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Vivre sa sexualité : un parcours bien singulier par M. et Mme X. et parents de Benoît | érès | Reliance 2008/3 - N° 29 ISSN 1774-9743 | ISBN 2-7492-1006-3 | pages 38 à 40
Pour citer cet article : — M., Vivre sa sexualité : un parcours bien singulier, Reliance 2008/3, N° 29, p. 38-40.
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VIVRE SA SEXUALITÉ : UN PARCOURS BIEN SINGULIER M. et Mme X., parents de Benoît Ce texte a été rédigé avec l’accord de Benoît et, à sa demande, nous avons conservé son prénom. Toutefois, par respect pour son intimité, nous resterons dans l’anonymat.
Benoît, notre fils, a développé, à l’âge de 3 ans, une tumeur cérébrale non cancérigène qui l’a rendu hémiplégique. De plus, une épilepsie légère est apparue alors qu’il avait 10 ans ; elle s’est aggravée au fil des années et, malgré les médicaments et la pose récente d’un stimulateur vagal, elle n’est toujours pas contrôlée. Par conséquent, il a peu d’autonomie pour se déplacer et, à 27 ans, doit être en permanence accompagné par quelqu’un, ami ou parents. Cela n’est évidemment pas propice aux rencontres amoureuses ! Ses multiples recherches d’emploi n’ayant jamais abouti, Benoît, en plus des rééducations qui lui sont nécessaires (kinésithérapie, orthophonie), s’adonne à de nombreuses activités : informatique, cours de dessin et de musique, natation, tennis de table et, ouvert à tout ce qui l’entoure, fréquente assidûment expositions de peinture, cinéma et salles de concert. Mais, bien qu’il ait bon caractère et soit très attentionné aux autres, il lui manque totalement l’ouverture sur les relations sentimentales, amoureuses, sensuelles et sexuelles. Le besoin de vivre des relations amoureuses s’est manifesté pour Benoît vers l’âge de 16 ans environ. Lors d’un séjour à l’hôpital, il avait alors 18 ans, il a eu ses premières relations sexuelles. Il était très heureux de nous en parler, et nous l’étions aussi de le voir si content !
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Après cette première expérience, il a manifesté un besoin d’autonomie plus grand. Comme tous les jeunes de son âge, il souhaitait s’éloigner de l’univers familial et espérait pouvoir plus facilement rencontrer quelqu’un en sortant seul ! Cependant, ses amis, occupés par leurs études ou leurs activités professionnelles, étaient moins disponibles et sa solitude devint de plus en plus difficile à assumer. Il fit plusieurs tentatives de rencontre par le truchement des sites spécialisés sur Internet, mais les contacts établis n’ont jamais abouti. Il prit alors conscience que son handicap et son autonomie réduite l’empêcheraient de vivre normalement une vie sentimentale et sexuelle, et nous demanda de l’aider concrètement. Il savait qu’un de nos amis de longue date, lui-même en situation de handicap, avait recours de temps en temps aux bons soins d’une femme prostituée avec laquelle, au fil du temps, il avait noué des relations affectives. Il était intéressé par une telle démarche et nous en fit part. Dans un premier temps, il nous fut difficile d’intégrer cette demande, mais nous l’avons interprétée comme l’expression d’un besoin naturel, fondamentalement humain, et nous avons décidé de l’aider. Mais comment faire pour rendre possible la rencontre avec une femme prostituée qui nous était totalement inconnue ? Nous avons entrepris de nous informer à propos des aides possibles pour une réalisation concrète de la sexualité des personnes en situation de handicap. Pour cela, nous avons lu et assisté à plusieurs conférences sur ce thème et, à Paris, lors de la journée des Premiers États généraux du Handicap à l’UNESCO en mai 2005, nous avons entendu parler de l’assistance sexuelle ! Mme Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée et formatrice pour adultes en Suisse, présenta un exposé sur cette délicate question. Nous l’avons alors approchée et nous avons appris qu’elle serait la future coordinatrice de la première formation en assistance sexuelle, qui débutera en Suisse romande en 2008 1. Malheureusement, l’assistance sexuelle, légale en Suisse, en Belgique et dans les pays nordiques, n’existe pas en France. Cela aurait pourtant simplifié nos démarches et nous aurions été rassurés par
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››› Comme tous les jeunes de son âge, il souhaitait s’éloigner de l’univers familial et espérait pouvoir plus facilement rencontrer quelqu’un en sortant seul ! une prise en charge spécifique, adaptée aux demandes intimes de notre fils. Après réflexion nous étions finalement prêts à emmener Benoît en Suisse. Il était toujours demandeur et était d’accord pour rencontrer une assistante sexuelle. Nous imaginions nous installer dans un hôtel à Genève, laisser la chambre à Benoît avec la personne prête à l’aider, et nous… aller nous promener en ville. Cependant il nous apparut vite que cette solution ne pourrait être que provisoire, Genève est loin de Paris et le coût d’une telle opération aurait été prohibitif. Le temps passa. Benoît bénéficia de séances de massage sans connotation sexuelle, qui lui firent néanmoins beaucoup de bien et de graves problèmes de santé laissèrent pour un temps la question de la sexualité de côté. Une fois sa santé rétablie, nous avons repris contact avec Mme Catherine Agthe Diserens dans l’espoir de pouvoir, avec son aide, rencontrer une assistante sexuelle en France. Hélas, les lois n’ayant pas évolué dans notre pays, elle ne put nous aider dans ce sens, mais nous conseilla de ne pas négliger l’aide d’une femme prostituée. C’est ainsi que le père de Benoît s’est renseigné auprès d’un ami célibataire qui fréquentait à Paris des bars de nuit où travaillent des hôtesses. Cet ami, au courant
››› 1. À l’heure où nous mettons sous presse, cette formation est effectivement engagée (NdR).
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du handicap et des demandes de notre fils, nous proposa de rencontrer une jeune femme qu’il disait très douce et tout à fait d’accord pour assister Benoît sexuellement. Nous nous sommes entretenus deux fois avec cette jeune femme de 33 ans, sans notre fils, mais avec son accord, afin de faciliter leur future rencontre en l’informant sur son handicap, ses limites et ses possibilités. Par la suite, elle accepta de venir à notre domicile.
Spectacle Romain, terre fragile, groupe Signes, photographie Max Barboni.
Leur première rencontre s’est très bien déroulée et Benoît en était très heureux. Depuis, cette jeune femme vient environ deux fois par mois, pour le plus grand plaisir de Benoît. Il organise lui-même leurs rencontres et s’approprie ainsi sa sexualité. Il est à l’aise face à cette situation et leur relation, par-delà la seule sexualité, a pris une dimension très amicale. Nous accueillons cette jeune femme simplement, comme une amie de notre fils, puis nous les laissons seuls quelques heures ensemble (environ deux heures). Nous la rétribuons et si Benoît sait que nous la payons, il ignore le montant de la prestation. Nous faisons en sorte de la raccompagner et lui remettons ses honoraires en dehors de la maison. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir offrir ces moments de sensualité et de sexualité à notre fils et nous espérons que cette relation durera ; mais, au-delà, nous espérons que la législation française évoluera très vite pour permettre à d’autres personnes en situation de handicap de bénéficier d’assistances sexuelles indispensables à leur bien-être. Il restera alors la délicate question de la prise en charge financière de ces prestations. Elle serait précieuse pour tant de personnes en manque sensuel et sexuel.