Tu Duy Lich Su

  • November 2019
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Penserhistoire

Pense-bête : Histoire : a) l’évolution dans le temps des réalités humaines. b) la réflexion sur le passé des hommes. Le contenu historique des 3 trois œuvres : a) Corneille n’est pas historien de Rome, son œuvre est une tragédie et non un ouvrage d’histoire. Son sujet est moins la capitale romaine que les problèmes moraux et politiques de son temps : caractère allégorique de l’œuvre. b) Chateaubriand, dans les Mémoires d’OutreTombe, se pose en mémorialiste. Son but n’est pas de décrire ou définir la vérité historique mais de porter témoignage sur les moments historiques. Autrement dit, il s’agit de l’historicité existentielle de l’homme : vivre l’histoire. c) Marx est historien, mais le 18 Brumaire est un essai d’histoire immédiate, engagée et militante, sur le registre parfois du pamphlet. Historicité est la conscience du fait que les choses humaines évoluent dans le temps, que rien n’est pérenne. a) Corneille inscrit le thème de sa pièce dans le double moment historique de la construction de la grandeur romaine et des balbutiements de la monarchie absolue. b) Chateaubriand réfléchit sur les révolutions que prend le cours du fleuve de temps. c) Quant à Marx, sa philosophie est le matérialisme historique, c’est-à-dire, l’histoire pour lui « est la science de l’homme par excellence dans la mesure où il n’y a pas de nature humaine mais un ensemble de rapports sociaux » (6è thèse sur Feuerbach). Or, l’évolution dialectique, conflictuelle, de ces rapports sociaux est le moteur de l’histoire : « L’histoire de toutes société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes » (Manifeste). Historicisme est le fait de penser que toute connaissance, toute valeur est déterminée par le moment historique où elle s’inscrit. Cette perception des choses, considérée comme pertinente par nombre de philosophes du 19è siècle, Marx compris, fait aujourd’hui problème. De l’affirmation de la relativité historique, le risque existe de passer au relativisme des valeurs, au relativisme morale et idéologique, étape vers le nihilisme et le cynisme. Leçons de l’histoire. D’un côté, dire que le passé est le recueil des modèles c’est nier l’historicité des choses humaines. De l’autre côté, les leçons de l’expérience existe Histoire et objectivité. La subjectivité de l’historien exige néanmoins le souci de méthode, de distanciation et d’honnêteté intellectuelle : l’intention d’objectivité ou volonté d’impartialité. Histoire et vérité. L’histoire est une recherche selon son étymologie, elle n’a pas pour l’intention de faire revivre le passé. L’histoire en tant que réflexion sur le passé est recherche de vérité, au sens où elle refuse la fiction, le mensonge et la falsification, mais la notion de vérité historique est problématique. A ne pas confondre la réalité et vérité. Parler de vérité c’est émettre un jugement de valeur, c’est choisir un angle de vision, c’est toujours interpréter.

Histoire et mémoire. Il faut distinguer le travail de l’historien et la remémoration individuelle ou collective, fondée sur le sentiment subjectif. Car il n’y a pas de devoir de mémoire pour l’historien, ce dernier a un devoir d’impartialité, mais seul peut ressentir un « devoir de mémoire » l’homme ou la communauté qui se sent moralement comptables d’événements du passé. Deux cas extrêmes : hypermnésie et amnésie. Sens de l’histoire. Dire le sens de l’histoire c’est émettre la thèse selon laquelle l’évolution historique de l’humanité suivrait une direction prédéfinie, c’est-à-dire nécessaire, qui ne laisse place ni à la contingence ni à un réel pouvoir d’initiative de l’homme. Ce n’est pas la même chose que de donner un sens (signification) à l’histoire, ce qui est précisément la tâche de l’historien, c’est-à-dire la réflexion sur le passé des hommes.

I. La philosophie de l’histoire La philosophie de l'histoire s'attache à réfléchir sur le sens et sur les finalités du devenir historique. On peut schématiquement distinguer deux écoles de pensée : 1) l'une qui nie toute idée de finalité en affirmant que l'histoire n’est que fruit du hasard et de l'imprévu. 2) l'autre qui affirme que l’histoire obéit à un dessein, dont la réalisation téléologique en caractérise la signification. Rationalistes > empiristes > Kant > romantiques > Hegel > Marx Les Anciens voyaient souvent l’histoire comme un éternel retour. Le christianisme lui donne un sens et des fins, aux deux sens du terme, c’est-à-dire la fin comme achèvement et la finalité. Les philosophes des Lumières, Kant et Hegel en particulier, laïcisent cette théologie de l’histoire. 1) Pour les rationalistes (Descartes), la raison de l’homme constitue le fondement de toute connaissance, alors que les empiristes (Hume) soutiennent que seuls nos sens nous permettent de connaître le monde. 2) Kant pensait que la perception et la raison jouent toutes les deux un grand rôle, mais il trouvait que les rationalistes accordaient trop de pouvoir à la raison et que les empiristes se limitaient trop à leurs expériences sensibles. Il admet, comme les empiristes, que nos sens soit à l’origine de toute connaissance, mais il pensait également que notre raison dispose de certaines facultés qui détermine toutes nos expériences sensibles. Par exemple, quelque soit notre expérience sensible, elle s’inscrit obligatoirement dans l’espace et le temps. Ce sont les deux formes « a priori » qui précèdent toute expérience. La conscience de l’homme n’est pas une feuille blanche où s’inscrivaient de façon passive les impressions de nos sens, autrement dit, nos perceptions se plient à nos deux « formes a priori ». Ainsi, la conscience est formée à partir des choses, les choses à leur tour sont formées à partir de la conscience. D’autre part, les rationalistes, pour prouver l’existence de Dieu, tentent de démontrer son existence en disant que nous avons l’idée d’un « être parfait » ; tandis que d’autres comme Aristote et Thomas d’Aquin voient en Dieu la première cause de toutes choses. Kant, de son côté, pensait que l’expérience

ne peut nous fournir le moindre fondement pour affirmer que Dieu existe ou non. C’est dans cet espace laissé vacant par l’expérience que la foi va s’engouffrer. C’est une sorte de cogito ! Comme Descartes, il commence par s’exprimer ses doutes sur notre faculté de connaître, puis il réintroduit subrepticement Dieu ! Mais à la différence de Descartes, pour Kant, ce n’est pas la raison qui nous amène vers Dieu mais c’est la foi. Pour lui, la foi en l’existence de Dieu et le libre arbitre de l’homme sont des postulats pratiques. C’est ainsi que pour Kant, l’expérience ne nous permet pas de sonder le mystère de la nature. Autrement dit, nous ne connaissons rien de « la chose en soi » (das Ding an Sich), c’est-à-dire le monde tel qu’il est. 3) Pour les romantiques, la philosophie, les sciences expérimentales et la littérature faisaient partie d’un grand tout. Que l’on compose des poèmes ou que l’on étudie la vie des fleurs et la formation des pierres, c’est la même chose, car la nature n’est pas un mécanisme mort mais un « esprit du monde » vivant. Car partout dans la nature, nous pouvons deviner un esprit qui ordonne et structure. Mais les romantiques voyaient aussi cet esprit à l’œuvre dans la conscience de l’homme. Vu sous cet angle, la nature et la conscience de l’homme sont simplement deux formes d’expression de la même chose : l’âme du monde. 4) Tous les systèmes philosophiques avant Hegel avaient tenté de définir les fondements de la connaissance humaine, mais en se situant chaque fois dans des conditions intemporelles. Mais pour Hegel, il n’existe pas de raison intemporelle : on ne pouvait pas faire l’impasse du devenir, car ce qui est à la base de la connaissance humaine se transforme au fil des générations. La seule base solide à partir de laquelle le philosophe peut travailler c’est l’Histoire. Mais l’Histoire est en perpétuel changement, comment pourrait-elle constituer une base solide ? La raison est quelque chose de dynamique (l’esclavage n’est plus concevable actuellement, alors qu’il l’était au Moyen Âge), c’est-à-dire un processus. Et la vérité est ce processus même ! La connaissance de l’homme est en perpétuel développement. Ainsi, l’esprit du monde se développe pour atteindre une conscience de plus en plus grande de lui-même. L’Histoire témoigne que l’humanité se dirige vers une plus grande connaissance. Malgré tous ses méandres, le processus historique vers de l’avant : L’Histoire a un seul but, celui de se dépasser elle-même. Il suffit d’étudier l’Histoire pour se rendre compte qu’une pensée vient souvent se greffer sur d’autres pensées plus anciennes. Mais, à peine posée, cette pensée va être contrée par une nouvelle pensée, créant ainsi une tension entre deux modes de pensée. Et cette contradiction sera levée grâce à une troisième pensée qui conservera le meilleur des deux points de vue. C’est ce que Hegel appelle un processus dialectique. Autrement dit, il y a une tension entre deux manières de voir diamétralement opposées. Et cette tension fut conservée, niée, dépassée (subsumée). Ainsi, Hegel a qualifié les trois stades de la connaissance de thèse, antithèse et synthèse. Par exemple, la thèse rationaliste de Descartes fut contredite par l’antithèse empirique de Hume. Et

cette tension entre ces deux différentes modes de pensée, fut niée et en même temps conservée dans la synthèse de Kant. Un autre exemple. Si je réfléchis au concept « être », je suis contraint d’introduire le concept contraire, à savoir « ne pas être ». La tension entre « être » et « ne pas être » sera résolue dans le concept de « devenir ». Car pour quelque chose devienne, il faut que cette chose à la fois soit et ne soit pas. La raison de Hegel est donc une raison dynamique. D’autre part, nous savons que les romantiques étaient des individualistes … Eh bien ! cet individualisme rencontra son antithèse dans la philosophie de Hegel. Ce dernier souligna l’importance des forces objectives de la famille et de l’Etat. Bien sûr Hegel ne perdait pas de vue l’individu pris isolément, mais il l’incluait en tant que partie organique d’une communauté. La raison ou l’Esprit du monde ne se révèlent que dans les rapports des hommes entre eux. Pas plus qu’on ne peut concevoir un Etat sans citoyens, on ne peut concevoir de citoyens sans Etat. Et selon Hegel, l’Etat est encore plus que l’ensemble des citoyens à cause de cet Esprit du monde. Tout d’abord, l’Esprit du monde prend conscience de lui-même dans l’individu. C’est ce que Hegel appelle la raison subjective. Un degré supérieur est celui de la famille et de l’Etat, ce que Hegel appelle la raison objective parce que c’est une raison qui se révèle au contact des hommes entre eux. Le dernier degré est la forme la plus haute de la raison. L’Esprit du monde l’atteint dans la Conscience absolue. 5) La vision de la dialectique de Marx s'oppose à la dialectique hégélienne, qu'il "remet sur ses pieds" en prenant en compte le rôle de l'histoire, et en ajoutant une dimension matérialiste. Marx considérait que les conditions matérielles d'existence des êtres humains (notamment leur place dans les rapports de production) sont ce qui détermine leur conscience plutôt que l'inverse. La dialectique de l'histoire résulte des contradictions entre les classes sociales, de la lutte entre leurs intérêts divergents, ainsi qu'entre le développement des forces productives et les rapports sociaux issus de leur état antérieur.

II. Penser l’histoire : pourquoi ? Prendre conscience > comprendre > commémorer > devoir de mémoire > pour quoi ? > s’engager > juger Histoire et événement. L’histoire s’impose à tous : elle change la destinée de chacun en changeant le destin collectif. Ainsi, on ne pense d’abord comme historiques que les catastrophes naturelles ou humaines, à l’exemple des guerres. La règle de l’unité de temps de 24 heures dans la tragédie classique fait ainsi prendre conscience au spectateur que l’histoire peut tout changer en un jour « si funeste ». Mais penser l’histoire, ce n’est pas prendre conscience de n’importe quel événement. Un événement ne se suffit pas à lui-même pour être historique. Il faut qu’il sorte la communauté entière d’une certaine routine. La Révolution constitue la quintessence de l’événement historique précisément parce qu’elle introduit un changement soudain et irrévocable dans la société française. Toutefois, ce n’est pas forcément l’événement lui-même qu’il faut

penser pour penser l’histoire. Le coup d’Etat du 2 Décembre 1951 n’est que la conclusion prévisible des élections présidentielles du 10 Décembre 1848. Dès lors, l’historicité ne s’impose pas de la même façon dans les trois œuvres. La victoire des Romains sur les Albains marque le début de l’empire de Rome. La Révolution française fait qu’un « ancien monde finit et que le nouveau commence ». Mais le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte accomplit une répétition et non pas un surgissement singulier. Circularité de l’histoire. Corneille fonde l’histoire de Rome sur une fidélité intransigeante du Romaine à son honneur. Mais l’honneur n’autorise ainsi qu’une temporalité circulaire, qui n’est pas véritablement historique, car l’honneur enferme dans une logique de la vendetta, de l’honneur Sali qu’il faut laver dans le sang. C’est également par un temps cyclique que Chateaubriand caractérise le temps de l’Ancien Régime : « Vous ne reviendrez plus, jour de religion et de tendresse, où le fils mourait dans la même maison, dans le même fauteuil, près du même foyer où étaient morts son père et son aïeul ». Or, il ne saurait y avoir de pure répétition. D’une certaine manière Le 18 Brumaire est tout entier consacré à cette question de la répétition impossible de l’histoire. En effet, si « tous les grands événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois », Marx précise que c’est la première fois comme une tragédie et la seconde comme une farce. Quant à Corneille, le cinquième acte a rompu finalement avec cette circularité en introduisant l’intérêt de l’Etat à « conserver à Rome un si bon défenseur ». L’intérêt est aussi la clé pour comprendre l’histoire selon Marx, car l’histoire de toute société est l’histoire de « luttes de classes ». Commémorer et répéter. Le présent se comprend ainsi par rapport au passé. Pour faire l’histoire de présent, il convient de ne pas ignorer les déterminations issues du passé : « Les hommes font leur propre histoire, mais les ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage au passé ». Dès lors, comprendre le passé implique de rendre hommage à ses acteurs qui se sont dévoués pour que le présent soit possible. Marx a rendu hommage au prolétariat parisien qui s’est soulevé durant les journées de Juin 1848 : « Du moins succombe-t-il avec les honneurs du grand combat historique ». De même pour Corneille : « Sera-ce entre ces murs que mille et mille voix / Font résonner encor du bruit de ses exploits ». Mais commémorer le passé n’a de sens que pour mieux agir dans le présent et non s’assujettir au passé an se contentant de le répéter à l’identique. Le parti de l’ordre, face à l’insurrection révolutionnaire de Juin 1848 a fait passer comme « mot d’ordre dans leur armée les mots fétiches de l’ancienne société : propriété, famille, religion, ordre ». Chateaubriand lui aussi accuse le donquichotisme des membres de l’armée des princes. Histoire et l’individu. Avant que de se sentir engagé dans l’histoire pour des raisons politiques comme Marx, l’individu se pense comme un être historique parce que l’histoire fait irruption dans sa vie et ne lui en laisse pas le choix. Tel est le cas de figures féminines dans Horace. Elles ne peuvent que voir leur identité niée à l’issue du combat à mort. L’amnésie signifierait la négation de l’identité du sujet comme souligne Chateaubriand : « sans la mémoire, que

serions-nous ? ». Mais exister grâce aux souvenirs n’équivaut pas à exister dans ses souvenirs. Il s’agit de dépasser les ressentiments incarné par Camille envers Rome. Chateaubriand évoque un devoir de mémoire : « et pourtant, France du XIXè siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait ». Marx est capable de rendre hommage au rôle historique joué par les « héros de l’Ancienne Révolution française » qu’il qualifie bourgeoise. Mais n’y a-t-il pas de balancement entre ressentiment de vaincu et gratitude envers les vainqueurs de l’histoire ? Penser l’histoire à venir. La question est de savoir si le pourquoi entraîne un pour quoi, autrement dit, quelle finalité poser au fait de se penser comme un être historique ? Corneille nous rappelle la règle antique qui consiste à s’en remettre aux oracles. Marx prétend anticiper l’avenir qu’au moyen de lois rationnelles de l’histoire. Les prédictions de Chateaubriand ne doivent rien à un quelconque don de divination mais à une forme de lucidité sur le sens de l’histoire : « les semences des idées nouvelles ont levé partout ; ce serait en vain qu’on les voudrait détruire ». S’engager dans l’histoire. Penser l’histoire implique aussi de démystifier toute histoire héroïque en y traquant gloire personnelle et égoïsme de classe ? Quels sont les vrais héros ? N’accorder aucune valeur à la vie, comme le fait Horace, mettrait en crise l’engagement du héros dans l’histoire, mais accorder une valeur insurpassable la vie interdirait de faire progresser l’histoire. Comment juger ? Quelle hiérarchie des valeurs propose l’histoire ? Juger l’histoire. On pense l’histoire pour la juger et pour agir selon certaines valeurs. Ainsi l’histoire est en procès dans ces trois œuvres. Dans le cinquième acte, Corneille a pris la nécessité ultime de juger. Chateaubriand condamne l’exécution par les révolutionnaires de quatorze jeunes filles de Verdun supposées avoir accueilli en libérateurs les soldats prussiens : « un des meurtres les plus atroces de la Terreur ». Avec quel tribunal ? Sabine invoque le jugement divin : « Et je m’imaginais dans la divinité / Beaucoup moins d’injustice et bien plus de bonté ». Chateaubriand invoque aussi le tribunal de Dieu pour juger ses affaires privées. Marx ne peut supporter qu’on fasse de la religion un moyen de gouvernement et bloque ainsi la lutte des classes. Mais à l’inverse, n’est-il pas présomptueux de prétendre juger à distance une situation dont le détail singulier nous échappe forcément ? Comme si penser l’histoire c’est une acceptation indifférente de tout le passé ?

III. Penser l’histoire : comment ? Voir > savoir > impartialité > immanente ou transcendantal > Le témoin oculaire. Pour Chateaubriand, l’histoire est d’abord l’histoire de celui qui la vit comme acteur et témoin oculaire. Il a fait éloge des paysans vendéens qui avaient pris part aux plus grandes batailles de l’histoire contrerévolutionnaire. L’histoire est donc spectaculaire, c'est-à-dire selon l’étymologie, quelque chose que l’on voit : « mille, de nos remparts, comme moi l’ont pu voir » affirme Julie à propos du combat des Horaces et des Curiaces. Marx semble

permettre le glissement du voir au savoir : il faut voir pour savoir. Car le point de vue limitée du témoin oculaire peut induire en erreur, car les acteurs de l’histoire peuvent être aveuglés par leur idéologie, à l’exemple des révolutionnaires bourgeois, victimes « des illusions dont ils avaient besoin pour se dissimuler à eux-mêmes le contenu étroitement bourgeois de leurs luttes ». La théorie pourrait démystifier une vision immédiate de l’histoire. Intelligibilité de l’histoire. Si être témoin oculaire ne saurait être une condition suffisante, est-ce du moins une condition nécessaire ? Par les rois et les grands, l’histoire se fait histoire officielle en quelque sorte la mémoire officielle est définie par l’Etat. Mais avec l’essor de l’esprit critique, l’histoire officielle est plus aisément remise en cause. Bien penser l’histoire, c’est la penser de façon critique. Comme Marx, Chateaubriand reconnaît que toute pensée de l’histoire est un point de vue engagée contre une histoire officielle Mais est-ce le point de vue du contemporain des faits ou celui de la postérité ? Pour sa part, Marx privilégie moins le témoin pertinent que le contemporain pertinent. Pour Marx, la pensée de l’histoire doit être immédiatement une action dans l’histoire qui encourage le prolétariat à prendre son destin en main. Penser l’histoire, c’est toujours repenser l’histoire après coup, après d’eux, c'est-à-dire avec eux et contre eux.

Méthodes. Penser l’histoire avec des documents et de monuments. Etablir la psychologie des acteurs. Corneille et Chateaubriand sont tentés d’avoir recours à une psychologie des nations : « il y a dans la nature des Français quelque chose de supérieur et de délicat que les autres nations » (Chateaubriand). Pour sa part, Corneille explore la logique du « cœur généreux » censé caractériser le soldat romain. Le sens de l’histoire. Pour Marx, les nécessités économiques, la lutte des classes sont la fatalité immanente de la tragédie humaine. L’histoire s’explique par des causes de long terme, immanentes à l’ordre humain : « jamais événement n’a projeté devant lui son ombre aussi longtemps à l’avance » Penser l’histoire : échapper le présent. A l’histoire des vainqueurs, Chateaubriand répond en tout cas, lui qui veut témoigner pour les victimes de l’histoire. Dans les Mémoires, penser l’histoire signifie témoigner par son propre exemple qu’on peut échapper à l’Histoire, en substituant à la légende dorée des révolutionnaires une légende diabolique, en démystifiant toutes les histoires officielles et partisanes, en plaidant pour l’humanité de toute personne, et enfin, en se soustrayant à l’histoire par le biais d’histoires.

IV. Penser l’histoire avec Horace A. Le texte Acte I : Rome et Albe au jour décisif

La bataille suprême est imminente entre les deux cités rivales que sont devenues Albe et Rome. « Faiblesse » et « douleur » caractérisent dès les premiers vers le sort des deux femmes : Sabine et Camille. Elles sont les spectatrices impuissantes et désolées du drame à venir, et les pleurs de ces deux femmes seront tout le long de la tragédie l’expression et l’origine de violentes tensions entre hommes et femmes. Scène 1 : Plus que Tite-Live, Corneille crée le personnage de Sabine, sœur de Curiace et épouse de Horace. En elle s’accomplissent l’alliance puis la rupture entre deux familles. Sabine vit déchirée entre son admiration pour Horace et Rome et son attachement à Albe, sa patrie. « Mes larmes aux vaincus et ma haine aux vainqueurs ». L’Histoire, sans gloire aucune pour Sabine, est avant tout un jour funeste Scène 2 : Face à Sabine plaintive c’est le personnage de Camille qui vit dans ses passions. On apprend à quel point Camille aime Curiace, malgré les avances du Romain Valère. Inquiète, elle hésite à croire à une interprétation heureuse d’un oracle qui lui a été rendu et qui lui prédit une paix prochaine entre Albe et Rome, et son éternelle union avec Curiace. Scène 3 : La tension initiale s’apaise avec l’arrivée de Curiace, qui fait renaître l’espoir d’une paix à bon compte : le combat généralisé a été évité au profit d’un combat entre deux groupes de champions. Acte II : Horace et Curiace face à leur destin Scène 1 : Horace et Curiace entre en scène et nous apprenons qu’Horace et ses frères ont été choisies pour défendre Rome. A partir de cet instant, Horace se confond avec Rome et l’Etat : il est prêt à mourir inconditionnellement pour sa patrie. Scène 2&3 : L’action se noue lorsque Flavian apprend à Curiace que le choix d’Albe est ses trois frères. Si les deux guerriers acceptent sans discuter de servir leur pays, l’horreur de ce combat est pleinement reconnue par Curiace qui affirme par là son humanité : « Je rends grâce aux Dieux de n’être pas Romain. Pour conserver encor quelque chose d’humain ». Alors que Horace réclame une intransigeante vertu : « j’accepte aveuglément cette gloire avec joie ». La ligne de séparation s’accuse entre ceux qui s’oublient dans le service de l’Etat en étouffant leurs sentiments et ceux qui, tout en assumant leur devoir, se désolent de l’énormité du sacrifice qu’on exige d’eux. Scène 4&5 : Camille tente vainement de détourner Curiace d’un combat qui le verra mourir ou le fera meurtrier de ses frères. Scène 6 : Sabine s’interpose entre Horace et Curiace et les supplie de trancher, en la tuant, le seul lien qui les unit pour trouver ainsi un mobile personnel à leur duel. La contradiction qu’elle voit entre ses devoirs de sœur et de femme est pour elle indépassable, invivable. Scène 7&8 : L’arrivée du vieil Horace met un terme à cet attendrissement : les pleurs des femmes sont dangereux pour ceux qui doivent verser du sang.

Acte III : Le combat des Horaces et des Curiaces Scène 1 : Long monologue de Sabine qui prévoit toutes les souffrances à venir. Scène 2&3&4 : Corneille multiplie les effets dramatiques en refusant de raconter l’histoire d’une façon continue. Il transforme le récit en une suite de nouvelles discontinues et contradictoires qui assurent le suspense. C’est d’abord Julie qui annonce que « les deux camps se mutinent », révoltés par ce combat inhumain entre frères. Cela fait renaître l’espoir dans le cœur de Sabine, pas dans celui de Camille. Les deux jeunes femmes se disputaient pour savoir laquelle était le plus à plaindre. Scène 5 : Le vieil Horace apporte de « fâcheuses nouvelles » aux deux jeunes femmes Scène 6 : Julie revient pour annoncer la mort de deux des Horaces et la fuite du troisième. Le sort de Rome paraît joué. Le vieil Horace maudit son fils et annonce qu’il lavera par le sang de celui-ci l’honneur des Romains. Acte IV : Le retour du héros et son dernier combat Scène 1 : L’action reprend sur cette colère intransigeante du père que ne parvient pas à calmer Camille. Scène 2 : Le quiproquo entre Valère, amant de Camille, qui connaît l’issue de la bataille et le vieil Horace. Ce quiproquo va cesser avec le récit de la fin de bataille qui consacre la gloire d’Horace. Sa fuite n’était qu’une ruse destinée à isoler les Curiaces pour mieux les tuer. Scène 3&4 : Camille s’exhorte à la désobéissance, faisant valoir contre l’ordre romain et patriotique qui lui est imposé les droits d’amour. Scène 5 : Le langage de Camille prend des accents héroïques. Avec fureur et audace, elle multiplie les provocations jusqu’à maudire Rome et souhaiter son anéantissement. Horace tire son épée contre Camille qui s’enfuit avant d’être mise à mort. Scène 6&7 : Pour Horace, cette exécution est à la fois un acte de raison et un acte de justice. Sabine les rejoint et provoque Horace à son tour. Elle lui demande la mort comme une grâce car elle abrégerait ses douleurs, ou comme un supplice, car elle serait le châtiment de sa lâcheté. Horace s’enfuit car il craignait pour sa vertu : l’attendrissement ne saurait trouver accès dans une âme romaine. Acte V : le procès d’Horace Scène 1 : Le vieil Horace n’a aucun regret de la mort de Camille. Il déclare qu’elle était criminelle et se plaint d’avoir mis au jour un cœur si peu romain. Scène 2 : La mort de Camille a transformé en un moment le statut d’Horace. Mais quand le Roi entre en scène et son déplacement dans une maison privée est destiné à honorer une glorieuse famille. Mais le triomphe tourne au procès. C’est Valère qui réclame justice contre Horace au nom du peuple romain. La gloire héroïque ne devient-elle pas dangereuse dès lors qu’elle ne respecte plus les

lois ? « Faisant triompher Rome, il se l’est servie. Il a sur nous un droit et de mort et de vie ». Horace est prêt à mourir pour effacer la tache en la maison d’Horace qu’est le meurtre de Camille, et pour conserver une gloire acquise au combat. Scène 3 : Sabine vient réclamer sa propre mort : son sang apaiserait la colère des dieux et Horace pourrait ainsi demeurer le défenseur de Rome et elle serait délivrer de ses crimes de l’amer et de ne pas l’aimer. Le vieil Horace défend son fils en appelant au roi : Horace doit demeurer l’appui de rome et du roi. Tulle prend le dernier parole pour appeler à la réconciliation. Horace devra vivre pour servir l’Etat. Une cérémonie purificatoire effacera la souillure de fratricide commis par Horace. Les derniers mots du roi sont pour les deux amants, Camille et Curiace, réunis certes comme l’avait prédit l’oracle, mais dans la mort.

B. Contexte historique et littéraire : A) La tragédie faisait écho au conflit qui opposait la France et l’Espagne, conflit ressenti comme fratricide. Il opposait le roi très catholique au roi très chrétien pour la plus grande satisfaction des Réformés. Cette situation avait conduit une partie de l’opinion française à prendre parti pour l’Espagne. Anne d’Autriche, l’épouse du roi de France Louis XIII, était fille du roi d’Espagne et se trouvait dans la situation de Sabine. Les années du ministère de Richelieu sont des années difficiles sur le plan des relations internationales (guerre de Trente Ans) et l’époque de Louis XIII se passionne pour la question des équilibres à trouver entre des Etats ambitieux. On s’interroge sur le rôle de la France dans l’Europe : rêve de paix universelle, utopie impériale. En même temps l’impérialisme espagnol est dénoncé et l’Espagne est accusée de mettre en pratique les préceptes de Machiavel et d’instrumentaliser la religion. La raison d’Etat tend à l’emporter sur toute autre considération : Richelieu n’hésite pas à faire alliance avec des protestants pour l’intérêt de l’Etat. En France, Machiavel est stigmatisé officiellement, mais mis en pratique à travers un réalisme politique où se séparent politique et morale. Dans le « discours sur la première décade de Tite-Live », certains des arguments de Machiavel se trouvent dans le réquisitoire de Valère au moment du procès. Le dénouement cornélien va contre la leçon politique que Machiavel tire de ce mauvais jugement royal. B) On note qu’il existe deux grandes familles d’interprétation de « Horace ». La première met l’accent sur l’humanité que professent Curiace et les deux héroïnes, on l’appelle ainsi l’interprétation « albaine ». La seconde fait du problème moral une question politique et mobilisera le contexte philosophique ou l’histoire des idées (quel est l’héroïsme dont l’Etat a besoin), on l’appelle cette seconde interprétation « romaine ».

C. Penser l’histoire dans Horace de Pierre Corneille 1° Penser l’histoire est de réécrire l’histoire et de représenter l’histoire sur scène

L’étude d’une tragédie à sujet historique comme Horace nous amène à repenser notre propre relation avec l’histoire et nos attentes par rapport à sa transmission. La tradition historiographique ancienne et l’enseignement de l’histoire ont longtemps fait valoir la chronologie, les noms et actions des princes, les guerres. Mais l’écriture de l’histoire n’est pas neutre et on a pu voir qu’elle pouvait se dramatiser et se mettre en scène. Lorsque le politique pèse sur le travail de mémoire, il opère sa sélection entre ce qui doit être tu et ce qui doit être conservé. Réinventer l’histoire par la fiction serait une manière de déjouer la mémoire officielle, sélective et partisane, pour explorer le passé 2° Penser l’Histoire comme source de drames humains L’Histoire, avant d’être une succession d’événements, est d’abord une affaire d’hommes. Corneille, dans Horace, ne nous donne pas le récit de la guerre entre Albe et Rome, mais le récit d’un duel fratricide. Il éclaire les enjeux familiaux du conflit entre Rome et Albe. Cette tragédie explore en profondeur les âmes de héros qui, en se voyant tout proches de leur bonheur, doivent affronter des épreuves décisives et des situations particulièrement douloureuses. Le héros qui sauve sa patrie est aussi un criminel, mais le roi a jugé en la faveur de Horace, et l’intérêt supérieur de la patrie commande que les querelles supérieures soient oubliées : « Ta vertu met ta gloire au dessus de ton crime ». Car il s’agit bien de servir l’Etat, comme le dit Hegel à propos de la Rome antique : « les individus libres doivent renoncer à eux-mêmes pour se mettre au service de cette universalité abstraite (Etat) ». L’action historique des héros (ou des grands hommes) se situe au-dessus de la vie commune. Ainsi, le héros est en dehors du cours ordinaire des choses : son destin est exceptionnel car il réalise le but universel : « De pareils serviteurs sont les forces des rois, et de pareils aussi sont au-dessus des lois ». Corneille défend des valeurs universelles et éternelles : le devoir et la raison d’Etat doivent l’emporter sur le sentiment. L’Histoire devient l’exemple, mythe. Le présent doit être conforme à l’idéal éthique du passé. Les tragédies de Corneille utilisent souvent l’opposition entre « honneur » et « bonheur ». Ils célèbrent ainsi le triomphe de l’honneur : « Iras-tu, Curiace, et ce funeste honneur, te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ». 3°) Penser l’Histoire, c’est faire entendre la plainte des victimes à travers le cri de la conscience tragique : le passage de la vérité théorique à la vérité éthique. « Je haïs, pour ma part, ces grands systèmes absolus, qui font dépendre tous les événements de l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux autres par une chaîne fatale, et qui suppriment, pour ainsi dire, les hommes de l’histoire du genre humain » (Alexis de Tocqueville, Souvenirs) Face à des grandes théories de développement de l’histoire comme Hegel et sa Raison universelle, par rapport à laquelle « tout le reste est subordonné et lui

sert d’instrument et de moyen » (la raison dans l’histoire), il y a toujours la souffrance et la mort des hommes. La pensée de l’histoire témoigne trop souvent d’un penchant morbide à en reproduire sur un plant théorique l’implacable nécessité, tout en oubliant l’homme. Et c’est Camille qui s’est révolté contre ce système absolu qui est l’Etat : « Mille songe affreux, mille images sanglantes, ou plutôt mille amas de carnage et d’horreur » Le danger d’une pensée trop vite oublieuse des hommes est bien le danger d’une banalisation de la violence politique. Si la pensée de l’histoire est une pensée tragique, alors la pièce de Corneille ne peut qu’ouvrir en chacun le pathos de l’histoire, cette sensibilité au tragique de l’existence qui est tout aussi bien l’épreuve de la contingence. 4° Penser l’histoire à travers les personnages féminins et la question de la violence dans Horace de Corneille a- Les dilemmes féminins dans Horace. Les personnages féminins dans Horace expriment intériorisent le tragique jusqu'à l'explosive et ultime fureur de Camille contre Rome, considérée comme responsable de son terrible destin. En réalité, c'est Sabine qui, confiant ses tourments à Julie, donne le la de la pièce : « Approuvez ma faiblesse, et souffrez ma douleur ». Sabine, écartelée entre l’amour de sa famille et l’amour de son époux, est certaine que l’issue du combat, quelque soit le vainqueur, ne peut que l’affliger. L’expression de la douleur chez Sabine précède la violence, parce qu’elle sait que son sort est scellé dès la levée de rideau. Son destin est pris dans les rets des moments originaires d’une histoire romaine frappée par le sceau de la violence. Ces pensées tourmentées émanent d’un dilemme attisé par un amour égale qu’elle éprouve pour Horace d’un côté, et l’amour d’Albe (sa patrie d’origine) et de ses frères les Curiaces de l’autre. A noter que Sabine n’a de cesse, face à son dilemme, de vouloir surpasser sa condition de femme, qu'elle n'ait atteint à une grande résolution : « Si l'on fait moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme. Commander à ses pleurs en cette extrémité, C'est montrer pour le sexe assez de fermeté ». Curiace lui-même est sensible à ce même dilemme : « J'aime encore mon honneur en adorant Camille ». La similitude entre ces deux personnages annule les bornes et toute hiérarchie entre monde masculin et féminin dans la pièce de Corneille. b- le meurtre de Camille Lorsque l’oracle annonce à Camille qu’elle sera « unie au Curiace », il lui prédit à mots couverts que l’histoire est fixée par les dieux et que l’homme ne peut rien y changer. Les dés sont jetés d’emblée, malgré les efforts déployés par l’homme pour penser l’histoire ou l’infléchir à son gré. L'ironie tragique que subit Camille émane de n'avoir su, ni interpréter les prédictions de l'oracle ni ses "songes" prémonitoires qui lui révélaient l'issue sanglante du combat. La fatalité dans ce sens est un signe qui pour être déchiffré, n'en reste pas moins ambivalent et qui n'acquiert son sens plein, que par les coups de théâtre qu'elle produit. En tant qu’individu, Camille est la proie d’une fatalité historique et collective. De ce fait,

elle est sujette à un dilemme dont l'issue est tragique. C’est la liberté individuelle et la passion amoureuse en elle qui se rebelle désespérément, contre le fait accompli historique. L'absolution sera accordée à Horace parce que sa violence est constitutive de l’Etat. En vertu de son courage et de l'identification de sa cause avec la fondation de Rome, le coupable sera innocenté. Corneille peut sembler suivre à la lettre l'histoire romaine, car elle coïncide avec les voeux de Richelieu dont le but est d'ériger l'intérêt de l'Etat en valeur suprême.

V. Penser l’histoire avec Chateaubriand A. Contexte biographique 1768 : naissance à Saint Malo de François René de Chateaubriand. A vingt ans, il embrasse la carrière militaire. Puis il part découvrir le Nouveau Monde à l’âge de 23 ans. 1792 : De retour d’Amérique, il s’engage dans l’armée des émigrés pour se battre contre la France révolutionnaire aux côtés des Autrichiens et des Prussiens. Blessé au siège de Thionville, Chateaubriand rejoint difficilement son oncle maternel réfugié à Jersey. 1793-1800 : Exil en Angleterre. Ses sœurs, sa femme et sa mère sont arrêtées. Son frère aîné Jean Baptiste, qui a aussi combattu dans l’armée des émigrés, est guillotiné. 1797 : Il publie « Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes considérées dans leurs rapports avec la Révolution française ». Comme son titre l’indique, penser le passé sert à mieux comprendre le présent par un jeu de comparaisons. L’auteur y fait preuve de relativisme politique. Il présente la Révolution comme inévitable du fait que le régime monarchique s’est corrompu au fil des temps. 1802 : Le retour de Chateaubriand à la religion est marqué par la publication du Génie du Christianisme. Il s’oppose rapidement à ce qu’il nomme le « despotisme » de Napoléon. 1803 : Il conçoit le projet des Mémoires. Il aurait commencé à les écrire en 1811 et il date la première rédaction des 4 livres au programme (9-12) en 1822. Ainsi, il a vécu et observé attentivement la fin du siècle des Lumières et la Révolution, de même que la naissance du nouvel ordre social qui est issu de l’Empire. Dans cette époque de brutales et profondes mutations, il a été un acteur, une victime et un témoin.

B. Le texte

C’est le récit de la confrontation d’un individu à l’Histoire, dans un balancement entre participation et exclusion. Il s’agit aussi d’une peinture originale de ces années, fondatrices de la France moderne. Livre 9 : Chateaubriand héros défait par l’histoire. Rentrant d’Amérique, Chateaubriand a besoin de l’argent pour rejoindre l’armée des princes : « ce concours de circonstances décida de l’acte le plus grave de sa vie », son mariage avec Céleste Buisson de Lavigne. Le mémorialiste sélectionne en une « vue rétrospective » quelques événements, décisions et acteurs, afin d’expliquer la radicalisation progressive de la Révolution entre 1789 et 1972. Il s’attarde sur le théâtre diabolique du club des Cordeliers, décrit comme un pandémonium (enfers, lieu corrompu) Chateaubriand se résout à l’exil par l’impulsion propre à la jeunesse et le « point d’honneur », et parce que, succombant à l’atmosphère déliquescente de la Révolution, il perd au jeu presque tout son bien. Alors que l’histoire de l’héroïsme aristocratique s’achève devant Thionville, Chateaubriand émigre avec son frère aîné. La traversée de Tournay est l’occasion d’une rêverie qui régresse de l’histoire vers la légende. A Bruxelles, Chateaubriand croise la « haute émigration » qui ne va pas se battre. La campagne dans l’armée des princes est d’abord l’occasion de penser la fin de la noblesse comme ne « remontée à son origine », c’est-à-dire sa fonction guerrière, mais avec l’anachronisme du donquichotisme. Le mémorialiste décrit la vie amusante au camp, où l’on peut compenser l’histoire en se « payant de beaux contes ». Cette description alterne avec le récit du siège infructueux de Thionville. Livre 10 : Chateaubriand l’exilé Blessé, Chateaubriand est sur le point de mourir sur le chemin le mène chez son oncle, réfugié à Jersey. Cette île est perçue comme un lieu de mémoire de la monarchie. Parvenu à Londres, Chateaubriand, désargenté et condamné par les médecins, fréquente le milieu des exilés londoniens. Ce contexte difficile expliquerait son « amertume des réflexions répandues dans l’Essai ». L’histoire dépendrait ainsi des états d’âme de l’historien. Puis Chateaubriand esquisse une réflexion historiographique comment écrire l’histoire d’individus en exil… Et il raconte son premier amour pour Charlotte Ives, la fille de ses hôtes. Livre 11 : exil et littérature L’épisode amoureux aboutit à un autoportrait paradoxal et à un pacte de lecture de Mémoires. La publication de l’Essai sur les révolutions met en vogue Chateaubriand qui croise diverses figures de l’émigration. Il fait le portrait de quelques hommes de lettres. Il explique ensuite son retour à la religion à l’occasion de la mort de sa mère. Chateaubriand évoque la bascule d’une

conception généalogique vers une conception individuelle de l’histoire du fait de la Révolution. Livre 12 : le lien entre histoire et littérature Chateaubriand brosse un panorama rapide de la pensée anglaise au moment de son exil. Shakespeare illustre sa réflexion sur les « génies-mères » qui influent sur l’histoire de leur nation. Le mémorialiste dénonce ensuite le genre du roman historique et médite sur l’ancrage du style dans un lieu et dans un temps Le mémorialiste livre quelques remarques sur la géographie, la politique et l’économie d’une Angleterre révolue. Il décrit enfin avec nostalgie les mœurs politiques en Grande Bretagne d’une aristocratie éclairée désormais disparue. Avec le retour clandestin de Chateaubriand en France en 1800, le chapitre final entend marquer la fin de la vie d’homme privé pour annoncer la « carrière de l’écrivain » renommé.

C. Penser l’histoire avec Mémoires L’histoire, loin d’être pensée, relève d’une songerie Les livres 9 à 12 est, plus qu’une pensée sur l’histoire, une rêverie sombre où les événements ont moins d’importance que les sentiments qu’ils suscitent. La tragédie collective cauchemardesque à laquelle Chateaubriand assiste en spectateur impuissant, est répercutée dans le drame de sa vie individuelle. La tragédie collective. La chute de l’Ancien Monde à l’arrivée de la Révolution qui, pour Chateaubriand ne s’envisage que comme une suite de pertes, est loin d’être le signe de l’émancipation, elle instaure la servitude. Mais la mort n’épargne pas les révolutionnaires … Pour le mémorialiste ce n’est qu’un rêve funèbre de l’histoire qui n’a plus de sens. La tragédie individuellede Chateaubriand répond en contrepoint à la tragédie collective. Et puis, comme dans un rêve, la perception de la réalité s’atténue, l’espace devient plus flottant. La forêt des Ardennes fait surgir des apparitions « dans un lointain indéterminé et mêlé à des images inconnues ». Et la dérision qui frappe sur la grande Histoire se répercute sur le destin individuel. Et enfin, l’Histoire se vit donc comme le triomphe de la mort envahissante L’Histoire est ce par quoi le moi du songeur se pense et se construit Le chaos de l’Histoire permet, par contraste, de saisir les invariants constitutifs d’une personnalité. Il revendique une cohérence : la fidélité à son moi et à son roi. De même, la rupture avec Charlotte Ives lui a permis de préserver sa candeur. Et finalement, la fixité d’une morale qui transcende toutes les contradictions de ses choix politiques. Ainsi, l’indépendance du moi s’est érigée sur un arrière-plan chaotique de l’histoire. Mais le moi de Chateaubriand acquiert aussi sa densité à travers l’épaisseur de l’Histoire…

Et enfin, le monde de la littérature est, dans les livres de 9 à 12, à la fois antidote et remède. Il est sans cesse appelé pour échapper à l’inconsistance du temps historique. Et l’écriture s’affirme comme la réparation des deuils provoqués par l’Histoire. Après s’être frayé un chemin à travers les destins obscurs de l’Histoire, le chevalier a découvert la voie de son propre destin, qui l’amènera à être François de Chateaubriand, écrivain. Penser l’histoire c’est faire entendre la plainte des victimes Le sentiment aigu de l’extrême précarité de l’existence humaine se confond chez Chateaubriand avec la souffrance mélancolique que suscite le spectacle permanent de la mort dans l’Histoire. Personne n’y échappe : les bourreaux d’hier deviennent avec une facilité déconcertante les victimes de demain. L’Histoire, pour Chateaubriand, n’est plus à penser à travers quelques idées métaphysiques, mais elle se livre à travers l’individu comme l’épreuve douloureuse d’une désillusion : « les hommes et les empires passent vite ». Il est ainsi un témoin mélancolique devant l’immense ruine de l’Histoire. Penser l’histoire ou la juger ? Si l’historien écrit l’histoire pour la connaître, le mémorialiste la pense pour juger ses acteurs et cerner de la sorte une certaine conception de la morale et de l’engagement politique. Il multiplie ainsi les jugements de valeur. Par ailleurs, croire qu’on puisse écrire l’histoire de la Révolution sans jugement personnel à l’époque de Chateaubriand serait un leurre, et cela pour deux raisons : 1) Comme la Révolution n’est pas terminée, toute analyse historien heurte des mémoires partisanes et constitue une position politique 2) Ecrire l’histoire n’est jamais neutre, surtout quand on s’attache à une période ensanglantée par des idéologies. Chateaubriand s’indigne de ceux qui acceptent tout l’héritage révolutionnaire, il ne s’oppose pas moins à ceux qui rejettent la Révolution en bloc. Et penser la Révolution, c’est pour Chateaubriand faire la différence entre les violences inévitables et celles qu’on aurait pu et dû éviter au nom de la morale, comme de l’efficacité politique. Comment Chateaubriand pense l’histoire ? Le mémorialiste cultive de multiples tensions. Il fait montre de scrupules d’historien lucide, mais il se lance dans l’affabulation. L’histoire l’a vu d’engager contre le sens de l’histoire mais il pense aussi à cette dynamique historique qui est la Révolution : « Juillet portera son fruit naturel, ce fruit est la démocratie ». Le mémorialiste pense son histoire personnelle au cœur de la tourmente révolutionnaire mais il se détache de toute douleur par son style. Il porte en outre de fort lucides jugements de moraliste mais il s’abandonne à une résistible fascination pour la légende.

VI. Penser l’histoire avec Marx

A. Contexte philosophique De manière générale, on dit que Hegel marque la fin des grands systèmes philosophiques. Après lui, la philosophie s’oriente dans une toute nouvelle orientation. Au lieu de grands système spéculatifs, nous trouvons ce que l’on appelle une « philosophie de l’existence » ou une « philosophie de l’action ». Tel est le fond de la pensée de Marx lorsqu’il constate : « les philosophes se bornent à interpréter le monde alors qu’il s’agit de le transformer ». Ainsi, la pensée de Marx a une visée pratique et politique. Selon lui, les conditions matérielles de la société déterminent de façon radicale notre mode de pensée. C’est pourquoi on appelle sa philosophie matérialiste. Rappelons que Hegel nommait la force motrice de l’Histoire l’Esprit du monde ou la Raison universelle. Cette façon de voir les choses revenait, selon Marx, à prendre les choses à l’envers. Lui voulait démontrer que les changements des conditions matérielles de vie sont le véritable moteur de l’histoire. Pour lui, ce ne sont pas les conditions spirituelles qui sont à l’origine des changements dans les conditions matérielles, mais le contraire : les conditions matérielles déterminent de nouvelles conditions spirituelles. Marx souligne donc tout particulièrement le poids des forces économiques au sein de la société, qui introduisent toutes sortes de changements et par là même font progresser l’histoire. Ces conditions matérielles, économiques et sociales, Marx leur donna le terme d’infrastructure. Le mode pensée d’une société, ses institutions, ses lois, sans oublier sa religion, son art, sa philosophie sont pour Marx superstructure. Et pour lui, il y a une tension, autrement dit la relation dialectique, entre l’infrastructure et la superstructure. C’est pour cette raison qu’on appelle sa philosophie matérialisme dialectique. Marx était conscient que la superstructure d’une société pouvait influencer l’infrastructure, mais il ne reconnaissait pas à la superstructure d’histoire indépendante. Tout développement de l’histoire, depuis l’Antiquité, est dû avant tout à des modifications de l’infrastructure et par une opposition entre deux classes. Car pour Marx, toute l’histoire n’est qu’une histoire de luttes de classes.

B. Contexte historique A. Février 1848 : la République de tous les espoirs En février 1848, la monarchie de Juillet de Louis Philippe s’effondre devant une nouvelle révolution parisienne. Deux raisons principales expliquent ces événements révolutionnaires. Une grave crise économique affecte la France depuis 1846. La misère s’est installée, y compris dans les grandes villes comme Paris. De plus, elle est devenue l’un des thèmes de l’opposition républicaine au cours de la « campagne des banquets » (pour contourner l’interdiction politique, les opposants de la monarchie de Juillet se réunissent en organisant des banquets) … Le 22 Février, la révolution commence. Le 24 février 1848, Louis Philippe abdique. La IIè République est proclamée. Dans les discours, les références à 1789 et 1792 sont nombreuses. Un gouvernement provisoire est formé, avec Lamartine et Ledru-Rollin. Il décide l’élection d’une

Assemblée constituante au suffrage universel masculin. Le suffrage censitaire, jugé inégalitaire, est aboli. Les libertés de la presse et de réunion sont proclamées, la peine de mort pour délits politiques est abolie ainsi que l’esclavage dans les colonies françaises. Enfin le droit au travail est proclamé : des ateliers nationaux sont créés pour donner du travail aux ouvriers au chômage. Cette République suscite de grands espoirs de fraternité : c’est ce qu’on a appelé l’esprit de 48. Mais les illusions se dissipent vite : les femmes dénoncent leur exclusion et les républicains modérés, qui ont remporté les élections d’avril 1848, s’inquiètent face à l’agitation sociale. B. Un régime de plus en plus conservateur après juin 1848 Les ateliers nationaux, principal foyer de cette agitation, sont fermés le 22 Juin 1848 et les principaux leaders socialistes arrêtés. La révolte populaire éclate. Du 23 au 26 Juin, les troupes gouvernementales affrontent le peuple de Paris qui a dressé des barricades dans les quartiers de l’Est. Les événements de Juin 1848 marquent une rupture décisive : la lutte des classes vient déchirer les républicains. Le divorce est consommé entre les radicaux, qui souhaitent une République sociale et les modérés, qui veulent un régime d’ordre et se rapprochent de la droite. Cette évolution est accélérée par la victoire de Louis Napoléon Bonaparte à l’élection présidentielle (10 décembre 1848) au suffrage universel masculin. Exploitant la gloire de son nom et de son oncle, il s’appuie sur le « parti de l’ordre » qui gagne les élections législatives de Mai 1949. Mais les républicains radicaux conservent une grande influence. Pour faire face à cette opposition, le gouvernement de Louis Napoléon restreint les libertés d’association et de la presse, décrète l’état de siège dans les départements qui connaissent des émeutes. Le cléricalisme s’affirme, y compris dans l’école. En Mai 1850, par une nouvelle loi électorale, le gouvernement modifie le droit de vote de telle manière qu’une grande majorité d’ouvriers en est exclue. Mais le mandat présidentiel qui est fixé à 4 ans, non renouvelable immédiatement, doit expirer en 1952. Louis Napoléon Bonaparte qui ne veut pas quitter le pouvoir fait un coup d’Etat le 2 Décembre 1851, date doublement symbolique (sacre de Napoléon 1er en 1804 et victoire d’Austerlitz en 1805). La IIè République s’agonise, jusqu’à la proclamation officielle du Second Empire le 2 Décembre 1852.

C. Le texte Chapitre I : Février 1848 – Décembre 1851, la IIè République Cette brève République a duré moins de quatre ans. Marx articule la Révolution de février 1848 avec un autre événement dont elle est l’écho affaibli et dégradé, la Révolution française. Ce parallèle est aussi entre les acteurs des deux révolutions, par exemple Robespierre contre Louis Blanc… Le thème central de ce chapitre est énoncé dès les premières lignes : « Hegel note quelque part que tous

les grandes événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : une fois comme tragédie et la fois d’après comme farce ». C’est sur ce fonds que pensera la comparaison entre le coup d’Etat du 18 Brumaire an VIII de Napoléon Bonaparte et le coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte. Le chapitre nous fournit donc la loi primordiale de la pensée de l’histoire avec la loi de répétition. Une seconde idée importante de ce chapitre est l’affirmation que la IIè République incarne un nouveau moment de l’histoire, « un acte de portée mondiale, inaugurant l’ère nouvelle ». La Révolution de 1848 marque le passage d’une ère historique à une autre. Alors que la Révolution française était une révolution bourgeoise, faite pour « l’émancipation et la création de la société bourgeoise moderne », la Révolution de 1848 est une révolution « sociale et prolétarienne » : c’est le peuple qui a fait ce « coup de main ». Ces deux principes historiques sur lesquels repose la pensée de l’histoire du coup d’Etat, à savoir la répétition grotesque du passé et l’inauguration radicale de l’avenir, sont associés à une pratique empirique. C’est dans le troisième temps de ce chapitre que Marx veut démontrer le caractère inévitable de son échec : « tout observateur un peu perspicace, même sans avoir suivi pas à pas l’évolution des événements en France, devrait se douter que la révolution allait au-devant d’un échec inouï ». Penser l’histoire exige de savoir observer les événements présents, c’est-à-dire la matière de l’histoire, pour poser un diagnostic. Marx pose donc les trois principes essentiels pour penser l’histoire : un principe de répétition, un principe de prévision et un principe d’observation matérialiste des conditions socio-économiques. Chapitre II : la chute des républicains L’histoire de la révolution de 1848 et du coup d’Etat de 1851 se pense comme la conséquence inéluctable de la contradiction entre les structures socioéconomiques et les acteurs politiques motivés par leurs idéologies. Pour Marx, les « républicains bourgeois » qui ont pris le pouvoir de juin à décembre 1848 ne représentent pas véritablement une « classe sociale » car ses membres ne possèdent qu’une seule caractéristique commune, leur idéologie nationalistes, et qu’ils sont unis par des intérêts socio-économiques. Pendant la période de sa domination politique, les bourgeois républicains accouchent de la Constitution de la IIè République dont Marx a critiqué la faiblesse Puis Marx montre comment entre décembre 1848 et mai 1849 s’est produite la « chute des républicains bourgeois » et articule cette « faction » avec les classes sociales réelles, qu’il pense comme les vrais acteurs de cette histoire. Chapitre III : Mai 1848 – Octobre 1849 Ce moment est caractérisé comme une « histoire sans événements » plein d’agitation superficielle et d’indécisions. Pour Marx, ces hésitations sont les

symptômes d’un blocage plus profond. Pour lui, l’histoire bégaie : au lieu d’aller de l’avant vers l’émancipation des hommes avec la Révolution française, la République de 1848 a rétrogradé. C’est dans ce chapitre que Marx précise comment s’est actualisée la « lutte des classes » entre la bourgeoisie du parti de l’ordre et la coalition des petitsbourgeois et des ouvriers. La contradiction joue ainsi à tous les niveaux. Ces acteurs font l’histoire politique, mais elle n’est pas la conséquence nécessaire des structures économiques … Puis enfin, la contradiction éclate le 13 juin 1849 qui se traduit en insurrection violente dans les rues. Chapitre IV : apparition de Louis Napoléon Bonaparte Les contradictions de la bourgeoisie apparaissent au grand jour et Louis Napoléon Bonaparte les exploite. D’une part, il s’empare de l’appareil de l’Etat et la bourgeoisie se trouve dans la situation contradictoire de devoir renforcer ce qui lui ôte progressivement le pouvoir. D’autre part, la bourgeoisie dénonce comme « socialiste » tout ce qui s’oppose à sa domination politique. Chapitre V : lutte entre l’Assemblée constituante et Bonaparte Marx, tout comme Hugo, critique la contradiction entre l’ambition du personnage qui se prend pour un héros historique et sa dimension politique réelle. La République de 1848 est ce régime dans le quel la superstructure est détachée de l’infrastructure Chapitre VI : victoire de Bonaparte La bourgeoisie implose sous le coup des manifestations de plus en plus radicales de la contradiction entre les intérêts des factions qu’elle contient. Hésitations, blocages, contradictions ont bien été la loi historique de l’action de la coalition bourgeoise qui culmine an suicide parlementaire : « Fin du régime parlementaire et du règne bourgeois. Victoire de Bonaparte. Parodie de restauration impériale ». Chapitre VII : l’histoire se pense au-delà des contradictions internes du coup d’Etat Pour Marx, la révolution de 1848 n’était que la première étape d’un mouvement qu’il faut penser sur le long terme qui aboutit à l’émancipation du prolétariat. Penser l’histoire, pour Marx, revient ainsi d’une part à diagnostiquer cette contradiction, d’autre part à la restituer dans la marche en avant nécessaire de l’histoire.

D. Penser l’histoire avec 18 Brumaire L’histoire est-elle une science ? Comment allier l’inconciliable : le caractère objectif de toute science et la dimension naturellement subjective des choses humaines ? Ces trois œuvres nous rappellent que la pensée historique n’appartient pas exclusivement aux historiens, elles mettent également en évidence une triple interrogation sur l’entreprise historique, qu’elle soit d’ordre

méthodologique pour collecter des faits, d’ordre générique pour choisir le genre, et d’ordre épistémologique pour lui donner un sens.

Penser l’histoire pose un problème méthodologique. Recueillir des faits tels qu’ils se sont passés demande le recours aux sources historiques et au témoignage direct. S’agissant des preuves qui arrivent indirectement à l’historien, on peut s’interroger sur le degré de véracité et sur le critère de fidélité avec lequel elles sont exploitées. Corneille s’est éloigné de la lecture historique de Tite-Live pour des raisons dramaturgiques. Alors que Marx a entrepris une démarche plus critique. Dans la préface, il a révélé deux sources indirectes, celles de Hugo et de Proudhon, mais il s’en détache et le condamne. On voit donc le choix ou le rejet des sources indirectes peuvent donner à l’entreprise historique des points de départ fragiles ou contestables. Le témoin direct des faits permet à l’historien un accès immédiat à l’information. Chateaubriand est le témoin de son époque. Comme l’auteur participe lui-même aux événements, l’objectivité historique est ainsi mise en cause. Marx est aussi témoin de son époque, mais ce témoin est enclin à abandonner la parfaite neutralité en se référant inlassablement à une idéologie qui déformera peu ou prou l’appréhension de l’événement. Ainsi, le fait historique brut est un idéal illusoire, du fait même qu’il transite obligatoirement par une nécessaire subjectivité. Penser l’histoire pose un problème générique. Le genre littéraire qui met en scène la matière historique n’est pas infaillible. On le voit bien dans la tragédie de Corneille. Le dramaturge multiplie des transgressions pour les besoins de la pièce : le personnage de Sabine, le tirage au sort pour désigner les combattants. Ce débordement littéraire s’observe aussi chez Chateaubriand lorsque sa sensibilité romantique se manifeste : la bataille de Thionville devient une véritable apocalypse. Quant à Marx, il abandonne de manière sporadique le ton didactique de l’essai historique pour prendre le ton sarcastique du littéraire. Penser l’Histoire pose un problème épistémologique. Si nous devrions trouver un sens aux événements et à l’Histoire, nous nous trouvons devant deux grands courants : religieux et social.

Mémoire et Histoire Le poids du passé. La période qui va de la révolution de Février à l’élection de Bonaparte est un moment où l’Histoire réelle a été marquée par la mémoire de la Révolution française. Ce caractère de répétition a frappé Marx. Les acteurs « appellent à leurs rescousses les mânes de leurs ancêtres » et « leur empruntent leurs noms, mots d’ordre, costumes, afin de jouer la nouvelle pièce historique… ». Ce retour du passé est un véritable revenant qui absorbe la vie politique et sociale. L’ancienne Révolution française agit comme un revenant qui plierait le présent à sa volonté. C’est donc la mémoire d’un passé révolu qui a déterminé réellement le comportement des acteurs. Mais cet emprunt du passé a

pris des allures de comédie et de farce, selon Marx, car il existe un décalage de stature entre les deux Napoléons. La mémoire des acteurs est l’illusion. La mémoire masque les intérêts réels en lutte aux yeux même des agents. Elle les empêche de mesurer la nouveauté révolutionnaire du moment et d’inventer des solutions nouvelles. Pour Marx, les hommes qui rompent avec l’ordre existant en tournant vers le passé ne voient pas ce qu’ils font. Et l’historien qui tente d’expliquer la période ne peut lui accorder une priorité dans l’explication historique. En ce sens, penser l’Histoire, ce n’est pas principalement penser la mémoire. Mémoire et anticipation. Ces hommes cherchaient aussi une forme d’organisation politique dont ils n’avaient pas encore la formule. Ils ne pouvaient le faire que par référence à la Première République. Ainsi, la mémoire acquiert un rôle positif, mais cela ne signifie pas qu’ils s’enferment dans cet héritage.

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