Gynécologie - Obstétrique B 166
Infections urinaires au cours de la grossesse Diagnostic, évolution, traitement DR Vincent VILLEFRANQUE, PR Jean-Claude COLAU Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Foch, 92150 Suresnes.
Points Forts à comprendre • Les infections urinaires sont la pathologie infectieuse la plus fréquente de la grossesse. • Elles regroupent la bactériurie asymptomatique, la cystite et la pyélonéphrite aiguë. • Elles exposent à des complications maternelles et fœtales graves. • Les formes latentes sont fréquentes.
Les infections urinaires sont les pathologies infectieuses bactériennes les plus fréquentes de la grossesse. Elles touchent 5 à 10 % des femmes enceintes. Elles se distinguent par la grande fréquence de leurs formes asymptomatiques. Elles ne sont pas plus fréquentes que chez la femme « non enceinte » mais peuvent avoir des répercussions graves chez la mère et l’enfant. On distingue 3 cadres nosologiques : – la bactériurie asymptomatique ; – la cystite aiguë ; – la pyélonéphrite aiguë.
Diagnostic Examen cytobactériologique des urines Une infection urinaire est affirmée par la positivité de l’examen cytobactériologique des urines (ECBU). Le diagnostic d’infection urinaire repose sur la présence d’au moins 104 leucocytes et de 105 germes par mL d’urine. L’ECBU doit être fait dans de bonnes conditions d’asepsie après toilette locale soigneuse, en milieu de jet et recueil des urines dans un récipient stérile. La toilette périnéale, réalisée à 2 reprises à l’aide d’un antiseptique, a pour but d’éliminer les contaminations de l’ECBU par des germes vulvo-vaginaux et (ou) digestifs.
Le prélèvement en milieu de jet, quant à lui, permet d’éliminer les germes urétraux présents dans le début du jet. Le sondage vésical doit être évité. Les urines doivent être ensemencées immédiatement ou conservées à 4 ˚C. Les résultats sont obtenus après 48 h de mise en culture et comprennent l’identification du germe responsable et un antibiogramme. L’infection urinaire est classiquement monomicrobienne et la présence de plusieurs germes doit faire remettre en cause la bonne réalisation de l’ECBU. De même l’existence isolée d’une leucocyturie ou d’une bactériurie ne permet pas d’affirmer l’infection urinaire. Elle doit faire considérer le contexte clinique, l’existence de signes fonctionnels et impose de recommencer l’examen.
Bandelettes urinaires Le dépistage des infections urinaires peut être effectué au lit du malade ou en consultation, au moyen de l’utilisation de bandelettes réactives urinaires (Uritest 2, Multitest). Elles permettent, si elles sont négatives, d’éliminer le diagnostic d’infection urinaire de manière quasi certaine. Lorsqu’elles diagnostiquent la présence de leucocytes et de nitrites dans les urines l’infection est très probable. La sensibilité des bandelettes urinaires est de 92 %. Elles permettent donc, en cas de négativité, d’éviter la réalisation d’ECBU inutile mais celui-ci doit être réalisé en cas de dépistage par la bandelette de sang, de leucocytes ou de nitrites. La loi rendant obligatoire la recherche mensuelle d’albuminurie et de glycosurie, l’utilisation de bandelettes urinaires permet facilement d’effectuer dans le même temps cette recherche et le dépistage des infections urinaires.
Bactériurie asymptomatique On la définit par la persistance, à 2 ECBU distincts, d’une bactériurie supérieure ou égale à 105/mL et l’absence de signes fonctionnels. Le diagnostic est suspecté le plus souvent au décours d’un dépistage par bandelette urinaire.
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La fréquence de la bactériurie asymptomatique augmente avec le terme de la grossesse. Elle est de 0,8 % à 12 semaines d’aménorrhée et de 1,93 % en fin de grossesse avec un maximum à 16 semaines d’aménorrhée. Cela justifie son dépistage systématique par bandelette à 16 semaines d’aménorrhée. La bactériurie asymptomatique non traitée se complique, dans 40 % des cas, de pyélonéphrite aiguë et seulement dans 2,3 % des cas quand elle est traitée ; le traitement des bactériuries asymptomatiques ne modifie pas la survenue des cystites.
Cystite La cystite est une infection du bas appareil urinaire. On la définit par l’association d’une symptomatologie vésicale et d’un ECBU positif. La patiente est apyrétique. Elle apparaît dans 0,3 à 2 % des grossesses, ce qui est très proche de la fréquence chez la femme « non enceinte ». Les signes fonctionnels sont des signes vésicaux : – brûlures mictionnelles, surtout en fin de miction ; – pollakiurie ; – plus rarement, hématurie terminale. Les signes fonctionnels de cystite sont facilement atténués pendant la grossesse, ce qui doit toujours faire évoquer son diagnostic. Le diagnostic est affirmé par l’ECBU (présence d’au moins 104 leucocytes et de 105 germes par mL d’urine). Non traitée, elle peut évoluer vers la pyélonéphrite.
Pyélonéphrite aiguë La pyélonéphrite aiguë est une infection du haut appareil urinaire ; c’est une infection urinaire fébrile. Le tableau classique comporte : – un début brutal ; – une fièvre à 39-40 ˚C, avec frissons et altération de l’état général.
1. Signes fonctionnels Une douleur lombaire, le plus souvent à droite, irradie vers la fosse iliaque et les organes génitaux. La douleur est intense, permanente avec paroxysmes. Les signes vésicaux sont souvent au second plan : brûlures mictionnelles, pollakiurie, hématurie ; parfois, il existe une douleur isolée de la fosse iliaque.
2. Examen clinique À l’examen clinique, il existe une douleur à la palpation de la fosse lombaire, parfois une douleur à la palpation de la fosse iliaque. Souvent, le tableau est incomplet ; le début est progressif, la fièvre peut se limiter à une fébricule, la douleur peut être absente. Il faut savoir éliminer une urgence chirurgicale : appendicite, cholécystite, sigmoïdite. 1380
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L’évolution est le plus souvent favorable sous traitement avec disparition des douleurs, de la fièvre et stérilisation des urines.
3. Complications maternelles • Choc septique : complication redoutable des pyélonéphrites, notamment à bacille gram-négatif, elle nécessite une prise en charge en soins intensifs. Il associe : – un collapsus circulatoire ; – une insuffisance respiratoire aiguë ; – une insuffisance rénale aiguë. Il complique plus fréquemment les pyélonéphrites sur obstacle, le plus souvent un calcul urétéral et peut parfois démasquer une malformation urinaire méconnue. En cas d’obstacle, il impose un drainage chirurgical des urines en urgence par néphrostomie percutanée ou sonde JJ. • L’abcès du rein et l’abcès périnéphrétique : ils sont rares et se diagnostiquent à l’échographie rénale. Leur traitement repose sur le drainage percutané associé à l’antibiothérapie.
4. Complications fœtales La pyélonéphrite est une cause d’accouchement prématuré. La présence de contractions utérines est fréquente, lors d’épisodes fébriles et notamment de pyélonéphrites. La présence de contractions utérines impose fréquemment le recours à une tocolyse.
Conduite à tenir devant une pyélonéphrite aiguë gravidique Un examen obstétrical complet doit être effectué ainsi que des examens complémentaires. • Bilan infectieux et fonction rénale : – numération formule sanguine, protéine C réactive ; – ionogramme sanguin, urée et créatinine plasmatique ; – hémocultures si température supérieure ou égale à 38,5 ˚C et (ou) si frissons, au moins 3 avec recherche de Listeria ; – prélèvement vaginal ; – échographie rénale ; – urographie intraveineuse (UIV) s’il existe une suspicion d’obstacle à l’échographie rénale (3 clichés) ou uroscanner. • Bilan fœtal : enregistrement du rythme cardiaque fœtal (selon le terme) ; échographie obstétricale.
Traitement Préventif Le traitement préventif repose par la surveillance des patientes à risque par la réalisation bihebdomadaire de bandelettes urinaires et d’un dépistage des bactériuries asymptomatiques systématique chez toutes les patientes à 16 semaines d’aménorrhée.
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Conseils hygiéno-diététiques : boissons suffisantes, mictions après les rapports, mictions régulières, essuyage d’avant en arrière après les mictions…
Curatif Le traitement curatif repose sur l’antibiothérapie que l’on débute après réalisation des prélèvements bactériologiques. Celle-ci doit répondre à 3 critères : – une bonne diffusion urinaire ; – une innocuité pour le fœtus ; – être bactéricide. Le tableau ci-dessous reprend les utilisations possibles des différentes classes d’antibiotiques suivant le terme de la grossesse. Les quinolones sont éventuellement utilisables en cas d’impératifs bactériologiques au 2e trimestre de la grossesse.
Bactériurie asymptomatique et cystite aiguë C’est une monothérapie par voie orale : – amoxicilline (mais beaucoup d’E. coli sont résistants) ; – amoxicilline + acide clavulanique : Augmentin ou C1G ; – ou une C3G si résistance : céfixime (Oroken) ; – les quinolones (et pas les fluoroquinolones qui sont contre-indiquées) peuvent être utilisées au 2e trimestre en cas d’impossibilité des traitements précédents, nitrofurantoïne (Furadantine).
La durée du traitement est courte (3 jours) ou classique (10 jours). Un examen cytobactériologique des urines de contrôle doit être réalisé dans les 15 jours. La surveillance peut se poursuivre par la réalisation bihebdomadaire de bandelettes urinaires.
Pyélonéphrite aiguë Une hospitalisation est indispensable, avec une antibiothérapie débutée après réalisation des prélèvements bactériologiques. L’administration se fait par voie parentérale jusqu’à obtention de 48 h d’apyrexie, puis per os pour une durée totale de 3 semaines. L’antibiotique doit être de bonne diffusion urinaire, bactéricide, adapté secondairement à l’antibiogramme : – céphalosporines de 3e génération de première intention en monothérapie : céfotaxime (Claforan) ; ceftriaxone (Rocéphine) ; – amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin) ; – rifampicine ou fosfomycine en cas d’impossibilité des précédents. L’adjonction d’un aminoside est possible si le pronostic vital est en jeu ou si les signes cliniques ne s’amendent pas rapidement. En cas d’obstacle, un drainage chirurgical des urines s’impose en urgence par néphrostomie percutanée ou le plus souvent par sonde JJ. On associe à l’antibiothérapie des antalgiques et antipyrétiques (prodafalgan) ainsi qu’un traitement tocolytique.■
TABLEAU Différentes classes d’antibiotiques suivant le terme de la grossesse 1er trimestre
2e trimestre
3e trimestre
Pénicillines
oui
oui
oui
Céphalosporines
oui
oui
oui
Macrolides
oui
oui
oui
Polypeptidiques
oui
oui
oui
Tétracyclines
non
non
non
Aminosides
non
non
non
Phénicoles
non
non
non
Rifampicine
non
oui
oui
Sulfamides
non
non
non
Quinolones
non
non
non
Fluoroquinolones
non
non
non
Nitrofuranes
non
oui
non
Imidazolés
non
oui
oui
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POUR APPROFONDIR
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POUR EN SAVOIR PLUS
Physiopathologie
Mauroy B, Beuscart C, Biserte J et al. L’infection urinaire chez la femme enceinte. Progr Urol 1996 ; 6 : 607-22.
L’infection se fait le plus souvent par voie ascendante, rarement par voie hématogène, à partir de germes anaux ou vaginaux. La contamination est favorisée pendant la grossesse par la stase urinaire. Cette stase est plus fréquente pour plusieurs raisons : – l’utérus gravide comprime les uretères entraînant une dilatation pyélocalicielle. Ce phénomène est plus important à droite du fait de la dextrorotation physiologique de l’utérus à droite ; – le reflux vésico-urétéral est plus fréquent ; – la progestérone inhibe la contractilité des fibres musculaires lisses urétérale et vésicale. Les germes les plus souvent retrouvés sont : – Escherichia coli : 60 à 90 % ; – Klebsiella pneumoniæ-Enterobacter : 5 à 15 % ; – Proteus mirabilis : 1 à 10 % ; – Enterococcus fæcalis : 1 à 4 % ; – streptocoque B : 1 à 4 % ; – staphylocoque saprophyte : 1 à 11 %. Les facteurs de risque d’infection urinaire sont : – des conditions socio-économiques défavorisées ; – le diabète ; – les antécédents d’infections urinaires ; – les malformations urinaires ; – les antécédents de lithiase urinaire ; – les hémoglobinopathies ; – le sondage urinaire.
Colau JC. Pyélonéphrites gravidiques. Rev Prat 1993 ; 43 : 9.
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Points Forts à retenir • Les bactériuries asymptomatiques nécessitent un dépistage systématique à 16 semaines d’aménorrhée par bandelettes réactives et bihebdomadaires pour les patientes à risque. • Le traitement de la pyélonéphrite repose sur une antibiothérapie intraveineuse, des antalgiques et antipyrétiques, et un traitement tocolytique. • Le risque obstétrical de la pyélonéphrite est l’accouchement prématuré. • Une pyélonéphrite sur obstacle est une urgence thérapeutique.