Working Paper 2009/1

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QUEL DESIGN ORGANISATIONNEL POUR QUELLE PERENNITE ? UNE IDENTIFICATION DES RISQUES DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET STRATEGIQUE Pascal KOEBERLE Ecole de Management Strasbourg Universit´e de Strasbourg [email protected]

R´ esum´ e La litt´erature en management strat´egique met fortement l’accent sur la n´ecessit´e de l’innovation et du changement dans les organisations. Cette contribution souligne que le changement n’est qu’une des facettes de la p´erennit´e organisationnelle, laquelle implique une certaine stabilit´e. Un cadre d’analyse configurationnel est utilis´e pour sugg´erer que la continuit´e d’une configuration comme cadre de changement peut ˆetre un moyen d’acc`es ` a la p´erennit´e organisationnelle. Les risques associ´es ` a chaque configuration, mena¸cant sa stabilit´e, sont envisag´es. Mots-cl´ es : configurations organisationnelles, p´erennit´e des activit´es, p´erennit´e de l’identit´e, risques, continuit´e, changement.

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Pascal KOEBERLE

INTRODUCTION Nombre de dirigeants d’entreprises (et d’organisations au sens large), associent a` leur rˆole la mission de « faire vivre dans la dur´ee un projet » (Mignon 2009). Pour cette auteure, cette p´erennit´e de projet se d´ecompose en une p´erennit´e de l’organisation et une p´erennit´e des activit´es. Cette derni`ere ne recherche la pr´eservation que des seuls activit´es, produits et marques. Plus englobante, la p´erennit´e organisationnelle « se d´efinit comme la capacit´e pour une entreprise d’initier ou de faire face au cours de son histoire a` des bouleversements externes ou internes tout en pr´eservant l’essentiel de son identit´e » (2009, p.75). De cette d´efinition ressort le dilemme manag´erial consistant a` associer continuit´e et changement. Ce dilemme est pr´esent, ´egalement, dans la notion d’organisation ambidextre (O’Reilly III et Tushman 2004). L’ambidextrie d´esigne l’habilet´e d’une organisation `a, simultan´ement, poursuivre des activit´es reposant sur l’exploitation (March 1991) des connaissances organisationnelles existantes d’une part, et assurer une d´emarche d’exploration (March 1991) des produits, march´es et technologies ´emergents menant a` l’acquisition des connaissances sources d’´evolution de la trajectoire strat´egique (Lewkowicz 1992) d’autre part. Cet apprentissage organisationnel, impuls´e par les savoirs tacites d´etenus par les individus (par exemple, Brown et Duguid 1991), se poursuit par une explicitation des savoirs cr´e´es, facilitant leur transfert au-del`a de la communaut´e de pratiques qui les a fait naˆıtre (Winter 1987 ; Nonaka 1994). L’application pratique de ces connaissances aboutit a` l’apparition de routines organisationnelles significatives d’une internalisation des savoirs, lesquels `a ce stade, redeviennent tacites. Cette internalisation fournit le sens de l’action collective (Spender 1996). En ce sens, elle contribue a` la construction d’une identit´e organisationnelle, en forgeant les valeurs, les croyances, la culture d’entreprise. Cette identit´e peut ˆetre consid´er´ee comme une source de stabilit´e constituant « le socle d’une vision strat´egique de long terme » (Mignon 2001, p.19). Mais cette stabilit´e g´en`ere une d´ependance de sentier (Nelson et Winter 1982) pouvant mener au d´eclin (Miller 1990). Paradoxalement, la perte de l’identit´e et des connaissances implicites d´ebouche g´en´eralement sur une p´eriode de crise strat´egique (Spender 1996, pp.73-74). L’identit´e est ambivalente : stable, elle risque d’asphyxier l’organisation ; d´estabilis´ee, elle est source de crise. Elle doit, ainsi, ˆetre comprise de fa¸con dialectique. Tout en constituant un fil conducteur ´evitant a` l’entreprise de se « fourvoyer dans voies irr´ealistes » (Mignon 2009), elle peut ´egalement paralyser l’organisation en limitant sa capacit´e a` innover. L’identit´e est donc 2

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Quel design organisationnel pour quelle p´erennit´e ? porteuse d’un risque engageant le pronostic vital - la p´erennit´e de projet. Il apparaˆıt n´ecessaire d’int´egrer la perspective de la p´erennit´e organisationnelle (des activit´es et de l’identit´e) d’une part, et celle de la capacit´e d’innovation d’autre part, au sein d’un cadre d’analyse unique. L’objectif de cette contribution est d’identifier des ponts vers cette unification. Un cadre d’analyse de la capacit´e d’innovation embrassant aussi bien la nature des connaissances organisationnelles que les manuvres strat´egiques a` base d’exploitation et d’exploration, nous semble n´ecessaire. Or, comme le montre Nooteboom (2006) `a travers les difficult´es de coordination introduites par la distance cognitive n´ecessaire a` l’exploration, les formes organisationnelles ne sont pas toutes ´egalement adapt´ees aux diff´erentes postures strat´egiques. De mˆeme, une r´eflexion sur l’identit´e ne peut pas ignorer les politiques d’acc`es aux comp´etences (recrutement), celles-ci ´etant ´etroitement li´ees aux activit´es strat´egiques envisag´ees. L’association des dimensions cognitive, strat´egique, humaine et organisationnelle pr´esente la difficult´e de juxtaposer un nombre important de concepts. Une mani`ere de rendre intelligible de vastes ensembles conceptuels, consiste a` adopter une perspective configurationnelle. Lam (2000) puis Lewkowicz (2006) ont retenu cette option. Ils ont ´elabor´e un cadre d’analyse de la capacit´e d’innovation, r´eunissant les perspectives de l’apprentissage organisationnel et du design organisationnel. Nous pr´esentons ce cadre dans une premi`ere partie. L’identit´e, comme nous l’avons sugg´er´e, d´ecoule de la dimension cognitive a` travers le sens de l’action collective. Parall`element, les activit´es sont au cur de la dimension strat´egique. La p´erennit´e de l’identit´e et celle des activit´es nous semblent donc pouvoir ˆetre rapproch´ees du cadre de la capacit´e a` changer. Dans la seconde partie, nous proposons un rapprochement, dont nous analysons la coh´erence. Nous pourrons alors identifier diff´erentes postures de p´erennit´e, chacune correspondant `a une capacit´e a` changer particuli`ere affichant un risque strat´egique sp´ecifique. Les perspectives pour de futures recherches sont sugg´er´ees en conclusion.

CAPACITE D’INNOVATION : UN CADRE D’ANALYSE MULTI-NIVEAUX Lam (2000) et Lewkowicz (2006) ont contribu´e a` l’int´egration des composantes cognitive, organisationnelle, soci´etale et strat´egique a` l’int´erieur Working Paper 2009/1

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Pascal KOEBERLE d’un cadre duquel ressortent quatre configurations id´ealtypiques, qui se distinguent par leur type d’apprentissage et leur capacit´e d’innovation. Ces auteurs ont mis l’accent sur les configurations qui r´esultent de leur effort d’int´egration. Nous insistons plutˆot, ici, sur les articulations entre les configurations. Ces derni`eres sont d´efinies selon un ensemble de dilemmes manag´eriaux, qui sont autant de d´ebats acad´emiques.

Connaissances La perspective de l’apprentissage organisationnel pose une ressource strat´egiquecl´e : les connaissances. Deux d´ebats sont, ici, caract´eristiques. Polanyi (1962) distinguent les connaissances tacites et explicites. Les premi`eres sont porteuses d’une inimitabilit´e relative ; les secondes, transf´erables, sont centrales a` l’axiome de transparence de l’information de la concurrence pure et parfaite. Ce d´ebat en comporte d’autres, tel que celui de la r´eplication ou au contraire de la protection des connaissances (Kaplan et al. 2001). De nombreuses entreprises sont tout `a la fois soucieuses de r´ediger m´eticuleusement leur proc´ed´e de fabrication et de pr´eserver sa confidentialit´e. En outre, les connaissances peuvent ainsi ˆetre individuelles ou collectives (Spender 1996). Dans le premier cas, leurs propri´etaires peuvent h´esiter `a communiquer ce savoir s’ils escomptent en tirer une rente, ce qui peut aboutir a` la mise en place d’incitations et au renforcement des jeux d’acteurs. Dans le second, le stockage des connaissances au moyen de syst`emes d’information peut rigidifier et complexifier les interactions au sein de l’organisation, dans un contexte o` u l’informatisation paraˆıt souvent incontournable.

Organisation Il est presque trivial d’opposer une conception taylorienne de l’organisation a` une conception humaniste. Au demeurant, ce troisi`eme d´ebat compose les pˆoles du dilemme de la division du travail : quel degr´e de standardisation et quel espace d’originalit´e ? Dans la pratique, le dilemme prend la forme d’un ´equilibre `a trouver entre les dispositifs de pilotage tels que les objectifs et les moyens allou´es (qui, une fois fix´es, peuvent laisser une grande flexibilit´e aux individus ou aux communaut´es de pratiques [Brown et Duguid 1991] charg´es de la mise en uvre) et les dispositifs de contrˆole tels que les proc´edures rigides ou une supervision trop directive de la part des managers de proximit´e. Une fois le travail divis´e, se pose la question de sa coordination, laquelle d´ebouche sur un quatri`eme d´ebat. Si la division du travail met l’accent sur la standardisation, celle-ci peut revˆetir un caract`ere individuel (standardisation 4

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Quel design organisationnel pour quelle p´erennit´e ? des comp´etences) ou collectif (standardisation des processus, des produits, des normes). De mˆeme, si l’organisation du travail insiste sur les relations humaines, celles-ci se distinguent par leur nature individuelle (coordination par ajustement mutuel) ou collective (coordination par supervision directe au sein d’´equipes-projet non hi´erarchis´ees). En somme, le d´ebat porte sur l’autonomie accord´ee tantˆot `a l’individu, tantˆot au groupe. Les m´ecanismes de coordination de Mintzberg (1980) sont, ici, repris en les situant sur deux plans diff´erents.

Contexte soci´ etal L’organisation est impr´egn´ee dans un contexte institutionnel, qui influence ses d´ecisions, en particulier en mati`ere de recrutement. D’une part, le recrutement peut ˆetre ´elitiste, recherchant une qualification ou s’effectuer sur une base ´elargie, recherchant une comp´etence. Mais les r`egles du jeu institutionnelles s’immiscent, souvent, dans la d´ecision (fonction publique en France, professions lib´erales r´eglement´ees, etc.). Le dilemme consiste `a faire coexister ces deux profils de salari´es, qui peuvent ˆetre s´epar´es d’une distance cognitive contraignante (Nooteboom 2006). D’autre part, l’organisation peut privil´egier un recrutement tantˆot interne, tantˆot externe, selon que les crit`eres de comp´etence sont fix´es, respectivement, par l’entreprise ou par le march´e. Une entreprise qui se referme sur elle-mˆeme favorise l’absorption des connaissances individuelles (Cohen et Levinthal 1990), mais risque d’oublier la n´ecessit´e d’int´egrer de nouveaux savoirs (Kaplan et al. 2001) et celle d’assurer la p´erennit´e de son savoir-faire.

Strat´ egie Un d´ebat strat´egique fondamental est celui de l’organisation ambidextre, capable d’associer des activit´es d’exploitation et d’exploration (March 1991). Du bref exemple cit´e plus haut, il faut retenir que le m´etier h´erit´e de l’entreprise la contraint a` l’exploitation, autant sinon davantage que le besoin de rentabilisation de ses investissements. L’exploration d’un m´etier recherch´e (Lewkowicz 1992) demeure malgr´e tout indispensable dans un environnement dynamique (O’Reilly et Tushman 2004). Enfin, l’ultime d´ebat oppose deux finalit´es extrˆemes de l’entreprise : valorisation actionnariale (cr´eation de valeur financi`ere a` court terme) ou partenariale (´elargissement des crit`eres d’´evaluation de la performance, partage r´e´equilibr´e de la valeur ajout´ee, etc.). Les travaux de Mignon (2000) se situent dans cette veine. Working Paper 2009/1

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Hypoth` ese de configuration Par hypoth`ese, la structure organisationnelle efficiente requiert une coh´erence interne parmi les param`etres du design (Mintzberg 1980, p.328). Nous reprenons cette hypoth`ese a` notre compte, appliqu´ee aux concepts pr´esent´es. Les d´ebats retenus sont li´es, manifestement, par une correspondance d´eductive. Nous proposons quatre ensembles de concepts, articul´es selon deux axes, dont le croisement r´ev`ele quatre mod`eles de structures id´ealtypiques (Figure 1). Figure 1 – L’organisation, configuration de dilemmes Connaissances explicites Standardisation forte Recrutement élitiste Exploitation du métier hérité

Bureaucratie professionnelle

Bureaucratie mécaniste

Connaissances collectives Autonomie de groupe Recrutement interne Valorisation partenariale

Connaissances individuelles Autonomie individuelle Recrutement externe Valorisation actionnariale

Adhocratie

Firme J

Connaissances tacites Standardisation faible Recrutement à base élargie Exploration d’un métier recherché

Cette hypoth`ese de configuration ne nous est pas originale, mais provient de notre adoption du cadre d’analyse d´evelopp´e par Lam (2000) et Lewkowicz (2006). Pour ces auteurs, chaque configuration se caract´erise par une capacit´e d’innovation qui lui est particuli`ere, r´esultant d’un rythme d’apprentissage sp´ecifique. La bureaucratie professionnelle est marqu´ee par un apprentissage ´etroit inhibant l’innovation. Dans la bureaucratie m´ecaniste, l’apprentissage demeure superficiel, d’o` u une innovation limit´ee. La dynamique de l’apprentissage, dans l’adhocratie, g´en`ere des innovations radicales. Enfin, la firme J privil´egiant l’apprentissage cumulatif, soutient des innovations incr´ementales. Bien entendu, ces associations sont tendanciellement valides (Koeberl´e et Lewkowicz 2009) : l’observation empirique r´ev`ele des r´ealit´es toujours 6

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Quel design organisationnel pour quelle p´erennit´e ? contrast´ees - toujours ambidextres dans une certaine mesure. Ainsi, toute configuration r´eelle est une hybridation de configurations id´ealtypiques de la figure, sans que ceci soit de nature a` mettre en cause la validit´e des construits id´ealtypiques. Ces configurations ´etant d´ecrites, elles peuvent constituer un outil de diagnostic d’entreprise (voir par exemple Lewkowicz et Koeberl´e 2008b ; 2008a) : quel est l’´etat des huit dilemmes pour l’organisation examin´ee ? Mais ce diagnostic a peu d’int´erˆet s’il n’est pas mis en relation avec un ensemble de pathologies. Nous pensons que la perspective de la p´erennit´e peut offrir un tel ensemble, `a rapprocher des configurations pr´esent´ees.

POSTURES DE PERENNITE ET PATHOLOGIES : UN CADRE DU RISQUE STRATEGIQUE La perspective de la p´erennit´e de projet (Mignon 2001) distingue la p´erennit´e des activit´es, de la p´erennit´e organisationnelle. Cependant, la p´erennit´e organisationnelle est d´efinie comme la p´erennit´e simultan´ee des activit´es et de l’identit´e. Afin de manipuler des r´ealit´es ind´ependantes, il faut donc bien raisonner en termes de p´erennit´e des activit´es d’une part, et de p´erennit´e de l’identit´e d’autre part. Il est alors possible de les croiser selon deux axes orthogonaux. Ce croisement permet d’identifier quatre postures de p´erennit´e, correspondant `a quatre pathologies et quatre risques.

Postures de p´ erennit´ e des activit´ es D’une part, l’organisation peut manifester la volont´e de pr´eserver ses activit´es. Cette posture doit ˆetre, a` notre avis, rapproch´ee des formes bureaucratiques d’organisation. Celles-ci se caract´erisent, en effet, par un m´etier h´erit´e et une pr´edilection pour l’exploitation des connaissances organisationnelles existantes. Une bureaucratie m´ecaniste de service public, telle que l’agence nationale pour l’emploi en France, d´efend son activit´e d’aide `a la recherche d’emploi. Il est difficile d’imaginer que l’ANPE puisse abandonner cette activit´e, et mˆeme simplement que cette mission ne constitue plus son activit´e principale. De mˆeme, une entreprise de transport urbain peut, certes, investir dans un nouveau mode de d´eplacement (tramway en compl´ement du r´eseau de bus, par exemple). Mais ceci n’est pas de nature `a modifier son m´etier de transporteur, en particulier lorsque la manuvre diversifie les services offerts. A l’inverse, la pr´eservation des activit´es est secondaire pour les structures organiques. Une adhocratie de haute technologie peut d´efinir son m´eWorking Paper 2009/1

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Figure 2 – Les postures de p´erennit´e de projet

tier comme ´etant celui de d´evelopper des produits innovants a` un rythme soutenu. Le corollaire est que ses produits et ses marques peuvent ˆetre rapidement substitu´es par d’autres. Le cycle de vie de ces produits est tel que l’innovation est une condition essentielle du maintien sur un m´etier recherch´e en constante red´efinition. La firme J se caract´erise par l’efficacit´e de ses communaut´es de pratique (Brown et Duguid 1991) `a mobiliser les savoirs tacites dans l’effort de r´esolution de probl`emes. Ceci permet l’am´elioration continue, incr´ementale, des produits et des technologies. Dans ce type d’organisation, les activit´es peuvent ˆetre conserv´ees sans que ceci constitue une priorit´e pour l’entreprise. Cette posture ´evite ainsi l’enfermement dans un domaine d’activit´es donn´e.

Postures de p´ erennit´ e de l’identit´ e D’autre part, l’organisation peut valoriser fortement son identit´e. Tel nous semble ˆetre le cas, plus particuli`erement, de la bureaucratie m´ecaniste et de la firme J. Ces configurations sont marqu´ees par des connaissances collectives, constitutives de valeurs communes et d’une culture partag´ee. Les bureaucraties m´ecanistes peuvent ˆetre fortement attach´ees a` un territoire, lequel est partie int´egrante de son identit´e. Ainsi, la dissociation de Michelin et Clermont-Ferrand serait susceptible de briser l’identit´e de l’entreprise et de la ville. Certes, l’accent mis sur les savoirs explicites permet un transfert 8

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Quel design organisationnel pour quelle p´erennit´e ? n´ecessaire `a une ´eventuelle d´elocalisation. Mais dans ce cas, pour les nouveaux salari´es du site d’accueil, la vie est fa¸conn´ee par des r`egles d´enu´ees de sens (Spender 1996, p.74). L’identit´e est a` reconstruire. Les bureaucraties m´ecanistes de service public sont souvent, par ailleurs, le reflet d’un mod`ele de soci´et´e. La fermeture de bureaux de poste de proximit´e, dans une logique de rentabilit´e, rompt avec l’identit´e de l’entreprise. Cette rupture, que l’on peut qualifier de d´esalignement ou de dissonance par rapport `a la tradition et `a l’histoire de l’entreprise, malm`ene l’identit´e. Dans le cas des firmes J, la pr´epond´erance des connaissances tacites rend toute d´elocalisation complexe. La perte de ces connaissances peut causer l’effondrement du sens et la perte d’identit´e. Or, celle-ci se trouve souvent au cur de la coordination du travail, ce qui se concr´etise par l’adoption de chartes de bonne conduite, une communication omnipr´esente dans l’´etablissement relative aux valeurs de l’entreprise, ou encore l’engagement dans des actions de responsabilit´e sociale et environnementale, permettant une mise en uvre des discours. Ces pratiques sont ´egalement observables dans le comportement des bureaucraties m´ecanistes, telles qu’EDF ou Total. L’engagement de ces entreprises contribue a` maintenir et d´evelopper une identit´e f´ed´eratrice. L’identit´e semble donc bien valoris´ee par des types d’organisation. Il nous semble important, ici, de pr´eciser que dans notre perspective, les structures hospitali`eres et universitaires fran¸caises correspondent au mod`ele de la bureaucratie m´ecaniste (ces structures sont plus classiquement rapproch´ees de la bureaucratie professionnelles). Si les m´edecins et les enseignantschercheurs sont, bien entendu, des parties prenantes strat´egiques en raison de leur pouvoir de pression et de leur capacit´e de mobilisation, il demeure qu’`a l’´evidence ces structures sont pilot´ees par un pouvoir largement centralis´e - l’Etat - lequel est relay´e par une technostructure (Mintzberg 1980) ´etablissant des normes, promulguant des lois (Hˆopitaux Patients Sant´e Territoire, LRU). Ces lois semblent, par ailleurs, en dissonance avec l’identit´e de ces organisations, que les acteurs de terrain cherchent `a pr´eserver. Elles impliquent une rupture importante avec le mod`ele historique de la soci´et´e fran¸caise en mati`ere d’´education et de sant´e. La comparaison de ce mod`ele avec des mod`eles alternatifs existants, tels que le mod`ele des Etats-Unis, r´ev`ele l’existence d’un risque majeur que ces organisations peuvent faire courir (parfois malgr´e elles) `a certaines de leurs parties prenantes. L’int´erˆet pour l’identit´e organisationnelle paraˆıt moins pr´egnant dans le cas des bureaucraties professionnelles et des adhocraties. Les professions lib´erales r´eglement´ees, qui convergent vers le mod`ele de la bureaucratie professionnelle, b´en´eficient d’une l´egitimit´e `a la fois traditionnelle et l´egale. Cependant, le maintien de cette l´egitimit´e d´epend, outre de leur monopole l´egal, de Working Paper 2009/1

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Pascal KOEBERLE leur capacit´e a` apporter satisfaction dans l’exercice de leurs missions. Il s’agit bien, ici, d’une l´egitimit´e concurrentielle (Marchesnay 1998). Si cette fonction fondamentale consistant `a ˆetre performant n’est pas atteinte, le monopole l´egal serait contestable et pourrait disparaˆıtre a` son tour. La l´egitimit´e territoriale, identitaire, apparaˆıt bien secondaire. Ceci explique peut-ˆetre pourquoi certains cabinets d’avocats font signer aux avocats-stagiaires un engagement choisi `a renoncer `a leurs indemnit´es de stage pr´evues par le d´ecret faisant suite `a la Loi sur l’Egalit´e des Chances. La responsabilit´e sociale - mais aussi l’int´erˆet imm´ediat - de ces cabinets consistent `a assurer une v´eritable formation professionnelle aux jeunes avocats, en vue d’assurer la p´erennit´e de leurs activit´es. Cette formation repr´esente un risque potentiel et la r´emun´eration du stagiaire est per¸cue comme un risque additionnel. Bien entendu, nous n’entendons pas l´egitimer, ici, un mod`ele de pr´ecarit´e. Mais l’approche par les postures de p´erennit´e semble en mesure de fournir des hypoth`eses descriptives des risques, des hypoth`eses explicatives des liens entre risque et configuration d’entreprise et des hypoth`eses prescriptives des actions de changements et/ou de continuit´e `a envisager pour maˆıtriser le risque. Enfin, dans le cas des adhocraties, les innovations radicales qui sont recherch´ees sont peu compatibles avec le cycle de cr´eation de connaissance de Nonaka (1994). Les connaissances restent largement individuelles, sp´ecifiques aux domaines de connaissance de chaque expert. La diversit´e (cognitive, culturelle,) n´ecessaire a` la cr´eativit´e et a` l’innovation, dans ces entreprises, fait naˆıtre une difficult´e de coordination (Nooteboom 2006) correspondant, en fait, a` l’ind´esirabilit´e de la construction d’une identit´e organisationnelle. Celle-ci aboutirait a` museler les r´einterpr´etations originales, sources de cr´eativit´e.

Synth` ese des postures de p´ erennit´ e : les risques associ´ es aux configurations La figure 2 propose, `a l’intersection des postures de p´erennit´e, une typologie des risques associ´es `a chaque configuration « pure ». La bureaucratie m´ecaniste affiche un risque de d´eracinement. Nous avons montr´e comment cette configuration, `a travers sa posture de p´erennit´e, est li´ee a` un territoire et a` un mod`ele de soci´et´e. La bureaucratie professionnelle se caract´erise par un risque de l´egitimit´e. Bien qu’ancr´ee par la tradition et le cadre l´egal, les entreprises correspondant a` ce mod`ele configurationnel se doivent d’´etablir leur l´egitimit´e concurrentielle pour soutenir les activit´es li´ees aux comp´etences explicites d´etenues. 10

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Quel design organisationnel pour quelle p´erennit´e ? L’adhocratie puise sa valeur dans la diversit´e de ses membres. Cette diversit´e g´en`ere des difficult´es de coordination. Le risque de la coordination est un basculement dans une autre configuration, moins dynamique en termes de capacit´e a` innover. La raison d’ˆetre et la source de l’avantage concurrentiel de ce type d’entreprise sont donc menac´ees par les tentatives de coordination inadapt´ees. La firme J pr´esente un risque de p´erim`etre du m´etier. Si la priorit´e donn´ee a` l’exploration laisse la place, malgr´e tout, aux produits et march´es existants (cas de la diversification), l’identit´e peut ˆetre pr´eserv´ee moyennant un ´elargissement de l’expression du m´etier. Par exemple, le m´etier initial « nous fabriquons des biscuits artisanaux » peut devenir « nous fabriquons des produits artisanaux », lorsque l’entreprise envisage de d´evelopper une ligne de chocolats fins. En revanche, dans le cas d’un recentrage, il peut ˆetre plus d´elicat de l´egitimer l’abandon d’une activit´e, d’un produit ou d’une marque. La p´erennit´e de l’identit´e est alors compromise. L’´evolution du p´erim`etre d’activit´e de la firme J est donc susceptible du provoquer un basculement dans une autre configuration, ´eventuellement non d´esir´ee. Il faut noter que ces risques sont li´es aux configurations « pures ». Les r´ealit´es hybrides peuvent faire ressortir d’autres menaces. De mˆeme, il pourrait ˆetre int´eressant - dans une d´emarche de conduite du changement de configuration - d’identifier des hybridations assurant un ´equilibre entre continuit´e et changement, gage de p´erennit´e. Cette r´eflexion est au-del`a des ambitions de cette contribution.

CONCLUSION Dans cette contribution, nous avons voulu ´etablir le lien entre les configurations structurelles et les postures de p´erennit´e de projet. Les configurations se distinguent par leur capacit´e d’innovation. En cons´equence, les mod`eles organiques, con¸cus pour innover, peuvent paraˆıtre s´eduisants dans un environnement en rapide mutation, n´ecessitant un renouvellement fr´equent des sources de l’avantage concurrentiel. Pourtant, une approche par les postures de p´erennit´e r´ev`ele que les configurations plus m´ecaniques (au sens de Burns Stalker 1961) pr´esentent des int´erˆets en termes de p´erennit´e. La bureaucratie m´ecaniste est un refuge de sens, protectrice des mod`eles sociaux issus du pass´e. La bureaucratie professionnelle souhaitant pr´eserver ses activit´es, adopte une d´emarche de p´erennit´e fond´ee sur l’excellence de la reproduction de son savoir-faire. Il ne faut donc pas d´enoncer hˆativement les r´esistances au changement, Working Paper 2009/1

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Pascal KOEBERLE caract´eristiques des structures bureaucratiques. Par ailleurs, les entit´es organiques ne sont pas exemptes de risques relatifs `a la p´erennit´e organisationnelle. Si la litt´erature en management strat´egique met fortement l’accent sur la n´ecessit´e de l’innovation et du changement dans les organisations, l’int´erˆet d’une pr´eservation de l’identit´e et des activit´es ne doit pas ˆetre n´eglig´e. En somme, l’´equilibre entre changement et continuit´e doit faire l’objet d’un pilotage habile. Comment, par exemple, moderniser une clinique tout en pr´eservant les int´erˆets identitaires ? Les perspectives pour les futures recherches dans ce sens, passent par l’identification de pratiques de structuration d’entreprise ´equilibrant les postures de p´erennit´e. Il peut ˆetre int´eressant de r´ealiser des diagnostics d’entreprise, pour r´ev´eler les pratiques des managers, les probl`emes pos´es par ces pratiques. La conduite du changement devient, ici, la gestion de l’hybridation configurationnelle. Quelles sont les opportunit´es et les risques associ´es aux diff´erentes hybridations ? Plus largement, l’hybridation est-elle pertinente ou, dans le cas contraire, s’agit-il d’un manque de coh´erence interne finalement pr´ejudiciable a` la p´erennit´e ? Le maintien d’une configuration organisationnelle peut-elle constituer un cadre de continuit´e, dans lequel des changements peuvent ˆetre mis en uvre ? Cette continuit´e configurationnelle jouerait ce rˆole de filtre des initiatives strat´egiques « permettant a` la firme de changer dans une optique de p´erennit´e » (Mignon 2001).

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