Noirs En France

  • May 2020
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Entretien avec Calixthe Beyala Alexandre del Valle & David Reinharc le 15.09.2006 source Calixthe Beyala est sans doute l’intellectuelle noire la plus représentative, sans que cette représentativité n’épuise toute son identité. Sa biographie, ses voyages, le fait, aussi, qu’elle parle plusieurs langues – en plus du Français, elle parle l’Eton, sa langue maternelle, ainsi que le Pidgin, l’Espagnol et quelques langues africaines – témoignent d’une véritable ouverture d’esprit. Celle qui a écrit son premier livre à vingt trois ans a toujours un train d’avance. Elle n’est pas seulement romancière mais aussi militante, dénonçant, entre autres, le manque de représentation de la société multiculturelle dans les médias, la politique l’univers économique. Surtout, cette intellectuelle est la référence morale de la communauté noire, sa « boussole ».Raison de plus pour lire avec attention les propos chocs et certainement dérangeants sur Dieudonné, l’alliance Juifs et Noirs, la « purification ethnique » des Noirs par les Arabes, Nicolas Sarkozy qu’avec une rare franchise, elle a tenus pour Israël Magazine. Entretien, donc, avec une voix essentielle de la France noire, qui refuse d’abreuver de fausses certitudes l’anxiété identitaire.

Alexandre del Valle / David Reinharc : Vous êtes une intellectuelle reconnue et, présidez, entre autres, le principal mouvement des Noirs en France, qui lutte contre les discriminations. Peut-on dire les choses comme cela ? Calixthe Beyala : Je ne me définis pas comme quelqu’un qui représente quoi que ce soit. Mettons que je me définis d’abord comme une intellectuelle à qui sa communauté reconnaît une certaine capacité de penser et d’agir. Avec le collectif Egalité, j’ai déclenché, en effet, les prémisses de ce que sera la France noire, des rapports entre les Français noirs et la République en signalant les dangers encourus si le problème de représentation des minorités visibles n’est pas résolu. Et déjà à l’époque, j’avais proposé une politique volontariste de mise en place de quotas ou de discriminations positives afin de résoudre ce problème. ADV / DR : Il semble, oui, que vous ayez abandonné le passé à la député Christiane Taubira pour ouvrir un nouveau front sur l’invisibilité des Noirs en France, surtout dans les médias. Si, grâce à la discrimination positive, on pose des quotas, ne craignezvous pas que d’autres groupes- les homosexuels, les Jaunes, etc. - ne s’engouffrent dans la brèche d’une balkanisation de la France pour, à leur tour, exiger une meilleure représentativité ? CB : Etre noir, c’est une captation visuelle immédiate qui discrimine tandis qu’être Juif par exemple, c’est être un Occidental comme les autres. Etre noir, c’est être assigné malgré soi à négritude par le regard de l’autre. Cette assignation à identité – on entre là dans le domaine psychologique – est mal vécue, et à partir de ce moment, certains revendiquent cette représentation et se radicalisent. Etre juif n’est pas quelque chose de physiquement visible en dehors des signes distinctifs religieux. Etre « homo », de la même manière, ce n’est pas une captation visuelle immédiate, si on ne le clame pas sur tous les toits. A la différence d’un Juif ou d’un « homo », les Asiatiques sont des minorités visibles. Lorsque je sors dans la rue, immédiatement, je suis vue comme différente : c’est cela, faire partie d’une minorité visible. ADV / DR : Ne peut-on trouver une contradiction dans votre discours : d’un côté, vous analysez les émeutes des banlieues comme un problème social, de l’autre, vous y apportez, avec la discrimination positive, des réponses ethniques ? CB : Il n’y a pas de contradiction car ce problème social se pose à cause d’un problème ethnique. A titre égal, les patrons n’embauchent pas les Noirs. Le taux de chômage chez les Noirs est de 30 % alors que le taux de chômage global en France est de 10 % ! ADV / DR : A propos de minorités visibles, la France noire : combien de divisions ? CB : Selon moi, il y a 11 millions de personnes d’origine africaine en France si l’on inclut les Nord-africains et les Antillais aux gens d’Afrique Noire. Parmi eux, on peut compter 6 millions et demi de personnes d’origine noire-africaine de nationalité française dont, à mon avis, 700 000 Africains étrangers – et parmi eux, pas plus de 10% de clandestins. Sur les 6 millions et demi de Noirs subsahariens, on compte 2 millions 250000 Antillais. On nous dit qu’il est interdit, impensable, impossible de répertorier officiellement en France les origines. Je m’inscris en faux : il existe bien un recensement ethnique informel dés la naissance, en vertu du lieu de naissance de chaque individu et du pays. ADV / DR : On sent une tentation antisémite depuis ce qu’il est convenu d’appeler l’ « affaire Dieudonné ». D’où vient, selon vous, ce rêve secret de voir l’affinité élective

entre Juifs et Noirs s’inverser ? CB : Je pense que cela vient d’une méconnaissance de l’Histoire, et de la souffrance des Noirs en France qui ont été, pour certains, manipulés par des groupes n’ayant aucun rapport avec le monde noir. Cela n’a pas de racines dans notre Histoire, pas d’idéologues non plus, et donc pas de construction intellectuelle autorisant cette inversion. Les référents du monde noir francophone sont des gens comme Aimé Césaire, Senghor ou moi-même qui n’ont jamais tenu des propos antisémites. Entre Juifs et Noirs, il y a une alliance naturelle. Dans ses diatribes contre l’esclavage et le colonialisme, Aimé Césaire rappelle que les Juifs sont des alliés.

ADV / DR : L’idéologie antisémite et antisioniste gagne, malgré tout, le monde négroafricain. Afin d’opposer un vrai message de résistance, ne suffit-il pas de puiser dans les ressources spirituelles profondes propres à la culture négro-africaine et rappeler l’analogie établie entre le statut des Noirs et celui des Juifs chez Senghor, Baldwin, Martin Luther King ou Nelson Mandela ? CB : Tout à fait. Mais dans la désespérance, les peuples sont prêts à accepter des faux prophètes. En l’espace de trois ans, il y a eu quelques noirs prêts à suivre ces faux prophètes pour pouvoir expliquer leur mal-être. Aujourd’hui, je peux parler de cette époque au passé. La tendance, aujourd’hui, dans l’univers noir de France, est inverse. ADV / DR : Les Juifs stigmatisés comme étant d’anciens « négriers reconvertis dans la finance »…. CB : C’est ridicule. De surcroît, on nous dit souvent que l’Afrique a été détruite par la Traite occidentale et la colonisation. La vérité est que les Noirs Africains avaient déjà été mis à genoux par les Arabes entre le VIIe et le XVIe siècle ! L’Afrique a été, si l’on veut, « achevée » par l’Occident, car la traite qui l’a détruite durant six siècles fut d’abord et surtout la traite arabe, laquelle n’a jamais été dénoncée avec force. La traite et la colonisation arabes se poursuivent hélas dans certains Etats comme le Soudan, l’Arabie Saoudite et la Mauritanie. Les Occidentaux sont arrivés bien après les Arabes. La traite transatlantique fut d’ailleurs bien différente de la traite arabe, qui a consisté en une véritable destruction. Les Arabes occupèrent l’Afrique du Nord et littéralement poussèrent les Noirs toujours plus vers le Sud. ADV / DR : Dans la loi du 10 mai 2001, qui reconnaît la traite esclavagiste comme crime contre l’humanité, faut-il selon vous, mentionner en plus de la traite atlantique, la traite arabe ?

CB : Oui. Toutes les formes de traites doivent être dénoncées. Les tueries et invasions arabes furent extrêmement destructrices. L’esclavage arabe a annoncé le début de la chute réelle de la culture et de la civilisation noire. Si les Occidentaux avaient trouvé une Afrique solide, il n’y aurait pas eu nécessairement la traite négrière. On a passé sous silence la traite arabe mais il faut, à un moment donné, revenir sur l’Histoire non pas pour juger et se venger, mais juste pour rétablir la vérité historique. Cela continue encore aujourd’hui en Mauritanie - on a tué ces derniers jours 1000 officiers noirs-, au Soudan. Dans les pays arabes, les Noirs souffrent d’un racisme foudroyant et la question noire est taboue. Dans le passé comme au présent, il y a une politique de « purification ethnique » des Noirs par les Arabes. ADV / DR : Si vous pensez que cette conscientisation existe vraiment, comment expliquez-vous que lors de notre rencontre avec Aimé Césaire, il n’en ait pas parlé ? CB : Césaire est essentiellement concerné par la traite transatlantique tandis que j’ai, moi, une vision mondialisée. On a passé sous silence la traite arabe au nom du panafricanisme, de l’«Unité africaine », pour des raisons politiques. Je peux vous le dire d’avance : ce silence n’est plus d’actualité. ADV / DR : Pourquoi alors cette cristallisation de Dieudonné sur les Juifs ? CB : Dieudonné a peut-être eu des déceptions dans sa vie personnelle et a, c’est certain, été manipulé par des gens qui n’appartiennent pas au monde noir. Sur le plan stratégique et politique, beaucoup ont intérêt à ce que les Noirs soient partis prenante des problèmes au Proche-Orient. ADV / DR : La souffrance du monde noir serait donc, selon vous, instrumentalisée par la militance antisioniste ? CB : C’est précisément ce qui s’est passé. On a voulu nous prendre en otage dans une histoire où nous ne sommes pas directement concernés. Certains ont essayé de manipuler des gens qui avaient une voix au sein de la communauté noire. Je peux vous dire que Dieudonné commence à se rendre compte de son erreur. Récemment, il m’a téléphoné très longuement et a reconnu qu’il a eu tort, qu’il aurait dû m’écouter.* ADV / DR : On sent malgré tout une vraie rivalité mimétique entre Juifs et Noirs, une concurrence victimaire notamment avec la constitution du Collectif des Filles et Fils Africains déportés (référence aux FFDJF de Serge Klarsfeld), les demandes de réparation, l’exigence de repentance de l’Eglise et du droit, in fine, de disposer de sa propre Shoah… CB : Ce n’est pas cela. Les Noirs, estimant que les Juifs ont beaucoup souffert dans la société occidentale et s’en sont sortis, les Juifs deviennent non pas un concurrent mais un modèle à imiter. ADV / DR : La communauté juive comme modèle. Les leçons apprises par les Israéliens, engagés dans le même processus de construction d’une nation que les Africains, ne devraient-ils pas servir de modèle à ces derniers ? Comme eux, ils ont été engagés dans la lutte anticolonialiste contre les Anglais qu’ils ont chassé. CB : Le peuple juif est pour le peuple noir le peuple le plus proche. Ce qui a perturbé la donne, parasité la situation, ce sont les antisionistes qui n’ont rien à voir avec la question noire et ont tenté de se servir d’une infime minorité d’Afro-français. Et ces derniers, plus lucides, font marche arrière. ADV / DR : Comment envisagez-vous de consolider une alliance qui souvent existe déjà dans les faits entre votre communauté et la communauté juive ?

CB : J’ai créé, par exemple, un club d’élite noire de réflexion. Et nous allons lancer, dés la rentrée, des initiatives, des rencontres, des projets afin de recevoir des représentants et des intellectuels juifs – notamment, je l’espère, Roger Cukierman, le président du CRIF. La tentative de mainmise des antisionistes sur le monde noir nous a brisé et fait sensiblement reculer le combat pour l’égalité. Il est temps de remettre les pendules à l’heure. ADV / DR : Quant à Nicolas Sarkozy, n’êtes-vous pas sévère envers lui lorsque vous le qualifiez de raciste ou d’extrémiste, lui qui fut un des premiers à prôner la discrimination positive, à dénoncer la double peine puis à préconiser le vote des étrangers aux élections locales ? CB : Je ne traite pas Nicolas Sarkozy de raciste ou d’extrémiste. C’est l’image qu’il renvoie aujourd’hui aux minorités. D’ailleurs, jusqu’en octobre dernier, les minorités mettaient leur espoir en lui et étaient prêts à voter pour lui. Puis, il y eut ses réflexions sur la polygamie, le Karcher et la « racaille ». S’ensuivit l’intime conviction qu’il mettait dans ses discours à l’Assemblée Nationale, les Noirs hors de la communauté nationale. Il a été perçu comme stigmatisant les Noirs et à ce jour, on ne le lui pardonne pas. ADV / DR : Certains, au sein de l’UMP, lui reprochent pourtant le contraire, c’est-à-dire d’être l’homme des communautarismes. Et surtout, il n’a jamais stigmatisé les Noirs… CB : Peut-être mais alors qu’à un moment donné, il fut perçu comme un homme providentiel, capable de désamorcer la ghettoïsation de la société, aujourd’hui il sert de repoussoir. Pire que Le Pen ! ADV / DR : Pourtant, il dénonce depuis toujours et combat fortement l’extrême droite… CB : Peut-être. Reste qu’en l’état actuel des choses, il ne pourra obtenir les voix des Noirs qui ainsi, j’en témoigne, le perçoivent. Son image a été transformée en quelques mois. On a trouvé son image segmentante et non pas fédératrice. Je suis bien placée pour vous dire qu’il n’aura pas de bulletins noirs. ADV / DR : Ne pourriez-vous pas tout de même reprendre un dialogue avec lui ? Accepteriez-vous un débat contradictoire avec lui, dans nos colonnes ou ailleurs ? CB : Pourquoi pas ! Je vous prends au mot !

NDLR * Hélas, les dernières déclarations de Dieudonné, son appel à ce que la France s’aligne sur la position vénézuelienne – le président Hugo Chavez vient de rappeler son ambassadeur en Israël – ont au moins le mérite d’être claires : le chantre de l’antiracisme reste le symbole de la barbarie antisioniste et antisémite.

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