00-1231

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Gynécologie - Obstétrique B 164

Hypertension artérielle de la grossesse Diagnostic, complications, traitement DR Philippe DUFOUR, DR Damien SUBTIL, PR Francis PUECH Service de pathologies maternelles et fœtales, hôpital Jeanne-de-Flandre, 59037 Lille Cedex.

Points Forts à comprendre • L’hypertension artérielle gravidique est une affection fréquente (10 % des grossesses). • Elle peut être dangereuse pour la mère et le fœtus. • Sa physiopathologie est complexe ; cependant, l’élément clé de la maladie est l’insuffisance placentaire par défaut d’invasion trophoblastique (voir : Pour approfondir). • Elle est imprévisible dans sa survenue et son évolution. • Le retentissement fœtal comprend la souffrance fœtale (chronique et [ou] aiguë), le retard de croissance intra-utérin, la mort in utero et la prématurité provoquée. • Chez la mère, de nombreuses complications, parfois gravissimes, sont susceptibles d’apparaître (hématome rétroplacentaire, syndrome HELLP, éclampsie, œdème aigu pulmonaire, accident vasculaire cérébral, coagulation intravasculaire disséminée). • Son seul véritable traitement consiste en l’arrêt (plus ou moins rapide selon le tableau clinique) de la grossesse. • Elle reste, en France, la principale cause de décès maternel.

On parle de prééclampsie sévère lorsque les chiffres tensionnels sont supérieurs à 180/120, la protéinurie supérieure à 3 g/24 h et (ou) lorsqu’il existe des signes cliniques (signes fonctionnels neurologiques, oligo-anurie, barre épigastrique) et (ou) biologiques (thrombopénie, cytolyse hépatique ) de gravité. Il est classique de définir 4 types d’hypertension artérielle gravidique : – la prééclampsie pure de la femme primipare sans antécédent vasculo-rénal, survient principalement au cours du 3e trimestre, guérit dans le post-partum et ne récidive pas. Il s’agit d’une maladie exclusivement gravidique ; les modifications histologiques disparaissant rapidement après l’accouchement ; – l’hypertension artérielle chronique ; – l’hypertension artérielle chronique avec prééclampsie surajoutée ; – l’hypertension labile ou transitoire apparaît uniquement lors des grossesses.

Retentissement de cette ischémie placentaire sur la mère et le fœtus L’insuffisance placentaire, élément essentiel de la maladie, a un retentissement maternel et fœtal très variable selon les cas. De plus, la maladie peut prédominer soit chez le fœtus soit chez la mère.

Retentissement fœtal

Définitions et classification L’hypertension artérielle (HTA) gravidique se définit simplement par l’existence chez une femme enceinte d’une hypertension artérielle (pression artérielle > 140 mmHg pour la systolique et [ou] 90 mmHg pour la diastolique). Sa fréquence est élevée (10 % en France ). La prééclampsie se définit par l’association à l’hypertension artérielle gravidique d’une protéinurie > 0,3 g/ 24 h. Sa fréquence est d’environ 3 % des grossesses. Les œdèmes (au niveau des membres et du visage) sont un signe clinique classique mais facultatif.

L’insuffisance placentaire entraîne un défaut d’apport des substances nécessaires à la croissance fœtale et une diminution de l’oxygénation fœtale aboutissant plus ou moins rapidement à une souffrance fœtale chronique plus ou moins sévère. Le débit placentaire est réduit bien avant l’apparition des signes cliniques de souffrance fœtale chronique. Celle-ci se traduit par l’apparition d’un retard de croissance intra-utérin, le plus souvent dysharmonieux (affectant principalement la circonférence abdominale), parfois harmonieux, si le retentissement placentaire est très précoce. Parfois, si le tableau est très sévère ou si le traitement est trop tardif, on assiste à une mort in utero.

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HYPERTENSION ARTÉRIELLE DE LA GROSSESSE

Le dépistage du retard de croissance intra-utérin est basé sur la mesure de la hauteur utérine et l’échographie obstétricale. Une diminution de la quantité de liquide amniotique (oligoamnios) est également un facteur de souffrance fœtale (par diminution de la diurèse fœtale). L’appréciation de la souffrance fœtale chronique comprend l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal, le score de Manning (étude du bien-être fœtal) et le doppler ombilical (traduisant la qualité de l’écoulement sanguin au niveau des artères ombilicales, témoignant du degré de résistance placentaire). Lorsque l’index diastolique devient nul, a fortiori en cas de flux inverse (reverse flow), la situation hémodynamique fœtale devient précaire. Enfin, le doppler cérébral pathologique témoigne d’une hypoxie sévère avec réponse extrême, aux limites des possibilités d’adaptation du fœtus. L’extraction fœtale doit alors être effectuée avant que l’hypoxie ne soit trop sévère. S’agissant d’un fœtus fragile (à risque d’accident vasculaire cérébral, d’insuffisance myocardique, hépatique), des mesures de réanimation néonatales parfaitement appropriées sont nécessaires, d’où l’intérêt d’un transfert in utero dans un centre de réanimation néonatale spécialisé.

Retentissement maternel 1. Maladie de l’endothélium L’insuffisance placentaire entraîne donc une ischémie placentaire avec libération de substances activant et (ou) altérant l’endothélium maternel et fœtal (fibronectine, laminine, cytokines, endothéline, prostaglandines, thrombomoduline, facteur Willebrand…). Ces perturbations des différentes fonctions (complexes) des endothéliums de l’organisme (coagulation, contractilité des fibres musculaires lisses...) entraîne une hypertension artérielle, due à l’augmentation des résistances vasculaires périphériques par déséquilibre entre les taux circulants d’hormones vasoconstrictives et vasodilatatrices, une thrombopénie, une chute du facteur III, une augmentation du complexe antithrombine III-thrombine, une augmentation de la sécrétion de thromboxane A2. Tous ces phénomènes aboutissent à l’apparition de micro-angiopathies thrombotiques, principalement au niveau des reins (protéinurie, œdèmes) et du foie (syndrome HELLP pour Hæmolysis, Elevated liver enzyme, Low platelet count).

2. Conséquences anatomopathologiques Des zones d’infarctus (plus ou moins étendues) au niveau du placenta sont caractéristiques de la maladie, témoignant ainsi de l’ischémie placentaire. Il faut bien comprendre que ces lésions placentaires ne sont pas la cause de la maladie mais la conséquence de la diminution du débit utéro-placentaire. Au niveau des reins, on note des lésions endothéliales glomérulaires (dépôts de fibrine) 1232

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et au niveau du foie, on observe de nombreuses microthromboses capillaires périlobulaires (dans les espaces portes). Quant au cerveau, il est le siège également d’une microangiopathie thrombotique (dépôts de fibrine, œdèmes, hémorragies).

3. Conséquences cliniques L’hypertension artérielle gravidique est une affection sérieuse par le biais des nombreuses complications mettant en danger la vie de la mère. En France, de 1981 à 1991, 189 morts maternelles ont été dues à des prééclampsies, représentant 18,7 % de la mortalité maternelle. Ces complications sont de diverses sortes. • L’hématome rétroplacentaire (HRP) est un accident imprévisible et brutal dont la fréquence reste élevée malgré la meilleure prise en charge actuelle de ces patientes. • L’éclampsie est un accident prévisible dont la fréquence a nettement diminué avec les progrès obstétricaux. Sa fréquence est d’environ 1/50 prééclampsies. • Le syndrome HELLP a été individualisé dans les années 1980. Son extrême gravité nécessite impérativement la terminaison de la grossesse (quel que soit le terme). Il complique environ 10 % des prééclampsies mais il peut apparaître d’emblée sans hypertension artérielle, source de nombreuses erreurs diagnostiques. Il comporte un risque hémorragique majeur : l’hématome sous-capsulaire du foie. • Les troubles de la coagulation, notamment de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) présentent des D-dimères augmentés, un effondrement du fibrinogène et une thrombopénie • Les autres complications possibles sont l’accident vasculaire cérébral, le décollement rétinien, l’insuffisance rénale aiguë (fonctionnelle puis organique), l’œdème aigu du poumon (OAP), l’ascite.

4. Évolution La mortalité reste importante (1 % des prééclampsies) en rapport principalement avec le risque hémorragique (accident vasculaire cérébral, coagulation intravasculaire disséminée majeure, rupture d’un hématome souscapsulaire du foie). L’évolution très variable de la maladie, avec son risque potentiel d’extrême gravité, interdit donc tout traitement ambulatoire de la prééclampsie. Une hospitalisation est donc obligatoire avec instauration d’une surveillance maternofœtale, adaptation des traitements plus ou moins lourds et intervention rapide au besoin. Cette hospitalisation doit se faire dans un service spécialisé de grossesses pathologiques, proche d’un service de réanimation néonatale (surtout si le terme est < 32 semaines d’aménorrhée). Une surveillance et un traitement ambulatoire de l’hypertension artérielle gravidique ne peuvent être envisagés que si l’hypertension artérielle est modérée, sans souffrance fœtale chronique associée, ni protéinurie.

Gynécologie - Obstétrique

Diagnostic Étant donné la gravité potentielle de la maladie pour le fœtus et la mère et l’évolution extrêmement variable de la maladie, 3 points fondamentaux doivent être bien compris par le médecin traitant : – penser à la prééclampsie devant des tableaux atypiques, peu alarmants (syndrome HELLP sans hypertension artérielle par exemple) et demander les examens complémentaires (simples et rapides) indispensables au diagnostic ; – la surveillance et le traitement ambulatoire d’une hypertension artérielle gravidique ne peuvent être entrepris que si l’hypertension artérielle est modérée, isolée (sans protéinurie et sans signe de souffrance fœtale chronique) ; – adresser toute patiente prééclampsique à la maternité la plus proche ou la plus adaptée selon le terme de la grossesse (niveau 3 si grande prématurité). Pour le praticien donc, plusieurs étapes existent dans le diagnostic, le traitement et la surveillance d’une hypertension artérielle gravidique. S’il respecte les 3 points fondamentaux ci-dessus, rien de fâcheux ne peut arriver.

Affirmer l’hypertension artérielle gravidique 1. Diagnostic • Chez toute femme enceinte, l’interrogatoire recherche les facteurs de risque d’hypertension artérielle gravidique en notant les antécédents familiaux et personnels (hypertension artérielle, obstétricaux : hypertension artérielle gravidique, retard de croissance intrautérin, mort in utero, hématome rétroplacentaire, œdèmes, prise de poids excessive… ). Il n’existe pas de signes précurseurs de l’apparition d’une hypertension artérielle gravidique. C’est la raison pour laquelle il faut mesurer la pression artérielle des femmes enceintes tous les mois afin de dépister sa survenue. Des chiffres tensionnels supérieurs à 140 pour la pression artérielle systolique et 9 pour la pression artérielle diastolique chez une patiente enceinte affirment, tout simplement, le diagnostic d’hypertension artérielle gravidique. Naturellement, certaines précautions sont indispensables pour ne pas porter un faux diagnostic. Il existe une variabilité normale en fonction de l’âge (les mêmes chiffres tensionnels n’ont pas la même signification à 16 ans ou 44 ans). Il existe aussi une variabilité tensionnelle en fonction du poids de la patiente : chez une patiente obèse, il faut vérifier des chiffres tensionnels élevés avec un brassard adéquat pour obèse ; la tension doit être prise évidemment au repos, aux 2 bras, en position allongée. De grandes variations existent en fonction du stress, du temps passé en salle d’attente, de l’activité, de l’émotivité de la patiente ; les chiffres tensionnels doivent être vérifiés à 3 reprises (si possible au domicile de la patiente) ; enfin, en cas de doute, la réalisation d’un

Holter tensionnel permet d’infirmer ou de confirmer l’hypertension artérielle gravidique (intérêt prédictif de chiffres tensionnels élevés nocturnes). Si le diagnostic d’hypertension artérielle gravidique est porté, l’examen clinique recherche l’absence d’autre anomalie : hauteur utérine insuffisante pour le terme, prise de poids excessive brutale, œdèmes, troubles fonctionnels (acouphènes, phosphènes, troubles visuels, céphalées, épigastralgies). • Un bilan biologique simple et rapide est demandé : protéinurie (< 0, 30 g/24 h) ; uricémie à jeun (< 60 mg/L) ; transaminases hépatiques (transaminase glutamooxalo-acétique [TGO] et transaminase glutamo-pyruvique [TGP]) ; numération sanguine (à la recherche d’une thrombopénie). • Une échographie obstétricale avec doppler utérin et ombilical est demandée, dans un délai rapide (< 2 j).

2. Conduite à tenir Si l’ensemble du bilan (clinique, biologique et échographique) conclut à l’existence d’une hypertension artérielle gravidique isolée non compliquée et si la patiente n’a aucun antécédent obstétrical lourd (éclampsie, hématome rétroplacentaire, syndrome HELLP…), un traitement antihypertenseur est instauré. • Le traitement idéal est le labétalol (Trandate), à la posologie initiale de 1 demi-comprimé x 2/j ; posologie qui est augmentée en fonction de la réponse thérapeutique (posologie maximale : 3 comprimés/j). En cas de contre-indication (asthme sévère), le traitement de 2e intention est la clonidine (Catapressan), à la posologie de 1 à 3 comprimés/j. • Une surveillance rigoureuse et régulière est obligatoire, comprenant une surveillance clinique et biologique hebdomadaire, en l’absence d’anomalie surajoutée. L’arrêt de travail et le repos sont obligatoires. • Un traitement par l’aspirine 100 mg n’est efficace que s’il est prescrit avant 23 semaines d’aménorrhée. Passé ce terme, l’aspirine n’a aucun intérêt et est source de désagréments pour la conduite à tenir purement obstétricale.

Survenue d’une prééclampsie La mise en évidence d’une protéinurie > 0,3 mg/24 h signe le diagnostic de prééclampsie, même en l’absence d’œdème. Dans cette situation, le médecin traitant doit adresser la patiente à son obstétricien ou à la maternité la plus proche. En fonction du résultat du bilan réalisé à la maternité, la patiente est soit hospitalisée définitivement, soit (si la situation est stable avec une protéinurie inférieure à 1g/24 h) bénéficie d’une hospitalisation de jour hebdomadaire, comprenant un bilan biologique, un examen clinique, un écho-doppler et un enregistrement du rythme cardiaque fœtal. Dans cette 2e hypothèse, une collaboration étroite entre l’obstétricien et le médecin traitant est indispensable et fructueuse.

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Dépistage les complications La mise en évidence d’une anomalie, quelle qu’elle soit (hyperuricémie, aggravation de la protéinurie [> 1 g/24 h], cytolyse hépatique, thrombopénie, signes fonctionnels, œdèmes diffus) signe une aggravation de la maladie nécessitant le transfert immédiat de la patiente dans un service spécialisé pour une hospitalisation définitive. Le tableau classique de la prééclampsie (hypertension artérielle, œdèmes, protéinurie) n’est pas toujours rencontré et le médecin traitant doit être extrêmement méfiant devant toute anomalie surajoutée, aussi minime soit-elle.

TABLEAU Signes de gravité d’une prééclampsie Signes cliniques

Signes biologiques

Signes échographiques

❑ hyperuricémie (> 70 mg/L)

❑ retard de croissance intra-utérin ❑ doppler ombilical anormal

Fonctionnels

❑ céphalées ❑ phosphènes

❑ thrombopénie (< 100 000/mm3) ❑ cytolyse hépatique

❑ acouphènes ❑ troubles visuels ❑ protéinurie > 1 g/ 24 h ❑ épigastralgies

❑ oligoamnios

Physiques ❑ œdème du visage ❑ aggravation de l’hypertension artérielle ❑ aggravation brutale des œdèmes

1. Hématome rétroplacentaire Ce grave et imprévisible accident obstétrical, dont la fréquence reste encore élevée malgré les progrès réalisés dans la prise en charge des patientes prééclampsiques, se définit comme un hématome plus ou moins volumineux situé entre le placenta (normalement inséré) et l’utérus, entraînant une interruption plus ou moins complète des échanges materno-fœtaux, avec risque de mort in utero. La physiopathologie exacte de la constitution de l’hématome rétroplacentaire n’est pas encore totalement expliquée. Enfin, son retentissement sur la coagulation sanguine maternelle (risque de coagulation intravasculaire disséminée majeure) en fait l’un des diagnostics les plus redoutés en obstétrique. Le pronostic fœtal est catastrophique tandis que le pronostic maternel reste sérieux, voire dramatique, en l’absence de prise en charge adéquate ou retardée. Le diagnostic est parfois facile, devant un tableau typique. Parfois, la symptomatologie fonctionnelle étant fruste, le diagnostic est plus difficile. Le tableau clinique classique est riche et comprend : 1234

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l’apparition d’une douleur abdominale brutale, au niveau de l’utérus ; une hémorragie minime, noirâtre ; un état de choc (pâleur, sueur, hypotension, pouls accéléré) ; une hypertonie utérine ( ventre de bois ) ; la disparition des bruits du cœur fœtaux (mort in utero) ; un tableau de prééclampsie (hypertension artérielle , œdèmes , protéinurie). La conduite à tenir est simple : hospitalisation dans un délai le plus court possible (surtout si le fœtus est encore vivant). La prise en charge à la maternité dépend de nombreux critères (terme de la grossesse, état du fœtus et de la mère). Une césarienne en urgence est réalisée dans 2 circonstances : fœtus vivant ou état maternel gravissime contre-indiquant un accouchement par voie basse, plus long. Dans tous les autres cas, un déclenchement par prostaglandines est réalisé, sous couvert d’une réanimation adéquate.

2. Syndrome HELLP Décrit pour la première fois par Weinstein en 1981, ce syndrome récent (et donc parfois méconnu) est d’une extrême gravité nécessitant impérativement la terminaison de la grossesse (quel que soit le terme). Il complique environ 10 % des prééclampsies mais il peut apparaître d’emblée sans hypertension artérielle, source de nombreuses erreurs diagnostiques. Sa définition est purement biologique : hæmolysis (hémolyse), elevated liver enzyme (augmentation des transaminases hépatiques), low platelets (thrombopénie). Ce syndrome s’accompagne d’une mortalité maternelle élevée (2 à 10 %) et d’une mortalité fœtale très importante (10 à 50 %). Si le diagnostic est facile devant l’association des anomalies biologiques qui le définissent, encore faut-il penser à demander le dosage des plaquettes sanguines, de l’hémoglobine et des transaminases hépatiques devant une symptomatologie fonctionnelle peu évocatrice. En effet, le seul signe fonctionnel quasiment toujours retrouvé est la douleur vive de l’hypocondre droit ou de l’épigastre (correspondant à la fameuse « barre épigastrique de Chaussier »). Malheureusement, dans environ 40 % des cas, le syndrome HELLP peut survenir de façon isolée chez une patiente enceinte non hypertendue, rendant le diagnostic particulièrement difficile. De nombreuses patientes traitées initialement pour une « gastrite » présentent un véritable syndrome HELLP biologique isolé. La gravité de la situation est identique, même en l’absence d’hypertension artérielle ou de protéinurie. Ce syndrome témoigne d’une souffrance hépatique dont la complication extrême est la rupture d’un hématome sous-capsulaire du foie, responsable d’une hémorragie massive, souvent fatale dans un contexte de coagulation intravasculaire disséminée. Ainsi, devant toute douleur vive de l’épigastre ou de l’hypocondre droit même isolée, chez une femme enceinte, le médecin traitant doit évoquer ce diagnostic et demander le bilan biologique adéquat et, en cas de diagnostic positif, adresser immédiatement la patiente dans un service spécialisé.

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3. Éclampsie Accident aigu paroxystique et prévisible de la prééclampsie dont la fréquence a nettement diminué avec les progrès obstétricaux, sa fréquence est d’environ 1/50 prééclampsies. Il correspond à un état convulsif survenant par accès à répétition, suivi d’un état comateux. Le médecin traitant ne devrait plus être confronté à cet accident qui ne devrait survenir que chez des patientes hospitalisées dans des services spécialisés en raison d’une prééclampsie très sévère, en attendant un terme plus satisfaisant pour l’extraction fœtale. Cependant, si un médecin traitant est confronté à cette situation, le tableau clinique ressemble à celui d’une crise d’épilepsie (sans perte d’urines cependant). L’absence d’antécédent comitial, l’existence d’une grossesse et d’une hypertension artérielle plus ou moins connue permettent d’affirmer le diagnostic de crise d’éclampsie. La conduite à tenir est la même que pour une crise d’épilepsie : en attendant le transfert à la maternité la plus proche, on administre en intraveineux direct une ampoule de Valium (diazépam) ou de Rivotril (clonazépam), relayée par une perfusion du même produit. Une mise en place d’une canule de Guédel est souhaitable pour éviter l’asphyxie éventuelle et la patiente doit être installée dans une pièce sombre et paisible.

4. Autres complications Les troubles de la coagulation, notamment la coagulation intravasculaire disséminée, sont du domaine du service spécialisé où la patiente est adressée (voire d’un service de réanimation), de même que les autres complications possibles (accident vasculaire cérébral, insuffisance rénale aiguë, œdème aigu du poumon, ascite).

Conduite à tenir Devant une prééclampsie et (ou) ses complications, la conduite à tenir est assez simple pour le médecin traitant : il doit immédiatement adresser la patiente dans un service spécialisé, au besoin par l’intermédiaire du SAMU, si la situation lui semble grave. Les éventuels gestes d’urgence à réaliser ont été étudiés dans le chapitre précédent concernant les différentes complications possibles de la maladie.

Traitement en milieu hospitalier Surveillance fœtale La gravité fœtale tient à la souffrance fœtale chronique due à la diminution du débit utéro-placentaire. Le traitement idéal consisterait en l’administration d’une thérapeutique visant à améliorer ce débit (remplissage

vasculaire maternel ?). Il ne semble pas exister de diminution du débit placentaire par les traitements antihypertenseurs mais on note une augmentation de la mortalité néonatale si les chiffres tensionnels maternels descendent trop bas (120/70). Enfin, tous les médicaments traversent le placenta et sont donc potentiellement capables de produire des effets sur le fœtus. La surveillance fœtale classique comprend plusieurs points. • Le bruit du cœur fœtal doit être surveillé avant 25 semaines d’aménorrhée. • Le rythme cardiaque fœtal doit être enregistré, de façon classique ou informatisée (type Oxford) ; la fréquence de réalisation est bien sûr variable, en fonction du terme et de la gravité de l’atteinte fœtale et (ou) maternelle (1 à 6/j). • Une échographie obstétricale hebdomadaire est réalisée (biométrie fœtale, quantité de liquide amniotique ; un oligoamnios – diminution significative de la quantité de liquide amniotique – traduit une diminution de la diurèse fœtale, témoignant de la souffrance fœtale chronique). • Un doppler ombilical et un cérébral sont réalisés, à rythme hebdomadaire ou bihebdomadaire en cas d’altération. Le doppler ombilical traduit la qualité de l’écoulement sanguin au niveau des artères ombilicales, témoignant du degré de résistance placentaire. Lorsque l’index diastolique devient nul, a fortiori en cas de flux inverse (reverse flow), la situation hémodynamique fœtale devient précaire. Enfin, le doppler cérébral pathologique témoigne d’une hypoxie sévère avec réponse extrême, aux limites des possibilités d’adaptation du fœtus. • Le score de Manning (5 critères notés sur 10) étudie le bien être fœtal (mouvements respiratoires, tonus musculaire… ). • Les mouvements actifs fœtaux sont comptés. L’examen est intéressant mais anxiogène pour la patiente. • Des cures de corticoïdes (Célestène, Soludécadron) sont systématiquement administrées entre 25 et 34 semaines d’aménorrhée car la prématurité provoquée est très fréquente (3 cures au maximum).

Prise en charge maternelle La guérison repose sur l’extraction fœtale mais l’indication de cette extraction peut être difficile à porter, en fonction de la gravité de l’atteinte maternelle et fœtale et surtout du terme de la grossesse. Souvent, une surveillance stricte est nécessaire en raison du terme trop précoce de la grossesse. Cette surveillance doit être réalisée dans un service spécialisé en pathologies maternelles et fœtales, proche d’un service de réanimation néonatale (services d’autant plus spécialisés que le terme est faible : < 32 semaines d’aménorrhée). L’essentiel est qu’une collaboration étroite entre sages-femmes, obstétriciens, pédiatres néonatologistes et anesthésistes soit assurée.

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1. Surveillance Elle comprend : • une surveillance horaire (ou automatique type Dynamap) des chiffres tensionnels ; • un fond d’œil ; • une surveillance clinique à la recherche de signes fonctionnels évoquant une aggravation de la maladie (céphalées, barre épigastrique, troubles visuels, acouphènes, phosphènes, altération de l’état de conscience) ; • une surveillance de la diurèse par le recueil des urines ou le sondage vésical à demeure ; • la mise en place d’une voie veineuse profonde (pour la mesure de la pression veineuse centrale et le remplissage vasculaire) ; • un bilan biologique dont la fréquence varie selon la gravité de la situation (bihebdomadaire à biquotidien, voire toutes les 6 h) : bilan de coagulation standard ou approfondi en cas d’anomalie, numération formule plaquettes, ionogramme sanguin (urée, créatininémie, uricémie, enzymes hépatiques, protidémie) et urinaire, dosage des LDH (lactic dehydrogenase), de l’haptoglobine des schizocytes (témoins de l’hémolyse).

2. Traitement symptomatique • Un repos strict au lit et au calme est préconisé, si possible en décubitus latéral gauche qui améliore les perfusions placentaire et rénale, ainsi que l’hémodynamique maternelle. • Les antihypertenseurs sont les produits le plus couramment utilisés tels que le labétalol (Trandate) et la nicardipine (Loxen). Ils sont administrés per os ou en seringue autopulsée. Le Trandate (α- et β-bloquant) est le médicament de référence car efficace et sans effet secondaire. Le Loxen (antagoniste du calcium) est plus efficace encore mais il peut entraîner des effets hémodynamiques néfastes chez le prématuré de très petit poids. La clonidine (Catapressan) peut également être utilisée en complément ; plus rarement la dihydralazine (Népressol). • L’expansion volémique a pour but de corriger l’hémoconcentration et la réduction du volume plasmatique et de maintenir une protidémie satisfaisante (hypoprotidémie par fuite urinaire des protéines). Elle diminue également les résistances vasculaires systémiques et les œdèmes. Enfin, elle relance la diurèse et prévient la diminution excessive de la pression veineuse centrale lors du traitement antihypertenseur. Les produits les plus utilisés sont la sérum-albumine diluée (2-4 flacons /24 h) et la sérumalbumine concentrée (2-4 flacons/24 h). Le risque important est celui de surcharge vasculaire (œdème aigu pulmonaire) par excès de remplissage, nécessitant impérativement la surveillance de la pression veineuse centrale. L’inconvénient est la perturbation de la surveillance de la protéinurie, car la sérum albumine diluée et la sérum albumine concentrée se retrouvent en grande partie dans les urines. • Les anticonvulsivants sont rarement employés (traitement préventif d’une crise d’éclampsie imminente, en cas de chiffres tensionnels très élevés et [ou] de signes 1236

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fonctionnels évocateurs : phosphènes, amaurose, acouphènes). Les produits utilisés sont le sulfate de magnésie et les benzodiazépines (Valium, Rivotril). • L’aspirine 100 mg est prescrite à la posologie quotidienne de 100 mg avant 22 semaines d’aménorrhée et augmente la perfusion placentaire. • La dopamine permet de lutter contre la défaillance cardiaque.

3. Traitement obstétrical Il repose sur l’extraction fœtale, seul véritable traitement étiologique. Avant 34 semaines d’aménorrhée, la voie d’accouchement est la césarienne. Après cette date, si les conditions obstétricales sont favorables, un accouchement par voie basse peut être envisagé, d’autant que la situation ne revêt pas un caractère d’urgence. Naturellement, tout au long de l’accouchement, la surveillance maternofœtale est maintenue, voire augmentée. Il faut éviter les efforts expulsifs excessifs (aide à l’expulsion) et l’anesthésie péridurale est souhaitable si le taux de plaquettes est supérieur à 100 000/mm3 et si la patiente n’est pas traitée par aspirine. Parfois, le recours à une interruption de grossesse d’indication médicale, en raison de la sévérité du tableau maternel et du terme trop prématuré (< 24 semaines d’aménorrhée) est nécessaire. Le seul traitement étiologique, donc idéal, est l’extraction ; mais à quel terme ? Il faut mettre en balance les avantages et les risques de l’interruption de grossesse d’où la nécessité d’une discussion collégiale au cours de laquelle chaque intervenant (obstétricien, pédiatre et anesthésiste) peut confronter ses souhaits à ceux de ses collègues, aboutissant ainsi au meilleur compromis souhaitable pour la mère et son enfant. De grandes lignes thérapeutiques sont, bien entendu, établies ; cependant, des discussions au cas par cas sont très fréquentes et la décision finale dépend de nombreux facteurs (cures de corticoïdes, antécédents, parité, âge maternel, âge gestationnel, enregistrement du rythme cardiaque fœtal, données échographiques : poids fœtal estimé (PFE), quantité de liquide amniotique, arrêt de croissance, dopplers perturbés, souhait du couple…). Un traitement conservateur est adopté si le terme est trop précoce (24 semaines d’aménorrhée) et en l’absence de complications graves maternelle et fœtale. Le risque de cet attentisme est la survenue d’une mort in utero ou d’une complication maternelle gravissime. La question clé est « Quand interrompre ce traitement conservateur ? ». En règle générale, l’extraction est réalisée si la maturité fœtale est obtenue (> 35-36 semaines d’aménorrhée), en cas de survenue d’une complication maternelle (poussée hypertensive réfractaire au traitement médical, syndrome HELLP, coagulation intravasculaire disséminée, hématome rétroplacentaire, éclampsie, insuffisance rénale aiguë, ascite volumineuse mal supportée, œdème aigu pulmonaire mettant en jeu le pronostic vital maternel et en cas d’altération sévère du rythme cardiaque fœtal. ■

Gynécologie - Obstétrique

POUR APPROFONDIR Physiopathologie La physiopathologie de cette maladie est complexe mais schématiquement, l’élément clé est l’insuffisance placentaire par défaut d’invasion trophoblastique sous-tendue par des phénomènes immunitaires et (ou) génétiques mal compris. D’autres éléments favorisent également l’apparition d’une prééclampsie : l’obésité, la surdistension utérine (grossesses multiples, hydramnios) et la maladie trophoblastique. Cette insuffisance placentaire entraîne une cascade d’événements, avec, notamment, libération de nombreuses substances cytotoxiques qui vont léser les cellules endothéliales de l’organisme, apparition de l’hypertension artérielle et des lésions anatomopathologiques au niveau des différents organes (vaisseaux, foie, reins, cerveau). Des nombreuses théories proposées pour expliquer la physiopathologie complexe de cette affection, 3 sont actuellement retenues : origine immunitaire, désordre génétique et surtout anomalie de la placentation. Le rôle du placenta Le point de départ de la maladie consiste en la diminution du débit utéro-placentaire entraînant une ischémie placentaire, due à un trouble de la placentation, c’est-à-dire à un défaut de l’invasion cytotrophoblastique (sous-tendu par des phénomènes génétiques et [ou] immunologiques) aboutissant à un défaut de la vascularisation placentaire. Le placenta est l’élément clé ; la maladie pouvant survenir en l’absence de fœtus (môle). De même, l’ablation du placenta guérit la maladie. Ce défaut d’invasion cytotrophoblastique concerne surtout les artères spiralées. Normalement, les villosités trophoblastiques envahissent physiologiquement l’utérus et les artères spiralées jusqu’au tiers interne du myomètre. Il existe alors une disparition, au niveau des artères spiralées, de l’endothélium et de la plupart des fibres musculo-élastiques aboutissant à une augmentation importante du calibre des artères spiralées qui deviennent insensibles aux substances vasopressives entraînant ainsi une augmentation de la perfusion utérine. Dans la prééclampsie, on observe 2 types d’anomalies : soit une invasion des artères spiralées limitée à leur portion intradéciduale (respectant le myomètre) donnant des artères spiralées étroites et sensibles aux substances vasopressives, soit une diminution du nombre d’artères spiralées envahies. Dans les 2 cas, on assiste à une inadaptation de la perfusion placentaire, responsable de l’insuffisance placentaire. Phénomènes immunologiques Ce mécanisme est mal connu mais il y a longtemps que les médecins tentent d’expliquer cette maladie par une anomalie de la reconnaissance maternelle de l’unité fœto-placentaire, en rapport avec des anomalies des phénomènes présidant à la tolérance du fœtus et du placenta par la mère. De nombreux phénomènes vont en ce sens. En effet, la prééclampsie est souvent une maladie de la première grossesse ou après changement de partenaire. On observe également une variation selon la fréquence et la durée des contacts maternels avec les spermatozoïdes. Ainsi, l’utilisation des préservatifs, l’insémination avec le sperme de donneur, la faible fréquence des rapports avant le début de la grossesse ou le célibat sont des facteurs de risque de prééclampsie. Il semble que la reconnaissance par l’organisme maternel des antigènes paternels favorise la tolérance de la grossesse (anticorps sécrétés par la mère sous l’influence des antigènes paternels facilitant l’implantation). Peut-être existe-t-il aussi un excès de compatibilité dans le système HLA (human leucocyte antigen). Enfin, certains auteurs considèrent la prééclampsie comme une maladie autoimmune. Facteur génétique Le facteur génétique est également peu connu. Il est évoqué en raison de plusieurs phénomènes : caractère familial de la maladie (fréquence multipliée par 4 chez les filles de mères ayant présenté une pré-

éclampsie), prééclampsie plus fréquente en cas de trisomie 13 ou triploïdie, excès de fœtus mâles lors des prééclampsies, augmentation du risque de prééclampsie dans les grossesses inter-raciales. S’agit-il d’une transmission maternelle par un gène récessif ou autosomique à pénétrance variable ? Dans tous les cas, le rôle du génotype fœtal apparaît certain. Cependant, jusqu’à ce jour, la recherche d’un gène de la prééclampsie a échoué. Autres facteurs prédisposants Ils agissent également par le biais d’une insuffisance de la circulation placentaire. L’hypertrophie placentaire et (ou) la surdistension utérine (grossesse gémellaire, anasarque fœto-placentaire, môle) augmentation du risque de prééclampsie (20 %). Cela confirme encore la prééminence du placenta sur le fœtus dans la survenue de la maladie. Enfin, certaines maladies (obésité, hypertension artérielle chronique, diabète insulinodépendant, lupus, hypoplasies utérines) majorent le risque de prééclampsie. Le point commun à ces affections est l’altération de l’endothélium de l’appareil vasculaire.

POUR EN SAVOIR PLUS Uzan S , Beaufils M , Uzan M. Hypertension artérielle et grossesse. In : Papiernik E, Cabrol D, Pons JC (eds). Obstétrique. Paris : Flammarion, 1995 : 793-824.

Points Forts à retenir • La prééclampsie et ses complications sont responsables d’une morbidité et d’une mortalité maternelle et fœtale importantes, malgré les progrès réalisés en obstétrique, réanimation et néonatologie. • Tout médecin doit donc être vigilant devant la découverte d’une pression artérielle supérieure à la normale ou de toute anomalie (même minime) survenant chez une femme enceinte. • Cette affection mobilise les obstétriciens et chercheurs à la recherche d’un traitement efficace. Le seul traitement réellement efficace reste la terminaison de la grossesse ; tous les autres traitements n’ont pour but que de prolonger la grossesse jusqu’à un terme acceptable pour le fœtus. • Pour le moment, le seul traitement qui semble efficace pour prévenir l’apparition d’une prééclampsie est l’administration d’aspirine 100 mg/j à partir de 12 semaines d’aménorrhée pour éviter le défaut d’invasion trophoblastique responsable de l’insuffisance placentaire à l’origine de la maladie. • Enfin, il ne faut pas oublier la prise en charge psychologique éventuelle (mort in utero, décès néonatal) et la réalisation d’un bilan vasculorénal) complet 3 mois après l’accouchement, dans un service de néphrologie.

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50

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