Programme Du Cours Mlv

  • November 2019
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Programme Du Cours Mlv as PDF for free.

More details

  • Words: 17,908
  • Pages: 51
UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE LH 13

L’invention de la liberté dans l’Amérique espagnole (1780-1830) Un essai d’histoire croisée Textes et documents de TD (Alejandro E. Gómez, 2006)

Lithographie. BNF : B114789

LH 13 L’invention de la liberté dans l’Amérique espagnole (1780-1830) Un essai d’histoire croisée

« Un regard depuis les Caraïbes » par Alejandro E. Gómez Sessions Presentation generale : la revolution dans l’aire caraïbe, l’atlantique et l’independance de l’amerique espagnole

3

Aspirations de couleur : indiens, noirs, sang-melees et blancs creoles

4

Resistance ou republicanisme ?

9

Quelles idees pour quelle(s) revolution(s) ?

13

La contagion des idees de la revolution franço-antillaise

16

Les projets de Miranda

21

Rupture avec l’Espagne

26

Continuites et discontinuites insulaires

30

L’exception cubaine

33

La « guerre populaire » au venezuela

39

L’utopie republicaine de « l’hemisphere occidental »

43

2/51

Session 1 : Lundi 2 octobre 2006

Présentation générale : La révolution dans l’aire Caraïbe, l’Atlantique et l’indépendance de l’Amérique espagnole

Antoine Humblot, Illustrations de Histoire de l'isle espagnole ou de SaintDomingue… Paris : H-L. Guérin, [1730-1731] BNF : 38495409

Bibliographie R. Paquette et S. Engerman, The Lesser Antilles in the Age of European Expansion. Gainesville: University Press of Florida. Philip D. Curtin, The Rise and Fall of the Plantation Complex. Cambridge: Cambridge University Press, 1996 (1990), pp.73-85 Lulú Giménez, Caribe y América Latina. Caracas: Monte Avila Editories (Col. Estudios), 1991 Germán Arciniegas, Biografía del Caribe. Barcelona: Editorial Sudamericana, 1975 (1966) [Aussi en français] Paul Butel, Histoire des Antilles françaises, XVIIe.-XXe. siècle. Paris: Perrin, 2002 Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra: Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic. Boston: Beacon Press, 2000

3/51

Session 2 : Lundi 9 octobre 2006

Aspirations de couleur : Indiens, Noirs, Sang-mêlées et Blancs créoles

“De negro y española sale mulato”. Exemple de ‘pintura de castas’ méxicaines (Emery College, USA).

Bibliographie Magnus Mörner, Race and class in Latin America. New York ; London : Columbia University Press, 1970 _________________, Le métissage dans l'histoire de l'Amérique latine, Henri Favre (trad.). Paris : Fayard, 1971 Bernard Lavallé, Transgressions et stratégies du métissage en Amérique. Paris : Presse de la Sorbonne nouvelle, 1999 Verena Stolcke, Racismo y sexualidad en la Cuba colonial, Ana Sánchez Torres (trad.). Madrid : Alianza, 1992 [Aussi en anglais) Sur le cas des Antilles françaises : Dominique Rogers, « De l'origine du préjugé de couleur en Haïti », Outre-Mers Revue de Histoire, II (340-341), 2003 John D. Garrigus, « Colour, Class and Identity on the Eve of the Haitian Revolution: Saint-Domingue's Free Coloured Elite as 'Colons américains' ». Slavery and Abolition (Special Issue: Against the Odds: Free Blacks in the Slave Societies of the Americas), XVII(1), 19-43 (Avril 1996) C. Biondi, « Le problème des gens de couleur aux colonies et en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Cromohs (8), 112 (2003)

4/51

Document I Description des castes hispano-américaines par le naturaliste Humboldt Alexander von Humboldt, Essai politique sur le royaume de la NouvelleEspagne du Mexique, François Chevalier (préf). Thizy : Utz, 1997 LIVRE II CHAPITRE VII Le fils d'un blanc (créole ou européen) et d'une indigène à teint cuivré est appelé métis ou mestizo. Sa couleur est presque d'un blanc parfait; sa peau est d'une transparence particulière. Le peu de barbe, la petitesse des mains et des pieds et une certaine obliquité des yeux, annoncent plus le mélange de sang indien que la nature des cheveux. Si une métisse épouse un blanc, la seconde génération qui en résulte ne diffère presque plus de la race européenne. Très peu de nègres ayant été introduits dans la Nouvelle-Espagne, les métis composent vraisemblablement les 7/8 de la totalité des castes. Ils sont généralement réputés d'un caractère beaucoup plus doux que les mulâtres (mulatos), fils de blancs et de négresses, qui se distinguent par la violence de leurs passions et par une singulière volubilité de langue. Les descendants de nègres et d'Indiennes portent à Mexico, à Lima et même à La Havane, le nom bizarre de chino, chinois. Sur la côte de Caracas et, comme il paraît par les lois, à la Nouvelle-Espagne même, on les appelle zambos ; aujourd'hui, cette dernière dénomination est principalement restreinte aux descendants d'un nègre et d'une mulâtresse, ou d'un nègre et d'une china. On distingue de ces zambos communs, les zambos prietos, qui naissent d'un nègre et d'une zarnba. Du mélange d'un blanc avec une mulâtresse provient la caste des quarterons. Lorsqu'une quarteronne épouse un Européen ou un créole, son fils porte le nom de quinteron. Une nouvelle alliance avec la race blanche fait tellement perdre le reste de couleur, que l'enfant d'un blanc et d'une quinteronne est blanc aussi. Les castes de sang indien ou africain conservent l'odeur qui est propre à la transpiration cutanée de ces deux races primitives. Les Indiens péruviens qui, au milieu de la nuit, distinguent les différentes races par la finesse de leur odorat, ont formé trois mots pour l'odeur de l'Européen, de l'indigène américain et du nègre : ils appellent la première pezuna, la seconde posco [Mot ancien de la langue quechua], et la troisième grajo. D'ailleurs, les mélanges dans lesquels la couleur des enfants devient plus foncée que n'était celle de leur mère, s'appellent salta-atrâs, ou sauts en arrière. Dans un pays gouverné par les blancs, les familles qui sont censées être mêlées avec le moins de sang nègre ou mulâtre sont naturellement aussi les plus honorées. En Espagne, c'est pour ainsi dire un titre de noblesse de ne descendre ni de Juifs, ni de Maures. En Amérique, la peau plus ou moins blanche décide du rang qu'occupé l'homme dans la société. Un blanc qui monte pieds nus à cheval s'imagine appartenir à la noblesse du pays. La couleur établit même une certaine égalité entre des hommes qui, comme partout où la civilisation est ou peu avancée ou dans un mouvement rétrograde, se plaisent à raffiner sur les prérogatives de race et d'origine. Lorsqu'un homme du peuple se dispute avec un des seigneurs titrés du pays, on entend souvent dire au premier : « Serait-il possible que vous crussiez être plus blanc que moi?» Ce mot caractérise très bien l'état et la source de l'aristocratie actuelle. Il y a, par conséquent, un grand intérêt de vanité et de considération publique à évaluer au juste les fractions de sang européen que l'on doit assigner aux différentes castes. D'après les principes sanctionnés par l'usage, on a adopté les proportions suivantes : Castes Mélange du sang

5/51

Quarteron..................................................... 1/4 nègre 3/4 blanc Quinteron..................................................... 1/8 nègre 7/8 blanc Zambo.......................................................... 3/4 nègre 1/4 blanc Zambo prieto............................................... 7/8 nègre 1/8 blanc II arrive souvent que des familles qui sont soupçonnées d'être de sang-mêlé, demandent à la haute cour de justice (l'Audiencia) qu'on les déclare appartenir aux blancs. Ces déclarations ne sont pas toujours conformes au jugement des sens. On voit des mulâtres très basanés qui ont eu l'adresse de se faire blanchir (c'est l'expression banale du peuple). Quand la couleur de la peau est trop contraire au jugement qui est sollicité, le pétitionnaire se contente d'une expression un peu problématique. La sentence dit alors simplement, « que tel ou tels individus peuvent se considérer eux-mêmes comme blancs (que se tengan por blancos)». Il serait très intéressant de pouvoir discuter à fond l'influence de la diversité des castes sur le rapport des sexes entre eux. J'ai vu, par le dénombrement fait en 1793, que dans la ville de la Puebla et à Valladolid, il y a parmi les Indiens plus d'hommes que de femmes, tandis que parmi les Espagnols ou dans la race des Blancs on y trouve plus de femmes que d'hommes. Les intendances de Guanajuato et d'Oaxaca présentent, dans toutes les castes, le même excédent d'hommes. Je n'ai pu me procurer assez de matériaux pour résoudre le problème de la diversité des sexes selon la différence des races, selon la chaleur du climat ou la hauteur des régions que l'homme habite : nous nous bornerons, par conséquent, à offrir des résultats généraux.

Document II Description des « castes » vénézuéliennes par un colon blanc de Saint-Domingue. François-Raymond-Joseph de Pons, Voyage à la partie orientale de la Terre-Ferme, dans l'Amérique méridionale, fait pendant les années 1801, 1802, 1803 et 1804... Paris : Colnet, 1806

6/51

7/51

8/51

Session 3 : Lundi 16 octobre 2006

Résistance ou républicanisme ?

“Leonard Parkinson, a captain of Maroons”, gravure in The proceedings of the Governor …, Jamaica, 1796. New York Public Library.

Bibliographie Michel Mullin, Africa in America : slave acculturation and resistance in the American south and the British Caribbean, 1736-1831. Urbana: University of Illinois Press, 1992) D. Gaspar y D. Geggus (dirs.), A Turbulent Time : The French Revolution and the Greater Caribbean. Bloomington et Indianapolis: Indianapolis University Press, 1997 Manuel M. Fraginals (dir.), África en América Latona. Siglo XXI/Unesco, 1977 Franklin W. Knight (dir.), General History of the Caribbean, Vol.3 : The Slave Societies of the Caribbean. London and Basingstoke: UNESCO Publishing/Macmillan Educational Publishing, 1997 Gabriel Entiope, Nègres, danse et résistance : la Caraïbe du XVIIe au XIX e siècle. Paris : L’Harmattan, 1996 David Brion Davis, The Problem of Slavery in the Age of Revolution, 1770-1823. New York: Cornell University Press, 1975 Thomas Ott, The Haitian Revolution. Knoxville: University of Tennessee Press, 1973 Klein, Herbert S. African Slavery in Latin America and the Caribbean. New York: Oxford University Press, 1986 [Aussi en espagnol]

9/51

Document I Exposé sur la thèse d’un « Vent commun » de Julius Scott Julius Scot, The Common Wind : Currents ovf Afro-American Communication in the Era of Haïtian Revolution, Thèse de Doctorat non publiée, Duke University 1986

10/51

Document II Récit sur la grande révolte du Cap Français en 1791 Lacroix, Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l'histoire de la révolution de Saint-Domingue. Paris : Pillet, 1819.

11/51

12/51

Session 4 : Lundi 23 octobre 2006

Quelles idées pour quelle(s) révolution(s) ?

« Les Mortels Sont Égaux, Ce N'est Pas La Naissance, C'est La Vertu Qui Fait La Différence » (1791). Cliché BNF.

Bibliographie Yves Bénot, La révolution française et la fin des colonies (essai). Paris: Éditions La Découverte (Col. Textes à l'appui), 1988 Laurent Dubois, Les esclaves de la République : l'histoire de la première abolition 1789-1794, París : Calmann-Levy, 1998 Pierre Pluchon, Histoire des Antilles et de la Guyane (Révolutions à l'Amérique). Toulouse: E. Privat, 1982 Anne Pérotin-Dumon, Anne, Être patriote sous les tropiques : la Guadeloupe, la colonisation et la Révolution : 1789-1794. BasseTerre : Société d'Histoire de la Guadeloupe, 1985 José Luciano Franco, Revoluciones y Conflictos Internacionales en el Caribe, 1789-1854: II. La Batalla por el Dominio del Caribe y el Golfo de México. La Habana: Academia de Ciencias, 1965

13/51

Document I Décret du 28 mars 1792. Droits politiques accordés aux mulâtres et noirs libres. L'Assemblée nationale, con sidérant que les ennemis de la chose publique ont profité des germes de discorde qui se développés dans les colonies, pur les lies livrer aux danger une subversion totale, en soulevant les ateliers, en désorganisant les force publique et en divisant les citoyens des horreurs et de l'incendie (...) L'Assemblée nationale reconnaît et déclare que les hommes de couleur et les nègres libres doivent jouir, ainsi que les colons blancs, de l'égalité des droits politiques, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit Art. PREMIER. Immédiatement après la publication du présent décret, il sera procédé dans chacune des colonies françaises des îles du vent et sous-le vent à la réélection des assemblées coloniales et des municipalités (...) Art.2- Les hommes de couleur et nègres libres, seront admis à voter dans toutes les assemblées paroissiales et seront éligibles à toutes les places, lorsqu'ils réuniront les conditions prescrites par l'article IV du l'instruction du 28 mars Art.7.- L'Assemblée nationale autorise les commissaires civils à requérir la force publique toutes les fois qu'ils le jugeront convenable, soit pour leur propre sûreté, soit pour l'exécution des ordres qu'ils auront donnés en vertus des précédents articles Art.8- Le pouvoir exécutif est chargé de faire passer dans les colonies une force suffisante et composée en grande partie de gardes nation ."

14/51

Document II Victor Hugues appelle les nouveaux libres à rester sur les habitations. Archives nationales C7A 47 F° 14. AUX CITOYENS NOIRS, A qui la convention nationale a accordé la liberté, par son Décret du 16 pluviôse dernier

CITOYENS La république en reconnaissant les droits que vous tenez de la nature, n'a pas entendu vous soustraire à l'obligation de vous procurer de quoi vivre par le travail. Celui qui ne travaille, ne mérite que du mépris et ne doit pas jouir des bienfaits de notre régénération; car l'on doit présumer avec raison que les paresseux n'existent qu'en commettant des brigandages. Tous les citoyens ne pouvant pas être employés à la défense de la colonie, il est indispensable que ceux qui ne sont pas incorporés dans la force armée, s'occupent à cultiver la terre et planter des vivres le plus promptement possible. D'ailleurs, citoyens, celui qui sacrifie ses peines et ses sueurs, pour procurer des subsistances à ses concitoyens, mérite autant que celui qui se sacrifie pour les défendre. En conséquence, citoyens, nous invitons et requérons ceux de vous qui ne sont pas incorporés dans la force armée, d'avoir à se rendre sur les habitations, où ils demeureraient ci-devant pour y travailler sans relâche à planter des prairies en ignames, malangas et autres racines nourrissantes, leur promettant sûreté et protection et de les faire payer de leurs travaux: mais si contre toute attente, quelques uns de vous refusaient de se rendre à notre invitation, nous leur déclarons, au nom de la république, qu'il seront considérés comme traîtres à la patrie et livrés à la rigueur de la loi. Enjoignons à la municipalité de requérir la force armée pour dissiper les attroupements et faire rentrer les citoyens noirs dans leurs habitations respectives pour y planter des vivres A la Pointe-à-Pitre, le 30 Prairial, l'an 2 de la République française, une et indivisible, Victor HUGUES

15/51

Session 5 : Lundi 30 octobre

La contagion des idées de la Révolution franço-antillaise À cette entreprise, Tous, nous prenons part, Unissons-nous, Comme des bons frères. Aimable fraternité, Serre dans tes bras, Les nouveaux habitants : Indiens, Noirs et Pardos. Reconstruction du drapeau de la conspiration de La Guaira de 1797.

Que seule vive le peuple ! (Bis) Manuel Cortés, Chanson américaine (La Guaira, Venezuela, 1797)

Bibliographie Anne Pérotin-Dumon, « Révolutionnaires Français et Royalistes Espagnols dans les Antilles ». Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, t.LXXVI (1989), No.282-283 María Victoria López-Cordón (dir.), Revolución, contrarrevolución e independencia : la Revolución francesa, España y América. Madrid : Turner, 1989 [Il y a une version en français, BNF: 944.04 REVO] Jean-René Aymes (ed.), España y la Revolución francesa. Barcelona : Crítica, 1989 ______________________, La guerra de España contra la Revolución francesa, 1793-1795. Alicante : Instituto de cultura Juan Gil-Albert, 1991 Casto-Fulgencio López. Juan Picornell y la Conspiración de Gual y España. Caracas: Academia Nacional de la Historia, Bib. de la ANH, No.235, 1997 Harris Gaylord Warren, « The Early Revolutionary Career of Juan Mariano Picornell », Hispanic American Historical Review, Vol. 22, No. 1 (Fevrier, 1942) Alejandro E. Gómez, « Entre résistance, piraterie et républicanisme : Mouvements insurrectionnels d’inspiration révolutionnaire francoantillaise sur la Côte de Caracas, 1794-1800 », Travaux et recherches de l’UMLV, No11 (Janvier, 2006)

16/51

Document I L’exportation de la révolution Marquis de Condorcet, Avis aux espagnols, Paris : Impr. de la Gazette nationale de France, s.d.

Document II La conspiration de La Guaira de 1797. Juan Bautista Piccornell, « Ordenanzas », in P. Grases, Obras, tome 3, Barcelone, Seix Barral, 1981 En el nombre de la Santísima Trinidad y de Jesús, María y José, Amén: Los Comandantes de las Provincias de tierra firme de la América Meridional, juntos y congregados en el lugar de N. para tratar y conferenciar sobre los medios que convendría adoptar para restituir al Pueblo Americano su libertad, después de un maduro examen y larga reflexión, entre otras cosas acordaron se observase interinamente por todos los pueblos los artículos siguientes: 1º Entre todos los Habitantes habrá unión, constancia y fidelidad, y todos formarán la firme resolución de morir primero que abandonar la Justicia de esta causa. 2º Siendo esta empresa de un interés común, no será lícito a personal alguna mirarla con indiferencia: al que se hallare que no toma parte en este asunto, será desde luego arrestado y se procederá contra él a lo que hubiere

17/51

lugar en justicia y el que de algún modo se opusiere, será inmediatamente castigado como enemigo declarado del bien de la Patria. 3º El que a la sobra de esta revolución (hija de la razón, de la justicia y de la virtud) por fines particulares incendiase algunos edificios, ejecutase algún robo, perdiese el respeto o decoro a mujeres, sea de la clase que fuere o extraviase algunos papeles, será inmediatamente castigado con rigor. 4º El soldado o paisano que durante la revolución se distinguiere en cualesquiera acción será seguramente premiado, lo propio el que quedase inhábil y últimamente el que tuviere la desgracia de perecer, su nombre será inmortalizado y su familia recompensada a proporción del mérito que hubiese contraído. (…) 8º Como en el número de los sujetos que compondrán estas Juntas no podrán ser incluidos todos los que son hábiles para esta empresa, se convida a todos los ciudadanos a suministrar por escrito a dichas Juntas todas las luces que puedan contribuir al buen éxito del asunto. (…) 10. Será del cargo de las mismas Juntas nombrar sujetos conocido desinterés y probidad que recauden y lleven cuenta y razón de los diezmos hasta que la Junta arregle este punto. 11. Todos los eclesiásticos, Iglesias y Comunidades de Religiones, y Religiosas gozarán sus rentas como antes de la Revolución; pero si cualquiera contra las divinas Doctrinas del Evangelio y Sagrados Libros, predicase, exhortase, difundiese papeles o hiciere otros actos contra la felicidad general, despojándose de su carácter de Ministro espiritual para hacerse un defensor de la tiranía, será tratado como un traidor de la Patria y castigado con el rigor de las leyes. 12. Cualquiera Eclesiástico seglar o regular que poseído de las sanas máximas de esta causa común que recurre al Pueblo en defensa de sus derechos, contribuyere con su persona, bienes y talento a consolidar el establecimiento de la Independencia, merecerá la aprobación y concepto del Gobierno para ser empleado, remunerado y premiado. 13. Serán tratados con respeto y veneración los templos, las imágenes de Jesucristo, de María Santísima y los Santos, y todos los sacerdotes contra los cuales, cualesquiera insulto será castigado con rigor. 14. La siembra y venta del tabaco será libre, desde el mismo acto de la Revolución de cualquier pueblo: serán igualmente libres de todo derecho los comestibles de pan, arroz, ministras, raíces, verduras, frutas, etc. y las demás especies de rentas y tributos quedarán en el mismo pie actual, con la rebaja de la cuarta parte hasta la determinación de la Junta General. 15. Queda igualmente abolido el derecho que con el nombre de Composición pagaban al Rey de España todos nuestros mercaderes, bodegueros y pulperos y también el derecho de Alcabalas que pagaban todos los que compraban efectos en los almacenes de nuestros comerciantes para el consumo de las tierras adentro. La razón de establecer este artículo es porque los multiplicados pagamentos de Alcabalas de Rentas y de un mismo derecho, sobre una misma cosa, sólo sirve de aumentar su valor a beneficio del que los impuso y perjuicio general del público y de embarazar por este medio el consumo y el comercio que debe ser tan libre como el aire. (…) 17. Además de los expresados objetos tomarán cuantas providencias juzguen de luego conveniente para asegurar más y más el acto de la Independencia que será declarada en la ciudad de N. para cuyo efecto desde ahora se señala como lugar más proporcionado y se convoca y convida a

18/51

todas las Provincias, Comandancias, Corregimientos, etc., a que dentro del término de dos meses contados desde la publicación de estos artículos, envíen sus Diputados con amplios poderes para la declaración de la Independencia, establecimiento del Gobierno General interino del Estado, y particular de cada Pueblo y Provincia. 18. Todos nuestros pueblos y radas estarán abiertas para todas las naciones del Mundo desde el principio de la Revolución guardando con ellas la mayor armonía y conservando la más exacta neutralidad con las Potencias Beligerantes. 19. Desde el acto de la Revolución se conceden tres meses a nuestros comerciantes para que avisen a sus correspondientes de España, que pasado dicho término, sus efectos no serán admitidos hasta el reconocimiento de nuestra Independencia por S.M.C. 20. Todas las embarcaciones de mercantes españoles que arribaren en nuestros puertos dentro de los referidos tres meses, serán admitidas con las precauciones que juzguen convenientes, pero todo barco perteneciente a S.M.C. será detenido y de ello se dará parte a la Junta General para providenciar lo necesario. 21. No se permitirá extraer de nuestras Provincias oro ni plata alguna; en cambio de las mercancías extranjeras se darán las nuestras: sólo los efectos de guerra que suministrasen al Pueblo Americano las Naciones Extranjeras serán satisfechos en dinero efectivo, o en géneros del País, que saldrán libres de derechos por esta sola circunstancia. 22. El retorno de las embarcaciones del comercio de España con frutos del País se decidirá en la Junta General con presencia de los perjuicios que de él puedan resultar a nuestros comerciantes según las consecuencias hostiles que hubiese producido sobre sus intereses en dicha Península nuestra Independencia. (…) 27. No obstante que parece imposible que soldado alguno de las Milicias actuales de la América quiera seguir el partido de la tiranía, servir de instrumento de la opresión de su misma Patria, hermanos, parientes, amigos y paisanos, con todo, como no ignoramos que no faltarán superiores malvados y almas bajas que los induzcan a semejante atentado y vileza, les prevenimos, que a la hora en que sea cogido alguno con las armas en la mano contra su Patria, será castigado con el mayor rigor sin que le valga excusa alguna. 28. El Oficial, Sargento o Cabo que de alguna manera impidiese que los soldados se unan inmediatamente al Pueblo para defender la causa común, será declarado por enemigo de la Patria y por descontado castigado. (…) 32. Se declara la igualdad natural entre los habitantes de las Provincias y distritos y se encarga que entre blancos, indios, pardos y morenos, reine la mayor armonía, mirándose como hermanos en Jesucristo iguales por Dios, procurando aventajarse sólo uno y otros en méritos y virtud que son las dos únicas distinciones reales y verdaderas que hay de hombre a hombre y habrá en lo sucesivo entre todos los individuos de nuestra República. 33. Por razón de la misma igualdad queda abolido el pago del tributo de los Indios naturales con que denigrativamente los tenía marcados y oprimidos el Gobierno tirano, que se lo impuso sobre las tierras que les usurpó con la fuerza y será uno de los cuidados del nuestro, darles la propiedad de las que poseen o de otras que les sean más útiles, proporcionándoles el medio para que sean tan felices como los demás ciudadanos.

19/51

34. Queda desde luego abolida la esclavitud como contraria a la humanidad: en virtud de esta providencia, todos los amos presentarán a la Junta Gubernativa de sus respectivos pueblos cuando Esclavos hubiesen con una razón jurada de sus nombres, Patria, edad, sexo, oficio, coste que le tuvo, y años que le sirve, con más una nota de su conducta y achaques, si los tuviere, para que en su vista en la Junta General se determine y mande abonar a sus respectivos dueños de los fondos públicos lo que merezcan en justicia. 35. Los amos que en esta parte fuesen omisos, y dieren lugar a que sus Esclavos se presenten por sí solos a la Junta Gubernativa, perderán su importe, siempre que no lo hayan excentado después de tres días del establecimiento de esta Junta. 36. Todos estos nuevos Ciudadanos harán el juramento de fidelidad a la Patria y de servir los varones aptos en la Milicia hasta tanto que esté asegurada la libertad del Pueblo, siempre que lo pidan las circunstancias, en el ínterin a fin de que en la agricultura no permanezca el menor menoscabo, permanecerán los agricultores Esclavos o Criadores con sus respectivos amos antiguos, siempre que se les abonen sus justos jornales y se les dé el trato correspondiente, a fin de evitar cualesquiera exceso por una y otra parte, ningún criado Esclavo o nuevo Ciudadano de esta naturaleza podrá despedirse de su amo sin justa causa aprobada por uno de los individuos de la Junta Gubernativa, que será nombrado por el juez de estas causas. 37. Asegurada la libertad de la Patria se licenciarán a estos nuevos Ciudadanos y se les darán todos los auxilios que se juzguen necesarios para su regular establecimiento. 38. En todos los Pueblos se procurarán introducir a todos los habitantes desde la edad de diecisiete años hasta cuarenta años, en el manejo de armas, y principales evoluciones desde el mismo acto de la Revolución, y se procurará mantener en pie un cierto número de gente armada para ocurrirá la mayor necesidad. (…) 44. En señal de la buena unión, concordia e igualdad que ha de reinar constantemente entre todos los habitantes de la Tierra Firme, será la divisa una escarapela cuatricolor, a saber: Blanca, Azul, Amarilla y Encarnada. Significación de los cuatro colores: Los cuatro colores de sus reunidos patriotas que son Pardos, Negros, Blancos, Indios. La reunión de las cuatro provincias que forman el Estado: Caracas, Maracaibo, Cumaná y Guayana. Los cuatro fundamentos del derecho del hombre son igualdad, libertad, propiedad y seguridad

20/51

Session 6 : Lundi 6 novembre 2006

Les projets de Miranda

Arturo Michelena, « Miranda en la Carraca », Galería de Arte Nacional, Caracas.

Bibliographie Marcel Dorigny (dir.), La France et les Amériques au temps de Jefferson et de Miranda. Paris : Société d'études robespierristes, 2001 Carmen López Bohórquez, Francisco de Miranda (Precursor de las independencia de la América Latina). Caracas: Universidad Católica Andrés Bello, 2001 [Aussi en français] _________________________, « L’ambivalente présence d’Haïti dans l’indépendance du Venezuela », en Outre-mers RH, nos 340-341. París: Société de Française d’Histoire d’Outre-mer, 2002 Karen Racine, Francisco de Miranda (A Transatlantic Life in the Age of Revolution). Wilmington: SR Books, 2002 William Spence Robertson, La Vida de Miranda. Caracas: Banco Industrial de Venezuela, 1982 [Aussi en anglais] Carraciolo Parra-Pérez, Miranda et la Révolution française. Paris : P. Roger, 1925 John Mahler (ed.), Francisco de Miranda: Exile and Enlightenment. London : Institute for the Study of the Americas, 2006

21/51

Document I Lettre de Brissot à Miranda, Jacques-Pierre Brissot, J.-P. Brissot mémoires. Paris : A. Picard et fils, 1912

22/51

Document II Proclamation de Miranda aux habitants du continent AméricoColombien Francisco de Miranda, Diario de viajes y escritos políticos, H. SánchezBarba (ed.). Madrid : Ed. nacional, 1977 CORO A 2 DE AGOSTO DE 1806 P R O C L A M A C I Ó N DON FRANCISCO DE MIRANDA, COMANDANTE GENERAL DEL EJÉRCITO COLOMBIANO, A LOS PUEBLOS HABITANTES DEL CONTINENTE AMÉRICO-COLOMBIANO Valerosos compatriotas y amigos: Obedeciendo a vuestro llamamiento, y a las repetidas instancias y clamores de la Patria, en cuyo servicio hemos gustosamente consagrado la mejor parte de la vida; somos desembarcados en esta Provincia de Caracas, la coyuntura y el tiempo nos parecen sumamente favorables para la consecución de vuestros designios; y cuantas personas componen este Ejército son amigos o compatriotas vuestros; todos resueltos a dar la vida si fuese necesario, por vuestra libertad e independencia, bajo los auspicios y protección de la marina británica. Con estos auxilios podemos seguramente decir, que llegó el día, por fin, en que, recobrando nuestra América su soberana Independencia, podrán sus hijos libremente manifestar al Universo sus ánimos generosos. El opresivo insensato gobierno, que obscurecía estas bellas cualidades, denigrando con calumnias nuestra modestia y carácter, consiguió también mantener su abominable sistema de administración por tres siglos consecutivos; mas nunca pudo desarraigar de nuestros corazones aquellas virtudes morales y civiles que una religión santa, y un código regular inculcó en nuestras costumbres formando un honesto índole nacional. Valgámonos, pues, de estas mismas estimables prendas, para que, expelidos los pocos odiados agentes del gobierno de Madrid, podamos tranquilamente establecer el orden civil necesario a la consecución de tan honrosa empresa.—La recuperación de nuestros derechos como ciudadanos y de nuestra gloria nacional como Americanos Colombianos, serán acaso los menores beneficios que recojamos de ésta tan justa, como necesaria determinación. Que los buenos e inocentes indios, así como los bizarros pardos, y morenos libres crean firmemente, que somos todos conciudadanos, y que los premios pertenecen exclusivamente al mérito y a la virtud, en cuya suposición obtendrán en adelante infaliblemente, las recompensas militares y civiles, por su mérito solamente. Y si los pueblos holandeses y portugueses pudieron en otro tiempo sacudir el yugo de la opresora España; si los suizos y americanos nuestros vecinos, igualmente consiguieron establecer su Libertad e Independencia, con aplauso general del mundo, y en beneficio de sus habitantes, cuando cada uno de estos pueblos separadamente apenas contaba de dos o tres millones de habitantes, ¿por qué, pues, nosotros, que por lo menos somos 16 millones, no lo ejecutaríamos fácilmente, poseyendo, además de ello, el Continente más fértil, más inexpugnable, y más rico de la Tierra? El hecho

23/51

es, que todo pende de nuestra voluntad solamente y así como el querer constituirá indudablemente nuestra Independencia, la Unión nos asegurará permanencia y felicidad perpetua: Quiéralo así la Divina Providencia para alivio de nuestros infelices compatriotas: para amparo y beneficio del género humano. Las personas timoratas, o menos instruidas que quieran imponerse a fondo de las razones de Justicia y de equidad, que necesiten estos procedimientos junto con los hechos históricos que comprueban la inconcebible ingratitud, inauditas crueldades y persecuciones atroces del gobierno español, desde el momento casi de su descubrimiento, lean la Epístola adjunta de D. Juan Viscardo, de la Compañía de Jesús, dirigida a sus compatriotas; y hallarán en ella irrefragables pruebas, y sólidos argumentos en favor de nuestra causa, dictados por un varón santo, y a tiempo de dejar el mundo, para aparecer ante el Creador del Universo. Para llevar este Plan a su debido efecto, con seguridad y eficacia, serán obligados los ciudadanos sin distinción de clases, estado, ni color (los Eclesiásticos solamente exceptos, en la parte que no sean designados) de conformarse estrictamente a los artículos siguientes: I. Toda persona Militar, Judicial, Civil y Eclesiástica que ejerza autoridad comunicada por la Corte de Madrid, suspenderá ipso facto sus funciones y el que las continuase después de la presente publicación, así como el que las obedeciese, será severamente castigado. II. Los Cabildos y Ayuntamientos en todas las ciudades, villas y lugares ejercerán en el ínterin todas las funciones de gobierno Civiles, Administrativas, y Judiciales con responsabilidad, y con arreglo a las Leyes del País: y los curas párrocos, y de misiones permanecerán en sus respectivas Iglesias y Parroquias, sin alterar el ejercicio de sus Sagradas funciones. III. Todos los Cabildos y Ayuntamientos enviarán uno, o dos Diputados, al cuartel general del Ejército, a fin de reunirse en Asamblea general a nuestro arribo a la Capital y formar allí un gobierno provisorio que conduzca en tiempo oportuno a otro General y Permanente, con acuerdo de toda la Nación. IV. Todo Ciudadano desde la edad de 16, hasta la de 55 años, se reunirá sin dilación a este ejército, trayendo consigo las armas que pueda procurarse y si no las tuviese, se le darán en los depósitos militares del ejército; con el grado justamente que convenga a su celo, talento, edad y educación. V. El ciudadano que tenga la bajeza de hacer causa común con los Agentes del Gobierno Español, o que se hallase con armas en campamento, ciudadela, o fuerte poseído por dicho gobierno, será tratado y castigado como un traidor a su Patria. Si por el empleo que actualmente pueda poseer alguno de ellos, en servicio de la España, creyese su pusilanimidad que el honor le compele a servir contra la Independencia de su patria, serán éstos desterrados a perpetuidad del país. VI. Por el contrario, todos aquellos que ejerciendo en la actualidad empleos Militares, Civiles o de cualquiera especie, se reuniesen con prontitud bajo los Estandartes de la Patria, recibirán honra y empleo proporcionado al celo y amor del país que hubiesen manifestado en tan importante coyuntura: los soldados, y marineros serán premiados igualmente conforme a su capacidad y celo. VIL Los depositarios del tesoro público lo pondrán inmediatamente a disposición de los Cabildos y Ayuntamientos, quienes nombrarán sujetos aptos para el manejo, y para suplir al ejército Colombiano cuando sea

24/51

necesario a su manutención, y operaciones; no solamente en dinero, sino también en provisiones, vestuario, frutos, carruajes, muías, caballos, etc. VIII. Para precaver toda especie de insulto o agresión de parte de la gente de guerra, y puestos avanzados del ejército, los Magistrados, y Curas Párrocos de las Ciudades, villas, y poblados (bajo su personal responsabilidad) harán f i j a r la Bandera o insignia de la Independencia Nacional en la parte superior más conspicua de las Iglesias: y los ciudadanos llevarán también en el sombrero la Escarapela que denota ser tales, pues sin ella no serían respetados y protegidos como hermanos. IX. Esta proclamación será fijada por los curas párrocos, y por los magistrados en las puertas de las Iglesias Parroquiales, y de las Casas del Ayuntamiento para que llegue con brevedad a noticia de todos los habitantes: y así mismo harán leer en las Parroquias, y Casas de Ayuntamientos respectivas una vez al día por lo menos, la carta anteriormente mencionada del C. Viscardo, que acompaña este edicto. X. Cualquiera impedimento, retardo o negligencia que se oponga al cumplimiento de estos nueve precedentes artículos, será considerada como un grave perjuicio nacional, y castigada inmediatamente con severidad; la salud pública es la Ley Suprema. Fecha en el Cuartel General de Coro a 2 del mes de Agosto de 1806. FRANCISCO DE

25/51

MIRANDA.

Session 7 : lundi 13 novembre 2006

Rupture avec l’Espagne

Capitulation de Madrid 4.Décembre 1808 Gravure sur cuivre. Paris c.1830

Bibliographie François-Xavier Guerra Modernidad e independencias: Ensayos sobre las revoluciones hispánicas. Madrid: Editorial MAPFRE, 1992. Lester D. Langley, The Americas in the Age of Revolution, 17501850. New Haven (Conn.) : Yale University Press, 1996. John Lynch, The Spanish American Revolution, 1808-1826. New York: W. W. Norton, 1986. [Aussi en espagnol] Jaime E. Rodríguez O., The Independence of Spanish America. Cambridge: Cambridge University Press, 1998. [Aussi en espagnol] Pierre Vayssière, Les révolutions d'Amérique latine. Paris: Seuil, 2001. Carole Leal Curiel, « Juntistes, tertulianos et congressistes sens et portée du public dans le projet de la Junte de 1808 (Province de Caracas) », Histoire et sociétés de l'Amérique latine, VI (Nov. 1997)

26/51

Document I La Junte Centrale permet la représentation américaine LA JUNTE CENTRALE ET LES AMERICAINS Le Roi, notre seigneur, D. Ferdinand VII, et en son royal nom la Junte Suprême centrale du gouvernement du Royaume, considérant que les vastes et précieux domaines que l'Espagne possède dans les Indes ne sont pas à proprement parler des Colonies ou des Factoreries comme celles des autres Nations, mais une partie intégrante de la Monarchie espagnole et désirant resserrer d'une façon indissoluble les liens sacrés qui unissent les uns et les autres domaines, ainsi que répondre à l'héroïque loyauté et patriotisme dont ils viennent de faire preuve à l'égard de l'Espagne [...] a décidé que les royaumes provinces et îles qui forment lesdits domaines doivent avoir une représentation nationale immédiate à sa Personne Royale et faire partie de la Junte centrale de gouvernement du Royaume, au moyen de leurs représentants. Pour mettre en application cette décision royale, les viceroyautés de Nouvelle-Espagne, du Pérou, du Nouveau Royaume de Grenade et de Buenos Aires et les capitaineries générales indépendantes de l'île de Cuba, de Porto-Rico, du Guatemala, du Chili, et des provinces du Venezuela et des Philippines] doivent nommer chacune un individu en représentation de leur circonscription respective. Par conséquent, V.E. disposera pour votre vice-royauté que dans les capitales, chef lieu de partido (district), [...] les ayuntamientos nomment trois individus d'honnêteté notoire, de talent et d'instruction, exempts de toute tache qui pût ternir leur réputation. V.E. fera connaître aux ayuntamientos qu'ils doivent procéder à l'élection de ces individus avec une exactitude rigoureuse, en s'abstenant absolument de l'esprit de parti qui règne habituellement dans ces cas; qu'ils ne regardent que le strict mérite de la justice, tel qu'il s'exprime dans les qualités qui constituent un bon citoyen et un patricien zélé [...] Une fois que V.E. aura reçu les procès-verbaux des individus désignés [...] par la capitale et les autres villes de la vice-royauté, le "Réal Acuerdo"1 désignera [...] parmi eux trois individus [...] dont les noms seront tirés au sort; celui qui sera désigné par ce procédé sera nommé député de ce royaume et membre de la Junte Suprême centrale du gouvernement du Royaume, avec résidence en cette Cour. Immédiatement après les ayuntamientos de votre capitale et des autres capitales rédigeront leurs pouvoirs et instructions respectifs dans lesquels ils exposeront les sujets d'intérêt national qu'il veulent promouvoir "Réal Orden" de la Junte Centrale, Séville 22 janvier 1809.

Document II « Junta » conservatrice des droits du roi, Fernando VII Gazeta de Caracas, vendredi 27 avril 1810, t. II, n° 95. PROCLAMATION DE CARACAS DU 19 AVRIL 1810 Habitants des Provinces unies du Venezuela: la Nation Espagnole, après deux années d'une guerre sanglante et

27/51

inexpiable pour défendre sa liberté et son indépendance, est sur le point de tomber en Europe sous le joug tyrannique de ses Conquérants. Les ennemis ont forcé les passages de la Sierra Morena qui défendaient la résidence de la Souveraineté Nationale, ils se sont déversés comme un torrent impétueux sur l'Andalousie et d'autres Provinces de l'Espagne Méridionale, et serrent maintenant de près le petit reste d'intègres et valeureux patriotes espagnols qui se sont réfugiés en hâte sous les murs de Cadix. La Junte Centrale de Gouvernement du Royaume, qui réunissait la voix de la Nation sous son autorité suprême, a été dissoute et dispersée dans ce trouble et cette précipitation, et l'on a finalement détruit dans cette catastrophe cette Souveraineté constituée légalement pour la conservation générale de l'Etat. Au milieu de ce conflit les habitants de Cadix ont organisé un nouveau système de gouvernement sous le titre de Régence, qui ne peut avoir d'autre objet que la défense momentanée des quelques Espagnols qui ont échappé au joug du vainqueur pour pourvoir à leur sécurité future, et qui ne réunit pas en lui la voix générale de la Nation, et moins encore /celle des habitants qui ont le droit légitime et nécessaire de veiller à leur conservation et à leur sécurité comme parties intégrantes de la Monarchie Espagnole. Pourriez-vous atteindre un but si important en restant dans la dépendance d'un pouvoir illégal, fluctuant et agité? Serait-il prudent que vous perdiez un temps précieux à courir derrière de vaines et spécieuses espérances, au lieu de prendre les devants pour constituer l'union et la force qui seules peuvent assurer votre existence politique et libérer notre bien-aimé Ferdinand VII de son triste emprisonnement? Est-ce ainsi que se perpétuerait dans nos belles contrées l'auguste et sainte religion que nous avons reçue de nos ancêtres? Non, chers compatriotes: le Peuple de Caracas a bien compris /la nécessité où nous sommes de défendre notre cause avec énergie et vigueur si nous voulons préserver des intérêts si nombreux et si chers./ Dans ce but, instruit par les derniers vaisseaux espagnols arrivés sur nos côtes des mauvaises nouvelles de la guerre en Espagne, il a pris la décision de constituer une Souveraineté provisoire dans la Capitale pour elle-même et pour les autres peuples de cette Province qui s'uniront à elle avec leur fidélité éprouvée au Seigneur Don Ferdinand VII. «Il l'a proclamé le dix-neuf avril, en déposant l'autorité Suprême entre les mains du Très Illustre Ayuntamiento de la Capitale et de plusieurs députés qu'il a désignés pour qu'ils s'y associent avec la tâche particulière de concevoir le plan d'administration et de Gouvernement le plus conforme à la volonté générale de ces Peuples. Habitants du Venezuela, telle est la voix de Caracas. Toutes ses autorités supérieures l'ont reconnu solennement en acceptant et en jurant l'obéissance due aux décisions du Peuple. En accomplissement du devoir sacré qu'il /nous a imposé, nous vous en informons et vous invitons à/l'union et à la fraternité! auxquelles nous appellent des devoirs et des intérêts communs. Si la souveraineté s'est provisoirement établie en peu d'individus, (ce n'est pas pour étendre sur vous une usurpation insultante, ni une honteuse servitude; i mais parce que l'urgence et la précipitation des circonstances, la nouveauté et l'importance des faits l'ont voulu ainsi pour la

28/51

sécurité commune. Cela > même nous empêche de vous faire connaître dès maintenant toute l'étendue de nos idées généreuses; mais sachez que si [nous connaissons et réclamons hautement les devoirs sacrés de la nature pour recouvrer notre liberté civile quand manque le centre commun de l'autorité légitime qui nous réunissait,, nous ne respectons pas moins en vous de si inviolables lois, et nous vous 1 convierons le moment venu à prendre part à l'exercice de l'Autorité Suprême, en proportion du plus ou moins grand nombre d'habitants de chaque province. Telle est à peu de choses près la décision que nous vous soumettons pour l'instant dans le Département de Venezuela. Amis, croyez à la sincérité de nos intentions et hâtez-vous d'unir [_vos sentiments et vos 7 affections j à ceux du peuple de la Capitale. Que la Sainte Religion que nous avons héritée de nos pères soit toujours pour nous et pour nos descendants le premier objet de notre respect et le lien qui rapproche le plus efficacement nos volontés. Que les Espagnols Européens soient partout traités avec la même affection et les mêmes égards/que nous-mêmes, car ils sont nos frères et ils sont unis cordialement et sincèrement à notre cause. Ainsi, la base de notre édifice social reposera sur les fondements indestructibles de (l'union et de la fraternité,! nous transmettrons à nos plus lointains petitsenfants la mémoire de notre heureux labeur, et peut-être aurons-nous la satisfaction de voir notre très-aimé Souverain le Seigneur D. Ferdinand VII présider au destin o glorieux de ces Peuples. Caracas, 20 avril 1810. José de las Llamosas. Martin Tovar Ponte.

29/51

Session 8 : Lundi 20 novembre 2006

Continuités et discontinuités insulaires

« Soldiers Mambi », Library of Congress (Washington D.C., Etats-Unis); Portrait de Jean-Pierre Boyer, n.d.

Bibliographie María D. González-Ripoll Navarro, « Vínculos y redes de poder entre Madrid y la Habana: Francisco Arango y Parreño (17651837), ideologo y mediador », Revista de Indias, 2001 61(222): 291-305 Dale Tomich, « La richesse de l'Empire : esclavage et production sucrière à Cuba après la Révolution de Saint-Domingue », Y. Bénot et M. Dorigny (dirs.), Rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises. Ruptures et continuités de la politique coloniale française (1800-1830). Paris : Maisonneuve & Larose, 2003 Bryan, Patrick E. Bryan, « The independencia efimera of 1821, and the Haitian invasion of Santo Domingo, 1822: a case of preemptive independence », Caribbean Quarterly, 41:3/4 (Sept.Déc., 1995) Emilio Rodríguez Demorizi (ed), Invasiones haitianas de 1801, 1805 y 1822. Ciudad Trujillo: Editorial del Caribe (Academia Dominicana de la Historia, 1), 1955 Jean-Marie Dulix Théodat, Haïti-République Dominicaine : une île pour deux, 1804-1916. Paris : Karthala, 2003

30/51

Document I Cuba devient une colonie de plantation Francisco de Arango y Parreño, Discurso sobre la agricultura de la Habana y medios de Fomentarla, 1792, Alain Yacou (préf.). Pointe-àPitre : CERC, 1987 Descubiertas ya las causas reales y verdaderas de la decadencia de los diferentes ramos de la agricultura habanera; conocidos todos los males que la atormentan y abaten, temo que al proponer sus remedios se me trate de temerario y se me quiera decir que no teniendo lugar estas quejas en las circunstancias presentes, es extemporáneo y ridículo el pretender favores cuando sin necesidad de ellos, por el vacío que ha dejado el incendio del Guarico [Saint-Domingue], podemos vender nuestros frutos al precio que nos acomode; pero esta reflexión miserable no nos perjudicara. Habanero, la obra de vuestra felicidad no se desconcertara por tan débil objeción. El suceso de Cabo Francés; causa muy contrarios efectos en el modo de pensar del político sabio y sensato. Por lo mismo que al presente os halláis sin enemigos; por lo mismo que ahora duerme la industria del que os ha arruinado, se os debe dar todo auxilio para ver si se consigue lo que nunca se espero; esto es, que os elevéis a un grado de poder y de riqueza capaz de sostener la competencia, aun cuando vuestro rival vuelva en si. Alentaos, que esta es la idea de vuestro sabio Gobierno. Aprovechad el momento de pasar a nuestro suelo las riquezas que el estrecho territorio del Guarico daba a la nación francesa. Parecerá a muchos impracticable y ridículo este pensamiento; pero será a aquellos que nada sepan de la agricultura de América, ni de su orden y progreso; que acostumbrados al lento paso de la Europa, piensen que la plantación de un ingenio, de una algodonaría, cafetería, etc... necesita para fructificar tantos anos como las moreras de Granada y que, para que haya hombres que hagan estos cultivos, es menester esperar la tarda reproducción de la especie. Por toda respuesta, los remitiré a la Historia. Vean en ella a Jamaica crecer en poquísimos años; a Santo Domingo francés formar en menos de treinta todo el fondo de riquezas que poseía antes de la insurrección de sus esclavos, y a nosotros como, sin tantos auxilios, en solo dieciséis anos, desde 1763 hasta 1779, dimos a nuestras cosechas todo el ser que tienen hoy. El que supiere algo de estas clases de plantaciones dirá conmigo que si hubiese caudales para comprar y posibilidad de introducir en los puertos de Cuba, en solo un ano, todos los negros que necesita para el cultivo de sus tierras, dentro de tres anos llegarían sus producciones al doble si se quiere de lo que nos dice nuestra "Gaceta", de las de la parte francesa de Santo Domingo.(26) No hay que dudarlo : la época de nuestra felicidad ha llegado : el tiempo de nuestro desengaño, el tiempo de oír a un autor francés que ha muchos anos que nos esta diciendo : "El azúcar, la mas rica e importante producción de la América, bastaría sola para dar a la isla de Cuba toda la felicidad que esta ofreciéndole la madre Naturaleza. La fertilidad increíble de sus tierras nuevas, la pondrían en estado de dejar atrás todas las naciones que le han precedido en esta clase de cultivo. Todos los trabajos que han empleado aquéllas en el espacio de medio siglo con adoptar su método excedería o destruiría en menos de veinte anos toda su felicidad. (27) ¿Qué esperamos? ¿Cómo nos detenemos en proponer los medios de realizar este consejo, cuando nuestro Superior Gobierno desea oírlos y adoptar lo que contemple justos?

31/51

He dicho y he demostrado que los extranjeros [Jamaica] nos toman el paso desde antes de entrar a labrar la tierra porque les cuestan menos los negros y los utensilios. Pues es menester trabajar en destruir esta ventaja. Nada será mas útil que alentar con premios y con ensayos nuestro comercio directo a las costas de África, y para esto convendría fundar establecimientos en la misma costa o en su vecindad. No es difícil, diga lo que quiera la ignorancia. Muchas personas sensatas me han asegurado que en las inmediaciones del Brasil pudiéramos formar con poco gasto nuestras factorías, proveernos desde allí de frutos del mismo Brasil para hacer el comercio de negros con ventajas (…)

Document II Proclame de Boyer suite à la invasion haïtienne de Santo Domingo Au Palais National, le 9 février 1822. An 19 de l’indépendance d’Haïti. El pabellón nacional flota sobre todos los puntos de la Isla que habitamos! Sobre este suelo de libertad ya no hay esclavos, y no formamos todos sino una sola familia, cuyos miembros estan unidos para siempre entre sí por una voluntad simultánea, que dimana de la concordancia de los mismos intereses; y así estan en su entera ejecución los artículos 40 y 41 de nuestra Constitución. Mas para hacer durable la obra de nuestra reunión y consolidar la independencia de nuestro país, es necesario tomar en lo pasado lecciones de experiencia que os enseñen á evitar los escollos que no habéis superado sino por un valor y heróicos sacrificios; Y voz ciudadanos de la parte del Este, voz habeis sido desgraciados por largo tiempo; leyes arbitrarias y prohibitivas os han obligado a vivir en medio de las privaciones y del atortolamiento; con todo había combatido para recobrar vuestros derechos; pero los que estaban encargados de dirigiros os volvieron á poner bajo la dependencia de la metrópoli que os había repelido de su seno traficando con vuestra sumisión. Al fin os habeis movido espontáneamente, habeis querido ser libres y haitianos como nostros, y lo habeis conseguido: olvidad pues vuestra antigua condición, no pensar sino en la de que vais a gozar; abrid vuestros corazones á la alegría: vuestra confianza en el gobierno no será engañada; éste se ocupará del cuidado de curar las profundas llagas que ha formado en vosotros un sistema antiliberal... Haitianos, ¡en vano pretenderian nuestros enemigos alarmar las potencias estrangeras sobre la reunión de todo nuestro territorio! Los principios establecidos por los artículos 40 y 41 de nuestra constitución, que nos dan el océano por limite son tan generalmente conocidos como los designados en el articulo 5 del mismo acto, y por los cuales nos hemos obligada á no hacer jamas empresa alguna tendente á tumbar la paz de nuestros vecinos. Viva la independencia! Viva la Libertad! Viva la República! Boyer

32/51

Session 9: lundi 27 novembre 2006

L’exception cubaine

“The Maine entering Havana Harbor”, 25 Jan. 1898. Library of Congress (Washington D.C., Etats-Unis), cote LCD4-20520

Bibliographie Philip S. Foner, A history of Cuba and its relations with the United States, 2 vols. New York: International Publishers, 1962 ________________, La guerra hispano-cubano-americana y el nacimiento del imperialismo norteamericano. Madrid : Akal, 1975 Alain Yacou (dir.), La Caraïbe au tournant de deux siècles : commémoration du premier centenaire de la guerre hispanocubano-américaine et de la République de Cuba, 1902. Paris : Karthala ; Pointe-à-Pitre : CERC, 2004 Louis A. Pérez, The War of 1898: The United States and Cuba in History and Historiography. Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1998

33/51

Document I La guerre d’indépendance cubaine à travers des yeux d’un exesclave Miguel Barnet, Esclave à Cuba. Biographie d'un cimarron, du colonialisme à l'indépendance, Claude Couffon (trad.). París : Gallimard, 1966 (…) Si les Africains ne savaient pas où ils allaient, les Cubains non plus. La plupart, du moins. Simplement, il y avait ici une révolution, un soulèvement, et tout le monde y participait. Même les voyous! Les gens criaient: «Vive Cuba libre! A bas l'Espagne! », puis ils disaient : « Vive le Roi! » C'était un enfer. On ne voyait nulle part de résultat. Il ne restait qu'une seule issue : la guerre. Au début, personne n'a expliqué la révolution. On y adhérait comme ça. Moi même je ne savais pas ce qui m'attendait. La seule chose que je savais dire, c'était : « Vive Cuba libre ! » Puis les chefs nous ont réunis et nous ont expliqué. Ils parlèrent dans tous les bataillons. D'abord, ils disaient qu'ils étaient fiers d'être cubains et que le Cri de Baire ° nous avait unis. Ils appelaient tout le monde au combat et étaient sûrs de la victoire. Beaucoup ont cru que la guerre était une fête où l'on allait distribuer des honneurs! Quand ils ont vu le feu, ils ont détalé et ont trahi leurs frères. D y en a eu beaucoup comme ça. D'autres n'ont pas bronché. Une chose qui ranima tous les courages fut le discours de Maceo à Mal Tiempo : « Maintenant, cette guerre est celle de l'indépendance. Une fois terminée, chaque soldat recevra trente pesos. » C'est tout ce que j'ai entendu. C'était la vérité. La guerre finie, on m'a remis neuf cent quatre-vingt-deux pesos. Tout ce que Maceo disait était vrai. Il a été notre plus grand homme dans cette guerre. Il a dit aussi que personne n'aurait à le regretter, car nous serions enfin libres. Qu'on ne perdrait rien. Oui. Moi, au moins, je n'ai rien perdu. Pas même la santé. J'ai une balle dans la cuisse et quand je relève mon pantalon, je vois la tache noire de la blessure. Mais il y en a eu qui n'ont pas eu le temps de sortir des bois. Ils ont quitté leur cheval pour un trou en terre. Pour être franc, la guerre était nécessaire. Autrement, les gens seraient morts quand même et sans profit pour personne. Moi je suis resté vivant par hasard. Mon heure n'était pas venue de mourir. Ce sont les dieux qui décident le jour où ils doivent mettre fin à votre existence... Maintenant, quand je vous parle de cela, je rigole un peu. Mais à l'époque où j'étais là-bas an casse-pipes, avec des cadavres partout, et les balles et les canons et tout le bordel… c'était une autre paire de manches! Oui, la guerre était nécessaire. Il n'était pas juste que tant de places et tant de privilèges soient toujours réservés exclusivement aux Espagnols. Il n'était pas juste que les femmes, • pour travailler, doivent être des filles d'Espagnols. Rien de tout cela n'était juste. On ne voyait pas un seul Noir avocat car on disait que les nègres étaient tout juste bons pour travailler dans les bois. On ne voyait pas un seul maître d'école noir. Tout était pour les Blancs, pour les Espagnols. Même les Cubains blancs étaient tenus à l'écart. Un veilleur de nuit, qui n'avait rien d'autre à faire qu'à se balader, à dire l'heure et à éteindre la chandelle, devait être espagnol. Et tout était comme ça. La liberté

34/51

n'existait pas. C'est pourquoi la guerre était nécessaire. Je m'en suis rendu compte quand les chefs nous ont expliqué l'affaire. La raison pour laquelle il fallait se bagarrer. J'ai rejoint ceux qui combattaient le 3 ou 4 décembre quatre-vingtquinze. J'étais à Ariosa et je gavais tout ce qui se passait. Un jour je me suis réuni avec quelques amis, les plus vieux de la raffinerie, et je leur ai dit que le temps était venu de redresser la tête. Et tout se fit dans l'enthousiasme. Le premier qui partit avec moi s'appelait Juan Fábregas. C'était un Noir, beau garçon et décidé. Je n'eus pas à m'embarquer dans de longs discours : il devina ce qui me tournait dans la tête. Nous quittâmes la raffinerie dans l'après-midi et nous marchâmes jusqu'à la première ferme que nous rencontrâmes. Là nous sautâmes sur les chevaux qui étaient attachés à des arbres. Ce n'était pas un vol. Je m'adressai même an fermier avec beaucoup de courtoisie : « Je vous en prie, ayez la gentillesse de me donner un équipement complet. » Ce qu'il fit, et je passai au cheval une bride, un mors, après avoir fixé à mes chevilles des éperons. J'étais fin prêt pour le combat. Je n'avais pas d'arme à feu, mais à l'époque une machette suffisait. Je commençai une course pénible au long des grands chemins. J'arrivai presque à Camagüey. Quand je fus en vue des forces mambises, je me mis à crier et les soldats vinrent au-devant de moi et de ceux qui m'accompagnaient A partir de ce jour-là, j'ai combattu vraiment. Au début, je me suis senti mal à l'aise, un peu accablé. Il est vrai que c'était plutôt la pagaille. Les escadrons n'étaient même pas organisés, ni les chefs désignés. Parmi les soldats, il y avait aussi quelques garçons peu dégourdis et des brigands. Mais je me suis laissé dire que c'était la même chose durant la guerre de soixante-huit. De Camagüey, je descendis avec les colonnes jusqu'à Las Villas. J'avais l'impression d'être un autre homme, car lorsqu'on est en groupe on reprend confiance. J'ai commencé à me faire des amis pour ne pas avoir l'air d'un sauvage et, en arrivant à Mal Tiempo, tout le monde me connaissait, au moins de vue. Fábregas était moins empoté que moi pour l'amitié. Il se gagna aussitôt celle de tous les soldats. Il racontait des tas d'histoires et n'avait pas son pareil pour faire le zigoto. C'est à Mal Tiempo que j'ai reçu le baptême du feu. Ce fut pour les Espagnols un véritable enfer, le premier qu'ils subirent à Cuba. Bien avant d'arriver là-bas, les chefs savaient comment l'affaire allait se dérouler. Ils nous l'expliquèrent et nous demandèrent de nous préparer. Tout le monde avait déjà le diable au corps. La machette était notre arme de bataille. Les chefs nous disaient : « Une fois sur le terrain, foncez sur l'ennemi avec vos machettes. » Maceo dirigea le combat. Dès le début il se tint à notre tête. Máximo Gómez l'aidait et à eux deux ils remportèrent la victoire. Máximo Gómez était courageux, mais impénétrable. Il avait de drôles d'idées derrière la tête. Je n'ai jamais eu confiance en lui. Plus tard, il a donné la preuve qu'il n'était pas fidèle à Cuba. Mais c'est une autre histoire. A Mal Tiempo, il fallait être unis et suivre celui qui retroussait ses manches et levait sa machette. La bataille ne dura qu'une demi-heure mais fut atrocement meurtrière. Les Espagnols y moururent en plus grand nombre que dans toutes celles qui suivirent. Le combat commença le matin. Il se fit en terrain découvert : dans une plaine. Celui qui était habitué à combattre dans les montagnes passa là un sale moment. Mal Tiempo était un hameau entouré de ruisseaux, de

35/51

champs de canne et de jardins d'ananas. Lorsque la boucherie fut finie, les jardins d'ananas étaient pleins de petites têtes d'Espagnols. J'ai rarement vu une chose aussi impressionnante. En arrivant à Mal Tiempo, Maceo ordonna d'attaquer l'ennemi de front. Ce que nous fîmes. Dès que les Espagnols nous virent, ils se mirent à trembler de la tête aux pieds. Ils pensaient que nous étions armés de mousquetons et de mauser s. Mais, je t'en fous! nous nous étions contentés de casser des branches de goyaviers sauvages et de les glisser sous notre bras pour leur faire peur. Ils perdirent leur sang-froid lorsqu'ils nous aperçurent et se jetèrent dans la bagarre. Mais cet élan ne dura guère... Nous étions déjà en train de couper des têtes. Mais vraiment, hein! Les Espagnols en faisaient dans leur culotte. Ils n'avaient pas peur des fusils, mais les machettes, ça leur flanquait une sacrée trouille! Je levais la mienne de loin en disant à celui qui me menaçait : « Maintenant, mon bonhomme, je vais te la faire sauter. » Alors le petit soldat bien amidonné tournait les talons et filait comme un lapin. Comme je n'avais pas l'instinct criminel, je le laissais se débiner. Malgré tout, des têtes, il a bien fallu que j'en coupe! Surtout lorsque j'en voyais un qui me fonçait dessus. Il y avait des types courageux, pas beaucoup, mais enfin il y en avait, et ceux-là il n'était pas question de les manquer. Normalement, je leur demandais leur mauser. Je leur disais : « Haut les mains ! » Ils me répondaient : « Tiens, si c'est vraiment le mauser que tu veux, prends-le! » Et ils me le jetaient au nez. Des froussards, oui! D'autres se rendaient parce qu'ils étaient innocents, trop jeunes. Les conscrits, par exemple, avaient dans les seize à dix-huit ans. Ils arrivaient tout frais d'Espagne : jamais ils n'avaient combattu. Quand ils se voyaient pris au piège, ils étaient capables de vous offrir jusqu'à leur pantalon. A Mal Tiempo, j'en ai vu beaucoup. Plus tard aussi, car l'Espagne en envoyait continuellement. Je crois qu'ils étaient trop nombreux là-bas. Le bataillon qui combattit le plus courageusement à Mal Tiempo fut celui des Canaries. Il était bien équipé. Pourtant presque tous ses soldats tombèrent, là aussi par peur de nos machettes. Ils n'obéissaient plus à leurs chefs. Ils se jetaient à terre, épouvantés, abandonnaient leurs fusils et même niaient se cacher derrière les arbres. Malgré cette faiblesse finale, ce furent eux qui montrèrent le plus de cran. Leur tactique était très intelligente, mais une fois que nous l'eûmes découverte ils comprirent qu'ils étaient foutus. Ils faisaient, comme on dit, le carré. Le carré consistait à se réunir eu bloc dans des trous pour tirer. Ha s'agenouillaient là et formaient une haie de baïonnettes. Parfois ils réussissaient à nous avoir mais d'autres fois ils échouaient. Mal Tiempo a marqué l'échec de cette tactique. Les premiers moments furent pour nous difficiles. Mais, quand les Espagnols eurent perdu leurs carrés, il ne leur resta plus d'autre solution que de tirer au petit bonheur. Ils défonçaient nos chevaux à coups de baïonnette et abattaient à bout portant nos cavaliers. On aurait dit des fous. Ils ne faisaient plus attention à rien. Un terrible méli-mélo! La peur était leur plue grande ennemie. Il faut reconnaître que nous autres, Cubains, nous avons été courageux. J'ai même vu beaucoup de mambises se moquer des balles. Pour nous, les balles c'était de la rigolade. L'important c'était l'idéal, les choses qu'il fallait défendre, tout ce dont parlait Maceo, et aussi ce que disait Máxirno Gómez, même s'il n'a pas tenu parole. La bataille de Mal Tiempo a ouvert les yeux des Cubains. Les yeux, l'esprit et la force.

36/51

J'ai failli être tué à Mal Tiempo. Par un petit Espagnol qui m'avait vu de loin et me mit en joue. Je l'ai attrapé par le cou et je lui ai laissé la vie. Quelques minutes plus tard, il était abattu par d'autres. Je me suis contenté de lui enlever ses munitions, son fusil, et peut-être ses habits, mais je n'en suis pas certain. Tout compte fait, je crois que non, car nos habits n'étaient pas si abîmés que cela. Le petit Espagnol m'a regardé et il m'a dit : « Vous êtes des sauvages. » Puis il s'est mis à courir et on l'a liquidé. Bien sûr, ils nous prenaient pour des sauvages car ils étaient mous comme des loches. Et puis, ils croyaient vraiment trouver autre chose ici. Ils se figuraient que la guerre était un jeu. C'est pourquoi, quand la situation s'est gâtée, ils ont commencé à reculer. Ils en arrivaient à penser que nous étions des bêtes et non des hommes. D'où le nom de mambises qu'ils nous ont donné. Mambi veut dire fils de singe et d'urubu. C'était un mot vexant mais que nous brandissions pour leur couper la tête. A Mal Tiempo ils s'en sont rendu compte plus que partout ailleurs. Ce fut tellement vrai que les fils de singes se changèrent en lions. Mal Tiempo a été la plus grande boucherie de la guerre. Le destin le voulait ainsi. Il y a des choses que l'on ne peut pas changer. Le cours de la vie est très compliqué. Mal Tiempo fut nécessaire pour donner du courage aux Cubains et aussi pour assurer le triomphe de la Révolution. Celui qui s'y était battu était désormais convaincu qu'il pouvait faire face à l'ennemi. Maceo le répéta souvent durant nos marches et dans les plaines. Il était sûr de la victoire. Il ne revenait jamais en arrière, il ne faiblissait jamais. Il était plus dur qu'un gaïac. Sans Maceo, les événements auraient pris une autre tournure. Nous aurions perdu la guerre. Les Espagnols disaient que lui et son frère José étaient des criminels. Ce n'est pas vrai. Il n'était pas partisan de tuer les gens. Il le faisait par nécessité, pour la bonne cause, mais je ne lui ai jamais entendu dire qu'il fallait faire voler les têtes par plaisir. D'autres ne s'en gênaient pas et tuaient pour un rien. Force est d'avouer que la mort était nécessaire. Quand on fait la guerre, ce n'est pas en se croisant les bras ou en roulant les fesses comme une tapette! (…)

Document II Le « Destin manifeste » américain et l’émancipation cubaine : L’amendement Platt (1901) Adopté le 27 février 1901 au Sénat des États-Unis et annexé à la Constitution de Cuba par vote du 12 juin 1901. Attendu que le Congrès des États-Unis d'Amérique, par une loi adoptée le 2 mars 1901, prévoit ce qui suit: En complément de la déclaration contenue dans la résolution conjointe approuvée le 20 avril 1898, intitulée «Pour la reconnaissance de l'indépendance du peuple cubain», exigeant que le gouvernement espagnol renonce à son autorité et à son gouvernement sur l'île de Cuba et retire ses forces terrestres et maritimes de Cuba et des eaux cubaines, et ordonnant au président des États-Unis qu'il fasse usage des forces terrestres et maritimes des États-Unis pour donner effet à ces résolutions, le président, par la présente, est autorisé à laisser le gouvernement et le contrôle de cette île à son peuple, dès que sera établi dans l'île un gouvernement constitutionnel, et dans sa Constitution ou dans une ordonnance conjointe

37/51

seront définies les futures relations entre Cuba et les États-Unis, en substance comme définies ci-après : Article 1 Le gouvernement de Cuba ne conclura avec aucune autorité ou avec des autorités étrangères de traité ou d'accord qui pourrait diminuer ou tendre à diminuer l'indépendance de Cuba, ni en aucune manière autoriser ou permettre à une autorité ou à des autorités étrangères d'obtenir par colonisation ou par des sommations militaires ou navales de s'installer ou de contrôler quelque portion de ladite île. Article 2 Ledit gouvernement n'assumera et ne contractera aucune dette publique pour le paiement des intérêts et l'amortissement définitif au delà de la couverture des dépenses courantes du gouvernement, rendant inadéquats les impôts ordinaires. Article 3 Le gouvernement de Cuba accepte que les États-Unis puissent exercer le droit d'intervention pour préserver l'indépendance de Cuba et maintenir un gouvernement capable de protéger les vies, la propriété et la liberté individuelle et d'accomplir les obligations qui, concernant Cuba, ont été imposées aux États-Unis par le traité de Paris et qui doivent désormais être assumées et accomplies par le gouvernement de Cuba. Article 4 Toutes les lois adoptées par les États-Unis à Cuba durant son occupation militaire sont tenues pour valides et ratifiées, et tous les droits légalement acquis en vertu de ceux-ci sont maintenus et protégés. Article 5 Le gouvernement de Cuba mettra au point les programmes et, autant que nécessaire, mettra en application les projets déjà élaborés et d’autres programmes à convenir mutuellement pour l’assainissement des localités de l’île, dans le but d’empêcher la propagation d’épidémies et de maladies infectieuses protégeant ainsi le peuple et le commerce de Cuba, de même que le commerce et la population des ports du sud des États-Unis. Article 6 L’île des Pins est exclue des limites de Cuba proposées par la Constitution, laissant la question de son appartenance à un arrangement futur en vertu d’un traité. Article 7 Pour que les États-Unis aient la possibilité de maintenir l’indépendance de Cuba et de protéger le peuple de celle-ci, ainsi qu’en vue de sa propre défense, le gouvernement de Cuba vend ou loue aux États-Unis les terres nécessaires pour l’établissement de dépôts de charbon ou de bases navales en certains points qui seront déterminés avec le président des États-Unis. Article 8 Pour plus de sécurité à l’avenir, le gouvernement de Cuba inclut ces dispositions dans un traité permanent avec les États-Unis.

38/51

Session 10: 4 décembre 2006

Les « guerres populaires »

« Lancers of the Plains of Apure, attacking Spanish troops », Museo Nacional de Colombia (Bogotá)

Bibliographie Clément Thibaud, Repúblicas en Armas (Los ejércitos bolivarianos en la guerra de Independencia en Colombia y Venezuela). Bogotá: Planeta/IFEA, 2003 [Aussi en francais] ______________, « Coupé têtes, brûlé cazes » (Peurs et désirs d'Haïti dans l'Amérique de Bolívar). Annales HSC, Año 58, II (Mars-Avril 2003). Laureano Vallenilla Lanz, Césarisme démocratique, Marius André (trad.). Paris : Exprinter, s. d. Juan Uslar Pietri, Historia de la rebelión popular de 1814, contribución al estudio de la historia de Venezuela. Paris : Ediciones Soberbia, 1954 Christon I. Archer (ed.), The Wars of Independence in Spanish America. Wilmington : SR Books, 2000 J.F. King, « A Royalist View of the Colored Castes in the Venezuelan War of Independence », The Hispanic American Historical Review, 33(4), 526-537 (Nov., 1953)

39/51

Document I Décret de la "guerre à mort",

15 juin

1813

Simon Bolivar, Brigadier de l'Union, Général en chef de l'Armée du Nord Libératrice du Venezuela. A ses concitoyens, Vénézuéliens, Une armée de frères, envoyée par le Congrès Souverain de la NouvelleGrenade, est venue nous libérer, et se trouve déjà au milieu de vous, après avoir expulsé les oppresseurs des provinces de Mérida et de Trujillo. On nous a envoyés détruire les Espagnols, protéger les Américains et rétablir les gouvernements républicains qui formaient la Confédération du Venezuela. Les Etats que protègent nos armes sont à nouveau régis par leurs anciennes constitutions et leurs anciens magistrats, et jouissent pleinement de leur liberté et de leur indépendance, parce que notre mission est uniquement destinée à rompre les chaînes de la servitude qui accablaient encore quelques-uns de nos pueblos, sans prétendre donner des lois ni exercer une quelconque forme de domination, ce à quoi nous autorisait pourtant le droit de la guerre. Touchés par vos infortunes, nous n'avons pas pu considérer avec indifférence les afflictions que vous faisaient expérimenter ces barbares espagnols, qui vous ont anéantis de leurs pillages et vous ont détruits jusqu'à la mort, qui ont violé le droit sacré des personnes, qui ont enfreint les capitulations et les traités les plus solennels, enfin ont commis tous les crimes, réduisant la République du Venezuela à la plus stupéfiante désolation. Ainsi donc, la justice exige la vengeance, et nous oblige à l'accomplir. Que les monstres qui l'infestent et l'ont couvert de sang disparaissent à jamais du sol colombien, que leur châtiment soit égal à l'énormité de leur perfidie, pour laver ainsi la tache de notre ignominie et monter aux nations de l'univers qu'on n'offense pas impunément les fils de l'Amérique. Malgré nos justes ressentiments contre ces Espagnols iniques, notre cœur magnanime daigne toutefois leur ouvrir, pour la dernière fois, une voie vers la conciliation et l'amitié. Ils sont invités à vivre encore parmi nous pacifiquement, si en abhorrant leurs crimes et en se convertissant de bonne foi, ils coopèrent avec nous à la destruction du gouvernement intrus de l'Espagne et au rétablissement de la République du Venezuela. Tout Espagnol qui ne conspirera pas contre la tyrannie et pour la juste cause de la manière la plus active et la efficace sera considéré comme un ennemi et châtié en tant que traître à la patrie; il sera en conséquence irrémédiablement passé par les armes. Au contraire, un pardon général et absolu sera concédé à ceux qui rejoindront notre armée avec ou sans leurs armes et à ceux qui apporteront leur aide aux bons citoyens qui s'efforcent de secouer le joug de la tyrannie. On maintiendra dans leurs emplois et situations les officiers de l'armée et les magistrats civils qui reconnaîtront le gouvernement du Venezuela et s'uniront à nous. En un mot, les Espagnols qui rendront des services notables à l'Etat seront réputés et traités comme des Américains. Et vous, Américains que l'erreur ou la perfidie a fait sortir du sentier de la justice, sachez que vos frères vous pardonnent et regrettent

40/51

sincèrement vos égarements, intimement persuadés que vous ne pouvez pas être coupables et que seuls la cécité et l'ignorance dans laquelle les (véritables) auteurs de vos crimes vous ont maintenus jusqu'à présent ont pu vous inciter (à les commettre). Ne craignez pas l'épée qui vient vous venger et couper les liens ignominieux avec lesquels vos bourreaux vous lient à leur sort. Comptez sur l'immunité absolue (accordée à) votre honneur, votre vie et de vos propriétés ; le seul titre d'Américains sera votre garantie et votre sauvegarde. Nos armes sont venues vous protéger, et ne seront jamais employées contre un seul de nos frères.

Document II La guerre au Mexique « Appel de l’évêque d'Oaxaca à prendre les armes (1811)”, en Historia Documentai de Mexico, Mexico, UNAM, Instituto de Investigaciones Históricas, 1964, p. 60-62. (...) Mes chers diocésains, je ne veux pas vous cacher le péril qu'encoure notre bien-aimée province d'Oaxaca si vous vous laissez aller à une sotte confiance et restez inactifs, sans vous réunir pour [assurer] votre propre défense et celle de vos foyers bien aimés. Notre petite armée à Chilapa a subi une considérable défaite, car nos péchés sont nombreux et Dieu, en justicier miséricordieux, nous réveille et nous met pieusement en garde en nous infligeant ce châtiment pour que nous nous amendions. Le rebelle Morelos et ses complices, enhardis par les minables succès qu'ils viennent de remporter, vont diriger leurs vues vers l'objet le plus à même de satisfaire leur convoitise, la mise à sac de cette cité et des principaux et riches villages de la Mixteca. Oui, mes chers diocésains, ces bandits rebelles vont venir à l'affût de vos biens, de vos objets de valeur, de vos grains, de vos récoltes et de tout ce qui se trouve dans vos maisons ; leur hardiesse n'épargnera pas les vases sacrés et les trésors des temples et des couvents et leur luxure brutale abusera, peut-être sous vos yeux, de vos femmes, de vos filles et de vos sœurs, répandant par les rues et les places votre propre sang et celui de vos parents et amis, si Dieu ne les arrête pas et si vous-même n'allez audevant d'eux avec courage, car nous ne méritons pas de n'être défendus que par des miracles. N'attendez pas qu'ils s'approchent de notre vallée, car le danger et les maux seraient alors beaucoup plus grands. Notre défense devra s'organiser sur les frontières de la province et dans les défilés de la Mixteca. Aux armes, donc, mes chers diocésains, autant que vous êtes capables de les manier, sans exception de classe ni d'état, car quand le danger est commun à tous, la défense doit l'être aussi. Si, comme vous devez le faire, vous tentez de vous défendre avec énergie, j'offre ma présence à vos côtés, pour autant que le permettront mes faibles forces et ma santé chancelante, afin de vous aider et vous galvaniser par ma parole et mes conseils. Je lèverai au moins mes mains tremblantes vers le ciel en implorant pardon pour mon peuple et en demandant au Dieu des armées la force de son bras et son secours nécessaire pour repousser le plus injuste ennemi et [remporter] une victoire totale, qui fasse éternellement honneur à nos armes. Pour ce faire, rendez-vous sans tarder à l'endroit où vous appellent notre gouvernement et nos chefs militaires, armés de la fidélité à Dieu, au Roi et à la patrie, confiant dans la justice de notre cause et dans la protection du Dieu des batailles, tous unis dans la charité la plus pure, afin que notre

41/51

force soit irrésistible. Vous tous Espagnols, américains et européens, honorables Indiens et castes (castas), écoutez et obéissez à votre prélat qui vous aime tous tendrement, croyez bien que l'intérêt de tous n'en forme qu'un seul et que notre juste cause est une. Nos personnes, nos vies et nos possessions courent toutes le même risque, car une armée de brigands comme celle de Morelos, ce traître sacrilège, ne se contente pas seulement des Européens et les traîtres qui le suivent (...) ne respectent ni ne font exception pour personne. [Au contraire], ils viennent tous nous sucer le sang et nous vider de notre substance, saccager le temple de la Très Sainte Vierge de la Soledad, notre si douée Mère, inonder de sang notre capitale, profaner notre sainte religion et mettre en toute chose la confusion, le désordre et l'anarchie. Ne vous mettez pas en tête (...) que chacun se défendra par luimême, car de même que vous arrachez facilement les crins de la queue d'un cheval [en les prenant] un par un, ce qui serait impossible [en les prenant] tous ensemble, de même l'infâme Morelos et n'importe quel ennemi plus faible que lui vaincra, mettra à genoux et pillera facilement vos villages un par un, si vous ne vous unissez pas pour la défense commune, [alors] que si vous êtes unis il ne pourra jamais vous vaincre. Aux armes, donc, mes bien-aimés diocésains, et ne vous étonnez pas de ce que votre évêque vous en persuade, car dans une affaire touchant à la religion comme celle-ci, nous devons tous être des soldats. A vous (...) mon vénérable Cabildo et ses distingués membres, premiers dans la hiérarchie et dans l'estime du public, il revient d'être les premiers à employer la parole et l'exemple sur un mode honorable et utile, que votre zèle et votre patriotisme bien connus vous inspireront. A vous, mes curés bien-aimés, fidèles adjoints du ministère sacré, il revient de guider vos fidèles, de veiller et d'empêcher que l'ennemi ne les trouble ni ne les séduise. A vous, vénérable clergé séculier et régulier, il revient de prêter votre concours de toutes vos forces et autant que possible à notre juste défense. Et à vous tous, mes chers diocésains, il revient de vous armer de courage, de force et de valeur pour [assurer] la défense de la religion catholique, du Roi et de la Patrie. Au sexe faible et dévot et aux autres personnes qui, à cause de circonstances personnelles, ne pourraient être utiles aux armes, ainsi qu'à vous, vierges innocentes, qui dans votre retraite sacrée souffrez doublement de la confusion et de l'incertitude des nouvelles et des événements, il revient d'apaiser la colère divine et d'adresser avec force vos prières et vos supplications au Dieu Tout-Puissant des miséricordes afin qu'il protège, qu'il défende et protège cette cité et toute la province contre les insurgés. Si nous agissons tous ainsi. Dieu protégera nos efforts et nos bonnes intentions et l'ange tutélaire de la Nouvelle Espagne, qui pour notre protection et notre gouvernement nous a apporté la Divine Providence en la personne du militaire valeureux et renommé, du politique confirmé et généreux, du Vice-Roi bienveillant, bénéfique et infatigable, l'Excelentissime Sr. Venegas, nous enverra en temps utile des secours en hommes et en armes grâce auxquels nous remporterons un triomphe. Fidélité et courage, mes chers diocésains, car comme le dit Saint Bernard, c'est dans les tourmentes et les difficultés que grandit l'âme de l'homme fort (varan fuerte). Fidélité, valeur, confiance et obéissance aveugle en Dieu, union et charité mutuelle entre vous, bien-aimés diocésains, et vous triompherez de nos cruels ennemis insurgés, vous serez mes fidèles et véritables fils, et je vous couvrirai de bénédictions comme votre père qui vous aime. Palais épiscopal d'Oaxaca, le 26 août 1811. Signé : Antonio [Bergoza y Jordân], Evêque de Antequera.

42/51

Session 11 : 18 décembre 2006

L’utopie républicaine de « l’hémisphère occidental »

José Martí (1891), n/d

José Espinoza Martí, “Bolívar” (1830), Emery College (Etats-Unis).

Bibliographie Paul Estrade, José Martí ou les fondements de la démocratie en Amérique latine. Paris : Editions Caraibéennes, 1987 Jean Lamore, José Marti, la guerre de Cuba et le destin de l'Amérique latine. Paris : Aubier, 1970 John Lynch, Bolivar: A life. New Haven: Yale University Press, 2006 Elías Pino Iturrieta, Nueva lectura de la Carta de Jamaica. Caracas: Monteávila, 1999 Germán Carrera Damas, « Simón Bolívar, el culto heroico y la nación », Hispanic American Historical Review, 1983, 63(1): 107145

43/51

Document I Lettre de la Jamaïque de Bolivar Simón Bolívar, « Lettre à un habitant de la Jamaïque » (Extrait), (Kingston, 1815), in Cahier de l'Heme, N°52, Bolïvar, Paris, 1983, pp.204-206. Certitude du triomphe de la cause De tout cet exposé, nous tirerons les conclusions que voici. Les provinces américaines luttent en ce moment pour leur émancipation, elles l'obtiendront à la fin. Quelques-unes constitueront normalement des républiques fédérales et centrales. Des royaumes s'établiront presque inévitablement dans les grands territoires, et certains d'entre eux seront si malheureux qu'ils tomberont d'eux-mêmes, soit au cours de la révolution actuelle, soit dans les troubles futurs. En effet, il ne sera pas facile de consolider un grand royaume, mais il sera impossible d'établir une grande république. C'est une idée grandiose que de prétendre faire de tout le Nouveau Monde une seule nation dont toutes les parties seraient liées. Puisque ses populations ont une même origine, une seule langue, une seule religion, les mêmes coutumes, elles devraient par suite n'avoir qu'un gouvernement qui fédérât les divers États constitués. Mais la chose n'est pas possible, car des cieux différents, des situations distinctes, des intérêts contraires, des caractères dissemblables divisent l'Amérique. Certes, il serait heureux que l'isthme de Panama devînt pour nous ce que fut celui de Corinthe pour les Grecs. Plaise à Dieu que quelque jour nous ayons la fortune d'y tenir un auguste congrès des représentants de nos républiques, royaumes et empires, pour traiter et discuter des hauts intérêts de la paix et de la guerre avec les nations des trois autres parties du monde ! Et pourquoi cet organisme ne tiendrait-il pas ses assises au temps heureux de notre génération? Mais non : c'est encore là un espoir sans fondement, semblable à celui de l'abbé de Saint-Pierre qui conçut la louable mais folle idée de réunir un congrès général qui décidât du sort et des intérêts des nations européennes. (...) C'est assurément l'union qui nous fait le plus défaut pour achever l'œuvre de notre régénération. Cependant, nos divisions ne sont point étonnantes, elles résultent de la guerre civile que se font d'ordinaire le parti des conservateurs et celui des progressistes. Le premier l'emporte en général par le nombre, car l'empire de l'habitude fait que l'on obéit aux pouvoirs établis. Mais les réformateurs, toujours moins nombreux, sont plus véhéments et plus éduqués. De la sorte, la masse est contrebalancée par la force morale, la lutte se prolonge et l'issue en demeure longtemps incertaine. Par bonheur, chez nous, les masses ont suivi l'intelligence. Je dis, moi aussi, que ce qui peut nous rendre capables de chasser les Espagnols et de fonder un Etat libre, c'est l'union, sûrement l'union. Mais cette union ne nous tombera pas du ciel par un prodige; elle ne peut être que le fruit d'une action efficace et d'efforts bien dirigés. L'Amérique est divisée parce qu'elle est isolée au milieu de l'univers, abandonnée par toutes les nations, sans relations diplomatiques, sans soutien militaire, en lutte contre l'Espagne qui possède un matériel de guerre plus important que celui que nous avons pu acquérir furtivement. Tant que les succès ne sont pas définitifs, tant que l'État demeure faible, les buts lointains, tous les hommes hésitent, leurs opinions sont divisées et l'ennemi excite les passions qui les agitent pour vaincre plus aisément.

44/51

Dès que nous serons forts, sous les auspices d'une nation libérale qui nous offre sa protection, on nous verra cultiver d'un commun accord les vertus et les talents qui mènent à la gloire. Nous entreprendrons alors notre marche majestueuse vers les grandes prospérités qui attendent l'Amérique du Sud. Et les sciences et les arts qui naquirent en Orient et illustrèrent l'Europe prendront alors leur envol vers la libre Colombie qui leur offrira asile. Telles sont, Monsieur, les pensées et les réflexions que j'ai l'honneur de vous soumettre, pour que vous les rectifiiez ou que vous les rejetiez selon leur mérite. Je vous supplie de croire que j'ai pris l'audace de vous les exposer pour ne pas être discourtois, plutôt que par présomption de vous éclairer en la matière. Veuillez agréer...

Document II Nôtre Amérique de Marti José Martí, « Nôtre Amérique » (1891), Jacques-François Bonaldi (trad.), in Obras Completas, t. 6, pp. 15-23 Le villageois vaniteux croit que le monde entier est son village, et, pourvu qu’il en reste le maire, ou qu’il mortifie le rival qui lui a chipé sa fiancée, ou que ses économies croissent dans sa cagnotte, il tient pour bon l’ordre universel, sans rien savoir des géants qui ont sept lieues à leurs bottes et peuvent lui mettre la botte dessus, ni de la mêlée dans le Ciel des comètes qui vont par les airs, endormies, engloutissant des mondes. Ce qu’il reste de village en Amérique doit s’éveiller. Notre époque n’est pas faite pour se coucher le foulard sur la tête, mais les armes en guise d’oreiller, à l’instar des vaillants de Juan de Castellanos : les armes du jugement, qui vainquent les autres. Tranchées d’idées valent mieux que tranchées de pierre. Nulle proue n’est capable de fendre un nuage d’idées. Une idée énergique, que l’on fait flamboyer à temps à la face du monde, stoppe, telle la bannière mystique du jugement dernier, une escadre de cuirassés. Les peuples qui ne se connaissent pas doivent se hâter de se connaître, tels ceux qui vont se battre côte à côte. Ceux qui se montrent les poings, tels des frères jaloux convoitant tous deux la même terre, ou celui à la petite maison enviant celui à la maison meilleure, doivent ajuster, de manière qu’elles ne fassent plus qu’une, leurs deux mains. Ceux qui, à l’abri d’une tradition criminelle[6], ont rapetissé, du sabre rougi du sang de leurs propres veines, la terre du frère vaincu, du frère puni au-delà de ses fautes, s’ils ne veulent pas que le peuple les appelle voleurs, qu’ils rendent ses terres au frère. Les dettes d’honneur, l’honnête homme ne se les fait pas rembourser comptant, à tant la gifle. Nous ne pouvons plus être ce peuple de feuilles qui vit au gré de l’air, la cime couverte de fleurs, claquant ou bourdonnant selon que le caprice de la lumière la caresse ou que les tempêtes la fouettent et la ravagent : les arbres doivent se mettre en rang pour que le géant aux sept lieues ne passe pas ! C’est l’heure du dénombrement et de la marche unie, et nous devons aller en carré serré, comme l’argent à la racine des Andes. Les avortons, il ne leur manquera jamais que le courage. Ceux qui n’ont pas foi en leur terre sont des avortons. Parce que le courage leur manque à eux, ils le nient aux autres. Ils ne peuvent atteindre l’arbre difficile de leur bras malingres, de leur bras aux ongles vernis et couverts de bracelets, de leur bras de Madrid ou de Paris, et ils disent qu’il n’y a pas moyen d’atteindre

45/51

l’arbre. Il faut charger les bateaux de ces insectes nuisibles, qui rongent jusqu’à l’os la patrie qui les nourrit. S’ils sont Parisiens ou Madrilènes, eh bien, qu’ils aillent au Prado faire les farauds, ou qu’ils aillent au Tortoni exhiber leur hauts-de-forme. Ces fils de menuisiers, qui ont honte que leur père soit menuisier ! Ces natifs d’Amérique, qui ont honte, parce qu’elle porte un tablier indien, de la mère qui les a élevés et renient, les gredins ! de leur mère malade et l’abandonnent seule sur la couche des maladies ! Ditesmoi, qui donc est l’homme : celui qui reste auprès de sa mère pour soigner sa maladie, ou celui qui la met au travail là où on ne la voit pas et vit à ses dépens sur les terres putrides, le ver en guise de cravate, maudissant le sein qui l’a porté, promenant l’écriteau de traître au dos de la casaque de papier ? Ces fils de notre Amérique - celle qui doit se sauver avec ses Indiens et va de moins à plus - ces déserteurs réclamant un fusil dans les armées de l’Amérique du Nord - celle qui noie ses Indiens dans le sang et va de plus à moins ! Ces freluquets, qui sont des hommes et ne veulent pas faire leur ouvrage d’hommes ! Dites-moi, le Washington qui leur a fait cette terre-ci, est-il allé par hasard vivre chez les Anglais, vivre chez les Anglais dans les années où il les voyait se ruer contre sa propre terre ? Ces « incroyables » de l’honneur, qui l’avalent sur les terres étrangères, tout comme les incroyables de la Révolution française, dansant et se pourléchant, avalaient les r ! Et puis, dans quelle patrie un homme peut-il ressentir plus d’orgueil que dans nos républiques douloureuses d’Amérique, érigées, au milieu des masses d’Indiens muettes, dans le fracas de la lutte entre le livre et le chandelier, par les bras ensanglantés d’une centaine d’apôtres ? Jamais, de facteurs si décomposés, on n’a vu se créer en moins de temps historique des nations si avancées et si compactes. L’orgueilleux croit que la terre a été faite pour lui servir de piédestal, parce qu’il a la plume facile ou le verbe haut en couleurs, et il taxe sa république natale d’incapable et d’irrémédiable, parce que ses forêts nouvelles ne lui procurent pas la façon d’aller sans cesse par le monde tel un cacique fameux, guidant des juments de Perse et faisant couler le champagne à flots. L’incapacité n’est pas le fait du pays naissant, qui demande des formes qui s’y accommodent et une grandeur utile, mais de ceux qui veulent régir des peuples originaux, à la composition singulière et violente, au moyen de lois héritées de quatre siècles de libre-pratique aux Etats-Unis, de dix-neuf siècles de monarchie en France. D’un décret d’Hamilton, on ne pare pas le coup de poitrail du cheval du llanero. D’une phrase de Sieyès, on ne fluidifie pas de nouveau le sang coagulé de la race indienne. Là où l’on gouverne, il faut tenir compte de ce qui est pour bien gouverner ; et le bon gouvernant en Amérique, ce n’est pas celui qui sait comme on gouverne l’Allemand ou le Français, mais celui qui sait de quels éléments son pays est fait et comment il peut les conduire ensemble pour parvenir, par des méthodes et des institutions nées du pays même, à cet état désirable où chaque homme se connaît et œuvre, et où tous jouissent de l’abondance que la Nature a mise au profit de tous dans le peuple qu’ils fécondent de leur travail et défendent de leurs vies. Le gouvernement doit naître du pays. L’esprit du gouvernement doit être celui du pays. La forme du gouvernement doit s’adapter à la constitution propre du pays. Le gouvernement n’est rien d’autre que l’équilibre des éléments naturels du pays. Aussi le livre importé a-t-il été vaincu en Amérique par l’homme naturel. Les hommes naturels ont vaincu les clercs artificiels. Le métis autochtone a vaincu le créole exotique. Il n’y a pas de bataille entre la civilisation et la barbarie, mais entre la fausse érudition et la nature. L’homme naturel est bon, et respecte et récompense l’intelligence supérieure tant que celle-ci ne

46/51

se prévaut pas de sa soumission pour le blesser, ou ne l’offense pas en se passant de lui, ce qui est là quelque chose que l’homme naturel ne pardonne pas, disposé comme il l’est à récupérer par la force le respect de celui qui le blesse dans sa susceptibilité ou porte préjudice à son intérêt. C’est du fait de cette conformité avec les éléments naturels dédaignés que les tyrans d’Amérique sont montés au pouvoir ; et ils sont tombés dès qu’ils les ont trahis. Les républiques ont purgé dans les tyrannies leur incapacité à connaître les éléments véritables du pays, à en dériver la forme de gouvernement et à gouverner avec eux. Gouvernant, dans un peuple nouveau, veut dire créateur. Chez des peuples composés d’éléments cultivés et incultes, ce sont les incultes qui gouverneront du fait de leur habitude d’attaquer et de régler les doutes de la main, là où les cultivés n’apprendraient pas l’art du gouvernement. La masse inculte est paresseuse et timide dans les choses de l’intelligence, et elle veut qu’on la gouverne bien ; mais si le gouvernement la blesse, alors elle s’en débarrasse et se met à gouverner, elle. Comment les gouvernants pourraient-ils sortir des universités alors qu’aucune université d’Amérique n’enseigne les rudiments de l’art du gouvernement, qui est l’analyse des éléments particuliers des peuples d’Amérique ? Les jeunes se lancent dans le monde à l’aveuglette, chaussés de lunettes yankees ou françaises, et aspirent à diriger un peuple qu’ils ne connaissent pas. Il faudrait interdire l’entrée dans la carrière de la politique à ceux qui ignorent les rudiments de la politique. Les prix des concours doivent être décernés non à la meilleure ode, mais à la meilleure étude des facteurs du pays où l’on vit. Du journal, de la chaire universitaire, de l’académie, il faut faire progresser l’étude des facteurs réels du pays. Il suffit de les connaître sans œillères ni détours, car celui qui écarte, par volonté ou oubli, une partie de la vérité finit par chuter à cause de la vérité qui lui a fait défaut, laquelle croît dans la négligence et renverse ce qui se dresse sans elle. Il est plus facile de résoudre le problème après en avoir connu les éléments que de résoudre le problème sans les connaître. L’homme naturel arrive, indigné et fort, et abat la justice accumulée des livres parce qu’on ne l’administre pas en fonction des besoins patents du pays. Connaître, c’est résoudre. Connaître le pays et le gouverner selon la connaissance, c’est la seule manière de lui éviter des tyrannies. L’université européenne doit céder devant l’université américaine. Il faut enseigner du bout des doigts l’histoire de l’Amérique, depuis les Incas jusqu’à nos jours, même si on n’enseigne pas celle des archontes de Grèce. Notre Grèce à nous est préférable à la Grèce qui n’est pas nôtre. Elle nous est plus nécessaire. Les hommes politiques nationaux doivent se substituer aux hommes politiques exotiques. Que l’on greffe le monde sur nos républiques, soit, mais le tronc doit être celui de nos républiques. Et que le cuistre vaincu se taise, car il n’est pas de patries où l’homme puisse avoir plus d’0rgueil que dans nos douloureuses républiques américaines. C’est les pieds sur le rosaire, la tête blanche et le corps bigarré d’Indien et de créole, que nous sommes venus, vaillants, au monde des nations. C’est en faisant ondoyer l’étendard de Notre-Dame que nous sommes partis à la conquête de la liberté. Un curé, quelques lieutenants et une femme érigent la république au Mexique sur les épaules des Indiens. Un chanoine espagnol, à l’ombre de son camail, instruit dans la liberté française quelques splendides bacheliers qui nomment comme chef d’Amérique centrale, contre l’Espagne, le général d’Espagne. C’est avec les habits monarchiques et le Soleil à la poitrine que les Vénézuéliens au Nord et les Argentins au Sud entreprirent de soulever des peuples. Quand les deux héros se heurtèrent et que le

47/51

continent allait trembler, l’un, qui ne fut pas le moins grand, tourna bride. Et comme l’héroïsme en temps de paix est plus rare, parce que moins glorieux, que celui de la guerre ; comme il est plus facile à l’homme de mourir au champ d’honneur que de penser en bon ordre ; comme gouverner en partant de sentiments exaltés et unanimes est plus faisable que diriger, le combat terminé, les pensées diverses, arrogantes, exotiques ou ambitieuses ; comme les pouvoirs renversés sous l’assaut épique sapaient, avec la prudence féline de l’espèce et forts du poids du réel, l’édifice où l’on avait hissé, dans les contrées frustes et singulières de notre Amérique métisse, chez les peuples aux jambes nues et à la casaque parisienne, le drapeau des peuples nourris de sève gouvernante dans l’exercice continuel de la raison et de la liberté ; comme la constitution hiérarchique des colonies résistait à l’organisation démocratique de la République, ou que les capitales à lavallière laissaient moisir dans l’antichambre les campagnes aux bottes de cuir écru[38], ou que les rédempteurs bibliogènes ne comprirent pas que la révolution, qui triompha grâce à l’âme de la terre affranchie à la voix du sauveur, devait gouverner avec l’âme de la terre, et non contre elle ni sans elle, l’Amérique se mit à souffrir, et elle en souffre toujours, de l’accommodement laborieux entre les éléments discordants et hostiles qu’elle hérita d’un colonisateur despotique et rusé, et les idées et les formes importées qui sont allées retardant, faute de réalité locale, le gouvernement logique. Le continent écartelé trois siècles durant par un pouvoir qui niait à l’homme le droit à l’exercice de sa raison, se dota, sans faire attention ou prêter l’oreille aux ignorants qui l’avaient aidé à se racheter, d’un gouvernement qui avait la raison pour assise, la raison de tous dans les choses relevant de tous, et non la raison universitaire des uns s’imposant à la raison campagnarde des autres. Le problème de l’indépendance n’était pas le changement de formes, mais le changement d’esprit. Il aurait fallu faire cause commune avec les opprimés pour consolider le système opposé aux intérêts et aux habitudes autoritaires des oppresseurs. Le tigre, épouvanté par l’éclair du coup de feu, revient la nuit vers sa proie. Il meurt, jetant des flammes par les yeux, les griffes battant les airs. On ne l’entend pas arriver, car il s’approche avec des griffes de velours. Quand la proie se réveille, elle a déjà le tigre sur le dos. La colonie continua de vivre en pleine république, et si notre Amérique est en train de se sauver de ses graves errements - superbe des capitales, triomphe aveugle des paysans dédaignés, importation excessive des idées et des formules étrangères, dédain inique et non politique de la race aborigène - c’est bien grâce à la vertu supérieure, fertilisée par le sang nécessaire, de la république qui lutte contre la colonie. Le tigre attend, derrière chaque arbre, aux aguets à chaque coin. Il mourra, les griffes battant les airs, jetant des flammes par les yeux. Mais « ces pays se sauveront », comme l’annonça Rivadavia l’Argentin, celui qui pécha par finesse à une époque rude ; un fourreau de soie ne convient pas à la machette, pas plus que dans le pays conquis à coups de lance, on ne peut mettre le lancier sur la touche, car il se fâche alors et gagne les portes du Congrès d’Iturbide « pour que le blond soit couronné empereur ». Ces pays se sauveront parce que, grâce au génie de la modération qui semble régner, du fait de l’harmonie sereine de la Nature, sur le continent de la lumière et à l’influence de la lecture critique qui a succédé en Europe à la lecture de tâtonnement et de phalanstère dont s’était imbue la génération antérieure, l’Amérique est en train de donner le jour, en ces temps réels, à l’homme réel. Nous étions une chimère : torse d’athlète, mains de dandy et front d’enfant. Nous étions un déguisement : culottes d’Angleterre, pourpoint parisien,

48/51

veston d’Amérique du Nord et béret espagnol. L’Indien, muet, nous tournait autour et gagnait la montagne, le sommet de la montagne, pour baptiser ses enfants. Le Noir, guetté, chantait la nuit la musique de son cœur, seul et méconnu, entre les vagues et les fauves. Le paysan, le créateur, se retournait, aveuglé d’indignation, contre la ville dédaigneuse, contre sa créature. Nous étions épaulettes et toges, dans des pays qui venaient au monde l’espadrille au pied et le bandeau au front. Le génie eût de faire fraterniser, avec la charité du cœur et l’audace des fondateurs, le bandeau et la toge ; de remettre l’Indien en branle ; de faire de l’espace suffisant au Noir ; d’ajuster la liberté au corps de ceux qui se soulevèrent et vainquirent pour elle. Il nous est resté l’auditeur, et le général, et le clerc, et le prébendier. La jeunesse angélique, comme si elle s’arrachait d’entre les bras d’une pieuvre, haussait au Ciel, mais pour retomber dans une gloire stérile, sa tête couronnée de nuées. Le peuple naturel, avec la fougue de l’instinct, renversait, dans l’aveuglement du triomphe, les sceptres d’or. Ni le livre européen ni le livre yankee ne donnait la clef de l’énigme hispanoaméricaine. On essaya la haine, et les pays ne cessaient de déchoir au fil des ans. Las de la haine inutile, de la résistance du livre à la lance, de la raison au chandelier, de la ville à la campagne, du règne impossible des castes urbaines divisées sur la nation naturelle, tempétueuse ou inerte, on en arriva, comme sans le savoir, à essayer l’amour. Les peuples se mettent debout et se saluent : « Comment sommes-nous ? », se demandent-ils, et ils vont se disant les uns aux autres comment ils sont. Quand un problème surgit à Cojímar, ils ne vont pas chercher la solution à Dantzig. Les redingotes sont encore de France, mais la pensée commence à être d’Amérique. Les jeunes d’Amérique retroussent leurs manches de chemise, mettent la main à la pâte et la font monter du levain de leur sueur. Ils comprennent qu’on imite trop, et que le salut est de créer. Créer est le mot de passe de cette génération. Le vin, de banane ; et s’il est aigre, c’est du moins notre vin ! On comprend que les formes de gouvernement d’un pays doivent s’adapter à ses éléments naturels ; que les idées absolues, pour ne pas chuter par vice de forme, doivent se glisser dans des formes relatives ; que la liberté, pour être viable, doit être sincère et pleine ; que si la république n’ouvre pas ses bras à tous et ne progresse pas par tous, la république meurt. Le tigre du dedans se faufile par la brèche, et le tigre du dehors. Le général assujettit la cavalerie dans sa marche au pas des fantassins. Qu’il laisse les fantassins à l’arrière-garde, l’ennemi lui encercle sa cavalerie. La politique est stratégie. Les peuples doivent vivre en se critiquant, parce que la critique est la santé, mais d’une seule poitrine et d’un seul esprit. Descendre jusqu’aux malheureux et les soulever dans ses bras ! Du feu du cœur, dégeler l’Amérique coagulée ! Faire couler dans les veines, bouillonnant et rebondissant, le sang naturel du pays ! Debout, des yeux allègres des travailleurs, les hommes nouveaux américains se saluent les uns les autres. Les hommes d’État naturels naissent de l’étude directe de la Nature. Ils lisent pour appliquer, non pour copier. Les économistes étudient la difficulté à ses sources. Les orateurs commencent à être sobres. Les dramaturges portent à la scène les personnages natifs. Les académies discutent de questions viables. La poésie se coupe sa crinière zorrillesque et pend le gilet écarlate[49] à l’arbre glorieux. La prose, scintillante et tamisée, se charge d’idées. Les gouverneurs, dans les républiques d’Indiens, apprennent l’indien. De tous ses dangers, l’Amérique est en train de se sauver. La pieuvre est endormie sur certaines républiques. Telles autres, du fait de la loi de l’équilibre, se lancent à pied sur la mer pour rattraper, avec une hâte folle et

49/51

sublime, les siècles perdus. Telles autres, oubliant que Juárez se déplaçait dans un attelage de mules, prennent un coche de vent et en guise de cocher une bulle de savon ; le luxe vénéneux, ennemi de la liberté, pourrit l’homme léger et ouvre la porte à l’étranger. Telles autres trempent, dans l’esprit épique de l’indépendance menacée, leur caractère viril. Telles autres incubent, dans la guerre rapace contre leur voisin, la soldatesque qui peut les dévorer. Mais notre Amérique court peut-être un autre danger, qui ne provient pas d’elle-même, mais de la différence d’origines, de méthodes et d’intérêts entre les deux facteurs continentaux, et c’est l’heure proche où un peuple entreprenant et en plein essor, qui la méconnaît et la dédaigne, s’approchera d’elle, lui demandant des relations intimes. Et comme les peuples virils, qui se sont faits d’eux-mêmes à force de carabines et de lois, aiment les peuples virils et n’aiment qu’eux ; comme l’heure du déchaînement et de l’ambition, dont l’Amérique du Nord se délivrera peutêtre du fait de la primauté du plus pur de son sang, ou bien alors où pourraient la lancer ses masses vindicatives et sordides, la tradition de conquête et l’intérêt d’un caudillo habile, n’est pas encore si proche, même aux yeux du plus ombrageux, qu’elle ne laisse le temps de faire preuve de la fierté, continuelle et discrète, par laquelle on pourrait lui faire face et la détourner ; comme sa dignité de république met à l’Amérique du Nord, face aux peuples attentifs de l’univers, un frein que la provocation puérile ou l’arrogance ostentatoire ou la discorde parricide de notre Amérique n’aura pas à lui ôter, le devoir urgent de notre Amérique est de se montrer telle qu’elle est, une dans l’âme et dans la tentative, vainqueur rapide d’un passé suffoquant, uniquement souillée du sang de l’engrais que la bataille contre les ruines arrache aux mains et de celui des veines que nos maîtres nous ont laissées tailladées. Le dédain du voisin formidable qui ne la connaît pas est le plus grand danger que court notre Amérique ; et il est urgent, parce que le jour de la visite est proche, que le voisin la connaisse, la connaisse vite pour qu’il ne la dédaigne pas. La convoitise risquerait peut-être de s’y infiltrer par convoitise. Par respect, après l’avoir connue, elle en ôterait les mains. Il faut avoir foi dans le meilleur de l’homme et se méfier du pire. Il faut donner l’occasion au meilleur, afin qu’il se révèle et prime sur le pire. Sinon, le pire primera. Les peuples doivent avoir un pilori pour quiconque les excite à des haines inutiles, et un autre pour quiconque ne leur dit pas la vérité à temps. Il n’y a pas de haines de races, parce qu’il n’y a pas de races. Les penseurs chétifs, les penseurs de lampes de chevet, tissent et réchauffent les races de bibliothèques que le voyageur juste et l’observateur cordial cherchent en vain dans la justice de la Nature où prévaut, dans l’amour victorieux et l’appétit turbulent, l’identité universelle de l’homme. L’âme émane, égale et éternelle, des corps divers en formes et en couleurs. Il pèche contre l’Humanité quiconque fomente et propage l’opposition et la haine des races[51]. Mais, dans l’entremêlement des peuples, on voit se condenser, dans la proximité d’autres peuples divers, des caractères particuliers et actifs, d’idées et de coutumes, d’élargissement et d’acquisition, de vanité et d’avarice qui, compte tenu de l’état latent de préoccupations nationales, pourraient, à une période de désordre interne ou de précipitation du caractère accumulé du pays, se troquer en menace grave pour les terres voisines, isolées et faibles, que le pays fort déclare périssables et inférieures. Penser, c’est servir. Il n’y a pas de lieu de présumer, par antipathie de village, une méchanceté innée et fatale au peuple blond du continent, parce qu’il ne parle pas notre langue ni ne voit la maison comme nous la voyons, nous autres, ni ne nous ressemble dans ses tares politiques qui sont

50/51

différentes des nôtres, ni ne professe une grande estime aux hommes bilieux et basanés, ni ne regarde charitablement, du haut de son éminence encore mal assurée, ceux qui, moins favorisés par l’Histoire, grimpent par tronçons héroïques la voie des républiques ; pas plus qu’il n’y a lieu d’occulter les données patentes du problème qui peut se régler, pour la paix des siècles, par l’étude opportune et l’union tacite et urgente de l’âme continentale. Car l’hymne unanime sonne déjà ; la génération réelle porte sur les épaules, sur le chemin fertilisé par les pères sublimes, l’Amérique travailleuse ; du Bravo au détroit de Magellan, assis sur le dos du condor, le Grand Semí a semé, à travers les nations romantiques du continent et les îles douloureuses de la mer, la semence de l’Amérique nouvelle !

51/51

Related Documents

Programme Du Cours Mlv
November 2019 30
Les Cours Du Soir
October 2019 37
Reglement Du Cours
August 2019 35
1-plan Du Cours
June 2020 21