Conférence N°4

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Mardi 10 novembre 2009 Conférence n°4 : La capacité juridique Etendue de la capacité juridique Remèdes à l’incapacité

Chapitre Premier : Notions générales à propos des incapacités 1. Le Code civil traite des incapacités dans le livre consacré aux personnes. Il y est réglementé les principales institutions qui sont en rapport avec les incapacités : autorité parentale, tutelle, protection des majeurs etc. A partir de là, la doctrine a pu construire un droit des incapacités. La matière des incapacités n'est plus aujourd'hui seulement contenue dans le Code civil. Elle a des prolongements dans ce que l'on appelle le droit sanitaire et social lui-même imprégné de droit public. En droit civil, le droit des incapacités a des contacts avec le droit des biens, et avec le droit des obligations. C'est toutefois avec le droit de la famille et avec celui des personnes qu'il a ses rapports les plus fondamentaux. Il touche au droit de la famille parce que c'est dans le groupe familial que l'on cherche le lus souvent les organismes de protection de l'incapable (administrateur légal, tuteur, conseil de famille etc.), et que l'incapacité, dans certains de ses aspects, peut avoir pour objet d'assurer une discipline familiale, de prévenir des désordres à l'intérieur du groupe. 2. Mais avec la prédominance actuelle de l'individualisme, c'est au droit des personnes qu'il convient de rattacher les incapacités. Outre que les incapables n'ont pas tous une famille, dans l'incapacité c'est la personne qui est frappée de plein fouet : sa personnalité est diminuée. Dans le droit des incapacités reviennent constamment des notions et des distinctions dont il est utile de connaître précisément le contenu, et qui forment une sorte de théorie générale de l'incapacité. SECTION 1: LES DIFFERENTES FORMES D'INCAPACITES L'incapacité est une notion large, recouvrant plusieurs situations.

§1. Incapacités de jouissance et incapacités d'exercice 3. L'incapacité de jouissance est l'inaptitude à être sujet de droit et d'obligations, à acquérir des droits et à en jouir, alors que l'incapacité d'exercice est simplement une aptitude à faire valoir un droit supposé acquis par le sujet. L'incapacité de jouissance contient virtuellement l'incapacité d'exercice correspondante, mais l'inverse n'est pas vrai, et il est fréquent que l'on ait la jouissance d'un droit, sans être capable de l'exercer. 4. L'incapacité de jouissance est irrémédiable, tandis que l'incapacité d'exercice comporte des remèdes : l'acte interdit à l’individu atteint d'une incapacité d'exercice pourra être accompli pour son compte par son représentant, alors que l'acte interdit à l'individu frappé d'incapacité de jouissance ne pourra être accompli d'aucune manière. L'incapacité d'exercice peut être générale ou spéciale.

Les incapacités de jouissance sont très rares dans le droit moderne : on cite la double incapacité de disposer et de recevoir à titre gratuit (par donation ou testament) qui frappe les condamnés à des peines afflictives perpétuelles (ex : réclusion criminelle à perpétuité). On peut citer certains aspects de l'incapacité des mineurs. Le mineur de moins de 16 ans ne peut pas faire de testament (art. 904 du Code civil). Le mineur, quel que soit son âge, ne peut pas faire de donation (art. 903 du Code civil). Or, le tuteur ne pourra pas faire de testament pour lui ni de donation : il y a là une véritable incapacité de jouissance.

§2. Incapacités de suspicion et incapacités de protection 5. Le type de l'incapacité de suspicion (ou de défiance) est représenté par l'interdiction légale qui frappe tous les individus condamnés à la réclusion* ou à la détention* criminelle. Il s'agit là d'une véritable peine, destinée à empêcher que le condamné ne se serve de ses biens pour tourner la peine principale à laquelle il est condamné. Cette incapacité repose donc sur une suspicion à l'égard de l'incapable, et non pas sur une idée de protection. Au contraire, le Code civil plaçait en 1804 le fou en état d'incapacité judiciaire 1 afin de protéger son patrimoine. On voit donc qu'une même institution peut servir des finalités différentes : sanction d'une part, protection de l'autre. La différence de finalité se reflète en pratique dans la sanction de l'incapacité. Les actes faits par un interdit légal au mépris de son incapacité sont nuls de nullité absolue, qui est une nullité d'ordre public. En revanche, les actes faits par un interdit judiciaire étaient nuls de nullité relative, nullité de protection, comme c'est le cas aujourd'hui pour les actes d'un majeur en curatelle.

§ 3. Incapacités spéciales et incapacités générales 6. L'article 1124 du Code civil dispose que : "Sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : Les mineurs non émancipés, Les majeurs protégés au sens de l'article 488 du présent code" 7. Il semble donc qu'il fasse allusion à cette distinction. Il est des hypothèses claires d'incapacité spéciale, limités à un type d'actes : par exemple une personne peut être déclarée incapable de recevoir une donation (art. 909 pour les médecins, personnels soignants et religieux) ou d'acheter un bien à une autre personne , l'article 1125-1 du Code civil dispose en effet que : "Sauf déclaration de justice, il est interdit, à peine de nullité, à quiconque exerce une fonction ou occupe un emploi dans un établissement hébergeant des personnes âgées ou dispensant des soins psychiatriques de se rendre acquéreur d'un bien ou cessionnaire d'un droit appartenant à une personne admise dans l'établissement, non plus que de prendre à bail le logement occupé par cette personne avant son admission dans l'établissement. Pour l'application du présent article, sont réputées personnes interposées, le conjoint, les ascendants, ou descendants des personnes auxquelles s'appliquent les interdictions ci-dessus énoncées".

1

système remplacé en 1968 par l'actuel système des tutelles

8. Il existe également des interdictions plus ciblées (par exemple l'interdiction bancaire). Mais ailleurs, on constate que la différence n'est que de degré. Même l'incapacité qui semble avoir le caractère de généralité le plus parfait (l'incapacité de l'aliéné) comporte en réalité des exceptions : l'incapable peut faire certains actes personnels dans ses intervalles lucides (arg. art . 506 ).

SECTION 2. LES INCAPACITES DE PROTECTION 9. Le caractère de protection, reconnu aux incapacités, se manifeste dans la nature de la sanction qui atteint les actes irrégulièrement accomplis, comme dans l'existence de remèdes destinés à permettre qu'il soit tout de même pourvu aux intérêts de l'incapable.

§1. Sanction de l'incapacité 10. L'incapacité étant instituée pour la protection de l'incapable, l'acte juridique accompli par celui-ci en violation de son incapacité est atteint d'une nullité de protection, c’est-à-dire d'une nullité relative. La nullité relative présente plusieurs caractères : 1° Elle ne peut être invoquée que par l'incapable (lorsque son incapacité a cessé) ou par les personnes chargées de le représenter (durant son incapacité) ou par ses héritiers (après sa mort). Au contraire, le cocontractant qui est en faute d'avoir contracté avec un incapable ne peut invoquer l'incapacité pour obtenir l'annulation de l'acte. 2° L'acte juridique accompli par l'incapable pourra être confirmé par lui expressément, une fois que son incapacité aura cessé (art. 1311 et 1338 du Code civil). Il pourra même à ce moment, confirmer l'acte que le représentant qui lui a été donné a accompli, au delà de ses pouvoirs. La confirmation qui aurait eu lieu pendant la période d'incapacité serait sans effet. 3° L'action en nullité ouverte contre l'acte accompli par l'incapable s’éteint par une prescription particulière de cinq ans à compter du jour où l'incapacité a cessé, ou du jour du décès de l'incapable (art. 1304 du Code civil). 11. L'annulation de l'acte accompli par l'incapable doit alors être prononcée en justice. Parfois, pour le mineur, ou le majeur sous sauvegarde de justice ou en curatelle, la sanction est différente. Il n'y a pas d'annulation du contrat mais une rescision pour lésion. Il faut alors prouver que l'acte passé a causé une lésion, c'est-à-dire un préjudice pécuniaire (le mineur a vendu un bien à un prix dérisoire, ou a acquis un bien à un prix beaucoup trop élevé). Lorsque la nullité est prononcée, l'acte est rétroactivement anéanti. Si l'acte est un contrat, dont les prestations ont été exécutées, il y aura lieu à restitutions réciproques. Mais la loi considère que l'incapable, en raison de son inexpérience, a pu dissiper la prestation qu'il a reçue, et que le cocontractant est fautif d'avoir choisi un tel partenaire, l'article 1312 du Code civil dispose que l'incapable est dispensé de restituer ce qu'il a reçu en vertu d'un contrat annulé, sauf dans la mesure de l’enrichissement qu'il a pu conserver.

§ 2. Les remèdes à l'incapacité

12. On range les incapacités en deux groupes. Les plus profondes ont pour remède spécifique la représentation. L'incapable ne figure plus en personne sur la scène juridique : il n'émet pas lui-même la volonté qui formera le contrat. Il ne signera pas l'acte. Sa personnalité s'efface, la loi lui impose un représentant (représentant légal) qui va agir en son nom et pour son compte. Telle est la situation du mineur non émancipé et du majeur en tutelle. Des incapacités moins graves ont pour remède une simple assistance : l'incapable reste à la tête de ses affaires, mais la loi lui impose seulement d'avoir à ses côtés une personne de bon conseil qui interviendra pour compléter sa capacité imparfaite. La volonté personnelle étant nécessaire à la formation de l'ace juridique, l'incapable est appelé à le signer et donc à l'approuver. SECTION 3 LA DISTINCTION ENTRE L'ACTE CONSERVATOIRE, L'ACTE D'ADMINISTRATION ET L'ACTE DE DISPOSITION 13. Un incapable, quel qu'il soit, peut toujours faire un acte conservatoire, car il s'agit d'un acte qui tend simplement à empêcher un bien de sortir de son patrimoine. C'est, en outre, un acte nécessaire et urgent. L’exemple le plus classique est celui de l'inscription d'une hypothèque garantissant la créance d'un mineur et sur le point de se périmer, ce qui peut entraîner une perte pour le patrimoine de l'incapable (art. 2154-1 du Code civil). Faire renouveler une inscription avant l'expiration du délai est un acte conservatoire. Un acte de disposition est un acte par lequel un droit réel* est transféré : la vente, la donation, sont des actes de disposition. Entre l'acte conservatoire et l'acte de disposition, on trouve l'acte d'administration qui est un acte de mise en valeur, , d'exploitation normale du patrimoine (par exemple la location d'un bien appartenant au mineur). Pour conclure, notons que l'incapacité se traduit toujours par une certaine limitation de la personnalité. Elle a toujours un caractère exceptionnel, et ce, même à l'époque (1804-1938) iù les incapables formaient la majorité de la population, puisqu'ils comprenaient les mineurs et les femmes mariées. 14. L'article 1123 du Code civil exprime à ce propos un principe de portée générale : "Toute personne peut contracter, si elle n'en est pas déclarée incapable par la loi", c'est-à-dire que la capacité est la règle, et l'incapacité l'exception. Ce texte porte en lui les valeurs de liberté et d'égalité civile. Il a pour conséquence qu'il ne peut exister d'incapacité qu'en vertu de la loi. On distingue aujourd'hui deux grands types d'incapacité : l'incapacité des mineurs et celle des majeurs protégés.

Chapitre 2 La réforme du droit des incapacité du 5 mars 2007 15. Les lois de 1964 sur la tutelle des mineurs et celle de 1968 sur la tutelle des majeurs ont vieilli et les difficultés de leur mise en œuvre ont été soulignées (Section 1.) Le législateur a donc modifié le système de protection des majeurs et des mineurs (Section 2.).

Section 1. Insuffisances constatées du droit des incapacités

16. La croissance du nombre des personnes placées sous tutelle s’explique en grande partie par l’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement corrélatif de la population. Audelà de ce phénomène démographique, les mesures de tutelle et de curatelle ont été utilisées comme une facilité permettant de traiter les situations des personnes confrontées à de graves difficultés d’existence résultant d’épisodes dépressifs ou de simple accident de la vie : perte d’emploi, perte de logement, séparation familiale, surendettement, détresse sociale notamment. Tout en conservant leur pertinence et leur originalité, force est de constater que les trois grands principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité fondateurs de la loi de 1968 ne sont plus strictement respectés. 17. Le juge doit constater que l’altération des facultés mentales ou corporelles rend nécessaire soit la représentation continue du majeur qui ne peut exprimer sa volonté (tutelle), soit son assistance s’il a besoin d’être simplement conseillé et contrôlé dans les actes de la vie civile (curatelle). Si le critère légal de l’altération des facultés mentales ou corporelles de la personne demeure le fondement premier de l’ouverture des régimes de protection, d’autres considérations entrent également en jeu dans la décision des juges. Elles tiennent essentiellement à la situation sociale de l’intéressé, d’où l’utilisation parfois abusive de mesures civiles de protection palliant de fait les insuffisances du dispositif d’action sociale. Le principe de subsidiarité 18. Cette mesure de protection doit également être subsidiaire à toute autre décision qui pourrait être prise dans l’intérêt du majeur et qui ne conduirait pas à le priver de l’exercice de ses droits. Par ailleurs, la mesure de protection doit être confiée, en priorité, à un membre de la famille des intéressés. Toutefois, ce principe ne s’applique plus aussi strictement. Les tutelles confiées à des tiers sont en nette augmentation depuis quelques années, et tendent à supplanter les tutelles familiales. Les motifs invoqués par les juges pour écarter la famille et faire appel à des tiers sont divers, soit que la famille existe mais elle est introuvable, soit que le fonctionnement de la cellule familiale est insatisfaisant pour diverses raisons (conflit familial, nocivité présumée de l’environnement familial ; refus d’exercice de la mesure par la famille…).

Le principe de proportionnalité

19. La mesure de protection envisagée doit traduire une réponse juridique souple et appropriée aux différents degrés d’incapacité et à la variété des situations. Elle doit permettre une préservation maximale de la capacité. Ce principe de proportionnalité est aussi mis à mal. Le Conseil économique et social constate, de manière générale, que l’expression de la volonté des personnes majeures et la révision effective des mesures sont très insuffisamment mises en œuvre. Ces constats ont été faits par de nombreux rapports officiels : - le rapport de la triple inspection (Inspection des finances, des Affaires sociales et de la Chancellerie 1998) ; - les travaux de la commission Favard (2000) ; - les recommandations de la Cour des comptes (2003) ; - les deux groupes de travail pilotés par la DGAS (2003) ; - le rapport du Médiateur de la République (2005). - le rapport du Conseil économique et social (2006) Ces nombreux rapports ont conduit les pouvoirs publics à engager une démarche de concertation en vue d’une réforme annoncée à plusieurs reprises mais toujours différée. Tous ces travaux soulignaient les insuffisances du dispositif actuel, et proposaient des améliorations. Le CES en 2006, présentait de façon synthétique les objectifs de la réforme : 1. cibler la population nécessitant réellement une protection juridique : - en délimitant plus strictement le champ des mesures de protection - en mettant en place dans les départements des dispositifs alternatifs pour les personnes ayant besoin d’un accompagnement social et budgétaire 2. renforcer les droits de la personne : - obligation d’audition de la personne à protéger avec l’assistance possible d’un avocat - recherche du consentement de la personne - réexamen périodique des mesures - préservation des droits strictement personnels - prévention des risques de conflit d’intérêt

3. adapter le dispositif aux exigences actuelles - réorganiser le secteur tutélaire - rénovation du mode de financement - création d’un mandat de protection future

Sous 2. Les modifications apportées par la réforme2

2 Cette dernière partie du cours reprend et résume un article de M. T. Fossier, lecture de la loi du 5 mars 2007, JCP éd. G. n° 11, 14 Mars 2007, I 118 »

« La réforme de la protection des majeurs

- Guide de

20. En 2007, le législateur a modifié 137 articles du Code civil, et créé 38 articles du Code de l'action sociale et des familles créés. Le législateur a donc pris le parti de créer un corps de règles communes à tous les incapables. « Il fallait d'abord donner de la sécurité aux majeurs, c'est-à-dire en premier lieu organiser la protection de leur personne, laissée jusqu'à présent au hasard, aux caprices des juges, des médecins, des familles, en somme aux rapports de force ; en deuxième lieu moderniser la gestion patrimoniale, en la facilitant, en améliorant pourtant les contrôles et l'indemnisation des dommages et en adaptant la gestion au patrimoine et au commerce juridique contemporains ; en troisième lieu, redonner un peu de vigueur aux théories de la représentation, de l'assistance et des nullités. Il fallait ensuite ne plus faire de la tutelle ou de la curatelle, notamment extra-familiale, une facilité : à cette fin, mieux utiliser la sauvegarde, susciter le mandat de protection future, renforcer le recours aux familles, imposer davantage de précautions procédurales aux juges, limiter les incapacités dans le temps, faire jouer à l'administration départementale un rôle de prévention des difficultés du majeur. Il fallait enfin rééquilibrer le statut respectif des tuteurs ou curateurs familiaux et des tuteurs ou curateurs non familiaux, ces derniers étant désormais fondus en une seule corporation, subventionnée naturellement par le contribuable ou l'assuré social, selon les cas. » 3 §1. La tutelle des mineurs 21. La loi nouvelle n’affecte pas l'administration ad hoc, les administrations légales, qu’il s’agisse de l’administration légale pure et simple ou placée sous contrôle judiciaire. En revanche, la tutelle des mineurs connaît une profonde évolution. Si les causes de la tutelle du mineur demeurent inchangées (art. 390 à 392 du Code civil), les autres règles ont été restructurées. L’intérêt de l’enfant est désormais le critère essentiel retenu pour la composition du conseil de famille. La tutelle légale des ascendants est supprimée et la tutelle ne passe plus automatiquement du tuteur décédé à son conjoint. §2. Les dispositions indépendantes des mesures de protection 22. Les anciens articles 489 à 489-2 du Code civil sont remplacés par les articles 414-1 à 4143. L’article 414-1, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009, dispose que : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à eux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte » L’article 414-2, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009, dispose que : « De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé. Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans 3 T. Fossier, La réforme de la protection des majeurs - Guide de lecture de la loi du 5 mars 2007, JCP éd. G. n° 11, 14 Mars 2007, I 118

les cas suivants : 1º Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ; 2º S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ; 3º Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future. L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304 ».

Enfin, l’article 414-3, dispose que : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation. »

§ 3. Les différents régimes de protection Les principes directeurs 1. Les droits fondamentaux de la personne protégée 23. Les articles 415, 419 et 420 remplacent les anciens articles 427, 488 al. 2 et 490 al. 1 et 2. L’article 415 prévoit que : « Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre. Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci. Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »

On notera la mention expresse du respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. 2. La responsabilité des organes de protection 24. Les organes de protection de majeurs voient, dans la réforme de 2007, leur régime de responsabilité alourdi (art. 416, 417, 421 à 424 du Code civil). Toutes les formes de mesure de protection sont susceptibles d’entraîner la mise en œuvre de la responsabilité de leurs organes. L’article 421 prévoit que chaque organe de la tutelle est responsable du dommage causé par une faute quelconque. Ainsi, la responsabilité du magistrat ou celle du parquet pourra être engagée en cas de faute dans l’organisation et le fonctionnement de la mesure de protection. Pour le tuteur, on substitue à l’obligation ancienne de gestion en bon père de famille celle de soins prudents, diligents et avisés ( art. 496 du Code civil). Pour le curateur, la responsabilité

sera retenue en cas de faute lourde ou de dol, car le curateur n’est pas celui qui passe l’acte, il ne fait que l’autoriser. 3. Les caractères de la mesure 25. Les principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité étaient affirmés en jurisprudence. Ils sont également appliqués de façon très ferme dans cette réforme. La nécessité de la mesure doit être médicalement établie (art. 425 et 440 du Code civil). La curatelle pour prodigalité, intempérance ou oisiveté disparaît de notre droit. Toutes les requêtes, même celles émanant du Procureur de la République devront être accompagnées d’un certificat médical émanant d’un médecin agréé (art. 431 du Code civil). La subsidiarité de la mesure signifie que les juges ne devront prononcer une mesure de protection juridique que lorsque des dispositifs juridiques moins contraignants ne pourront pas être mis en œuvre. Tel sera par exemple le cas lorsque l’intéressé aura déjà organisé lui-même sa protection au moyen d’un mandant de protection future (art. 428 du Code civil). Le juge ne pourra plus se saisir d’office (art. 430 du Code civil) Seuls pourront saisir le juge des tutelles les membres de la famille ou une personne entretenant des liens étroits et stables avec la personne et le procureur de la République. Les sont également invités à vérifier si d’autres mesures ne peuvent suffire (régimes matrimoniaux, représentation). Le juge devra également vérifier que le majeur n’a pas conclu de mandat de protection future ou qu’une mesure d’accompagnement judiciaire ou social n’a pas été prononcée. La proportionnalité devra être assurée par l’adéquation des mesures au besoin de protection de la personne et également par la révision régulière de la mesure. B. Les trois régimes de protection

1. La sauvegarde de justice 26. Elle est désormais prévue aux articles 433 à 439 du Code civil. Elle demeure une mesure provisoire qui n’emporte ni assistance ni représentation, mais ouvre l’action en réduction ou en rescision. Sa mise ne œuvre devient toutefois un peu plus stricte, au plan formel. La saisine du juge doit s’accompagner d’une requête et d’un certificat médical circonstancié (art. 431 du Code civil).

2° L'organisation de la curatelle et de la tutelle 27. Elle est prévue par les articles 440 à 457 du Code civil. La loi nouvelle fait d’abord une place éminente au choix du majeur (désignation anticipée du mandataire) et de sa famille (tutelle ou curatelle testamentaire, instituée malgré l'hostilité de bien des magistrats) dans l'article 448. À défaut d'un tel choix, la désignation du tuteur sera l'oeuvre du conseil de famille s'il a été institué (C. civ., art. 456, al. 3) ou celle du juge ; la désignation du curateur sera toujours dative (C. civ., art. 447, al. 1). L'article 449, qui remplace avantageusement les anciens articles 496, 497 et 499, donne au juge un ordre à respecter dans le choix de la personne qu’il entend charger de la mesure de protection : le conjoint, le partenaire ou le concubin sont prioritaires, sous condition de vie commune ; puis viennent les parents, alliés ou co-résidents en lien étroit et stable avec le

majeur Le juge doit tenir compte, notamment pour arbitrer entre plusieurs candidats de même « rang », de la qualité du lien (C. civ., art. 449, al. 3 ; il faut mentionner à nouveau ici l'obligation d'entendre le majeur lors de l'instruction du dossier : C. civ., art. 432). Ce n'est donc qu'à titre très subsidiaire que le juge pourra recourir aux mandataires professionnels (C. civ., art. 450)Note 28, qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale membre de la nouvelle profession, ou d'un préposé d'établissement de soins ou d'un établissement social ou médico-social (C. civ., art. 451). 3° La protection des intérêts non patrimoniaux 28. L'une des innovations majeures de la réforme est l'affirmation de la protection de la personne (C. civ., art. 415 et 425, al. 2) : le silence de la loi de 1968 sur ce point a permis des pratiques judiciaires, familiales et médicales autoritaires ou au contraire démissionnaires, et en tout cas dispersées. - l'articulation de la protection de la personne se fait en temps successifs, qui correspondent à la réalité concrète. D'abord, il n'existe pas de tutelle à la personne, le majeur est autonome sur ce terrain (C. civ., art. 458, 459, al. 1 et 459-1). Ensuite, le majeur - contrairement à ce qu'une opinion répandue laisse croire - n'est généralement pas hors du monde et est accessible à une information appropriée, avant les échéances, à l'occasion des échéances et après (C. civ., art. 459, al. 2) : l'incapacité est souvent et avant tout une ignorance. En outre, il faut parfois représenter le majeur (tutelle) ou l'assister (tutelle ou curatelle), selon les prévisions du juge : ici, la liberté apparente peut réduire à l'esclavage (C. civ., art. 459, al. 3). Enfin, il arrive que le majeur, par négligence ou volontairement, se mette en danger, et il faut alors lui imposer des dispositions, limitées au strict nécessaire (C. civ., art. 459, al. 4), sans se cantonner cependant à l'hospitalisation psychiatrique sous contrainte.

4° La protection des intérêts patrimoniaux 29. La protection des intérêts patrimoniaux des mineurs et des majeurs faisait dans le texte de 1964 et 1968, l'objet de dispositions présentées dans un certain désordre : certaines règles (l'inventaire, l'ouverture de comptes personnels, le placement des liquidités) étaient présentées comme applicables à l'ouverture de la tutelle, alors qu'elles restaient valables pour toute la durée de la protection ; certains articles adoptaient la distinction classique, mais si souvent critiquée, entre actes d'administration et actes de disposition, et tentaient d'en donner des archétypes (le bail, la vente d'immeuble) aussitôt suivis d'exceptions ; enfin, d'autres dispositions s'affranchissaient de toute classification pour statuer sur des actes particuliers (notamment en matière de successions). Le législateur de 2007 a tenté, sans y réussir vraiment, de rompre avec cette présentation, en quatre étapes : - La règle de gestion en bon père de famille est modernisée (« soins prudents, diligents et avisés »), mais certains auteurs regrettent qu'il n'y soit pas fait référence aux habitudes de vie du protégé, à partir d'un certain âge (16 ans, peut-être) ; la liste des actes interdits ou suscitant l'opposition d'intérêt est améliorée (C. civ., art. 508 et 509). - La distinction entre les actes d'administration et les actes de disposition fera l'objet d'un décret d'application ; elle continuera de régir la répartition des pouvoirs (C. civ., art. 502) ; malheureusement, il n'est toujours pas dit si les autorisations de justice purgent les actes de leurs nullités, et il n'est toujours pas prévu que le juge puisse autoriser en une seule fois une

série d'actes de disposition de même nature ou de faible montant, ce qui aurait dégagé du temps pour des tâches plus importantes. - Les libéralités sont traitées avec chaque régime de protection (mineurs, curatelle, tutelle), ce qui est bon ; la loi du 23 juin 2006 y est globalement respectée. 30. La vérification des comptes (C. civ., art. 510 à 514) fait partie intégrante de la protection des intérêts patrimoniaux en tutelle du mineur, tutelle du majeur ou curatelle. Trois soucis animent le législateur : assurer un contrôle efficace, dont il faut bien dire qu'il faisait parfois défaut jusqu'à présent ; garantir, non sans contradiction, la confidentialité des comptes, parce que l'incapacité ne doit pas priver du secret légitime dont nous entourons tous nos affaires, et une certaine transparence au profit du protégé et des organes de la protection ; faciliter la tâche des greffiers en chef, tuteurs ou curateurs, sans aller jusqu'à la prise de risques. §3. Les nouvelles institutions

A. - Les mesures conventionnelles de protection juridique : le mandat de protection future 31. Chacun de nous pourra, pour lui-même ou son enfant (C. civ., art. 448) désigner d'avance le tuteur ou curateur potentiel, mais pourra organiser complètement sa représentation ou celle de son enfant, sous la forme nouvelle du mandat de protection future, préconisé dès les années 1970 par le notariat et les spécialistes du grand âge, et adopté dans plusieurs pays culturellement proches du nôtre : Québec et Allemagne notamment Le rôle du juge des tutelles : il est clair que l'instauration du mandat de protection future a pour objet (aussi) d'alléger la tâche des juges. Il est donc prévu que l'existence d'un tel mandat empêchera le juge d'ouvrir une tutelle ou une curatelle (C. civ., art. 428, al. 1), sauf insuffisance des prévisions du mandant (C. civ., art. 485) ou résolution du mandat. Même lorsque le mandat est limité aux actes d'administration, la passation d'actes plus graves ne nécessitera pas l'ouverture d'une tutelle mais une simple requête au juge (C. civ., art. 493). En présence du mandat, le juge n'a théoriquement que deux attributions : trancher tout litige sur les conditions et modalités (C. civ., art 483, 4° et 484 ; la procédure sera exposée dans le NCPC) ; autoriser les actes à titre gratuit (C. civ., art. 490) et, dans le cas d'un mandat sous seing privé, les actes de disposition (C. civ., art. 493, V. supra n° 24). Les garanties offertes au mandant pendant l'exécution du mandat : elles doivent être sérieuses sans que la nature conventionnelle du dispositif soit pervertie. Tout mandataire devra établir chaque année un compte de sa gestion que le juge pourra toujours lui demander de produire afin d'être vérifié par le greffier en chef (C. civ., art. 486 et 511). Dans ce cadre du mandat notarié, le notaire sera destinataire des comptes du mandataire, en assurera la conservation, ainsi que celle de l'inventaire ; il saisira (selon l'amendement de la commission des lois, et non plus seulement « informera ») le juge des tutelles de tout mouvement de fonds et de tout acte n'apparaissant pas conforme à l'intérêt du majeur. Dans le cadre du mandat sous seing privé, le mécanisme est différent : les comptes qui sont conservés sont ceux des cinq dernières années, ils peuvent être produits aux autorités judiciaires à leur demande exclusivement et le sont en tout cas, à la fin du mandat, au mandant ou à ses héritiers (C. civ., art. 494).

B. - La mesure d'accompagnement judiciaire (MAJ) et les mesures administratives d'accompagnement social personnalisé (MASP)

1° La mesure d'accompagnement judiciaire (MAJ) 32. Cette mesure est prévue aux art. 495 à 495-9. - La mesure d'accompagnement judiciaire remplacera la tutelle aux prestations sociales versées pour les adultes, mesure non incapacitante actuellement inscrite dans le code de la sécurité sociale. Cette mesure concernera les personnes dont la santé et la sécurité seront en danger du fait de leur inaptitude à gérer seules les prestations sociales qui leur sont versées : le critère archaïque des conditions de vie défectueuses disparaît. L'ouverture d'une MAJ nécessitera qu'une mesure administrative d'accompagnement social personnalisé menée par le département ait échoué. Mais inversement, l'accompagnement judiciaire est, contrairement à la TPSA auparavant (mécanisme de doublon), exclusif de la tutelle ou de la curatelle (C. civ., art. 428), mais non de la sauvegarde. La question centrale de l'accompagnement judiciaire est celle de son assiette : là encore, le groupe de travail, qui préconisait d'inclure non pas seulement les prestations sociales mais tout revenu périodique pour que la mesure serve effectivement de dispositif de décharge des tutelles et curatelles, a été relayé par la gauche parlementaire, par le Sénat mais pas par les deux ministres, ni par la commission des lois de l'Assemblée nationale ni finalement par la commission mixte paritaire, tous ceux-ci craignant que les surendettés et les prodigues de toutes sortes envahissent le dispositif nouveau. Il serait hasardeux d'en conclure que cette position empêchera la réussite de la mesure nouvelle (C. civ., art. 495-4). Importante aussi était l'identification de l'assistant : le groupe de travail souhaitait que les familles puissent exercer ces missions, mais les mandataires professionnels en ont finalement obtenu l'exclusivité (C. civ., art. 495-6). La MAJ fera l'objet d'un décret, de sorte que nos explications n'iront pas plus loin. 2° Les mesures administratives d'accompagnement social personnalisé (MASP) 33. Le Code de l'action sociale et des familles précise quant à lui le contenu de deux mesures soeurs de la précédente, baptisées uniment mesure d'accompagnement social personnalisé (MASP) et mises à la charge des départements. La première des deux prendra la forme d'un contrat défini entre l'intéressé et le département, représenté par le président du conseil général (C. action soc. et fam., art. L. 271-1, al. 2). Aux termes de ce contrat, le département proposera de mettre en oeuvre des actions en faveur de l'insertion sociale et permettant l'autonomie financière de l'intéressé, coordonnées avec les autres actions sociales dont il bénéficie ou dont il pourrait bénéficier. De son côté, l'intéressé pourra autoriser le département à percevoir et à gérer pour son compte tout ou partie des prestations sociales devant lui revenir en les affectant en priorité au paiement du loyer et des charges locatives en cours (C. action soc. et fam., art. L. 271-2, dernier al.). 34. La seconde des MASP, consiste à prévoir que si l'intéressé refuse de signer le contrat d'accompagnement ou n'en respecte pas les clauses, le président du conseil général pourra afin de prévenir une expulsion locative, solliciter du juge d'instance l'autorisation de verser,

chaque mois, le montant du loyer et des charges locatives en cours, directement au bailleur, par prélèvement sur les prestations sociales dues à l'intéressé. Cette procédure ne sera possible que si l'intéressé dispose des ressources suffisantes et est resté plus de deux mois sans s'acquitter de ses obligations locatives (C. action soc. et fam., art. L. 271-4). L'échec de ces dispositifs conduira à une transmission copieusement motivée au procureur de la République en vue de la saisine du juge des tutelles (C. action soc. et fam., art. L. 271-6 ; C. civ., art. 4952). Là encore, un décret donnera quantité de détails et il n'est pas prudent d'en dire davantage ici.

ANNEXE Les droits fondamentaux de la personne protégée MESURES DE PROTECTION ET DROITS DE L’HOMME Jocelyne Cayron Maître de Conférences Groupe de recherche sur le droit des personnes protégées Intervention dans un colloque consacré à l protection des personnes en 2005

Lorsque la question des droits de l’homme est évoquée à propos de personnes malades, elle l’est sous l’angle du corps souffrant, de la volonté du malade, du consentement aux soins, du droit à la vérité, à la libre détermination, voire du droit à choisir sa mort. Le corps humain est le réceptacle de la personne : on peut dire également que le corps humain est la personne elle-même. De ce fait, il bénéficie d'une place tout-à-fait particulière dans notre droit. Il a en quelque sorte un caractère sacré qui conduit à le défendre contre les atteintes des tiers, mais également contre les atteintes que pourrait vouloir lui faire subir la personne elle-même. Indépendamment de toute considération religieuse ou philosophique, pour le juriste, le "corps humain est le substratum de la personne " selon les termes du Doyen Carbonnier. Il en résulte que le corps est soumis à un régime juridique extrêmement protecteur visant, en réalité, à travers la matérialité du corps, l'immanence de la personne. Depuis le Code civil, de nombreuses lois sont venues encadrer l’action du médecin, depuis les lois relatives au dons d’organes jusqu’aux lois récentes sur les droits des malades 4. On y souligne toujours que « la personne malade a droit au respect de sa dignité » 5. La notion de « consentement libre et éclairé »6, spécialement prévue par l’article 16-3 du Code civil, est désormais familière, même si elle suscite toujours des interrogations pour nombre de praticiens 7. Ainsi, les mesures de diagnostic, les traitements et les soins palliatifs doivent être administrés dans le respect de la dignité du malade, et avec son accord. Mais outre la prise en charge médicale de la personne malade, il est nécessaire d’organiser une protection juridique de la personne, qui pour un temps plus ou moins long, sera empêchée de veiller elle-même à ses propres intérêts. Dépourvue de sa pleine capacité juridique, la personne malade ou vieillissante doit être assistée dans les actes de la vie courante. Notre droit organise différents régimes de protection, en fonction des besoins de la personne. La question est alors d’évaluer cette protection au regard des exigences des libertés fondamentales. Il s’agit de poser au juriste la question que l’on a posé au médecin : comment 4

Loi n°2002-303, du 4 mars 2002. Art. L. 1110-2 du Code de la santé publique. 6 Art. L. 1111-4 du CSP 7 voir sur cette notion A. Fagot-Largeault "Le consentement éclairé, historique du concept de consentement", Médecine et droit 1994, n°6, p. 55 et s. 5

ce système de protection garantit-il le respect des droits fondamentaux et la dignité de la personne protégée ? Il est inhabituel d’examiner les dispositifs législatifs de cette façon, pourtant la démarche n’est pas illégitime. La notion de droit de l’homme et de libertés fondamentales a évolué. Dans les cinquante dernières années, une mutation s’est produite à propos de la place des droits de l’homme et des libertés fondamentales. On a longtemps pensé que les droits fondamentaux étaient les principes sur lesquels fonder la protection de la liberté par la loi 8. Telle était la conception en 1789, et le sens de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Après la seconde guerre mondiale, en revanche, on a envisagé les libertés et des droits de l’homme comme des principes sur lesquels fonder la protection de l’individu au besoin contre la loi 9 . La loi est, de fait, soumise à un contrôle de constitutionnalité, qui conduit à l’apprécier au regard des principes consacré dans les textes qui constituent ce que l’on appelle le « bloc de constitutionnalité », dont la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; et les différents préambules de constitution font partie 10. Le juge constitutionnel s’assure ainsi, que dans l’exercice de sa compétence, le législateur n’a pas diminué de façon excessive un droit fondamental. En outre, s’est développée en Europe, une protection supranationale des droits fondamentaux, dont la symbolique démocratique est très importante. La Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 a ainsi consacré un dispositif novateur de protection des droits de l’homme. Il existe désormais une garantie juridictionnelle des droits proclamés, dont l’efficacité repose sur un droit recours individuel, qui selon le Professeur Sudre, ouvre « une première brèche (...) dans la forteresse des souverainetés étatiques ». L’efficacité de La Convention européenne des droits de l’homme est garantie par un principe d’effet direct qui permet aux individus de se prévaloir de ce texte. L’application de la Convention est également garantie par le principe de primauté de la Convention sur le droit national, qui est admis que la loi dont les dispositions sont discutées soit antérieure ou postérieure à la Convention 11. Dès lors, le citoyen dispose d’un droit de recours individuel qui lui permet de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Les garanties des droits fondamentaux sont donc nombreuses, et il est alors intéressant de voir de quelle façon l’actuel système de protection des majeurs est ou non conforme aux principes fondamentaux. Pour examiner cette question, il est possible de distinguer deux sortes d’effets de la mesure de protection. Les principaux effets de la mesure de protection concernent la vie juridique de la personne. En effet, la finalité de la mesure est de pallier pour un temps plus ou moins long l’incapacité de la personne à gérer ses affaires. Il en résulte un dessaisissement de la personne protégée, qui est représentée par son tuteur ou son curateur dans tous les actes de la vie juridique (I.). Mais outre ces effets purement patrimoniaux, la mesure de protection entraîne des effets sur la vie personnelle de la personne protégée. La reconnaissance judiciaire d’une incapacité entraîne un certain nombre de limitations de l’autonomie personnelle, qui sont parfois encore mal évaluées et mal résolues (II.).

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F. Sudre « Quelle Europe pour les droits de l’homme ? », Bruylant, 1997, p.39. « Un nouvel usage des droits de l’homme » , M. Delmas-Marty, in Ethique médicale et droits de l’homme, Actes Sud-Inserm, 1988, p.313 et s. 10 Favoreu et alii, « Droits et libertés fondamentales », Dalloz, 2000, notamment n°149 et s.. 11 Ch. mixte 24 mai 1975, Jacques Vabre, Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11 ème éd., tome 1, p.15, et en matière administrative, voir CE 24 octobre 1989, Nicolo. 9

I. Les effets patrimoniaux de la mesure de protection au regard des libertés fondamentales Le régime de protection est choisi par le juge des tutelles en fonction des besoins de la personne. C’est la gravité de l’altération des facultés mentales et la nécessité d’une protection qui déterminent le choix du régime à appliquer. Il faut ici souligner l’importance de l’avis du médecin spécialiste et du médecin traitant qui doivent être consultés durant la procédure et dont les opinions vont en grande partie fonder la décision du juge des tutelles. Mais quel que soit le régime choisi, il implique un dessaisissement de la personne protégée au profit de son tuteur (ou de son curateur) et du juge des tutelles. Dans le régime de protection le plus complet qu’est la tutelle, le majeur protégé n’a plus de capacité d’agir : l’incapacité est donc organisée, dans le but de protéger la personne (A.), mais cette protection n’est pas sans effet pervers, si bien que des possibilités d’individualisation sont prévues (B.). A. L’étendue de l’incapacité Dès lors qu’une personne est placée sous tutelle, elle est frappée d’une incapacité générale d’exercice, qui lui interdit de passer des actes juridiques 12. L’incapacité qui frappe la personne placée sous tutelle ne connaît que de rares dérogations. Les actes accomplis avant le jugement de mise sous tutelle sont en principe valables, mais ils peuvent être annulés si le motif de l’organisation de la tutelle existait déjà à l’époque où l’acte a été accompli et si l’état du malade était notoire. En revanche, les actes accomplis par le malade après le jugement de mise sous tutelle sont nuls de plein droit 13. L’annulation de l’acte passé par le majeur incapable doit être prononcée, sans que l’on ait à rechercher si l’acte est ou non préjudiciable à l’incapable, dès lors qu’elle est judiciairement demandée 14. Néanmoins, la nullité de l’acte n’étant qu’une nullité relative, l’acte peut être confirmé par le représentant de l’incapable. La personne placée sous un régime de protection n’est plus en mesure de payer ses factures, de souscrire un quelconque contrat, ou de rédiger un testament 15. Le tuteur est chargé, sous le contrôle du juge des tutelles, de veiller aux intérêts matériels de la personne protégée. On estime qu’il y a là pour le malade une garantie contre des actes juridiques aux conséquences dommageables. Pourtant, dans certains cas, cette incapacité frappant le malade n’est pas compensée par la représentation du tuteur. En matière d’assurance-vie, un problème très important a été découvert, à l’occasion d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 31 mars 1992 16. Lors d’un contrat d’assurance sur la vie, le souscripteur désigne la personne à laquelle il souhaite voir verser le capital garanti. Cette stipulation pour autrui est révocable pendant toute la durée du contrat par le souscripteur, tout au moins tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Le plus souvent, le bénéficiaire désigné ignore l’existence du contrat, et le souscripteur a toute latitude pour changer le nom du bénéficiaire. Si le souscripteur est placé 12

B. Teyssié, Droit civil, Les personnes, Litec, 6 ème éd., n°466. 13 Art. 502, Code civil . 14 en revanche, l’acte s’applique, bien que nul, si personne n’en demande l’annulation : Cass. civ. 1ère, 22 décembre 1959 : D. 1960, p. 267, note G. Holleaux ; JCP 1961, éd. G, II, 11915, note P. Voirin. 15 Art. 504, al.1 Code civil. 16 Cass. civ 1ère, 31 mars 1992, Rép. Defrénois1992, art. 35335, n°98, obs. Massip.

sous un régime de tutelle, il n’a plus la possibilité révoquer la stipulation faite en faveur du bénéficiaire, puisqu’il ne peut plus agir juridiquement. Toutefois, une difficulté surgit car l’article L 132-9 du code des assurances dispose que « la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé (...) n’appartient qu’au stipulant et ne peut, en conséquence, être exercé de son vivant par ses créanciers ni par ses représentants légaux ». En conséquence, dans cette hypothèse, ni la personne protégée, ni son tuteur ne peuvent agir. Il faut bien constater que l’atteinte est ici complète, puisqu’il y a une interdiction pure et simple d’agir au nom et pour le compte de la personne incapable. Seule demeure une petite capacité concernant les achats usuels : denrées alimentaires, journal, sur la base de la notion de mandat Cette importante limitation de l’autonomie juridique est souvent critiquée par les sociologues et les équipes éducatives entourant les malades. En effet ; le tuteur n’est pas neutre dans les choix qu’il fait pour la personne protégée. On a, par exemple, montré comment certains tuteurs établissent un budget hebdomadaire qui s’impose à la personne protégée, sans aucune dérogation possible, et ce bien que la personne ait des ressources supérieures à ce qui lui est alloué par le tuteur, qui choisit d’épargner une partie des revenus 17 : (exemple à développer) L’importance de cette privation de capacité conduit souvent le juge à hésiter avant de prononcer une telle mesure, et le Code civil prévoit des possibilités d’une meilleure adaptation de la mesure de protection aux besoins particuliers de la personne. B. L’adaptation de la mesure de protection Le doit actuel de la protection des majeurs incapables résulte de la loi n°68-5 du 3 janvier 1968 18. Cette loi constitue l’une des premières pièces de la vaste réforme du droit civil français des personnes et de la famille et s’inscrit dans un mouvement général de réforme du droit des malades mentaux. La loi de 1968 a eu pour but de rompre avec le système antérieur de l’interdiction judiciaire qui avait institué un lien de causalité entre le traitement médical et la protection juridique. Désormais, la protection des intérêts civils d’une personne est envisagée indépendamment de la nature du traitement. En outre, la loi de 1968 prévoit en elle-même des mécanismes d’adaptation de la mesure aux besoins exact du malade, tant au moment de ma mise en place de la protection que durant le régime de protection. Le juge des tutelles choisit la mesure de protection en fonction des différents avis médicaux qu’il recueille pendant la procédure. L’article 1244 du nouveau Code de procédure civile prévoit en en effet que la requête d’ouverture d’une mesure de protection doit obligatoirement être accompagnée d’un certificat médical. Pour garantir les libertés individuelles et surtout éviter des mesures de protections intempestives, l’altération des facultés mentales ou physiques justifiant la protection doit être médicalement constatée. Le législateur a précisé cette exigence dans l’article 493-1 du Code civil en mentionnant que le certificat devait émaner d’un « médecin spécialiste choisi sur une liste établie par le procureur de la République ». Ce certificat est considéré comme une garantie dans l’intérêt de la personne à protéger afin d’écarter les demandes non sérieuses. Le juge des tutelles dit être éclairé sur les capacités réelles du malade pour pouvoir choisir le mesure de protection la mieux adaptée.

17 18

G. Séraphin, op.cit, p. XX. D. 1968.74, Rect. 107.

En pratique toutefois, on s’aperçoit que ces certificats ne satisfont pas toujours aux exigences légales. Le rapport Foucault de 199819 a noté que « L’altération des facultés mentales de ces personnes est souvent peu détaillée par le médecin. Dans des dossiers en nombre certes très limité, la mission s’est même posé la question de savoir si le certificat médical constatant l’altération des facultés mentales n’avait pas été établi pour parfaire un dossier de demande de protection dont l’unique but était le maintien d’une famille dans son logement ». De la même façon, le rapport Favard 20 regrette le caractère trop succinct des constations médicales et la rédaction parfois stéréotypée des certificats. De telles pratiques sont extrêmement regrettables, car elles conduisent souvent le juge à prendre, par précaution, la mesure la plus rigoureuse. Le projet de loi réformant la protection des personnes majeures prévoit du reste dans son article 30 que « Le certificat doit être circonstancié. Il doit constater l’altération des facultés personnelles du majeur. Il décrit les conséquences de celle-ci sur la vie civile ainsi que les éléments rendant nécessaires la mesure. » Outre cette attestation, le juge des tutelles doit également recueillir l’avis du médecin traitant, qui connaît et suit la personne à protéger. Outre cette constatation médicale des besoins de la personne, le juge doit également entendre la personne qu’il s’agit de protéger, tout au moins lorsque son état de santé le permet21. Cette audition constitue une règle d’ordre public, et son omission entraîne la nullité de la procédure 22. Par cette audition, le juge doit pouvoir se rendre compte personnellement de l’état de la personne. Théoriquement, les modalités de l’audition sont variées : elle peut avoir lieu « au siège du tribunal, au lieu d’habitation , dans l’établissement de traitement ou en tout autre lieu approprié » 23. Ce n’est qu’exceptionnellement que le juge peut continuer la procédure, sans avoir entendu la personne à protéger. « Si l’audition de la personne à protéger est de nature à porter préjudice à sa santé, le juge peut, par décision motivée, sur l’avis du médecin, décider qu’il n’y a pas lieu d’y procéder » 24. Ici encore, les préconisations de la doctrine paraissent un peu idéalistes : il est conseillé au juge de préciser in concreto en quoi l’audition du malade serait de nature à nuire à sa santé, en évitant de recourir à des clauses de style 25. Lorsque le juge décide de ne pas auditionner la personne, il doit accomplir deux formalités : aviser le procureur de la République et faire porter à la connaissance de la personne la procédure engagée, par exemple par l’intermédiaire d’un proche ou du médecin traitant 26 La mesure de protection peut également être adaptée dans son organisation. Si le législateur a fixé deux grands régimes de protection, le juge des tutelles peut les aménager afin de donner à la protection la forme la mieux adaptée aux besoins particuliers de la personne. La capacité étant la règle et l’incapacité l’exception, des mesures d’allégement de la tutelle peuvent être prise pour conserver une certaine capacité juridique au majeur sous tutelle.

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Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs Première partie Deuxième partie Rapport final 20 Rapport Favard, rendu public le 18 mai 2000. 21 L’article 1246 du nouveau code de procédure civile prévoit en effet que « Le juge des tutelles

entend la personne à protéger et lui donne connaissance de la procédure engagée ». 22

Cass. civ. 1ère, 20 novembre 1979, Bull.civ.I, n°288. Nouveau code de procédure civile, art. 1246, al. 1er. 24 Nouveau code de procédure civile ; art. 1247, al.1er. 25 Encyclopédie Dalloz, V° Incapables majeurs, n°202. 26 Nouveau code de procédure civile ; art. 1247. 23

Aux termes de l’article 501 du Code civil « en ouvrant la tutelle ou dans un jugement postérieur, le juge, sur l’avis du médecin traitant, peut énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire elle-même, soit seule soit avec l’assistance de son tuteur ou de la personne qui en tient lieu ». Cette disposition est analyse comme allant dans le sens du respect de la dignité de la personne et de l’utilisation de la tutelle dans un démarche thérapeutique. Le juge peut ainsi maintenir la capacité du majeur pour un acte important isolé, tel que la rédaction ou la modification d’un testament, ou un acte répétitif, tel que la perception d’un salaire 27 ou l’exercice du droit de chasser 28. Toutefois, malgré cette possibilité expressément reconnue par le Code civil , l’utilisation de ce texte demeure exceptionnelle, principalement en raison d’un manque de disponibilité des juges des tutelles. En effet, cette autorisation est une exception qui permettrait d’individualiser le régime tutélaire, mais qui suppose un suivi très précis de la situation de la personne protégée. Ce souci d’une individualisation de la mesure de protection demeure dans le projet de loi actuellement en cours d’élaboration, et dont l’article 44 prévoit que le juge pourra énumérer certains actes que le majeur placé en curatelle aura la capacité de faire seul. En sens inverse, le juge pourra ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels l’assistance du curateur est nécessaire. La protection juridique des personnes est assez clairement définie au regard des droits patrimoniaux, en revanche, les effets personnels de la mesure sont moins clairement déterminés et leur prise en compte est relativement récente, mais démontre le souci de respect des droits de la personne.

II. Les effets personnels de la mesure de protection au regard des libertés fondamentales Le tuteur a vocation d’agir au nom de la personne déclarée juridiquement incapable en ce qui concerne ses intérêts patrimoniaux. Demeure la question des actes à caractère personnel qui peuvent ou non, avoir une incidence patrimoniale. C’est aborder ici la délicate question de ce que certains appellent le « gouvernement de la personne incapable » ou encore « la tutelle à la personne ». La loi de 1968 est curieusement silencieuse sur la protection des intérêts personnels (A.), et cette lacune a été dénoncée, si bien que des améliorations sont attendues dans la future législation (B.). A. L’insuffisance de la législation actuelle Les régimes de protection que sont la curatelle et la tutelle organisent de façon détaillée la protection des intérêts patrimoniaux. Mais peu de dispositions font référence à la protection de la personne. Certains auteurs définissent la « tutelle à la personne » comme « l’intervention d’un tiers au soutien des intérêts extrapatrimoniaux d’un adulte protégé » 29.

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J. Hauser, « Incapacité juridique et emploi », Droit social 1991.553. art. L 223-19-3° du Code rural. 29 T. Fossier et M. Harichaux, « la tutelle à la personne des incapables majeurs : l’exemple du consentement à l’acte médical », Revue de droit sanitaire et social, 1991.1. 28

En ce domaine, les textes sont muets et le système repose sur la pratique des intervenants, ce qui induit forcément de grande disparités 30. Les psychiatres font observer que la loi de 1968 a été élaborée dans des groupes de recherches dès 1963. Or, à cette date, la psychiatrie commençait seulement à connaître une très importante évolution, en raison des progrès de la thérapeutique par les neuroleptiques qui allait conduire à une autre prise en charge des malades mentaux31. L’un des résultats de ces progrès scientifique fut de multiplier les formes de soins à temps partiel dans un cadre extra hospitalier. Il fallait alors créer les modalités de soutien de la capacité d’autonomisation du patient. Cette évolution de la prise en charge des malades mentaux fut probablement mal anticipée par les rédacteurs de la loi de 1968, qui ne virent pas l’urgence qu’il y avait, en réalité, à définir de façon extensive le rôle du tuteur ou du curateur. Or, les médecins reconnaissent aujourd’hui la réelle difficulté de l’articulation des rôles de chacun. Entre « soigner » qui devrait être réservé à l’équipe médicale et « gérer » qui ressortit de la compétence du tuteur, la distinction n’est plus aussi claire. En effet, par sa position extérieure à l’équipe soignante, le tuteur décharge les soignants de la délicate question de l’argent, mais il est également souvent mal préparé aux pathologies qui nécessitent son intervention. On constate alors différents types de difficultés relationnelles entre la personne protégée et le tuteur et parfois entre le tuteur et l’équipe soignante, dont M. Bally-Salin souligne le caractère parfois parental : il dit avoir constaté une confusion et parfois même une inversion des rôles. Quelles qu’en soient les raisons, l’omission de la protection de la personne présente aujourd’hui des inconvénients importants dont on de donnera que quelques exemples, parmi les plus symptomatiques. D’abord, la personne placée sous tutelle perd le droit de voter. Cet effet de la tutelle est souvent fort mal vécu par la personne protégée. En effet, les personnes placées sous tutelle sont loin de présenter toutes la même altération de leurs facultés. Dans un certain nombre de cas, le placement sous tutelle a une justification technique, car la tutelle permet la protection la plus étendue, mais elle conduit aussi à la plus grande limitation de la capacité. Des juges des tutelles, tenant compte des facultés de la personne avaient tenté de maintenir leur capacité de voter en utilisant l’article 501 du Code civil. La Cour de cassation a censuré ces décisions, au motif qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du tribunal d’instance statuant en matière électorale de relever un majeur en tutelle de l’incapacité électorale qui le frappe 32. Le caractère automatique de cette privation du droit de vote est aujourd’hui critiqué, et sera, à terme, réformé. Le vote par le Sénat, le 23 novembre 1999, d’une disposition permettant au juge des tutelles d’autoriser les majeurs en tutelle « à exercer seuls le droit de vote selon la procédure définie à l’article 501 du code civil » va d’ailleurs dans ce sens. Mais pour emblématique qu’il soit, l’exercice par la personne du droit de vote n’est pas la seule difficulté en matière de droits personnels. En l’état actuel de la législation, il n’est pas possible de répondre avec certitude à certaines questions pourtant extrêmement importantes : « qui a le pouvoir de décider du changement de domicile de la personne protégée ? de procéder à une intervention chirurgicale ou à une décision grave relative au traitement ? Qui interdit au majeur, telle activité ? » 33. Pour chaque majeur protégé, la question sera, au mieux, débattue entre le tuteur et le juge des 30

R. Poilroux « Guide des tutelles et protection de la personne », Dunod, 1999. P. Bailly-Salin, « Tutelles - curatelles », in « L’avenir des tutelles » sous la direction de M. Sassier, T. Fossier, N. Noguès, G. Brovelli, Préface E. Guigou, Dunod, 2000, 2 et s. 32 Cass. civ. 1ère, 9 novembre 1982 : D. 1983. 388, note Massip ; Cass. civ. 2ème, 7 juillet 1983 : Bull.civ.II, n°147. 33 A. de Martel , « La loi du 3 janvier 1968, perspectives d’une réforme », in « L’avenir des tutelles », précité, p.47. 31

tutelles, ce dernier étant considéré comme le garant légitime des libertés individuelles. Certains auteurs ont souligné l’écrasante responsabilité qui pouvait peser sur le juge des tutelles lors de ces choix d’une particulière gravité 34. La Cour de cassation ouvert la voie d’une protection de la personne, corrélative à la protection de ses intérêts patrimoniaux. Un arrêt du 18 avril 1989 35 suivi par deux autres décisions en date du 11 juin 1991 36 et du 24 février 1994 37 ont posé d’importants principes : les régimes qui décident d’une incapacité ont pour objet, d’une manière générale, de pourvoir à la protection de la personne et des biens de l’incapable. Pour protéger le majeur dans ses intérêts personnels, le gérant de tutelle doit saisir le juge des tutelles. Enfin , en 1997 38, la Cour de cassation a précisé la répartition des tâches entre le juge des tutelles, les organes de la tutelle et la personne protégé, que la décision concerne en premier lieu. Si le majeur protégé peut faire des progrès intellectuels affectifs ou sociaux et s’il n’est pas dépourvu de volonté propre, il faut respecter son choix. En cas de doute sur l’étendue de l’autonomie de la volonté, on suggère de s’en remettre à une expertise psychologique 39. En revanche, dans le cas ou le majeur n’a pas une volonté suffisante, le juge peut imposer sa décision au tuteur. L’évolution jurisprudentielle va dans le sens de la consultation de la personne protégée aussi longtemps que sa volonté peut être exprimée. Cette nouvelle conception résulte d’une évolution considérable de la notion d’identité personnelle, qui est désormais envisagée comme un concept dynamique, qui inscrit le sujet dans une évolution. S’y ajoutent une plus grande sensibilité au respect des libertés individuelles et de la dignité de la personne, qui inspire également les améliorations projetées du droit des incapacités.

B. Les améliorations projetées Le droit français des personnes protégées vient récemment de faire l’objet d’un certain nombre d’évaluations quantitatives et qualitatives. Des améliorations ont été proposées, et cette recherche d’une amélioration de la qualité du service de protection des majeurs s’inscrit dans le cadre d’une harmonisation européenne. En 1998, un «Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs » avait été demandé. Des agents de l’Inspection des finances, des affaires sociales et des affaires judiciaires avaient déjà souligné l’importance croissante des mesures de protection, leur coût pour la collectivité. Le rapport faisait état d’un certain nombre de difficultés de fonctionnement du régime de protection. Par exemple, les inspecteurs s’étonnaient de ce que « dans deux cas sur cinq, l’altération des facultés mentales ou corporelles n’est pas présentée avec un degré de détail suffisant. On notera que le 34

M. Bauer et T. Fossier, « Les tutelles, Protection juridique et sociale des enfants et des adultes », Préfaces 1ère édition S. Veil et P. Méhaignerie ; 3ème éd. J. Hauser, E.S.F. éditeur, 1999, p. 302 et s. 35 Cass. civ. 1ère, 18 avril 1989 : JCP 1990, I, 21467, note Fossier ; 36 Cass. civ. 1ère, 11 juin 1992, JCP 1992, 21879, note Fossier, 37 Cass. civ. 1ère, 24 février 1993, Defrénois 1993, art. 35611, note Massip ; RTDciv. 1993, p. 1993, p. 326, note Hauser JCP 1994, II, 22319, note T. Fossier ; 38 Cass. civ. 1ère, 25 mars 1997 : jcp 1997 , II, 22882, note Fossier. 39 M. Bauer et T. Fossier, « Les tutelles, Protection juridique et sociale des enfants et des adultes », op. cit. p. 307.

surendettement, parfois abusivement assimilé à la prodigalité, est une cause fréquente de placement : elle concerne un dossier examiné sur cinq ». Personne protégée ou personne interdite ? Le 23 février 1999, une Recommandation a été adoptée par le Conseil de l’Europe à propos des « principes concernant la protection juridique des majeurs incapables »40 Ce texte vise à harmoniser les mesures de protections des majeurs en assurant leur compatibilité au regard des libertés fondamentales. De façon très révélatrice, le préambule de cette recommandation vise les textes internationaux fondamentaux relatifs aux droits de l’homme41, puis énumère une liste de principes qu’elle recommande aux gouvernements des Etats membres de prendre ou de renforcer, dans leur législation et leur pratique. Ces principes sont : le respects des droits de l’homme (pcp1), la souplesse dans la réponse juridique (pcp 2), la préservation maximale de la capacité (pcp3)les principe de nécessité et de subsidiairité de la mesure de protection (pcp 5), la proportionnalité de la mesure (pcp6), le caractère équitable et efficace de la procédure (pcp 7) la prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée (pcp 8); le respect des souhaits et sentiments de la personne concernée (pcp 9). Au plan procédural, la recommandation pose, entre autres mesures, un droit d’être entendu personnellement (pcp 13), une procédure de révision régulière de la mesure (pcp 14un contrôle adéquat. En avril 2000, le « Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs présidé par M. Favard » préconise "de placer la personne, avant même la sauvegarde de ses biens, au coeur de toute évolution du dispositif de protection des majeurs". Il recommande que la mesure ordonnée le soit en fonction des besoins du majeur protégé et non plus en fonction de critères patrimoniaux. Le respect de la liberté individuelle du majeur, le respect de sa volonté., autant que faire se peut, ainsi que de sa dignité, doivent être le fait conducteur du dispositif rénové. Dans cet objectif, il est proposé que le majeur soit obligatoirement consulté dans le cadre de la procédure et qu'il soit informé de l'existence de la procédure dès son commencement. Dans le même sens, le majeur devrait être averti « de son droit à l'assistance d'un avocat », les mesures devraient être régulièrement réévaluées et éventuellement révisées. En avril 2003, le ministre de la justice faisait savoir qu’un projet de loi était en cours d’élaboration. On attend aujourd’hui la version définitive du texte, dont certains articles sont encore en cours d’élaboration. Pour l’essentiel la loi nouvelle prend en compte les critiques adressées au dispositif précédent. La question de la formation des tuteurs, et de leur contrôle est également envisagée. L’un des points encore à l’étude est celui du financement des mesures... Il est désormais évident que le droit français, et plus largement le droit des pays de l’union européen concernant la protection des personnes majeures va évoluer, dans le sens d’une plus grande prise en considération des aspirations et de la volonté de la personne que la mesure de protection concerne au premier chef. Car si pour protéger il faut contraindre, cette 40

Recommandation n°R99)4. La déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels du 16 décembre 1946 ; la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ; la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997, élaborés dans le cadre du conseil de l’Europe. 41

contrainte ne doit pas conduire à des abus de pouvoirs, ou à une infantilisation de la personne à protéger, qui peut rester, malgré ses difficulté le meilleur juge des ses aspirations personnelles. Ce chantier législatif est à considérer avec beaucoup d’attention, car la protection juridique du majeur interroge les principes fondamentaux: la protection organisée par l’Etat doit concilier les principes de droit et de liberté. La façon dont notre société organisera la protection des personnes les plus fragiles en dira long sur l’idée que nous nous faisons de la démocraties.

Droit suisse : H. Deschenaux, P.H. Sternonel, Personnes physiques et tutelles, Précis de droit Staempli.

TABLE DES MATIERES DE LA CONFERENCE N°3 Chapitre Premier : Notions générales à propos des incapacités ................................................. 1 SECTION 1: LES DIFFERENTES FORMES D'INCAPACITES ........................................ 1 §1. Incapacités de jouissance et incapacités d'exercice ...................................................... 1 §2. Incapacités de suspicion et incapacités de protection .................................................. 2 § 3. Incapacités spéciales et incapacités générales ............................................................. 2 SECTION 2. LES INCAPACITES DE PROTECTION ........................................................ 3 §1. Sanction de l'incapacité ................................................................................................ 3 § 2. Les remèdes à l'incapacité ........................................................................................... 3 SECTION 3 LA DISTINCTION ENTRE L'ACTE CONSERVATOIRE, L'ACTE D'ADMINISTRATION ET L'ACTE DE DISPOSITION ..................................................... 4 Chapitre 2 La réforme du droit des incapacité du 5 mars 2007 ................................................. 5 Section 1. Insuffisances constatées du droit des incapacités .................................................. 5 Sous 2. Les modifications apportées par la réforme .............................................................. 6 §1. La tutelle des mineurs .................................................................................................. 7 §2. Les dispositions indépendantes des mesures de protection .......................................... 7 § 3. Les différents régimes de protection ........................................................................... 8 1. Les droits fondamentaux de la personne protégée ................................................. 8 2. La responsabilité des organes de protection ........................................................... 8 3. Les caractères de la mesure .................................................................................... 9 B. Les trois régimes de protection .................................................................................. 9 1. La sauvegarde de justice ........................................................................................ 9 2° L'organisation de la curatelle et de la tutelle ........................................................ 9 3° La protection des intérêts non patrimoniaux ...................................................... 10 4° La protection des intérêts patrimoniaux ............................................................. 10 §3. Les nouvelles institutions ......................................................................................... 11 A. - Les mesures conventionnelles de protection juridique : le mandat de protection future ............................................................................................................................ 11 B. - La mesure d'accompagnement judiciaire (MAJ) et les mesures administratives d'accompagnement social personnalisé (MASP) ..................................................... 12 1° La mesure d'accompagnement judiciaire (MAJ) ............................................ 12 2° Les mesures administratives d'accompagnement social personnalisé (MASP) .............................................................................................................................. 12 ANNEXE ................................................................................................................................. 14 Les droits fondamentaux de la personne protégée ............................................................... 14 I. Les effets patrimoniaux de la mesure de protection au regard des libertés fondamentales .. 16 A. L’étendue de l’incapacité ................................................................................................ 16 B. L’adaptation de la mesure de protection .......................................................................... 17 II. Les effets personnels de la mesure de protection au regard des libertés fondamentales ..... 19 A. L’insuffisance de la législation actuelle .......................................................................... 19 B. Les améliorations projetées ............................................................................................. 21

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