophosphamide. Les poussées de la maladie durant la grossesse et le post-partum sont fréquentes et justifient l’autorisation de la grossesse uniquement lorsque l’évolution du lupus est maîtrisée depuis plusieurs mois. La grossesse lupique doit être considérée comme une grossesse à risque et nécessite une surveillance médico-obstétricale. Les contre-indications à la grossesse au cours du lupus érythémateux disséminé sont : une maladie lupique non contrôlée ou une poussée récente (< 1 à 2 ans) de la maladie, une clairance de la créatinine inférieure à 50 mL/min, une hypertension artérielle sévère, une hypertension artérielle pulmonaire, une valvulopathie mal tolérée, des antécédents thrombotiques majeurs, une corticodépendance supérieure à 0,5 mg/kg/j. En ce qui concerne la morbidité fœtale et néonatale, la fréquence de l’hypotrophie fœtale est liée à la prématurité. Le risque d’insuffisance surrénale néonatale est théorique et ce risque est plus important en cas d’utilisation de bétaméthasone ou de dexaméthasone. Il existe un risque de réactivation d’une toxoplasmose maternelle sous l’effet d’une corticothérapie, voire d’infection à cytomégalovirus. La présence d’anticorps anti-Ro/SSA expose au risque de bloc auriculo-ventriculaire congénital d’origine immune. Environ 1 enfant sur 20 né de mère lupique porteuse d’anticorps anti-Ro/SSA souffre de bloc auriculo-ventriculaire. Il est parfois difficile de distinguer poussée lupique et prééclampsie. Les 2 meilleurs critères distinctifs sont l’abaissement du complément

lors de la poussée lupique et l’apparition brutale de la protéinurie dans la prééclampsie. Ces 2 données ne sont qu’indicatives et, dans le doute, le traitement doit viser les 2 pathologies avec augmentation de la corticothérapie, mise au repos, éventuel traitement anti-hypertenseur et rarement discussion d’une extraction en fonction du terme de la grossesse.

Évolution L’utilisation des traitements actuels permet une survie à 10 ans dans plus de 90 % des cas. L’évolution du lupus érythémateux aigu disséminé est imprévisible, ce qui justifie une surveillance clinique prolongée. La maladie lupique évolue par poussées spontanément régressives, susceptibles de laisser des séquelles de gravité variable. Les formes cutanéo-articulaires « bénignes » doivent être distinguées des formes viscérales sévères, en particulier celles touchant le rein et le système nerveux central. Le lupus est plus fréquent et souvent plus grave chez les sujets noirs et asiatiques que chez les sujets blancs. Les formes sévères touchent souvent des personnes n’ayant pas accès aux soins ou sont favorisées par une rupture de traitement, en particulier corticoïde. Le lupus masculin est rare (environ 10 % des cas) mais plus sévère. Les lupus chez les enfants sont rares mais volontiers associés à des formes familiales, avec déficit congénital en fractions du complément (surtout C2 ou C4). À l’inverse, les lupus débutant chez les sujets de plus de 55 ans sont souvent bénins et comportent fréquemment des anticorps anti-SSA. Deux types évolutifs méritent d’être connus car engageant le pronostic vital : les poussées viscérales sévères de la maladie et les infections.

Formes graves Les formes graves peuvent être secondaires à une forme moins sévère de la maladie et justifient donc une surveillance à vie. En ce qui concerne l’atteinte rénale, les formes proliférantes nécrotiques diffuses sont les plus sévères (classe IV de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]). Les formes neurologiques peuvent être graves avec atteinte du système nerveux central sous forme de déficits focaux, épilepsie, manifestations psychiatriques. La gravité potentielle des atteintes abdominales, cardiaques et pulmonaires a déjà été abordée lors de la description clinique. Les formes graves de la maladie sont associées à une hypocomplémentémie et à un titre élevé d’anticorps anti-ADN natif. L’insuffisance coronaire est de plus en plus fréquente chez ces patients, probablement par le biais de l’allongement de l’espérance de vie et de l’athérome accéléré spécifique ou secondaire à la corticothérapie. Il est classiquement admis que l’activité du lupus diminue après la ménopause ou après l’instauration de la dialyse, même s’il existe de rares contre-exemples. La récidive de maladie lupique est rare sur le greffon rénal, puisque présente dans moins de 2 % des cas.

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Une question cruciale dans la prise en charge de ces patients, dont la fièvre est un symptôme fréquent, est d’évaluer les arguments en faveur d’une infection ou d’une poussée de la maladie.

Infections Les infections représentent la 1re cause de décès et le 2e motif d’hospitalisation après les poussées de la maladie. Les facteurs favorisant les infections au cours du lupus sont d’abord iatrogéniques (corticothérapie, immunosuppresseurs), mais également dus à la maladie lupique elle-même et au déficit immunitaire qui l’accompagne, en particulier déficit en complément. Des atteintes spécifiques telle l’endocardite de Libman-Sacks peuvent favoriser les infections avec, pour cet exemple, risque de greffe infectieuse. Les principales infections rencontrées au cours du lupus sont pulmonaires (pneumocoque, bacilles gram-négatifs, staphylocoque, Hæmophilus, tuberculose, pneumocystose, viroses), urinaires, cutanées (staphylocoque, virus varicelle-zona), articulaires (staphylocoque, salmonelle, gonocoque) et neuroméningées (méningocoque, streptocoque, tuberculose, listériose, cryptococcose). La fréquence de ces infections justifie la recherche et le traitement de tout foyer infectieux latent, en particulier buccal ou sinusien. La vaccination antipneumococcique est recommandée. Toute corticothérapie instaurée chez un patient venant d’une zone d’endémie de l’anguillulose (par exemple, les Antilles) justifie un traitement systématique de cette infection.

Surveillance La surveillance biologique d’un patient atteint de lupus érythémateux aigu disséminé doit comprendre un dosage de la protéine C réactive (PCR), une bandelette urinaire plus ou moins associée à une protéinurie des 24 heures, une créatininémie, une numération formule sanguine (des leucocytes à 6 000/mm3 peuvent témoigner d’une hyperleucocytose chez ces patients), un dosage d’anticorps anti-ADN natif, un dosage du complément et de ses fractions. Une protéine C réactive élevée à plus de 60 mg/L est un fort argument pour une infection bactérienne, en l’absence d’une atteinte des séreuses. À l’inverse, une hypocomplémentémie ou des titres élevés d’anticorps anti-ADN natif sont des arguments forts pour une poussée de la maladie. Enfin, toute poussée fébrile chez un patient atteint de lupus doit faire éliminer de principe une thrombose veineuse profonde, une embolie pulmonaire ou une réaction médicamenteuse.

lésions dans plus de 80 % des cas. L’efficacité est jugée au bout de 3 mois. Une surveillance ophtalmologique annuelle par vision des couleurs et électrorétinogramme est nécessaire, ainsi qu’un électrocardiogramme à la recherche d’un bloc auriculo-ventriculaire. Ce traitement n’est pas contre-indiqué pendant la grossesse. Le thalidomide peut également être utilisé, permettant la plupart du temps une rémission complète. Ce traitement tératogène doit faire réaliser un test de grossesse préalable et prescrire une contraception efficace obligatoire. Une surveillance par électromyogramme est nécessaire. Le traitement doit être pris le soir en raison de l’induction d’une somnolence. La corticothérapie locale est utilisable sauf sur le visage où elle peut induire une atrophie cutanée. La corticothérapie générale n’a pas d’indication dans le traitement des lésions purement dermatologiques.

Lupus systémique Les différents traitements du lupus systémique souffrent de 2 limites : leur non-sélectivité et leur caractère suspensif. Le traitement des atteintes extracutanées doit être adapté à chaque situation. La corticothérapie est la base du traitement (voir : Pour approfondir 5). Les doses quotidiennes varient de quelques milligrammes par jour à des bolus intraveineux allant jusqu’à 1 g. Les traitements immunosuppresseurs sont utilisés dans certaines formes sévères, néphropathies proliférantes et atteintes sévères du système nerveux central. L’azathioprine (Imurel), à la différence du cyclophosphamide (Endoxan), ne menace pas les gonades et n’est donc pas contre-indiquée en période gravidique. Lorsqu’ils sont indispensables, les bolus de corticoïdes sont précédés d’un dosage de kaliémie et d’un électrocardiogramme. La diminution de la corticothérapie est toujours progressive, en expliquant bien au patient le risque d’insuffisance surrénale lors d’un arrêt brutal du traitement.

Situations particulières 1. Grossesse La grossesse doit être programmée au mieux. Le traitement par hydroxychloroquine peut être poursuivi pendant cette période à une dose inférieure à 6,5 mg/kg/j. La corticothérapie est maintenue à la dose minimale (10 à 15 mg/j de prednisone). La prednisone et la prednisolone ne franchissent pas la barrière placentaire. L’azathioprine a montré sa très faible tératogénicité. L’allaitement peut être pratiqué, en sachant que les antipaludéens de synthèse passent à taux faible dans le lait.

2. Hormones

Principes du traitement Lupus cutanés Le traitement des lupus cutanés repose essentiellement sur la protection solaire, et l’hydroxychloroquine à la dose de 400 mg/j qui permet une amélioration des 1844

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• La contraception œstroprogestative est contre-indiquée. Seuls les progestatifs (Lutéran ou Androcur) peuvent être utilisés. • Le traitement substitutif de la ménopause ne doit pas être prescrit aux patientes, exception faite des patientes ayant un lupus parfaitement calme depuis plusieurs années et ayant un risque fracturaire majeur.

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3. Thrombopénie périphérique

POUR EN SAVOIR PLUS

La thrombopénie périphérique spécifique est souvent sensible à la corticothérapie. Les formes cortico-résistantes ou fortement cortico-dépendantes peuvent être traitées par danazol ou hydroxychloroquine. La splénectomie précédée d’une vaccination antipneumococcique peut être réalisée dans les cas particulièrement résistants.

Meyer O, Kahn MF. Lupus érythémateux systémique. In : Maladies et syndromes systémiques. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 2000 : 131-368 bis.

Points Forts à retenir

4. Syndrome des antiphospholipides Le traitement du syndrome des antiphospholipides repose sur l’anticoagulation par antivitamine K avec un INR visé entre 3 et 3,5. La prévention des complications obstétricales repose sur l’aspirine à 100 mg/j associée à une corticothérapie la plus faible possible. En cas de grossesse associée au syndrome des antiphospholipides et en cas d’antécédent thrombotique, un relais par héparine sous-cutanée est mis en place (voir : Pour approfondir 3). Au total, le traitement du lupus érythémateux disséminé doit être adapté à chaque cas individuel. L’éducation des patients, leur observance, les mesures hygiéno-diététiques (par exemple arrêt du tabac et diététique), ainsi que la planification des grossesses sont des points très importants de la prise en charge. Toute prescription doit faire l’objet d’une surveillance en parfaite connaissance des potentiels effets secondaires à court et à long termes. ■

• La prise en charge des patients lupiques nécessite une étroite collaboration entre internistes, rhumatologues, dermatologues et obstétriciens. • L’amélioration du pronostic avec une survie de plus de 90 % des patients à 10 ans s’est faite au prix d’une morbidité iatrogénique importante (infection, athérome accéléré). • Le traitement de chaque patient doit être adapté à chaque situation clinique. • L’éducation des malades atteints de lupus est capitale. • La prise en charge de ces patients nécessite une disponibilité au quotidien et un bon maniement des traitements classiques.

POUR APPROFONDIR 1 / 11 critères de l’ARA retenus en 1982 et modifiés en 1997 pour la classification de la maladie lupique a Éruption malaire en ailes de papillon

2 / Score pondéré des critères préliminaires du lupus érythémateux systémique (LES) Critère

Score pondéré

b Éruption de lupus discoïde c Photosensibilité d Ulcérations buccales ou nasopharyngées e Polyarthrite non érosive f Pleurésie ou péricardite g Atteinte rénale : protéinurie supérieure à 0,5 g/24 h (ou +++) ou cylindres urinaires h Atteinte neurologique : convulsion ou psychose i Atteinte hématologique : anémie hémolytique avec hyperréticulocytose ou leucopénie < 4 000/mm3 ou lymphopénie < 1 500/mm3 ou thrombopénie < 100 000/mm3 j Désordre immunologique : anticoagulant circulant ou anticorps anticardiolipine ou anti-ADN natif ou anti-Sm ou fausse sérologie syphilitique (VDRL+ [venereal diseases research laboratory], TPHA[treponema pallidum hæmagglutination assay]) k Présence d’un titre anormal d’anticorps anti-nucléaires

Cytopénie Érythème malaire Sérite Alopécie Photosensibilité Protéinurie > 3,5 g/j Cylindres cellulaires Psychose ou convulsions Lupus discoïde Phénomène de Raynaud Fausse sérologie syphilitique Arthrite Ulcérations nasales ou orales

1,5 1,0 0,6 0,6 0,6 1,0 1,5 0,7 1,5 0,3 0,5 0,1 0,1

Biologie FAN + FAN + anti-ADN- anti-Sm FAN + anti-ADN + anti-Sm FAN + anti-ADN- anti-Sm + FAN + anti-ADN + anti-Sm + FAN -

0,5 0,3 1,3 1,3 1,4 -1,8

Lupus érythémateux systémique si score > 2 : sensibilité 92 % ; spécificité 96 %

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LUPUS ÉRYTHÉMATEUX AIGU DISSÉMINÉ

POUR APPROFONDIR 3 / Syndrome des antiphospholipides : principales manifestations cliniques et biologiques Principales manifestations cliniques : – – – – – –

thrombose de siège inhabituel ; accident vasculaire cérébral du sujet jeune ; valvulopathie (insuffisance mitrale ++) ; infarctus myocardique du sujet jeune ; hypertension artérielle pulmonaire ; ulcère nécrotique, hémorragies sous-unguéales, livedo, perforation de la cloison nasale ; – fausses couches spontanées répétées, mort fœtale à plus de 10 semaines de gestation, retard de croissance intra-utérin, prééclampsie, hématome rétroplacentaire. Éléments biologiques en faveur d’un syndrome des antiphospholipides : – sérologie syphilitique dissociée (VDRL +, TPHA -) ; – temps de céphaline activé (TCA) spontanément allongé ; – présence d’anticorps anti-cardiolipine à titre élevé ; – temps de thromboplastine diluée au 1/500e allongé ; – thrombopénie chronique inexpliquée. La présence d’anticorps anti-phospholipides n’est pas synonyme de syndrome des antiphospholipides. Un syndrome des antiphospholipides est présent dans 30 % des cas de lupus symptomatique. Le syndrome des antiphospholipides isolé rend compte d’environ 15 % des avortements répétés.

4 / Principaux médicaments inducteurs de manifestations lupiques Dénomination commune internationale acébutolol D-pénicillamine

Nom commercial Sectral Trolovol

quinidine

Longacor, Cardioquine

isoniazide

Rimifon

chlorpromazine

Largactil

sulfasalazine

Salazopyrine

minocycline

Mynocine

carbamazépine

Tégrétol

interféron α et γ

Roféron, Laroféron et Imukin

dihydralazine

Népressol

5 / Fiche de traitement d’une femme de 30 ans, antillaise, ayant révélé son lupus par une pleurésie et une polyarthrite (une infection a été éliminée)

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Prévention de l’anguillulose (albendazole [Zentel]).



Cortancyl 0,5 mg/kg/j, puis dose progressivement décroissante avec mesures adjuvantes (régime, restriction sodée, apport potassique, apport de calcium et de vitamine D).



Photoprotection (chapeau, Photoderm spécial 70 B 20 A).



Contraception (acétate de chlormadinone [Lutéran] ou acétate de cyprotérone [Androcur]).



Surveillance biologique (numération formule sanguine, ionogramme sanguin, créatinine, protéinurie, protéine C réactive, complément et sous-fractions, anticorps anti-ADN natif).



Prise en charge à 100 % (affection de longue durée).



Il est également important d’expliquer à la patiente la liste des traitements susceptibles d’induire une rechute de la maladie (voir : Pour approfondir 4).



Association française du lupus.



Il faut également connaître les produits ou médicaments photosensibilisants : psoralènes, sulfamides, phénothiazines, certains antibiotiques (cyclines, quinolones), diurétiques thiazidique et furosémide, antidépresseurs tricycliques, amiodarone, certains antiinflammatoires (indométacine, piroxicam, phénylbutazone), carbamazépine….



Un traitement inducteur enzymatique est susceptible d’entraîner une poussée de la maladie, en augmentant le catabolisme des corticoïdes.

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50