No200 - Orthographe

  • June 2020
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  • Words: 83,197
  • Pages: 247
Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V. Paris

Revue éditée par la Fédération Nationale des Orthophonistes Réda ction - Administration : 2, rue des Deux-Gares, 75010 PARIS — Tél. : 01 40 34 62 65 — — F a x : 01 40 37 41 42 — e-mail : [email protected] Abonnement normal : 525 F (80.04 euros) Abonnement réduit : 380 F (57.93 euros)

Directeur de la publication : le Président de la F.N.O. :

Jacques ROUSTIT

Membres fondateurs du comité de lecture : Pr A LLIERES • A. APPAIX • S. BOREL-MAISONNY

réservé aux adhérents de la F.N.O., de l ’A .R. P. L.O.E .V . o u d’un e as so ciati on euro péenne m emb re du C.P. L.O. L.

M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTO NNIER • J. GERAUD

Abonnement étudiant : 210 F (32.01 euros)

R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY

ré se rvé aux é tudiant s e n o rthophonie

Abonnement étranger : 600 F

G.

F.

DECROIX



LHERMITTE

R.



DIATKINE

L.



M ICHAUX

H.



DUCHÊNE

P.

PETIT

G . PORTMANN • M. PORTMANN • B. V A L L A N C I E N .

Comité scientifique Aline d’ALBOY Dr Guy CORNUT Ghislaine COUTURE Dominique CRUNELLE Pierre FERRAND Lya GACHES Olivier HERAL Frédéric MARTIN Alain MENISSIER Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI Bernard ROUBEAU Liliane SPRENGER-CHAROLLES Monique TOUZIN Rédacteur en chef Jacques ROUSTIT Secrétariat de rédaction Marie-Dominique LASSERRE Abonnements Emilia BENHAMZA Commission paritaire : 61699

Impression : TORI 11, rue Dubrunfaut, 75012 Paris Téléphone : 01 43 46 92 92

Sommaire

Décembre 1999

N° 200

Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris Ce numéro a été dirigé par l’association Orthophonissimo

L’ORTHOGRAPHE

Orthophonissimo, Association de recherche en orthophonie, Paris

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1. Point de vue sociologique sur l’orthographe Philippe Cibois, Professeur de Sociologie, Université de Versailles-St-Quentin 2. Réponses Françoise Coutou-Coumes, Psychologue clinicienne, Centre Alfred Binet, Paris

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1. Orthographe et principes d’écriture en français Jean-Pierre Jaffré, Linguiste, CNRS/UMR 8606-Paris V 2. Vers une orthographe pour l’an 2000 Renée Honvault, Linguiste, CNRS et AIROE, Paris 3. La compétence orthographique du sujet adulte Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS, L. Maginot, C. Magnien, orthophonistes, Paris 4. Les stratégies de recherche et de copie de mots se développent-elles conjointement ? Laurence Rieben, Professeur de psychologie, Université de Genève 5. Apprentissage implicite et orthographe. Le cas de la morphologie Sébastien Pacton, L.E.A.D/CNRS, Dijon ; Michel Fayol, LAPSCO/CNRS, Clermont-Ferrand ; Delphine Lonjarret, David Dieudonné, L.E.A.D/CNRS, Dijon 6. Apprendre la morphologie du nombre à l’écrit en français Corinne Totereau, Docteur en psychologie, IUFM, Draguignan

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(suite) 7. La complexité de l’orthographe est-elle seule responsable des erreurs orthographiques chez l’enfant ? Christiane Soum, Jean-Luc Nespoulous, Laboratoire Jacques Lordat, Université Toulouse-Le Mirail 8. La neuropsychologie cognitive de l’orthographe Helgard Kremin, Directeur de recherche, CNRS, Paris 9. Contribution de l’imagerie fonctionnelle du cerveau à la compréhension des mécanismes neurobiologiques des processus orthographiques et de leurs troubles développementaux Michel Habib, Laboratoire de Neurologie Cognitive, La Timone, Marseille ; Jean-François Demonet, INSERM U455, Purpan, Toulouse

1. Approches didactiques de l’orthographe : quatre dimensions d’une analyse comparative Linda Allal, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève 2. BELEC et l’évaluation de l’orthographe Christiane Baudesson, Olivia Sandevoir, orthophonistes, Flavigny-sur-Moselle 3. Etude d’un cas clinique de perturbation développementale de l’accès à l’orthographe lexicale : importance diagnostique et remédiative d’une approche cognitive pluridisciplinaire Jean-Pierre Walch, neuropsychologue, Les Lavandes, Orpierre 4. Récupération d’une orthographe lexicale chez un patient cérébrolésé : points de vue rééducationnels et théorie descriptive des troubles Roger Ségobia, orthophoniste, Kremlin-Bicêtre, Nathalie Seibel, orthophoniste-neuropsychologue

1. Synthèse des modèles théoriques et réflexions sur la rééducation de l’orthographe Didier Roch, Carolyne François, Association Orthophonissimo, Paris

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On a beaucoup écrit sur la lecture, peu sur l’orthographe. Pourtant, l’orthographe représente un enjeu important dont nous ressentons le poids dans notre pratique d’orthophonistes, au travers de la demande des patients (aphasiques, illettrés, dysorthographiques, ...), ou dans l’attente des parents, sous-tendue par la pression scolaire et la crainte de l’échec. C’est ce qui nous a poussé à orienter notre réflexion sur le vaste thème de l’orthographe. Comment situer l’orthographe par rapport à l’écriture ou à la langue écrite ? Dans son principe, l’orthographe est une simple technique, c’est-à-dire un ensemble de procédés graphiques mis au point pour lever les ambiguïtés de la langue orale. En fait, l’orthographe est beaucoup plus que ça. L’orthographe renvoie à un imaginaire collectif où viennent se cristalliser les contradictions des différents systèmes de valeurs sur lesquels est bâtie notre société. Elle pose la question du rapport entre la langue et la communauté de ses usagers et reflète les relations de pouvoir entre ceux qui détiennent la légitimité culturelle et les autres. Le pédagogue Jean Guion n’a-t-il pas proclamé que l’orthographe est une « institution » ? S’attaquer à cette institution impliquait donc d’aborder l’orthographe sous des angles diversifiés : linguistique, sociologique, psychopédagogique,

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neuropsychologique, à la lumière des dernières recherches en psychologie cognitive. Nous remercions les nombreux auteurs qui ont manifesté leur intérêt pour notre projet et y ont apporté leur contribution.

Association ORTHOPHONISSIMO association de recherche en orthophonie, 86, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris

Pour ce numéro de Rééducation Orthophonique sur « l’orthographe », l’équipe de rédaction était composée de : Carolyne François, Isabelle Robin, Didier Roch, Marc Sampo, Roger Ségobia, Nathalie Seibel, Dominique Turrettini et Mazy Varraud.

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Point de vue sociologique sur l’orthographe Philippe Cibois

Résumé En tant que marqueur social, l’orthographe n’a pas plus de valeur que le mode d’expression ou le mode vestimentaire d’un individu. Mais le système orthographique français a une spécificité qui tient à sa structure (piégeante pour l’utilisateur) et à son histoire (la révolution de 1789 a bloqué son évolution). Cette situation engendre certaines réactions psycho-sociales qui expliquent l’ambivalence des français par rapport aux réformes. En chaque individu cohabitent deux tendances contradictoires : celle du scripteur (favorable à certaines rectifications des « bizarreries » orthographiques) et le lecteur (attaché à la forme visuelle du texte et hostile aux modifications). De plus les gens sont sensibles à la fois à l’aspect patrimonial de l’orthographe (héritage culturel, intouchable) et à la nécessité de rendre l’outil fonctionnel. Seule une institution - l’Académie Française - est apte à décider. Mots-clés : Système orthographique, Académie des lumières, réforme, lecteur/scripteur, patrimonial/fonctionnel.

A sociological perspective on spelling Abstract As a social « marker », the way a person spells is no more important than his(her) mode of expression or way of dressing. But there is a specificity to the French orthographical system which is inherent to its structure (a trap for the user) and to its history (its evolution has been hindered by the 1789 revolution). This situation generates several psychosocial reactions which explain the French’s ambivalence towards reforms. Two contradictory trends coexist in every person : that of the writer (in favour of modifying certain orthographical peculiarities) and that of the reader (more attached to the visual form of the text and hostile to changes). Furthermore, people are sensitive to both the patrimonial aspect of spelling (sacrosanct cultural inheritance) and to the need of having a functional tool. The « French Academy » is the sole institution qualified to make decisions on this matter. Key Words : Spelling system, reform, reader/writer, patrimonial/functional.

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Philippe CIBOIS Professeur de sociologie Université de Versailles St-Quentin 22bis rue Essertes, 94140 Alfortville co-auteur de Que vive l’orthographe, Seuil, 1989

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ire qu’une mauvaise orthographe vous « marque » socialement est de peu d’intérêt car il en est de même pour la prononciation, la manière de s’habiller ainsi que pour beaucoup d’aspects de la vie. De ce point de vue l’orthographe n’a rien de spécifique. Il me semble plus intéressant, comme sociologue, de comprendre pourquoi nous avons une orthographe qui nous pose socialement des problèmes et en quels termes ils se posent.

◆ Le système orthographique Pour comprendre la situation actuelle, examinons un extrait d’un texte du 18e siècle, le Traité des Etudes de Charles Rollin dans sa 3e édition de 1730 : Face à un tel texte, la difficulté vient plus de la graphie que de l’orthographe du fait de l’usage du S long (première ligne souverainement, 3e ligne laissé, etc.), signe qui ressemble pour nous au f et dont la seule trace existant encore est le S mathématique de l’intégrale qui signifie simplement somme. Nous sommes éga l e m e n t surpris par le signe & cependant toujours utilisé, qui est un reliquat des nombreuses abréviations des manuscrits anciens et qui remonte à la stén o g r a p h i e d e l ’ a n t i q u i t é (l es fameuses notes tironiennes, invention de Tiron, l’affranchi de Cicéron).

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Cependant, du point de vue de l’orthographe, on voit que le système des accents n’est pas encore tout à fait le nôtre : caractere sans accent, absence de l’accent grave (maniére, zéle), graphie en oit au lieu de ait dans dominoit. Entre l’orthographe de Rollin et la nôtre ont eu lieu des réformes assez nombreuses au 18e siècle, faites par l’Académie française, qui ont conduit à la situation du 19e qui est déjà pratiquement le système que nous utilisons aujourd’hui. Ces réformes ont été faites également dans de nombreux pays d’Europe. Par exemple l’italien a connu des réformes plus profondes comme de remplacer les lettres grecques par des lettres latines (filosofia, fotografia, farmacia). Les italiens n’ont pas de problème d’orthographe et les espagnols non plus. Il faut donc réfléchir à la situation française et comprendre pourquoi les français en ont. Si l’on regarde les fautes d’orthographe commises, non plus comme correcteur, mais pour en comprendre les raisons, on s’aperçoit qu’elles viennent le plus souvent des accents et des redoublements de consonnes. Il est aisé d’en comprendre la raison profonde. Elle vient du fait que le système orthographique utilise plusieurs manières pour rendre compte de certains sons, et que l’on passe d’une manière à l’autre de façon aléatoire, ce qui risque de piéger l’utilisateur. Par exemple pour noter le son è, on peut tout aussi bien utiliser l’accent, comme dans je mène, ou le redoublement de consonne comme dans j’appelle. Celui qui écrit je menne ou j’appèle manifeste simplement qu’il a compris le système mais qu’il est piégé par lui. A titre de comparaison on voit qu’en italien, il existe aussi des accents mais il n’y a pas de piège car les accents sont directement liés à la prononciation comme dans la libertà qui marque l’accent tonique sur la dernière syllabe. En français le système des accents est dans l’ensemble lié à la prononciation (je cède, nous cédons) mais le piège réside dans le fait que les accents circonflexes ne sont pas liés à la prononciation mais sont des résidus incertains d’étymologie. « Résidus incertains » : on dit en effet que le système est étymologique et, certes, dans coût par exemple, l’accent circonflexe remplace le s de l’ancien français. L’anglais en est un bon témoin : cost montre qu’il y avait évidemment un s à l’origine (en français comme en anglais). De la même façon, l’anglais custom montre qu’il y avait aussi un s dans l’ancien mot français. Mais aujourd’hui ce s n’a pas été remplacé par un accent circonflexe (on écrit coutume sans accent). Le système n’est pas régulier : par exemple pâte entraîne pâtisserie avec un accent circonflexe mais le dérivé de cône, conifère est sans accent. De même pour être et était, fût et futaie, mais gâté et gâteau ont tous deux l’accent.

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On a donc un système irrégulier : certains accents circonflexes ont disparu récemment comme dans souvenir (il a existé jusqu’à 1762), dans bouchon, dans bocage, dans otage, dans soupir. Partout il y avait des s avant et dire que le circonflexe est la trace d’un s disparu est une règle qui doit être remplacée par celle-ci « le circonflexe note parfois la présence d’un s disparu ». Quant à l’accent circonflexe sur le o on le retrouve dans cône mais pas dans zone ni dans atome qui se prononcent pourtant de la même façon que pôle. Notre système, à l’inverse de celui de l’italien ou de l’espagnol, tend des pièges à l’utilisateur qui évidemment tombe dedans. Cependant, dans le système anglais il y a aussi un grand nombre de lettres muettes. Bernard Shaw, qui était spécialiste de la question, s’était aperçu qu’il y avait 30 lettres pour rendre compte de 17 sons dans la phrase The kneeling knight thought he knew. En fait les anglais n’ont pas trop de problèmes d’orthographe car les lettres superflues ne provoquent pas d’hésitation mais une simple perception d’inutilité. Les américains simplifient d’ailleurs : ils écrivent nite au lieu de night mais ils savent bien que cela s’écrit night. Ce n’est pas une faute mais une simplification voulue. Eux ne sont pas piégés par le système des accents et des redoublements.

◆ Lecteur contre scripteur Cependant, nous ne sommes pas totalement démunis face à ces pièges grâce à notre mémoire visuelle des mots. C’est celle qu’on utilise lorsqu’on hésite entre deux graphies : on écrit les deux et la bonne apparaît sans ambiguïté. De ce fait les lettres muettes, superflues, sont plutôt une aide, en ce sens qu’elles participent au dessin du mot, et favorisent sa mise en mémoire et donc sa reconnaissance à la lecture. Le problème se pose à l’écriture où l’on hésite : « y a-t-il un accent circonflexe ou un accent grave dans des mots comme emblême, crème ? ». D’un point de vue fonctionnel le è ou le ê ont le même effet et l’on ne sait plus ce qu’il faut écrire. C’est à ce moment que la mémoire visuelle doit suppléer mais une si petite variation graphique (un accent) est parfois difficile à mémoriser. Le système actuel orthographique pousse à la faute du fait de ses irrégularités internes. Ce phénomène à des conséquences psychosociales : comme lecteur on n’a aucune difficulté avec les bizarreries du système orthographique et les lettres superflues par exemple nous servent à repérer les homophones. Les bizarreries nous aident à lire, elles nous permettent de bien différencier les mots. Mais à l’écriture le point de vue change car les bizarreries du système conduisent à l’hésitation et à la faute. Ceci fait que chacun a une double attitude, celle du lecteur qu’il est le plus souvent, et celle du scripteur qu’il est en général plus rarement.

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Quand on change la physionomie d’un mot comme lors d’une coquille dans un journal, c’est une agression pour le lecteur. De même lorsqu’un journal change sa typographie ou sa maquette cela déconcerte : on a beaucoup de mal à l’accepter, même si en fait on s’y habitue assez vite. Comme lecteur on s’oppose à toute modification de l’aspect visuel du texte, alors que comme scripteur on a une attitude inverse : on souhaiterait des simplifications du système parce qu’on hésite quand on écrit. C’est l’une des explications aux réticences de beaucoup de gens devant les réformes : ils sont partagés en deux : les simplifications leur seraient utiles lorsqu’ils écrivent mais ils écrivent moins qu’ils ne lisent. On est donc pris entre deux feux : comme scripteur on aimerait que les choses changent, comme lecteur on s’y refuse. Cela entraîne un réflexe de peur ou de réticence face à toute tentative de modification, même si cette modification devrait alléger le fardeau du scripteur en simplifiant l’orthographe.

◆ Qui doit décider ? Puisque les individus sont pris entre les avantages du statu quo et ses inconvénients, seule une autorité incontestable peut débloquer la situation et jusqu’à présent l’autorité dans ce domaine a été l’Académie française. En effet elle a réformé l’orthographe à cinq reprises au 18e siècle. L’Académie était celle des Lumières. Voltaire pensait y faire avancer la lumière pour dissiper les ténèbres de la religion, contre l’obscurantisme et l’Académie a réformé beaucoup de points. Mais a eu lieu la Révolution. Et après elle l’Académie, devenue légitimiste, a identifié toute réforme de l’orthographe à la Révolution elle-même qui était « la faute à Voltaire, et la faute à Rousseau ». Continuer leur travail de simplification de l’orthographe aurait été à leurs yeux continuer la Révolution. Au 19e siècle, l’Académie est devenue l’Académie des ducs, des légitimistes, avec une prudence totale en matière politique et de réformes orthographiques. Celles-ci ont été extrêmement peu nombreuses tout au long du 19e siècle. Contre l’Académie, les lettrés, les techniciens de la langue comme Ferdinand Brunot ou quelques autres ont poussé aux réformes, parce qu’ils étaient confrontés à l’instruction qui se généralisait, et en contact, par le biais des écoles normales, avec des instituteurs qui avaient beaucoup de difficultés à enseigner l’orthographe et manifestaient le désir de la voir simplifiée. En 1902 il y a eu d’ailleurs une tentative de simplification : un décret du Ministère de l’instruction publique spécifiait que telle ou telle simplification ne serait pas tenue pour faute aux examens mais c’était vouloir ignorer l’Académie et ce fut sans effet. Il en fut de même jusqu’en 1990.

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◆ La réforme de 1990 Une enquête faite peu avant 1990 par Bernard Pivot, dans la revue Lire, a eu des résultats qui ont entraîné une réflexion sur la situation. En effet quand on a demandé aux gens : « seriez vous favorables ou hostiles à une réforme de l’orthographe ? » la moitié des gens étaient hostiles, mais 44 % favorables (il y avait 6 % de non réponses). A la question « Est-ce-que l’orthographe fait partie de notre culture ? », la réponse fut un oui massif, à 86 % (9 personnes sur 10). Enfin à la question : « Est-il possible de retoucher l’orthographe pour en supprimer quelques bizarreries et absurdités ? » 80 % pensaient que c’était possible. La moitié des gens étaient pour une réforme. Beaucoup plus lui étaient favorables si elle corrigeait des bizarreries mais beaucoup pensaient en même temps que l’orthographe faisait partie de notre patrimoine. Cette enquête a poussé Bernard Pivot à participer à un mouvement de réforme initié par des linguistes qui avaient fait une pétition en vue d’une réforme. En 1989 le gouvernement Rocard décida de mettre en place une commission dans laquelle figurait Bernard Pivot. C’était à la veille de la guerre du Golfe. Au moment où s’est déclenchée cette guerre, l’Académie était en train de revenir sur ses positions. Pivot était favorable à une certaine réforme, mais les linguistes, semble-t-il, ont voulu aller trop loin : ils ont voulu par exemple supprimer complètement l’accent circonflexe, et sur ce point Bernard Pivot a pris une position défavorable. Un premier texte avait été accepté par l’Académie, mais il y a eu des pressions pour la faire revenir en arrière. L’Académie a conclu prudemment en ne remettant pas en cause les rectifications mais en signalant qu’elles n’étaient pas obligatoires et que l’usage trancherait. Depuis, Maurice Druon, qui était à l’époque secrétaire perpétuel de l’Académie et qui était favorable à cette réforme a fait en sorte de tenir dans les médias (dont le Figaro) le même discours d’acceptation d’une certaine réforme. Ces simplifications sont inscrites dans le dictionnaire de l’Académie. Elles sont minimes, portent sur la suppression de l’accent circonflexe uniquement sur le i et sur le u, corrigent certaines bizarreries et proposent quelques simplifications. Ces réformes sont reprises par le dictionnaire de l’Académie et donc aussi dans les dictionnaires usuels et de ce fait sont en train d’entrer lentement dans l’usage.

◆ Les difficultés d’adaptation Le débat en France sur la réforme de l’orthographe ne se recouvre pas avec le débat entre la gauche et la droite. On le constate en faisant l’inventaire des personnalités qui ont pris position dans le débat. Par exemple parmi les chroniqueurs du Nouvel-Observateur, Jean Daniel et Jacques Julliard étaient

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pour la réforme mais Delfeil de Ton et Bernard Franck étaient contre ; au Figaro, Maurice Druon lui était favorable. Quelques enquêtes ont permis de comprendre qu’en fait, comme dans le questionnaire de Bernard Pivot, les gens de droite et de gauche sont pris entre deux soucis. D’une part ils utilisent l’orthographe comme un outil et sa fonctionnalité fait partie de leurs soucis (d’où une acceptation de la réforme des bizarreries) mais d’autre part l’aspect patrimonial est présent avec le sentiment très fort de l’identité qui existe entre l’orthographe et la langue, même si les linguistes contestent cet aspect. Ce que les enquêtes ont permis de mieux comprendre, c’est que ce double aspect (fonctionnalité et patrimoine) se retrouve d’une manière plus ou moins prononcée chez la plupart des individus. Il n’y a pas ceux qui mettent l’accent uniquement dans un sens ou dans un autre. Chez presque tous on retrouve le sentiment que les deux aspects sont fondamentaux. Ceci explique pourquoi toute réforme, même si elle améliore l’aspect fonctionnel de la langue entraîne des réticences, et du lecteur, et du « patrimonial » qui réside en chaque individu. Inversement tout « scripteur » ayant le souci de la fonctionnalité tentera de mettre en œuvre les réformes proposées. Comme toutes ces tendances se croisent dans le même individu, on comprend mieux les difficultés d’une évolution. Seule une institution disposant depuis longtemps de l’autorité dans ce domaine est en mesure de prendre des décisions. C’est ce qu’a fait l’Académie française en 1990.

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Réponses Françoise Coutou-Coumes

Résumé Après avoir situé le cadre de sa pratique professionnelle et défini ce qu’est la spécificité de l’aide psychopédagogique, l’auteur essaie de montrer quelles peuvent être les implications psychologiques de l’acte d’orthographier : maîtrise de l’absence, soumission à la loi, poids de la dynamique personnelle inconsciente. Elle illustre ses propos de nombreux exemples tirés de sa pratique. Aide psychopédagogique : traitement psychologique visant, grâce à une relation thérapeutique médiatisée, à modifier le vécu scolaire de l’enfant ou de l’adolescent et à l’intéresser aux mouvements psychiques qui accompagnent ses apprentissages. Mots clés : aide psychopédagogique, apprentissages scolaires, orthographe, symptôme.

Replies Abstract After describing the general orientation of her professional practice and defining clearly what is meant by psychotherapeutic teaching, the author discusses the psychological implications involved in the act of spelling: overcoming loss, obeying a law, weight of unconscious dyna mics. The author illustrates this paper with many examples taken from her own professional experience. Psychotherapeutic teaching : a form of psychological treatment which, through the use of a therapeutic medium, attempts to modify the way the child or adolescent experiences school and tries to make him more aware of those internal psychic activities which are associated with learning. Key Words : psychoeducational help, academic learning, spelling, symptom.

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Françoise COUTOU-COUMES Psychologue clinicienne Centre Alfred Binet 76, avenue Edison 75013 Paris

◆ Dans quel cadre avez-vous l’occasion de rencontrer des enfants présentant des difficultés en orthographe ? Je les rencontre au Centre Alfred Binet, centre de consultations et de traitements ambulatoires du département de pédopsychiatrie de l’Association de Santé Mentale dans le XIIIe arrondissement. Cette dernière a été créée en 1958 par Philippe Paumelle avant même la publication de la circulaire de 1960 qui devait officialiser et généraliser en France la politique dite de secteur visant, dans la continuité, à maintenir une proximité entre le domicile des patients et le lieu où des soins leur étaient prodigués. Dès l’origine, la direction du Centre Alfred Binet fut confiée à Serge Lebovici, bientôt rejoint par René Diatkine. Nommer les fondateurs, c’est évoquer la référence théorique qui réunit les différents professionnels du Centre Alfred Binet : la théorie psychanalytique. Elle nourrit les élaborations cliniques de tous. C’est au sein d’une équipe animée par René Diatkine et regroupant assistante sociale, orthophonistes et psychothérapeutes que j’ai été amenée, dans les années 1960, à découvrir puis à pratiquer régulièrement l’aide psychopédagogique.

◆ Dans quelles circonstances ? A l’occasion d’une consultation de René Diatkine à laquelle j’assistais en tant que psychologue de son équipe. La consultante était une petite fille en souffrance scolaire mais dont les difficultés n’appelaient spécifiquement ni la mise en place d’un traitement orthophonique, ni celle d’une psychothérapie analytique.

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René Diatkine demanda alors à la cantonade « Qui serait intéressé pour assurer à cette fillette une sorte de soutien dans ses apprentissages ? ». Spontanément, je me désignai et c’est ainsi que je me lançai dans la pratique de l’aide psychopédagogique, soutenue ensuite par un long travail de réflexion animé par René Diatkine, Janine Simon puis Serge Lebovici. A l’heure actuelle, dans les différentes équipes du Centre, un certain nombre de psychologues assurent ce type de traitement.

◆ Comment le définiriez-vous ? Comme un traitement psychologique individuel - il peut aussi s’appliquer à un petit groupe mais je n’en ai pas personnellement l’expérience - dont l’objectif explicite est de modifier les relations qu’entretient l’enfant avec sa scolarité. Anxiété excessive face à l’exercice scolaire, ennui à tonalité dépressive, opposition clairement exprimée ou totalement inconsciente, intolérance à la réussite, difficultés cristallisées sur une seule discipline, voici quelques formes d’expression possibles de la souffrance scolaire. L’objectif implicite de ce traitement va beaucoup plus loin : il s’agit de provoquer l’intérêt de l’enfant ou de l’adolescent pour son mode de relation au savoir et par là même pour sa vie intérieure. Comment ? Au travers d’une rencontre thérapeutique. Comme je l’écrivais dans Affronter l’école : « même si j’évoque une figure parentale, je ne suis ni la mère ni l’enseignante de l’enfant que je traite. L’originalité de la tâche proposée n’est pas ici en jeu mais l’originalité du regard posé sur l’activité qui se déroule et sur celui ou celle qui l’exécute. Les interrogations qui émergent, les réponses qui sont sollicitées ou apportées sont différentes de celles auxquelles l’enfant est habitué. Cette différence est porteuse de distance et de nouveauté, même si des scénarios connus sont rejoués inconsciemment avec moi ». Toutes les disciplines scolaires peuvent être abordées, du latin aux mathématiques et à la littérature, en passant par l’anglais ou la biologie. L’orthographe fait partie de cet éventail mais elle ne constitue pas l’indication première de l’aide psychopédagogique. A ce titre, je ne suis pas du tout une spécialiste de l’orthographe mais plutôt une généraliste de la scolarité et notamment de la scolarité secondaire, ce que j’expliquerai ultérieurement.

◆ Lorsque vous avez affaire à des difficultés spécialement cristallisées sur l’orthographe, comment vous situez-vous par rapport aux orthophonistes ? J’ai eu l’occasion de travailler avec les orthophonistes dès le début de ma vie professionnelle. « Ton train va loin mais le mien est plus grand », « les œufs

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de la crémière et les marguerites flétries » des phrases de Madame Borel-Maisonny font partie de ma culture. Comment oublier en effet que le laboratoire de psychologie dirigé par René Zazzo - où mon premier emploi de psychologue me fit entrer - était installé dans le même bâtiment que le service de Madame Borel-Maisonny, à l’hôpital Henri-Rousselle ? Comment oublier les consultations de J. de Ajuriaguerra, les élaborations partagées, la lente maturation des notions de dyslexie, de dysorthographie, de dysphasie et les interrogations qu’elles suscitaient déjà ? Comment oublier enfin les liens privilégiés que René Diatkine avait noués et a gardés toute sa vie avec Madame Borel-Maisonny et l’équipe d’orthophonistes qui travaillaient avec elle... puis après elle ? Un bon nombre d’entre elles ont été ou sont encore mes collègues au Centre Alfred Binet. Ma collaboration avec les orthophonistes a donc une très longue histoire et la délimitation de nos compétences respectives se négocie aisément, la complémentarité excluant la concurrence. Il nous arrive même souvent d’échanger titres de livres ou « astuces » techniques susceptibles de mobiliser tel ou tel enfant. Lorsqu’une famille consulte au Centre Alfred Binet pour le motif explicite de difficultés en orthographe, le médecin consultant demande qu’une orthophoniste pratique un bilan. C’est au cours de celui-ci que cette dernière s’interroge éventuellement sur une indication différentielle : traitement orthophonique ou aide psychopédagogique. De même, au cours d’un examen psychologique, il m’arrive parfois de découvrir chez un enfant qui ne consulte pas pour ce motif, des difficultés de langage, de lecture ou d’orthographe. Je peux alors à mon tour souhaiter qu’un bilan orthophonique soit pratiqué. C’est toujours à la suite d’une concertation où psychanalyste, orthophoniste et psychologue apportent leurs voix que la décision thérapeutique est prise. Actuellement et depuis de longues années, on me confie plutôt des collégiens que des enfants suivant une scolarité primaire, notamment du CP au CE2. Il me paraît en effet que dans ces cas précis, le « montage » de la lecture et la mise en place de la transcription du code linguistique ne sont pas de ma compétence. Ceci explique sans aucun doute que les collégiens et les lycéens bénéficient davantage de mes soins dans ce domaine, les médecins avec lesquels je travaille le sachant posent leurs indications en ce sens.

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Certains chevauchements demeurent pourtant, mais pourquoi pas ? Certes nos formations de base restent différentes, mais elles ont été tellement retouchées et enrichies par le partage d’une même culture psychanalytique et tellement stimulées et vivifiées par l’enseignement de René Diatkine et notre longue collaboration avec lui, que les différenciations ne se posent plus en termes corporatistes. Voici quelle est la situation actuelle dans le cadre du Centre Alfred Binet, mes propos ne doivent certainement pas être généralisés.

◆ Que mettent en jeu, à votre avis, les difficultés en orthographe présentées par les enfants et les adolescents qui vous sont confiés ? Leur relation avec leur petite enfance et leur degré de tolérance à l’absence, leurs rapports avec la loi et avec la culture, et enfin le poids de leur problématique personnelle. Mode de relation à leur petite enfance ? Orthographier c’est transcrire un code qui est celui des adultes. En ce sens l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe vient confirmer l’entrée de l’enfant dans ce monde et lui donner les moyens de communiquer avec autrui en son absence. C’est un pas supplémentaire - et quel pas ! - dans la maîtrise de la séparation et dans la conquête de l’autonomie. C’est un pas qui implique le deuil de l’étape antérieure où la communication exigeait la proximité de l’autre... paroles, cris et pleurs s’entendent dans l’urgence de la présence. Refuser de transcrire, garder à son orthographe un caractère intraduisible ou illisible peut donc se comprendre comme une forme de régression, l’expression d’un refus de grandir, ou la peur d’une confrontation de plus en plus fréquente à l’absence.

◆ Et la relation de l’orthographe avec la loi ? Le partage avec les adultes d’un code rigide et imposé conduit certains enfants au plaisir - le plus souvent inconscient - de s’y opposer. Tout se passe comme si ce code, symbole de la loi, de l’autorité sociale - donc parentale - ne pouvait être que transgressé. Quel terrain privilégié si l’on veut bien admettre à quel point l’orthographe française est contraignante, complexe dans ses variations tant morphologiques que syntaxiques. Autant ne pas rentrer dans ces arcanes... Ainsi Emilie découvrira-t-elle à vingt ans seulement et en faculté, que le cours n’est plus la cour de récréation. Le court de tennis, lui, avait bien intégré son T. Que signifiait ce S. - Savoir ? Souffrance ? - chez cette jeune fille qui, au cours d’une scolarité tout à fait nor-

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male, mais sans joie, a gardé une mauvaise orthographe jusqu’à l’âge adulte ? Après tout, avec un S., un T. ou sans S. ni T., court se lit toujours cour, « Qu’aije à faire, se disait-elle, de ces « finasseries » inutiles qu’on veut m’imposer ? ».

◆ Et la culture ? En tant que véhicule d’une langue, l’orthographe est bien sûr l’expression de toute une culture et certaines difficultés peuvent traduire une sorte de conflit de loyauté entre deux cultures. J’ai rencontré un certain nombre d’enfants de migrants qui, me semble-til, réglaient à travers l’orthographe les comptes que leurs parents, à travers eux, pensaient avoir à régler avec la société française. Tout se passait comme si respecter le code de la langue française constituait une trahison de leurs racines qu’il leur était impossible d’assumer. Ainsi Karim, élève de 5e, m’avouait-il détester le français. Je l’avais d’ailleurs compris puisqu’il refusait systématiquement toute réflexion sur l’analyse grammaticale. C’est en parlant ensemble de son attachement à la Kabylie, de son histoire personnelle, de celle de ses parents, que peu à peu nous avons pu aborder un travail efficace en grammaire... Il s’est en quelque sorte réconcilié avec la langue française. Mais ce n’est pas toujours aussi simple.

◆ C’est-à-dire ? Je pense que les fautes d’orthographe sont la note personnelle que chaque enfant imprime à son écrit. Ses erreurs résultent d’une stratégie personnelle tout à fait inconsciente et les corriger engage un changement profond. On peut aimer ses fautes, les cultiver et je me souviens du sourire radieux de Louise qui consultait pour ses difficultés en orthographe et m’affirmait « Mes professeurs disent que mon orthographe, c’est monstrueux ». Elle tenait à rester ce monstre et maniait sa dysorthographie comme une arme redoutable contre sa mère qui avait épuisé toutes les aides possibles. Mais lorsqu’elle écrivait pour elle-même son journal, elle faisait beaucoup moins de fautes...

◆ Pouvez-vous donner d’autres exemples ? Je me souviens d’un adolescent de religion juive pour lequel le mur des lamentations était devenu le mur de l’alimentation. Obèse, d’une grande avidité, David ne voyait dans les fêtes juives que l’occasion - bénie ! - de dévorer en toute bonne conscience.

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Récemment, Marlène, en pleine crise relationnelle avec sa mère, écrivait sur son cahier d’anglais : seasick : mal de mèrE. Je soulignais le E en souriant, elle en comprit parfaitement la portée et éclata de rire en corrigeant. Aïssa lui, aîné de quatre enfants, paraissait ignorer en 6e toutes les règles de pluriel... Les « S » et les « ent » brillaient par leur absence. Un jour, j’osais « Dis donc, Aïssa, qu’est-ce que tu dois en avoir marre de tes frères et soeurs ! Pourquoi ? - Tu aimes tellement le singulier que tu ne mets jamais de pluriel, je me demande pourquoi ». Eclat de rire et début d’une lente progression en orthographe. Ces vignettes cliniques viennent illustrer les liens inconscients susceptibles de se créer entre certaines erreurs orthographiques et la problématique personnelle d’un enfant. Il est évident que l’accord du masculin et du féminin, par exemple, peut solliciter tel ou tel enfant sur les différences sexuelles. Il serait dangereux toutefois de voir dans ces exemples des recettes. Je tiens en tout état de cause à souligner qu’une grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de « faire des liens » de ce type. Ces interventions doivent s’inscrire dans une histoire relationnelle suffisamment longue et confiante. Il est très important, soit d’attendre le moment opportun, soit même de taire ce qu’on a pu comprendre de la dynamique inconsciente en le gardant simplement en tête comme axe de réflexion.

◆ Comment abordez-vous les difficultés en orthographe dans le cadre de l’aide psychopédagogique ? Je ne les aborde pas différemment des difficultés que je rencontre dans d’autres disciplines. J’essaie de réintroduire le plaisir de fonctionner à l’intérieur d’une réalité contraignante. Tout le vécu de la scolarité pourrait d’ailleurs se résumer dans cette phrase : avoir du plaisir à apprendre dans un cadre, loin de la maison-mère, où règnent des contraintes corporelles, horaires, relationnelles, administratives qui pèsent de façon permanente. Plaisir d’apprendre alors qu’il faut accepter dans un premier temps de ne pas savoir - donc risquer un mouvement dépressif - pour ensuite conquérir ce qui vous est apporté et rivaliser avec maîtres et pairs. Et pourquoi ? Pour devenir autonome et indépendant, hors du désir parental... Quel programme ! L’apprentissage de l’orthographe n’échappe pas à ces données fondamentales : le code est draconien, n’admet aucune fantaisie mais la création du récit écrit aime la marque personnelle, la fantaisie, le jeu avec le choix des mots, des

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transitions, des liens dont le sens même est susceptible d’être modifié en fonction du respect des accords orthographiques. Le code est draconien mais il ouvre la porte à tous les messages possibles. Dans ce contexte, mon premier objectif est de dédramatiser l’orthographe car je suis frappée par la pression extraordinaire que font peser sur cette matière enseignants et parents, dès le CP. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les raisons de cette pression. Dans un premier temps, j’écris moi-même ce que me dictent les enfants, pour répondre à un exercice par exemple. Ils sont ainsi libérés des affres de l’angoisse orthographique. A cette libération s’ajoute le plaisir subtil d’être celui qui dicte et non celui à qui l’on dicte. Grande nouveauté dans une expérience d’écolier ! Ma tolérance aux mauvaises notes en orthographe est sans borne. Consciente de la fragilité émotionnelle qu’engendre la situation de dictée, j’admets les 0 avec une grande philosophie en faisait miroiter avec conviction ce qu’apportera la classe de 2de lorsque dictées et analyses grammaticales notées n’auront plus cours. Ce saut dans l’avenir est encourageant. Cette tolérance n’implique nullement une dévalorisation de l’orthographe. J’aime trop moi-même cette matière pour adopter cette position. Lorsqu’un enfant fait une erreur, je lui fais corriger sur le champ en la pointant simplement du doigt ou en lui donnant une explication ou en écrivant moi-même le mot difficile. Tout ceci se passe dans une grande légèreté car la mauvaise forme ne constitue en aucun cas un péché marqué du sceau de la culpabilité. Je suis consciente que cette tolérance m’est facile car je suis « à distance », n’étant moi-même ni la mère ni l’enseignante des enfants qui me sont confiés. Les parents, blessés par l’accumulation des mauvaises notes, se sentent contestés dans leur qualité même de parents. Les enseignants eux, le sont dans leur identité professionnelle - leur mission est de transmettre la conformité au code de la langue, s’ils n’y parviennent pas, ils peuvent vivre cet échec comme un échec personnel. Ma tolérance extrême pour les mauvaises notes en orthographe peut choquer le lecteur. Je tiens toutefois à celle-ci car je suis convaincue qu’elle a une valeur thérapeutique : d’une part elle réduit une tension donc elle libère des possibilités, d’autre part elle introduit une dimension nouvelle dans la façon d’aborder cette discipline.

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Dans cet esprit, j’essaie de créer à l’intérieur de chaque séance une complicité ludique et pleine d’humour, même autour d’exercices fastidieux et répétitifs que l’enfant et moi nous subissons dans la bonne humeur, et que nous exécutons rapidement pour passer à autre chose : au jeu par exemple qui permet d’allier agréablement dépendance et rivalité. On joue avec l’autre mais aussi contre lui. Dépendance et rivalité ne rappellent-elles pas aussi la dynamique même de l’apprentissage scolaire ? J’utilise souvent le Scrabble et le Boggle. Le Boggle exige davantage la rapidité et la capacité de lire les mots dans tous les sens : de haut en bas et l’inverse, de droite à gauche et l’inverse. Le Scrabble est très intéressant sur le plan interactif. Ce n’est pas le « chacun pour soi » du Boggle. Chacun peut s’appuyer sur le mot créé par le partenaire pour créer le sien et acquérir davantage de points autant que faire se peut. Les associations qui surgissent au cours de la partie, en fonction des mots qui sont composés, sont à entendre et à conserver en tête même si elles ne sont pas nécessairement à expliciter. Encore une fois, prudence... Nous restons là dans le domaine des mots... C’est la limite de ces jeux mais rien n’interdit d’inventer des phrases avec ces mots, de sortir du jeu et de créer des dialogues écrits « comme si nous étions muets » et de travailler à cette occasion toutes les subtilités de la langue. La découverte de ces subtilités est tout à fait passionnante pour les enfants : recherche de l’étymologie, histoire des mots, ouverture aux racines latines ou grecques même si ces langues ne sont pas étudiées par l’enfant, explications grammaticales qui se rattachent à des réalités qui intéressent l’enfant dans un sens culturel large.

◆ Lesquelles, par exemple ? La notion d’identité. L’analyse grammaticale d’un mot est-elle autre chose que la carte d’identité de ce mot : son nom ? - la nature, son sexe ? - le genre, sa situation dans le groupe ? - le singulier ou le pluriel, son rôle ? - sa fonction. L’analyse des propositions est-elle autre chose que l’analyse subtile des articulations qui peuvent exister entre les membres d’un groupe : principal, subordonné, indicateur d’objectifs ou de circonstances, indépendant, coordonné, juxtaposé ? Je fais souvent des allusions au fonctionnement d’une entreprise pour que ces différentes notions soient intégrées et rendues vivantes. La notion de sujet et d’objet est un autre exemple, elle préside à l’accord du participe passé avec être ou avoir. L’emploi de l’auxiliaire être renvoie à

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l’identité d’un sujet, celui de l’auxiliaire avoir ne signifie rien sans objet. Si on connaît celui-ci avant, il peut marquer l’accord, si on ne le connaît pas car il est énoncé après le verbe conjugué, il ne peut laisser sa marque. Après une explication sur ce thème, je me souviens de la réflexion étonnée du jeune Malik, « Mais, Madame Coutou, c’est de la philosophie tout ça ! ». Il venait de découvrir la philosophie par grammaire interposée. L’analyse des variations syntaxiques qui modifient le sens de la phrase complexe, la recherche des verbes sous entendus, des élisions, peuvent devenir un jeu de piste qu’il est passionnant de suivre à deux pour approfondir le sens du texte.

◆ Et la dictée, dans cet arsenal ? Je la bannis la plupart du temps car je pense que la situation de dictée est par essence une situation angoissante. Il suffit pour en être convaincu d’écouter les enfants parler du « jour de la dictée ». Je profite souvent de l’allusion à la dictée pour leur expliquer ce qu’est l’émotivité et la fragilité émotionnelle, ce qui justifie à leurs yeux, ma très grande tolérance à leurs mauvaises notes dans cette matière. C’est souvent avec un sourire malicieux qu’ils arrivent dans mon bureau, « Tiens, j’ai eu un 17, un 12... et un 0... - Ah oui... - en dictée - ». Je les maintiens dans la conviction que le jour où ils seront plus sûrs d’eux, ils auront 2 ou 3 sur 20, puis la moyenne, et certains parviennent à me le prouver dans un délai plus ou moins long. En dehors des enseignants qui sont contraints d’utiliser cette méthode pour une évaluation collective et rapide, je suis prête à penser que la dictée imposée par les parents le soir, le week-end ou pendant les vacances est souvent l’expression d’un sadisme - inconscient - qui provoque l’inverse de ce qu’ils souhaitent : l’enfant crispé, angoissé ou franchement hostile multiplie les fautes au lieu de les éviter. Dans ma pratique j’utilise la dictée dans quatre cas : - si l’enfant l’exige, tout en lui expliquant mes réserves ; - si la dictée est à préparer. L’étude du texte devient alors le support d’un dialogue autour des mots et de la syntaxe, et l’on en revient à ce que j’ai pu expliquer précédemment ; - si l’inspiration d’une petite phrase significative me traverse l’esprit... significative d’un état intérieur, par exemple, « je crois que je suis fâchée avec le français »... « mais où ai-je la tête ? » ; - si l’enfant a besoin de vérifier, pour se rassurer, qu’il a compris ce qu’il doit réviser pour un contrôle, par exemple.

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En dehors de ces quatre cas de figure, je suis tout à fait allergique à la dictée pour les enfants ayant des difficultés en orthographe. La dictée est un jeu merveilleux quand on y excelle mais justement, ce n’est pas le cas ici. Je viens de faire allusion à l’amour de l’orthographe... peut-être dois-je avouer ici ma participation annuelle aux championnats d’orthographe organisés par Bernard Pivot, et évoquer le plaisir jubilatoire qu’éprouvent à ce moment-là les adolescents, à me dicter des textes pour m’entraîner à l’épreuve. Belle revanche ! Cette évocation n’est pas qu’anecdotique, elle me paraît illustrer le rôle primordial de l’identification dans l’aide psychopédagogique comme dans tout traitement psychologique. Les enfants sentent que j’aime l’orthographe, les devoirs, que je m’intéresse profondément à leur vie scolaire, et je m’offre ainsi comme support d’identification, soucieuse de les entraîner dans une scolarité plus plaisante, plus personnelle et dans un mode de fonctionnement plus souple, plus ouvert, plus autonome. En fait il s’agit peut-être de les réconcilier avec l’orthographe mais surtout de les réconcilier avec eux-mêmes.

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REFERENCES COUTOU-COUMES F. (1986). Affronter l’école. Paris ; Liana Levi. 257 pp. COUTOU-COUMES F. (1989). Quand l’enfant devient élève. CTNERHI - 47-48. Textes du Centre Alfred Binet (1983). L’enfant et l’écrit - 3 Textes du Centre Alfred Binet (1987). Les dysphasies - 11 GROUPE D’ORTHOPHONIE DU CENTRE ALFRED BINET (1997). Les traitements orthophoniques ; Textes du Centre Alfred Binet - 25, 91-104

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Orthographe et principes d’écriture en français Jean-Pierre Jaffré

Résumé Les écritures - et notamment celle du français - font coexister des principes qui constituent la partie dynamique des orthographes. Après avoir rappelé la nécessité d’une base phonographique, on évoque ici la montée tout aussi indispensable d’une dimension conforme à la raison d’être sémiographique des écritures - et des orthographes. Mots-clés : Ecriture, orthographe, phonographie, sémiographie.

Spelling and principles of writing in French Abstract Scripts - particularly the French script - are built on the coexistence of principles that make up the dynamic part of orthographies. After insisting on the necessity of a phonographic base, we discuss the rise of a dimension no less essential to the semiographic raison d’être of scripts - and of orthographies. Key Words : Script, orthography, phonography, semiography.

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Jean-Pierre JAFFRÉ CNRS/UMR 8606-Paris V 7 rue Guy Moquet 94802 Villejuif e-mail : [email protected]

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’orthographe est multidimensionnelle et l’impression de linéarité qui se dégage de la lecture d’un texte est trompeuse. On a longtemps décrit - et certains le font encore - celle du français à l’aide d’une dichotomie entre l’usage et la grammaire. Un tel point de vue, sans être tout à fait inexact, ne donne qu’une idée approximative de ce qui se passe dans les faits. Nous avons donc l’intention de présenter ici une analyse moins connue des non-spécialistes et qui met en évidence les bases fonctionnelles d’une orthographe.

Plus que d’orthographe, il serait d’ailleurs plus exact de parler d’écriture. Pour clarifier d’emblée la différence entre ces deux termes, je définirai l’écriture comme l’ensemble des marques graphiques qui actualisent des principes, des lois de base. Ainsi, les lettres du mot « été » obéissent au principe alphabétique et, à ce titre, elles relèvent de l’écriture. L’orthographe désigne plutôt d’anciens états d’écriture, façonnés par l’histoire, et qui ont tendance à complexifier ces lois. C’est le cas des verbes dits « en -eler » où « (il) appelle » côtoie « (il) gèle ». L’écriture alphabétique voudrait que l’on écrive « (il) apèle », optant pour la graphie la plus récente, avec l’accent grave. Mais la distinction entre écriture et orthographe n’est pas toujours aussi claire. Les accidents de l’histoire peuvent à la longue façonner la perception des usagers et devenir eux-mêmes des supports d’information. Ainsi, le « x » des pluriels en « -aux » (« chevaux », « journaux », etc.) a d’abord cumulé les valeurs de « u » et de « s », d’où la forme ancienne « chevax ». Celle-ci fut ensuite refaite en « chevaux »... comme si le « u » avait été absorbé par le « x ». On peut donc dire que ce mot contient deux fois la lettre « u ». Ces faits orthographiques n’en sont pas moins au service d’un principe d’écriture propre au français et qui consiste à accorder les noms en nombre. Du strict point de vue de l’écriture, rien ne s’opposerait toutefois à ce que l’on écrive « chevaus »... comme le font certains enfants.

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L’essentiel de ma contribution tournera autour de cette ligne de séparation, parfois floue 1, entre les principes de base de notre écriture, qui en constituent le coeur, et la norme orthographique, résultat d’interventions diverses et désordonnées sur ces principes. Cette distinction, même si elle n’est pas toujours aisée à tenir, me semble un moyen utile pour mieux apprécier les priorités, en acquisition comme en pathologie de l’orthographe. C’est en ayant une idée claire du fonctionnement d’une écriture que l’on peut espérer améliorer la maîtrise de l’orthographe qui en découle.

◆ L’écriture et la langue Chaque écriture se caractérise donc par un ensemble de principes qui, d’une façon générale, valent pour toutes les écritures du monde. Toutefois la façon dont ces principes sont réalisés, dans telle ou telle écriture, peut différer grandement. Pour s’en apercevoir, il suffit de comparer l’écriture du japonais, qui combine deux syllabaires avec des caractères d’origine chinoise, et celle du français, qui utilise un alphabet d’origine latine. En ce qui concerne les principes de base, je m’en tiendrai à ceux que l’on qualifie habituellement de phonographique et sémiographique, chacun d’entre eux remplissant une fonction nécessaire à toute écriture. Ce qu’il est convenu d’appeler écriture entretient une relation tout à fait privilégiée avec les langues parlées, et cela depuis environ six millénaires. Sans cette relation, l’écriture ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui : un moyen extrêmement puissant qui permet de communiquer dans le temps et dans l’espace... et dans les limites d’une intercompréhension linguistique. L’écriture de l’allemand utilise, à quelques exceptions près, les mêmes lettres que celle du français et pourtant seule une connaissance de la langue allemande permet de la lire. Les formes plus imagées de l’écriture du chinois et surtout des hiéroglyphes égyptiens ont pu faire croire à des formes de communication moins linguistiques. Beaucoup l’ont cru, mais c’est une illusion... En l’absence de cette dimension linguistique, le sens des messages devient tout à fait aléatoire. Ainsi, les traces laissées par les hommes de CroMagnon sur les parois des grottes de Lascaux ont bien une signification. Mais laquelle ? Peut-on alors les considérer comme une écriture ? Bien que les avis sur la question soient partagés, on peut au moins affirmer qu’il ne s’agit pas d’une écriture au sens que je lui donne ici. Quelles que soient les différences 1. D’autant plus floue que l’écriture est ancienne. Le temps creuse la différence entre écriture et orthographe, surtout quand les réformes sont timides ou inexistantes.

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avérées entre la langue que l’on parle et celle que l’on écrit, l’une ne peut s’envisager longtemps sans l’autre. De ce point de vue, les tentatives pour penser l’écriture comme un système tout à fait autonome ne semblent guère viables. La réussite d’une écriture, sa pérennité, son succès quasi universel, tiennent aux relations étroites qu’elle entretient, à chaque fois, avec une langue donnée. Et cela pour une raison claire : l’écriture tire une part essentielle de sa puissance de la fonction symbolique déjà présente dans les langues. Elle ne fait, en quelque sorte, que lui donner une autre forme, visible et permanente, pour répondre à d’autres besoins sociaux, culturels et économiques.

◆ Une phonographie indispensable Une fois établis les fondements linguistiques de l’écriture, il reste à déterminer les niveaux de son ancrage. C’est là que nous allons trouver les points de différences essentiels entre les écritures particulières. Mais avant de faire état de ces différences, souvent éloquentes, disons un mot de la raison d’être des principes de base énoncés plus haut 2. La phonographie est sans aucun doute possible le principe moteur. C’est en effet à ce niveau d’ancrage que l’écriture trouve la source nécessaire à son système et à son économie. Cette nécessité tient en grande partie au fonctionnement de notre cerveau, machine à associer tout ce qui peut l’être, parfois même à l’insu des usagers. Or, dans la relation entre une langue et son écriture, deux domaines sont des candidats potentiels : le son et le sens. La raison d’être de l’écriture est bien entendu de donner à voir du sens linguistique mais la façon dont celui-ci se présente est trop diffuse, trop complexe, pour en faire un facteur déterminant. C’est ce que montrent les 60 000 mots et leurs 300 000 sens dans un dictionnaire d’usage courant 3. Les sons d’une langue sont en revanche beaucoup moins nombreux et donc, a priori, susceptibles de fournir une base graphique bien plus économique. Quand on parle des sons des langues, on pense en général aux phonèmes, ces unités sonores abstraites dont les réalisations phonétiques peuvent être diverses. On connaît l’exemple fameux de /R/ qui peut être réalisé en faisant rouler le bout de la langue ou au contraire en utilisant le fond de la gorge. Cela permet sans doute de repérer des origines géographiques ou sociales mais, dans tous les cas, l’identité phonologique du mot prononcé - « rouge » par exemple demeure. C’est la présence systématique de cette notation phonologique qui permet de définir les écritures alphabétiques, que le matériau utilisé soit grec, latin ou cyrillique. 2. Le lecteur intéressé pourra se reporter à Jaffré & Fayol (1997) où ces aspects ont été décrits plus en détail. 3. Je me réfère ici au Nouveau Petit Robert de Rey-Debove & Rey (1996).

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Les phonographies peuvent avoir une forme syllabique, la syllabe étant d’ailleurs la première unité sonore utilisée par l’écriture. Les écritures de Mésopotamie et, plus tardivement, de Chine en témoignent abondamment. D’une façon générale, les écritures syllabiques sont aujourd’hui moins bien attestées que les écritures alphabétiques. Cela tient en général au nombre de syllabes d’une langue. Pour fournir une base économique intéressante, celui-ci ne doit pas être trop élevé, ce qui est le cas du Japon avec des syllabaires hiragana et katakana qui avoisinent la cinquantaine d’unités. C’est également le cas des Inuits du tout nouveau Nunavut. Les syllabaires des Indiens cherokee et cree sont inférieurs à la centaine d’unités. En revanche, en français et en anglais, où les syllabes se comptent par milliers, cela rendrait un tel système de notation particulièrement lourd à gérer. Dans les limites de cet article, je me contenterai de mettre l’accent sur le caractère nécessaire des phonographies. Leur statut peut certes varier selon le degré de régularité de leurs correspondances avec les phonèmes, ou les syllabes, d’une langue. Tout lecteur d’un texte écrit en espagnol ou en italien devrait apprécier la régularité de correspondances alphabétiques dont les limites sont maîtrisables avec un minimum d’effort. Il en va autrement en français et surtout en anglais où ces correspondances sont nettement plus irrégulières. La même observation s’applique au statut de la notation syllabique, très régulière en japonais mais bien plus complexe en chinois. C’est sur cette base que les psychologues distinguent orthographes « de surface » et orthographes « profondes ». Ces différences relèvent-elles encore de l’écriture ? Elles montrent au moins que si, comme je viens de le souligner, les phonographies sont nécessaires elles ne sont jamais suffisantes. Car l’écriture ne perd jamais de vue sa « raison d’être » qui est de donner à voir du sens linguistique. Elle pérennise en cela une règle millénaire née de l’inscription d’une trace faite pour l’oeil. L’écrit est en effet destiné à être vu, lu, et non entendu comme c’est le cas pour la langue parlée. Et si la parole et l’écriture partagent une même base symbolique, leurs techniques de représentation doivent satisfaire à des modalités en grande partie distinctes.

◆ Une sémiographie utile Nous entrons désormais dans une dimension qui n’est plus phonographique mais sémiographique, centrée cette fois sur la représentation de significations linguistiques. Tout aussi nécessaire que la précédente, elle exerce sur elle des pressions qui peuvent en modifier l’apparence. Les structures linguistiques fournissent à l’écriture une base symbolique extrêmement puissante mais

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cela implique un système de correspondances minimales qui va permettre aux usagers d’apparier une langue parlée et des traces écrites. Cela posé, l’écriture va en quelque sorte réaménager cette structure élémentaire de façon à améliorer la visibilité des formes significatives de la langue. Car, en fin de compte, l’optimalité des traces écrites ne se mesure pas à la fidélité de leur notation phonographique - les écritures ne sont pas des transcriptions phonétiques - mais à leur qualité de représentation du sens linguistique. J’ai déjà signalé les problèmes que poserait une écriture qui s’en tiendrait à la seule notation des unités significatives d’une langue. En revanche, une fois pourvue d’une base phonographique minimale, rien ne l’empêche de poursuivre ce but. La présence de blancs graphiques dans bon nombre d’écritures a ainsi largement contribué à donner au mot écrit la place qu’il occupe dans les sociétés à tradition écrite, notamment en Occident. Il n’est toutefois pas toujours facile de dire si ces indices sémiographiques relèvent de l’écriture ou de l’orthographe. On peut considérer qu’ils accroissent la visibilité de l’écriture, en l’aidant à mieux remplir les fonctions qui sont les siennes. Mais comme le montre l’exemple de « chevaux », le maintien du « x » a beau résulter d’un accident de l’histoire, il n’en informe pas moins sur le nombre. De plus, si l’on en croit l’observation de jeunes scripteurs, la maîtrise de ce « x » est plutôt plus facile que celle du « s » canonique. Dans le domaine de la sémiographie, la part de l’écriture et celle de l’orthographe sont d’autant plus difficiles à séparer que les habitudes perceptives des lecteurs peuvent s’accommoder d’éléments peu fonctionnels à l’origine. C’est le cas de mots tels que « printemps », « cœur », « adhésion », etc. dont on a au moins la certitude qu’ils surchargent la tâche du scripteur. La distinction des homophones illustre très bien ce dilemme. La plupart des langues comportent, en nombre certes variable, des mots qui se prononcent de la même façon mais s’écrivent différemment. Bien des réformateurs arguent du fait qu’à l’oral le contexte suffit en général à lever l’ambiguïté et qu’il pourrait par conséquent en aller de même à l’écrit. On trouve cet argument dès le XVIe siècle, période clé pour la formation de notre orthographe. En 1550, dans son Dialogue de l’Ortografe e Prononciation Françoese, Peletier du Mans opte clairement pour une orthographe phonétique. Mais il présente aussi les thèses des conservateurs, et notamment celles de Théodore de Bèze qui veut distinguer dans l’écriture ce que la parole confond 4. Or cet argument a perduré de siècle en siècle et s’est finalement imposé à nous. Compte tenu de ce qui a été dit plus haut sur le principe sémiographique, l’idée d’une différenciation graphique des homophones parait tout à fait défen4. Sur cette question, on peut lire la synthèse de Citton & Wyss (1989).

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dable. On en retrouve des traces dans bien des écritures, quand la structure linguistique favorise l’émergence d’un tel phénomène. C’est le cas en anglais, en japonais, en chinois, etc. Mais ce point de vue implique que l’écriture ne soit pas conçue comme le dérivé de la langue orale, position de la tradition linguistique (voir par ex. Alarcos Llorach, 1968). On peut reconnaître que l’écriture entretient des relations privilégiées avec la langue et ne pas admettre pour autant le diktat de la parole. La trace écrite s’inscrit dans la permanence, dans la durée, et elle s’adresse à un lecteur absent au moment de sa production. On peut donc s’attendre à ce que les modes de traitement de l’information linguistique soient adaptés à des besoins qui ne sont pas ceux de la communication orale. La différence que fait Vachek entre norme orale et norme écrite justifie tout à fait ces exceptions graphiques 5. Cela dit, quel que soit son bien-fondé, la sémiographie des unités linguistiques doit compter avec les aléas de la formation d’une orthographe. Ce sont eux qui expliquent la polyvalence des phonogrammes (« e », « é » et « ai » pour noter /e/), la concurrence de marques jouant le même rôle (« s » et « x » pour le pluriel des noms), etc. Les lettres dont on se sert pour distinguer les homophones (« cent », « sang », « sans », etc.) ont d’abord une origine étymologique ou historique. Les esprits cartésiens peuvent certes y trouver à redire. Il ne faut cependant pas oublier que l’orthographe, et l’écriture qu’elle abrite, ne se font jamais en un jour. Il arrive qu’elle soit le résultat d’un projet délibéré, comme ce fut le cas dans la Corée du XVe siècle, avec l’alphabet hangul. Mais même dans ce cas, elle n’échappe jamais aux reconfigurations de l’usage, à cette « main invisible » dont parle le linguiste allemand Rudi Keller (1994).

◆ Une morphographie redoutable En matière d’orthographe, tout ne va jamais pour le mieux dans le meilleur des mondes. Malgré cela, on peut parier sur les effets bénéfiques d’un principe sémiographique qui donne aux signes graphiques une allure aussi originale que possible. Ce phénomène fait d’ailleurs écho à l’importance prise par la reconnaissance des mots dans l’activité moderne de lecture (Manguel, 1998) 6. L’orthographe du chinois illustre fort bien cette tendance en raison de la remarquable stabilité graphique des unités significatives - les caractères. Le cas du français est hélas un peu différent puisque les mots écrits varient, en genre, en nombre, en temps, etc. Cette variation est due pour l’essentiel à la présence d’un 5. Pour un tour d’horizon complet, voir Luelsdorff (1989). 6. Pour la question de l’apprentissage, voir Ch. Perfetti, « Représentations et prise de conscience au cours de l’apprentissage de la lecture », dans Rieben & Perfetti (1989 : 61-82).

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sous-principe sémiographique piloté par la morphologie et que je nommerai dorénavant principe morphographique. Et si la présence de ce principe n’est pas propre au français, les formes qu’il y prend sont en revanche tout à fait redoutables. La langue française dispose d’une morphologie complexe. Mais bien d’autres langues sont dans ce cas, notamment les langues romanes. En fait, sa particularité vient plutôt d’une asymétrie entre la morphologie de l’oral et celle de l’écrit. Que l’on compare le paradigme du verbe « donner », au présent de l’indicatif, avec ses trois formes orales mais ses cinq formes écrites. Ou encore la fréquente absence de variation orale dans le nombre des noms, des adjectifs et des verbes. Pour ces raisons, et bien d’autres, les problèmes que pose la morphographie sont parmi les plus difficiles à résoudre et, lors de l’apprentissage, ils provoquent de nombreuses erreurs. Leur résolution nécessite en effet le développement de compétences qui relèvent d’un niveau d’abstraction particulièrement élevé. L’absence de toute référence phonographique y est sans aucun doute pour quelque chose puisque l’analyse des erreurs commises par les apprentis montre que la présence de telles références, même indirectes, facilite l’apprentissage. On l’observe pour les noms en « -aux », pour les verbes en « -ont », sans parler des déterminants en /e/ (« les », « des », etc.). En revanche, dès que ces indices font défaut, les erreurs abondent. Chacun d’entre nous a eu, un jour ou l’autre, affaire aux problèmes des pluriels en « -s » et en « -nt » ou à ceux de l’infinitif et du participe passé des verbes en /e/. Cela dit, le principe morphographique pose par définition une question similaire à celle que pose le principe sémiographique dont il n’est finalement qu’un avatar : comment distinguer entre ce qui est fonctionnel (et peut donc être rattaché à l’écriture) et ce qui est institutionnel (et renvoie à l’orthographe) ? Plusieurs indices nous incitent à penser qu’une part importante de la morphographie relève de l’écriture et fait partie intégrante de ses principes fondateurs. Mais l’héritage historique n’est bien entendu pas à retenir dans sa totalité. Que l’on pense par exemple - et même si le débat reste ouvert - aux coûteux problèmes de l’accord en genre et en nombre dont les finalités ne sont plus très évidentes. Je me contenterai de donner deux exemples susceptibles de fonder, à mes yeux, le caractère fonctionnel de la morphographie. Le premier concerne le marquage nominal du nombre, dont la fonctionnalité est renforcée par la grande stabilité de la lettre « s ». Dans ce domaine, les travaux sur l’acquisition soulignent l’avantage que l’on peut tirer de cet archi-signe (Jaffré & David, 1999). Le second exemple se situe du côté des infinitifs et des participes passés en /e/, quand l’écrit distingue ce que l’oral confond. Le recours analogique aux classes de verbes qui présentent dans ces zones une opposition phonographique devrait

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pourtant contribuer à atténuer ce point noir de l’apprentissage. Quoi qu’il en soit, ces deux cas, non limitatifs, me paraissent suffisamment rentables pour que le principe morphographique soit placé du côté de l’écriture du français et non pas de son orthographe.

◆ Conclusion Dans une société comme la nôtre, dotée d’une tradition écrite ancienne, la différence entre écriture et orthographe n’est pas si facile à établir. Si j’ai voulu essayer de la faire, malgré tout, en rendant compte au passage des principes fondamentaux de l’écrit, c’est que le meilleur chemin pour parvenir à la norme orthographique n’est pas forcément d’en partir. Pour apprendre l’orthographe, les enfants ont d’abord besoin de comprendre comment fonctionnent les principes d’écriture qu’elle recèle. Or, ces forces vives de l’orthographe ne se limitent pas aux relations entre phonèmes et graphèmes. Notre orthographe moderne est en fait l’aboutissement d’une entreprise lente, chaotique, et inachevée..., au cours de laquelle des indices historiques ont été progressivement intégrés jusqu’à acquérir une part de fonctionnalité. Et le pouvoir du lecteur, qui s’exerce aujourd’hui sans partage, a largement contribué à donner à la sémiographie la place que nous lui reconnaissons ici. Son univers est encore un peu difficile à cerner et rien n’empêche que certaines rectifications orthographiques n’en améliorent les contours. C’est en tout cas à ce genre d’analyses que s’intéresse désormais une linguistique de l’écrit attachée à la pluralité des principes de base de l’écriture et non plus seulement à une écriture qui ne serait qu’un dérivé de la parole.

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REFERENCES ALARCOS LLORACH E. (1968). Les représentations graphiques du langage, dans A. Martinet, dir., Le Langage, Encyclopédie de La Pléiade, Paris : Gallimard, 513-568. CITTON Y. & WYSS A. (1989). Les doctrines orthographiques du XVIe siècle en France. Genève : Droz. JAFFRE J.-P. & DAVID J. (1999). « Le nombre, essai d’analyse génétique », Langue Française (à paraître). JAFFRE J.-P. & FAYOL M. (1997). L’orthographe. Des systèmes aux usages. Dominos, Paris : Flammarion. KELLER R. (1994). On language change. The invisible hand in language. London : Routledge. LUELSDORFF P.A., ed. (1989). Josef Vachek, Written Language Revisited. Amsterdam : John Benjamins. MANGUEL A. (1998). Une Histoire de la lecture. Actes Sud. PELETIER du MANS J. (1966). Dialogue de l’ortografe a prononciacion françoese (1555), suivi de la Réponse de Louis Meigret. Edité par L.C. Porter. Genève : Librairie Droz. REY-DEBOVE J. & REY A., dir. (1996). Le Nouveau Petit Robert. Paris : Dictionnaires Le Robert. RIEBEN L. & PERFETTI Ch., eds. (1989). L’apprenti lecteur : Recherches empiriques et implications pédagogiques. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.

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Vers une orthographe pour l’an 2000 ? Renée Honvault Résumé Les Rectifications orthographiques et Recommandations aux lexicographes de l’Académie française, publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990, s’inscrivent dans la continuité des travaux menés par les académiciens depuis la création de l’Académie française par Richelieu en 1635. La mission de l’Académie était de légiférer en matière de langue et d’orthographe. Or, l’opposition entre partisans de la modernisation et ceux de la tradition a toujours existé, en matière d’orthographe du moins. Et, en 1991, les accusations de tous ordres, essentiellement erronées, n’ont pas été différentes des arguments des opposants à toute « réforme » aux siècles précédents. Pourtant, les dictionnaires d’usage actuels, qui remplacent auprès du grand public le rôle du Dictionnaire de l’Académie aux siècles précédents, enregistrent peu à peu les cinq points essentiels des rectifications et s’inspirent largement des recommandations pour l’écriture des néologismes. Le Québec, la Suisse, et la Belgique essentiellement les ont fort bien acceptées. Les décisions humaines, qui ont donné à l’orthographe son visage actuel, sauront-elles entretenir cet instrument de communication dans l’intérêt des utilisateurs ? Mots-clés : Orthographe, réforme, langue, oral, morphologie, étymologie.

Spelling in the year 2000 Abstract The « Rectifications Orthographiques et Recommandations aux Lexicographes » made by the Académie française (French Academy) and published in the Journal Officiel of December 6,1990 are in congruence with the work carried out by the Academicians since the creation of the institution by Richelieu in 1635. The mission of the Académie was to lay the rules regarding linguistic and orthographic matters. A debate between supporters of modernization and supporters of tradition has always existed, at least in the field of spelling. And in fact, in 1991, the various accusations which were formulated - mainly incorrect ones - were not different from the arguments put forward during the preceding centuries by the opponents of « reforms ». Yet the present dictionaries of common usage, which are equivalent for the general reader to the Dictionnaire de l’Académie of the preceding centuries, are gradually taking into account the five main points of the Rectifications and are following to a large extent the Recommandations regarding the spelling of neologisms. Quebec, Switzerland and most notably Belgium have accepted them quite readily. Will human decisions, which have given orthography its present form, be able to maintain this communication tool for the benefit of the user? Key Words : Orthography, reform, language, oral, morphology, etymology.

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Renée HONVAULT (CNRS et AIROE) Association pour l’information et la recherche sur les orthographes et systèmes d’écriture 4, passage Imberdis 94700 Maisons-Alfort

◆ L’orthographe du français, résultat de décisions humaines L’orthographe du français, on l’oublie bien souvent, date en grande partie, dans sa forme actuelle, d’il y a 260 ans, soit un bon quart de millénaire. Elle est pourtant née officiellement un peu plus tôt, en 1694 très exactement, avec des graphies un peu plus chargées qu’elles ne le sont actuellement. Bien entendu, l’orthographe française ne s’est pas créée spontanément, ni la langue française d’ailleurs. C’est à partir de plusieurs dialectes de langue d’oïl que le français s’est constitué pour des raisons politiques, administratives, juridiques. Au Moyen Age, les clercs, scribes et copistes, gens lettrés qui connaissaient parfaitement le latin, ont eu pour mission d’écrire ou de transcrire pour un public plus large les textes, édits, chartes, chansons de geste, fabliaux, poésies, etc., qui devaient être accessibles à un plus grand nombre. Entre le VIIIe et le XIe siècles, le seul alphabet qui était la référence de ces lettrés, l’alphabet latin, a donc été utilisé pour écrire le français, même si certains sons de la langue française étaient différents de ceux de la langue latine pour laquelle cet alphabet avait été choisi. Par exemple, on a conservé le c pour le même son qu’en latin dans commun mais aussi quand la langue ayant évolué, pour un autre son dans cent. Cependant la plus grande difficulté résidait dans l’écriture des voyelles : le système vocalique de l’ancien français était en effet très riche, il y avait à peu près le même nombre de voyelles qu’aujourd’hui (nous en avons entre quatorze et seize selon les prononciations), plus une quinzaine de diphtongues et de triphtongues variables selon les régions. Par exemple, u était utilisé pour le son /U/ dans cru ou le son /OU/ dans amur (amour), ou même pour la consonne /V/ dans auant (avant), la lettre v n’existant pas. Et pourtant, avec ces quelques aménagements, vers 1200, l’écriture du français correspondait à peu près aux prononciations pratiquées.

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Mais à partir de cette période, aux XIIe et XIII e siècles, la langue évolue rapidement, dans sa morphologie, sa syntaxe, et tout particulièrement dans son système phonétique avec un raccourcissement considérable des mots. Les lettrés essayent de créer une graphie où les divers usagers de la langue orale se reconnaîtront ; pour cela, ils conservent d’une part les lettres correspondant à des sons qui n’existent plus, et d’autre part ils se réfèrent à l’étymologie pour ajouter des lettres rappelant le mot latin correspondant (le latin était connu de nombreux lecteurs). Commence alors dès cette époque, pour des raisons de lisibilité, la coexistence entre les impératifs de relation à l’oral, mais aussi à l’évolution historique et à l’étymologie. Par exemple, on écrit doibuent pour doivent, apuril pour avril, distinguant ainsi par une lettre non prononcée la valeur /V/ de la lettre u à l’intérieur du mot. Et au début du mot on ajoute un h, bien sûr non prononcé, pour indiquer au contraire la valeur /U/ de u : huile est ainsi lu différemment de uile qui se lit vile. Avec l’invention de l’imprimerie et la Renaissance, les imprimeurs remplacent les copistes. Eux aussi connaissent parfaitement le latin, sont bilingues, mais ils imaginent des procédés commodes pour alléger l’écriture du français, l’écart entre le français écrit et le français parlé devenant par trop important. Dès le XVIe siècle, certains préconisent l’emploi de la cédille, de l’apostrophe (l’amour remplace lamour), des accents, l’introduction des lettres j et v avec leur valeur actuelle. Montaigne, comme d’autres, supprime des lettres grecques, des consonnes doubles, des lettres non prononcées. Les imprimeurs d’avant-garde ont permis la publication des œuvres de la Pléïade, et Ronsard a pris la tête des réformateurs. La bataille a été rude et parfois très dangereuse. Les guerres de religion chassent ces imprimeurs soupçonnés de protestantisme. Et les imprimeurs « du roi » reprennent l’orthographe la plus ancienne, car « les anciens scavans ... en scavoyent plus que nous ». Au XVIIe siècle, beaucoup de diphtongues ont disparu, de nombreuses consonnes finales ne sont plus prononcées. Des écrivains (Corneille, Racine, La Bruyère, Boileau, Bossuet, Mme de Sévigné ...) reprennent les habitudes d’écriture de la Renaissance. Mais les dictionnaires qui paraissent sont toujours partagés entre « modernes » et « anciens ». C’est un état constant qui accompagne toute l’histoire de l’orthographe. Pourtant le dictionnaire de Richelet paru en 1680 enregistre la simplification des consonnes doubles, la suppression des lettres grecques, des lettres non prononcées, introduit les accents, tout en conservant les marques morphologiques. Richelieu crée l’Académie française en 1635. Elle a pouvoir de juridiction sur la langue et sur l’orthographe françaises. Et en 1673, elle définit claire-

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ment le principe qu’elle suivra en matière d’orthographe : « La Compagnie déclare qu’elle désire suiure l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’auec les ignorans et les simples femmes ». En fait, les ignorants ne savaient pas écrire, les « simples » femmes non plus. Mais les femmes « lettrées » n’avaient pas droit au latin dans leurs études, et elles avaient le plus souvent une orthographe en accord avec les principes de la Renaissance. Pascal était-il un ignorant ? Et Madame de Sévigné, qui écrivait orizon pour horizon ? Elle suivait en cela le dictionnaire de Richelet où l’on trouve ortographe, sistème, batême, tems, dificile, cu, etc. Mais l’Académie n’a malheureusement pas décidé de suivre le Dictionnaire de Richelet, ce qui aurait eu le mérite de fonder une orthographe beaucoup plus satisfaisante y compris pour notre époque, et de ce fait beaucoup moins de polémiques aujourd’hui. Non, elle a choisi de suivre les imprimeurs du roi, attachés aux graphies « anciennes », et ce fut une lourde responsabilité. C’est donc par décision humaine que les lois graphiques ont été établies et non par respect de l’usage, car il suffisait de suivre nos grands écrivains, Ronsard par exemple, pour fonder de meilleures bases de l’orthographe du français.

◆ L’orthographe, une histoire de réformes et une valse à « mille temps » La première édition du Dictionnaire de l’Académie, 1694 : un pas en arrière, deux pas en avant La première édition du Dictionnaire, en 1694, ne reprend pas cependant complètement l’orthographe « ancienne ». Elle compte parmi ses membres des personnalités comme Corneille ou Perrault qui œuvrent en faveur d’une modernisation. Et sur les 17750 mots qu’elle contient, on compte 24 % de modernisations par rapport aux mots qui se trouvaient déjà dans des dictionnaires antérieurs. Elle introduit j et v par exemple (je au lieu de ie, avril au lieu de apuril) mais dans les articles du dictionnaire seulement, supprime des consonnes « étymologiques » en finale : nud, bled, conioinct, construict, cuict... deviennent nu, blé, conjoint, construit, cuit..., remplace en par an dans certains mots : endouille, dedens, embassade, empoulle, arrenger,... deviennent andouille, dedans, ambassade, ampoulle, arranger, etc. Mais ce dictionnaire est rédigé sur une durée de 60 années, l’usage change - les Académiciens également -, et les incohérences sont vraiment nombreuses. En outre, le dictionnaire est organisé par familles de mots, et la Table, rédigée plus tard, par ordre alphabétique. Bien souvent, l’orthographe des mots est différente dans le dictionnaire et dans la Table... Et c’est pourtant ce dictionnaire qui va conditionner l’orthographe du français...

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La deuxième édition, 1718 : le « sur place » La deuxième édition de 1718 reprend celle de 1694 sans lui apporter de changement notable, excepté la présentation par ordre alphabétique du dictionnaire. Les graphies demeurent résolument à l’ancienne, sous la houlette de Régnier-Desmarais : « Où en seroit-on dans chaque Langue, s’il en falloit reformer les elements sur la difficulte que les enfants auroient à bien retenir la valeur... de chaque caractere... et si parce que quelques femmes en confondent quelquesuns en lisant, il falloit aussi-tost remedier à cela par un changement universel de l’orthographe ? », écrit-il (déjà) en 1706 (Traité de la grammaire française). Et le dictionnaire s’éloigne de plus en plus des tendances que l’on rencontre à l’époque chez les écrivains, dans certains dictionnaires, chez certains membres de l’Académie même, tendances qui vont vers « la nouvelle orthographe ». La troisième édition, 1740 : trois pas en avant Sur l’ensemble des modifications apportées dans les huit éditions du Dictionnaire de l’Académie par rapport à l’ensemble des mots enregistrés dans la première édition, celle de 1740 en comprend à elle seule près de 30 %, et corrige donc plus d’un mot sur quatre. Il faut préciser que les traditionalistes doivent reculer devant l’arrivée à l’Académie des encyclopédistes, philosophes et écrivains tels Montesquieu, Marivaux, Voltaire, d’Alembert, Buffon,... qui sous la direction de l’abbé d’Olivet, vont donner à l’orthographe du français le visage que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Ainsi, on introduit les accents, on supprime par exemple les suites de voyelles sauf si elles correspondent à un seul son, ex. eau, on supprime des consonnes internes non prononcées, ex. estre, fenestre deviennent être, fenêtre,... aggrandir, appaiser deviennent agrandir, apaiser. Voltaire défend le remplacement de oi par ai : François, Anglois, j’estois, je feroi, etc. deviennent Français, Anglais, j’étais, je ferai, etc. car, dit-il, « L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. » Et d’autres réformes sont prévues, mais seulement pour l’édition suivante afin de ne pas trop bouleverser les habitudes. La quatrième édition, 1762 : deux pas en avant Reprenant les propositions de Corneille au siècle précédent, la quatrième édition généralise l’emploi des accents, en particulier les accents grave et circonflexe, remplace le z du pluriel par le s. Elle supprime des lettres grecques : ancholie, phanion, alchymie, asyle deviennent ancolie, fanion, alchimie, asile, on trouve paroxisme, patronimique, scolarité, mais aussi rythme ou... rhythme. Le travail devait être poursuivi dans la cinquième édition, mais il ne sera malheureusement jamais mené à son terme, pas plus que dans les éditions suivantes.

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La cinquième édition, 1798 : on piétine C’est une édition « révolutionnaire », sans académiciens, puisque la Révolution a supprimé l’Académie. Elle poursuit cependant la suppression des lettres grecques, introduit j et v à l’ordre alphabétique - et officialise de ce fait les deux nouvelles lettres de l’alphabet, un siècle après leur apparition dans le Dictionnaire. Mais les académiciens du XIXe siècle ignoreront plus ou moins cette édition. La sixième édition, 1835 : trois pas en arrière C’est au pouvoir monarchique revenu après la Révolution que l’Académie doit son rétablissement en 1816. De ce fait, l’Académie revient résolument aux graphies étymologisantes, en rétablissant par exemple analyse, amygdale, anonyme, ainsi que des mots comme aphthe, rhythme, phthisie... Elle adopte cependant définitivement la graphie ai pour oi, et les formes enfants, présents... calquées sur le singulier, au lieu de enfans, présens..., donnant ainsi au principe morphologique plus de poids et de régularité. La septième édition, 1878 : un demi-pas en avant La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par des débats publics et mouvementés sur l’orthographe, débats qui se poursuivront au XXe siècle. Des écrivains, des imprimeurs, des linguistes tels A. Firmin-Didot, Littré, SainteBeuve, A. France, Saussure, F. Brunot et d’autres sont à l’origine de la création d’une commission spéciale nommée par l’Académie pour préparer les réformes. Le projet présenté en sept points, modéré et argumenté, se heurtera à une cabale menée par le duc d’Aumale. Si bien que l’Académie recule. En attendant, la septième édition introduit cependant la suppression d’une lettre grecque dans un mot en contenant deux : aphthe, diphthongue... deviennent aphte, diphtongue... La notion de tolérance ou de double orthographe permise aux examens est introduite, ce qui ne plaide pas en faveur d’une réforme organisée de l’orthographe. La huitième édition, 1932-1935 : un pas en arrière Les débats de la fin du siècle dernier et du début du XXe siècle sont calmés en 1932, il est vrai que plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la dernière édition, ce qui est beaucoup si l’on considère le rythme des éditions précédentes. Pourtant, en 1908, le Conseil supérieur de l’Instruction publique avait repris à son compte la circulaire Bourgeois de 1891 : « La pratique orthographique actuellement imposée aux élèves... est, dans bien des cas, en contradiction flagrante avec l’enseignement grammatical donné dans toutes les universités... Il y aurait lieu, tout au moins, de ne plus imputer à faute aux élèves qui en

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usent les formes reconnues les meilleures par la science grammaticale... L’orthographe ne saurait être soustraite plus longtemps, par un dogmatisme intransigeant, aux lois de l’évolution... » Mais la huitième édition supprime au lieu de les entériner les variantes admises précédemment, réintroduit le e à la place de l’accent circonflexe dans gaiement, maniement..., corrige des détails sans se soucier de simplifier les graphies. Elle ignore totalement les dix propositions du rapport Faguet de 1905, qui concernait, dans l’esprit du Dictionnaire de 1740, la suppression des accents circonflexes (croute, assidument), les pluriels en oux (bijous, caillous), les familles de mots (charriot comme charrette), les finales en ciel et tiel (confidenciel), la suppression de lettres muettes (pié, ognon), la régularisation du préfixe en (enmener), la suppression des lettres doubles (échèle, paysane), l’emploi de z pour s (dizième, sizième), la réduction de rh (rume), la suppression de y (analise). Cependant, elle soude quelques composés, par exemple contrecoup, entracte, chienlit... et confirme un mouvement vers la soudure que va reprendre soixante-dix ans plus tard la neuvième édition, après les rectifications de 1990.

◆ Les rectifications de 1990 et la neuvième édition en cours : un ou deux pas en avant ? Depuis le XX e siècle et la huitième édition, ce n’est plus vraiment le Dictionnaire de l’Académie qui fait office de référence en matière d’orthographe, mais les dictionnaires d’usage tels Le Petit Larousse, Le petit Robert, le dictionnaire Hachette... Ces dictionnaires contiennent, mieux que le Dictionnaire de l’Académie, les mots du lexique actuel. Et ce sont eux qui prennent les décisions quand il s’agit d’enregistrer les nouveaux mots sous une forme écrite. Les variantes sont nombreuses entre les dictionnaires en ce qui concerne les accents, les pluriels des mots composés (qu’on n’indique pas toujours à l’usager quand il s’agit d’un point délicat), les mots d’emprunt, etc. D’où l’intérêt que présentent les Rectifications orthographiques, suivies des Recommandations aux lexicographes, publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990. Cette publication officielle est en soi un miracle, si l’on considère tous les aléas, les retours plutôt que les avancées qui ont caractérisé l’évolution de l’orthographe depuis deux siècles et demi. Les débats ont été nombreux, passionnés et houleux en 1990, les arguments bien souvent fallacieux, la désinformation trop souvent prédominante. C’est la guerre du Golfe qui a fait taire la polémique, laissant croire que les rectifications avaient été enterrées. L’Académie poursuit quant à elle la rédaction de la neuvième édition de son dictionnaire. Le tome I, de la lettre A à Enz, a été publié en 1992 par l’Im-

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primerie nationale. Une édition grand public, en « livre de poche », est parue chez Juilliard en 1994. Les listes établies par l’Académie sont régulièrement publiées au Journal officiel avant une édition du tome II. L’Académie en est actuellement à la lettre M. Elle enregistre les rectifications et les recommandations dans les mots du dictionnaire.

◆ Les rectifications et recommandations de 1990 : « Aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive ». Il n’est pas simple, en dépit de la volonté de l’Académie, de s’en référer à l’usage. Où est l’usage ? Chez les imprimeurs qui s’en réfèrent aux dictionnaires ? Dans la presse ? que l’on accuse de commettre des « coquilles » quand elle ne respecte pas « l’orthographe » ? Chez les simples usagers qu’on accuse de commettre des « fautes » d’orthographe ? Ce seraient donc bien les dictionnaires qui règlent « l’usage », mais comment ? Depuis 1990, des enquêtes ont été menées dans ces dictionnaires pour savoir comment ils intégraient les rectifications et recommandations parues au Journal officiel. Nous verrons plus loin que les rectifications sont progressivement enregistrées mais pas au même rythme partout ni sur tous les points. Dès le début de la parution en 1992 de la neuvième édition de son Dictionnaire qui n’en était qu’à la lettre E, l’Académie avait, elle, définitivement enregistré 30 % des rectifications. Les cinq domaines touchés par les rectifications sont : le trait d’union, le pluriel des noms composés, les accents, l’accord du participe passé et diverses anomalies orthographiques. Ces points avaient déjà fait l’objet de propositions lors d’éditions précédentes, et depuis au moins un siècle. Ils n’ont donc rien de révolutionnaire ! Le premier point favorise la soudure des mots composés où la variation orthographique est importante, selon les mots et selon les dictionnaires. La neuvième édition continue ainsi le travail amorcé dans la septième et la huitième édition. La soudure concerne : * les composés construits avec un préfixe savant, grec ou latin ; radioactif existait déjà, des mots comme autoécole, audiovisuel sont acceptés, mais les composés sur les dérivés de noms propres ou géographiques gardent le trait d’union : gréco-romain. * les composés formés avec les verbes croque-, porte-, passe-, tire- et un nom, ou un verbe et -tout ; comme passeport, faitout qui existaient déjà, on peut écrire croquemonsieur, tirebouchon, portemanteau, brisetout... Ceci est valable pour les dérivés comme tirebouchonner.

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* les composés formés avec contre-, entre- et un verbe ou un nom, avec extra-, infra-, intra-, ultra-, supra-, basse-, mille-, haut- ; tels contrepoint, s’entraider, extraordinaire, millefeuille, qui existaient, on écrit également contretemps, s’entraimer, extrafort, bassecour, millepatte. Ce dernier terme a provoqué de nombreuses critiques, du type « un millepatte a beaucoup de pattes ! ». Mais il n’en a pas mille..., pas plus que la pâtisserie appelée millefeuille ne contient mille feuilles. En composition, mille a perdu son sens, et le mot composé peut être considéré comme un mot unique. Le trait d’union n’est conservé que pour empêcher dans certains mots la formation d’un digramme différent, par exemple intra-utérin et non *intrautérin. Mais contre-amiral demeure une exception, le titulaire du titre se serait opposé à la soudure... * les composés formés sur des expressions, des mots étrangers ou des onomatopées, comme froufrou qui existait déjà, sont également soudés : passepasse, blabla, bouiboui, weekend... * l’écriture en toutes lettres des nombres a été uniformisée. Désormais on peut mettre des traits d’union partout : deux-cent-vingt-sept par exemple. Cela représente sans doute une régularisation, mais elle aurait pu se faire plus simplement en supprimant complètement ces traits d’union ! Le pluriel des noms composés et des noms d’emprunt Dans ce domaine, variation et illogismes sont légion dans les dictionnaires. La norme par exemple accepte un cure-dent au singulier mais exige qu’on écrive, toujours au singulier, un cure-ongles ! Si on veut passer par le sens du mot, il est bien difficile de ne se « curer » qu’une seule dent alors que nous devons nous « curer » un seul ongle à la fois ! Le plus logique est donc de considérer les mots de la langue pour ce qu’ils sont : des mots, et de leur appliquer le fonctionnement général. Alors, de même qu’on écrivait un chausse-pied, des chausse-pieds, on écrit maintenant avec un pluriel régulier à la fin du mot un compte-goutte, des compte-gouttes, un sans-abri, des sans-abris. On a tourné en ridicule par exemple un sèche-cheveu, mais les professionnels eux-mêmes disent bien qu’ils travaillent « le cheveu ». Les exceptions, parce que il y en a, se justifient par la présence d’un déterminant singulier dans la composition du mot, tel un trompe-la-mort qui demeure de ce fait invariable, ou de termes religieux comme un prie-Dieu, également invariable. La régularisation des marques du pluriel concerne aussi les emprunts au latin ou aux langues étrangères : ils adoptent autant que possible les règles d’orthographe du français. En plus de la régularisation des pluriels, on régularise

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l’emploi des accents. On écrit des médias, des allégros, des pénaltys, des satisfécits, etc. Les accents * L’accent circonflexe, qui n’a plus de fonction par rapport à l’oral, peut être omis sur les lettres i et u. Comme pour cime, on écrit abime, maitre et maitresse, ile, aout, bruler, ainsi que naitre, paraitre, etc. et tous leurs dérivés. La suppression de l’accent circonflexe a soulevé beaucoup de réactions parmi les usagers, habitués visuellement à ce petit « chapeau ». Sa dimension iconique est souvent exploitée dans la publicité. Bien souvent, on le justifie par l’étymologie : le remplacement d’un s disparu, mais l’accent circonflexe a eu bien d’autres rôles aujourd’hui disparus. Alors, ne peut-on créer de nouvelles habitudes visuelles chez les jeunes enfants qui n’auront pas à se surcharger inutilement la mémoire ? Lorsque sur i ou sur u, l’accent circonflexe remplit une réelle fonction, celle qui permet d’accéder à la reconnaissance visuelle immédiate de deux homophones, il est maintenu. C’est le cas de l’adjectif mûr face au substantif mur, de j’ai dû face à du vin, il croit ou il croît, il eut ou qu’il eût... On pourrait avancer que ce « luxe » est inutile, le contexte du mot indiquant clairement de quoi il s’agit. Mais la suppression sur a, e, o n’a pas été retenue parce que l’accent circonflexe y indique parfois une différence de prononciation. Les académiciens ont voulu ici rester prudents et ne pas choquer, mais le plus souvent cette « exception » rebute ceux qui voudraient effectivement écrire sans accent circonflexe. * Le tréma est utilisé sur la lettre « qui se prononce » et non sur une lettre « muette ». La règle en place veut qu’on le place sur la deuxième lettre d’un groupe qui prête à ambiguïté, par exemple maïs qu’on distingue ainsi de mais. Cela ne pose pas de problème puisque les deux lettres correspondent chacune à un son. Mais des mots comme aiguë ou encore ciguë prêtent largement à confusion. La rectification donne plus de clarté à la lecture en proposant aigüe, cigüe. On écrira aussi gageüre, pour « rectifier » une prononciation, l’orthographe gageure ayant entraîné une « prononciation fautive », selon le groupe d’experts du Conseil supérieur de la langue française. * L’accent grave présentait lui aussi un certain nombre d’anomalies. En principe, le /ε/ suivi d’une consonne orthographiée par une lettre-consonne + e, s’écrit avec un accent grave, par exemple père, mère, avènement, etc. Cette règle est généralisée, et évènement, je cède, je cèderai suivent maintenant la règle. On

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conserve cependant l’accent aigu en première syllabe, en particulier pour les préfixes dé- et pré- : dégeler, prévenir, etc. Finalement, un accent plat à la place des accents grave et aigu sur la lettre e, pour distinguer simplement le timbre /e/ ou /ε/ du timbre /EU/, serait beaucoup plus pratique et plus simple pour un résultat équivalent ! L’emploi de l’accent grave est également préconisé pour remplacer la lettre double dans les formes conjuguées des verbes en -eler et -eter : comme pour peler, je pèle ou acheter, j’achète, on écrit pour ruisseler, je ruissèle, ou pour cacheter, je cachète. Voilà quelques hésitations inutiles qui disparaissent et c’est une bonne chose. Cette régularisation concerne deux cents verbes environ à propos desquels les dictionnaires se contredisent dans 25 % des cas. Mais là encore, il restera des exceptions : les deux verbes appeler, j’appelle et jeter, je jette continuent à garder leur double lettre car, en raison de leur grande fréquence, un changement troublerait trop nos habitudes visuelles de lecteurs... L’accord du participe passé La modification est modeste, elle ne concerne que le participe passé laissé qui restera toujours invariable devant un infinitif : elle s’est laissé séduire, ou les oiseaux que tu as laissé s’envoler (E. Littré recommandait déjà cette orthographe). L’invariabilité existait déjà avec faire : elle s’est fait battre. Les règles d’accord des participes passés sont un vrai casse-tête : il y a vingt-cinq pages de règles, d’exceptions et de cas particuliers dans Le bon usage de M. Grévisse ! Espérons que cette « simplification » sera suivie par d’autres. En Suisse, un arrêté datant de 1901 va déjà plus loin puisqu’il permet l’invariabilité du participe passé construit avec avoir et suivi d’un infinitif : les oiseaux que j’ai entendu chanter, en dépit du fait qu’en France on doive écrire les oiseaux que j’ai entendus chanter. Le dernier point concerne les anomalies * Les mots dérivés en -otter ou -oter pourront toujours être écrits avec -oter : comme tousser, toussoter, on écrit danser, dansoter, friser, frisoter, etc. Voilà une règle simple. Il faut pourtant souligner que les dérivés des mots botte, crotte, ou calotte, etc., garderont leur air de famille et continueront à s’écrire botter, crotter, calotter, etc. * Les mots à finale -olle ou -ole adoptent la deuxième forme, -ole. Comme mariole, on peut écrire girole, guibole, corole, etc. Les dictionnaires font preuve pour ces mots de beaucoup de fantaisie, les variations sont fréquentes d’un ouvrage à l’autre, voire dans un même ouvrage. Trois exceptions

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cependant, les monosyllabes colle, molle et folle, car leur « image » semble difficile à modifier. * Les mots d’une même famille garderont d’une manière générale l’orthographe du mot simple : la double lettre de homme se retrouve dans bonhommie (qui s’écrivait bonhomie), le l simple d’imbécile dans imbécilité (au lieu de imbécillité), le double r de charrette, charrue se retrouve dans charriot (au lieu du fameux chariot), etc. Pourquoi ne pas choisir chariot comme référence et aligner les dérivés de char sur lui, comme *charue, *charette ? Cela aurait évité l’introduction d’incohérences bien inutiles comme dans celle de la famille de battre : le dérivé préconisé est combattif (au lieu de combatif) alors qu’il existe bien dans cette famille le mot bataille avec un seul t. * La finale -illier laisse la place à -iller. Comme poulailler, volailler, on écrit donc joailler, quincailler, etc. Cette simplification qui rapproche la graphie de la prononciation ne touche que quelques mots, et des mots comme châtaignier ont été semble-t-il oubliés. D’autres termes comme ognon sont également écrits conformément à leur prononciation. * Dans une famille de mots, la lettre qui suit un e « muet » est simple comme c’est déjà le cas pour noisetier dérivé de noisette, ou chamelier dérivé de chamelle. Cette série est toute petite, on écrit donc dentelle et dentelière, etc. * Quelques corrections d’erreurs passées sont entérinées, comme celle de nénufar, qui a été écrit ainsi dans toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie, jusqu’en 1935 où il est devenu nénuphar par erreur d’étymologie ! Les Recommandations aux lexicographes Le plus important des effets des rectifications de 1990 se trouve sans doute dans les Recommandations adressées par l’Académie aux professionnels et aux lexicographes. Cela touche tout particulièrement à l’enregistrement des néologismes (il y en a environ 25000 chaque année) qui doit tenir compte des régularités de l’orthographe en évitant les consonnes doubles et les lettres inutiles ou étrangères à notre système. Cela concerne également la simplification des consonnes doubles existantes, les -nn- qui peuvent sans dommage devenir -n- dans des mots comme réunionite, cohabitationer, professionaliser, etc.

◆ L’accueil fait aux rectifications En France , la polémique a été forte en 1990. Les opposants ont largement utilisé leurs pouvoirs à travers les médias pour vilipender et détruire dans

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l’esprit du public le sens et le contenu des rectifications. On peut s’interroger sur les motivations d’un tel comportement, qui n’est certes pas nouveau, on l’a vu, dans l’histoire de l’orthographe française. Mais le sentiment d’identité, l’attachement à la chose écrite toujours un peu sacralisée, le besoin de conserver des « racines », réelles mais aussi imaginaires parfois, ne peuvent aboutir à un immobilisme forcené de l’écriture menant à la mort. La politique a donc été de ne pas réveiller les polémiques et de ne pas aller plus avant dans la diffusion des rectifications auprès du grand public ou des enseignants, les premiers concernés. Et dans cette situation de non information, - l’association AIROE a cependant depuis le début poursuivi avec des moyens certes limités cette nécessaire information -, l’Académie a décidé de faire confiance à l’usage pour entériner ces fameuses rectifications ! Que deviennent les rectifications dans les dictionnaires ? Heureusement, avec prudence, les dictionnaires de langue de chez Larousse, Robert, Hachette... enregistrent progressivement les Rectifications, et mettent en pratique les Recommandations aux lexicographes. Le Dictionnaire de l’Académie les enregistre toutes, en entrée, dans le corps des articles ou dans des listes séparées pour les premières lettres qui avaient été traitées antérieurement à 1990. Si bien qu’un relevé des variantes des dictionnaires de 1989 à 1997, dirigé par N. Catach, faisait apparaître un total de 5169 mots avec variantes graphiques. Sur ce total, 2362 mots, soit 46 %, suivent les rectifications, et 1204 mots, soit 23 %, suivent les recommandations. Ce ne sont pas toujours les mêmes mots qui sont rectifiés dans les dictionnaires. Il faudra attendre encore quelques années pour que l’ensemble s’harmonise et qu’une politique commune se mette en place entre les maisons d’édition. Les points des rectifications pour lesquels on rencontre encore des hésitations sont les mots en -eler et -eter et la suppression des accents circonflexes. Mais le dernier Bescherelle sur L’Orthographe mentionne tous ces points, des ouvrages pédagogiques, des revues sont publiés en « nouvelle orthographe ». La dernière édition du Bon usage de M. Grevisse, sous la direction d’A. Goosse, mentionne les rectifications. Gageons que la voie est ouverte pour qu’enfin ces rectifications soient reconnues et admises comme elles le sont par exemple en Belgique. En Belgique, grâce sans doute à la personnalité d’A. Goosse qui a œuvré dans le sens des rectifications, l’accueil a été plus favorable. Aujourd’hui, l’APARO (association pour l’application des rectifications orthographiques) a son site sur Internet. Des revues et ouvrages sont publiés en nouvelle ortho-

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graphe. L’enseignement catholique a intégré l’enseignement des rectifications dans ses programmes, l’enseignement public a diffusé des circulaires en ce sens en septembre 1998. En Suisse, au Québec, l’accueil a été également favorable. Mais bien souvent, on attend que la France se prononce ouvertement en faveur des rectifications pour mener une action d’envergure en ce sens. Par rapport à l’ensemble de notre système orthographique, les rectifications de 1990 touchent une toute petite frange, qui concerne quelques-unes des irrégularités ou des anomalies du système. Certaines personnes ont trouvé que tout cela faisait beaucoup de bruit pour rien, et pourtant ce n’est pas rien. En effet, sans toucher à l’essentiel du système, elles introduisent davantage de régularité et de cohérence dans une orthographe qui demeure bien chargée, continuant ainsi l’œuvre entreprise et inachevée par les académiciens du XVIIe et du XVIIIe siècle. On ne peut que souhaiter que ces modifications, modestes mais qui vont dans le bon sens du respect de la langue et de ses usagers, puissent être poursuivies à l’avenir. C’est le rôle et la place du français dans la francophonie, dans le monde et dans l’avenir qui est en jeu, et l’écriture du français, son orthographe donc, doit rester la meilleure messagère de cette langue.

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REFERENCES CATACH N. (1995). L’orthographe, Que sais-je ?, PUF, 1ère éd. 1978, 6e éd. CATACH N. (1991). L’orthographe en débat, Nathan - Université, Paris. CHAURAND J. (1972). Histoire de la langue française, Que sais-je ?, PUF. CHAURAND J. (1999). Nouvelle histoire de la langue française, Seuil. GOOSSE A., Le bon usage. Grammaire française de M. Grevisse, 13e éd. revue. HONVAULT R. (sous la direction de) (à paraître en septembre 1999). L’ortografe ? c’est pas ma faute !, numéro spécial de la revue Panoramiques sur la réforme de l’orthographe, éd. Corlet, Paris. PORTEBOIS Y. (1998). Les saisons de la langue, Champion. Le Journal officiel de la République française, édition des documents administratifs, 6 décembre 1990.

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La compétence orthographique du sujet adulte Helgard Kremin

Résumé Cette étude expérimentale porte sur la compétence orthographique de 60 sujets francophones adultes, jugée d’après leurs performances en écriture sous dictée. 293 stimuli sont répartis en listes appariées, permettant d’étudier les variables suivantes : fréquence, âge d’acquisition, régularité, longueur et signification. Les résultats montrent (I) que la dictée des logatomes est aussi bien réussie que la dictée de mots et (II) que la régularité orthographique et l’âge d’acquisition du mot écrit sont les variables lexicales qui ont le plus d’influence sur les performances. Mots-clés : Orthographe, dictée, standardisation, sujet adulte francophone.

Spelling skills in adult subjects Abstract This empirical study investigates the orthographic skills of 60 French-speaking adults, based on writing from dictation. 293 stimuli, presented in matched lists, made it possible to assess the influence of the following variables: frequency, age of acquisition, orthographic regularity, length and meaning. The results showed that(i) writing nonwords is no more diffi cult than writing words and that(ii) the degree of orthographic regularity and the age of acquisition of the written word are the most influential lexical variables. Key Words : Orthography, dictation, standardization, French-speaking adults.

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Helgard KREMIN 1 L. MAGINOT C. MAGNIEN INSERM-CRI 9609 Laboratoire de Pathologie du Langage Bât. Nouvelle Pharmacie-3e étage Hôpital La Salpêtrière 47 Bd de l’Hôpital F - 75651 PARIS CEDEX 13

U

n des problèmes majeurs en neuropsychologie concerne la délimitation du seuil entre normalité et pathologie. Nous avons besoin d’une référence applicable aux sujets cérébro-lésés selon des facteurs individuels. Ceci d’autant plus quand on se propose d’étudier « le savoir orthographique », c’est-à-dire l’écriture.

L’« intuition » semble suggérer que plus on va à l’école, plus on est apte à écrire correctement. Or, les apprentissages fondamentaux de l’écriture se font dans les 5 premières années de scolarité à l’école primaire, les années suivantes servant surtout à renforcer ces apprentissages. De ce point de vue, il n’y aurait pas de raison pour que les individus ayant eu le même apprentissage, mais une durée de scolarité différente, aient plus de difficulté à l’écrit. D’un autre côté, des facteurs individuels tels que le niveau de scolarité, l’âge et le sexe ont une influence sur des tâches apparemment simples comme la dénomination orale d’images (Metz-Lutz et al., 1991). Enfin, les résultats d’un travail mené par Laurent (1984), portant sur la dénomination écrite de 100 images du PEDOI (« Protocole Européen de Dénomination d’Images » qui sera publié ultérieurement - cf. toutefois Kremin et al., 1994), montrent que seulement 28 sur 100 noms d’images sont correctement écrits par tous les 60 sujets « témoins » ayant participé à cette étude de standardisation. Les connaissances orthographiques du sujet adulte semblent donc moins bien consolidées qu’on ne le pense... De ce fait, nous chercherons à analyser les connaissances orthographiques du sujet normal adulte au moyen de la dictée, une tâche permettant d’étudier des variables psycholinguistiques qui ne sont pas pertinentes pour la dénomination écrite de noms d’objets. 1 Adresse de correspondance : Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS. [email protected] - Tél. : 01 42 16 22 03 - Répondeur : 01 45 85 20 24 - Fax :01 53 79 08 25

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La dictée implique le passage du système de perception et d’analyse auditive au système d’expression graphique. Cette tâche fait appel à l’identification de la forme acoustique du mot puis, soit à l’activation directe de sa forme lexicale graphique, soit à l’analyse acoustico-phonémique aboutissant à l’élaboration d’une représentation phonologique qui est le support de la conversion phonème-graphème. Un protocole expérimental, proposé par H. Kremin, a été établi pour permettre d’étudier les processus et les différents niveaux de traitement de l’information impliqués dans l’écriture sous dictée ainsi que les variables du stimulus qui sont pertinentes, en pathologie, à chacune de ces étapes. Ainsi l’épreuve de dictée comprend des mots et des logatomes, répartis en listes appariées, permettant d’étudier les variables du stimulus suivantes : fréquence, âge d’acquisition, concrétude et / ou imagerie, régularité, classe grammaticale, signification, longueur. Le protocole comprend aussi des épreuves ne faisant pas appel à l’écriture sous dictée : (I) une épreuve de discrimination phonémique, permettant de vérifier l’intégrité de l’entrée acoustico-phonémique ; (II) une épreuve de décisions lexicales auditives, censée tester le système d’entrée auditive des mots, c’est-à-dire le bon fonctionnement du lexique phonologique d’entrée ; (III) une épreuve de décisions lexicales orthographiques, censée tester le système d’entrée visuelle des mots, c’est-à-dire le lexique orthographique visuel ; il est susceptible d’intervenir en cas d’autocorrection de la production écrite via la relecture ; (IV) une épreuve d’épellation orale de mots issus de la liste de l’épreuve de dictée, censée tester les processus mis en jeu dans cette modalité de sortie, et permettre de comparer les performances à celles obtenues sous dictée. L’ensemble de ces épreuves (qui peuvent être obtenues sur demande écrite) a fait l’objet d’une étude de standardisation menée par Maginot et Magnien en 1996. Dans le cadre de cette présentation, qui concerne les connaissances orthographiques du sujet francophone adulte, nous nous limiterons à résumer les principaux résultats en dictée.

◆ Matériel et méthode Matériel utilisé Le protocole comprend, pour l’épreuve testant l’écriture sous dictée, 293 items (dont 268 mots et 25 logatomes) répartis en listes permettant d’étudier les variables du stimulus suivantes : fréquence du mot, âge d’acquisition du mot écrit, régularité orthographique, concrétude et/ou imagerie, classe grammaticale, longueur et « signification » (mots versus logatomes).

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Le protocole se compose des listes suivantes : Liste 1 : 24 substantifs de haute fréquence, de haute imagerie (concrets), acquis à 13 ans ; Liste 2 : 24 substantifs de haute fréquence, de basse imagerie (abstraits), acquis à 13 ans ; Liste 3 : 24 substantifs de basse fréquence, de haute imagerie, acquis à 13 ans ; Liste 4 : 24 substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, acquis à 13 ans ; Liste 5 : 24 substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, non acquis à 13 ans ; Liste 6 : 20 substantifs irréguliers ; Liste 7 : 20 verbes de haute fréquence acquis à 13 ans ; Liste 8 : 40 mots fonctionnels de haute fréquence acquis à 13 ans ; Liste 9 : 20 substantifs irréguliers acquis à 13 ans ; Liste 10 : 10 substantifs irréguliers non acquis à 13 ans ; Liste 11 : 38 mots « contrôle » servant à compléter certaines listes pour l’étude de variables précises (mots irréguliers, degré d’ambiguïté orthographique, etc.) ; Liste 12 : 25 logatomes (10 monosyllabiques, 10 bisyllabiques, 5 avec plus de deux syllabes). Variables considérées La fréquence des mots L’influence de la fréquence des mots sur les performances du sujet normal et pathologique est une des données le plus universellement confirmée. Pour notre protocole nous avons utilisé la classification de Julliand et al. (1970). Les mots considérés comme étant de haute fréquence sont ceux appartenant principalement aux tranches I et II de cette classification, et ceux de basse fréquence appartiennent aux tranches supérieures de cette classification (VIII à X). Au sein de chaque liste, les mots sont répartis selon la concrétude (concrets versus abstraits) et selon le degré d’ambiguïté orthographique. L’âge d’acquisition des mots Nous avons repéré l’âge d’acquisition des mots d’après Ters et al. (1975) et recherché l’influence de cette variable sur l’écriture du sujet normal. Ainsi on distingue entre mots acquis à 13 ans et mots non acquis à 13 ans. En effet, des études récentes ont confirmé, pour le sujet francophone aussi, le rôle important de la variable « âge d’acquisition des mots » sur la dénomination orale d’images du sujet normal (Kremin et al., accepté) et pathologique (Perrier et al., 1997).

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La régularité orthographique Dans les listes de haute et basse fréquence les mots sont répartis en fonction de leur degré d’ambiguïté orthographique (DAO=0 à DAO=3). Le degré d’ambiguïté orthographique est fonction du nombre de phonèmes ambigus dans le mot et tient compte des règles contextuelles de transcription. Par exemple, la règle selon laquelle /z/ s’écrit S entre deux voyelles et Z partout ailleurs est une règle contextuelle de conversion entre phonèmes et graphèmes qui ne dépend pas du mot. Les règles orthographiques, par contre, se réfèrent au mot, à sa composition, à ses formes dérivationnelles possibles, à son étymologie... On considère comme « réguliers », les mots dont le DAO est de 0, c’est-à-dire ceux dans lesquels les correspondances phonèmes-graphèmes répondent à des probabilités d’occurence très élevées dans la langue, par exemple « amour ». (La fréquence des correspondances phonèmes-graphèmes a été établie par Catach (1974 ; 1980). On considère comme « ambigus », les mots dont le DAO est au moins de 1, ceux où les correspondances phonème-graphème sont moins probables ; par exemple, « musique » : DAO = 1, « village » : DAO = 2, « différence » : DAO = 3. Par ailleurs, le protocole inclut une liste de 50 mots « irréguliers », dont les correspondances phonème-graphème sont très peu probables, voire exceptionnelles, par exemple « solennel » et « femme », et une liste de mots « contrôle » appariés en fréquence et en longueur. Ces listes sont constituées d’items proposés par Beauvois & Dérouesné (1981) pour l’étude de sujets agraphiques. La dimension régularité/irrégularité orthographique permet d’apprécier le fonctionnement de la voie lexicale, seule à garantir l’écriture correcte de mots irréguliers. La longueur Nous avons voulu savoir si la longueur des stimuli a une influence sur les performances du sujet normal. Rappelons que la longueur est une variable qui influe sur les performances des sujets présentant une perturbation du buffer graphémique (Caramazza et al., 1987). Nous avons calculé la longueur d’un stimulus en tant que nombre de lettres (mesure de charge en mémoire pour le buffer graphémique) et / ou en nombre de syllabes (mesure d’entrée auditive, mais également plus adéquate pour l’analyse de l’écriture des logatomes pour lesquels les transcriptions possibles sont souvent multiples, du fait que beaucoup de phonèmes peuvent s’écrire, en accord avec les règles de conversion, de différentes façons. Remarque : Le protocole comprend également des listes pour étudier l’éventuelle influence de la classe grammaticale (substantifs, verbes, mots fonctionnels) et de l’imagerie et/ou concrétude (d’après Hogenraad & Orianne, 1981). Dans le cadre de cette présentation ces paramètres ne seront pas considérés.

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Enfin, toutes les listes sont équilibrées de telle manière que seule la variable lexicale à étudier est ciblée. Population Le protocole de la dictée fut soumis à une population « normale », c’est-àdire ne présentant (I) ni trouble du langage oral et/ou écrit, (II) ni atteinte neurologique connue ou début d’atteinte dégénérative (passation du Mini Mental State [Folstein et al., 1975] aux sujets âgés de 65 et plus), (III) ni trouble de la discrimination phonologique. Par ailleurs, tous les sujets ont fait leur scolarité en français. La population est constituée de 60 sujets, également repartis en fonction de trois paramètres : le sexe (30 hommes et 30 femmes) ; l’âge (3 tranches : 18-39 ans, 40-59 ans et 60-75 ans) ; le niveau de scolarité (NSC). Le critère choisi pour le NSC est celui du nombre d’années de scolarité à partir de la première année de scolarité obligatoire, soit l’âge de 6 ans (entrée au C.P.). On distinguera deux groupes, le NSC1 (30 sujets) avec une scolarité de 9 ans et le NSC 2 (30 sujets) avec une scolarité de plus de 9 ans. En fonction de ces trois critères, la population (n=60) se répartit en 12 sous-groupes de 5 sujets. Conditions de passation Les consignes Pour l’épreuve de discrimination phonémique, la consigne était : « Je vais vous dire deux mots et vous demander de décider si les deux mots sont pareils ou différents. Vous ne faites pas attention au sens, vous me dites simplement s’ils ‘sonnent’ pareil ou pas. Comme, par exemple, foule - moule. Alors, c’est pareil ou différent? » Pour la dictée de mots la consigne était : « Je vais vous dicter des mots isolés. Ces mots sont des substantifs (ou des noms communs), des verbes et des mots grammaticaux. Je vous demande d’écrire un mot par ligne, le plus lisiblement possible ; si vous voulez corriger, ne surchargez pas mais réécrivez le mot à côté. » Pour la dictée de logatomes, la consigne était : « Je vais vous dire des mots qui n’existent pas dans la langue. Je vous demande d’écrire ce que vous entendez, de façon que je puisse les relire tels que je vous les ai dictés. » La passation La passation des épreuves s’est déroulée de manière identique pour chaque sujet : l’épreuve de discrimination phonologique fut appliquée préalablement à l’écriture sous dictée ; les stimuli ont été présentés regroupés en listes séparées ; la dictée de logatomes a été intercalée dans la dictée au stimulus n°206. Si le sujet demandait la répétition du mot, il était répété. En cas d’incompréhension du stimulus, dans un premier temps on ajoutait l’article, puis le mot était

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placé dans un contexte facilitant sa compréhension ; par exemple, pour le mot cas : « un cas » (première indication), « c’est un cas difficile » (deuxième indication). La durée de l’épreuve de dictée était de 45 minutes à 1 heure. Le dépouillement des données En ce qui concerne l’épreuve de dictée de mots, il est utile de préciser que nous n’avons pas considéré comme erreur : (I) les substantifs et les mots fonctionnels transcrit au féminin ou au pluriel (telle, quelle, cheveux) ; (II) les verbes du 1er groupe transcrits au participe passé ou conjugués (allez), ou transcrits comme un substantif (arrivée) ; (III) les homophones ne correspondant pas au mot attendu (faire pour fer) ; (IV) les différentes graphies admises (par le Larousse et le Robert) d’un mot (shampooing / shampoing et paie / paye). Par contre, nous avons considéré comme erreur l’omission ou la substitution d’accent(s), ce qui pour certains sujets et/ou pour certains mots augmente de façon relativement importante le nombre d’erreurs comptabilisées. L’absence du trait d’union pour le mot « chef-d’œuvre » a également été considérée comme une erreur. En ce qui concerne l’épreuve de la dictée de logatomes, nous avons distingué lors du dépouillement : (I) les erreurs vraies empêchant la relecture du logatome tel que nous l’avons dicté, (II) et les erreurs dues à la non-application des règles orthographiques contextuelles mais n’empêchant pas la relecture du logatome tel qu’il a été dicté (exemple : enboi, consse). L’ensemble des données recueillies lors de la passation du protocole a fait l’objet d’un traitement épreuve par épreuve et d’un traitement par sujet (Maginot & Magnien, 1996). Nous ne rapporterons ici que les principaux résultats en dictée ainsi qu’un listing des fautes d’orthographe relevées pour chaque item.

◆ Résultats Constatons tout d’abord qu’aucun des 60 sujets n’avait de problème au niveau de l’analyse auditive : le maximum d’erreurs observé au test de discrimination phonologique est de 1 erreur sur 30 paires de mots. Par contre, les performances des sujets en dictée varient énormément. Pour les mots, l’écart est de 2 (minimum) à 142 (maximum) erreurs sur le total des 268 mots dictés ; pour les logatomes, on observe de 0 à 7 erreurs sur les 25 items proposés. 1 - Résultats globaux : L’influence des facteurs individuels Nous avons recueilli l’écriture sous dictée de 16080 mots et de 1500 logatomes. Comme le montre le tableau 1, les facteurs individuels (âge, niveau de scolarité, sexe) interviennent sur les performances.

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Tableau 1 : Répartition des données en fonction de 3 critères : âge, niveau de scolarité et sexe (% erreurs)

MOTS LOGAT.

18-39 9%

40-59 5,8%

60-75 7,5%

NSC1 14,3%

NSC2 6,1%

H 12,8%

F 7,7%

664/7360

427/7360

555/7360

1153/8040

493/8040

1029/8040

617/8040

6,2%

8,8%

8,6%

9,1%

6,7%

8,5%

7,1%

31/500

44/500

41/500

68/750

50/750

64/750

53/750

Nous constatons que dans le NSC1 les performances sont moins bonnes que dans le NSC2 ; l’écart entre les deux niveaux est constant, mais plus important pour les mots. La comparaison des résultats entre les hommes et les femmes est en défaveur des premiers ; cet écart est moins important que celui observé pour le niveau scolaire. L’incidence de l’âge est moins évidente que celle du niveau scolaire et du sexe ; globalement la tranche II (40-59 ans) obtient les meilleurs résultats. Enfin, sur les logatomes, les influences de l’âge, du niveau scolaire et du sexe sont plus faibles que sur les mots à contenu. 2 - L’écriture de mots Par la suite nous décrirons l’influence des variables liées au mot cible (fréquence d’usage, âge d’acquisition, régularité). Nous ne tiendrons compte que du niveau scolaire (NSC) puisque, comme nous venons de le décrire, l’âge des sujets n’a pas d’incidence systématique sur les performances et celles des femmes sont toujours supérieures. 2.1. La fréquence des mots et leur âge d’acquisition Pour étudier l’influence de la fréquence des mots, nous avons comparé les performances des sujets aux listes 1 et 2 (2880 productions écrites). Pour cerner l’influence de l’âge d’acquisition du mot écrit (acquisition versus non acquisition à 13 ans) nous avons comparé les performances des sujets aux listes 3 et 4 (1440 productions écrites). Le tableau 2 représente le taux d’erreurs pour ces deux variables en fonction du NSC. L’étude des résultats selon le NSC montre une différence importante sur les performances des deux groupes, et ce pour les deux variables considérées.

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Tableau 2 : Influence de la fréquence des mots et leur âge d’acquisition (% erreurs)

VARIABLE Haute fréquence Basse fréquence Acquisition à 13 ans Non-acquisition à 13 ans

NSC 1 8% (115/1440) 14% (202/1440) 17% (122/720) 26% (185/720)

NSC 2 3,5% (50/1440) 5,6% (81/1440) 7,2% (52/720) 15% (107/720)

2.2. La régularité orthographique des mots Le degré d’ambiguïté orthographique Pour 120 mots nous avions établi le degré d’ambiguïté orthographique (DAO) : 37 mots avec DAO=0, 54 mots avec DAO=1, 29 mots avec DAO=2 et plus. Pour l’ensemble de la population, c’est-à-dire en analysant 7200 productions écrites, on constate un accroissement du nombre d’erreurs en fonction de l’augmentation du DAO : DAO=0 : 6,6% ; DAO=1 : 10,5% ; DAO=2 et plus : 14,4%. Il existe une incidence conjuguée des variables fréquence et DAO. L’écart des performances entre les mots de haute fréquence et de basse fréquence (ces derniers étant les plus chutés) croît en fonction du degré d’ambiguïté. Le tableau 3 en donne la description tout en considérant le NSC. Il permet de constater que les sujets du groupe NSC1 sont les plus sensibles à l’influence du DAO. Tableau 3 : Degré d’ambiguïté orthographique (DAO) des mots et fréquence (% erreurs)

VARIABLE DAO=0: mots de HF mots de BF

NSC 1

NSC 2

5% (23/450) 12 % (80/660)

1,5% (7/450) 5,6% (37/660)

TOTAL DAO=0

9,3% (103/1110)

3,9% (44/1110)

DAO=1: mots de HF mots de BF

7,6% (50/660) 18,4% (177/960)

4,4% (29/660) 8,8% (85/966)

TOTAL DAO=1

14,0% (227/1620)

7,0% (114/1620)

DAO=2 et plus mots de HF mots de BF

12,7% (42/330) 24,1% (130/540)

3,9% (13/330) 12,2% (66/540)

TOTAL DAO=2 et +

19,8% (172/870)

9,1% (79/870)

59

Mots irréguliers Chacun des 50 mots irréguliers du protocole est apparié « en paire » avec un mot « contrôle » régulier (avec DAO=0) de la même fréquence et longueur (en nombre de lettres plus moins une). Nous comparons donc ces 50 mots irréguliers aux mots contrôle. Les résultats sur l’ensemble de la population (6000 productions écrites) laissent apparaître une nette incidence de l’irrégularité : 15,9% d’erreurs pour les mots irréguliers contre 7,6% pour les mots contrôle. En ce qui concerne le niveau scolaire, il existe un écart entre les performances des deux groupes NSC1 et NSC2. Il est très important pour les mots irréguliers : 22,5% d’erreurs contre 9,2%. Mais les mots réguliers donnent également lieu à des échecs, à savoir 11% pour le NSC1 contre 4,2% pour le NSC2. Par contre, la variable « acquis / non acquis à 13 ans » (listes 9 et 10) ne semble pas pertinente pour l’écriture des mots irréguliers. Ces données sont représentées dans le tableau 4. Tableau 4 : L’écriture de mots irréguliers : l’influence de l’âge d’acquisition des mots (% erreurs)

VARIABLE Mots irréguliers Mots réguliers Mots irréguliers acquis à 13 ans Mots irréguliers non acquis à 13 ans

NSC 1 22,5% (338/1500) 11,1% (166/1500) 17,3% (104/600) 18% (72/300)

NSC 2 9,3% (139/1500) 4,3% (64/1500) 7,8% (47/600) 4% (16/300)

2.3. La longueur L’effet de la longueur des mots a été étudié en analysant l’écriture de 4200 mots courts de 3 à 6 lettres (dont 33 de haute fréquence et 37 de basse fréquence) et de 3000 mots longs de 7 lettres et plus (dont 15 de haute fréquence et 35 de basse fréquence). Les résultats globaux montrent une nette influence de la longueur du mot en lettres avec 10% d’écart entre mots courts et longs (6% et 16% d’erreurs respectivement). En conjuguant l’influence de la longueur avec celle de la fréquence, nous constatons que l’écart entre les mots de haute et de basse fréquence (les mots de haute fréquence étant les plus réussis) est plus important pour les mots les plus longs. Le tableau 5 résume ces données, en tenant compte du niveau scolaire. Enfin, l’étude de la longueur en tant que nombre de syllabes (effectuée sur 2340 monosyllabiques et 4860 plurisyllabiques) confirme l’influence du facteur « longueur » : globalement, on observe un écart d’environ 8% entre les monosyllabiques (4,6% d’erreurs) et les plurisyllabiques (13% d’erreurs).

60

Tableau 5 : Répartition des erreurs en fonction de la longueur des mots

VARIABLE

NSC 1

NSC 2

5,4% (53/990) 11,6 % (129/1110) 8,7% (182/2100)

2,0% (20/990) 5,1% (57/1110) 3,7% (77/2100)

13,8% (62/450) 24,5% (257/1050) 19,3% (289/1500)

6,9% (31/450) 12,6% (132/1050) 10,9% (163/1500)

Mots courts : de haute fréquence de basse fréquence TOTAL MOTS COURTS

Mots longs : de haute fréquence de basse fréquence TOTAL MOTS LONGS

3 - L’écriture de logatomes Lors de la comptabilisation des erreurs commises lors de l’écriture de 1500 logatomes, nous avons distingué des erreurs empêchant la relecture du logatome tel qu’il avait été dicté de celles qui consistaient en un non respect des règles orthographiques contextuelles. Globalement on observe plus d’erreurs « vraies » que d’erreurs contextuelles (7,5% contre 2,4%). Comme le montre le tableau 6, le niveau scolaire ne joue pas pour l’écriture des logatomes courts (monosyllabiques) ; en revanche, pour les logatomes longs (trisyllabiques) il est très marqué (16% d’erreurs pour NSC1 contre 9% pour le NSC2). Tableau 6 : Ecriture de logatomes : effet du niveau scolaire et de la longueur (% erreurs)

VARIABLE MONOSYLLABIQUES: Erreurs Règles contextuelles BISYLLABIQUES: Erreurs Règles contextuelles TRISYLLABIQUES: Erreurs Règles contextuelles TOTAL LOGATOMES: Erreurs Règles contextuelles

NSC 1

NSC 2

9,7% (29/300) 3,3% (10/300)

9,7% (29/300) 2,7% (8/300)

5% (15/300) 5% (15/300)

9% (9/300) 0,7% (2/300)

16% (24/150) 0,7% (1/150)

8% (12/150) 0%

15% (68/450) 6% (36/450)

11% (50/450) 2% (10/450)

61

◆ Discussion Au cours de la passation du protocole et lors du dépouillement des performances, nous avons été surprises par le nombre et parfois par la nature des erreurs. Intuitivement, nous nous attendions certes à ce que les sujets dont le niveau scolaire est bas fassent des erreurs sur certaines catégories de mots, mais pas autant que ce que nous avons pu trouver chez certains d’entre eux. Par ailleurs, nous nous attendions à de meilleures performances chez les sujets dont le niveau de scolarisation est de 9 ans et plus. En ce qui concerne les facteurs individuels pris en compte, l’analyse des résultats globaux a mis en évidence la prépondérance du niveau scolaire sur les deux autres variables, âge et sexe. Si l’âge n’exerce pas d’influence systématique, soulignons toutefois que les résultats sont les plus chutés dans la première tranche d’âge (18 à 39 ans). Enfin, il y a une influence du sexe qui apparaît sur les performances : les femmes paraissent avoir une meilleure orthographe que les hommes. En ce qui concerne la variable « signification », les résultats globaux montrent des résultats hétérogènes quand on considère les différentes tranches d’âge (cf. tableau 1). Toutefois, globalement la dictée des logatomes est aussi bien, voire mieux réussie, que la dictée des mots. En effet, le groupe au niveau scolaire bas (ainsi que celui des hommes dont les performances sont toujours inférieures aux femmes) réussit mieux les stimuli sans signification. Cela suggère que ces sujets maîtrisent l’écriture par conversion entre phonèmes et graphèmes (ou assemblage) au niveau de la normale ; par contre, la procédure d’écriture lexicale qui, elle, dépend des connaissances orthographiques liées aux conventions du langage écrit, est moins fermement établie. La difficulté se situe donc ici au niveau du savoir relatif au lexique orthographique. Ce résultat de la normalisation a des implications directes pour la pathologie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser « intuitivement », des performances moins bonnes lors de la dictée des mots ne sont pas nécessairement le reflet d’une pathologie. Inversement, un taux d’erreurs nettement supérieur à 7/25 erreurs (ou 28% - ce qui correspond au taux le plus élevé d’erreurs observé pour l’écriture de logatomes par des sujets sains) ne s’explique pas par un niveau de scolarité bas mais est toujours pathologique. Par ailleurs, en ce qui concerne l’écriture des logatomes, deux constatations plus générales s’imposent : 1° - le nombre d’erreurs observées (y compris dans le groupe avec un niveau scolaire haut) nous a paru relativement élevé, s’agissant de stimuli qui mettent en jeu la voie phonologique (procédure d’assemblage) et n’impliquant théoriquement pas le lexique orthographique ;

62

2° - l’influence de la longueur est contradictoire : les logatomes trisyllabiques sont les plus chutés, mais les monosyllabes suscitent plus d’erreurs que les bisyllabiques : il semble que sur ces stimuli sans signification, la longueur relative soit un facteur de facilitation, en permettant une meilleure analyse de l’item proposé. Inversement, pour les logatomes monosyllabiques, le temps d’analyse, plus court, fait chuter les performances de certains des sujets - et ceci en l’absence de tout problème d’analyse perceptive (jugée d’après une tâche de discrimination phonémique). Les variables lexicales que nous avons considérées dans le cadre de cette présentation sont la régularité orthographique, la fréquence d’usage, la longueur du mot cible ainsi que son âge d’acquisition (acquis versus non acquis à 13 ans). Il s’avère que la régularité orthographique et l’âge d’acquisition des mots sont les variables qui ont le plus d’influence sur les performances en dictée. A notre connaissance, le facteur « âge d’acquisition des mots écrits » n’a pas été considéré dans d’autres tests et/ou standardisations de l’écriture. En l’absence d’un traitement statistique adéquat nous ne pouvons conclure définitivement. A ce propos nous rappellerons toutefois que certaines variables, considérées depuis longtemps comme déterminantes se sont avérées moins pertinentes selon des travaux récents, considérant l’interdépendance des facteurs susceptibles d’influencer la probabilité de réussite des sujets à une certaine tâche. De ces travaux, il ressort par exemple que l’effet de la fréquence des mots sur l’activité de dénomination, jusqu’ici bien établi, est aujourd’hui remis en cause. Cela est dû en particulier à la prise en compte des facteurs corrélés à la fréquence, et notamment à l’âge d’acquisition : ce qui était pris pour un effet de la fréquence pouvait n’être en réalité qu’un artefact lié à l’influence d’autres facteurs. En effet, les mots appris précocement ont tendance à être fréquents et courts. Enfin, que la régularité orthographique ait une influence sur le succès dans l’écriture des mots ne surprendra personne. En fait, les erreurs augmentent, de manière linéaire, pour les mots avec un degré d’ambiguïté orthographique 0, 1 et 2 et plus (6,6%, 10,5% et 14,4% respectivement). L’écart entre l’écriture des mots réguliers et irréguliers (appariés pour la longueur et la fréquence) est similaire (7,6% contre 15,9%). Il est intéressant de noter que l’âge d’acquisition ne semble pas influer sur la réussite en écriture de mots irréguliers. Cela suggère qu’il s’agit d’une variable relativement indépendante qui met particulièrement en jeu le savoir orthographique des sujets. En ce qui concerne l’étude des troubles pathologiques de l’écriture, il nous paraît toutefois impératif de ne pas conclure à la présence d’une « dysgraphie de surface » sur la base des performances en écriture des mots irréguliers

63

exclusivement. Ceci à cause du fait que quelques sujets ayant servi comme « témoin sain » dans notre étude ont démontré des carences orthographiques insoupçonnées. A titre d’illustration, citons deux exemples : (1) une femme de 21 ans, de niveau scolaire bas, qui produit 46 erreurs sur le total des 268 mots (elle écrit les logatomes correctement) ; et (2) un homme de 60 ans, de niveau scolaire haut, avec un total d’erreurs sur les mots similaire (50/268 - ainsi que 3 erreurs sur les 25 logatomes). Or, sur les seuls mots irréguliers, le premier sujet commet 44% d’erreurs (soit 22/50), et le deuxième 34%. De ce fait, nous conseillons de conclure à la présence du syndrome de « dysgraphie de surface » en considérant, également et surtout, la présence de productions non lexicales qui sont homophones aux mots cible. Soulignons encore qu’un patient atteint de ce trouble spécifique de l’écriture les produira également dans d’autres tâches telles l’écriture spontanée et la dénomination écrite (Beauvois & Dérouesné, 1981 ; Kremin, 1985). Au cours de notre travail, nous avons rassemblé un matériel important sur les connaissances orthographiques en écriture sous dictée de sujets « normaux ». Ce travail pourrait se prolonger, d’une part, par un traitement statistique des éléments fournis, d’autre part, par l’analyse des différents types d’erreurs que nous avons recensés. Néanmoins, dès à présent, l’index des occurrences d’erreurs en dictée que nous fournissons en annexe constitue un outil de travail qui peut être utilisé en pathologie. La comparaison des résultats en écriture sous dictée des sujets normaux et cérébro-lésés, permet de relativiser les difficultés des aphasiques et de considérer les paragraphies selon les limites de la normalité établies par ce travail de standardisation.

64

◆ ANNEXE Index du nombre d’erreurs sur les mots de la dictée et les différentes occurrences Description de l’annexe : Colonne A : le numéro de la liste à laquelle appartiennent les mots de la dictée. Liste 1 : substantifs de haute fréquence, de haute imagerie (concrets), acquis à 13 ans. Liste 2 : substantifs de haute fréquence, de basse imagerie (abstraits), acquis à 13 ans. Liste 3 : substantifs de basse fréquence, de haute imagerie, acquis à 13 ans. Liste 4 : substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, acquis à 13 ans. Liste 5 : substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, non acquis à 13 ans. Liste 6 : substantifs irréguliers. Liste 7 : verbes de haute fréquence, acquis à 13 ans. Liste 8 : mots fonctionnels de haute fréquence, acquis à 13 ans. Liste 9 : substantifs irréguliers acquis à 13 ans. Liste 10 : substantifs irréguliers non acquis à 13 ans. Liste 11 : mots contrôle. Colonne B : numéro de passation Colonne C : stimulus. Colonne D : le nombre d’erreurs en dictée sur 60 productions Colonne E : listing des erreurs produites A 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2 2

B 001 005 006 008 010 012 013 015 016 017 018 026 027

C porte maison journal amour homme nuit cœur ville lettre enfant village suite forme

D 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

E

65

2 2 2 2 2 2 3 3 3 3 3 3 3 4 4 4 4 4 4 5 6 6 7 7 7 7 7 8 8 8 9 9 9 10 11C

66

030 033 035 039 040 044 049 050 051 054 055 057 059 075 079 083 090 093 095 106 134 137 141 146 149 150 153 166 169 188 201 203 204 229 231

raison vue droit affaire effet passage linge chou langue valise avoine tigre riz fuite contenu injure attachement domicile vendredi suisse paye soixante venir comprendre sembler aller occuper quel quelque avant femme pied six agenda fer

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 11C 1 1 1 1 2 2 2 2 3 3 3 3 4 5 5 5 5 5 6 7 7 7 8

232 233 234 236 239 240 244 246 249 253 254 262 003 004 014 023 025 029 031 036 052 056 060 070 076 097 098 107 112 120 135 148 155 158 161

force action image dieu chef vie juin jour jardin lundi nocturne pari main soir neige billet cas valeur question cause miel soulier oie papillon civil verve tirage truc version pire transaction arriver aimer conduire tel

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

1 nain 1 soire 1 neïge 1 billiet 1 ka 1 valeure 1 guestion 1 quause 1 mielle 1 soullier 1 bois 1 papillion 1 civille 1 verbe 1 cirage truck 1 verssion pir 1 tranxation 1 arrivee 1 amair 1 condure 1 pelle

67

8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 9 9 9 9 11C 11C 11C 11C 11C 11C 1 1 1 1 1 2 3 3 3 4 4 5 6

68

162 164 165 167 177 180 181 183 186 187 190 191 206 212 213 217 247 250 255 256 261 265 002 007 020 021 024 032 061 063 064 073 085 115 124

pour chaque presque puisque autre chez devant pourtant depuis assez dessus aussi gentil tabac fusil estomac total moteur poisson moustache bouc touriste fleur musique garçon regard cheveu besoin botte tambour coussin brise allemand musulman calcium

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2

1 pourre 1 chacque 1 presce-que 1 puisse-que 1 aûtre 1 chai 1 devans 1 pourtan 1 depuit 1 accès 1 dessu 1 ausi 1 genti 1 tabat 1 fusi 1 estoma 1 tôtale 1 môteur 1 poison 1 moustâche 1 bouq 1 tourist 2 fleure 2 music 1 garcon; 1 gargont 1 regar; 1 regare 1 cheuveux; 1 cheuveu 2 besion 2 bôtte 1 tanbour; 1 tambourg 2 cousin 2 brize 1 allement;1allemend 1 musuleman; 1 musument 1 callciome; 1 calssium

7 7 8 8 8 8 8 9 9 9 9 11C 11C 1 2 2 2 3 4 6 7 7 8 8 8 8 9 10 10 11C 2 3 3 5 5

142 151 170 172 179 192 196 207 210 214 215 238 242 009 037 046 047 053 078 136 154 159 163 171 193 195 202 224 225 245 038 062 068 100 105

entendre demander celui aucun quoi beaucoup pourquoi second examen respect alcool peine humain chambre exemple habitude personnage chameau tentation nerf produire atteindre jusque lorsque alors lequel dix jonc album brutal milieu plomb bonnet extase spectre

2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 4 4 4 4 4

1 enttendre; 1 ententre 2 demender 1 ce luis; 1 seuluie 1 auqun; 1 aucum 1 coua; 1 qu’oi 1 beaucoups; 1 baucoup 2 pourqu’oi 1 segon; 1 secon 2 ecxamen 2 respet 1 alcol; 1 alccol 1 pomme; 1 pene 1 umains; 1 hume 3 chanbre 2 example; 1 exanple 2 abitude; 1 habittude 2 personage; 1 perssonage 2 chamaux; 1 chameaud 1 tantation; 1 temptation; 1 tentasion 1 nerg; 1 ners; 1 mer 2 produir; 1 produre 1 ateindre; 1 attiendre; 1 attindre 2 jusqu’; 1 jusqu’e 2 l’orsque; 1 lorce que 2 allors; 1 alor 2 lequelle; 1 lequ’el 3 diz 2 jong; 1 jon 1 albome; 1 abbbume; 1 albonne 2 brûtal; 1 brûtale 4 millieu 2 plomp; 1 plon; 1 plomg 2 bonet; 1 bônnet; 1 bonnêt; 1 monnaie 1 ecstase; 1 extaze: 1 ecxtase; 1 extage 2 spèctre ; 1 spêctre ; 1 spetre

69

6 8 8 10 11C 11C 1 4 5 6 8 8 9 10

128 168 174 221 241 252 011 077 103 129 173 176 208 230

transition mieux ici oignon parole détour oeil ferveur citation croc parfois même monsieur abdomen

4 4 4 4 4 4 5 5 5 5 5 5 5 5

11C 11C 11C 11C 1 2 2 3 4 5 6 7 8

243 263 264 266 019 034 048 065 086 117 130 144 200

journée bocal oursin labour lumière loi volonté fillette allure méfiance vingtaine écouter aujourd’hui

5 5 5 5 6 6 6 6 6 6 6 6 6

9 11C 3 7 8 8

209 260 069 143 178 185

aspect filou poupée présenter moins ainsi

6 6 7 7 7 7

70

2 transission; 1 trancition; 1 tramsition 4 mieu 2 içi; 1 issi; 1 icis 2 ognon; 1 ognion; 1 oinion 2 parôle; 1 parolle; 1 parol 4 detour 4 oeuil; 1 oeiul 4 ferveure;1 serveur 5 sitation 2 cros; 2 cro;1 crau 4 parfoi; 1 parfoit 2 méme; 2 mème; 1 meme 3 messieur; 1 messieu; 1 mesieur 2 abdomêne; 1 abdomène; 1 abbdomène; 1 apdomen 3 journee; 1 journer; 1 journe 5 bocale 2 ourssin; 1 ourson; 1 ours; 1 housin 3 labourre; 2 laboure 6 lumiere 4 loie; 2 l’oie 4 volonte; 1 vonlonte; 1 volontée 5 filette; 1 filliette 4 alure; 1halure; 1 allur 6 mefiance 5 ecouter; 1 écoutè 2 aujourdhui; 1 aujourdhoui; 1 aujourdui; 1aujoud’hui; 1 aujourd’huis 4 aspet; 1 aspait; 1 aspec 4 fillou; 1 filloux; 1 filoux 5 poupee; 1 poupé; 1 poupe 6 presenter; 1 présanter 7 moin 2 assis; 2 ainci; 1 insi; 1 inçi; 1 ainssi

11C 11C 11C 3 4

237 251 257 072 092

temps péril averse diamant commandement

7 7 7 8 8

5 6 8

116 126 199

épouvante septième aussitôt

8 8 8

9 9

205 211

août automne

8 8

11C 259 4 074 4 082 4 084

périmé brume bonté aisance

8 9 9 9

6

deuxième

9

11C 248 11C 267 2 043

numéro canari hasard

9 9 10

3 4 5 8 8

066 087 118 189 197

épée azur échéance laquelle désormais

10 10 10 10 10

2 5 6

045 101 138

différence dédain sixième

11 11 11

139

7 temp 5 peril; 1 pèril; 1 périle 5 aversse; 1 averce; 1 avèrse 3 diamand; 3 diaman; 2 diament 3 commendement; 2 commandemant; 1 comandement;1comendemant; 1 comendement 8 epouvante 6 septieme; 1 sèptième; 1 setpnième 4 aussitot; 1 aussi tôt; 1 aussi to; 1 ausitôt; 1 assitôt 6 aout; 1 auoût; 1 oût 2 autômne; 2 autonne; 1 autone; 1 autône; 1 autome; 1 otone 5 perime; 1 perimé; 1 pèrimé; 1 pèrimer 9 brûme 5 bonte; 3 bontée; 1 bomter 4 aisence; 1 aissance; 1 esance; 1 haisance; 1 exance; 1 escense 5 deuxieme; 2 deuzième; 1 deusième; 1dixieme 7 numero; 1 numeros; 1 numèro 6 canarie; 2 cannarie; 1 canaries 5 hazard; 1 azard; 1 azar; 1 asard; 2 harard; 1 avare 4 epee; 2 epe; 2 epée; 1 épai; 1 épè 10 azure 6 echeance; 2 échèance; 1 écheance; 1 èchèance 8 laquel; 1 la quelle; 1 laqu’elle 5 desormais; 2 desormai; 1 dèsormais; 1 désormai; 1 désormé 9 difference; 1 diffèrence; 1 diference 5 dédin; 3 dèdain; 2 dedain; 1 dedaint 5 sizième; 2 sixieme; 1 sisieme; 1 sisième; 1 sizieme; 1 sixeime

71

6 7 8

140 147 182

messieurs falloir malgré

11 11 11

8 10

194 222

derrière toast

11 11

4

088

chrétien

12

4 4

089 091

désastre bienveillance

12 12

5 7

114 145

délire espérer

12 12

8 8

175 198

parmi quelquefois

12 12

10

228

tramway

12

11C

258

obscurité

12

10 11C 2 5

223 268 042 110

zinc mécano défaut synthèse

13 13 14 14

6

122

almanach

14

6

131

caoutchouc

14

6 7

132 156

dixième considérer

14 14

72

9 messieur; 1 méssieurs; 1 mesieurs 8 faloir; 2 falloire; 1 fallorie 5 malgrés; 3 malgre; 1 malgres; 1 malgrè; 1 margré 4 derriere; 4 dérrière; 2 derière; 1 derrièrre 4 toaste; 2 taost; 1 thoste; 1 tauste; 1 toeste; 1 tost; 1 tosth 7 chretien; 2 crétien; 1 cretien; 1 chrètient; 1 chrétient 10 desastre; 1 désatre; 1 desâstre 5 bienvaillance; 1 bienvaillence; 1 bienvellance; 1 bienvéllance; 1 bienviellence; 1 bien veillance 7 delire; 4 délir; 1 dèlire 7 esperer; 2 espèrer; 1 éspérer; 1 esperé; 1 experer 12 parmis 10 quelque fois; 1 quelque foi; 1 quelque-fois 3 tramoué; 2 trammay; 2 tramwai; 1 tramay; 1 tramey; 1 traway; 1 trawai; 1 tramiai 4 obscurite; 2 obscuritée; 2 obcurité; 1 obcurite; 1 obcuritée; 1 obsurité; 1 opcurité 9 zing; 3 zingue; 1 zinge 11 mecano; 1 mecanos; 1 mécaneau 11 defaut; 1 défault; 1 déffaut; 1 deffaut 3 syntèse; 2 synthese; 2 sintèse; 2 sintese; 1 simthèse; 1 cinthese; 1 syntèse; 1 sinthèse; 1 s’intèse 4 almanac; 3 allemanach; 1 almana; 1 allmanac; 1 allemanas; 1 allana; 1 almach; 1 almamach; 1 allemanche 9 caoutchou; 2 cahoutchou; 1 cahoutchouc; 1 cahouchouc; 1 caoutchoux 10 dizième; 3 dixieme; 1 dixème 12 considerer; 1 considèrer; 1 conciderer

8 2 2

184 028 041

plusieurs âge conscience

14 15 15

4

094

générosité

15

6 133 11C 235

gars résultat

15 15

5 5

104 113

flux ancêtre

16 16

10 3 4 5

227 058 081 102

sculpteur bière zèle égoïste

16 17 17 17

5

108

concept

17

3 4 6 9

071 080 121 220

corridor favori aluminium condamner

18 18 18 18

5

119

embarras

19

6 3

123 067

acompte hangar

19 20

7

160

empêcher

21

13 plusieur; 1 plusieure 14 age; 1 ages 5 concience; 2 consience; 4 conciense; 2 consciense; 1 consiance; 1 contience 5 generosite; 2 généreusité; 1 générosite; 1 generosité; 1 generositée; 1 gennerosite; 1 génèrosité; 1 gènèreusité; 1 generositée; 1 génerositée 10 gas; 2 gar; 2 ga; 1 gard 9 resultat; 2 rèsultat; 2 resulta; 1résulta; 1 résulte 7 flu; 4 flû; 2 flut ; 1 fux; 1 flue; 1 flûe 5 ancètre; 4 ancetre; 3 encêtre; 1 ensetre; 1 ancétre; 1 ancètre; 1 ensètre 14 sculteur; 1 scupteur; 1 sulpteur 7 biere; 7 bierre; 1 bieire; 2 bièrre 7 zele; 5 zelle; 3 zéle; 1 zeel; 1 zel 7 égoiste; 4 egoiste; 2 egoïste; 1 egoist; 1 ègoïste; 1 egoxite; 1 hegoïste 9 concepte; 4 consepte ; 1 consept; 1 concecpt; 1 conscepte; 1 consespte 15 coridor; 2 corridore; 1 coridore 15 favorit; 3 favorie 16 alluminium; 1 alluminiaume; 1 alluminiun 3 condanné; 3 condané; 2 condamne; 2 comdamné; 2 condanne; 1 condanné; 1 comdamner; 1 comdanner; 1 comdanné; 1 condaner; 1 condanner 7 ambarras; 6 embaras; 2 embarra; 2 ambara; 1 enbarat; 1 embarrat 16 accompte; 2 accompt; 1 aconte 15 hangard; 2 engar; 1 angar; 2 engare 9 empécher; 6 empecher; 4 empècher; 1 empeicher; 1 enpecher

73

7 10 4

152 226 096

connaître asthme allégresse

23 23 24

7 9

157 216

apparaître solennel

26 26

9

219

baptême

27

5

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idylle

30

6

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shampooing

33

9

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chef-d’oeuvre

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1

022

théâtre

40

6

125

isthme

40

5

109

confins

43

5

099

parages

53

74

22 connaitre; 1 conaitre 12 asme; 4 ashme; 4 hasme; 3 ahsme 10 allegresse; 4 allègresse; 2 allégrèce; 2 allégraisse; 1 allegrésse; 1 alégresse; 1 alègresse; 1 allegraisse; 1 allégrèsse; 1 alegresse 24 apparaitre; 2 aparaitre 10 solannel; 4 solanel; 2 solemnel; 2 solanelle; 1 solonel; 1solenel; 1 solonnel; 1 solannelle; 1 solanele; 1 sollennel; 1 solannell; 1 selanel 13 baptème; 4 bapteme; 1 bâtheme; 1 bâptéme; 1 bâptème; 1 bâteme; 1 batemme; 1 bapthême; 1 bapthème; 1 batheme; 1 bâthème; 1 batème 15 idille; 4 idile; 3 idyle; 2 idil; 2 iddyle; 2 ydile; 1 idyl; 1 ydille 18 champoing; 6 schampoing; 5 champooing; 1 shampoin; 1 chanpoin; 1 champoin; 1 champom 31 chef d’oeuvre; 1 chedeuvre; 1 chédeuvre; 1 chez d’oeuvre; 1 chez-d’oeuvre; 1 chais d’oeuvre; 1 chédoeuvre; 1 chefd’oeuvre; 1 chedoeuvre 24 théatre; 8 theatre; 2 thêatre; 2 theâtre; 1 thèatre; 1 thèâtre; 1 tehartr; 1 téatre 21 isme; 7 hisme; 6 hysme; 2 ishme; 1 ihsme; 1 istheme; 1 ysme; 1 issme 36 confin; 2 confain; 2 confint; 1 confaint; 2 conffin 44 parage; 8 parrage; 1 barrage

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Les stratégies de recherche et de copie de mots se développent-elles conjointement? (1) Laurence Rieben

Résumé La question principale posée par la recherche présentée dans cet article concerne les relations entre l’acquisition de la lecture et de l’orthographe. Plus précisément, la pertinence du modèle en stade de Frith est testée sur la base de résultats provenant de l’observation longitudinale de 21 enfants de 5-6 ans dans une situation scolaire dans laquelle ils devaient chercher et copier des mots. Les résultats obtenus plaident en faveur d’un modèle qui, en marge d’une trame acquisitionnelle qui correspond, dans les grandes lignes, aux modèles en stades proposés dans la littérature, reconnaît l’existence d’une forte variabilité intra-individuelle dans l’usage des stratégies de recherche et de copie de mots. Par ailleurs les décalages systématiques prévus entre lecture et orthographe dans le modèle de Frith n’ont pas été observés. Mots-clés : Apprentissage de la lecture, apprentissage de l’orthographe.

Do word searching and word copying strategies develop conjointly? Abstract This paper addresses the issue of the existence of a relationship between the acquisition of reading skills and of spelling skills. More precisely, our objective was to test Frith’s stage model on the basis of the results obtained from longitudinal observations of 21 five to sixyear-old children in a classroom situation where they had to search for and copy words. The results show a clear acquisitional trend in close correspondence with the stage models proposed in the literature with, however, considerable intra-individual variability in the use of word searching and word copying strategies. Our results do not support the hypothesis that the acquisition of reading and of spelling skills is perfectly synchronized, nor do they support the hypothesis of alternating décalages as proposed by Frith. Key Words : Acquisition of reading skills, acquisition of spelling skills.

1. La recherche dont les résultats seront présentés dans cet article a été conduite avec la collaboration de Madelon Saada-Robert.

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Laurence RIEBEN Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève FPSE 9 route de Drize CH - 1227 Carouge

L

ecture et orthographe, comme le relève Ehri (1997), sont deux entités que « chercheurs et enseignants utilisent pour scinder le monde ». On constate en effet dans les écoles que l’on apprend à lire, puis, quelques mois ou années plus tard, à écrire. Cette vision « indépendantiste » correspond également à un courant de recherche qui a insisté sur les différences entre ces deux aspects du traitement des mots (voir par exemple, Bryant & Bradley, 1980). Cependant, les recherches les plus récentes soulignent l’étroitesse des liens qui unissent ces deux facettes de la langue écrite et renforcent l’idée que lire et écrire des mots reposent sur des connaissances orthographiques et phonologiques stockées dans une unique mémoire lexicale, les deux apprentissages s’appuyant efficacement l’un sur l’autre (Ehri, 1997 ; Gough, Juel & Griffith, 1992 ; Perfetti, 1997).

Traditionnellement, les relations entre la lecture et l’orthographe des mots ont été étudiées en soumettant les mêmes sujets à des épreuves équivalentes de lecture et d’écriture de liste de mots et de telles études ont fait apparaître des corrélations fortes entre les deux types de tests. Leur intérêt est cependant limité pour trois raisons. D’abord, elles ne permettent que très indirectement de savoir quelque chose des stratégies que les sujets adoptent pour lire-écrire les mots. Ensuite, elles ne sont praticables que lorsque les sujets sont déjà lecteurs. Enfin, dans une perspective qui s’intéresse aux retombées des résultats de la recherche sur la didactique, elles manquent de validité écologique. Pour notre part, nous avons cherché à contourner ces différents obstacles dans les recherches que nous conduisons à la Maison des Petits (2) depuis plus 2. La Maison des Petits a été fondée au début du siècle à Genève par Claparède. Il s’agit d’une école publique rattachée à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education. Elle regroupe des élèves de 4 à 8 ans. Nous remercions les enseignantes et les élèves qui participent à nos travaux de recherche.

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d’une dizaine d’années. Pour répondre à la première objection, nous avons étudié des enfants dans une situation qui se présente pour eux comme un problème à résoudre, et qui nous permet donc d’observer comment ils s’y prennent pour trouver une solution et non pas simplement d’enregistrer leurs réponses justes ou fausses. Pour répondre à la deuxième objection et pouvoir étudier des enfants très débutants dans leur apprentissage de la langue écrite, nous avons observé des stratégies de recherche et de copie de mots plutôt que des stratégies d’écriture et de lecture de mots (nous reviendrons plus bas sur cette distinction). Enfin, pour atteindre une meilleure validité écologique, nous avons travaillé en situation de classe, ce qui signifie que notre situation expérimentale est en fait une situation didactique. Dans la suite de cet article, après avoir brièvement rappelé la problématique des modèles en « stades » de la lecture-écriture et notre propre questionnement à ce propos, nous évoquerons, sur la plan théorique, les différences entre lire-écrire des mots et rechercher-copier des mots. Nous aborderons ensuite les aspects méthodologiques en présentant la situation didactique et les procédures expérimentales à la base de la recherche. Enfin, de façon synthétique, nous présenterons quelques résultats avant d’en tirer les principales conclusions.

◆ Les modèles en « stades » de la lecture-écriture Depuis plus d’une dizaine d’années, l’étude développementale des stratégies de lecture-écriture des mots s’est révélée très prometteuse. On trouve dans la littérature de nombreux modèles en « stades » proposés indépendamment pour l’identification et pour l’écriture des mots (voir par exemple, dans le premier cas, Ehri & Wilce, 1985 ; Marsh, Friedman, Welch, & Desberg, 1981 ; dans le deuxième cas, Ehri 1991 ; Henderson, 1992). En ce qui concerne les relations entre le développement des stratégies de lecture et d’écriture, un modèle qui s’est montré particulièrement fécond est celui qui a été proposé par Frith en 1985. Rappelons-en brièvement l’essentiel. Il trouve son fondement dans les modèles qui postulent l’existence de deux « routes » pour reconnaître/écrire les mots : l’une fondée sur les règles de correspondance entre sons et lettres (route phonologique) qui permet d’écrire des pseudomots ou des mots réguliers inconnus ; l’autre fondée sur l’accès à un lexique mental contenant des informations orthographiques sur les mots qui rend possible la lecture-écriture des mots irréguliers. A ces deux types de routes ou de stratégies, s’ajoute l’existence d’un mode de traitement des mots, plus primitif, qui permet à des enfants n’ayant encore aucune connaissance du code orthographique de reconnaître quelques mots sur la base de distinctions non

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alphabétiques (par exemple, reconnaître le mot « vélo » à cause de la roue à la fin du mot). Il s’agit de la stratégie dite logographique. Dans le modèle de Frith, la lecture, comme l’orthographe des mots, passe successivement des stratégies logographiques aux stratégies alphabétiques et enfin aux stratégies orthographiques. Cependant, l’intérêt de ce modèle réside dans le fait que ce développement n’est pas conçu comme parfaitement synchrone. Il est au contraire décalé. En début d’apprentissage, Frith postule une avance de la lecture sur l’écriture des mots, les stratégies logographiques apparaissant d’abord au niveau de l’identification, et plus tardivement dans l’écriture. Un peu plus avant dans le développement, ce serait l’écriture qui prendrait le pas, les stratégies alphabétiques apparaissant d’abord dans les situations d’écriture. Enfin, les stratégies orthographiques apparaîtraient plus tard d’abord sur le versant de la lecture, c’est-à-dire à nouveau avec une avance de cette dernière sur l’écriture. Les travaux de Ehri (1980 ; 1989 ; 1997) ont également joué un rôle de premier plan dans le domaine de l’acquisition de la langue écrite. Tout en faisant elle aussi état d’une évolution qui peut se résumer en trois niveaux - préal phabétique, alphabétique partiel, alphabétique complet -, elle a remis en cause le bien fondé du modèle de la double route et suggère un processus d’amalgamation pour rendre compte du développement du lexique mental. Selon Ehri, au moment du contact avec la langue écrite, les connaissances orthographiques à propos des mots viendraient s’amalgamer aux connaissances phonologiques, mais aussi syntaxiques et sémantiques déjà présentes dans la mémoire lexicale, l’orthographe étant utilisée comme symbole visuel pour conserver les sons en mémoire. Nos travaux n’ont pas pour but de trancher entre le modèle de la double route ou de l’amalgamation. Ils visent d’une part à préciser, indépendamment pour la lecture et l’écriture, la pertinence d’une description en « stades » ou en « phases » (pour une discussion de cette question, voir par exemple, Rieben, 1991 ; Rieben & Saada-Robert, 1997), et d’autre part à décrire les relations de dépendance entre lecture et écriture en faisant, contrairement à Frith (1985), l’hypothèse d’un plus grand synchronisme dans l’acquisition de ces deux facettes de la langue écrite.

◆ Pourquoi chercher-copier plutôt que lire-écrire Nous avons évoqué plus haut pourquoi le paradigme expérimental consistant à faire lire et à dicter des listes de mots ne nous est pas apparu pertinent pour le type d’étude que nous voulions conduire. Nous avons ainsi opté pour

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l’utilisation d’un autre paradigme en observant comment les jeunes enfants cherchent puis copient des mots, ceci dans une situation de production de texte afin d’inscrire ces activités dans un contexte qui prenne sens à la fois pour l’enfant, et pour la didactique de la langue écrite. De toute évidence, chercher des mots dans un texte ne correspond exactement ni à lire des mots, ni à écrire des mots. Une telle tâche participe plutôt d’une partie de chacun des deux processus. A l’instar d’une tâche d’écriture de mots, il s’agit de partir de la forme phonologique/sémantique pour retrouver une forme orthographique, qu’elle soit correcte ou incorrecte, partielle ou complète, mais sans la charge de produire la séquence des lettres. A l’instar d’une tâche de lecture, il s’agit d’identifier un mot parmi d’autres, mais sans la charge d’inférer une signification, puisqu’il s’agit de retrouver un mot dont on a déjà en tête la signification. Chercher des mots devrait être plus facile que lire ou écrire des mots, puisqu’il s’agit de la mise en œuvre partielle de chacun des deux processus. C’est pourquoi ce paradigme nous a paru particulièrement adéquat pour étudier les enfants très débutants dans leur apprentissage de la langue écrite. Les stratégies de recherche de mots ont été peu étudiées jusqu’ici. Une situation proche de celle que nous avons retenue consiste à écrire, puis lire une courte phrase à un enfant pour lui demander ensuite si tel ou tel mot est écrit et si oui de le montrer (Ferreiro, 1978 ; Morris, 1992). Dans une autre expérience pratiquée par Ehri & Sweet (1991), un court texte a été lu à des enfants durant quelques sessions d’apprentissage qui leur permettaient de le savoir quasiment par coeur. Parmi différents post-tests, les enfants étaient soumis à une tâche de reconnaissance de mots dans un texte qui consistait à repérer isolément une série de mots contenus dans ce texte. Les résultats à cette tâche, à l’instar de tâches de lecture plus classiques, sont fortement liés à la conscience phonologique et à la connaissance des lettres. Il subsiste cependant une importante différence entre notre situation et celle étudiée par Ehri & Sweet quant au rôle joué par la mémorisation du texte. Dans la situation que nous avons retenue, il s’agit de longs textes (environ 200 mots) construits collectivement et dictés à l’enseignante sans être appris par coeur. La tâche de l’enfant, qui consiste ensuite à écrire un commentaire en cherchant les mots qu’il veut utiliser dans le texte, suppose alors de mettre en oeuvre des stratégies actives de résolution de problème. Nous faisons l’hypothèse que ces stratégies constituent des indices des propriétés des mots et du texte traitées par les enfants. Après avoir trouvé les mots qu’ils cherchent - que le résultat de la recherche soit correct ou non - les enfants sont amenés à copier les mots qu’ils ont trouvés. Une telle tâche correspond, à nouveau partiellement, à la fois à cer-

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tains aspects du processus de lire et écrire des mots. Comme dans l’écriture, l’enfant doit prendre en charge la production d’une séquence de lettres, sans toutefois devoir la récupérer dans sa mémoire lexicale. Il est plutôt confronté à maintenir dans la mémoire de travail, une séquence de lettres pendant le temps qui s’écoule entre le moment où il trouve le mot dans le texte (qui est affiché contre un mur de la classe) et celui où il retourne à sa table pour l’écrire. Cette tâche de copie suppose aussi des aspects de lecture, ou plus précisément de relecture. En effet, compte tenu du fait que les enfants sont très débutants, ils sont encore rarement capables de « transporter » du texte vers leur feuille d’écriture des mots entiers. Le fait qu’ils recourent plusieurs fois au modèle, les oblige à relire fréquemment ce qu’ils ont déjà écrit. La copie de mots n’a pas non plus donné lieu à de très nombreux travaux. A l’origine, elle a plutôt été utilisée pour l’étude des aspects grapho-moteurs de l’écriture. La copie de textes peut aussi fournir des indications sur les niveaux d’acquisition et de représentation de la langue écrite de l’enfant (Fijalkow & Liva, 1988). On peut citer la recherche longitudinale de Humblot, Fayol & Lonchamp (1994) qui étudie, chez des enfants de 6 et 7 ans, les caractéristiques des unités traitées dans la production écrite à partir d’une tâche de copie de mots. Ces chercheurs montrent que la copie est loin d’être simple et mécanique et qu’elle fait intervenir les connaissances lexicales (les mots les mieux connus ont tendance à être copiés en ayant recours une seule fois au modèle) et sub-lexicales (plusieurs recours au modèle qui supposent une analyse en segments lorsque les mots sont peu familiers). Chez les enfants de 6-7 ans, la syllabe semble jouer un rôle important pour cette décomposition.

◆ Une situation didactique sous la loupe Inspirée des situations didactiques décrites par Clesse (1977) et Hebrard (1977), la situation du texte de référence que nous avons étudiée cherche à faire entrer l’enfant dans l’écrit par un apprentissage individualisé qui repose sur des interactions langagières entre l’élève et l’enseignant. En quoi consiste-t-elle? Elle est constituée principalement d’une séquence de quatre activités qui se déroulent sur environ deux semaines et qui sont pratiquées plusieurs fois durant l’année scolaire. Il s’agit respectivement de : 1) permettre une activité collective d’expression orale (les enfants élaborent une histoire à partir d’un livre d’images ou d’un événement vécu collectivement); 2) construire collectivement par dictée à l’adulte qui écrit au tableau noir un texte dit de référence qui assure un ancrage profond des activités dans les significations et qui va ensuite servir comme un dictionnaire dans lequel l’enfant, débutant lecteur/scripteur, pourra aller chercher, en vue de copier les mots qu’il désire écrire ; 3) dessiner indivi-

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duellement un épisode de l’histoire que chaque enfant choisit selon son désir ; 4) planifier oralement et produire individuellement un énoncé écrit considéré comme un commentaire au dessin. C’est cette dernière phase au cours de laquelle les enfants, alternativement, cherchent puis copient des mots, qui a donné lieu à nos observations. Au-delà de la pratique de la situation du texte de référence, les enseignantes de la Maison des Petits privilégient les situations de communication et ne font pas exercer les capacités de segmentation et les connaissances du code pour elles-mêmes. Ce qui ne signifie nullement que ces capacités et ces connaissances soient négligées. Elles sont au contraire centrales dans plusieurs aspects de la pratique du texte de référence, en particulier dans les phases de recherche et de copie des mots, de même que dans les phases d’énonciation du projet d’écriture et de relecture.

◆ Les procédures expérimentales Notre recherche a donc consisté à observer longitudinalement de la façon la plus détaillée possible les conduites d’enfants encore débutants lecteurs et scripteurs dans leurs activités de production de texte, et plus précisément lors de la phase d’écriture du commentaire à leurs dessins. Après une première recherche exploratoire portant sur cinq cas (Rieben, 1989 ; Rieben, Meyer & Perregaux, 1989) nous avons observé à 4 reprises au cours d’une année scolaire (en novembre, janvier, mars et mai, soit quatre fois 3 séances de 45 minutes) 21 enfants dont 11 de 2 e enfantine (2E ; âge moyen 5;5 en début d’expérimentation) et 10 de 1re primaire (1P ; âge moyen 6;4). Ces enfants ont été regroupés pour cette activité dans la mesure où, en novembre, ils étaient encore pré-lecteurs. Un bilan de leurs compétences au niveau de la lecture, des connaissances du code et de la conscience segmentale a également été effectué quatre fois dans l’année. Les quatre moments d’observation ont correspondu à la constitution de quatre textes de référence différents mais équivalents (pour un exemple d’un texte de référence, voir Rieben, Meyer & Perregaux, 1989). Lors de chacun des quatre temps d’observations (T1, T2, T3, T4) les enfants étaient invités à produire un commentaire à leur dessin par la consigne suivante : « Vous allez maintenant écrire un commentaire à votre dessin, si vous ne savez pas comment écrire un mot, vous pouvez aller le chercher dans le texte de référence ». Un observateur par enfant a relevé, de manière précise selon un protocole prévu à cet effet, les conduites de recherche et de copie de mots manifestées par l’enfant et les types d’aide qu’il recevait de la part de l’enseignante, ou éventuellement

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d’un camarade, pour chercher un mot dans le texte de référence (pour plus de détails sur la procédure, voir Rieben & Saada-Robert, 1991).

◆ Une synthèse de quelques résultats A partir de l’observation des actions et des verbalisations des enfants, 7 types de stratégies de recherche des mots et 7 types de stratégies de copie ont été inférées. Des analyses ont été effectuées et publiées séparément pour les stratégies de recherche (Rieben & Saada-Robert, 1991) et de copie (SaadaRobert & Rieben, 1993) de mots. Nous nous bornerons ici à résumer les principaux résultats de ces analyses séparées avant de passer à ceux comparant les deux types de stratégies. La progression dans les stratégies de recherches de mots L’analyse des protocoles a permis d’inférer sept types de stratégies de recherche de mots. Il s’agit des stratégies : 1) fondées sur la localisation des mots dans le titre, l’enfant l’ayant en général mémorisé ; 2) fondées sur la localisation des mots dans le texte, l’enfant se référant à l’organisation textuelle en sachant que le mot qu’il cherche est au début, au milieu, à la fin du texte ou d’une page en particulier ; 3) guidées par des indices visuels liés par exemple à la longueur ou à des traits saillants des mots ; 4) guidées par des correspondances graphème/phonème impliquant des connaissances du code ; 5) fondées sur des recherches/copies « à l’aveugle » de mots en succession dans le texte ; à la relecture l’enfant « lit » ce qu’il croit avoir écrit et non pas ce qui est réellement écrit ; 6) fondées sur des recherches/copies volontaires de mots en succession dans le texte, l’enfant pouvant lire ce qu’il a écrit ; 7) fondées sur des repérages immédiats et corrects des mots recherchés sans qu’il y ait d’indice des stratégies utilisées. Pour les 21 enfants et les 4 périodes d’observation, 1044 stratégies ont été inférées à partir des actions et des verbalisations des enfants. Leur catégorisation a été effectuée par deux juges indépendants avec 79% d’accords. Une analyse factorielle des correspondances a été effectuée pour aller audelà de l’analyse isolée de chaque stratégie et pour étudier conjointement l’espace des stratégies et celui des sujets. C’est sur la base de cette analyse que les enfants ont été classés, pour chaque temps d’observation, en quatre groupes qui correspondent aux étapes décrites dans les modèles en stades. Dans le groupe 1 se trouvaient les enfants pré-lecteurs qui utilisent de façon dominante des stratégies de copie aveugle et de localisation dans le titre. Dans le groupe 2 se retrouvaient les enfants qui utilisent principalement des stratégies visuelles ou de loca-

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lisation, c’est-à-dire des stratégies logographiques ou fondées sur l’utilisation du contexte. Dans le groupe 3, étaient réunis les enfants qui utilisaient de façon dominante des stratégies fondées sur leurs connaissances du code, c’est-à-dire correspondant au stade dit alphabétique. Enfin, les enfants utilisant des stratégies automatisées de quasi-lecteurs (copies volontaires et repérages immédiats et corrects) étaient classés dans le groupe 4. La présence, dans nos résultats, d’une trame acquisitionnelle assez claire ne permet cependant pas d’ignorer une variabilité intra-individuelle importante. En effet, la plupart des enfants n’utilisaient pas exclusivement un seul type de stratégies lors d’un même moment d’observation. On relève au contraire qu’ils présentaient, à chaque moment d’observation, en moyenne 4 à 5 types de stratégies différents, c’est-à-dire que des stratégies relativement plus évoluées pouvaient encore voisiner avec des stratégies plus primitives. Cette flexibilité, qui remet en question l’existence de stade au sens strict, peut résulter des différences entre les mots que l’enfant traite, mais aussi être considérée comme une caractéristique des apprenants en début d’apprentissage. La progression des stratégies de copie de mots La catégorisation de ces stratégies est fondée à la fois sur la nature des unités transportées et sur le nombre de lettres transportées en bloc. Il s’agissait d’une activité de copie légèrement différée puisque les enfants transportaient les lettres ou blocs de lettres du texte affiché sur le mur de la classe vers leur propre feuille, ce qui implique qu’ils mémorisaient une lettre ou une séquence de lettre lors de chaque déplacement. Toutefois, lorsque le pupitre des enfants était plus près du texte, ce sont les mouvements de la tête qui ont été observés. Nous avons ainsi pu distinguer 7 types correspondant aux 14 stratégies suivantes : 1) transport lettre par lettre (lettres inconnues de l’enfant ; lettres connues 3 ; 2) transport de doublets (par exemple, les deux nn de bonnet ; 3) transport d’un digramme (par exemple, an de guirlande ; 4) transport d’une syllabe (de deux lettres - par exemple, sa de sapin ; de trois lettres et plus) ; 5) transport d’un morphème (d’une lettre - par exemple, le s de enfants ; de deux lettres - par exemple, es de petites ; de trois lettres - par exemple, ait de finissait ; 6) transport d’un mot (de deux lettres ; de trois lettres et plus) ; 7) transport d’un groupe de lettres quelconques (de deux lettres, par exemple it de petites ; de trois lettres et plus). 3. Nous avons accès à cette distinction en tenant compte des résultats d’un bilan psycholinguistique également passé à T1, T2, T3 et T4 et contenant des épreuves de connaissances du son et du nom des lettres.

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Pour les 21 enfants et les 4 périodes d’observation, 1989 stratégies ont été inférées à partir des comportements observés (92% d’accords interjuges ont été obtenus). La progression des enfants a, comme pour les stratégies de recherche de mots, été analysée à l’aide d’une analyse factorielle des correspondances. Les étapes suivantes ont ainsi été inférées : A) transport lettre par lettre inconnues ; B) transport de lettres doubles ; C) transport lettre par lettre connues ; D) transport de blocs de lettres de 2, 3 et plus. Comme pour les stratégies de recherche, les enfants présentaient une large gamme de stratégies différentes à chacune des périodes d’observation. Pour un maximum de 14 sous-types de stratégies, le médian du nombre de stratégies différentes oscillait entre 5 et 11. Ces résultats sont compatibles avec ceux obtenus pour la recherche des mots et remettent également en question un modèle selon lequel les stades sont définis par l’usage d’un type exclusif de stratégies. Les relations entre stratégies de recherche et de copie de mots Deux voies complémentaires ont été utilisées pour étudier les relations entre recherche et copie de mots (voir Rieben et Saada-Robert, 1997). Ici nous ne ferons allusion qu’à l’analyse qui compare les résultats obtenus séparément pour les stratégies de recherche et de copie, c’est-à-dire qui met a priori en correspondance deux systèmes de classification établis séparément. Il s’agit en fait de savoir comment les 21 enfants se répartissent selon un double classement en 4 phases qui correspondent d’assez près aux modèles décrits dans la littérature et peuvent être qualifiées ainsi : pré-lecture/écriture ; logographique ; alphabétique ; alphabétique/orthographique. Cette progression ne concerne qu’une première phase de l’apprentissage de la lecture/écriture au terme de laquelle le nombre de mots stockés en mémoire lexicale est sans doute encore restreint. C’est dire qu’identifier des stratégies orthographiques à propos de quelques mots ne signifie pas que l’on soit déjà en présence de lecteurs/scripteurs experts. A partir du classement des enfants, pour les deux familles de stratégies et les quatre périodes d’observation, on peut construire des tables à double entrée indiquant en colonne les résultats à la recherche de mots (phases 1, 2, 3, 4) et en ligne ceux de la copie (phases A, B, C, D). Le Tableau 1 présente les fréquences des sujets dans les différentes cases pour chacune des périodes d’observation (T1, T2, T3, T4). Ces tableaux comportent un nombre fluctuant de sujets dû aux absences de quelques enfants au cours de l’année scolaire.

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Tableau 1 : Relations entre recherche et copie de mots

Selon un modèle en stades strictement synchrone, on devrait s’attendre à ce que seules les cases diagonales comportent des observations, les cases situées en bas et à gauche de la diagonale correspondant à une avance de la copie sur la recherche, et les cases en haut et à droite de la diagonale à une avance de la recherche. Selon le modèle de Frith (1985), on devrait tolérer la présence d’observations dans des cases s’écartant de la diagonale dans un sens ou dans l’autre selon les phases d’acquisition. Comme on le voit dans le Tableau 1, tous les enfants ne présentaient pas une évolution synchrone puisque la diagonale se trouve occupée seulement par 65% des sujets à T1, 50% à T2, 61% à T3 et 63% à T4. De plus, si l’on s’intéresse à la progression conjointe de chaque enfant individuellement à travers les 4 temps d’observation, on enregistre que, sur les 19 enfants présents tout au long de l’expérience, 21% se situaient toujours dans une diagonale, 37% présentaient, à l’un des temps d’observation au moins, une avance de la recherche sur la copie et 21% une avance de la copie sur la recherche, et enfin 21% présentaient une avance tantôt pour la recherche, tantôt pour la copie. Ces décalages ne sont pas systématiques, c’est-à-dire uniquement dans le sens de ceux qui

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seraient attendus selon le modèle de Frith (1985) puisque guère plus de la moitié des cas de décalage enregistrés (16 sur 29) sont situés là où ce modèle les prédit. Ces résultats ne plaident ni en faveur d’un modèle en stades strict, ni en faveur du modèle de Frith. Ils sont plus conformes avec un modèle qui postule une construction interactive supposant, en marge d’une « trame » acquisitionnelle, une flexibilité des stratégies en cours de construction.

◆ Que conclure ? Revenons d’abord sur la question de la pertinence des modèles en stades. L’étude longitudinale des stratégies de recherche et de copie de mots a permis de montrer, d’une part des phases de dominance stratégique relativement claire, d’autre part une forte variabilité intra-individuelle. Ces deux ordres de faits pourraient être considérés comme contradictoires puisque plus la variabilité augmente, moins l’existence de stades au sens strict est probable. Nos résultats plaident donc en faveur d’un modèle en phases admettant une forte flexibilité des stratégies qui correspond à une certaine complexité des faits développementaux retrouvée dans d’autres domaines (Reuchlin, 1978 ; Lautrey 1990 ; Rieben, De Ribaupierre & Lautrey, 1990 ; Rieben, 1995 ; Siegler, 1989). Les phases se limiteraient alors à des dominances n’excluant pas que les enfants utilisent simultanément des stratégies encore élémentaires ou déjà plus abouties. Un tel modèle tente donc de concilier l’idée de changements qualitatifs à la fois discontinus (pour expliquer l’émergence de stratégies nouvelles) et continus (pour expliquer la co-occurrence de stratégies de niveaux différents). Si l’on considère cette variabilité intra-individuelle comme un phénomène psychologique et non comme un bruit de fond négligeable, il doit trouver explication. Nous pensons qu’il s’agit d’une caractéristique fonctionnelle générale nécessaire à toute acquisition dont on devrait, dans le cas de la lecture-écriture, explorer plus avant comment elle peut être influencée, entre autres, par les méthodes d’enseignement/apprentissage et par les caractéristiques des mots traités. Revenons enfin sur le problème des relations entre lecture et écriture de mots, et plus particulièrement entre stratégies de recherche et de copie de mots. Comme nous l’avons montré, il faut à nouveau compter sur une forte variabilité inter- et intra-individuelle, allant tantôt dans le sens d’une avance de l’écriture sur la lecture, tantôt dans le sens inverse. En cela, nos résultats ne permettent de soutenir ni l’hypothèse d’un développement parfaitement synchrone entre lecture/recherche et écriture/copie, ni celle de décalages alternés systématiques comme le prévoit le modèle de Frith (1985). Il s’agit plutôt de considérer qu’un

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éventail complet des stratégies de lecture et d’écriture peut être observé dans un intervalle temporel à peine plus long qu’une année, situé, pour des enfants dans la norme, entre 4/5 ans et 5/6 ans. En d’autres termes, nous supposons qu’une sorte de progression accélérée à travers les phases de lecture de mots peut être observée concernant le nombre relativement restreint des premiers mots rencontrés par chaque enfant.

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Apprentissage implicite et orthographe : le cas de la morphologie Sébastien Pacton, Michel Fayol, Delphine Lonjarret, David Dieudonné Résumé Cet article rapporte deux expériences concernant l’acquisition de la morphologie écrite. La première expérience montre que l’écriture de non-mots par des enfants de CEI, CE2 et CM2 est influencée à la fois par a) des régularités de l’orthographe française de type probabiliste (régularités graphotactiques relatives à la transcription des sons /o/ et /εt/ en fin de mots) et b) par des régularités descriptibles sous forme de règles (morphologie dérivationnelle concernant l’écriture de /o/ et /εt/ en fin de mots quand il s’agit de diminutifs) ne faisant pas l’objet d’un enseignement explicite. Le résultat majeur est que l’acquisition de la morphologie dérivationnelle se surajoute à celle des régularités graphotactiques sans en éliminer l’impact. La seconde expérience montre que des collégiens (6° et 4°) marquent plus souvent de façon erronée le pluriel adjectival nt (plutôt que s) pour des adjectifs possédant un homophone verbal (e.g. célèbre ou fixe, plutôt que pauvre) et ce d’autant plus que la fréquence de la forme verbale de l’homophone est supérieure à celle de la forme adjectivale (e.g. fixe par rapport à célèbre), bien que la règle d’accord correspondante ait été enseignée. Ceci montre que, même lorsqu’une règle d’accord est enseignée explicitement, les accords ne s’effectuent pas toujours par application de règles mais par récupération d’associations entre radicaux et morphèmes flexionnels. Mots clés : Régularités graphotactiques, morphologie dérivationnelle, morphologie flexionnelle, apprentissage implicite.

Implicit learning and spelling : the case of Morphology Abstract In this article, we report on two experiments concerning the acquisition of written morphology in French. Experiment 1 showed that children’s (Grades 2, 3 and 5) spelling of nonwords was influenced by a) regularities in the French orthography which are probabilistic (graphotactic regularities regarding the transcription of the sounds /o/ and /e t/ at the end of words) and b) regularities which can be subsumed under an implicit rule (derivational morphology regarding the use of /o/ and /e t/ when they are associated with diminutives) which is not the subject of explicit teaching. The main result of this experiment demonstrated that the acquisition of derivational morphology is added onto the acquisition of graphotactic regularities, without reducing their impact. The second experiment showed that sixth and eighth graders made more often the error of writing the adjectival plural as nt (instead of s) for adjectives having a verbal homophone [e.g. « célèbre » (famous, to celebrate) or « fixe » (fixed, to fix), in contrast with «pauvre » (poor)], especially when the frequency of the verbal form of the homophone is higher than the frequency of the adjectival form (e.g. « fixe » compared to « célèbre »), despite the fact that the corresponding rule is explicitly taught. This suggests that, even when rules of concordance are explicitly taught, the agreement is not always produced by a systematic application of these rules but can be reached through retrieving associations between stems and inflected morphemes. Key Words : Graphotactic regularities, derivational morphology, inflectional morphology, implicit learning.

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Sébastien PACTON * Michel FAYOL ** Delphine LONJARRET * David DIEUDONNÉ * Adresse pour correspondance : Sébastien Pacton Université de Bourgogne LEAD/CNRS Bd Gabriel, 21000 DIJON e-mail : [email protected] * L.E.A.D/C.N.R.S, Dijon. ** L.A.P.S.C.O/C.N.R.S, Clermont-Ferrand.

L

es irrégularités de correspondances phonèmes/graphèmes permettent de situer les systèmes alphabétiques sur un continuum allant des systèmes orthographiques superficiels aux systèmes orthographiques profonds (Jaffré & Fayol, 1997; Rieben, Fayol & Perfetti, 1997). Dans un système alphabétique superficiel, disposer d’une représentation phonologique de chaque mot et des règles de transcription de la phonologie en orthographe suffit à écrire correctement tout mot de la langue. En revanche, en français, système alphabétique profond, l’application de règles de correspondances phonèmes/graphèmes ne permet l’écriture correcte que de la moitié des mots (simulation informatique de Véronis, 1988). En effet, plusieurs graphèmes peuvent renvoyer à un même phonème (o, au ou eau pour /o/); inversement, un même graphème peut être associé à plusieurs phonèmes (/g/ ou /j/ pour g) et certaines lettres n’ont pas de contrepartie phonologique (les poules mangent ; homme). Cette absence de correspondances bi-univoques entre phonèmes et graphèmes résulte entre autres choses du fait que le français écrit représente en plus du niveau phonologique certains aspects morphologiques. Par exemple, au pluriel, les noms et adjectifs sont généralement infléchis avec un s alors que les verbes le sont avec nt. Ces marques flexionnelles sont le plus souvent inaudibles. Par exemple encore, le phonème /o/ peut se transcrire d’au moins trois façons différentes (o, au, eau). Toutefois, le fait de savoir qu’un nom terminé en /o/ est un diminutif conduit à écrire eau (e.g. renardeau). De même, savoir qu’un nom terminé en /t/ est un diminutif conduit à écrire ette et non pas aite, ête ou eite. Traditionnellement, en France, le premier des exemples ci-dessus, qui relève de la morphologie flexionnelle, fait l’objet d’un enseignement explicite. Celui-ci est conduit en formalisant les accords sous forme de règles et en entraînant les élèves à appliquer les algorithmes correspondants. Or, malgré cet ensei-

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gnement, des erreurs d’accords continuent à survenir (e.g. les habits clairent) même dans des populations fortement lettrées. Par contraste, bien qu’également descriptibles sous forme de règle, les seconds exemples qui relèvent de la morphologie dérivationnelle ne donnent pas lieu à un enseignement explicite. Pourtant, comme nous le montrerons, cette dimension morphologique affecte les productions de non-mots dictés à des élèves de primaire. L’objectif du présent travail est de montrer à travers trois aspects de l’orthographe du Français l’impact d’apprentissages implicites sur les performances d’enfants et d’adolescents. L’apprentissage implicite désigne un mode adaptatif dans lequel le comportement d’un sujet devient sensible à la structure d’une situation, sans que cette adaptation ne soit imputable à l’exploitation intentionnelle de la connaissance explicite de la structure (Perruchet, 1998). Cette définition renvoie à un phénomène dont nous avons tous l’expérience, celle qui consiste à s’adapter à une situation complexe sans que l’on parvienne à comprendre les racines et les raisons de cette adaptation. Nous envisagerons successivement : a) une caractéristique de l’orthographe française ne faisant pas l’objet d’un enseignement explicite et portant sur des régularités de type probabiliste (la distribution des différentes transcriptions des sons /o/ et /εt/ en fin de mots) ; b) une deuxième caractéristique ne donnant pas non plus lieu à enseignement explicite de règles alors que ce serait possible (l’impact de la morphologie dérivationnelle sur la détermination de l’écriture de /o/ et /εt/ en fin de mots) ; c) une dernière caractéristique explicitement enseignée par règles et exercices (l’accord de l’adjectif avec le nom).

◆ Régularités orthographiques ne faisant pas l’objet d’un enseignement explicite: le cas de /o/ et /εt/ Les sons /o/ et /εt/ ont été choisis parce que tous deux peuvent se transcrire avec différents graphèmes, en particulier lorsqu’ils surviennent en fin de mots (respectivement, o, au, eau, ot ; aite, ête, ète et ette) et surtout parce que la distribution de ces formes graphémiques en position finale varie en fonction de la consonne gauche (Brulex, 1990). Par exemple, eau n’apparaît jamais après f mais est fréquent après r. De même, ette apparaît fréquemment après l mais rarement après b. Il s’agit de régularités graphotactiques en ce sens que ce sont des régularités au niveau des graphèmes qui ne dépendent pas des régularités au niveau des phonèmes. Par exemple, alors qu’en Français dix mots contiennent le son /tε t/, la graphie tette n’apparaît que dans deux mots.

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Une dictée de non-mots 1 a été retenue pour étudier si ces régularités graphotactiques affectent l’orthographe des élèves. Considérons deux non-mots tels que /mitaro/ et /mitafo/, ne différant que relativement à la consonne précédant le /o/ final (reau fréquent vs. feau ne se rencontre jamais). Une sensibilité à ces régularités graphotactiques devrait se traduire par une plus fréquente utilisation de eau pour transcrire /mitaro/ que /mitafo/. Ces régularités ne sont pas reliées à la morphologie. Une autre caractéristique intéressante est que la transcription de /o/ et /εt/ peut être contrainte par cette dernière. En effet, dans certains mots polymorphémiques, /o/ et /εt/ situés en position finale d’un nom indiquent qu’il s’agit d’un diminutif (e.g. renardeau ; fillette). Or, lorsque /o/ et /εt/ s’associent à des diminutifs, ils sont respectivement transcrits eau et ette. Une dictée de non-mots permet là encore d’étudier si cette dimension morphologique affecte l’orthographe des élèves. Reconsidérons les deux non-mots /mitaro/ et /mitafo/ précédemment dictés. Quelques jours après, dictons à nouveau ces non-mots aux mêmes élèves, mais précisons qu’« un petit /mitar/ est un /mitaro/ et qu’un petit /mitaf/ est un /mitafo/ » afin d’indiquer qu’il s’agit d’un diminutif. Une sensibilité à cette dimension morphologique devrait se traduire par une utilisation plus fréquente de eau dans cette condition que dans la condition de « base » précédemment décrite où seules interviennent les contraintes graphotactiques. Vingt élèves de chacun des trois niveaux primaires CE1, CE2 et CM2 ont participé à l’expérience en fin d’année scolaire. Le matériel a été constitué comme décrit ci-dessous. Les distributions des graphies eau et ette en position finale en fonction de l’environnement consonantique gauche ont été recherchées dans la base de données lexicales informatisée pour le Français écrit et parlé (Brulex, 1990). Concernant la graphie eau, trois terminaisons « consonne+eau » fréquentes en Français (/to/➞teau ; /vo/➞veau ; /ro/➞reau) et trois terminaisons ne se rencontrant jamais en Français (/go/ ; /ko/ ; /fo/) ont été sélectionnées. Relativement à la graphie ette, trois terminaisons « consonne+ette » fréquentes en Français (/εt/➞chette ; /lεt/➞lette ; /vεt/➞vette) et trois terminaisons « consonne+ette » rares en Français (/bεt/➞bette ; /fεt/➞fette ; /tεt/➞tette) ont été sélectionnées. 1. Des non-mots ont été utilisés car le recours à des mots est problématique. Un enfant ayant préalablement rencontré un mot, pourrait l’écrire de mémoire alors qu’un autre ne l’ayant pas rencontré en construirait une graphie par correspondances phonèmes/graphèmes. Ceci est gênant car il est impossible de contrôler rigoureusement les acquisitions lexicales des enfants. De plus, il est impossible de déterminer si un enfant orthographie un mot tel que /kom/ comme(correctement) et non come, parce qu’il connaît l’orthographe de ce mot particulier ou parce qu’il est sensible à certaines régularités orthographiques.

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Six couples de non-mots se terminant en /o/ ont été constitués. Trois couples de non-mots bisyllabiques incluaient la même première syllabe (e.g. /pli/) et trois couples de non-mots trisyllabiques incluaient deux premières syllabes identiques (e.g. /pymi/). Les deux non-mots de chaque couple ne différaient que par la consonne gauche de /o/ de sorte qu’un non-mot incluait une terminaison /consonne+o/ fréquente en Français (non-mots notés « EAU FREQUENT », e.g. /plito/, /pymito/) et l’autre une terminaison /consonne+o/ ne se rencontrant jamais en Français (non-mots notés « EAU JAMAIS », e.g. /pligo/, /pumigo/). Six couples de non-mots se terminant en /εt/ ont été constitués. Trois couples de non-mots bisyllabiques incluaient la même première syllabe (e.g. /tra/) et trois couples de non-mots trisyllabiques incluaient deux premières syllabes identiques (e.g. /cala/). Les deux non-mots de chaque couple ne différaient que par la consonne gauche de /εt/ de sorte qu’un non-mot incluait une terminaison /consonne+εt/ fréquente en Français (non-mots notés « ETTE FREQUENT », e.g. /travεt/, /kalalεt/) et l’autre une terminaison /consonne+εt/ ne se rencontrant jamais en Français (non-mots notés « ETTE RARE », e.g. /tratεt/, /kalafεt/). Une première liste comportant les 12 non-mots se terminant en /o/ précédés de l’article indéfini « un » et les 12 non-mots se terminant en /εt/ précédés de l’article indéfini « une », placés selon un ordre aléatoire, a été élaborée. Vingt-quatre autres non-mots ont été construits à partir des 24 non-mots décrits ci-dessus en supprimant leur terminaison en /εt/ ou /o/ (e.g. /pligo/ et /kalafεt/ devenaient respectivement /plig/ et /kalaf/. Vingt-quatre phrases ont été constituées. Douze phrases étaient de la forme « un petit [non-mot se terminant en /o/ sans /o/] est un [non-mot se terminant en /o/] » e.g. un petit /plig/ est un /pligo/ ; un petit /pymig/ est un /pymigo/). Douze autres étaient de la forme « une petite [non-mot se terminant en /εt/] est une [non-mot se terminant en /εt/] » (e.g. une petite /kalaf/ est une /kalafεt/ ; une petite /sorip/ est une /soripεt/). Ces 24 phrases, placées selon un ordre aléatoire, constituaient une seconde liste. Les épreuves ont été présentées de la façon suivante. Dans une première condition, nommée « BASE », l’expérimentateur dictait aux élèves la première liste (i.e. les 32 non-mots précédés des articles « un » ou « une », e.g. un /mitaro/ ; une /soripεt/). Il était dit aux sujets qu’il s’agissait de mots nouveaux qu’ils n’avaient jamais vus, ni entendus auparavant. L’expérimentateur leur précisait qu’ils devraient les écrire comme ils le feraient dans une dictée face à un mot dont ils ignorent l’orthographe, « pour qu’il y ait le plus de chances qu’il soit correctement orthographié ». Le surlendemain, la seconde liste (i.e. les phrases du type « un(e) petit(e) ... est un(e) ... ») était dictée. Dans cette seconde condition nommée « DIMINU-

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TIF », les élèves ne devaient écrire que le non-mot précédé de l’article « un » ou « une ». L’expérimentateur rappelait aux sujets, comme dans la condition « BASE », qu’ils devraient écrire ces mots comme ils le feraient dans une dictée face à un mot nouveau dont ils ignorent l’orthographe.

Résultats Non-mots se terminant en /εt/. Le Tableau 1 indique le pourcentage d’utilisation de la graphie ette en fonction de l’âge, de la condition (BASE vs. DIMINUTIF) et de la fréquence des régularités graphotactiques (RARE VS. FREQUENT). Les analyses statistiques ont fait apparaître que l’utilisation de ette varie en fonction de l’âge (59.8% au CE1, 48.8% au CE2 et 75.0% au CM2). Les orthographes des élèves étaient influencées à la fois par les régularités graphotactiques et par la dimension morphologique. D’une part, la graphie ette était davantage utilisée pour les non-mots « ETTE FREQUENT » (76.2%) que pour les non-mots « ETTE RARE » (46.1%). D’autre part, la graphie ette était davantage utilisée dans la condition « DIMINUTIF » (65.7%) que dans la condition « BASE » (56.7%). Les effets de la dimension morphologique et des régularités graphotactiques ne différaient pas en fonction de l’âge. Enfin, l’effet de la fréquence des régularités graphotactiques ne différaient pas significativement en fonction de la condition (BASE vs DIMINUTIF). Dans les deux conditions, l’utilisation de e t t e pour les non-mots mots « ETTE FREQUENT » d’une part, et « ETTE RARE » d’autre part, était fortement corrélée (r=.66 pour la condition « BASE » ; r=.60 pour la condition « DIMINUTIF »). Tableau 1. Pourcentages d’utilisation relative de la graphie ette en fonction de l’âge (CE1, CE2, CM2), de la dimension morphologique (« BASE » vs « DIMINUTIF ») et de la fréquence des régularités graphotactiques (non-mots « ETTE FREQUENT » vs. « ETTE RARE »).

BASE CE1 CE2 CM2

DIMINUTIVE

RARE

FREQUENT

RARE

FREQUENT

37,5 34,2 55,0

74,2 54,2 85,0

45,8 39,2 65,0

81,7 67,5 95,0

Non-mots se terminant en /o/ Le Tableau 2 indique le pourcentage d’utilisation du graphème eau en fonction de l’âge, de la fréquence des régularités graphotactiques (JAMAIS VS. FRE-

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QUENT) et de la condition (BASE vs. DIMINUTIF). Les analyses statistiques ont révélé que l’utilisation de eau varie en fonction de l’âge (21.0% au CE1, 17.9% au CE2 et 34.6% au CM2). Les orthographes des élèves étaient influencées à la fois par les régularités graphotactiques et par la dimension morphologique. D’une part, la graphie eau était davantage utilisée pour les non-mots « EAU FREQUENT » (33.6%) que pour les non-mots « EAU JAMAIS » (15.4%). D’autre part, la graphie eau était davantage utilisée dans la condition « DIMINUTIF » (29,6%) que dans la condition « BASE » (19,4%). Les effets des régularités graphotactiques ne différaient pas en fonction de l’âge. En revanche, l’effet de la dimension morphologique différait en fonction de l’âge. Cet effet n’était significatif qu’à partir du CE2. En fait, la plus grande utilisation de eau dans la condition « DIMINUTIF » augmentait en fonction de l’âge (2.5% au CE1; 11.7% au CE2 et 46.7% au CM2). Enfin, l’effet de la fréquence des régularités graphotactiques ne différait pas significativement en fonction de la condition (base vs. diminutive). Dans les deux conditions, l’utilisation de eau pour les non-mots mots « EAU FREQUENT » d’une part, et « EAU RARE » d’autre part, était très élevée (r=.69 pour la condition « BASE » ; r=.70 pour la condition « DIMINUTIF »). Tableau 2. Pourcentages d’utilisation relative du graphème eau en fonction de l’âge (CE1, CE2, CM2), de la dimension morphologique (« base » vs « diminutif ») et de la fréquence des régularités graphotactiques (non-mots « EAU Fréquent » vs. « EAU Jamais »).

BASE CE1 CE2 CM2

DIMINUTIVE

RARE

FREQUENT

RARE

FREQUENT

13,3 7,5 13,3

27,5 22,5 32,5

11,7 12,5 34,2

31,7 29,2 58,3

Ces résultats montrent qu’à tous les âges, les régularités graphotactiques influencent les orthographes fournies par les élèves pour les non-mots dictés. L’impact de la morphologie se manifeste dès le CE1 pour la transcription de /εt/ et dès le CE2 pour celle de /o/. La relative précocité de ette par comparaison avec eau tient probablement à la plus grande proportion relative de transcriptions du premier par rapport au second. En effet, /εt/ s’écrit ette dans 83% des cas (17% pour aite, ète et ête cumulés) alors que /o/ s’écrit eau dans seulement 33% des cas (66% pour ot, o, au cumulés). La persistance et la stabilité de l’effet de fréquence même lorsque les non-mots dictés sont présentés comme des diminutifs suggère que les élèves ne se réfèrent pas à une règle pour transcrire les non-mots dans ce dernier cas. En effet, la mise en œuvre d’une règle entraînerait l’écriture systématique de ette et eau.

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◆ Régularités orthographiques faisant l’objet d’un enseignement explicite : le cas du pluriel adjectival. En Français écrit, l’accord au pluriel de l’adjectif s’effectue dans l’immense majorité des cas en ajoutant s à la fin. Cette règle est enseignée comme telle et donne lieu à des exercices systématiques. Elle devrait donc s’appliquer dans tous les cas où les conditions sont remplies. Or, des travaux antérieurs ont montré que l’accord en nombre du verbe pouvait donner lieu à des erreurs systématiques chez des adultes cultivés lorsque ceux-ci se trouvaient en situation de surcharge cognitive. Par exemple, des étudiants en situation d’examen tendaient à écrire « il les timbres », accordant erronément le verbe comme s’il s’agissait d’un nom. Ces erreurs sont particulièrement fréquentes lorsque le verbe à accorder possède un homophone nominal plus fréquent que lui (Fayol, Largy & Lemaire, 1994; Largy, Fayol & Lemaire, 1996). Ces résultats suggèrent que dans certaines conditions au moins, des adultes cultivés n’appliquent pas la règle d’accord du verbe (ajouter nt au pluriel), bien qu’ils la connaissent et soient en mesure de l’utiliser, mais récupèrent en mémoire les associations les plus fréquentes entre radical et morphèmes. En somme, une récupération rapide et peu coûteuse se substitue à la mise en œuvre d’une règle plus lente et difficile à utiliser. On peut s’attendre à ce qu’un phénomène de même type se produise en ce qui concerne l’accord en nombre de l’adjectif. En Français écrit, la règle d’accord du pluriel stipule que les adjectifs prennent un s et les verbes un nt. L’application de cette règle devrait conduire à l’absence d’erreurs. Toutefois, en référence à ce qui a été observé avec les verbes ayant un homophone nominal plus fréquent qu’eux (e.g. timbre), on peut s’attendre à ce que : a) les adjectifs ayant un homophone verbal soient plus souvent erronément accordés en ajoutant nt (plutôt que s) que ceux qui n’en n’ont pas, b) les proportions d’erreurs soient d’autant plus élevées que l’homophone verbal est plus fréquent que son correspondant adjectival (cas de fixe par opposition à célèbre). Dans l’expérience suivante, on a demandé à des élèves de sixième et de quatrième de rappeler par écrit des phrases qui leur avaient été présentées oralement. La présentation des phrases incluait des chiffres que les élèves devaient stocker et additionner de manière à écrire le résultat immédiatement après avoir rappelé la phrase. Les phrases elles-mêmes comportaient chacune un adjectif attribut. Ce dernier n’avait soit pas d’homophone verbal (e.g. pauvre), soit un homophone verbal dont la fréquence relative était tantôt supérieure (e.g. fixe), tantôt inférieure (e.g. célèbre) à celle de son correspondant adjectival.

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Résultats La figure 1 illustre la distribution des erreurs (emploi erroné de nt avec les adjectifs au pluriel) en fonction du niveau scolaire et du type d’adjectif. Les analyses statistiques ont montré qu’aux deux niveaux considérés, les erreurs étaient significativement plus fréquentes avec les adjectifs ayant un homophone verbal (1.8%) qu’avec ceux qui n’en ont pas (0.4%). De plus, comme attendu, les adjectifs ayant un homophone verbal plus fréquent que leur correspondant adjectival donnaient plus souvent lieu à des erreurs (2.5%) que les adjectifs dont l’homophone verbal était plus rare que l’adjectif correspondant (1.0%).

Figure 1. Proportions d’erreurs en nt dans l’accord de l’adjectif en fonction du niveau scolaire (sixième vs. quatrième) et des catégories d’adjectifs (sans homophone = aj seul vs. avec homophone verbal plus fréquent = ajvb).

Ainsi, même dans le cas où une règle est enseignée explicitement et appliquée à travers des exercices, les élèves, et sans doute les adultes dans certaines conditions produisent des erreurs d’accords qui tiennent non pas à l’omission du pluriel mais à l’utilisation erronée du morphème verbal du pluriel. Cette erreur ne peut s’expliquer que si l’on postule une récupération en mémoire d’une association fréquente entre un radical (fix_) et un morphème flexionnel du pluriel. Cette association n’a pas fait l’objet d’un enseignement explicite. Elle a été acquise par apprentissage incident au cours des activités de lecture et d’écriture.

◆ Conclusion L’objectif de cet article était de montrer à travers trois aspects de l’orthographe du Français l’impact d’apprentissages incidents sur les performances d’enfants et d’adolescents. Nous avons mis en évidence l’existence d’apprentis-

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sages incidents affectant premièrement l’usage de régularités de type probabiliste (régularités graphotactiques) mais aussi celui de certaines marques morphologiques (diminutif). Fondamentalement, l’un des principaux apports de ce travail réside dans la mise en évidence que l’acquisition de la morphologie dérivationnelle se surajoute à celle des régularités graphotactiques sans en éliminer l’impact. En effet, l’effet de fréquence, caractéristique des régularités graphotactiques, se maintient même lorsqu’une règle pourrait s’appliquer avec la même amplitude aux différents niveaux considérés. Plus encore, l’étude de l’accord en nombre de l’adjectif a fait apparaître l’impact d’un apprentissage implicite même dans un cas où une règle a été enseignée explicitement. De fait, des erreurs surviennent, qui témoignent de phénomènes d’accords résolus non par application de règles mais par récupération d’associations entre radicaux et morphèmes flexionnels, associations qui proviennent de l’apprentissage implicite des régularités rencontrées au cours de la pratique de la langue écrite. La prise en compte de l’existence d’un apprentissage implicite peut ainsi nous aider à comprendre d’une part, comment certaines acquisitions peuvent s’effectuer sans intervention explicite, par simple pratique, et d’autre part, que malgré un enseignement explicite, certaines erreurs continuent à survenir. L’application de ces paradigmes pourrait être très utile pour chercher à mieux comprendre les difficultés rencontrées par des enfants présentant des troubles d’acquisition de la langue écrite.

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Apprendre la morphologie du nombre à l’écrit en français Corinne Totereau Résumé Cet article s’attache à l’étude de l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre en Français : le marquage par -s du pluriel nominal et adjectival et par -nt du pluriel verbal. L’étude de ces marques est intéressante car leur acquisition par l’enfant et leur gestion par l’adulte ne peuvent s’appuyer directement sur des indices phonologiques (ces marques écrites du nombre n’ont pas de correspondant oral). L’enfant doit acquérir ces marques à partir du traitement du seul écrit. Les travaux rapportés dans cet article ont été conduits afin de rechercher dans un premier temps quand et comment les enfants identifient et utilisent les marques des pluriels nominal et verbal. Dans un deuxième temps, ils ont été poursuivis pour analyser comment les enfants parviennent à différencier les marques -s et -nt lorsqu’ils doivent accorder des mots homophones dans des configurations ambiguës. Dans un troisième temps, une comparaison a été effectuée concernant l’emploi des flexions du pluriel sur trois catégories syntaxiques : les adjectifs, les noms et les verbes, afin de dissocier au moins partiellement l’impact de la motivation sémantique du pluriel des effets de fréquence et régularité des marques. Mots clés : Apprentissage, orthographe, écrit, morphologie du nombre.

Learning written morphology for number in French Abstract This article deals with the study of the acquisition of written morphology for number in French: the marking of noun and adjective plurals by -s and of verb plurals by -nt. The study of these markers is interesting because their acquisition by children and their management by adults cannot make direct use of phonological indices (these written markers have no corresponding oral pronunciation). The child must acquire these markers through the processing of written language only. The studies reported in this article were conducted in order to find, as a first step, when and how children identify and use the markers of noun and verb plurals. Secondly, we attempted to analyze how children learn to differentiate the -s and -nt markers when they have to agree nouns and verbs with corresponding homophones (verb and noun, respectively). Finally, we compared the use of plural inflections for three syntactical categories: adjectives, nouns and verbs, in order to dissociate, at least partially, the impact of semantical foundation of plural from the effect of frequency and regularity of markers. Key Words : Learning, spelling, writing, number morphology.

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Corinne TOTEREAU Docteur en Psychologie IUFM avenue Alphonse Gilet 83300 Draguignan

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aradoxalement, alors que l’apprentissage et la mise en oeuvre des « règles » de l’orthographe grammaticale du Français écrit constituent un domaine dont la difficulté est avérée et soulèvent des problèmes depuis longtemps identifiés, peu de travaux de recherche ont été conduits, qui auraient visé à cerner de manière précise les obstacles et à proposer et évaluer des modalités d’intervention. La plupart des données disponibles sont de type descriptif et, pour beaucoup d’entre elles, les comparaisons de performances sont délicates du fait que les épreuves varient d’un niveau scolaire à un autre (Chervel & Manesse, 1989 ; Girolami-Boulinier, 1984).

Le travail que je présente ci-après cherche à combler partiellement ces lacunes. Il s’attache à un champ bien délimité de l’orthographe grammaticale, celui de l’apprentissage et de la mise en oeuvre de la morphologie écrite du nombre nominal et adjectival (-s), d’une part, et verbal (-nt) d’autre part en Français.

◆ La morphologie du nombre en Français oral et écrit La morphologie du nombre joue un rôle essentiel dans l’apprentissage et la mise en oeuvre du Français écrit. En effet, la plupart des marques présentes à l’écrit n’ont pas de correspondant oral. A l’oral, seuls les déterminants pour le groupe nominal (le-la/les; un-une/des; ce-cet-cette/ces, etc.) et les auxiliaires pour le groupe verbal (a/ont; est/sont) portent une variation formelle systématique. Par contraste, à l’écrit, presque tous les segments des groupes nominal (GN) (déterminant, nom, adjectif) et verbal (GV) (auxiliaire, verbe) sont systématiquement marqués, respectivement avec -s (GN) et -nt (GV) (Catach, 1986; Dubois, 1965). Cette opposition oral/écrit ressort particulièrement bien dans l’exemple ci-dessous :

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• oral : singulier ➞ /lap’tit’pulruspikor/ vs pluriel ➞ /lep’tit’pulruspikor/ (opposition /la/ /le/ uniquement) • écrit : singulier ➞ la petite poule rousse picore, vs. pluriel ➞ les petites poules rousses picorent. Cette particularité du Français a deux conséquences. D’une part, les jeunes Français doivent acquérir les marques de la morphologie du nombre en même temps qu’ils apprennent la langue écrite. La référence à l’oral leur est peu utile. Ils doivent découvrir les marques spécifiques de l’écrit et leur signification : -s pour les noms et adjectifs ; -nt pour les verbes. Une fois cette découverte effectuée, il leur faut assurer la mise en œuvre de ces marques, de manière automatique et à bon escient. Cette automatisation nécessite une pratique régulière et prolongée. Elle n’assure pas, à elle seule, la réussite des accords du fait de l’existence de nombreux mots homophones (timbre, fouille, ferme...) qui se prononcent de manière similaire mais s’écrivent différemment selon leur fonction syntaxique (les timbres/ils timbrent). L’absence de tout indice oral nécessite le recours à des critères morpho-syntaxiques, syntaxiques et sémantiques plus complexes et difficiles à mobiliser. On sait aujourd’hui encore peu de choses sur cet apprentissage. D’autre part, la deuxième conséquence concerne la mise en œuvre par l’adulte des marques morphologiques du nombre au cours de la production de textes écrits. Lucci et Millet (1994) comme Girolami-Boulinier (1984) ont relevé de fréquentes omissions de -s et -nt. Ces omissions suggèrent que même les adultes cultivés échouent parfois à utiliser des marques dont ils connaissent l’existence et qu’ils mettent efficacement en œuvre la plupart du temps. Peu de recherches ont étudié les raisons et circonstances favorisant l’occurrence de telles erreurs. Les travaux ici rapportés ont été conduits afin de rechercher d’abord quand et comment les enfants identifient et utilisent les marques des pluriels nominal et verbal. Ils ont ensuite été prolongés pour étudier plus précisément la manière dont s’opère l’automatisation de l’emploi du -nt verbal. Ils ont été poursuivis pour analyser comment enfants et adultes parviennent à différencier les marques -s et -nt lorsqu’ils doivent accorder des mots homophones dans des configurations ambiguës. Ils ont enfin étudié l’apprentissage et l’utilisation de l’accord en nombre de l’adjectif (-s).

◆ Acquisition de l’interprétation et production des marques du pluriel nominal et verbal (-s et -nt) Une première série de travaux a déterminé quand et comment des enfants de 6 à 9 ans interprètent la présence (ou l’absence) de marques du pluriel (-s ;

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-nt ; -e) selon que ces marques étaient ou non associées à des variations formelles audibles des déterminants (le/les) ou inaudibles des pronoms (il/ils) (Totereau, Thevenin & Fayol, 1997). La méthode consistait à présenter par exemple deux illustrations (une comportant une poule, l’autre au moins deux poules ; ou bien l’une illustrant le saut d’un enfant, l’autre le saut de plusieurs enfants). Sous ces illustrations se trouvait une étiquette incluant soit deux mots (la poule vs. les poules pour les noms ; il saute vs ils sautent pour les verbes) soit un seul mot (poule vs poules pour les noms ; saute vs sautent pour les verbes). Les enfants devaient simplement relier l’étiquette à l’illustration corres pondante. Au cours de cette épreuve, les mêmes enfants devaient écrire euxmêmes des mots dictés, correspondant à une série d’illustrations associées à des noms ou à des verbes. Les résultats ont fait apparaître que : 1) Les performances aux épreuves d’interprétation (relier une illustration à l’étiquette fournie) sont systématiquement meilleures que les performances aux épreuves de production. Cela reste vrai, même en CE2 ; 2) Les réussites aux accords concernant les noms l’emportent systématiquement sur les réussites relatives aux verbes : cela s’avère en compréhension (interprétation) comme en production, aux trois niveaux scolaires considérés (CP, CE1 et CE2). Ces résultats suggèrent deux conclusions. Tout d’abord, la compréhension de la signification des marques (épreuves d’interprétation) n’entraîne pas automatiquement leur utilisation en production. La pratique doit intervenir pour assurer le passage de la connaissance des marques à leur mise en œuvre. Ensuite, les performances aux accords nominaux sont dès le CP très élevées en interprétation (en raison vraisemblablement de l’indice sonorisable fourni par l’article) et s’améliorent rapidement en production. Par contraste, celles qui concernent les verbes restent relativement faibles aux trois niveaux scolaires considérés. L’interprétation la plus plausible de cette différence de réussite aux accords nominaux et verbaux est celle selon laquelle l’accord nominal est sémantiquement motivé - on ajoute -s quand il y a plusieurs objets ou personnages - alors que l’accord du verbe, comme d’ailleurs celui de l’adjectif (cf. plus loin), est formel : le fait que plusieurs enfants sautent n’entraîne pas une pluralisation conceptuelle de l’action de sauter (Fayol, Thevenin, Totereau & Jarousse, sous presse; Totereau, Fayol & Barrouillet, soumis).

◆ De la connaissance des marques à l’automatisation de leur emploi Ainsi, les enfants peuvent connaître la forme et la signification des marques morphologiques sans pour autant les mobiliser systématiquement lorsque le contexte rend nécessaire leur production (Totereau et al., 1997).

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Cette carence tient très probablement à la non automatisation de l’emploi de ces marques. En effet, l’automatisation rend rapides, peu coûteuses et irrépressibles, l’activation et la mise en œuvre de telle ou telle marque. En d’autres termes, on ne peut s’empêcher de l’utiliser. Dès lors, on n’a plus besoin de se poser la question de l’opportunité de l’utilisation des marques et de contrôler leur emploi de manière attentionnellement coûteuse. L’attention s’en trouve libérée et peut se porter sur d’autres aspects du travail à accomplir. En Français, l’application automatique des accords - les ➞ chiens (déterminant ➞ nom) aboient (GN ➞ GV) - conduit dans la presque totalité des cas (cf., plus loin) à la réussite. Elle est nécessaire pour que les élèves et les adultes puissent consacrer leur attention à d’autres dimensions que la gestion des contraintes orthographiques de la production écrite. Or, tant que les accords sont correctement effectués par application d’une règle sans pour autant être automatisés, la réalisation de l’accord reste fragile : il suffit que l’attention soit divertie de la réalisation du marquage pour que l’erreur survienne. Ce type d’erreur est précisément celui qui pose le plus de problèmes aux enseignants : la leçon faite, les exercices correctement réalisés, les contrôles effectués avec succès, laissent penser que l’acquisition est effective. Pourtant, quelques heures ou jours plus tard, lorsque l’accord doit être mobilisé dans une situation plus complexe, l’erreur (ré)apparaît. Il faudrait donc disposer d’un révélateur de l’automatisation. Paradoxalement, ce révélateur consiste en l’occurrence d’erreurs d’experts. Dans une phrase telle que « le chien des voisins arrive », les adultes savent accorder le verbe (arrive) lorsqu’on le leur demande explicitement ou lorsqu’ils doivent transcrire cette phrase sous dictée. Pourtant, il suffit d’occuper leur attention au moment de la transcription pour que surviennent des erreurs (de 20 à 30%). Ces erreurs consistent à accorder le verbe avec le nom qui le précède immédiatement (le chien des voisins arrivent) plutôt qu’avec le sujet (Fayol, Largy & Lemaire, 1994). Ici, l’automatisme (GN ➞ V : le verbe s’accorde la plupart du temps avec le nom immédiatement antérieur) induit l’erreur. Mais il s’agit d’une erreur d’experts, ayant donc valeur diagnostique. Des enfants de 7 à 10 ans peuvent être soumis à cette même épreuve (Fayol, Hupet & Largy, sous presse). Lorsqu’on leur demande explicitement d’effectuer l’accord - par exemple au cours d’une tâche de complètement, ils réussissent majoritairement à partir du CE2-CM1 (Le chien des voisins arrive / Les chiens du voisin arrivent / Les chiens des voisins arrivent). Toutefois, si on leur dicte la phrase et qu’ils doivent intégralement la transcrire, ils commettent souvent des erreurs de non-marquage : le pluriel verbal (-nt) n’apparaît pas (les

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chiens des voisins arrive). Le calcul de l’accord (algorithme), trop coûteux, n’a pu être mis en œuvre du fait que l’attention a été captée par d’autres aspects du travail à accomplir. Evidemment, aucune erreur ne survient avec « le chien des voisins arrive » car l’absence de déclenchement automatique de l’accord rend impossible l’occurrence de la marque -nt. Au Cours Moyen et de manière variable selon les classes et les individus, les erreurs d’experts commencent à se manifester. Désormais, l’accord est correctement réalisé dans les exercices « le chien des voisins arriv » comme dans les dictées simples (présentation orale intégrale de la phrase, suivie de sa transcription). En revanche, lorsque l’attention est mobilisée par une tâche secondaire (faire attention à des sons ; compter...), les erreurs d’experts apparaissent : le chien des voisins arrivent (Fayol, Hupet & Largy, sous presse), comme chez les adultes cultivés. Les résultats de la première et de la deuxième série d’expériences suggèrent donc que l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre s’effectue en trois phases. Tout d’abord les enfants identifient les marques et découvrent leur signification, découverte plus simple et précoce pour le -s nominal que pour le -nt verbal. Se met ensuite en place l’utilisation des calculs (algorithmes) conduisant à la production des accords exacts lorsque le temps n’est pas limité et le niveau de difficulté pas trop élevé. Au cours de cette phase, les erreurs deviennent plus rares mais elles continuent à survenir lorsque le travail à accomplir dépasse les capacités attentionnelles ou lorsque l’attention se focalise sur d’autres aspects, jugés plus importants pour la réalisation de la tâche. Les enseignants se trouvent donc particulièrement désarmés car les connaissances des élèves suffisent à assurer la réussite - il n’y a donc plus rien à enseigner - mais ce sont les conditions de mise en œuvre qui posent problème. Arrive enfin la phase d’expertise. Paradoxalement, celle-ci se caractérise par l’occurrence d’erreurs rares jusqu’alors inconnues, qui résultent de l’activation automatique des marques morphologiques. Ces erreurs se rencontrent rarement mais systématiquement encore chez les sujets très cultivés (Fayol & Largy, 1992).

◆ Les erreurs de surgénéralisation : de la nécessité de la grammaire L’évolution en trois phases, telle que je viens de la retracer, ne rend que partiellement compte de l’apprentissage de la morphologie écrite au-delà du CE2. En effet, une autre dimension - l’homophonie - vient rendre l’apprentissage plus difficile. Le Français comporte en effet de très nombreux mots homophones qui se transcrivent de manière différente. Les plus connus sont a/à, on/ont, son/sont etc. Pourtant, beaucoup d’autres posent problème du fait que leur transcription correcte exige la prise en compte de la catégorie syntaxique.

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Dans la phrase : « Le bijoutier a des bracelets. Il les montre », le mot montre est clairement un verbe et s’accorde avec le pronom il ; accord réussi massivement en CM2. Pourtant, si on dicte une telle phrase à des adultes et que leur attention est attirée par un autre événement au cours même de la transcription, les plus experts tendent à écrire montres au lieu de montre. Ils traitent ainsi le verbe comme un nom (Largy, Fayol & Lemaire, 1996 ; Fayol, Largy, Thevenin, & Totereau, 1995). Les recherches conduites ont clairement fait apparaître que ces erreurs survenaient surtout lorsque le verbe concerné (montre) avait un homophone nominal (la/une montre) plus fréquent que lui (cette fréquence relative est établie à partir de l’observation de corpus de langue). Au contraire, ces erreurs restaient exceptionnelles avec les verbes à homophone nominal rare (trompe, par exemple). Comment peut-on expliquer que des adultes cultivés, connaissant parfaitement les règles d’accord et sachant les appliquer, puissent commettre de telles erreurs ? Une hypothèse plausible considère que ces adultes disposent de deux « voies » pour réaliser l’accord. D’une part, ils disposent d’un algorithme (procédure correspondant à la mise en œuvre de la règle d’accord) fiable mais relativement lent et attentionnellement coûteux, ce qui fait qu’il est assez facile d’en gêner la mise en œuvre. D’autre part, ils ont, du fait des nombreuses lectures et productions, stocké en mémoire (comme pour les tables de multiplication) des associations entre mots et inflexions : tel ou tel mot co-occurre massivement ou au contraire rarement avec telle ou telle marque morphologique (par exemple timbre avec -s mais trompe avec -nt). Lorsqu’ils doivent écrire un mot, les deux voies sont simultanément mobilisées. La plus rapide gagne parce que celui qui rédige doit traiter de nombreuses difficultés et qu’en conséquence, tout problème rapidement résolu (éventuellement erronément) lui permet de se consacrer à une autre tâche. Il s’ensuit que les associations les mieux établies tendent parfois à induire des erreurs alors même que ceux qui les commettent seraient en mesure de les prévenir et/ou de les corriger (Fayol, 1997). On pourrait penser que la prévention et la correction de telles erreurs sont faciles pour des adultes habitués à lire et écrire. Il semble qu’il n’en soit rien. Des travaux récents (Fayol, Largy & Ganier, 1997) ont révélé que des adultes avertis de la présence d’erreurs dans des phrases et ayant explicitement à les détecter et corriger soit ne les percevaient pas (comme dans « Il les timbres »), soit considéraient comme erronés des accords pourtant corrects (comme dans « Il les timbre »). Ces données suggèrent que non seulement les adultes cultivés ont une propension à commettre des erreurs lorsqu’ils transcrivent de telles configurations, mais aussi qu’une fois réalisées, ces erreurs deviennent très difficiles à repérer, et donc à corriger. Très vraisemblablement, seul un contrôle

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stratégique guidé par la connaissance préalable des configurations inductrices d’erreurs (Fayol & Monteil, 1994) et appuyé sur une analyse explicite en catégories syntaxiques (grammaire) - est en mesure de permettre l’anticipation et/ou la correction des erreurs. Pour déterminer quand et comment ces erreurs s’installent, nous avons demandé à des enfants du CE1 au CM2 de compléter par écrit des séries de syntagmes (les timbr __/ ils montr__). Les mots à compléter avaient été extraits des livres de lecture en cours dans les écoles, de sorte que nous pouvions contrôler si les élèves les avaient ou non déjà rencontrés. Certains mots étaient des noms (Les nuages), d’autres des verbes (Ils regardent), d’autres enfin étaient potentiellement noms ou verbes selon les environnements syntaxiques ( L e s timbres/Ils timbrent). Les performances des enfants aux différents niveaux de la scolarité font apparaître une évolution très particulière. Dans un premier temps (cf. la première partie de cet article) domine l’absence de marque du pluriel. Dans un deuxième temps, le -s nominal est systématiquement utilisé pour les noms comme pour les verbes, quels qu’ils soient. Cette surgénéralisation, consécutive au fait que les enfants ne connaissent qu’une seule marque, dure peu de temps. Dans un troisième temps, d’une part, apparaissent des -nt sur les verbes mais aussi sur les noms (!) et d’autre part, subsistent des -s sur quelques verbes. L’analyse détaillée des corpus révèle que les erreurs (-s sur les verbes, -nt sur les noms) affectent essentiellement les homophones. En d’autres termes, les probabilités d’erreurs sont d’autant plus élevées que les mots peuvent, en fonction des environnements syntaxiques, être des noms ou des verbes. Par ailleurs, les tendances correspondent à celles qui ont été décrites chez les adultes : les mots qui étaient utilisés comme verbes dans les livres de lecture étaient de manière dominante (et erronée) infléchis avec -nt alors que ceux qui étaient essentiellement utilisés comme noms étaient infléchis par -s. Ces résultats suggèrent l’intervention d’un processus de récupération directe d’associations entre mots et morphèmes qui conduit le plus souvent à une performance correcte (car cela correspond précisément aux occurrences les plus fréquentes) mais qui aboutit parfois à des erreurs (Totereau, Fayol & Barrouillet, 1998). En résumé, l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre nominal et verbal en Français semble suivre un schéma d’évolution consécutif au fait que la plupart des marques écrites n’ont pas de correspondant audible : (1) non repérage des marques et de leur signification; 2) détection et interprétation du -s nominal puis du -nt verbal ; 3) mise en œuvre en production du -s nominal et extension (surgénéralisation) aux adjectifs (ce qui conduit à la réussite) et aux verbes (ce qui induit des erreurs) ; cette mise en œuvre résulte vraisemblablement de l’utilisation systématique d’un algorithme de calcul de l’accord correspondant à une

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règle simple : « si pluriel alors -s » ; 4) apparition des emplois de -nt avec surgénéralisation à certains noms (qui ont des homophones verbaux fréquents) et disparition des -s aux verbes, sauf avec certains d’entre eux (qui ont des homophones nominaux fréquents). Ces erreurs, à la différence des précédentes, renvoient non plus à l’utilisation dominante d’un algorithme mais au stockage et à la récupération directe en mémoire d’associations entre mots et inflexions. Ces associations automatiques sont consécutives à l’imprégnation (apprentissage implicite) par les co-occurrences lues dans les textes, ce qui explique leur caractère systématique et inconscient, et donc très difficile à prévenir. Seul un contrôle après-coup (Fayol, 1997, Chapitre 5) étayé par une grammaire explicite est sans doute en mesure d’éviter la survenue de telles erreurs.

◆ L’accord en nombre de l’adjectif Contrairement à ce qui se passe dans d’autres systèmes écrits (e.g., l’Anglais), l’adjectif s’accorde en Français avec le nom qu’il précise. Cette spécificité permet d’aborder une question difficile : pourquoi le pluriel nominal est-il plus précoce que le pluriel verbal, même dans une langue comme l’Anglais où les marques sont audibles? Comme je l’ai signalé dans la première partie de cet article, l’hypothèse la plus plausible est que le pluriel nominal est sémantiquement motivé : on ajoute -s pour marquer la pluralité des référents. En revanche le pluriel verbal est formel : l’ajout de -nt ne correspond pas à une pluralité référentielle (e.g., dans « les chiens aboient » l’action d’aboyer ne se trouve pas modifiée par la présence de plusieurs chiens). Toutefois, des hypothèses alternatives sont envisageables. Par exemple, les noms sont plus fréquents que les verbes : en conséquence, la probabilité de rencontrer -s et de le repérer comme marque du pluriel est plus élevée que la probabilité de rencontrer -nt (pluriel verbal). La fréquence d’occurrence pourrait donc exprimer la précocité d’emploi du -s plutôt que du -nt. Par ailleurs, la marque -s est extrêmement fiable pour signaler la pluralité : sur 19384 noms et sur 10431 adjectifs recensés par la base Brulex, seuls 504 et 107 respectivement, se terminent au singulier par -s. En d’autres termes, la rencontre d’un -s terminal permet de conclure avec une bonne certitude à la pluralité. Par contraste, de nombreux verbes notamment parmi les plus fréquents (aller, venir, être, avoir, etc), forment leur pluriel par changement vocalique (e.g., a/ont) ou consonantique (e.g., /e/ vs /sõ/) et non par simple ajout de -nt. De plus 2819 mots se terminent au singulier par -nt, ce qui donne une moindre fiabilité à -nt qu’à -s comme marque de pluralité. En résumé, -nt serait une marque de pluralité plus difficile à repérer et utiliser car elle est à la fois moins fréquente et moins fiable que -s.

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L’existence d’effets de fréquence et de fiabilité des marques s’ajoutant au caractère sémantiquement fondé ou non de la pluralité rend difficile la détermination du ou des facteurs décisifs, s’il en existe. Toutefois, l’accord de l’adjectif permet au moins partiellement de dissocier leurs effets. L’accord de l’adjectif n’est pas plus motivé sémantiquement que celui du verbe. En revanche, il est assuré par l’ajout de -s, fréquent et fiable. En conséquence, si le fondement sémantique se trouve à l’origine de la saisie du marquage de la pluralité, l’adjectif devrait être accordé aussi tardivement que le verbe. Si, au contraire, les aspects formels (fréquence et fiabilité) jouent un rôle dominant, alors l’accord de l’adjectif doit se réaliser aussi précocement que celui du nom (Totereau, Fayol & Barrouillet, soumis). Pour tester ces prédictions alternatives, nous avons demandé à des enfants de 7 à 11 ans (du CE1 au CM2) de compléter et rappeler des phrases comportant un nom, un adjectif et un verbe, les trois étant tantôt au singulier tantôt au pluriel. Par exemple, le même enfant avait à ajouter les terminaisons dans « la fill_ blond_ parl_ » et « les chatt_ douc_ ronronn_ » alors qu’un autre enfant devait transcrire ces mêmes phrases qui lui étaient dictées. Plus de 3000 inflexions ont ainsi été recueillies, qui ont permis de mettre en évidence trois faits. Tout d’abord, les proportions de non marquage du pluriel sont approximativement équivalentes pour les adjectifs et les verbes et sont significativement plus élevées que pour les noms. En d’autres termes, le caractère sémantiquement fondé du pluriel nominal semble bien à l’origine du marquage précoce de la pluralité. Ensuite, les adjectifs sont plus tôt et plus correctement infléchis que les verbes. L’effet de la fréquence et de la fiabilité du -s se manifeste donc également. Enfin, l’accord verbal est souvent réalisé de manière erronée par ajout du -s au lieu du -nt. En résumé, c’est la conjonction de la pluralité notionnelle, de la fréquence et de la régularité du marquage qui conduit à l’utilisation précoce et systématique du -s sur les noms. Les aspects formels interviennent également en ce qui concerne les adjectifs : ceux-ci, qui forment leur pluriel en -s, sont plus précocement et correctement accordés que les verbes. Ces derniers sont souvent pluralisés de manière erronée par l’emploi du -s plutôt que de -nt. Ces données suggèrent que les adjectifs sont initialement accordés par généralisation de l’emploi du -s, laquelle conduit à un infléchissement correct des adjectifs mais incorrect des verbes. Ce schéma d’apprentissage s’interprète facilement dans le cadre d’un modèle d’apprentissage procédural (Anderson, 1983, 1993, 1995). La première règle du type condition ➞ action serait « R1: si pluriel alors ajouter -s ». Elle s’appuierait sur la transparence sémantique et la régularité. Sa généralisation conduirait à des accords tantôt exacts (adjectifs) tantôt erronés (verbes).

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L’apprentissage ultérieur consisterait à spécialiser la règle en lui adjoignant de nouvelles conditions, notamment quant aux traits syntaxiques (nom vs. verbe) et une nouvelle action (ajouter -nt). On aboutirait alors à deux règles : R1.1 : si Pluriel et nom ou adjectif ajouter -s R1.2 : si Pluriel et verbe ajouter -nt. La difficulté rencontrée par les enfants au cours de l’apprentissage et par les adultes lorsque les verbes ont un homophone nominal (ou inversement) tient à ce que deux marques (-s et -nt) sont disponibles pour une même macro-condition : la pluralité. Il y a donc compétition, laquelle nécessite pour être résolue la prise en compte et la gestion de conditions supplémentaires.

◆ Conclusion L’acquisition et l’utilisation de la morphologie écrite du nombre pose des problèmes spécifiques. Ces problèmes tiennent à plusieurs raisons. Premièrement, les marques (-s et -nt) sont presque toujours « silencieuses » : les enfants doivent les découvrir et les adultes les utiliser à l’écrit, sans pouvoir le plus souvent recourir à leurs connaissances sur l’oral. Deuxièmement, ces marques se distribuent sélectivement sur les différents segments de la phrase. En particulier, les composants noms et adjectifs du syntagme nominal sont infléchis avec -s alors que les verbes le sont avec -nt. Les enfants comme les adultes doivent donc affecter les marques aux catégories syntaxiques qui conviennent et maintenir active l’information relative à la pluralité jusqu’à transcription de l’intégralité de l’énoncé. Troisièmement, certains mots peuvent être tantôt des noms, tantôt des verbes (voire des adjectifs). Il s’ensuit que des ambiguïtés surviennent, qui induisent des compétitions entre marques (e.g., -s et -nt) pour une inflexion donnée. Seule la prise en compte d’informations syntaxiques ou sémantiques permet d’aboutir à une gestion correcte des accords. Les données recueillies au cours des différentes séries d’expériences ont montré que l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre s’étale sur une longue période et présente de nombreuses difficultés. Initialement, les enfants écrivent les mots en suivant leur forme phonologique : ils n’utilisent aucune marque du nombre. Très rapidement, et plus vite pour les noms que pour les verbes, ils détectent et interprètent correctement la présence des -s et -nt. Il leur faut toutefois plus de temps pour produire ces marques. Là comme dans d’autres tâches, le rappel à bon escient de ces marques nécessaires en production est plus tardif et complexe que la reconnaissance de ces mêmes marques en compréhension. L’extension du marquage correct varie en fonction des catégories syntaxiques ; il est plus précoce et fréquent avec les noms qu’avec les

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verbes. Les recherches conduites ont montré que cette hiérarchie de difficultés tenait à la fois au caractère sémantiquement fondé ou non de la pluralité et à la fréquence et à la fiabilité des marques -s et -nt. Une autre difficulté tient à la présence de nombreux homophones pouvant, en fonction des contextes syntaxiques, être tantôt noms (les timbres) tantôt verbes (Il les timbre). Ces items donnent lieu à de fréquentes erreurs chez les adultes cultivés, notamment lorsque l’attention de ceux-ci est divertie de la gestion de l’accord lui-même. Dans de tels cas, la marque utilisée dépend de la fréquence relative des deux homophones : si l’homophone verbal domine l’homophone nominal, -nt l’emporte ; si l’homophone nominal domine, -s l’emporte, conduisant à un accord erroné. L’étude du développement de l’accord verbal révèle que ces erreurs consécutives à une compétition entre inflexions surviennent à partir du CE2, lorsque les enfants ont stocké en mémoire des associations régulières entre radicaux et morphèmes. Ces associations sont au moins dans certaines circonstances activées plus vite que la procédure d’accord et elles induisent parfois des erreurs (Fayol, Largy & Ganier, 1997). L’existence de l’ensemble de ces difficultés permet de comprendre que la France ait élaboré et perpétue un enseignement grammatical s’étendant jusqu’en classe de troisième de collège. Les enfants, les adolescents et les adultes ont en effet besoin de disposer d’une grammaire explicite susceptible de guider la détection et la correction des erreurs. Il reste que les phénomènes ici décrits ne prennent pas encore en considération la nature et la fréquence des enseignements dispensés. D’autres travaux sont en cours, qui ont pour objet d’étudier l’impact de l’instruction sur les apprentissages à différents niveaux de la scolarité.

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La complexité de l’orthographe est-elle seule responsable des erreurs orthographiques chez l’enfant ? Christiane Soum, Jean-Luc Nespoulous Résumé Cette recherche porte sur les erreurs orthographiques produites en français, par des enfants de langue française ; ils ont 7 et 8 ans. L’hypothèse générale est la suivante : le facteur déterminant de l’exactitude orthographique ne se réduit pas à la forme orthographique des mots (à leur irrégularité) : leur forme phonologique (leur structure syllabique) est également un paramètre pertinent dans l’habileté à écrire un mot. Deux expériences permettent d’évaluer cette hypothèse : une dictée de mots isolés et une dictée de syntagmes. Les résultats suggèrent que : a) La phonologie joue un rôle majeur dans la production écrite (accès au lexique phonologiquement contraint ; manipulation de l’information phonologique en production écrite) ; b) L’orthographe, analysée comme un continuum d’irrégularités, est une source d’erreurs. Mots clés : Erreurs orthographiques, instabilité phonologique, squelette de positions, forme orthographique, structure syllabique.

Do children have a hard time with orthography solely because of its complexity ? Abstract This research deals with the learning of writing skills by 7 and 8 year old French children. The general hypothesis was the following : the correct handling of orthography cannot be reduced to the mere knowledge of the orthographical properties of words ; their phonological form also appears to be a relevant variable in the ability to write a word in a conventional (canonical) way. Two experiments were carried out to verify this hypothesis : in the first one, children wrote single words and in the second one, they wrote syntagms. The results suggest that : a) Phonology plays a major role in written processes (phonologically constrained lexical access ; use of phonological information to write) ; b) The orthographical form of the words, analyzed as a continuum of irregularities, leads to errors (the more irregular a word is, the more prone to errors the child will be). Key Words : Orthographical errors, phonological instability, skeletal slots, orthographical properties, syllabic structure.

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Christiane SOUM Jean-Luc NESPOULOUS Laboratoire Jacques Lordat Université du Mirail 5, allées Antonio Machado 31058 Toulouse cedex 1

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es sciences cognitives, champ interdisciplinaire, ont pour objet de décrire et d’expliquer les aptitudes cognitives humaines, dont le langage. L’étude présentée ici se situe dans ce courant de recherches puisqu’elle porte sur l’apprentissage du langage écrit dans le cadre d’un développement dit normal. Cet apprentissage, et plus précisément l’étude des erreurs orthographiques produites en cours de développement, fournit une occasion supplémentaire d’insister sur l’intérêt de l’interdisciplinarité.

D’un côté, la linguistique permet de décrire les structures de la langue, de l’autre, la psycholinguistique tente de décrire les processus mentaux liés aux structures linguistiques. Entre ces deux disciplines, il s’agit donc d’un lien fort. Notre propos est de montrer « qu’effacer » les frontières théoriques entre ces deux approches en associant certains de leurs postulats respectifs, est hautement profitable pour un compte rendu explicatif des erreurs que produisent les enfants de 7/8 ans, en apprenant à écrire le français. Nous tenterons d’autre part de défendre l’hypothèse selon laquelle la réussite en orthographe est intimement liée à la nature phonologique de la langue et à ses rapports avec l’écrit.

◆ Pour une analyse psycholinguistique Notre démarche consiste à formuler des hypothèses permettant de prédire les contextes dans lesquels devraient apparaître les erreurs orthographiques en période de développement. Nous posons l’hypothèse que deux facteurs, au moins, sont une source d’erreurs orthographiques : a) la forme orthographique d’un mot, qui est liée, selon nous, à sa fréquence lexicale et à sa forme syllabique et b) l’organisation syllabique d’un mot. Cette analyse est détaillée dans les sections suivantes.

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Etude du français écrit L’orthographe du français consiste à transcrire l’information phonologique contenue dans les mots, dont la plus petite unité est le phonème (principe d’écriture phonographique). On parle de graphèmes pour désigner ces unités. Le mot BATEAU 1 par exemple, comprend quatre graphèmes: {b} - {a} - {t} - {eau} 2 qui correspondent à quatre phonèmes: /b/ - /a/ - /t/ - /o/. L’orthographe du français joue avec ces combinaisons entre graphèmes et phonèmes. On parle dans ce cas de correspondances et ce faisant, on se situe au niveau d’unités plus petites que le mot, appelées unités sublexicales. Le français écrit comporte deux types de correspondances 3 : a) 1 phonème = x graphèmes (ex. le son [ã] en finale s’écrit {ent} dans FROMENT, {ant} dans BRABANT, {an} dans BRELAN, {and} dans BRIGAND, etc.) ; b) 1 graphème = x phonèmes (ex. {is} en finale se prononce [i] dans RUBIS mais [is] dans MÉTIS). Ces deux cas de figure correspondent à deux grandes classes d’irrégularité (qui ne sont d’ailleurs pas exclusives) : les mots qui comprennent une séquence sublexicale homophone hétérographe (cf. a) et ceux qui comprennent une séquence sublexicale homographe hétérophone (cf. b). A nos yeux, l’irrégularité du français réside dans le fait que ces correspondances sont toujours en concurrence virtuelle dans la mesure où le système n’est pas univoque (un seul son systématiquement pour la même lettre). Notons en outre que l’orthographe ne peut être déduite d’aucune règle : on se réfère davantage à l’intuition ou à la mémoire qu’au raisonnement ou même à l’analogie pour savoir que CAROTTE prend deux {t} et un {r} ou que LAVABO ne finit pas par {eau}. Le premier constat, et cela n’est pas nouveau, est donc la grande irrégularité de l’orthographe du français. Si le terme « d’irrégularité » est juste, il n’est pourtant pas synonyme de pagaille : notre analyse montre en effet que plusieurs paramètres tendent à réduire de façon sensible cette irrégularité. Nous posons finalement trois catégories orthographiques : les mots réguliers (ex. LAVABO), les mots irréguliers (ex. ROBOT) et leurs préséants (ex. BATEAU). Elles sont assujetties à trois types de contraintes. 1) La longueur du graphème : un graphème à une lettre (ex. {f}) comporte une charge cognitive moins lourde qu’un graphème à plusieurs lettres (ex. {ph}). 2) Les mots irréguliers (ex. PRÉAU, CHEMINOT, DÉFAUT) sont définis par rapport à leurs préséants (ex. BATEAU, CADEAU, MANTEAU) avec lesquels ils partagent une séquence sublexicale homophone hétérographe : les mots préséants sont 1 Les exemples apparaissent en petite capitale 2 Les graphèmes apparaissent entre accolades 3 Voir aussi les travaux de Roch Lecours, 1996

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plus fréquents 4 que les mots irréguliers. 3) Cette catégorisation prend en compte l’influence de paramètres phonologiques sur l’orthographe puisque la préséance varie en fonction de la structure syllabique des mots. On constate par exemple que sur l’ensemble des mots de la langue finissant en [o], la graphie préséante est {eau} ; les graphies irrégulières sont {ot}, {o}, {os}, {aut}, etc. Mais si l’on considère les mêmes mots, en fonction cette fois de leur structure syllabique, la graphie préséante change (ex. elle reste {eau} pour CV CV BATEAU et pour CVC CV FARDEAU), mais elle devient {ot} pour CV CV CV CHEMINOT, {o} pour CV CCV MÉTRO. En outre, les mots finissant par une consonne suivie d’un e muet (ex. TOMATE) ont la plupart du temps une graphie simple ; l’irrégularité est réduite au doublement de la consonne. Ainsi l’orthographe dépend de façon relativement forte de la forme sonore des mots de la langue 5. En résumé, nous avons choisi de considérer les liens graphèmes / phonèmes en synchronie et uniquement dans leur rapport à la phonologie 6. L’orthographe des mots français est irrégulière mais certains paramètres phonologiques (structure syllabique) et psycholinguistiques (charge cognitive pour les réguliers, fréquence pour les autres) réduisent cette irrégularité. En somme, nous n’envisageons pas l’orthographe du français comme un phénomène discret de catégories exclusives de mots réguliers et irréguliers mais comme un continuum d’irrégularités. Etude du français parlé Passons maintenant au second alinéa de notre hypothèse et rappelons qu’il postule que l’organisation syllabique d’un mot est une source d’erreurs orthographiques. Cette hypothèse implique une analyse de la langue sous sa forme orale ; nous avons retenu la théorisation proposée par Encrevé (1988) pour le français standard. Son analyse phonologique postule que le lexique mental comporte des squelettes de mots correspondant « au nombre de places potentielles définissant un mot donné pour un locuteur donné, [c’est à dire] le nombre d’unités possibles que le locuteur attribue intuitivement à un mot mémorisé ». Cette conception du squelette permet à l’auteur de formaliser les relations entre les unités à travers des représentations phonologiques multidimensionnelles comportant trois plans (cf. figures 1, 2, 3 ci-dessous) : l’un indique les constituants syllabiques A (attaque), R (rime), N (noyau) et C (coda), l’autre, les segments phonologiques et le plan central correspond au squelette de positions (représenté par des points). L’interaction entre les divers plans est indiquée par 4 L’analyse est effectuée avec la banque de données Brulex qui contient 35746 entrées lexicales 5 Voir aussi Treiman et collaborateurs 1995 pour ce type d’analyse sur l’anglais 6 Voir les travaux de Catach pour une analyse différente

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des lignes d’association verticales ; une absence de ligne représente un élément flottant ou instable, c’est à dire susceptible de variation. Figure 1 : bateau

Figure 2 : super

Figure 3 : petit

La figure 1 représente une structure entièrement stable : chaque élément est relié au squelette ; ainsi, la consonne initiale de mot est définitivement interprétée comme attaque. En revanche, les figures 2 et 3 présentent des éléments instables. La consonne finale de SUPER est flottante syllabiquement (i.e. aucune ligne d’association entre la position squelettique et le constituant syllabique coda) en vertu du fait que cette consonne est soit enchaînée à gauche (ex. UN SUPER GARÇON) soit à droite devant un mot à initiale vocalique (ex. UN SUPER AMI). La figure 3 intègre la consonne de liaison (ex. PETIT) : elle est flottante segmentalement en vertu du fait qu’elle est soit réalisée (ex. UN PETIT AMI) soit non réalisée (ex. UN PETIT GARÇON) ; elle est flottante syllabiquement en vertu du fait que quand elle est réalisée, elle est soit enchaînée à l’initiale du mot suivant, soit non enchaînée. Sur le plan squelettique, la position sans association est disponible pour l’ancrage d’un segment ou d’un constituant syllabique. Ces trois consonnes ont une représentation différente en vertu de leur statut phonologique spécifique. Une telle analyse permet de sous-déterminer les liens qui existent entre les éléments phonologiques dans le lexique mental. Cette proposition linguistique est parfaitement compatible avec la définition qu’en donnent les psycholinguistes 7 et nous proposons que la nature des propriétés phonologiques du lexique mental correspond à la sous-détermination des représentations phonologiques analysées par Encrevé. Hypothèses Etayons maintenant nos hypothèses. L’hypothèse générale à poser est que le sujet dispose d’un lexique comportant des informations phonologiques précises basées sur le squelette de positions pures. Autrement dit, quand le 7 Voir Lecocq et Ségui, 1989

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sujet active la représentation phonologique d’un mot, il active un savoir sur sa configuration squelettique, en particulier sur le nombre de places que contient ce mot et sur le statut phonologique des positions. Ce savoir lexical serait disponible à l’intuition du sujet lorsqu’il met en œuvre une production écrite. Concernant le type de structures syllabiques, nous faisons l’hypothèse qu’une structure phonologiquement flottante est instable psycholinguistiquement et que, par conséquent, elle entraîne plus d’erreurs orthographiques qu’une structure fixe ou stable. Autrement dit, la difficulté à écrire un mot est proportionnelle à son instabilité syllabique. Si les propriétés phonologiques des segments induisent réellement des erreurs orthographiques, alors ces erreurs devraient varier en fonction du statut spécifique des segments. Aussi, les erreurs sur les consonnes finales en syntagme (contexte d’enchaînement, ex. SUPER AMI) et sur les consonnes de liaison (ex. PETIT AMI) ne devraient pas être les mêmes, compte tenu du statut phonologique spécifique de ces consonnes (cf. Etude du français parlé). Concernant la forme orthographique, nous faisons l’hypothèse que la concurrence des graphies virtuelles représente une source d’erreurs écrites. Autrement dit, la difficulté à écrire un mot conventionnellement est proportionnelle à son degré d’irrégularité. Nous postulons qu’un mot régulier (ex. LOTO) a un effet facilitateur et que, plus le mot est irrégulier (préséant, ex. PIPEAU ; irrégulier, ex. REPOS respectivement), plus cet effet s’atténue. Cette hypothèse suggère un effet de fréquence puisque les préséants sont établis en fonction de la fréquence d’usage des mots.

◆ Quelques résultats à l’appui Nous avons mené deux expériences pour tester analyse et hypothèses. Nous les présentons successivement dans les sections suivantes. Expérience 1 Présentation L’objectif de l’expérience 1 est d’évaluer les hypothèses sur l’organisation syllabique du mot et sur sa forme orthographique. Aussi, nous avons constitué un corpus de stimuli variant en fonction de ces 2 paramètres. Il contient 360 stimuli : 180 ont une structure instable et 180 une structure stable ; les 3 catégories orthographiques sont représentées dans chaque type de structure syllabique.

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Ces stimuli sont dictés dans un ordre aléatoire à 20 enfants de CE1 (âgés de 7/8 ans). Le traitement statistique des données est une analyse de variance 8. Résultats Nous avons fait l’hypothèse a) que la difficulté à écrire un mot est proportionnelle à son instabilité phonologique ; en conséquence, un mot à structure stable aurait un effet facilitateur tandis qu’un mot à structure instable aurait l’effet inverse et provoquerait plus d’erreurs et b) que la difficulté à écrire un mot est proportionnelle à son irrégularité ; en conséquence, plus le mot est régulier, moins il devrait comporter d’erreurs. Observons les histogrammes 1 et 2.

Variable dépendante : bonnes réponses

L’histogramme 1 indique bien un effet de l’organisation syllabique sur la réussite orthographique. Deux résultats sont remarquables : a) la structure stable CVCV BATEAU est celle qui entraîne le plus de bonnes réponses tandis que la structure instable CV CVC SUPER est celle qui entraîne le moins de bonnes réponses ; b) la structure syllabique instable CV CVCE LUNETTE présente plus de bonnes réponses que la structure stable CV CV CV LAVABO. L’histogramme 2 montre bien un effet de la forme orthographique sur la réussite orthographique : il y a respectivement et par ordre croissant, plus de bonnes réponses sur les réguliers puis sur les préséants puis, seulement, sur les irréguliers. Discussion Ecrire un mot sous sa forme conventionnelle dépend bien de sa structure syllabique (F 90.9 p.0001) et de sa forme orthographique (F 67.4 p.0001). En ce 8 Plan : S20*St4*Co3. Il comprend 2 structures syllabiques instables et 2 structures syllabiques stables ; à l’intérieur de chacune, les mots sont répartis en 3 catégories orthographiques : réguliers, irréguliers et préséants

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sens, nos résultats constituent a) une validation générale du rôle de la phonologie dans l’écriture puisque le nombre de bonnes réponses varie en fonction de la structure syllabique des mots b) une validation de l’analyse du français écrit selon laquelle, en français, on a plutôt affaire à un continuum d’irrégularités qu’à des catégories exclusives de mots réguliers versus irréguliers, compte tenu de leurs caractéristiques phonologiques. Examinons ces interprétations. L’effet de la catégorie orthographique du mot semble indéniable. Il est significatif sur chaque analyse et se traduit toujours de la même façon : quelle que soit la structure syllabique du mot, il y a respectivement plus d’erreurs orthographiques sur les mots irréguliers, puis sur les préséants puis sur les mots réguliers. En somme, plus le mot est irrégulier, plus il est source d’erreurs ; inversement, plus le mot est régulier, moins il est source d’erreurs. Des résultats similaires sont trouvés (entre autres) par Sprenger-Charolles (1992). Elle observe un effet de régularité (les mots réguliers sont lus et écrits plus facilement que les mots irréguliers) qui est indépendant de la fréquence du mot ; elle conclut que le traitement de l’information écrite s’effectue par recours à la médiation phonologique exclusivement (l’absence d’effet de fréquence est interprété comme l’absence d’un lexique orthographique). Une analyse plus précise des mots du français écrit nous a amenées à former une nouvelle catégorie orthographique fondée sur la fréquence (i.e. les mots préséants) et nous permet de préciser la nature de l’effet de régularité en question. Comme Sprenger-Charolles, nous observons bien un effet de régularité, c’est-à-dire moins d’erreurs sur les réguliers que sur les irréguliers, mais nous observons également un effet de fréquence puisqu’il y a aussi moins d’erreurs sur les préséants que sur les irréguliers. Nos résultats impliquent donc la présence simultanée d’un effet de régularité et d’un effet de fréquence ; ils ne peuvent en conséquence confirmer l’interprétation proposée par Sprenger-Charolles. Ils vont plutôt dans le sens de ceux de Goswami (1988), Rieben (1989) ou Rieben et Saada-Robert (1991) : ces auteurs postulent l’existence d’un stock mémorisé des formes graphiques les plus fréquentes, ce qui impliquerait plusieurs stratégies d’écriture. Cela étant, dire qu’il y a moins d’erreurs sur les réguliers que sur les autres mots ne suffit pas ; encore faut-il expliquer ces erreurs là. On peut suggérer, comme Treiman (1985) que des erreurs sur les mots réguliers ne peuvent révéler un problème d’irrégularité orthographique et reflètent plutôt des difficultés d’ordre phonologique. Nos résultats vont bien dans ce sens : les mots à consonne finale entraînent plus d’erreurs que les autres, quelle que soit la catégorie orthographique ; en outre, sur les réguliers, la structure syllabique est source de variation uniquement à cause de la structure CV CVC BAZAR. Ainsi, les réguliers instables entraînent plus d’erreurs orthographiques que les réguliers

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stables. Aussi peut-on conclure que les mots à consonne finale posent plus de problèmes que les mots à voyelle finale parce qu’ils sont phonologiquement instables et que l’instabilité phonologique constitue une source d’erreurs orthographiques. Les résultats sur les mots en e muet final impliquent une interprétation plus délicate. En effet, ils invalident notre hypothèse syllabique puisqu’ils présentent plus de bonnes réponses que les trisyllabes stables finissant par une voyelle autre que e muet. Deux types d’interprétation sont envisageables. La première interprétation consisterait à dire qu’il y a ici un conflit entre la forme orthographique du mot et sa forme phonologique. Bien qu’instables phonologiquement, les mots en e muet sont tous relativement réguliers du point de vue de l’orthographe (rappelons que leur irrégularité consiste en un doublement de la consonne) et cette caractéristique primerait sur l’autre. La seconde interprétation mérite plus d’attention. Considérons l’histogramme 3 sur la distribution des bonnes réponses sur les mots en e muet par rapport aux autres dans les différentes catégories orthographiques. Histogramme 3 : Interaction structure syllabique & catégorie orthographique

Variable dépendante : bonnes réponses

Les bonnes réponses semblent aléatoirement réparties. Dans la catégorie des réguliers (ex. DÉLICE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes réponses que CV CVC SUPER b) autant de bonnes réponses que CV CV MOTO c) autant de bonnes réponses que CV CV CV LAVABO. Dans la catégorie des préséants (ex. SILENCE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes réponses

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que CV CVC TENNIS b) moins de bonnes réponses que CV CV FÉLIN c) plus de bonnes réponses que CV CV CV MÉDECIN. Dans la catégorie des irréguliers (ex. TONNERRE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes réponses que CV cVC DÉPART b) autant de bonnes réponses que CV CV TAPIS c) plus de bonnes réponses que CV CV CV TABOURET. Si les mots en e muet ne présentaient pas de problème particulier du point de vue de l’orthographe (cf. première interprétation), ils devraient comporter systématiquement plus de bonnes réponses que les autres ; or ça n’est pas le cas : ils en comportent parfois plus, parfois moins, parfois autant. La seule régularité concerne le contraste entre ces mots et ceux qui comportent une consonne finale. C’est précisément cette variabilité qui nous amène à considérer qu’ils se comportent tantôt comme des structures instables et tantôt comme des structures stables. Nous dégageons de ce constat l’hypothèse que le locuteur toulousain traite ces mots comme des mots phonologiquement stables. Cette interprétation éclaire des résultats à priori incohérents : les mots en e muet présentent plus de bonnes réponses que la structure instable par excellence CV CVC BAZAR mais moins de bonnes réponses que la structure stable par excellence CV CV BATEAU ; ils présentent plus de bonnes réponses qu’une structure syllabique stable de 3 syllabes (ex. CV CV CV TABOURET) comportant par définition des mots plus irréguliers. Ces différents résultats apportent des vues nouvelles sur les erreurs orthographiques produites en période d’apprentissage : la régularité orthographique n’est pas la seule contrainte orthographique ; il faut également compter avec la fréquence lexicale et surtout avec l’information phonologique contenue dans les mots. Une seconde expérience est conçue pour appuyer ce dernier résultat. Expérience 2 Présentation L’objectif de l’expérience 2 est de vérifier si le statut phonologique des consonnes du français entraîne des erreurs spécifiques. Nous avons constitué un corpus de stimuli comprenant 493 syntagmes variant en fonction de différents contextes d’enchaînement (ex. SUPER AMI), de liaison (ex. PETIT AMI) et des contextes de contrôle (ex. SUPER JEU, PETIT JEU). La procédure est la même que dans l’expérience précédente mais les résultats font l’objet d’une analyse qualitative. Résultats et discussion sur les erreurs consonantiques en syntagme La comparaison entre les erreurs effectuées en contexte d’enchaînement et de liaison pointe une différence fondamentale entre les erreurs orthographiques affectant une consonne finale de mot et une consonne de liaison.

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Quel que soit le contexte à droite du syntagme, une voyelle (enchaînement) ou une consonne (contrôle), la consonne finale de mot entraîne surtout des erreurs sur le contexte à gauche du syntagme (1° mot du syntagme). Par conséquent l’attaque vide du 2° mot est largement préservée. La majorité des erreurs sont de simples omissions (ex. LEU ENFANT, AVOI PEUR), déplacements (ex. SUPRE AMI, DU FLI DASSIER) ou insertions d’un e muet (ex. BOCALE A CONFITURE, L’ARCE DE TRIONFE) ; elles ressemblent en tout point à celles de l’expérience 1 dans laquelle le contexte à droite était une pause. Aussi peut-on dire que le contexte à droite n’influence guère la réussite orthographique d’un mot à consonne finale. Les choses sont très différentes en contexte de liaison comme l’indique le tableau 1 ; observons que les erreurs sont plus complexes qu’en enchaînement et que contrairement à l’enchaînement, la liaison suscite le remplissage de l’attaque vide du second mot du syntagme. Tableau 1 : Types d’erreurs en contexte de liaison

Contexte gauche

Contexte droite

Exemples

1

CL correcte

CL rédupliquée

UN GRAND TAPELLE

2

CL par défaut

CL correcte

UN GROT SOURCE

3

CL omise

CL déplacée

UN GREN TABOME

4

CL correcte

CL hors contexte

UN LECUREUIL

5

CL correcte

CL du contexte

UN BOBJET

Types

Dans le type 1, on est en présence de deux consonnes de liaison et ce type d’erreurs est le plus fréquent. Dans le second cas, on observe à gauche une consonne de liaison par défaut, c’est-à-dire une consonne de liaison plausible mais qui n’appartient pas à celle de l’entrée lexicale tandis qu’apparaît à droite la consonne de liaison réelle. Dans le troisième cas, il n’y a pas compétition entre deux consonnes ; la consonne de liaison est omise à gauche et déplacée ou reportée à droite. Dans le quatrième cas, le contexte gauche est correctement orthographié mais, à droite, apparaît une consonne de liaison hors contexte, c’est-à-dire une consonne qui fait office de liaison mais qui ne constitue jamais une consonne de liaison. Dans le cinquième et dernier cas, la consonne de liaison est correctement sélectionnée et correctement positionnée mais à droite, une nouvelle consonne apparaît par réduplication mais ne joue jamais le rôle de liaison ; comme celles du premier type, ces erreurs sont fréquentes.

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Ainsi, un contexte de liaison n’entraîne pas les mêmes erreurs qu’un contexte d’enchaînement. Il semble qu’à chacune de ces consonnes correspond une stratégie d’écriture particulière. La présence d’erreurs dans les deux contextes de la frontière en liaison peut en effet signifier que l’enfant ne sait pas à quelle unité lexicale appartient cette consonne ; pour autant, le contexte de liaison semble repéré par l’apprenant qui tend à poser une « marque » entre les deux mots du syntagme. C’est en tous cas ce que semble indiquer la variété des erreurs en liaison, variété absente en enchaînement. En somme, ces erreurs suggèrent que dans la lexicalisation des mots comportant une consonne de liaison, ce segment flottant n’est pas représenté. Contrairement à une consonne finale de mot, une consonne de liaison n’aurait pas fait l’objet d’un processus de lexicalisation à cette période de l’apprentissage.

◆ Conclusion L’objectif de cette recherche est d’étudier la source des erreurs orthographiques en période d’apprentissage sous le double éclairage de la linguistique et de la psycholinguistique. Une approche théorique du français écrit et oral permet de proposer des hypothèses de travail très précises, testées expérimentalement. Les résultats indiquent que l’orthographe, analysée comme un continuum d’irrégularités est une source d’erreurs écrites, mais ça n’est pas la seule. La structure syllabique des mots impose aussi une contrainte orthographique sur la production écrite. Cette recherche, nouvelle en français, apporte une contribution à l’étude des processus d’apprentissage de l’écriture, susceptible d’améliorer les modèles développementaux en tenant compte de la proposition de l’organisation des connaissances phonologiques et orthographiques dans le lexique mental.

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La neuropsychologie cognitive de l’orthographe Helgard Kremin

Résumé Cette revue des troubles de l’écriture présente de l’évidence expérimentale en faveur de la notion de trois procédures différentes pour la production d’un stimulus dicté - à savoir (I) une voie lexicale activant des unités sémantiques, (II) une voie lexicale mais non sémantique et (III) une voie non lexicale où l’output est obtenu par un processus de conversion phonème-graphème. On insiste par ailleurs sur l’indépendance relative du mode de réalisation de la chaîne graphémique (écriture versus épellation orale). Mots clés : Traitement de l’information, écriture, épellation, pathologie.

A cognitive neuropsychological approach to spelling Abstract This review of the literature on central writing disturbances and presents empirical evidence indicating the existence of three different pathways leading to the production of written material from dictation : (I) a lexical pathway mediated by semantic analysis, (II) a lexical but non semantic pathway, and (III) a non lexical writing procedure based on phoneme-to-grapheme conversion. Special attention is given to the mode of production of the abstract grapheme sequence in writing as compared to oral spelling. Key Words : Information processing, writing, oral spelling, pathology.

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Helgard KREMIN 1 INSERM-CRI 9609 Laboratoire de Pathologie du Langage Bât. Nouvelle Pharmacie-3e étage Hôpital La Salpêtrière 47 Bd de l’Hôpital F - 75651 Paris cedex 13

◆ L’orthographe : approche neuropsychologique Il est évident que l’on peut écrire sans avoir recours à l’orthographe ou à une compréhension sémantique quelconque. De ce fait témoigne notre faculté de pouvoir écrire des logatomes, c’est-à-dire des syllabes qui, par définition, n’ont pas d’entrée lexicale dans le dictionnaire. Leur traitement se fait par utilisation de procédures non lexicales. S’il s’agit d’une tâche de dictée, la (re)production du stimulus auditif par la voie phonologique non lexicale comportera les étapes suivantes (cf. figure voie A) : après l’analyse auditive et la conversion acoustico-phonémique, la représentation phonologique de la séquence est stockée dans un buffer phonologique où se fait la segmentation en unités phonologiques en vue du transcodage en graphèmes par un processus de conversion phonème-graphème (CPG) ; la séquence de graphèmes ainsi produite est stockée dans le buffer graphémique en vue de l’application des traitements périphériques impliqués dans la réalisation écrite de la séquence de graphèmes. Les règles de correspondance entre phonèmes et graphèmes (CPG) sont « fixes », néanmoins elles permettent une grande variabilité lors de la production écrite. Ainsi, on distingue des phonèmes qui sont toujours transcodés sans équivoque en un seul graphème, par exemple : /a/ -> « a » /d/ -> « d ». Pour d’autres phonèmes, par contre, les règles de CPG permettent plusieurs réalisations graphiques différentes, par exemple : /i/ -> « i » ou « y » ; /f/ -> « f » ou « ph » ; /s/ -> « s » ou « c » ou « ss » ou « t » ou « ç », etc.

1 Adresse de correspondance : Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS. [email protected] - Tél. : 01 42 16 22 03 - Répondeur : 01 45 85 20 24 - Fax :01 53 79 08 25.

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Production orale

Production écrite/épelée

Représentation des mécanismes impliqués lors de l’écriture sous dictée : A : voie non lexicale ; B : voie lexicale B1 : voie lexico-sémantique ; B2 : voie lexicale directe

Mentionnons à ce propos que l’écriture par CPG ne semble pas dépendre des processus articulatoires : Bishop (1985 ; avec Robson, 1986) a observé que des sujets atteints de dysarthrie congénitale ou d’anarthrie peuvent écrire des logatomes au même niveau que les sujets témoins. L’utilisation exclusive de la voie non lexicale en écriture sous dictée permet la bonne reproduction de logatomes, mais elle ne garantit pas la reproduction de tous les mots de la langue. Ceci tient au fait qu’il n’y a pas de règles d’orthographe pour l’écriture de logatomes. L’écriture de mots, par contre, est régie par

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les conventions orthographiques de la langue. Ainsi, notre dictionnaire écrit contient une seule entrée lexicale pour la forme phonologique /fεzã/ -> faisan. L’écriture par simple CPG permettra pourtant d’autres réalisations de ce même stimulus auditif. Pour écrire correctement la plupart des mots de la langue, plus précisément ceux caractérisés par un certain degré d’ambiguïté orthographique ainsi que les mots irréguliers, il faut donc accéder au lexique orthographique. Le lexique orthographique est l’aire où l’orthographe globale des mots appris est stockée en mémoire. Il est généralement conçu comme contenant des descriptions abstraites des séquences de lettres formant des mots. Contrairement au postulat classique (cf. Geschwind, 1967) selon lequel la production écrite serait toujours secondaire à la production orale et dépendrait ainsi de cette dernière, l’approche dite du traitement de l’information (cf. figure d’après Morton, 1980) accorde à chaque mode de production (oral vs écrit) un statut lexical indépendant. De fait, la littérature présente des exemples témoignant d’une telle indépendance. Elle a été décrite entre déficits en dénomination orale et déficits en dénomination écrite (Bub & Kertesz, 1982a ; Hier & Mohr, 1977 ; Lhermitte & Dérouesné, 1974 ; Michel, 1979). Ainsi, le patient étudié par Lhermitte & Dérouesné (1974) dénomme bien par écrit noix, bicyclette et sauterelle tandis que les réponses orales sont une dam, une fogram, une trenam respectivement. L’indépendance des deux lexiques de sortie a également été décrite entre déficits en répétion / lecture et en écriture. Enfin, les deux patients étudiés par Caramazza & Hillis (1990) produisent de nombreuses erreurs sémantiques quand l’output est oral tandis que ce genre d’erreur ne s’observe pas lors de la production écrite. Initialement le lexique orthographique de sortie (en écriture) et le lexique orthographique d’entrée (en lecture) ont été conçus comme un lexique unitaire (Marshall & Newcombe, 1973). Ceci à cause du parallélisme parfois remarquable entre les performances en lecture et écriture de sujets atteints soit de dys lexie / dysgraphie 2 du type « profond » (par exemple Nolan & Caramazza, 1982 ; 1983) soit de dyslexie / dysgraphie du type « surface » (par exemple Kremin, 1980, 1985 ; Marcel, 1980). Il y a toujours des défenseurs du lexique orthographique unique (Allport & Funnell, 1981 ; Coltheart & Funnell, 1987 ; Katz & Deser, 1991) mais les modèles avec séparation entre un lexique orthographique graphique de sortie et un lexique orthographique d’entrée visuel (Morton, 1980 ; Ellis, 1982) jouissent d’une acceptation plus générale - (cf. Bub & Chertkow, 1989, et Tainturier, 1966, pour une discussion plus détaillée). Il est en effet possible que les associations de syndromes similaires en lecture et écri2 Le terme « dysgraphie », dérivé de la terminologie anglo-saxonne, est employé pour parler des troubles de l’orthographe et ne se réduit pas aux troubles concernant le graphisme.

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ture soient fortuites et seulement dues à la proximité des substrats lésionnels sous-jacents. Par ailleurs, les exemples de dissociations, c’est-à-dire des patterns de performances différents en lecture et en écriture s’accumulent. Ainsi Bub & Kertesz (1982b) ont présenté un cas de « dysgraphie profonde » sans « dyslexie profonde » associée. Howard & Franklin (1988) décrivent MK, un cas de « dysgraphie profonde » qui, en lecture, présente une « dyslexie de surface ». Une constellation similaire est rapportée pour GI, le cas étudié par Kremin (1994). Enfin, deux cas de « dysgraphie profonde » ont été décrits qui, en lecture, utilisaient la voie lexicale directe non sémantique (Coslett, 1991 ; Kremin, 1987). Da ns ce contexte, mentionnons égale ment qu’un suj et a tteint de « dysgraphie/dyslexie de surface » (FRA - Kremin, 1980), montrait, en répétition, une « dysphasie profonde » (BF - Goldblum, 1979). Rappelons encore que RG, le cas princeps de Beauvois & Dérouesné (1979 ; 1981), pouvait écrire des logatomes qu’il ne pouvait pas lire et lire des mots irréguliers qu’il ne pouvait écrire. Toutefois, selon Allport & Funnel (1981) qui défendent l’hypothèse d’un lexique orthographique unique, commun à l’écriture et à la lecture, le cas de RG serait « neutre » par rapport au problème du lexique unique ou multiple : en effet, ils postulent, pour l’écriture non lexicale, un mécanisme séparable, disconnecté du lexique orthographique. En dictée, la transmission de l’information jusqu’au lexique orthographique de sortie se fait par les étapes suivantes : après l’analyse auditive, l’information atteint le lexique phonologique d’entrée dans lequel sont stockées les formes phonologiques des mots que l’individu est capable de reconnaître auditivement. Si le sujet reconnaît la forme phonologique du mot dicté, cette information va activer la représentation sémantique correspondante dans le système cognitif qui, à son tour, va permettre l’activation d’une représentation graphémique dans le lexique orthographique. Cette voie pour l’écriture des mots est donc lexicale et sémantique (cf. figure voie B1). Le niveau d’analyse sémantique n’a que très peu été discuté dans le cadre des modèles théoriques. Seules les erreurs sémantiques produites par des patients présentant une perturbation des mécanismes de transcodage ont donné lieu à des essais de descriptions plus précises quant à la localisation de la lésion fonctionnelle au cours du traitement du stimulus (par exemple Hillis et al., 1990). Le niveau de l’analyse grammaticale, c’est-à-dire l’effet des parties du discours sur les performances est également peu précisé et son interprétation reste contradictoire. Selon le modèle de Morton les analyses grammaticale et sémantique sont effectuées lors de l’étape de traitement par le système cognitif. Un éventuel effet catégoriel se situerait donc à ce niveau central du savoir ou

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relèverait d’un problème de transmission de l’information vers les lexiques de sortie. Selon d’autres auteurs, l’organisation catégorielle concerne aussi les lexiques de sortie (par exemple Baxter & Warrington, 1985 ; Caramazza & Hillis, 1991). Mais dès l’élaboration de son modèle cognitif pour l’écriture, Morton (1980) envisage la possibilité d’une voie lexicale directe à côté de la voie lexico-sémantique que nous venons de décrire. Cette voie traite les mots de la langue, mais elle est non sémantique : elle procéderait par activation directe des représentations orthographiques à partir des représentations phonologiques contenues dans le lexique phonologique d’entrée, sans médiation sémantique (cf. figure voie B2). Selon cette position, il devrait y avoir des patients qui écrivent correctement des mots qu’ils ne comprennent pas. Morton (1980) rapporte ce cas de figure. En dictée, Gail écrivait correctement PLOUGH, un mot irrégulier qu’elle ne pouvait pas définir : « J’ai oublié ce que c’est... je le vois dans un champ... une espèce de machine... ça a à faire avec la terre... ». Le fait que la patiente ait produit la forme graphique PLOUGH, orthographiquement correcte (et non PLOW qui aurait été le résultat d’un traitement non lexical par CPG) témoigne de l’utilisation de la voie lexicale directe. Par ailleurs, Ellis (1982) a postulé l’existence d’une telle voie non sémantique pour rendre compte, dans la production écrite de sujets normaux, de lapsus homophoniques, comme par exemple there -> their, wait -> weight. Ce qui rend ces erreurs remarquables c’est que l’homophone produit répond à des règles de CPG atypiques, l’exemple pertinent en français serait « vingt » pour « vin ». La possibilité d’une médiation phonologique est donc exclue. De telles erreurs tendraient à prouver que, dans certains cas, l’entrée dans le lexique orthographique de sortie résulterait d’une activation directe du lexique phonologique d’entrée, sans médiation sémantique. Enfin, les chaînes de graphèmes (transmises soit par le lexique orthographique de sortie soit par la voie de CPG) aboutissent au buffer graphémique, une mémoire tampon dans laquelle ces séquences (correspondant à des mots et des non-mots) sont temporairement stockées. Le maintien en mémoire de travail de la séquence globale serait nécessaire pour empêcher que l’information graphémique ne se dégrade pendant le temps requis pour sa réalisation concrète écrite. Il a été démontré (Caramazza & Miceli, 1990) que les représentations graphémiques ne consistent pas en simples séquences linéaires de graphèmes mais correspondent à des structures multidimensionnelles spécifiant (I) l’identité des graphèmes, (II) leur statut en tant que consonne ou voyelle ainsi que (III) la structure grapho-syllabique à l’intérieur de la séquence graphémique. Les recherches en pathologie du langage suggèrent qu’une quatrième dimension

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porte sur le nombre de graphèmes spécifiés : lettre isolée vs lettres doubles (Miceli et al., 1995 ; Venneri et al., 1994). Après le niveau du buffer graphémique les modèles postulent une séparation des voies de traitement selon les diverses modalités de production : écriture manuelle, frappe à la machine à écrire, lettres mobiles, épellation orale (Ellis, 1982 ; Margolin, 1984). Pour l’écriture au sens propre (c’est-à-dire l’écriture manuelle), le système allographique constitue la première étape de traitement vers la réalisation de la lettre. On désigne sous le terme allographe les différentes représentations possibles d’un même graphème quant au style (cursive / imprimerie) et à la casse (majuscule / minuscule). L’étape suivante concerne l’activation du programme moteur spécifique de la lettre cible. Le pattern moteur déterminerait la forme envisagée de l’allographe : la taille, l’ordre et la direction des traits qui forment la lettre manuscrite. Finalement, ce code activerait les instructions neuromusculaires spécifiques pour l’exécution des mouvements d’écriture - (cf. Ellis, 1988, et Lambert, 1996, pour une présentation détaillée des « dysgraphies périphériques »).

◆ Les troubles de l’écriture caractérisés par une perturbation de l’orthographe Des patients manifestant une atteinte relativement sévère de la procédure lexicale avec préservation du fonctionnement de la voie non lexicale par CGP ont été décrits. Ils souffrent du syndrome de « dysgraphie lexicale » ou, par analogie avec le trouble spécifique de lecture, de « dysgraphie de surface » (par exemple Beauvois & Dérouesné, 1981 ; Hatfield & Patterson, 1983 ; Baxter & Warrinton, 1987 ; Goodman & Caramazza, 1986a ; cf. aussi Patterson, Marshall & Coltheart, 1985). Ces patients sont capables d’écrire des logatomes mais l’orthographe fait défaut quand il s’agit d’écrire des mots. Le premier cas « type » étudié par Beauvois & Dérouesné (1981) réussit l’écriture sous dictée de logatomes à 99%, tandis que l’écriture des mots se caractérise par de nombreuses erreurs orthographiques reproduisant généralement une forme homophone au mot cible (comme par exemple, moelle -> moile, sens -> cence ; ciseaux -> sizo ; fuel -> fioul ; femme -> famme). Conformément à la notion de procédure d’écriture par transcodage, on constate l’absence d’influence de tout paramètre lexical : ni la concrétude, ni l’imagerie, ni la classe grammaticale du mot n’exercent une influence sur les performances du sujet utilisant la voie non lexicale. Par contre, l’orthographe c’est-à-dire le degré d’ambiguïté orthographique et l’irrégularité constituent les variables cruciales de ce trouble de l’écriture. Dans l’étude de Roeltgen & Heilman (1984), le groupe de 4 patients atteints de dys-

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graphie lexicale écrivait bien 73% des mots réguliers pour seulement 44% de réussite lors de la dictée de mots irréguliers. En ce qui concerne le degré (bas, moyen et haut) d’ambiguïté orthographique des mots, les réussites du même groupe de sujets se situaient à 95%, 88% et 65%. Soulignons que les relations entre son et forme graphique ne dépendent pas nécessairement d’une simple correspondance entre phonèmes et graphèmes isolés. Baxter & Warrington (1987) ont en effet montré que le sujet K.T. était capable de produire, pour chaque son étudié, les différents types de transcodage possibles - sans toutefois les utiliser selon la fréquence avec laquelle ils surviennent dans la langue. Il y a probablement plusieurs variétés de déficits responsables de l’utilisation prépondérante, voire exclusive, de la voie non lexicale, même si les déficits sous-jacents n’ont généralement pas été recherchés. Rappelons cependant que comme dans le cas du syndrome de « dyslexie de surface », les sujets se distinguent en ce qui concerne la compréhension du stimulus : KT (Baxter & Warrington, 1987), un sujet atteint d’aphasie transcorticale ne possédait pas de compréhension sémantique tandis que HAM (Kremin,1985) comprenait bien les stimuli. Ainsi, les lésions fonctionnelles sous-jacentes à l’écriture non lexicale pourraient concerner (I) le système sémantique, (II) le lexique phonologique d’entrée, (III) le lexique orthographique de sortie. En effet, la dysorthographie de type « surface » a également été observée en dénomination écrite et en écriture spontanée (Beauvois & Dérouesné, 1981). Ce cas de figure témoignerait d’une perte des représentations orthographiques ou d’un problème d’accès au lexique orthographique de sortie.

◆ Troubles de l’écriture caractérisés par la préservation relative de l’orthographe De nombreuses études ont confirmé le fonctionnement d’une procédure lexicale pour l’écriture des mots malgré une atteinte parfois totale de la voie non lexicale par CPG. Ces patients sont incapables d’écrire des logatomes. Quant à l’accès au lexique orthographique, les performances de ces malades sont bonnes en ce sens que l’orthographe conventionnelle de la langue est respectée. La dimension régularité / irrégularité n’intervient donc pas sur les performances. Le premier cas de « dysgraphie phonologique » due à l’atteinte spécifique de la voie non lexicale a été présenté par Shallice (1981) : RP écrivait bien les mots (94%) alors que l’écriture des logatomes était très déficitaire (18% de réussites). Toutefois, comme plusieurs autres sujets atteints de dysgraphie phonologique décrits par la suite (par exemple Baxter & Warrington, 1985 ; Good-

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man & Caramazza, 1987 ; Roeltgen et al., 1983), RP montrait un effet de classe grammaticale, les mots fonctionnels conduisant à plus d’erreurs. Que ce déficit sur les mots fonctionnels (qui sont pourtant bien répétés) reflète un trouble associé ne relevant pas du dysfonctionnement de la voie non lexicale a été démontré par la description de cas plus « purs » qui n’avaient aucune difficulté particulière avec cette catégorie de mots (Bub & Kertesz, 1982a ; Roeltgen & Heilman, 1984 : cas n° 5 et 8). Dans un autre syndrome qui témoigne également d’une atteinte de la voie non lexicale pour l’écriture, appelé « dysgraphie profonde », on observe, de manière systématique, un effet de la classe grammaticale des mots. Toutefois, c’est la production de paragraphies sémantiques qui en est le signe majeur (par exemple, Bub & Kertesz, 1982b ; Hatfield, 1982 ; Nolan & Caramazza, 1983 ; Patterson & Shewell, 1987). La comparaison des performances de JC, un sujet anglophone étudié par Bub & Kertesz (1982b), et de GI, un sujet francophone étudié plus récemment (Kremin, 1994), montre une grande similarité d’un point de vue quantitatif. Dans les deux cas, l’écriture de logatomes était sévèrement atteinte : 5% de réussite pour JC et 0% de réussite pour GI. La dictée des mots montre l’influence de la classe grammaticale et du degré de la concrétude : les performances respectives sont 83% et 75% sur les noms concrets, 40% et 25% pour les noms abstraits, 35% et 20% pour les verbes et 30% et 8% pour les mots fonctionnels. Par ailleurs, chez les deux patients, on ne note aucune influence du degré d’ambiguïté orthographique. Chez le sujet francophone, on a également évalué l’influence de la fréquence des mots. Elle n’exerce aucune influence systématique sur les performances en écriture : les noms concrets de haute fréquence sont réussis à 65% (13/20) et ceux de basse fréquence à 85% (17/20) ; les noms abstraits de haute fréquence sont réussis à 10% (2/20) et ceux de basse fréquence à 40% (8/20) ; les verbes de haute fréquence sont réussis à 25% (5/20) et ceux de basse fréquence à 15% (3/20). Toutefois, les lésions fonctionnelles qui donnent lieu à ces performances quantitativement similaires ne sont pas identiques. Chez JC, les auteurs concluent à une atteinte au niveau du lexique orthographique de sortie puisque la compréhension écrite et orale du sujet est relativement préservée. En revanche, chez GI nous devons surtout évoquer une difficulté de transmission entre le lexique phonologique d’entrée et le système sémantique. En effet, en dépit d’une bonne reconnaissance des mots présentés auditivement (jugée d’après les performances dans une tâche de décisions lexicales auditives), GI les « comprend » beaucoup moins bien que lors de la présentation visuelle. Discutons, à titre d’illustration, les performances de GI lors de tâches concernant les verbes. Le patient qui souffre d’un déficit spécifique quant à la production de

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verbes (Kremin, 1994), dénomme par écrit 60% (18/30) des images d’actions. L’écriture sous dictée des mêmes noms d’actions pourtant ne donne lieu qu’à 23% (7/30) de réussite. Mais alors pourquoi ce même stock lexical de 18 noms d’actions (qui est bien produit en dénomination écrite) ne peut-il pas être réalisé sous dictée ? Pour répondre à cette question, nous avons comparé deux tâches différentes : l’écriture sous dictée de noms d’actions présentés (I) comme mots isolés et (II) dans un contexte phrastique (par exemple « SORTIR » : le concierge sort de la maison). Quand les verbes sont dictés comme mots isolés, l’échec du patient est élevé : seulement 23% de réussite, comme déjà mentionné. Par contre, quand ces mêmes noms d’actions sont dictés dans le contexte d’une phrase, le sujet atteint un score similaire en dictée et en dénomination écrite (56% et 60%). Ce pattern de performances paraît suggérer que le patient a besoin d’un « surplus » d’information en présentation auditive pour atteindre le degré d’information offert par une image lors de la dénomination. Sur la base de ces constatations, on évoquerait donc un problème d’accès à la compréhension. Ce trouble de compréhension n’est pas central mais bien spécifiquement lié à l’accès en modalité auditive. Chez d’autres sujets, la production d’erreurs sémantiques en écriture semble liée à une perturbation au niveau du système sémantique. Une étude particulièrement détaillée de ce genre de lésion fonctionnelle a été présentée par Hillis et al. (1990). Elle concerne le sujet KE : soulignons à ce propos que malgré son incapacité d’utiliser les mécanismes de transcodage non lexical en écriture et en lecture, KE ne présentait pas le pattern typique de perturbations « profondes ». Une telle constellation est toutefois en accord avec la notion d’une indépendance relative des lésions fonctionnelles sous-jacentes à la production d’erreurs sémantiques et l’effet des parties du discours (cf. Roeltgen et al., 1983 ; voir aussi Kremin, 1982). L’ensemble des données que nous venons de citer semble permettre d’envisager des « localisations fonctionnelles » bien différentes pour la production d’erreurs sémantiques en dictée. Tout comme pour la lecture des mots isolés (Kremin, 1989), on distinguera donc (I) la possibilité de problèmes d’accès auditif (au niveau du lexique phonologique d’entrée ou au niveau de l’accès aux représentations sémantiques), (II) des perturbations centrales au niveau de l’analyse sémantique et (III) des déficits post-sémantiques au niveau du lexique orthographique, soit au niveau des représentations elles-mêmes soit au niveau des processus permettant d’accéder à ces représentations à partir du système sémantique. Enfin, toutes les observations citées de patients avec perturbation de l’écriture phonologique et préservation relative de l’orthographe - souffrant

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donc de dysgraphie phonologique ou de dysgraphie profonde - sont compatibles avec la notion d’une voie sémantique pour l’écriture sous dictée de mots. En fait, les patients qui éprouvaient des difficultés lors de l’écriture de mots fonctionnels en éprouvaient aussi pour les comprendre. Ceci s’applique aussi bien à la dysgraphie phonologique décrit par Shallice (1981) qu’à des cas de dysgraphie profonde (par exemple JC - Bub & Kertesz, 1982b). Enfin, MH, le cas de dysgraphie phonologique (Bub & Kertesz, 1982a) qui écrivait bien les mots fonctionnels n’avait pas de difficulté de compréhension. En revanche, un sujet atteint de dysgraphie phonologique (Baxter & Warrington, 1985) présente un tableau tout à fait exceptionnel. Malgré la préservation d’une bonne compréhension orale et écrite, on observait un effet de la classe grammaticale et du degré de concrétude en dictée. GOS (Baxter & Warrington, 1985) écrivait seulement 6% (2/30) des logatomes. La dictée des mots ne révélait aucune influence du degré de régularité phono-graphémique ou de la fréquence. Par contre, on observait une influence du degré de concrétude (mots concrets : 97% ; mots abstraits : 69%) et de la classe grammaticale qui, elle, était indépendante de la dimension concret/abstrait (verbes : 62% ; noms : 86% de réussites). Selon l’interprétation standard, ce pattern de performance pourrait s’expliquer par des difficultés post-sémantiques d’accès au lexique orthographique touchant différemment les diverses catégories de stimuli. Les auteurs préfèrent néanmoins une autre interprétation basée sur la notion d’un accès direct (non sémantique) au lexique orthographique qui, lui, serait organisé de manière catégorielle. En cas de disconnection entre le niveau de traitement sémantique et le lexique orthographique (et en l’absence de toute écriture par CPG), l’écriture sous dictée de la patiente dépendrait d’associations directes entre le lexique phonologique d’entrée et le lexique orthographique de sortie. Si la documentation du cas présenté par Baxter et Warrington ne permet pas de trancher entre les deux interprétations possibles, d’autres cas peuvent être cités en faveur de la notion d’associations directes pour l’écriture des mots.

◆ L’écriture asémantique : la notion d’associations directes entre la forme phonologique et orthographique des mots Quelques études de cas semblent en effet témoigner de la réalité psychologique d’une voie directe, c’est à dire lexicale mais non sémantique, pour l’écriture sous dictée de mots isolés. Patterson (1986) décrit le sujet GE qui n’était pas tout à fait muet mais ne produisait quasiment pas d’output oral que ce soit en langage spontané, dénomination et lecture. L’écriture sous dictée, en revanche, était possible et se caracté-

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risait par la meilleure production de mots (entre 54% et 78% de réponses correctes) que de non-mots (environ 33%). Lors de la dictée, ni la régularité ni la dimension concrète/abstraite des stimuli n’avaient d’influence sur les performances du sujet. Par ailleurs, le patient ne produisait pas d’erreurs sémantiques lors de la dictée, tandis que ce type d’erreurs se manifestait lors de la dénomination écrite (c’est-à-dire lors d’une tâche impliquant un traitement sémantique). Enfin, Patterson observe également une différence quant au traitement des stimuli auditifs : lors de la compréhension de mots (testée au moyen de tâches de choix multiples), la concrétude des stimuli jouait un rôle important ; toutefois, cette variable n’intervenait pas sur les performances en dictée. En l’absence (I) de la compréhension des stimuli et (II) d’écriture par CPG, l’écriture sous dictée de GE se faisait par voie directe, lexicale mais non sémantique. Le patient Michel (Kremin, 1987) doit également être cité quand on aborde la possibilité d’une voie lexicale directe pour l’écriture. Dans un premier stade, ce malade présentait une « dysgraphie profonde » typique (avec de nombreuses paragraphies sémantiques et l’impossibilité d’écrire des logatomes) ainsi qu’un trouble sévère de la compréhension de mots présentés auditivement. Quand nous avons pu réexaminer le patient 6 et 12 mois plus tard, les performances dans diverses tâches de compréhension de substantifs étaient aussi faibles que lors des premiers examens. Toutefois, malgré la persistance du trouble massif de la compréhension de mots, le patient ne produisait plus d’erreurs sémantiques lors de l’écriture sous dictée. Soulignons à ce propos que ce changement de pattern d’erreurs ne s’explique pas par la réutilisation éventuelle de l’écriture par transcodage entre phonèmes et graphèmes : à ce stade, Michel était toujours incapable d’écrire des logatomes. D’un autre côté, la (re)production de mots écrits ne paraissait pas non plus être médiatisée par l’analyse ou la compréhension sémantique comme le suggèrent les observations suivantes. En effet, nous avions soumis au malade une liste de 60 noms présentés auditivement. Pour chaque item, la consigne était la suivante : « Répétez le nom et décidez par OUI/NON si vous le comprenez ; ensuite seulement écrivez le mot cible ». Il s’avère alors que le malade écrit correctement autant de mots avec et sans compréhension simultanée. La moitié des mots réussis en dictée est donc bien produite même si le patient avoue ne pas les comprendre. Une telle écriture sans compréhension constitue évidemment l’argument principal en faveur d’une voie directe lors de l’accès auditif en dictée. Finalement, Goodman & Caramazza (1986b) ont étudié le patient JG, dont les performances tout à fait singulières en écriture sous dictée sont compatibles avec la notion d’une voie directe. Soulignons tout d’abord que la conversion acoustico-graphique par CPG était préservée. En fait, JG écrivait les loga-

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tomes mieux que les mots (100% vs 65%). Lors de l’écriture de mots, on ne notait aucune influence des facteurs sémantico-syntaxiques : les scores relatifs à l’écriture de noms, verbes, et mots fonctionnels étaient identiques ; de même, la concrétude des stimuli ne jouait aucun rôle. Toutefois, l’écriture des mots était déficitaire. Les auteurs contrôlaient d’abord les capacités d’accès auditif à la compréhension sémantique des mots : or JG pouvait donner (par écrit) des définitions adéquates de mots présentés auditivement. La lésion fonctionnelle doit donc se situer à un stade postérieur au traitement sémantique, c’est à dire au niveau de l’accès au lexique orthographique de sortie. Si tel est le cas, le déficit devait être indépendant de la tâche expérimentale mobilisant ce niveau de traitement de l’information. C’est en étudiant les performances du sujet lors de la dénomination écrite d’images que les auteurs constataient que la fréquence des items à dénommer intervenait de manière significative (les items de basse fréquence entraînant plus d’erreurs). Sur la base de ces constations, Goodman et Caramazza décidaient d’explorer, de manière plus détaillée, l’accès au lexique graphique chez JG. Les auteurs utilisaient la tâche d’écriture sous dictée de mots qui sont homophones mais non homographes (comme, par exemple, sel-selle ; thym-teint ; etc.). Ces mots étaient présentés auditivement et suivis d’une définition brève ; puis le mot cible était à nouveau présenté isolément au patient qui devait l’écrire. Les stimuli homophones étaient répartis en trois listes expérimentales selon la fréquence des items : (a) une liste comportant des paires d’homophones de fréquence élevée ; (b) une liste comportant des paires de basse fréquence ; (c) une liste comportant des paires d’homophones dont l’un est plus fréquent que l’autre. Selon l’hypothèse de travail des auteurs, les paires de basse fréquence risquaient de ne pas atteindre les seuils d’activation permettant un output écrit par accès au lexique. (Les paires de basse fréquence pouvaient donner lieu à une production de non-mots phonologiquement plausibles car JG disposait aussi de l’écriture par CPG). En revanche, les paires de haute fréquence devaient être écrites de manière orthographiquement correcte. Enfin, l’écriture sous dictée des paires d’homophones « composites » était susceptible de produire un pattern bien spécifique, caractérisé par une tendance à substituer son homologue de haute fréquence, à un item de basse fréquence, c’est à dire à confondre les homophones. Ces différents effets attendus ont été observés. En ce qui concerne les paires « composites », on a relevé 65% de confusions entre homophones, les erreurs se produisant selon la direction prévue. A nouveau, ces résultats sont compatibles avec la notion d’une voie directe, lexicale mais non sémantique, pour l’écriture de mots isolés.

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◆ Troubles de l’écriture empêchant la réalisation de l’orthographe L’information traitée par les voies lexicales ou par la voie non lexicale est envoyée au buffer graphémique. Il s’agit d’une « mémoire tampon », un système mnésique à court terme dont le rôle serait de maintenir l’information le temps nécessaire pour l’application des traitements périphériques entraînant une forme graphique (les lettres) ou en nom de lettres (en vue de l’épellation orale). De ce fait, le buffer graphémique occupe une place centrale entre l’accès aux représentations orthographiques et leur réalisation concrète. Il constitue la première composante périphérique de la production écrite. En conséquence, une perturbation à ce niveau affecte autant l’écriture des mots que celle des logatomes. A ce niveau du traitement, les « graphèmes » sont des entités abstraites qui ne sont pas encore dotées d’un format précis ; c’est le niveau de traitement suivant, le système allographique, qui constitue la première étape de traitement vers la réalisation de la lettre selon différents types de caractères (majuscule, minuscule) et de style (cursive, imprimerie). Initialement, le buffer graphémique était considéré comme spécifiquement lié à l’écriture. L’étude du patient LB (Caramazza et al., 1987) a permis de définir un ensemble de critères servant à identifier une perturbation sélective à ce niveau. Ainsi, le taux d’erreurs croît en fonction de la longueur des stimuli, mots ou logatomes. Les erreurs consistent en des substitutions, omissions, ajouts et transpositions de lettres, reflétant la dégradation de la représentation graphémique lors de son stockage temporaire. Cette dégradation est indépendante de la tâche (dictée, dénomination écrite, épellation orale, copie différée), du statut lexical (mots, logatomes) et indépendante de variables psycholinguistiques (fréquence, degré de concrétude, classe grammaticale des mots). Les erreurs qui respectent la catégorie de la lettre cible (consonne, voyelle) produisent des logatomes non homophones au stimulus auditif. Récemment, on a avancé que le buffer graphémique jouait aussi un rôle en lecture (Caramazza et al., 1996). Selon cette hypothèse, le buffer graphémique permettrait également de maintenir le niveau d’activation de séquences graphémiques préalablement à la préparation de la réponse verbale. Mais en lecture on n’observerait une répercussion que sur la lecture de logatomes, processus séquentiel par l’application des procédures de conversion grapho-phonémique. En revanche, l’effet de la longueur n’interviendrait point sur la lecture de mots à cause de l’accès direct au lexique orthographique. Enfin, seul un nombre élevé d’erreurs de transposition permettrait de conclure à une perturbation du buffer, la production de substitutions, omissions et ajouts ne permettant pas de trancher entre perturbation des mécanismes de conversion et déficit du buffer graphémique.

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◆ Ecrire et épeler : des modalités différentes pour réaliser l’orthographe Après le traitement au niveau du buffer graphémique, qui est commun pour tous les stimuli, s’opère le choix de savoir si l’information graphique doit être réalisée en tant que lettre écrite ou en tant que nom de lettre. Le modèle prédit qu’en l’absence d’une perturbation au niveau des allographes, les performances en écriture et en épellation orale devraient être similaires. Il existe peu de travaux sur la comparaison des performances de patients en écriture sous dictée et en épellation orale des mêmes stimuli auditifs. Roeltgen & Heilman (1984) ont comparé les résultats aux deux tâches chez sept de leur patients. Les performances de deux sujets (n°2, 6) se situent au même niveau (74%-75% et 80%-84% respectivement). Ces patients (bien que souffrant de troubles centraux - l’un d’une dysgraphie de surface, l’autre d’une dysgraphie phonologique) ne souffraient donc d’aucune atteinte (supplémentaire) des mécanismes périphériques. Les autres patients manifestaient une différence de score entre dictée et épellation. En fait, pour trois cas (n°1,3,4 - tous atteints de dysgraphie lexicale), l’épellation orale était supérieure à l’écriture sous dictée. Chez deux autres sujets (n°7,8), l’épellation était plus perturbée que la dictée (75%-35% et 93%-78% respectivement). Le cas de dysgraphie profonde récemment présenté par Cipolotti & Warrington (1996) montrait également des performances supérieures en dictée. Ces dissociations confirment l’indépendance des deux mécanismes de production entrant en jeu après le niveau du tampon graphémique : d’un côté, ‘le code physique de la lettre’ et de l’autre, ‘le code du nom de la lettre’. Enfin, quelques études (Roeltgen et al., 1986 ; Lesser, 1989) suggèrent que plusieurs patients ont préservé la possibilité d’épeler des mots par une procédure lexicale mais non sémantique puisque l’épellation était indépendante de la compréhension sémantique des stimuli. Kinsbourne & Rosenfield (1974) ont présenté la première étude d’un patient, CM, dont l’écriture sous dictée était plus perturbée que l’épellation orale. Margolin (1984) cite cinq cas qui ont des performances supérieures en épellation orale par rapport à l’écriture sous dictée. Généralement, ce cas de figure est interprété comme témoignant de difficultés praxiques. Toutefois, en ce qui concerne le cas CS récemment présenté par Lesser (1990), un problème pour la réalisation des lettres ne peut être invoqué pour expliquer le pattern observé. En fait, chez CS l’épellation orale est supérieure : 2/24 erreurs par rapport à 16/24 erreurs en dictée. Mais l’épellation orale est également différente du point de vue qualitatif. D’un côté, le patient peut épeler des logatomes (18/24) qu’il ne peut pas du tout écrire sous dictée. D’un autre côté, la

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régularité phono-orthographique des mots ne joue aucun rôle lors de la dictée tandis que, en épellation orale, les mots réguliers sont bien mieux réussis que les mots irréguliers (19/24 vs 12/24). En résumé, le patient montre le pattern de ‘dysgraphie de surface’ en épellation orale (par voie non lexicale) et le syndrome de ‘dysgraphie phonologique’ en écriture sous dictée (par voie lexicale). Une différence qualitative des erreurs en épellation orale et en dictée a également été observée chez deux autres patients (Goodman & Caramazza, 1986 ; Hodges & Marshall, 1996). Le patient JJH, présenté par Hodges & Marshall (1996), ressemble au patient de Lesser (1990). En épellation orale, il montrait le tableau d’une dysgraphie de surface : on notait un effet de régularité, et les erreurs étaient en majorité (53%) des productions phonologiquement plausibles. En revanche, seulement 13% des erreurs en dictée étaient de ce type, les autres erreurs consistant en substitutions, omissions ou ajouts. Les formes actuelles des modèles d’écriture ne peuvent pas rendre compte de ce genre de dissociation. En effet, selon le modèle « standard » auquel nous avons fait référence ici, une dysgraphie de surface devrait affecter l’écriture sous dictée aussi bien que l’épellation orale puisque la lésion fonctionnelle (perturbation au niveau des représentations orthographiques ou perturbation au niveau de l’accès à ces représentations) se situe en amont de l’application des processus périphériques. D’autres études de cas sont donc nécessaires pour préciser les dissociations observées en vue de leur intégration dans un modèle de l’orthographe éventuellement modifié. REFERENCES ALLPORT, A. & FUNNELL, E. (1981). Components of the mental lexicon. Philosophical Transactions of the Royal Society of London, B295, 397-410. BAXTER, D.M. & WARRINGTON, E.K. (1985). Category specific phonological dysgraphia. Neuropsychologia, 23, 653-666. BAXTER, D.M. & WARRINGTON, E.K. (1987). Transcoding sound to spelling : Single or multiple sound unit correspondence ? Cortex, 23, 11-28. BEAUVOIS, M. F. & DEROUESNE, J. (1979). Phonological alexia: Three dissociations. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 42, 1115-1124. BEAUVOIS, M. F. & DEROUESNE, J. (1981). Lexical or orthographic agraphia. Brain, 104, 21-49. BISHOP, D.V.M. (1985). Spelling ability in congenital dysarthria : evidence against articulatory coding in translating between phonemes and graphemes. Cognitive Neuropsychology, 2, 229-251. BISHOP, D.V.M. & ROBSON, J. (1989). Accurate non-word spelling despite congenital inability to speak : phoneme-grapheme conversion does not require subvocal articulation. British Journal of Psychology, 80, 1-13. BUB, D. & CHERTKOW, H. (1989). Agraphia. In F. Boller & J. Grafman (Eds.), Handbook of Neuropsychology. Vol. 1. Amsterdam : Elsevier Publishers. 393-414. BUB, D. & KERTESZ, A. (1982a). Evidence for lexicographic processing in a patient with preserved written over oral single word naming. Brain, 105, 697-717. BUB, D. & KERTESZ, A. (1982b) ; Deep agraphia. Brain and Language, 17, 146-165.

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Contribution de l’imagerie fonctionnelle du cerveau à la compréhension des mécanismes neurobiologiques des processus orthographiques et de leurs troubles développementaux Michel Habib, Jean-François Demonet

Résumé Les méthodes d’imagerie du cerveau, depuis leur récente introduction, ont déjà contribué à la compréhension des mécanismes neurobiologiques de divers domaines des sciences cognitives, le langage, en particulier, mais également la mémoire, l’attention, le raisonnement, la reconnaissance visuelle, entre autres. L’orthographe, pour sa part, s’avère un domaine particulièrement difficile à aborder avec ces méthodes, dans la mesure où son mode d’expression principal, la production écrite, se prête mal aux conditions de ce type d’exploration. Le concept de lexique orthographique, en continuité avec la notion neurologique classique de « centre de l’image visuelle des mots », est elle-même très critiquée et les preuves de sa réalité sont faibles. Les premières données d’imagerie fonctionnelle obtenues à l’aide de la caméra positonique (PET scan) ont attiré l’attention vers la région temporale interne gauche, alors que les travaux les plus récents semblent plutôt en faveur d’un rôle de la partie la plus ventrale de l’aire 37. Des expériences menées par notre équipe à l’aide de cette méthode suggèrent le rôle particulier de cette dernière région dans les processus complexes qui permettent l’accès lexico-sémantique à partir de l’analyse de la forme visuelle des mots réalisée par le cortex visuel adjacent. Cette structure serait insuffisamment activée chez les sujets ayant été dyslexiques pendant leur enfance. Mots clés : Imagerie cérébrale, PET-scan, résonance magnétique, orthographe, lexique visuel.

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Contribution of functional brain imaging techniques to the understanding of the neurobiology of spelling processes and their developmental disturbances Abstract Although recently introduced, brain imaging techniques have already significantly contributed to the understanding of various neurobiological mechanisms within the field of cognitive sciences, such as language, memory, attention, reasoning and visual recognition, among others. Unfortunately, these techniques are not particularly suited for the exploration of spelling, a skill which essentially expresses itself through writing. The concept of lexical orthography, which follows the traditional neurological notion of a « center for visual images of words », is highly criticized and evidence for its existence is scant. The first functional imaging data collected with PET scan techniques have suggested the importance of the left internal temporal area, but more recent investigations tend to ascribe a more significant role to the ventral part of area n°37. Experiments conducted by our team with these techniques confirm that this brain area plays a central role in those complex lexical-semantic processes which are based on visual analysis of word forms by the adjacent visual cortex. A deficit in the activation of this brain structure is hypothesized to characterize subjects who were dyslexic as children. Key Words : Cerebral imaging, PET scan, magnetic resonance, spelling, visual lexical skills.

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Michel HABIB*, Jean François DEMONET** * Laboratoire de Neurologie Cognitive Service de Neurologie CHU Timone, 13385 Marseille ** INSERM U 455 Service de Neurologie CHU Purpan, 31059 Toulouse

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epuis une dizaine d’années, l’essor considérable des méthodes d’imagerie du cerveau vivant a littéralement révolutionné tous les domaines de la neuropsychologie humaine, sinon encore pour les découvertes qu’elles ont permis de réaliser, du moins par l’intensité de la recherche qui y est consacrée. Comme cela a été le cas à maintes reprises dans l’histoire de la neuropsychologie, un des domaines où ces nouvelles méthodes ont trouvé leurs premières applications est celui de la neuropsychologie du langage et tout particulièrement du langage écrit (Habib et al., 1996). De même que l’approche anatomo-clinique classique a fait ses premières démonstrations avec l’alexie et l’agraphie (Dejerine, 1891 ; 1892), de même que la « révolution intellectuelle » cognitiviste a aiguisé ses armes sur quelques études (Marshall et Newcombe, 1973) de cas de dyslexiques (au sens anglo-saxon du terme, ne présumant pas de l’origine lésionnelle ou non du trouble), de même enfin que la mouvance connexionniste a pris pour sujet principal d’étude la modélisation de la lecture (Seidenberg et McClelland, 1989), de même, les différentes méthodes d’imagerie cérébrale comptent d’ores et déjà le langage écrit comme domaine de prédilection. Certes, l’étude, grâce au scanner puis plus récemment à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau de sujets ayant souffert de lésion focale responsable de troubles du langage écrit, a participé, modestement, il faut bien l’avouer, à l’avancée des connaissances, essentiellement en confirmant les données séculaires de l’anatomo-clinique. Mais lorsqu’on parle ici d’imagerie cérébrale on fait essentiellement référence aux méthodes dites d’imagerie fonctionnelle, permettant de décrire des « zones d’activation » (plus précisément des zones d’augmentation du débit sanguin cérébral) lors de tâches cognitives auxquelles se prêtent les sujets volontaires sains. Ainsi, on fait de la physiologie du cerveau, c’est-à-dire qu’on observe, certes indirectement mais avec une précision acceptable, la façon dont les différentes régions cérébrales sont mises en

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jeu dans une tâche donnée, ce qui fournit des informations sur le rôle de chaque région dans cette tâche.

◆ Quelques considérations méthodologiques préalables. L’imagerie fonctionnelle cérébrale fait appel à deux types différents de technologie : la technologie IRM (Imagerie par résonance magnétique) et la technologie PET (Positron emission tomography ou caméra à positons). L’IRM est à ce jour la méthode d’imagerie la plus largement utilisée dans les protocoles de recherche en neuropsychologie, en particulier par rapport à son « prédécesseur », le scanner à rayons X, qui n’est pratiquement plus utilisé qu’en clinique. L’examen des sujets expérimentaux se déroule en totale innocuité. Le principe de fonctionnement de l’IRM est complexe, mais peut globalement se résumer par l’acquisition d’un signal électromagnétique émis par les atomes d’hydrogène du corps humain lorsqu’ils sont placés dans un champ magnétique intense et excités par une onde de radiofréquence appropriée. Ce principe même explique les limitations de la méthode. Il s’agit, tout d’abord, des contre-indications formelles dues à l’intensité très importante du champ magnétique qui interdit de réaliser l’examen sur des sujets porteurs de stimulateurs cardiaques ou de clips chirurgicaux ferromagnétiques. L’intensité du champ est telle que ces corps métalliques en prendraient instantanément l’orientation créant ainsi des lésions plus ou moins irréversibles. La présence de ce fort champ magnétique limite en outre l’usage d’appareillages électroniques ou autres nécessaires à la présentation, par exemple, de stimuli auditifs ou visuels lors d’épreuves d’activation fonctionnelle. Ensuite, contrairement au scanner dans lequel les sujets sont allongés sur la table d’examen et où seule la tête est immobilisée, à l’IRM, les participants sont placés dans un tube d’une cinquantaine de centimètres de diamètre et de trois mètres de long figurant le cœur de la bobine électromagnétique au centre de laquelle se développe le champ. Bien que les extrémités du tube ne soient pas obturées, il est difficile de se défaire d’un sentiment d’angoisse claustrophobe qui, dans maints cas au travers des protocoles, a abouti à l’interruption de l’examen. En outre, la machine génère un fort bruit régulier qui peut gêner les sujets, mais surtout complique la réalisation de toutes les épreuves fonctionnelles utilisant le canal sensoriel auditif. L’IRM est utilisée dans la recherche sur les fonctions cognitives dans deux buts : elle fournit d’une part une information morphologique indispensable à la localisation des signaux obtenus à partir d’autres méthodes d’imagerie comme le PET ; elle peut également être elle-même utilisée à la fois pour les informations morphologiques et pour la technique d’activation fonctionnelle.

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Pour les protocoles d’imagerie fonctionnelle, on utilise des fonctions de la technique qui lui permettent de détecter les changements de contenu en oxygène de l’hémoglobine, donnant au final une image représentant l’activité régionale du cerveau. On parle d’IRM fonctionnelle ou IRMf. Mais l’utilisation la plus spécifique de l’IRM concerne les études morphologiques, car l’IRM, par ses propriétés intrinsèques, possède une excellente résolution spatiale, c’est-à-dire une finesse de reproduction de la substance cérébrale de l’ordre du millimètre. En particulier, cette résolution lui permet de visualiser parfaitement la morphologie du cortex, qui est bien entendu la partie la plus intéressante à observer en matière de sciences cognitives. Les ordinateurs qui contrôlent l’appareil permettent en outre de reconstruire des images tri-dimensionnelles, ce qui autorise toute sorte de manipulations spatiales et mesures en tous genres et ce dans tous les trois plans de l’espace. Enfin, la pratique d’un examen par IRM morphologique est indispensable au traitement des données et à l’interprétation des images de l’autre outil d’imagerie fonctionnelle : la caméra à positons. La caméra à positons, ou PET (positron emission tomography, en français TEP), est l’outil le plus utilisé pour l’imagerie fonctionnelle. Il ne possède pas les inconvénients de l’IRM, en particulier ceux liés au champ électro-magnétique, mais possède, en raison de l’injection de produits radio-actifs, une toxicité potentielle qui en limite l’usage principalement aux adultes et ne permet pas de réitérer les examens chez une même personne car les effets toxiques de la substance radioactive s’additionnent dans l’organisme sur une période d’un an environ. Hormis cela, la méthode est certainement la plus souple et la plus fiable actuellement, de sorte que la majorité des travaux réalisés dans le domaine du langage l’ont été à l’aide du PET. La description de la méthodologie et le déroulement des expériences elles-mêmes dépasserait le cadre de cet article, mais il faut rappeler que la plupart des résultats obtenus l’ont été à partir de l’utilisation d’un paradigme dit de « soustraction cognitive » qui consiste à comparer statistiquement les niveaux d’activation de chaque région cérébrale lorsque le sujet effectue la tâche à étudier avec le niveau d’un état dit de référence où le sujet effectue une tâche similaire à tous égards à la tâche expérimentale mais ne comportant pas les composantes cognitives que l’on cherche à étudier. Un dernier point de méthodologie concerne les populations étudiées. En général, il s’agit d’un groupe de sujets volontaires sains, le plus souvent de jeunes adultes, dont les résultats vont être moyennés pour procurer une information jugée représentative de la fonction étudiée (même si les techniques actuelles permettent en théorie l’étude de sujets uniques celles-ci sont très rarement réalisées, contrairement aux études de sujets pathologiques en neuropsychologie classique).

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A cet égard, le cas des sujets ayant souffert durant l’enfance de troubles de l’apprentissage du langage écrit se situe à la frontière entre la normalité et la pathologie, et à ce titre peut précisément permettre de répondre à des questions que l’on se pose tant du point de vue de la recherche fondamentale que de la recherche appliquée. Il est clair que dans la mesure où la recherche ne peut encore prétendre à déboucher sur un bénéfice direct de l’individu qui s’y soumet, les études de ce type consacrées à la dyslexie et à la dysorthographie s’adressent, au même titre que celles réalisées chez le volontaire sain, à des adultes plutôt qu’à des enfants. Enfin, comme nous le verrons ci-dessous, l’approche fonctionnelle de l’orthographe doit se contenter d’explorer son aspect afférent (lecture et représentation mentale) dans la mesure où les études de sujets en cours d’exécution de l’acte d’écriture sont pratiquement impossibles à réaliser ou alors dans des conditions physiquement très délicates en raison des contraintes de position imposées par la machine.

◆ L’orthographe et le cerveau : idée-force et idées reçues L’idée-force, c’est sans conteste celle selon laquelle le cerveau étant organisé en régions fonctionnelles modulairement connectées, l’orthographe ou du moins les processus permettant l’acquisition d’une aptitude spécifique dénommée orthographe sont nécessairement le fait de structures distinctes du cerveau, structures ayant à voir à la fois avec le langage (donc situées dans l’hémisphère gauche) et avec la vision, donc situées à la jonction entre l’aire du langage et les aires postérieures de la vision. Cette intuition avait du reste mené dans un premier temps Jules Dejerine à postuler l’existence dans une petite région du lobe pariétal gauche, le gyrus angulaire ou pli courbe, d’un centre qu’il dénommait « centre de l’image optique des lettres » et auquel il attribuait le rôle de décoder le langage écrit, mais aussi celui de le produire. Lorsque le centre était détruit, comme il l’observa chez un premier patient (Dejerine, 1891), le patient perd la faculté de lire et d’écrire. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’alexie-agraphie de Dejerine. En revanche, lorsque une lésion laisse intacte cette région, mais la déconnecte de toute afférence visuelle, le mot lu ne peut être décodé donc n’est pas compris, mais le sujet peut encore écrire sans erreur le même mot, ce qui le met dans la situation paradoxale de ne plus pouvoir relire ses propres productions. Ce rôle spécifique du gyrus angulaire a été souligné et maintes fois mis en avant par le précurseur de la neuropsychologie moderne, l’américain Norman Geschwind. Geschwind avait en effet été frappé par la position et surtout la constitution particulière du pli courbe dans le cerveau humain. Il s’agit d’une

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région de cortex associatif aspécifique ou multimodal (par opposition aux deux autres types principaux composant le néocortex, les cortex primaires - visuel, auditif, moteur, etc.- et les cortex associatifs spécifiques à chacune de ces modalités). Les deux seules régions du cerveau à mériter ce qualificatif, le lobe préfrontal et le lobule pariétal inférieur (incluant le pli courbe), ont la particularité d’être considérablement moins développées, voire absentes, chez les singes considérés comme les plus proches de l’homme parmi les primates, ce qui en fait à l’évidence une construction évolutive spécifique de l’hominisation. Geschwind avait en outre remarqué que le pli courbe était également, de par sa position, un véritable carrefour où devaient nécessairement s’exercer des interactions complexes entre les mécanismes perceptifs, en particulier - mais non exclusivement visuels, et les phénomènes linguistiques, et tout particulièrement, selon sa conception, ceux inhérents à la forme sonore, phonologique, des mots, qu’il plaçait dans le cortex temporal postérieur, la fameuse aire de Wernicke. Selon un schéma resté longtemps classique (Geschwind, 1979), Geschwind considérait ainsi que le mot lu était dans un premier temps décodé du point de vue perceptif, puis reconnu à un niveau plus cognitif dans le pli courbe, et enfin transformé ou tout au moins confronté à l’image sonore stockée dans les régions temporales pour pouvoir être prononcé et compris. On sait depuis lors que cette dernière étape du modèle est probablement erronée, puisqu’elle ne résiste pas aux évidences expérimentales apportées depuis lors par les cognitivistes, d’une voie de lecture purement visuelle. Encore que de nombreux arguments existent à présent pour montrer que les deux procédures de lecture, visuelle et phonologique, sont loin d’être aussi distinctes que présumé dans les modèles à deux voies. Mais pour ce qui nous concerne plus directement ici, on se contentera de remarquer que l’idée suggérée par les neurologues d’un centre hémisphérique gauche ayant pour rôle spécifique de décoder la forme visuelle du mot se superpose assez bien avec celle suggérée ensuite dans les modèles cognitivistes, d’un lexique visuo-orthographique. En d’autres termes, il n’est pas absurde d’imaginer que le rôle de lieu de stockage des formes lexicales puisse être attribuable à cette région pariétale de l’hémisphère gauche du cerveau humain.

◆ Les premières preuves d’un lexique orthographique dans le cerveau C’est en tout cas ce que les chercheurs en imagerie fonctionnelle attendaient lorsqu’ils proposèrent les premières expériences dans ce domaine, expériences réalisées à peu près simultanément à Saint-Louis aux USA et à Londres. Les auteurs américains (Petersen et al., 1990) ont présenté à des adultes volontaires sains 4 listes de stimuli visuels similaires d’un point de vue

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perceptif : des suites de pseudo-lettres, des suites de consonnes réalisant un pseudo-mot non prononçable (LTZMG), des suites de lettres réalisant un pseudomot prononçable (TWEAL) et enfin des vrais mots de la langue anglaise. Alors que les deux premiers types de stimuli provoquèrent une activation bilatérale dans la région des aires visuelles primaires, suggérant un effet non spécifique sur les centres de la vision, les vrais mots et les pseudo-mots prononçables, par opposition aux suites non prononçables, entraînèrent une activation unilatérale (figure 1) d’une zone de cortex visuel associatif dite « extra-striée », sur la face interne du lobe occipital gauche (gyrus lingual). Les auteurs interprètent cette activation inattendue comme traduisant la mise en jeu, par des stimuli orthographiquement corrects ou seulement plausibles, de processus de traitement de la forme visuelle des mots. Il n’est encore pas question de lexique orthographique, mais le concept est sous-entendu dans la description qu’en font les auteurs. Un autre résultat important de ce travail, comme le soulignent les auteurs, fut de montrer que contrairement aux modèles neurologiques classiques (Geschwind, 1970), dans aucune des conditions le mot lu n’active ni le cortex temporo-pariétal externe (gyrus angulaire) ni les zones temporales externes gauches connues pour être impliquées dans le traitement phonologique. En revanche, ces résultats sont en faveur des modèles cognitivistes de la lecture dans la mesure où ils démontrent que la lecture de mots peut se faire sans passage obligé par la phonologie. Un autre groupe, celui de Londres, a également étudié l’activation cérébrale en TEP lors de tâches de lecture. Howard et al. (1992) ont ainsi proposé à leurs sujets une liste de mots à lire à haute voix. Afin d’éliminer par soustraction les composantes articulatoires (liées à la prononciation à haute voix) et perceptives, ils ont mis au point une condition de référence comparable à la condition expérimentale mais utilisant des pseudo-lettres, à l’instar de Petersen et al. (1990), et en demandant au sujet de répéter le mot « crime » à chaque présenta tion. La principale activation obtenue lors de cette soustraction fut localisée au niveau de la partie postérieure du gyrus temporal supérieur (aire 22), une zone de cortex auditif associatif, proche de la localisation théorique du gyrus angulaire, donc beaucoup plus compatible avec le modèle neurologique classique que le travail de Saint-Louis. En particulier, ce travail ne montrait aucune activation particulière dans la zone extra-striée gauche dont l’importance était suggérée par le travail de Petersen.

◆ A la recherche du « centre de l’orthographe » En définitive, ces premiers travaux ne permettaient pas de définir une aire spécifiquement dédiée au traitement orthographique. Au contraire, cette attribu-

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tion semblait pouvoir être le fait de diverses régions selon les modalités précises de chaque étude. Il convient de noter que lors de telles études de sujets placés en situation de lecture, que ce soit avec ou sans prononciation orale, l’interprétation des phénomènes d’activation est en soi très délicate. En effet, comme dans toute étude de ce type, les zones dont le débit sanguin augmentent pourraient n’être impliquées qu’indirectement dans la tâche étudiée, par exemple si elles traduisent un effort cognitif ou attentionnel plus important que dans la tâche de référence. De même la zone temporale postérieure observée par Howard et al. (1992) dans leur soustraction entre lecture à haute voix et lecture de pseudo-lettres et prononciation du mot ‘crime’ peut être liée à la présence d’une composante sémantique incluse dans la présentation du vrai mot par rapport au pseudo-mot. La notion même d’orthographe peut être interprétée de différentes manières et donner lieu à des protocoles expérimentaux apparemment très éloignés les uns des autres. Par exemple, Pugh et al., dans une étude utilisant l’IRMf proposent aux sujets plusieurs types de stimuli, correspondant chacun à une situation expérimentale sensée explorer un mécanisme différent : une épreuve de jugement d’orientation de lignes appelée tâche visuelle, une épreuve de jugement majuscule/minuscule devant des lettres (en fait des séries de consonnes, donc non prononçables), situation dénommée ‘orthographique’, et deux autres tâches mettant en jeu des processus phonologiques et lexico-sémantiques. Ici donc, le simple fait de présenter des lettres est présumé imposer une activation de type orthographique. Les résultats montrent une activation prédominante, lors de la tâche ‘orthographique’, de « sites extra-striés », superposables à la région activée par les séquences de lettres phonologiquement (et visuellement) plausibles dans le travail de Petersen. Pour ces auteurs, les régions extra-striées latérales seraient impliquées dans le traitement des lettres alors que la région extra-striée interne (ou mésiale, celle retrouvée activée dans le travail de Petersen) serait impliquée dans la « représentation de la forme des mots ». Ces conclusions doivent cependant être tempérées par la faiblesse méthodologique de cette étude qui, outre les imprécisions sur les concepts, a choisi de n’étudier qu’un nombre limité de régions cérébrales définies à priori (méthode dites des ROI, ou régions d’intérêt). Par la suite, un certain nombre d’études, utilisant les perfectionnements les plus récents de la méthode PET (en particulier la superposition automatique avec l’IRM morphologique), ont rapporté des résultats relativement concordants lors de tâches de lecture. Ces études ont été résumées récemment par Fiez et

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Petersen (1998). Au travers des 9 études examinées, le point concordant est la présence de 3 foyers distincts d’activation dans l’hémisphère gauche de sujets observés au cours de la lecture : un dans la région de l’aire de Broca (aires 4445), impliqué dans les processus phonologiques, un second dans la région extrastriée (aires 18-19) et un dernier dans la région temporale inférieure, localisé à l’aire 37. Nous reviendrons sur ce dernier site qui semble crucial à bien des égards. Signalons d’ores et déjà son implication dans un travail comparatif entre la lecture normale et la lecture Braille chez les aveugles, les deux types de populations se comportant de la même manière à cet égard (Büchel et al., 1998). En d’autre termes, il semble que l’implication de cette région temporale inférieure ne soit pas spécifique d’une modalité sensorielle d’entrée, du moins d’après les auteurs qui en font une aire multimodale à rajouter aux aires du langage. Nous verrons que d’autres interprétations sont possibles.

◆ Dyslexie et orthographe : un point de vue neurobiologique Les études d’imagerie cérébrale fonctionnelle réalisées dans la dyslexie sont déjà relativement nombreuses, mais leurs résultats ne sont pourtant pas encore très concluants. L’idée de base de ces études est d’observer comment les processus considérés comme dysfonctionnels se manifestent physiologiquement au niveau de la mesure de l’activation cérébrale qu’ils génèrent. C’est le cas en particulier d’un certain nombre d’études ayant analysé le comportement du cerveau de sujets dyslexiques en train de réaliser une tâche phonologique, dans la mesure où on pense généralement que le trouble phonologique est à la base du trouble de l’apprentissage de la lecture (et donc probablement de la dysorthographie qui constitue souvent le seul symptôme persistant chez les adultes dyslexiques). Plusieurs études ont également cherché à explorer de manière comparative les effets sur l’activité cérébrale de tâches phonologiques et orthographiques. Rumsey et al. (1997) ont ainsi proposé à 17 dyslexiques et 14 témoins non dyslexiques une tâche qui a à l’évidence le mérite de sa simplicité : il s’agissait de présenter sur un écran deux mots situés de part et d’autre du point de fixation central. Dans une première condition, dite phonologique, il s’agit de deux nonmots dont l’un se prononce comme un vrai mot (par exemple pézon-mézon), et le sujet doit choisir le mot phonologiquement correct. Dans une deuxième condition dite orthographique, on présente cette fois deux séquences homophones dont l’une seulement est orthographiée correctement (mézon-maison), le sujet devant reconnaître le mot correctement orthographié. Les résultats ont été relativement décevants, montrant seulement une différence nette entre les deux conditions dans la région frontale inférieure gauche, où l’activation est d’une part plus

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importante dans la tâche phonologique par rapport à la tâche orthographique et d’autre part chez le dyslexique par rapport au témoin. Des faits assez similaires ont été rapportés par Shaywitz et al. (1998) qui montrent en outre une différence inverse pour les zones postérieures (pariéto-temporo-occipitales) de l’hémisphère gauche, sous-activées chez les dyslexiques. Mais en définitive, les dyslexiques semblent paradoxalement différer plus nettement des témoins pour les aptitudes phonologiques que pour les aptitudes orthographiques. Cette interprétation est en accord avec d’autres travaux que nous ne ferons que citer ici (Paulesu et al., 1996 ; Rumsey et al., 1992) montrant une différence significative d’activation cérébrale dans des tâches requérant par exemple de juger si deux mots ou deux lettres riment. Nous avons, pour notre part, réalisé une étude qui, bien que portant sur un nombre réduit d’individus, nous semble apte à informer plus précisément sur les processus cérébraux mis en jeu lors d’une recherche orthographique, sans stimulation visuelle, mais auditive. Le sujet entend simplement des paires de mots et doit appuyer sur la souris d’un ordinateur lorsque les deux mots entendus se terminent par la même désinence orthographique. Par exemple chapeau / râteau, mais non argent / volcan sont orthographiquement similaires ; lundi / ballon ne le sont pas, mais mille / bille qui pourtant diffèrent phonétiquement, sont orthographiquement similaires. Pour effectuer cette tâche, il est donc nécessaire de maintenir en mémoire l’information auditive et de réaliser un transcodage pour « visualiser » mentalement les deux mots et pouvoir répondre sur leur similarité orthographique ou non. Les sujets étaient trois volontaires sains et un adulte dyslexique. Les résultats sont schématisés sur la figure 2. En premier lieu, il faut signaler que les performances des dyslexiques sont largement déficitaires par rapport aux normaux, en particulier sur les paires incongruentes qui leur posent d’importants problèmes. Chez le dyslexique comme chez le non-dyslexique, on note la présence de deux foyers d’activation sur l’hémisphère gauche, l’un frontal moyen, l’autre temporal inférieur. Le foyer frontal est à la fois plus postérieur (en regard de la partie moyenne de l’aire motrice primaire (aire 4) et moins intense chez les sujets témoins. Chez le dyslexique, il se trouve franchement dans l’aire de Broca (aires 44 et 45). Le rôle de ces régions dans le processus étudié n’est que supposition, mais on peut penser, par analogie à d’autres types de tâche entraînant également une activation de cette région, qu’elle est fonctionnellement impliquée dans les processus de mémorisation à court terme de l’information, en particulier auditive (Démonet et al., 1992). Par exemple, les tâches de remémoration immédiate d’une série de

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lettres ou de mots entraînent une activité intense dans cette région. On peut donc présumer que le sujet dyslexique ait besoin de recruter une énergie attentionnelle importante pour réaliser la partie auditive de la tâche, c’est-à-dire la récapitulation subvocale des deux mots entendus. Il est même possible que plus il éprouve de difficultés à évoquer l’orthographe des mots, plus il doive se reposer sur sa « boucle phonologique » (en faisant « repasser dans sa tête » le stimulus, un plus grand nombre de fois que ne le fait le témoin). A l’inverse, la deuxième zone d’activation, celle située sur la face latérale inférieure au niveau de la jonction occipitale, est plus nette chez le sujet témoin. Chez le dyslexique elle est moins intense, mais est toujours présente, se projetant exactement à la jonction des faces interne et externe de l’hémisphère gauche, au fond de la troisième circonvolution temporale, au sommet de l’aire dite aire 37. Notre interprétation (Habib et al., 1995), était qu’il s’agissait probablement d’un centre orthographique, puisque la procédure cognitive que nous semblait essentiellement contenir la tâche expérimentale par comparaison avec la tâche de référence, nécessitait de faire appel mentalement à une connaissance visuelle sur la forme du mot. En revanche, il est probable que les autres composantes du traitement des mots vus, lexicale, sémantique et phonologique, probablement activées automatiquement par la présentation des mots, l’étaient également dans la condition de référence, de sorte qu’elles étaient « effacées » par la soustraction entre les deux conditions. Seules devaient « sortir de la soustraction » les régions cérébrales impliquées dans l’effort cognitif nécessaire pour maintenir en mémoire de travail les mots entendus (fonction pour laquelle, nous l’avons vu, l’aire de Broca est le meilleur candidat) et celles impliquées dans la recherche active en mémoire à long terme de l’orthographe du mot.

◆ L’aire 37 : un centre critique pour l’orthographe Cette même région, l’aire 37, a été au centre de discussions que nous avons menées plus récemment à la suite de travaux en PET comparant l’activation cérébrale produite par la lecture de mots et de non-mots chez des sujets adultes normaux et dyslexiques. Les résultats de l’étude chez les sujets normaux sont résumés sur la figure 3. Hormis une activation bilatérale des régions temporales supérieures (cortex auditif) et frontale inférieure gauche (aire motrice) on note une activation plus importante pour les non-mots que pour les mots de l’aire de Broca (suggérant sans doute une procédure de subvocalisation lors de la lecture de non-mots) et également au niveau de l’aire 37, également plus activée par les non-mots. Ce dernier résultat, assez paradoxal si l’on considère que, si cette zone est réellement orthographique, les non-mots devraient l’activer à un degré moindre que les mots réels, peut cependant s’expliquer en présumant que

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les sujets activent leurs processus orthographiques tout autant sinon plus devant des non-mots qui nécessitent d’être confrontés plus activement avec le lexique de par précisément leur absence de représentation lexicale. Nous avons enfin comparé les résultats d’activation en PET de ces volontaires sains avec ceux de sujets adultes anciens dyslexiques (figure 4). Pour ce faire, nous avons demandé au programme de traitement statistique de nous fournir la zone où la différence entre les deux groupes était la plus significative. Il est très intéressant de noter que cette zone se situe précisément sur l’aire 37, à la jonction entre les faces interne et externe de l’hémisphère gauche. Alors quel peut être le rôle de cette aire 37 ? En premier lieu, il faut souligner que cette aire n’existe pas chez les primates non humains et qu’elle semble donc spécifique à l’homme. Par ailleurs, des chercheurs (Salmelin et al., 1996) utilisant une méthode électrophysiologique (magnéto-encéphalographie) ont précédemment démontré que lors d’une tâche de lecture, cette zone, qui s’active normalement de manière assez précoce (autour de 120 millisecondes après le stimulus), se mettait en jeu avec retard chez le dyslexique. Enfin, il faut souligner la position de cette zone, à la jonction entre les aires visuelles en arrière, l’aire du langage au-dessus, et les aires de la reconnaissance visuelle en dedans. On ne peut qu’inférer de ce caractère anatomique un rôle complexe dans l’intégration de signaux visuels ayant à la fois une signification verbale et un rôle plus général dans la sémantique, comme celle qui s’acquiert chez le jeune enfant par associations entre un mot et l’aspect visuel de ce qu’il représente. Progressivement le système symbolique oral vient se doubler d’une symbolique écrite, les lettres, les syllabes, les mots, dont l’ensemble réalise une combinatoire complexe que l’on a coutume de désigner sous le vocable d’orthographe. La lésion de l’aire 37 chez l’adulte provoque des symptômes aphasiques complexes prenant parfois l’allure d’une véritable perte sémantique. Il est donc possible que cette région serve précisément de relais à l’information sémantique sur le monde et sa représentation linguistique, qu’elle soit orale ou écrite. La partie la plus ventrale du système, précisément celle qui apparaît sur la figure 4, pourrait en constituer la zone la plus spécifiquement en rapport avec la représentation écrite de ces concepts, et par conséquent mériter l’appellation de « centre de l’orthographe ». Mais dire que cette zone est spécifiquement impliquée dans les processus orthographiques n’éclaire en rien sur son rôle réel, qui devra sans doute attendre de nouvelles et nombreuses expérimentations avant d’être révélé.

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Approches didactiques de l’orthographe : quatre dimensions d’une analyse comparative Linda Allal

Résumé Cet article propose une comparaison entre deux catégories d’approches didactiques : des approches centrées spécifiquement sur l’apprentissage de l’orthographe et des approches intégrant l’apprentissage de l’orthographe dans des activités fonctionnelles de production textuelle. Les approches sont comparées en fonction de quatre dimensions des processus d’enseignement-apprentissage mis en oeuvre en classe : les savoirs en jeu dans la transposition didactique, le degré de contextualisation des activités d’apprentissage, la charge cognitive induite par ces activités, les processus de régulations intervenant dans la construction et l’utilisation des connaissances orthographiques. En conclusion, l’article soulève la question de l’articulation de ces deux approches dans le déroulement d’une séquence didactique « en boucle ». Mots-clés : Orthographe, production textuelle, approches didactiques, apprentissage scolaire.

Instructional approaches to spelling : four dimensions of comparison Abstract This article proposes a comparison between two categories of instructional approaches: those which focus on the acquisition of spelling skills and those which integrate spelling acquisition into functional activities of text production. These approaches are compared with respect to four dimensions of the teaching-learning processes used in classroom situations: the knowledge involved in didactical transposition, the degree to which learning activities are contextualized, the cognitive load induced by these activities and the regulation processes involved in the construction and use of spelling skills. In conclusion, the article raises the issue of linking these two approaches in a spiral instructional sequence. Key Words : Spelling, text production, instructional approaches, learning academic skills.

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Linda ALLAL Université de Genève FPSE 9 route de Drize CH - 1227 Carouge e-mail : [email protected]

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et article a pour but de comparer différentes approches didactiques qui visent l’apprentissage de l’orthographe en situation scolaire 1. On peut distinguer deux grandes catégories d’approches didactiques. La première comprend des activités (mémorisation de mots, exercices, dictées) centrées sur un apprentissage spécifique de l’orthographe. On fait l’hypothèse d’un transfert des connaissances orthographiques acquises à travers ces activités aux situations de production écrite dans lesquelles ces connaissances seront mobilisées. La deuxième catégorie d’approches didactiques propose un apprentissage de l’orthographe intégré dans des activités fonctionnelles de production écrite orientées vers un but de communication. Ces activités servent de cadre et de point de départ pour l’étude de différents aspects de l’orthographe ; le recours à des tâches spécifiques (exercices) est admis pour consolider l’apprentissage, mais ce type de tâche est un aspect secondaire de l’enseignement. Afin d’affiner la comparaison des approches, il est utile de tenir compte de quatre dimensions qui caractérisent les processus d’enseignement-apprentissage dans n’importe quelle discipline scolaire. Voici une brève description de chaque dimension dont la pertinence pour le domaine de l’apprentissage de l’orthographe est présentée par la suite. 1. Le concept de transposition didactique (Chevallard, 1985 ; Bronckart & Schneuwly, 1991) décrit la succession des transformations qui caractérisent les passages entre différents états de savoir : les savoirs savants et les pratiques sociales de référence dans un domaine donné, les contenus à enseigner et leur autonomisation dans un curriculum particulier, les savoirs effectivement ensei1. Un traitement plus approfondi de cette question est présenté dans Allal (1997). Je remercie Yviane Rouiller pour ses remarques sur la version condensée présentée ici.

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gnés, les savoirs appropriés par les élèves. Les activités didactiques varient selon le nombre et la complexité des savoirs en jeu. 2. La plupart des tâches scolaires présentent des savoirs fortement décontextualisés : par exemple, les exercices d’application d’une règle d’orthographe sont généralement composés d’une série d’items non reliés entre eux et sans insertion dans un contexte de communication. L’idée d’une plus forte contextualisation des apprentissages scolaires, telle qu’envisagée dans les travaux sur la cognition « située » (Brown, Collins & Duguid, 1989), repose sur le postulat que l’élève pourra construire des compétences plus facilement mobilisables et exploitables si les conditions d’apprentissage scolaire se rapprochent des contextes (conditions d’interaction sociale, modes d’utilisation d’outils) dans lesquels les compétences devront se manifester en dehors de l’école. 3. Les compétences acquises par l’élève à travers une activité d’apprentissage dépendent fortement de la charge cognitive induite par deux aspects de l’activité : ses propriétés intrinsèques (notamment l’interactivité entre composantes de contenu) et les caractéristiques extrinsèques de sa mise en forme (Sweller & Chandler, 1994). Dans le domaine de l’orthographe, on a pu montrer que des erreurs sont commises par des experts qui connaissent bien une règle mais ne parviennent pas à l’appliquer dans une situation de surcharge cognitive (Fayol & Largy, 1992). 4. Selon la conception vygotskienne de la médiation sociale, les conduites d’autorégulation de l’apprenant résultent d’un processus d’intériorisation impli-

Tableau 1 : Approches didactiques de l’orthographe : comparaison selon quatre dimensions

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quant la reconstruction interne de régulations médiatisées au départ par l’interaction sociale (Vygotsky, 1978). En situation scolaire, les interactions de l’élève avec l’enseignant, avec d’autres élèves, ainsi que l’exploitation de divers outils ou procédures d’évaluation formative, peuvent favoriser le développement de stratégies métacognitives facilitant une gestion plus autonome des apprentissages (Allal, 1993). Notre analyse de différentes approches didactiques de l’orthographe montrera comment les quatre dimensions précitées sont prises en compte. Un résumé des idées principales est présenté dans le tableau 1.

♦ Apprentissage de l’orthographe par des activités spécifiques Des activités de mémorisation de mots sont souvent proposées comme moyen d’apprentissage de l’orthographe lexicale au début de l’école primaire. L’acquisition d’un « capital » de mots automatiquement accessibles par « adressage » (Ellis, 1989) semble constituer une base nécessaire pour la réalisation d’autres tâches orthographiques plus complexes. Les techniques de mémorisation mises au point par des recherches expérimentales comprennent des opérations de représentation et de manipulation auditives et visuelles, ainsi que des démarches systématiques de contrôle et de correction (Graham, 1983). L’efficacité de ces techniques est plus grande si chaque élève dispose d’un matériel individualisé élaboré à partir des erreurs relevées dans ses productions personnelles. Des activités d’étude systématique des régularités orthographiques sont proposées aux élèves, en parallèle aux activités de mémorisation, dès le début de l’école primaire. La progression des contenus abordés dans ces activités est basée sur des critères issus de recherches linguistiques et psycholinguistiques (cf. par exemple, Ducard, Honvault & Jaffré 1995 ; Templeton, 1991). A travers les situations animées par l’enseignant, avec l’ensemble de la classe ou en petits groupes, les élèves apprennent à observer, comparer, découper, analyser, transformer des unités linguistiques (mots, groupes de mots, phrases). L’accent est mis sur la découverte de configurations (patterns) inférées par les élèves grâce aux opérations qu’ils effectuent sur le matériel et sur les réflexions métalinguistiques qu’ils formulent à propos de leurs démarches. Les activités d’apprentissage sont néanmoins assez fortement guidées par les interventions de l’enseignant et par la structuration préalable du matériel (corpus d’exemples). Par ailleurs, afin de consolider les découvertes que les élèves ont réalisées, ils effectuent des exercices individuels conçus selon les mêmes principes (exercices lacunaires et transformationnels, classifications logiques et analogiques).

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La dictée de textes a conservé une place centrale dans la didactique de l’orthographe depuis plus d’un siècle, malgré les critiques (récurrentes) formulées à l’égard de cet outil (Chervel & Manesse, 1989). On constate cependant une diversification des pratiques de dictée (dictées à l’adulte, dictées préparées, dictées lacunaires, séquences progressives de dictées) en articulation avec d’autres activités didactiques. Souvent la dictée intervient comme situation de mise en relation des savoirs abordés au préalable dans des activités de mémorisation ou des exercices plus ciblés ; d’autres fois elle constitue une situation de diagnostique initiale permettant d’identifier les savoirs à aborder dans des activités ultérieures de mémorisation ou d’étude de règles orthographiques. Comparons maintenant les activités didactiques que nous venons de décrire par rapport aux quatre dimensions de notre cadre d’analyse. Sur le plan de la transposition didactique, on constate une progression de la complexité des savoirs abordés entre les trois types d’activités. Les activités de mémorisation portent sur un ensemble restreint de savoirs codifiés : l’orthographe lexicale telle que spécifiée dans le dictionnaire. Les activités d’étude systématique des régularités orthographiques traitent, de manière progressive, tous les aspects de l’orthographe lexicale et grammaticale, ainsi que les relations entre ces aspects. Les dictées de textes placent la gestion des savoirs orthographiques, lexicaux et grammaticaux, dans un cadre textuel exigeant le recours à d’autres savoirs (syntaxiques, discursifs) dépassant le champ de l’orthographe. Cette complexité croissante des savoirs va de pair avec la contextualisation des processus d’apprentissage. La mémorisation de mots est une activité strictement décontextualisée ; les recherches expérimentales montrent d’ailleurs qu’elle est plus efficace lorsque les mots sont présentés isolément en listes au lieu d’être insérés dans des phrases ou des textes (Graham, 1983). Les activités d’analyse des régularités orthographiques présentent un assez faible degré de contextualisation : on exerce des manipulations sur des groupes de mots et des phrases en tenant compte du contexte linguistique immédiat mais les opérations sont détachées de toute visée communicative. Les dictées de textes fournissent davantage de contextualisation : les savoirs orthographiques en jeu sont traités dans un contexte linguistique complexe (un texte porteur de sens), mais la situation ne présente aucun véritable enjeu de communication pour l’élève. La charge cognitive des activités d’apprentissage varie inversement à leur degré de contextualisation. Dans une activité fortement décontextualisée, l’apprenant est confronté à une charge cognitive restreinte ; il peut se concentrer avec facilité sur une seule opération cognitive (par ex., récitation de mots à mémoriser) ou sur un objet bien délimité (par ex., exercice portant sur les inflexions de l’imparfait). En revanche, dans une situation de dictée d’un texte,

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l’élève doit gérer simultanément l’ensemble de ses savoirs orthographiques en articulation avec d’autres savoirs ; de nombreuses erreurs peuvent résulter de la surcharge cognitive provoquée par cette situation, surtout chez le jeune apprenant. La pratique de dictées « préparées », par des exercices préalables relatifs aux principaux éléments orthographiques, ou de dictées « progressives », qui présentent une adjonction systématique d’éléments nouveaux, peut permettre une réduction de la charge cognitive et faciliter la gestion de la tâche par l’élève. Les formes de régulation intervenant dans chaque activité didactique varient. Dans des activités de mémorisation où chaque élève dispose d’un matériel individualisé, des contrôles réciproques en dyade sont un moyen efficace pour développer un apprentissage de plus en plus autogéré. Dans des activités d’étude des régularités orthographiques, une régulation interactive entre élèves peut intervenir à travers une confrontation des démarches déployées par chacun face à un même corpus. Deux autres sources de régulation ont cependant une place centrale dans ces activités : la structuration du matériel didactique doit permettre des découvertes de régularités et des moyens de validation (contrôle, généralisation et/ou délimitation) de celles-ci. Les interventions de l’enseignement - les questions posées aux élèves, les suggestions et contre-suggestions, les mises en commun - sont également essentielles comme moyen de régulation du processus de construction des connaissances orthographiques. Dans des situations classiques de dictée, ce sont surtout les analyses « post-écriture » menées par l’enseignant qui sont censées réguler l’apprentissage, mais l’efficacité de cette pratique dépend évidemment du degré d’implication active des élèves. Des activités de dictée peuvent aussi s’élargir aux autres formes de régulation déjà citées.

♦ Apprentissage de l’orthographe intégré dans des situations de production textuelle Une transformation significative de la didactique de la langue écrite est proposée dans les approches qui tentent d’intégrer l’apprentissage de l’orthographe dans des situations de production textuelle. Dans ces approches, l’orthographe est abordée dans la même perspective que le processus de production lui-même, c’est-à-dire en insistant sur son caractère « fonctionnel, social et contextuel » (Bean & Bouffler, 1987, p. 7). Des approches intégrées basées sur des principes sociocognitifs d’inspiration vygotskienne ont été élaborées par Needels et Knapp (1994) et par Englert, Raphael et Anderson (1992). En observant des élèves pendant des ateliers d’écriture, on peut saisir la progression de leurs constructions orthographiques dans des situations significatives d’énonciation et de révision (Bousquet, Cogis, Ducard, Massonet & Jaffré, 1999).

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Les effets d’une didactique intégrée de l’orthographe ont été l’objet d’une étude que nous avons menée pendant une année scolaire dans des classes de deuxième et de sixième primaire (élèves de 8 et de 12 ans) en Suisse romande 2. Pour chaque degré scolaire nous avons élaboré huit situations de production textuelle. Chaque situation est conçue pour permettre un traitement « ciblé » de deux objectifs orthographiques en rapport avec la structure du texte à écrire : par exemple, en sixième primaire, les accords dans le groupe nominal sont travaillés lors de la production d’un texte descriptif, tandis que l’emploi des verbes au passé composé est abordé dans une situation d’interview journalistique. Les productions se situent dans une perspective fonctionnelle de communication : le texte produit est adressé à un destinataire externe ou interne à la classe et de nombreuses interactions sociales accompagnent les activités de composition et de révision. La maîtrise des objectifs d’orthographe est favorisée par diverses modalités de régulation liées aux interactions de l’élève avec l’enseignant, avec d’autres élèves et avec les outils à disposition. Résumons maintenant les caractéristiques des approches intégrées par rapport aux quatre dimensions de notre cadre d’analyse. La mise en pratique de ces approches implique un processus complexe de transposition didactique englobant non seulement des savoirs d’orthographe lexicale et grammaticale, mais aussi des savoirs linguistiques et métalinguistiques relatifs aux multiples composantes (sémantiques, syntaxiques, discursifs, pragmatiques) de la production textuelle. Une progression des activités didactiques au cours de la scolarité primaire paraît nécessaire pour assurer l’articulation des savoirs et l’automatisation des démarches d’écriture. Les approches intégrées se situent clairement dans une perspective de contextualisation de l’apprentissage de la langue écrite. Leur but est d’amener l’élève à construire des compétences orthographiques dans des situations d’écriture proches des conditions de la vie extra et postscolaire dans lesquelles il sera appelé à mobiliser et exploiter ses connaissances. Plutôt qu’un transfert de connaissances entre situation d’apprentissage et contexte d’utilisation ultérieure, les approches intégrées visent un apprentissage élaboré en contexte. Cette forte contextualisation implique inévitablement une grande complexité des composantes de la tâche et un risque de difficultés liées à la charge cognitive des opérations que l’élève doit assumer. On peut chercher cependant à 2. Pour une description plus détaillée des séquences didactiques et les analyses des effets constatés dans chaque année scolaire, voir Allal, Bétrix-Keohler, Rieben et Rouiller (1998) et Allal, Rouiller, Saada-Robert et Wegmuller (1999). Cette recherche a bénéficié du subside n° 4033-034811 attribué à L. Allal, D. Bétrix-Koeher, L. Rieben, M. Saada-Robert et E. Weigmuller par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique.

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délimiter certains aspects de la charge cognitive sans transformer les paramètres essentiels de la tâche de production. Ainsi, dans notre recherche, nous maintenons l’intégrité de la situation fonctionnelle de communication, mais nous proposons aux élèves d’anticiper le contenu du texte dans une phase initiale de préparation à l’écriture de façon à faciliter leur centration ultérieure sur les opérations de mise en texte (y compris les opérations orthographiques). Par ailleurs, nous encourageons l’appropriation de divers outils (ouvrages de référence, guides personnalisés d’orthographe, techniques de relecture ciblée) qui peuvent aider l’élève à résoudre les difficultés rencontrées au cours de chaque phase de production. Les approches de type intégré comprennent des régulations issues des interactions de l’élève avec l’enseignant, avec d’autres élèves, avec un matériel didactique. Une importance particulière est accordée au développement des capacités d’autorégulation de l’élève à travers l’intériorisation progressive des formes d’interaction et des outils utilisés dans les situations de production. On vise non seulement l’acquisition par l’élève de compétences cognitives, en production écrite et en orthographe, mais aussi le développement de compétences métacognitives de gestion des différentes composantes de la tâche.

♦ Vers des séquences didactiques reliant activités spécifiques et intégrées Malgré les oppositions de principe qui distinguent les approches spécifiques et intégrées de la didactique de l’orthographe, la question peut se poser quant à la manière de les articuler dans le cadre d’une séquence didactique com prenant plusieurs composantes. Par exemple, dans la conception proposée par Ducard (1995, p. 242), l’enseignement de l’orthographe est intégré dans des activités de sémiologie de l’écrit et des situations fonctionnelles de lecture/écriture, mais les élèves effectuent, en parallèle, des activités spécifiques ordonnées selon des critères de complexité linguistique. Nos propres recherches ont permis l’élaboration de séquences didactiques « en boucle » (Allal et al., 1999) : une première activité complexe, intégrant le traitement d’objets orthographiques dans la production textuelle, est suivie de tâches plus simples et plus spécifiques, centrées sur des savoirs orthographiques qui ont posé problème dans la situation de production ; la séquence est ensuite « bouclée » par une nouvelle situation complexe de production permettant le réinvestissement des compétences acquises sur les plans orthographique et textuel.

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BELEC et l’évaluation de l’orthographe Christiane Baudesson, Olivia Sandevoir

Résumé « BELEC est une batterie d’évaluation psycholinguistique qui a été conçue pour faciliter le diagnostic des troubles spécifiques de la lecture et de l’orthographe ». Les orthophonistes sont amenés à utiliser un tel outil dans le cadre de l’évaluation des troubles de l’orthographe. Mais cet outil n’étudie pas tous les aspects de l’orthographe. Mots-clés : Evaluation, diagnostic, orthographe, orthophonie, métalinguistique, morphographique.

The use of BELEC in evaluating spelling skills Abstract « BELEC is a battery of psycholinguistic tests developed to facilitate the diagnosis of specific disorders in reading and writing. » Speech and language therapists can use this type of tool to assess spelling disorders. However this tool does not deal with all dimensions of spelling. Key Words : Evaluation, diagnosis, spelling, speech and language therapy, metalinguistic approaches, morphography.

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Christiane BAUDESSON Olivia SANDEVOIR orthophonistes C.R.E. - E.R.E.A. 54630 Flavigny/Moselle

L

es différents tests de langage écrit dont disposent les orthophonistes sont liés historiquement aux diverses théories explicatives des troubles de la lecture et de l’écriture.

Les tests traditionnellement utilisés sont des dictées. Celles de S. Borel-Maisonny étalonnées par A. Girolami-Boulinier en 1977, varient suivant le niveau de classe. Elles sont conçues de manière à « provoquer » un certain nombre de fautes, comme par exemple la dictée de fin de CM2 qui est saturée en accords. Le nombre moyen d’erreurs pour ce niveau est de 14 pour 8 phrases ! Il s’agit ensuite pour l’orthophoniste de classer les erreurs dans des catégories qui reposent sur des critères linguistiques et/ou analytiques, ce qui ne laisse pas d’être litigieux. La notation peut varier d’un correcteur à un autre. D’autres tests proposent des dictées où les mots à considérer sont précisés suivant les aspects phonétique, usage et grammaire pour la batterie de M. Savigny (1976) (qui comprend aussi des épreuves de lecture et de mathématique), ou suivant les catégories Règles, Usage et Phonétique pour le R.U.P. (1954) de J. Simon. La batterie Orlec (1973) de M. Lobrot, quant à elle, ajoute 4 épreuves d’orthographe à ses 4 épreuves de lecture (plus une série « Disposition », D1 épreuve de vocabulaire et D2 épreuve phonétique, s’adressant aux enfants avant l’apprentissage de la lecture). Ici, sont distingués les différents types d’orthographes : phonétique, lexical et syntagmatique. Toutes ces épreuves ont pour objectif principal de situer l’enfant par rapport aux autres enfants de son âge ou de sa classe. Elles s’intéressent au comportement de surface, la classification de A. Girolami-Boulinier se différenciant par un début d’analyse en relation avec la théorie instrumentaliste. Mais faute de clarté, cette cotation est difficilement exploitable.

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Les années 80 ont vu se multiplier les recherches et ouvrages concernant la lecture, mais l’orthographe qui avait été étudiée sur la base des tests précités, restait le parent pauvre des études et publications. Elle redevient avec notamment les travaux de J.P. Jaffré et M. Fayol, qui abordent le traitement cognitif des informations linguistiques (texte, grammaire, orthographe), un sujet à part entière.

♦ Présentation de BELEC L’évaluation en orthographe est une des préoccupations de l’orthophoniste, lorsqu’un enfant vient pour une rééducation en langage écrit. Aussi la publication d’une batterie d’évaluation du langage écrit reposant sur un modèle théorique de traitement de l’information écrite ne pouvait qu’éveiller notre intérêt. La batterie BELEC (1994) comprend des épreuves de lecture, une épreuve d’orthographe et des épreuves métalinguistiques. Le but de cette batterie, en référence à un modèle cognitif, est d’analyser les processus mis en œuvre par l’enfant lors des activités de lecture ou d’écriture. Le versant compréhension n’est pas envisagé. La passation demande trois séances d’environ 40 minutes. Notre contribution étant centrée sur l’orthographe, nous avons choisi de présenter les épreuves de lecture, puis les épreuves métalinguistiques avant de détailler l’épreuve ORTHO 3. Les épreuves de lecture. Test MIM (Mécanismes d’Identification des Mots). Il se compose de deux séries équivalentes, MIM A et MIM B 1, de 72 items chacune, une seule des séries suffisant au bilan initial. L’autre série permet une évaluation ultérieure. Il a pour but d’analyser le rôle de la lexicalité (mots / pseudomots), de la fréquence d’usage (mots rares / mots fréquents) et de la longueur (items courts : 5 lettres / items longs : 9 à 12 lettres). Il permet d’aborder également le rôle de la complexité orthographique : pour assembler un item complexe, il faut intégrer un plus grand nombre de lettres par syllabe. 1. Les fiches des épreuves MIM A et MIM B comportent des abréviations que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la batterie. Certes, l’utilisateur reliera l’abréviation F- à la catégorie « rares», F+ à «fréquents », F0 aux pseudomots, mais ce défaut de l’homogénéité de la nomenclature nuit à la clarté de la présentation.

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Test REGUL. Ce test complète le précédent en étudiant le rôle de la régularité orthographique. Il comporte 48 mots dont 24 sont réguliers et 24 irréguliers appariés en fréquence et en longueur (nombre de lettres et syllabes). Il met en évidence les erreurs de régularisation qui proviennent d’une application stricte des règles de correspondance graphème - phonème. Exemple : porc oralisé [pɔRk] ; second oralisé [sək˜ɔ] Les épreuves métalinguistiques L’accès à l’écrit implique de multiples habiletés cognitives parmi lesquelles les habiletés métalinguistiques, dont le rôle déterminant dans l’acquisition de la lecture et de l’orthographe a été mis en évidence par de nombreux travaux. Afin d’analyser plus finement les causes possibles du dysfonctionnement de l’écrit, la batterie BELEC propose une évaluation de trois habiletés métalinguistiques essentielles : - la prise de conscience de la nature segmentale de la parole en relation avec le principe alphabétique, - la perception fine de la parole déterminante dans le décodage (lecture) ou l’encodage (orthographe), - la mémoire phonologique de travail, qui permettrait de maintenir en mémoire une représentation exacte de la correspondance graphème-phonème. La connaissance des lettres et des graphèmes (10 mn) Une première partie du test consiste à nommer les 26 lettres de l’alphabet présentées de façon aléatoire, la deuxième à trouver le phonème correspondant à 37 graphèmes : consonnes, groupes consonantiques, é, è et voyelles de deux ou trois lettres. Les habiletés de perception de la parole et de la mémoire phonologique de travail Cette épreuve a pour but d’évaluer : - l’empan de mémoire immédiate sur un matériel verbal sans signification ; - la qualité des habiletés de perception de la parole. Elle est préenregistrée et comprend deux listes de pseudomots de complexité différente, ayant chacune 5 séries de 4 items dont la longueur peut varier de 1 à 5 syllabes.

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De mauvais résultats à ce test signifient des difficultés au niveau de la mémoire phonologique ou des difficultés perceptives. Cette épreuve peut être complétée par le test de mémoire immédiate de chiffres de Weschler, afin de mieux cerner les problèmes de l’enfant. Les habiletés métaphonologiques Ce test comporte 3 épreuves préenregistrées, intégrant les consignes données à l’enfant, quelques exemples et un feed-back correctif régulier. INVERSION SYLLABIQUE ET PHONÉMIQUE (10 MN) Deux séries d’épreuves sont proposées à l’enfant : la première consiste à inverser les syllabes des pseudomots bisyllabiques, la deuxième à inverser les phonèmes des monosyllabes (CV ou VC). SOUSTRACTION SYLLABIQUE ET PHONÉMIQUE (10 MN) L’épreuve se compose : - d’une partie syllabique de 16 items dont la consigne est de soustraire la syllabe initiale de pseudomots (CVCV), - de deux parties phonémiques où il s’agit de soustraire le phonème initial de monosyllabes du type CVC (16 items), le phonème initial de monosyllabes du type CCV (10 items). ACRONYMES AUDITIFS (10 MN) La tâche consiste à fusionner les premiers phonèmes de deux mots entendus pour créer un nouveau mot. Seize paires de mots sont ainsi proposées à l’enfant. Ceux-ci ont été choisis de façon à pouvoir indiquer si l’enfant a fondé sa réponse sur l’orthographe ou sur la phonologie des mots : la référence à l’orthographe peut être une stratégie de compensation face à la difficulté de réalisation de la tâche phonologique.

♦ ORTHO 3 Présentation. Cette épreuve qui nous intéresse plus particulièrement est constituée de 38 phrases lacunaires à compléter par 70 mots, surtout des noms et des adjectifs. L’analyse de la transcription de graphies particulières doit permettre l’élaboration d’un modèle des stratégies utilisées par le scripteur. On envisagera notamment la maîtrise des correspondances simples, le rôle de l’environnement orthographique dans le mot, les connaissances stockées

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lorsqu’il existe plusieurs graphies pour un même phonème, le recours à la morphologie de la langue (ici à la dérivation). Quatre catégories de graphies sont étudiées : Les graphies consistantes acontextuelles Pour ces graphies les correspondances phono-graphémiques sont intangibles, elles ne dépendent pas du contexte. Les graphies concernées sont des consonnes simples (-f-, -p-,...) , des consonnes complexes (-ch- pour [ʃ] , -gn- pour [ø]), des groupes consonantiques (-gr-, -pr-,...) et des voyelles complexes (-ou-, -on-, -oi-,...). Pour cette première catégorie de graphies, le rôle de la fréquence n’est pas envisagé. Les graphies consistantes contextuelles Les règles de correspondance sont systématiques dans le contexte où elles s’inscrivent. La règle choisie pour évaluer l’acquisition de ce type de graphie est la suivante : devant les lettres -m-, -b-, -p-, les voyelles nasales s’écrivent en utilisant la lettre -m-. Les graphies inconsistantes contextuelles D’une part, le phonème envisagé a plusieurs transcriptions possibles, d’autre part, des règles contextuelles doivent être utilisées pour que la forme sonore du mot soit respectée. Pour transcrire [s] devant les voyelles -e- et -i-, deux graphies essentielles : -s- et -c-. Pour chaque phonème étudié, il y a une graphie dominante, dans notre exemple, il s’agit de -s- (cf. la notion d’archi-graphème de N. Catach). Les graphies dérivables par la morphologie Elles sont représentées ici par les consonnes muettes en fin d’adjectif qui peuvent être actualisées lors de la mise au féminin (gris, haut). On propose aussi, pour contrôle, des mots dont on ne peut déduire l’orthographe par la morphologie (jus, appétit). Pour ces trois dernières catégories de graphies, le test envisage le rôle de la fréquence d’usage des mots dans lesquels ces graphies s’insèrent. Étude plus précise de l’épreuve Ortho 3 Le choix des mots En ce qui concerne le choix des mots, les auteurs de Belec ne signalent pas comment ils les ont retenus.

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Ils s’appuient sur BRULEX, banque de données lexicales informatisée interne à leur laboratoire, pour classer un mot dans les catégories « rares » ou « fréquents ». La batterie est censée tester des enfants de 7 à 12 ans, nous avons donc regardé si ces mots appartenaient au vocabulaire orthographique de cette tranche d’âge. Sur 70 mots, seuls 39 mots sont répertoriés dans l’échelle Dubois-Buyse, dont 2 acquis à partir de 13 ans. Si on se réfère aux listes de N. Catach, seuls 22 mots sont répertoriés auxquels s’ajoute un mot dont l’orthographe peut être déduite : « guider » à partir de « guide ». On pourra objecter que les mots dits « rares » ne doivent pas apparaître dans un échantillon des mots les plus fréquents. Si on se penche plus avant sur la distribution suivant ce critère, on constate que 7 mots rares sont cotés dans l’échelle Dubois-Buyse : ils se répartissent de l’échelon 18 (4e année d’apprentissage) à l’échelon 36 (9e année). Par contre, 5 mots « courants » n’y sont pas cotés. Les 31 mots cotés se distribuent de l’échelon 6 à l’échelon 25 (6e année d’apprentissage), avec une concentration dans les échelons 12 à 15 (3e année d’apprentissage, enfants de 8 à 9 ans). Cette dernière catégorie de mots est assez peu homogène d’après les échelles en notre possession. Le choix des graphies testées Par principe, la batterie BELEC n’est pas destinée à permettre un inventaire exhaustif des erreurs commises par l’enfant, mais à participer à une évaluation diagnostique. Mais, cette évaluation se fait à partir de mots comportant des graphies données. Les auteurs ne précisent pas les raisons du choix des graphies. Pourquoi étudier l’opposition f / v plutôt que m / n ? -gr- et pas -cr- , -tr- et pas dr ?... Comment préciser la représentativité de telle graphie pour une des 4 catégories proposées ? Peut-on inférer qu’une stratégie utilisée majoritairement pour ces graphies représentatives sera utilisée pour d’autres graphies classées dans la même catégorie ? D’autant que la place de la graphie dans le mot n’est pas clairement spécifiée - tantôt elle varie (fusain, café), tantôt elle est fixe (bambou, boudin)-

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et que le nombre de mots où la graphie apparaît change - un seul mot pour -v-, deux pour les autres graphies consistantes acontextuelles-. Le classement des graphies proposé ne permet pas de mettre en évidence l’acquisition de l’opposition sourde / sonore pour toutes les consonnes : par exemple, certains des graphèmes transcrivant [k] et [g] apparaissent dans un contexte particulier et dans des catégories différentes. Quant à la partie morphologique de l’épreuve, elle nous semble restrictive par le nombre et la nature des mots choisis (des adjectifs changeant phonologiquement au féminin). De plus, elle est insuffisante pour évaluer les processus d’acquisition de la morphologie de la langue au niveau du mot (notamment les préfixes et les suffixes). Enfin, les auteurs de BELEC conseillent de procéder à une analyse détaillée des mots dictés qui peut aller au-delà des graphies critiques étudiées dans le test 2. L’étude du corpus fourni à cette occasion est certes possible et intéressante, mais pas davantage que d’autres productions écrites de l’enfant. Pourquoi alors utiliser un test standardisé ? La nature grammaticale des mots dictés Ce sont surtout des noms (55). Viennent ensuite les adjectifs (11), puis seulement 2 verbes, 1 pronom (quoi), 1 adjectif numéral (quatre). D’un point de vue linguistique, cette répartition pose problème si l’on considère que 50% des productions écrites en français par les enfants d’âge scolaire normal sont constituées des mots-outils d’Henmon. La signification des phrases Le contenu des phrases n’est bien sûr pas la priorité dans ce type de batterie. Il est néanmoins regrettable d’y trouver des phrases moralisantes (17, 18, 27) ou cette phrase parlant de David qui ne serait pas idiot car son quotient intellectuel est très haut ! La démarche psycholinguistique des créateurs de Belec, centrée sur l’analyse des comportements linguistiques et métalinguistiques des enfants leur fait, à notre avis, négliger certains critères linguistiques dans le choix de leur matériau.

♦ Présentation des résultats de deux enfants Alix, jeune I.M.C., âgé de 12 ans au moment de la passation de la batterie est scolarisé en classe de 6e, dans un collège relevant de l’enseignement spé2. Fascicule introductif de BELEC p. 19.

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cialisé. Il marche, peut écrire à la main, mais utilise préférentiellement l’ordinateur pour des raisons de lisibilité et pour éviter la fatigue. L’épreuve ORTHO 3 lui a donc été présentée sur l’ordinateur où les phrases lacunaires avaient été rentrées au préalable. Alix a été suivi en orthophonie de l’âge de 6 ans à l’âge de 9 ans pour un bégaiement et des troubles de la parole très invalidants qui ont complètement régressé. Son niveau en langage oral est maintenant bon. Il est actuellement suivi en orthophonie à raison d’une séance par semaine pour ses difficultés en orthographe au sens large : par exemple, les règles de ponctuation dans la phrase et le texte sont très difficilement appliquées. Test MIM : pourcentage de réponses correctes et, entre parenthèses, temps de lecture moyen (en seconde / item)

Simples Complexes Moyenne

Pseudomots Courts Longs 83,3 (1,4) 66,6 (3,77) 66,6 (1,38) 33,3 (3,44) 74,9 (1,39) 49,9 (3,6)

Mots rares Mots fréquents Courts Longs Courts Longs 100 (1,49) 100 (1,74) 100 (1,46) 100 (2,41) 66,6 (1,92) 66,6 (2,41) 83,3 (1,71) 100 (1,32) 83,3 (1,7) 83,3 (2,08) 91,6 (1,58) 100 (1,86)

Dans cette épreuve de lecture, si l’on compare les résultats d’Alix avec la moyenne des performances des enfants de 5e année, on constate que ses pourcentages de réussite sont inférieurs pour 7 catégories sur 12. Ils sont supérieurs pour les mots simples, fréquents et rares - mais pas pour les pseudomots -, pour les mots fréquents simples courts et longs et plus étonnant pour les mots fréquents, longs et complexes. Le temps est très allongé dans tous les items. D’une manière générale, l’effet de fréquence est très fort, les pseudomots longs et complexes étant très mal lus (33,3%) avec un temps maximum (3,44 s par item). La sensibilité à la longueur se fait sentir surtout dans les pseudomots, là où le recours à la voie directe n’est pas possible. Test REGUL (Même échelle que pour MIM)

Réguliers 100 (1,13)

Irréguliers 75 (1,55)

Les mots réguliers sont très bien lus mais plus lentement que par les enfants du même âge. Les mots irréguliers donnent lieu à trop de régularisations avec là encore, un allongement du temps.

183

Test ORTHO 3

Mots Graphies consistantes acontextuelles Consonnes simples Consonnes complexes Groupes consonantiques Voyelles complexes Graphies consistantes contextuelles Graphies inconsistantes Dominantes Minoritaires Graphies dérivables par la morphologie Dérivables Indérivables

rares

fréquents

100 % 75 % 100 % 100 % 16,6 % 50 % 77,7 % 44,4 %

100 % 88,8 %

16,6 % 16,6 %

66,6 % 100 %

En orthographe, l’effet de fréquence est important, ce qui montre bien le recours à la stratégie d’adressage. Mais l’effet de dominance n’est pas négligeable. La supériorité du score obtenu pour les graphies indérivables par rapport aux graphies dérivables (dans les mots fréquents) indique qu’Alix n’utilise pas le principe morphologique qui devrait apparaître à cet âge (91,6% de réussite chez les enfants de 5e année pour les mots dérivables fréquents). Si l’on se penche sur la globalité des productions, les erreurs phonologiques qui respectent la forme sonore du mot sont majoritaires. Elles relèvent de deux origines : - un non-respect de la forme orthographique du mot (« selleri » pour « céleri »), - une absence de prise en compte du contexte (« girlande » pour « guirlande ») ; les auteurs de BELEC parlent ici de graphies phonologiquement acceptables hors du contexte. L’absence d’accent sur la lettre -e- , répétée six fois chez Alix pourrait relever de cette catégorie d’erreurs. La procédure phonologique est largement utilisée pour écrire les mots rares. Alix a encore des difficultés dans le maniement des correspondances phono-graphémiques et se représente parfois mal la forme sonore du mot (« dédi » pour « délit »...).

184

Enfin, on trouve d’autres erreurs plus complexes, difficiles à interpréter dans ce cadre méthodologique (par exemple, « consen » pour « quotient »). Les épreuves métalinguistiques Connaissance de lettres : bonne, une erreur [ka] pour q de graphèmes : correcte, 5 erreurs : [wa] pour -w- ; [wa] pour -oin- ; [e] pour -è- ; [gn] pour -gn- ; [y] pour -eu-. Pour cette dernière erreur, peut-on parler d’une lexicalisation, le participe passé du verbe « avoir » se prononçant [y] alors que l’oralisation du graphème dans les mots est [ø] ? Répétition de pseudomots % R.C. empan

Partie CV Partie CCV 65 66,6 5 3

Cette épreuve évaluant la perception de la parole et la mémoire phonologique de travail est très révélatrice des difficultés d’Alix. Ses résultats sont inférieurs à ceux d’un enfant de 8 ans. Conclusion : Les résultats en lecture et orthographe montrent que la voie d’adressage est largement utilisée pour compenser les difficultés d’assemblage soulignées par les mauvais scores en lecture de pseudomots et en orthographe de mots rares. Néanmoins, d’autres effets interfèrent et on ne peut déterminer un « profil » à une seule composante, ce qui est le cas pour la plupart des enfants que nous suivons en rééducation. Amandine, âgée de 11 ans 5 mois, est scolarisée en CM2 dans un centre de réadaptation fonctionnelle, où elle bénéficie d’une rééducation kinésithérapique intensive, successive à un allongement fémoral. Elle a présenté des troubles de la lecture en CE1-CE2, qui ont nécessité une rééducation orthophonique. Actuellement, en dehors de troubles résiduels discrets, la qualité du déchiffrement et de la compréhension de texte est globalement satisfaisante. En revanche, des difficultés massives en orthographe existent (à mettre en relation avec les difficultés d’apprentissage de la lecture ?) tant sur les plans phonologique, morpho-syntaxique que lexical, ce qui a justifié la reprise de la rééducation.

185

Test MIM

Simples Complexes Moyenne

Pseudomots Courts Longs 83,3 (0,98) 83,3 (2,31) 66,6 (1,3) 33,3 (2,1) 74,8 (1,14) 58,3 (2,2)

Mots rares Mots fréquents Courts Longs Courts Longs 83,3 (0,98) 66,6 (1,68) 100 (0,65) 100 (1,53) 100 (0,83) 66,6 (1,9) 100 (0,56) 100 (0,91) 91,6 (0,9) 66,6 (1,79) 100 (0,6) 100 (1,22)

Dans le test MIM, Amandine obtient des performances supérieures à celles de l’échantillonnage (100% de R.C.) pour tous les mots fréquents, et pour les mots rares courts et complexes. Sa fragilité apparaît dans le décodage des mots rares longs et complexes, mais surtout dans celui des pseudomots longs et complexes. Sa vitesse de lecture est globalement plus rapide que celle des élèves témoins. Test REGUL

Réguliers 87,5 (0,5)

Irréguliers 75 (0,7)

Dans le test REGUL, les résultats d’Amandine sont inférieurs à ceux de la population témoin. En revanche, sa vitesse de lecture est plus élevée. Test ORTHO 3

Mots Graphies consistantes acontextuelles Consonnes simples Consonnes complexes Groupes consonantiques Voyelles complexes Graphies consistantes contextuelles Graphies inconsistantes Dominantes Minoritaires Graphies dérivables par la morphologie Dérivables Indérivables

186

rares

fréquents

100 % 75 % 100 % 83,33 % 33,33 % 100 % 77,77 % 22,22 %

100 % 88,88 %

16,66 % 33,33 %

83,33 % 33,33 %

Amandine obtient des résultats inférieurs à ceux de la population de référence dans la majorité des épreuves. Au niveau des graphies consistantes acontextuelles, les voyelles et les consonnes complexes ne sont pas complètement dominées. Pour les graphies consistantes contextuelles, et inconsistantes, le facteur de fréquence joue un rôle essentiel. Cet effet intervient également dans la transcription des graphies dérivables, mais n’améliore pas les résultats pour les indérivables. L’hypothèse émise dans ce cas par les auteurs de BELEC est « que la morphologie et les connaissances lexicales interagissent... Ceci pourrait vouloir dire que le recours à la morphologie n’est pas systématique et dépend en particulier de la familiarité du mot. » 3 Le constat d’un effet de fréquence pour la majorité des items indiquerait donc que la procédure d’adressage est utilisée pour les mots les plus familiers. Si on examine l’ensemble des productions, on remarque une prédominance des substitutions phonologiques avec : - une mauvaise utilisation des différentes représentations d’un même son (« todie » pour « taudis »), - un emploi erroné des graphies ayant plusieurs valeurs phonétiques (« présie » pour « précis »). S’y ajoute une connaissance insuffisante des correspondances phonèmegraphème avec une confusion entre les consonnes sourdes et sonores. Épreuves métalinguistiques Connaissance des lettres : on remarque une confusion réciproque entre les lettres b et d. Connaissance des graphèmes : des hésitations et 7 erreurs : [b] pour d ; [k] pour p (en référence à la lettre q) ; [z] pour s ; [w˜ε] pour oi ; [z] pour x ; [gn] pour gn ; [˜ε] pour oin. Répétition de pseudomots

% R.C. empan

Partie CV Partie CCV 80 83 5 3

3. Fascicule introductif de BELEC p. 18-19.

187

Habiletés métaphonologiques (voir tableau page suivante) Dans les opérations d’inversion, les erreurs ne portent pas sur les phonèmes à inverser, mais sur les autres (assimilation entre bilabiales). Les autres opérations sont totalement réussies. Dans l’épreuve des acronymes, Amandine recourt une seule fois à une représentation orthographique, avec un score de13/16, ce qui ne nous semble pas significatif. Conclusion : Amandine rencontre des difficultés dans la procédure d’assemblage, ce qui s’explique en partie par sa maîtrise encore incomplète des correspondances grapho-phonémiques. Elle utilisera donc la procédure lexicale en lecture et en orthographe, notamment lors de l’oralisation de pseudomots, comme stratégie compensatoire (cf. l’effet de régularité). L’effet de fréquence apparaît en lecture et en orthographe. Tableau comparatif des résultats aux épreuves métalinguistiques Nom des lettres (/26) Son des graphèmes (/37) Répétition de pseudomots Partie CV empan % RC Partie CCV empan % R.C. Inversion syllabique phonémique Soustraction syllabique phonémique CVC phonémiqueCCV Acronymes erreurs orthographiques

188

Alix 25 32

Amandine 24 29

Groupe contrôle de 2e année

5 65%

5 80%

5 76%

3 66,6%

3 83,3%

3 53%

70% 90%

80% 90%

>90%

92,5% 92,5% 100% 100% 0

100% 100% 100% 81,25% 1

83%

La lecture de ce tableau ne nous donne que peu d’informations complémentaires : Nous regrettons de ne pas disposer de résultats d’échantillons contrôles pour l’épreuve de connaissance de lettres et de graphèmes et de ne disposer que de ceux de 2e année d’apprentissage pour les autres épreuves métalinguistiques. La référence à une population nous permettrait d’affiner notre analyse. Quant aux épreuves métaphonologiques, nous rejoignons les conclusions des auteurs de BELEC qui précisent que pour des enfants dyslexiques de plus de 9 ans, « ces épreuves peuvent se révéler parfois peu sensibles si l’on ne prend en compte que le taux de réussite » 4. Alix qui a exécuté sans erreur l’épreuve des acronymes, observe un temps de latence relativement long avant de répondre. L’épreuve de répétition de pseudomots semble plus révélatrice car elle met en évidence des empans équivalents à ceux des enfants de 8 ans. Pour Alix le taux de réussite a un niveau inférieur (dans la partie CV), et pour Amandine un niveau légérement supérieur. Mais il nous manque l’évolution ultérieure des performances pour affirmer un déficit de perception et/ou de mémoire phonologique de travail chez Amandine.

♦ Intérêts et limites de la batterie Dans le cadre théorique de la psychologie cognitive, les résultats obtenus à la batterie BELEC par les groupes contrôles mettent en évidence le processus développemental dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture. En orthographe, ils soulignent l’effet de fréquence dès les débuts de l’apprentissage. Dans l’abord des enfants en difficulté, BELEC devrait permettre l’établissement d’un « profil » de comportement face au langage écrit. Par rapport à cet objectif, la batterie nous paraît plus performante en lecture qu’en orthographe. L’étude de l’orthographe est abordée plus en complément de l’étude de la lecture qu’à part entière. Utilisation de la batterie La passation des épreuves est un peu longue et ne pose pas de difficulté pratique, hormis le chronométrage des deux épreuves de lecture MIM et REGUL. 4. Fascicule introductif de BELEC p. 2.

189

Par contre le dépouillement de tous les résultats prend du temps pour une interprétation qui n’est pas forcément limpide. Il serait bénéfique que d’autres études de cas, correspondant à des catégories d’âge et à des problèmes divers soient publiées. En tant que praticiennes de la rééducation de l’orthographe, nous voyons des limites de deux ordres. Si l’on se réfère aux mots testés dans Belec, il est très difficile d’élaborer une progression de rééducation (cf. l’opposition sourde/sonore qui n’est pas bien mise en évidence). L’orthographe d’une langue ne se limite pas à l’orthographe de mots isolés, même si l’on a pris soin de les présenter en contexte. Les acquisitions en orthographe lexicale ne sont pas superposables aux acquisitions en morphosyntaxe. Il serait intéressant que des études soient poursuivies dans une perspective linguistique.

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Etude d’un cas clinique de perturbation développementale de l’accès à l’orthographe lexicale : importance diagnostique et remédiative d’une approche cognitive pluridisciplinaire Jean-Pierre Walch Résumé Le présent document insiste, à partir de la présentation d’un cas clinique de carence développementale de l’accès à l’orthographe lexicale, sur l’apport d’une démarche cognitive pluridisciplinaire dans l’abord diagnostique et remédiatif des perturbations acquisitives de la production écrite. Une place importante est consacrée à la description des actes curatifs ciblés et coordonnés mis en oeuvre à partir du profil neurocognitif observé ainsi qu’à l’effet objectivable de ces actes sur le tableau clinique initial, cela au travers des liens devant nécessairement unir l’axe diagnostique et l’axe soignant. Des hypothèses sont émises et discutées d’un point de vue théorique à partir des données évolutives différentielles obtenues. La question de la nature des dérèglements cognitifs associés aux dysorthographies de « surface » est, notamment, posée et illustrée au travers de l’effet des actes curatifs sur le profil neurocognitif d’ensemble. Mots-clés : Orthographe lexicale, dysorthographie développementale, rééducation, approche cognitive, pluridisciplinarité.

A case study of developmental impairment in a child’s access to lexical orthography : diagnostic and remedial relevance of a multidisciplinary cognitive approach Abstract In the present study, the author stresses the importance of using a cognitive approach in the diagnosis and remediation of a case of developmental surface dysgraphia. Qualitative theoretically-based data from neuropsychologically-guided assessments were collected and synthesized. The treatment strategy was developed on the basis of an analysis of the initial profile of neurocognitive impairment. The present paper describes the proposed remediation strategies and their possible influence on the data oobtained at different stages. Functional hypotheses are thus put forward and discussed within recent theoretical frameworks. More specifically, we raise the issue of the nature of those cognitive impairments associated with developmental surface dysgraphia. Key Words : Developmental surface dysgraphia, remediation, cognitive approach.

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Jean-Pierre WALCH Neuropsychologue Maison d’Enfants à Caractère Spécialisé « Les Lavandes » 05700 Orpierre

L

’orthographe d’un mot consiste en une séquence de lettres qui le représentent. Le système orthographique français est fondé sur la coexistence de deux modes de représentation : une représentation phonologique basée sur l’utilisation des règles de transcodage phonème-graphème et une représentation lexicale permettant d’intégrer des particularités de transcodage (alternatives et spécifications orthographiques).

Dans un système orthographique profond comme le français, produire l’orthographe correcte d’un mot, même isolé, requiert très fréquemment la mise en jeu de relations phonème-graphème non-prédictibles (voir Véronis, 1988, par exemple). Cela réclame nécessairement l’acquisition, en cours d’apprentissage, non seulement de connaissances alphabétiques générales (régularité des traductions phonème-graphème), mais aussi de connaissances spécifiques à des mots particuliers (dépassement de la stricte prédictibilité). Ces deux types de connaissances sont progressivement mémorisés au cours de l’apprentissage du langage écrit. Le stockage en mémoire de connaissances orthographiques au sens large (c’est à dire portant sur le système alphabétique et sur l’orthographe spécifique de mots) pourrait impliquer des mécanismes intéressant conjointement la lecture et la production écrite (voir notamment Ehri, 1997). L’auteur insiste sur le fait que l’orthographe des mots est, en effet, lue (extraction d’une forme phonologique et d’une signification), produite par écrit et vérifiée (soit après production écrite, soit probablement même au cours de l’acte lexique). Si certains auteurs mettent en avant le rôle d’une médiation phonologique dans l’accès à la procédure phonologique et à la procédure lexicale (Bosman et

192

Van Orden, 1997 ; Sprenger-Charolles, Siegel et Béchennec, 1997...), d’autres argumentent l’hypothèse selon laquelle le stockage progressif de spécifications orthographiques (consécutif à l’identification des mots) dépendrait plutôt de l’acte lexique en lui-même, c’est à dire, notamment, du nombre de rencontres du sujet avec les mots écrits et, probablement, de la qualité fonctionnelle de ces rencontres (Alégria et Mousty, 1997). La littérature ainsi que la pratique clinique attestent de l’existence de patrons contrastés de perturbations développementales de l’accès à la production orthographique (voir Valdois, 1996, par exemple). Certaines de ces perturbations touchent manifestement les capacités d’accès à la procédure lexicale, ce qui nous semble particulièrement intéressant par rapport d’une part au caractère profond de l’orthographe française, d’autre part aux considérations d’ensemble qui précèdent. Nous insisterons une nouvelle fois, dans le présent document, sur l’apport d’une démarche cognitive dans l’abord diagnostique et remédiatif des perturbations développementales de l’accès au langage écrit (voir notamment Seymour, 1996 ; Walch, 1996). Nous nous intéresserons tout particulièrement, à partir de l’étude d’un cas de carence d’accès à la procédure lexicale, à la description de deux axes probablement corrélés : l’analyse quantitative, mais surtout qualitative, des erreurs commises sur le plan de la production orthographique et la nature des dysfonctionnements cognitifs associés (incluant ceux relatifs à l’acte lexique). Le principal développement du présent document consistera en une présentation du ciblage des actes curatifs coordonnés (au sens de pluridisciplinaires) mis en oeuvre à partir des deux points précités ainsi qu’à l’effet objectivable de ces actes sur le tableau clinique initial. Nous proposerons, enfin, une tentative d’interprétation et de discussion d’un point de vue théorique des résultats évolutifs obtenus.

◆ Etude de cas Présentation générale Y.A.R. est âgé de 13;2 ans à son arrivée au sein de notre institution (09/97). Cet enfant, de sexe masculin, correspond à la définition des troubles développementaux d’acquisition du langage écrit donnée par la Fédération mondiale de neurologie : âge de lecture inférieur d’au moins 18 mois à l’âge chronologique (niveau de 7;2 ans à l’Alouette pour 12 ans d’âge réel au moment de la

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passation), scolarisation adéquate et régulière, absence de carence sur le plan socio-culturel, quotient intellectuel supérieur ou égal à 90 (QIG 113, QIV 113, QIP 110 au Wisc-R réalisé le 12/01/96), absence de déficience sensorielle ainsi que d’atteinte d’ordre psychiatrique ou neurologique relevable. Examen des caractéristiques de la production écrite Comme nous l’avons précédemment écrit (Walch, 1996), il semble opportun de se donner les moyens d’éclairer, au travers d’une analyse la plus qualitative possible, le type de fonctionnement sous-jacent que reflètent les productions, ici écrites, de l’enfant. Il apparaît intéressant, dans ce but, de coupler l’interprétation de résultats tirés d’une analyse différentielle de l’effet de variables lexicales à partir de listes d’items (corpus I) et celle de résultats tirés d’une analyse totalement qualitative des erreurs commises (corpus II). Cela est réalisé en prenant en compte les caractéristiques d’ensemble des items proposés avec accès à un corpus plus large (provenant de la transcription d’un texte sous dictée) et réutilisation, sous l’angle précédemment défini, du corpus I. Nous renvoyons le lecteur en annexe pour une description du matériel utilisé. Dans un souci de clarification du propos et de la démarche, nous nous contenterons, ici, de traiter de la production orthographique, sous dictée, d’items soit directement isolés (listes), soit pris en compte d’une façon isolée par rapport à un texte, c’est à dire sans inclure, sur ce plan, d’éléments relevant de la morphosyntaxe. L’apprentissage des règles morphosyntaxiques nous semble, en effet, introduire une forme de prédictibilité (tirée notamment de la logique) recouvrant une morphologie en grande partie silencieuse et s’écarter ainsi de notre propos principal (différencier l’accès à des traductions phonème-graphème prédictibles par traitement alphabétique direct de l’accès, non-prédictible, à des spécifications). Comme l’illustre le Tableau 1 (corpus I), Y.A.R. montre essentiellement un effet de deux des variables lexicales utilisées sur le plan de la production écrite : un effet de complexité phonologique en transcription de pseudomots et un très net effet de la régularité orthographique. Ces deux effets peuvent être considérés comme de probables indicateurs de l’utilisation d’une procédure de traitement par médiation phonologique. L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en transcription sous dictée (Tableau 1, corpus II) vient confirmer une probable difficulté de stockage en mémoire de connaissances orthographiques spécifiques (c’est à dire non-directement prédictibles) sur les mots. Le taux d’erreurs phonologiques apparaît négligeable. L’utilisation de la médiation phonologique domine de partout où cela est possible. Les mots irré-

194

guliers sont largement régularisés, des mots (« prédictibles ») sont couramment sur-analysés et il existe une connaissance imparfaite (ou une mauvaise application) des règles contextuelles « environnementales » (Y.A.R. utilise le son de la lettre sans tenir compte de son environnement). Il semble il y avoir échec quasiconstant de l’accès à une procédure lexicale (voir, au strict minimum, le pourcentage très élevé de choix d’une mauvaise alternative orthographique ainsi que d’oubli d’une lettre ne présentant aucun pendant sonore ou pas de pendant sonore direct). Transcription de pseudomots simples

87

Transcription de pseudomots complexes

60

Transcription de mots simples fréquents

87

Transcription de mots simples rares

86

Transcription de mots irréguliers

18

Tableau 1 (corpus I) : Résultats initiaux de Y.A.R. aux épreuves de production écrite testant l’effet de différentes variables lexicales. Les données chiffrées correspondent à des pourcentages de réussite.

Erreurs phonologiques

04*

Régularisations Sur-analyse (« acse ») Méconnaissance de l’environnement graphique (« médesin »)

69* 28* 27*

Choix de mauvaises alternatives orthographiques (« jensive », « sése ») Oubli d’une consonne muette**ou d’une consonne double***

46* 72*

Tableau 1 (corpus II) : Résultats qualitatifs initiaux de Y.A.R. sur le plan de la production orthographique. Les données chiffrées correspondent au pourcentage d’erreurs commises par rapport au maximum théorique possible au sein du corpus présenté (voir en annexe). *Ce pourcentage d’erreurs ne concerne que les allographes d’un son donné. Il ne peut donc, au pire, qu’être compris entre 50% et 67% sur un corpus d’ensemble. **Les morphogrammes sont exclus. ***Seules sont comptabilisées, ici, les consonnes doubles purement graphiques.

Cet état particulier d’accès à la production écrite sous dictée s’accompagne d’un profil neurocognitif que nous allons détailler selon trois axes : l’acte lexique, les capacités de traitement des informations phonologiques (auditivoverbales) et les capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales).

195

Lecture de pseudomots simples

87

Lecture de pseudomots complexes

80

Lecture de mots simples fréquents

100

Lecture de mots simples rares Lecture de mots complexes fréquents

62 100

Lecture de mots complexes rares

86

Lecture de mots irréguliers

87

Tableau 2 (corpus I) : Résultats initiaux de Y.A.R. aux épreuves d’acte lexique testant l’effet de différentes variables lexicales. Les données chiffrées correspondent à des pourcentages de réussite.

Erreurs phonologiques

09

02*

Régularisations

04

31*

Méconnaissance des règles « environnementales »

03

16*

Paralexies visuellement proches

15

Confusions de graphèmes visuellement proches

03

Omissions de mots-outils

05

Inversions

03

Omissions de finales

02

000

Tableau 2 (corpus II) : Résultats qualitatifs initiaux de Y.A.R. sur le plan de l’acte lexique. Les données chiffrées représentent le détail sectorisé des 44 erreurs commises pour 586 mots lus ainsi que le pourcentage d’erreurs par rapport au maximum théorique possible lorsque cela est déterminable*.

Profil neurocognitif associé Acte lexique Ce dernier apparaît d’un niveau non-négligeable, peu sensible (actuellement) à l’effet des différentes variables lexicales utilisées (Tableau 2, corpus I).

196

L’effet de régularité observé lors des évaluations initiales (08/96), avec 17% de réussite sur les mots irréguliers, n’est plus objectivable ici. Actuellement, il semble exister un effet de fréquence, mais uniquement sur les mots de structure phonologique simple (ce qui en limite probablement la portée). Les mots irréguliers sont, dans la plupart des cas, bien abordés. L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en situation d’acte lexique (utilisation d’un corpus plus large tiré de la lecture d’un texte et réutilisation du corpus I au niveau des caractéristiques d’ensemble de tous les items proposés : voir en annexe) autorise à la mise en avant de traits fonctionnels particuliers (Tableau 2, corpus II). A partir d’une lecture assez fiable (7.5% d’erreurs seulement) dominent, ici, des erreurs dénotant une probable imprécision de l’accès aux procédures attentionnelles d’analyse visuelle ou pouvant, à notre avis, être interprétées comme telles (principalement paralexies visuellement proches, c’est-à-dire choix de voisins orthographiques, confusions de graphèmes visuellement proches, omissions de mots-outils, inversions, omissions de finales). A noter, ici, une nette tendance à la dégradation des performances dans la durée avec accroissement du type d’erreurs précédemment décrites (ce qui va aussi dans le sens de l’hypothèse). Là encore, les règles contextuelles « environnementales » ne sont pas toujours appliquées (Y.A.R. semblant alors guider sa prononciation sur le son de la lettre sans tenir compte du contexte environnemental de cette dernière). Il existe quelques régularisations dénotant aussi l’application probable d’une procédure par médiation phonologique. Les erreurs phonologiques apparaissent peu nombreuses. Capacités de traitement des informations phonologiques (auditivo-verbales) Comme le montre le Tableau 3, Y.A.R. ne présente pas de problème patent sur le plan phonologique (analyse auditive, conscience des chaînes phonologiques, conscience phonémique, mémoire de travail auditivo-verbale et phonologique, épreuves de répétition...) ni sur le plan, plus général, du langage oral (dénomination sur images, fluences, capacités définitoires, capacités syntaxiques expressives...). En outre, les capacités en mémoire permanente auditivo-verbale, mesurée à la BEM 144 de Signoret sont dans la moyenne attendue (score de 53.5/72 pour un âge réel de 12.1 ans au moment de la passation).

197

Analyse auditive Verlan Jugements de rimes Perception du son /R/ Suppression du 1er son Segmentation phonémique

100* 91* 95* 80* 89* 100* Tâches simultanées(1) Empan total MDT AV

Répétition de mots rares (2)

03

100*

Dénomination d’images d’objets (3) 93* Fluence sémantique Animaux Fruits Fluence phonémique /p/ Vocabulaire passif (4) Vocabulaire actif Syntaxe réceptive (5) Syntaxe expressive

(1’30’’) 33 11 (1’30’’) 09

100* 92* 100* 100*

Tableau 3 : Capacités de traitement des informations phonologiques et examen du langage oral chez Y.A.R. (état initial). Les données chiffrées représentent les pourcentages de réussite aux épreuves, sauf en ce qui concerne les chiffres en italiques qui ne peuvent être que des données brutes. *Les résultats passent à 100% de réussite si on accepte les autocorrections. (1) Epreuve empruntée à Baddeley et Hitch (1974) = jugements sémantiques sur une série de phrases, puis restitution ordonnée du dernier mot de chaque phrase. Concernant la mémoire de travail phonologique, voir aussi les résultats obtenus en suppression du 1er son. (2) Epreuve de répétition de mots difficiles (Chevrie-Muller, Simon, Decante, 1981). (3) Epreuve de dénomination d’images: LX2 (Chevrie-Muller, Simon, Decante 1981), (4) TVAP (Deltour, Hupkens, 1979). L’item « Vocabulaire » du Wisc-R (qui couple connaissances à ce niveau et capacités définitoires) est réussi. 5) NSST (Weil-Halpern, Chevrie-Muller, Simon, 1981). Nous sommes conscients que la plupart des épreuves standardisées utilisées dans l’évaluation du langage oral saturent à 8.6 ans. Cela entraîne deux types de commentaires: 1) ces épreuves peuvent tout à fait servir, chez des enfants plus âgés que ceux correspondant à leur étalonnage, à détecter des déviances dans l’acquisition du langage oral (ce qui n’est absolument pas le cas chez Y.A.R.), 2) les données cliniques en notre possession (analyse qualitative de corpus de langage oral induit, semiinduit et spontané, épreuves cliniques de dénomination rapide et d’accès au lexique selon les deux modalités sensorielles...) confirment tout à fait l’absence de troubles patents sur ce plan, chez Y.A.R. Les données soulignées indiquent la possibilité d’une légère faiblesse au niveau de l’épreuve considérée.

198

Capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales) Le Tableau 4 illustre l’existence, chez Y.A.R. de sévères difficultés (pour la vitesse et la précision) dans une épreuve d’attention soutenue à base de barrage de signes diversement orientés. En outre, les capacités de traitement des informations visuo-spatiales en mémoire transitoire sont très faibles. Par contre, il n’existe pas de problème patent sur le plan de la mémoire permanente visuelle (voir les résultats à l’échelle visuo-spatiale de la B.E.M.144 de Signoret). Barrage de signes diversement orientés (1) : Vitesse

8e Décile / âge réel

Exactitude

8e Décile / âge réel

Tâches simultanées Empan total MDT VS (2)

01

Mémoire permanente sur entrée visuelle (3)

Moyenne / 11 ans-12.6 ans*

Tableau 4 : Capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales) chez Y.A.R. (état initial). (1) Epreuve d’attention concentrée BAMS (Lahy) : durée 10’. (2) Empan total de la mémoire de travail visuo-spatiale = Epreuve clinique consistant, à partir d’un système de grilles, en un jugement de similarité entre une configuration spatiale-cible et une autre configuration (brièvement présentées successivement), suivi d’une demande de restitution ordonnée d’un élément positionnel précis de la configuration-cible. (3) BEM 144 (Signoret, 1991). *Epreuve réalisée préalablement au séjour (Y.A.R. étant alors âgé de 12.1 ans).

♦ Actes curatifs coordonnés (pluridisciplinaires) proposés Le principe curatif d’ensemble que nous avons tiré du profil neurocognitif précédemment abordé consiste à chercher à améliorer la mémorisation de l’orthographe non-directement prédictible par application stricte des traductions phonème-graphème. Pour cela, nous avons proposé deux types généraux d’actes soignants mis en balance selon la possibilité d’utilisation d’un pendant sonore à la représentation orthographique. Principe 1 Quand un pendant sonore (phonologique) existe, nous proposons de l’utiliser pour (en quelque sorte) renforcer la prédictibilité de la production écrite. Il

199

ne s’agit pas, bien sûr, d’un travail systématique, mais plutôt d’une prise de conscience en rapport avec le principe 2 (ce dernier étant, à notre avis et dans les exercices proposés, dominant d’un point de vue curatif). Toute prédictibilité basée sur le son passe et est illustrée par un travail couplé en lecture et en transcription. Cela est valable pour : - les indices morphologiques marquant l’appartenance à une famille de mots (exemple : on dicte « froide » à l’enfant et on travaille sur « froid » en transcription et en lecture) ; - les mots irréguliers qui conviennent et que l’enfant sait lire (« seconde » correctement lu, on demande à l’enfant de lire, après coup, exactement ce que l’on devrait lire normalement, puis de l’écrire sous dictée, c’est à dire en l’absence du modèle) ; - l’apprentissage des règles orthographiques contextuelles « environnementales » (en allant là aussi de la lecture à la transcription sous dictée vers une généralisation). Principe 2 Quand aucun pendant sonore (phonologique) n’est utilisable, l’aide à la mémorisation de formes orthographiques passe par deux grandes séries d’exercices coordonnés : A) une présentation technique des données posant problème (cette présentation utilise l’acte lexique) : - abord des phonèmes présentant plusieurs options graphémiques (cela recoupe d’ailleurs, par certains côtés, l’apprentissage des règles orthographiques contextuelles « environnementales ». Les différentes façons d’orthographier /Z/ en sont un exemple) ; - abord des homophones non-homographes ; - abord de l’existence de graphèmes n’ayant aucun pendant sonore (consonnes muettes) ou pas de pendant sonore direct (consonnes doubles). Concernant certains doublements de consonnes non-purement graphiques (doublement à la jonction du préfixe et du radical) ou l’utilisation (démultipliée à toute une famille de mots) de particularités orthographiques touchant préfixes, racines ou suffixes, la présentation de la segmentation morphémique apparaît très utile. B) une recherche de potentialisation des capacités de traitement et de stockage de représentations orthographiques :

200

- exercices d’attention distribuée sur entrée visuelle : . repérage de configurations de lettres existantes ou non. Il s’agit, par exemple, après une brève présentation visuelle simultanée, de dire combien de fois la configuration « eau » se trouvait sur une grille comportant d’autres configurations proches, mais non-existantes (« uae », « aue », « uea », « aeu », « eua ») ; . présentation simultanée ou successive de mots comportant, par exemple, une option graphémique du phonème /o/ et demande, après brève exposition, de dire combien de fois l’on retrouvait la configuration « eau » dans l’ensemble de ces mots. Les graphèmes peuvent être écrits en différentes couleurs, ce qui permet de poser des questions portant sur le nombre de lettres écrites en une couleur donnée, ces lettres pouvant correspondre aux configurations que l’on veut travailler. Nous signalons ici (bien que cela ne soit pas le lieu) que cet exercice peut aussi être réalisé sur entrée auditive en demandant alors à l’enfant de mentaliser les données (passage par une procédure d’imagerie visuelle). Un principe important dans ce type d’exercice est de ne pas prévenir l’enfant des questions qui lui seront posées, de façon à conserver un caractère implicite à l’activité ; . exercices de « priming » portant sur la partie la moins directement prédictible de l’orthographe (travail sur l’implicite). Il s’agit ici, dans un premier temps, de proposer à l’enfant un exercice d’attention distribuée sur entrée visuelle n’utilisant pas de constituants-lettres. Par exemple, nous proposons de lire une série de chiffres en fonction de certaines règles de procédure (lire deux fois les chiffres qui sont en italique par exemple, ou ne pas lire ceux qui sont en caractère gras). Une fois cet exercice réalisé et sans aucune consigne supplémentaire, nous proposons à l’enfant la lecture d’un petit texte où les éléments les moins prédictibles de l’orthographe sont dactylographiés en italique ou en caractère gras, c’est à dire selon les modalités de l’exercice attentionnel précédent, - exercices d’amélioration du suivi de la procédure attentionnelle d’analyse visuelle : . en situation d’acte lexique, donner le nombre de lettres composant différents mots, . exercice de reconnaissance de mots mêlés avec modèle visuel, puis sans, sur des mots connus (certains traits pertinents, certains patrons orthographiques travaillés par ailleurs devant « sauter aux yeux »), mais le repérage de l’ensemble des lettres composant le mot apparaît aussi nécessaire ;

201

. exercices de reconnaissance de mots identifiés par relectures successives et de plus en plus rapides d’un même paragraphe ; . test de reconnaissance orthographique à choix multiples. Ici, tout en restant dans le domaine de la reconnaissance, nous plaçons l’enfant dans une situation intermédiaire par rapport à la production orthographique car il ne s’agit plus de reconnaître un mot le plus rapidement possible, mais d’en choisir la bonne forme orthographique tout en le lisant. - exercices visant au passage de la reconnaissance au rappel : . rappel à l’oral sur données explicites (association d’une forme visuelle et d’une forme sonore par exercices de fluence en choix « orthographique ». Par exemple, donner en 3’ un maximum de mots comportant le son /o/ écrit « eau ») ; . demande de rappel en production écrite sur données explicites (au cours de l’acte lexique, l’enfant doit réagir par un taping à chaque fois qu’il rencontre un mot comportant une particularité orthographique donnée, par exemple le son /˜ ε/ orthographié « ain ». Certains des mots sur lesquels l’enfant aura tapé lui seront dictés après coup. Ici, il convient (bien sûr), de choisir l’option graphémique la moins fréquente quand nous travaillons sur les alternatives orthographiques ; . exercice proche du précédent, mais introduisant un caractère implicite tout à fait nécessaire car le but n’est bien-sûr pas un apprentissage explicite de tous les mots comportant des particularités orthographiques, ce qui serait d’une part aussi déplacé que fastidieux, d’autre part contraire aux données qui étayent l’idée du caractère largement implicite de ce genre d’acquisition (voir Gillet, Billard et Autret, 1996, par exemple). Dans ce cas, au cours de la lecture de l’enfant, c’est l’expérimentateur qui tape sur certains mots dont l’enfant sait qu’il aura à les écrire sous dictée ultérieurement. L’enfant s’arrête sur les mots et les relit. On peut jouer sur l’implicite de la tâche d’une part parce que nous ne précisons pas le problème à l’enfant lorsque nous tapons sur un mot, d’autre part parce que nous nous permettons progressivement de demander à l’enfant d’écrire des mots sur lesquels nous n’avons pas tapé. Nous profitons de cet exercice pour réintroduire à ce niveau l’insistance sur des mots irréguliers, sur des finales particulières, créant ainsi un lien d’amalgame avec le Principe 1. Cet exercice autorise, bien sûr, l’enfant à utiliser toutes les stratégies disponibles ; . passage progressif à une production écrite sous dictée (rappel total et en situation « standard » de séquences de lettres particulières).

202

♦ Résultats évolutifs Examen des caractéristiques de la production écrite Sur le plan de la production écrite (voir le Tableau 5, corpus I), seul demeure (par rapport aux résultats précédents) un net effet de la régularité orthographique (malgré le doublement du score en transcription de mots irréguliers). L’effet de la complexité phonologique des items a disparu. L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en transcription sous dictée (Tableau 5, corpus II) objective un renforcement sensible des capacités de stockage en mémoire de connaissances orthographiques spécifiques. A noter, même lorsqu’il y a échec, l’apparition de productions orthographiques dénotant un encodage partiel de caractéristiques spécifiques : par

Transcription de pseudomots simples Transcription de pseudomots complexes Transcription de mots simples fréquents Transcription de mots simples rares Transcription de mots irréguliers

09/97 87 60 87 86 18

02/99 93 100 100 86 36

Tableau 5 (corpus I) : Comparaison entre les résultats initiaux et les résultats actuels de Y.A.R. aux épreuves testant l’effet de différentes variables lexicales. Les données chiffrées contenues dans ce tableau et dans ceux qui vont suivre ont été (bien-sûr) calculées d’une façon identique à celle décrite précédemment.

09/97 04

02/99 01

Régularisations Sur-analyse Méconnaissance de l’environnement graphique

69 28 27

53 11 16

Choix de mauvaises alternatives orthographiques Oubli d’une consonne muette ou d’une consonne double

46 72

19 50

Erreurs phonologiques

Tableau 5 (corpus II) : Comparaison des résultats qualitatifs initiaux et actuels de Y.A.R. sur le plan de la production orthographique

203

09/97 87 80 100 62 100 86 87

Lecture de pseudomots simples Lecture de pseudomots complexes Lecture de mots simples fréquents Lecture de mots simples rares Lecture de mots complexes fréquents Lecture de mots complexes rares Lecture de mots irréguliers

02/99 100 93 100 87 100 86 92

Tableau 6 (corpus I) : Comparaison des résultats initiaux et actuels de Y.A.R. aux épreuves d’acte lexique testant l’effet de différentes variables lexicales.

09/97

02/99

Erreurs phonologiques

09

02*

05

01*

Régularisations

04

31*

03

23*

Méconnaissance des règles « environnementales »

03

16*

04

21*

Sous-total 1

(07)

(07)

Paralexies visuellement proches

15

09

Confusions de graphèmes visuellement proches

03

03

Omissions de mots-outils

05

00

Inversions

03

01

Omissions de finales

02

00

(28)

(13)

44

25

Sous-total 2 Total (pour 586 mots lus)

Tableau 6 (corpus II) : Comparaison des résultats qualitatifs initiaux et actuels de Y.A.R. sur le plan de l’acte lexique.

204

exemple « hasard » écrit soit « hasar », soit « asard », soit (d’ailleurs) correctement à un autre moment. Il existe ainsi et surtout une très nette diminution du pourcentage de choix d’une mauvaise alternative orthographique ainsi que d’oubli d’une lettre ne présentant aucun pendant sonore ou pas de pendant sonore direct (types d’erreurs les plus directement et sûrement concernés par le principe curatif 2). De plus, les mots irréguliers sont moins souvent régularisés et les tentatives de sur-analyse ainsi que les applications imparfaites des règles contextuelles « environnementales » sont moins fréquentes, ce qui pourrait dénoter une tendance moins systématique à l’utilisation d’une procédure de traitement par médiation phonologique. A noter enfin l’apparition d’un comportement de vérification du candidat orthographique par relecture spontanée avec corrections successives amenant souvent à l’orthographe correcte ou à un rapprochement de cette dernière, comportement totalement absent à l’état initial (par exemple : « ciseau » successivement orthographié « sixau », puis « cixeau » et enfin « ciseau », ou encore « affaiblir » successivement orthographié « afeblire », puis « afeblir » et enfin « afaiblir », tout cela sans aucune intervention extérieure). Ce comportement de vérification conduit parfois, comme nous l’avons précédemment signalé, à une série d’encodages partiels, l’orthographe exacte ne parvenant pas à être activée sur un seul essai (par exemple : « yeux » successivement orthographié « seux », puis « soeu », puis « syeu », puis « syoe », puis « sioe » et enfin « syeu », toujours sans intervention extérieure). Examen de l’acte lexique et des capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales) L’acte lexique apparaît d’un niveau encore supérieur au précédent, avec toujours absence d’effet des variables lexicales utilisées (voir le Tableau 6, corpus I) et surtout, comme l’illustre le Tableau 6 corpus II, une très nette diminution du nombre de paralexies visuellement proches ainsi que (notamment) d’omissions de mots-outils. Le type de résultats regroupés dans le Tableau 6 (corpus II) peut évoquer une meilleure précision de l’accès aux procédures attentionnelles d’analyse visuelle. Les signes apparentés à des tentatives d’application d’une procédure par médiation phonologique demeurent, mais toujours en nombre très restreint. Les capacités de traitement attentionnel d’informations visuelles dans la durée apparaissent en nette amélioration, sans toutefois atteindre à une normali-

205

09/97

02/99

Vitesse / âge réel

8e Décile

8e Décile

Exactitude / âge réel

8e Décile

3e Décile

01

03

Barrage de signes diversement orientés

Tâches simultanées Empan total MDT VS

Tableau 7 : Comparaison des résultats initiaux et actuels de Y.A.R. sur le plan des capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales).

sation (une lenteur d’exécution dans les épreuves de barrage de signes diversement orientés est toujours nécessaire, mais elle est désormais garante d’une précision normalisée par rapport à l’âge réel : voir le tableau 7). Le traitement des informations visuo-spatiales en mémoire transitoire est nettement supérieur à l’initial.

♦ Discussion et conclusion générale Les hypothèses de travail que nous avons tirées de l’étude différentielle du profil neurocognitif de Y.A.R. nous ont permis de mettre en place des actes curatifs pluridisciplinaires coordonnés visant l’adaptation au cas présent. Il ne s’agit (bien sûr) pas de suggérer ici que le travail que nous proposons est le seul possible. Celui-ci est simplement le fruit d’un mouvement de double élagage théorico-clinique avec validation à posteriori des techniques proposées (et de leur enchaînement) au travers des évolutions préalablement constatées sur des cas similaires. Nous tendons à passer les données tirées de la recherche (bilans, diagnostics et utilisation de modélisations dans un but de guidage de la réflexion sur les procédures remédiatives à employer) au travers du filtre de l’expérience clinique quotidienne (mesure de l’effet évolutif différentiel des actes curatifs vers une « validation » à posteriori), selon un axe interactif constant. Cela étant posé, l’analyse du cas Y.A.R. nous autorise à nous attacher tout particulièrement à la prise en compte de trois faits : 1) la maîtrise (voire la sur-utilisation) de traitements phonologiques et de connaissances alphabétiques générales (prononciation, signification et transcodages) ne permet pas à Y.A.R. d’accéder au stockage en mémoire de certaines représentations orthographiques non-directement prédictibles (la plupart des alternatives orthographiques, les consonnes muettes ainsi que les doubles-

206

consonnes purement graphiques). Il convient cependant de noter, ici, que les règles orthographiques contextuelles « environnementales » sont aussi méconnues ; 2) chez Y.A.R., pouvoir identifier, sur le plan de l’acte lexique, un mot présentant une ou plusieurs particularités orthographiques ne suffit pas à l’orthographier correctement, c’est à dire à le traiter comme familier du point de vue de la production écrite (très grande différence entre le pourcentage de mots de ce type correctement lus et transcrits). Nous pouvons considérer que cela rejoint, au moins en partie, un phénomène bien connu, attribué à la différence de nature entre l’acte lexique (reconnaissance) et la production orthographique (rappel) ; 3) le stockage en mémoire de représentations orthographiques spécifiques (au sens de séries de lettres en arrangement non-totalement prédictible par traductions phonème-graphème et/ou application de régularités alphabétiques, stockage probablement consécutif à l’identification des mots) semble améliorable, chez Y.A.R., à partir de séances de revalidation basées sur une recherche de renforcement de la précision et du suivi des procédures attentionnelles d’analyse visuelle en situation d’acte lexique. Une tentative d’interprétation de ces faits nous conduit à une réflexion à plusieurs niveaux : - la création de connaissances spécifiques sur l’orthographe des mots pourrait impliquer la lecture (pour les lettres qui rendent difficiles la mémorisation de l’orthographe). Si en lecture, l’absence de connaissances complètes sur les lettres peut autoriser au succès d’un mécanisme d’identification, cela est problématique pour les mots qui possèdent des voisins orthographiques. Y.A.R. semble fonctionner ainsi (voir les nombreuses paralexies visuellement proches), suivant une prise d’indices partiels en reconnaissance. Ce fonctionnement serait, par contre, largement insuffisant pour la mise en place d’une procédure lexicale en rappel de connaissances complètes sur les lettres, c’est à dire en situation de production écrite. - le fait que certains enfants dyslexiques semblent avoir besoin de plus de rencontres que les normolecteurs avec des mots pour parvenir à les orthographier (même pour des niveaux de lecture appariés : Alégria et Mousty, 1997) pourrait être lié, non seulement à la procédure d’identification des mots en ellemême, mais (au moins en partie) à la qualité fonctionnelle des éléments qui conduisent à cette identification lors de chaque rencontre. Les données concernant Y.A.R. nous semblent aller dans le sens de la possibilité de l’existence et de l’influence, à ce niveau, d’un trouble subtil de

207

l’engagement visuo-attentionnel en situation d’acte lexique approchable au travers des paralexies visuellement proches déjà citées, mais aussi des autres types d’erreurs visuelles détaillées dans les tableaux de résultats correspondants. Rappelons, encore, sur ce plan, la dégradation des performances dans la durée, avec accroîssement dans le temps des erreurs dénotant une faiblesse probable de la procédure attentionnelle d’analyse visuelle. Cela pourrait être mis, avec toute la prudence nécessaire à ce niveau, en rapport avec les résultats de travaux récemment publiés (Marendaz, Valdois et Walch, 1996 ; Valdois, Gérard et Vanaud, 1995...). - comme nous l’avons déjà dit, l’apprentissage des connaissances lexicales est probablement implicite (voir Gillet, Billard et Autret, 1996). Il est parfois conçu et interprété comme rejoignant la connaissance des régularités alphabétiques au sein d’amalgames orthographe-prononciation-signification (Ehri, 1997). Si nous considérons que la composante orthographique peut inclure, développementalement, une stratégie d’utilisation d’une représentation phonologique et d’une représentation lexicale, un des éléments liés à l’émergence de cette dernière pourrait être la capacité à mettre en jeu une description orthographique visuelle complète des mots, permettant la maîtrise de l’orthographe correcte. Il y aurait, ici, prise en compte de configurations visuelles de mots ou de séries de lettres en amalgames avec des régularités liées à la prononciationsignification. Ces amalgames, élaborés en mémoire pour lire les mots, serviraient également à leur production écrite (voir toujours Ehri, 1997, par exemple), en couplage probable avec l’utilisation de régularités entre les différentes représentations. Il pourrait y avoir, chez Y.A.R., un déficit initial des capacités à traiter et stocker des segments multi-lettres qui composent des mots entiers (capacités peut-être logographiques au sens de Seymour, 1997). Cela aurait pour effet de diminuer le nombre et, surtout, la qualité des items nécessaires au développement du système orthographique au sein des amalgames précédemment cités et de privilégier donc, au travers de l’échec de l’accès à une procédure lexicale, l’utilisation d’une procédure phonologique. Le processus d’accès à une représentation lexicale échouant, Y.A.R. en resterait initialement à la forme engendrée par les traductions phonème-graphème, ou encore par un traitement analogique (au moins alphabétique dans le cas présent : voir Gombert, Bryant et Warrick, 1997). Il y aurait, ainsi, échec

208

dans le rappel d’une séquence complète de lettres précises en correspondance non-totalement prédictible. Après la rééducation ciblée précédemment décrite, Y.A.R. semble actuellement accéder à une phase d’orthographe transitionnelle pouvant correspondre à l’émergence d’une nouvelle stratégie vers la possibilité d’activation de représentations lexicales. En effet, même en cas d’échec, quand Y.A.R. écrit « parent » « parant », « hasard » « asard » ou « hasar », il semble exister un début de rappel fonctionnel d’une série de lettres en arrangement non-totalement prédictible, mais sur des connaissances encore manifestement incomplètement stabilisées en mémoire (voir aussi l’apparition du comportement de vérification du candidat orthographique par relecture spontanée décrit plus haut). Cela pourrait dénoter l’utilisation alternée/conjointe, sur un plan temporel, d’une procédure lexicale et d’une procédure phonologique (voir Perfetti, 1997, par exemple). Après ces trop brèves considérations, nous tenons à rappeler que nous avons seulement cherché, ici, à illustrer une façon d’agir par rapport à un trouble de la production écrite très fréquemment rencontré dans la pratique clinique (en tout cas dans la nôtre) : les enfants qui ont une orthographe dite « phonétique ». Cette façon d’agir a été précisée en fonction d’hypothèses de travail, dictées par notre interprétation des faits. Même si les résultats obtenus vont dans le sens de ces dernières (voir notamment le rapport entre le Principe curatif 2 et la dernière partie du Tableau 5, corpus II) et s’il existe une cohérence dans l’évolution en retest de l’ensemble du profil neuropsychologique de Y.A.R., il ne s’agit là que de strictes hypothèses nécessitant encore un très important étayage. Nous désirions, aussi, insister sur l’importance d’une démarche cognitive pluridisciplinaire aux niveaux à la fois diagnostique et curatif, au sein des liens devant impérativement unir ces deux domaines de la clinique. Enfin, l’analyse qualitative proposée, notamment au niveau de l’effet des différentes variables manipulées, gagnerait (bien sûr et notamment) à s’appuyer sur du matériel, prochainement étalonné, appartenant à des batteries d’évaluation du type BELEC (Mousty, 1994. Voir aussi ce volume), ce qui permettrait une meilleure validation des résultats ainsi que l’harmonisation des pratiques diagnostiques et curatives qui en découlent.

209

Annexe : Description des épreuves utilisées et non-décrites dans les commentaires des différents tableaux. Le matériel utilisé sur le plan de la production orthographique sur listes consiste en 15 pseudomots de structure phonologique simple (cvccvc(v)), 15 pseudomots de structure phonologique complexe (cc(c)vcvcv ou ccvccv(c)), de 2 à 3 syllabes et de 6 à 8 graphèmes, 8 mots de structure phonologique simple de haute fréquence, 7 mots de structure phonologique simple de basse fréquence (présentant des caractéristiques proches de celles des pseudomots) et 11 mots irréguliers. Les mots pris en compte de façon isolée par rapport à un texte dicté et couplés à une réanalyse des mots tirés des listes pour obtenir le corpus II, se décomposent en : 18 mots contenant une consonne muette ou une consonne double purement graphique (pour un total de 18 possibilités), 20 mots présentant un degré important d’ambiguïté orthographique (générant 1, 2 ou 3 alternatives orthographiques pour un total de 37 possibilités), 2 mots irréguliers (sur un total de 13), 4 mots pouvant se prêter à une sur-analyse (pour un total de 18 possibilités), 8 mots demandant la prise en compte de règles orthographiques environnementales (pour un total de 19 possibilités). Il est évident que les mêmes mots peuvent grouper plusieurs des particularités précédentes. Enfin, il existe (dans l’absolu) 255 possibilités d’erreurs de CPG sur ces mots (pour un total de 500). Le matériel utilisé pour l’abord de l’acte lexique (sur listes) consiste en 30 mots de 2 syllabes et de 6 ou 7 graphèmes (15 mots de structure phonologique simple fréquents (N=7) ou rares (N=8), 15 mots de structure phonologique complexe fréquents (N=8) ou rares (N=7)), en 30 pseudomots de structure semblable à celle des mots (15 simples et 15 complexes) et en 24 mots irréguliers. Le texte proposé à l’enfant en lecture standard est composé de 476 mots appartenant à un vocabulaire courant mais non-élémentaire, de longueur très variable, comprenant (notamment) 11 mots irréguliers. Les habiletés métaphonologiques ont été appréhendées à partir d’une épreuve de jugement de similarité phonologique (sur 50 paires de pseudomots de 2 syllabes et de 6 à 7 graphèmes, identiques ou différant à un phonème près). Il y a 20 items de structure phonologique simple et 30 items de structure phonologique complexe. Nous avons aussi utilisé une épreuve de manipulation inversée de syllabes réalisée sur 6 mots et 5 pseudomots de 2 syllabes (Alégria, Pignot et Morais, 1982), une épreuve de jugements de rimes sur entrée auditive (réalisée sur 44 paires de mots bisyllabiques rimant à droite : 11 orthographiquement proches et rimants, 11 orthographiquement proches et nonrimants, 11 orthographiquement différents et rimants et 11 orthographiquement différents et non-rimants), une épreuve de discrimination phonémique (réalisée sur 20 mots, le phonème à discriminer étant également en position initiale, médiane, finale ou absent), une épreuve de suppression du premier phonème de mots (sur 19 mots, le 1er phonème correspondant soit à un graphème simple, soit à un graphème complexe, soit étant à isoler d’un groupe consonantique) et une épreuve de segmentation phonémique sur 14 mots de structure phonologique simple et complexe, de 4 à 5 syllabes.

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Récupération d’une orthographe lexicale chez un patient cérébrolésé : points de vue rééducationnels et théorie descriptive des troubles Roger Segobia, Nathalie Seibel

Résumé Le propos est de décrire la prise en charge orthophonique longitudinale (sur 8 ans) d’un patient de 61 ans présentant une aphasie de Wernicke réduite, consécutive à une ischémie temporopariétale gauche. Cette description est axée sur la rééducation de l’expression écrite, dans ses aspects cliniques et théoriques cognitivistes. L’agraphie est initialement majeure, toutes les voies d’écriture sont atteintes. L’ébauche écrite permet assez rapidement d’obtenir des productions qui témoignent d’une relative préservation du lexique orthographique. Les exercices de réhabilitation favorisent l’utilisation tantôt de la voie lexicale (par ex., on demande au patient de compléter des mots écrits à partir de l’ébauche formelle), tantôt de la voie phonologique (par ex., en faisant produire des syllabes isolées ou l’initiale de mots). Progressivement, le patient récupère une expression écrite réduite en dictée notamment, comportant des paragraphies littérales ou des régularisations. Le passage par la voie lexicosémantique n’est pas constant et la correspondance phonie/graphie est par moments privilégiée. Actuellement, le patient peut dénommer par écrit (mais après médiation phonologique) et écrire sous dictée des mots et des logatomes, ce qui était impossible au départ. Ceci témoigne de la fonctionnalité des circuits phonologiques et lexicaux d’écriture du patient. Mots clés : Aphasie, agraphie, rééducation, écrit, orthographe.

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Helping a brain-damaged patient regain lexical orthography : remedial and theoretical perspectives Abstract The objective of this article is to describe a course of speech and language therapy over a period of 8 years with a 61 year old patient suffering from Wernicke’s aphasia with reduced language, following left temporal-parietal ischaemia. The paper primarily describes remedial work with written expression from a clinical and cognitivistic theoretical standpoint. The initial level of agraphia was severe since all channels of writing were impaired. Providing help with the beginning of words rapidly facilitated productions which reflected relatively intact lexical spelling. Rehabilitation exercises either relied on the lexical channel (for example, the patient had to complete written words which were initiated by the therapist), or on the phonological channel (for example, having the patient produce single syllables or the beginning of words). The patient progressively regained a limited level of written expressive skills, particularly in situations of dictation, including literal paragraphias and regularizations. The lexical-semantic channel was not systematically used and the patient occasionally relied on phonic/graphic correspondences. Presently, the patient is able to name in writing (through phonological mediation) and to write dictated words and nonwords, something he was initially unable to do. These skills reflect the existence of phonological and lexical circuits of writing which are operational in this patient. Key Words : Aphasia, agraphia, rehabilitation, writing, spelling.

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Roger SEGOBIA Orthophoniste Nathalie SEIBEL Orthophoniste, neuropsychologue CHU Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94270 Le Kremlin Bicêtre Cedex

L

e propos est de décrire ici une rééducation de troubles orthographiques acquis chez un adulte cérébro-lésé ; la conduite au long terme de cette prise en charge s’est vue gouverner par des points de vue cliniques, nécessairement empiriques, aux références théoriques souvent implicites ; ces points de vue ont varié et orienté différemment le travail de réhabilitation.

Le recours à une modélisation des processus d’écriture telle que l’a proposée l’approche cognitiviste en neuropsychologie et que nous rappellerons (infra rappel théorique) a pu permettre de dégager une synthèse de ces points de vue.

♦ Histoire de la maladie En février 1992, Monsieur C., âgé de 61 ans, enseignant, est victime d’une ischémie temporo-pariétale gauche entraînant une aphasie de Wernicke réduite. L’expression orale est quasi-suspendue et persévérative avec conservation d’éléments de communication phatique sans troubles articulatoires. Au BDAE (Boston Diagnostic Aphasia Examination), la compréhension orale et la compréhension écrite sont très altérées et les transpositions abolies. L’expression écrite est massivement réduite, la copie servile paragraphique et persévérative. L’urgence pour la rééducation est de tenter de développer l’expression orale en s’appuyant comme moyen de facilitation sur les capacités résiduelles d’appréhension globale, en lecture à haute-voix, de mots écrits.

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♦ Evolution des capacités graphiques du patient et alternance des stratégies de rééducation de l’écrit 1 - 1992 : La complétion de mots isolés à partir de l’ébauche écrite devient possible (avec paragraphies littérales) : on fait donc appel chez le patient au schéma orthographique des mots ciblés. Exemples de ses productions dans cette situation : balai => bale, bala, balea ; jouet => joute ; échelle => efelle ; escargot => escarget ; rouge => poufe, pouge ; bijoux => bidoux, bigoux ; carte => barte ; plante => plente ; ciseaux => ciseux ; On constate que le lexique orthographique (cf. infra rappel théorique) de Mr C. est assez bien préservé et que l’ébauche formelle est facilitatrice. Plus tard, on sollicite une stratégie syllabaire et l’utilisation d’une voie phonologique, de correspondances phonèmes/graphèmes (cf. infra rappel théorique) dans des mots isolés : de nombreux exercices tendent à faire produire l’initiale des mots. 2 - 1993 : on repasse à une stratégie lexicale (complétion de mots après ébauche écrite). On obtient les mêmes types de productions : cigarette => ciget ; écharpe => charme, charte, écharte. En même temps, on observe que les usages orthographiques ne sont pas toujours bien maîtrisés : sonner => sauner, soner ; muguet => mugé. A cette époque la dictée de syllabes isolées est assez bonne (15/2 ). On propose beaucoup d’exercices de translations de nombres (chiffres/ lettres). On entreprend un travail sur la dyssyntaxie (compréhension et utilisation de fonctionnels). 3 - 1994 : L’évaluation au BDAE indique une récupération d’une expression écrite réduite ; le patient produit des paragraphies littérales avec conservation relative du schéma orthographique des mots (exemples de productions dictées : carré => cappe ; cercle => cerble; melon => meton).

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Il y a une évolution parallèle des autres transpositions (répétition et lecture) qui deviennent possibles pour les mots isolés avec transformations phonémiques. La rééducation emploie essentiellement une stratégie lexicale (la dictée de mots bisyllabiques s’améliore). Parallèlement la dictée de syllabes, logatomes bisyllabiques est de meilleure qualité. Les exercices visant à réhabiliter la syntaxe se poursuivent (génération de phrases). 4 - 1995 : une nouvelle évaluation au BDAE montre une stagnation quantitative des performances pour l’écriture ; on peut faire les mêmes observations que celles de l’année précédente pour le schéma orthographique, avec non-respect de certaines graphies et mécanisme de régularisations selon une « règle » d’occurrences phonétiques du français (force => forse). Dans les épreuves de l’évaluation, les productions dictées sont intéressantes : - pour les substantifs fréquents, il y a quelques paragraphies littérales (papier => patier) ; - pour les mots irréguliers, il y a des régularisations (physicien => fisicien) ; idem pour les phrases courtes (le garçon vole des gateaux => le garson vol des gateu) ; - pour les phrases longues ou grammatisées, on observe un découpage syllabaire et une tentative de transposition par la voie phonologique sans recours à aucune règle orthographique, avec un rapport plus ou moins proche de phonétisation entre les mots entendus et les mots écrits : (elle ne les voit pas => el ne levoirble ; s’il ne fait pas attention, il va tomber => siln faita à tesan il vatan). Mêmes types d’exercices en rééducation que l’année précédente. 5 - 1996 : au test du BDAE, des éléments dénotent un abandon partiel de la référence orthographique et un recours, partiel également, à une stratégie de correspondance phonie /graphie : particulier => particuneer ; 7 => sets. Parfois cette référence se dissout complètement et le mot n’est plus perçu comme entité : ainsi, garçon est syllabé et logatomisé : cras san. En rééducation, le patient commence à pouvoir dénommer des images par écrit : tube => tuj, tug, tube ; pelle => petelle, pelle ; citron => sitron.

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6 - 1997 : Les efforts de rééducation s’attachent à la dyssyntaxie impressive et expressive. On travaille sur l’ordre des constituants, les déterminants et les fonctionnels. Exemples de génération de phrases écrites il arrever de retard le métro il arroser de l’eau les vêtements est l’armoire on de la sale est vaisselle on les sont sales par chaussures On aux dents à mal les vacances est partir de le soleil Texte écrit « spontané » ( à partir d’un dépliant publicitaire) Entre le village les rives la méditerranée de plage Enfin le soleil la bonne de saison Les plus ensoleillés cet été les splendeurs une plage de la sable vue sur la mer Les sports et loisirs. la piscine plonge. La musique et la danse. dictée de syllabes isolées n’est pas de meilleure qualité que les années précédentes : plu + trou + gru => dru tar => car, tra, tar bro => gr, d, dro, tro L’évocation lexicale écrite à partir de questions orales est possible : piscine => pisine , pissine ( régularisation ) Eiffel => tes, et pel, fet , effel femme => famme (régularisation) Impot => imto suisse => suirre cigarette => ciagette , cigarrtte , cigarette chaud => chaut pull => poll 7 - 1998 : Dans l’évaluation du BDAE on retrouve les mêmes éléments qu’en 96. Ainsi : soif est écrit souaf ; oncle => onble ; onple ; théatre => béatre, peatre ; carré => caré ; 18 => tishuit ; vert => rert, pert. La dictée de syllabes isolées est de meilleure qualité que l’année précédente (pour 25% des items, il y a des approches graphémiques, toutes réussies).

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Pour l’évocation lexicale écrite, on a comme précédemment une référence au modèle orthographique : janvier => vanjier aout => aut épluche => etiche, etuché, eptuche montagne => mantagne chocolat => chacolat et des productions attestant de régularisations « phonétiques » des conventions orthographiques natation => natasion (régularisation). On poursuit le travail sur les troubles syntaxiques. 8 - 1999 : la dénomination écrite est possible (mais après tentative de verbalisation préalable). La plupart des productions comportent des approches graphémiques, le nombre de syllabes des mots cibles est respecté, les éléments vocaliques du mot sont souvent bons (les paragraphies étant consonnantiques) ; il y a quelques paragraphies verbales ou sémantiques et persévérations de mots. Exemples : télévision = > pel, pelejinion, telejison chaise => table mètre => mer, maire mouchoir => maucher, moucher ,mouchour, moucheire, mouchaire téléphone => telepision, telepone, telepoh, telephone. Il arrive que le patient épelle correctement le mot : il respecte l’emplacement des doubles lettres mais ce n’est pas pour autant qu’il peut écrire le mot sans paragraphies littérales. verre => (bonne épellation) bette, pette, rette, perre L’écriture de mots sous dictée est possible également avec approches (moins fréquentes qu’en dénomination) et paragraphies littérales (plutôt sur les consonnes), métathèses. La copie différée de mots est rapide et de bonne qualité. L’écriture de logatomes est bonne (avec quelques erreurs « phonétiques »)

♦ Rappel théorique sur les dysgraphies centrales L’essentiel de ce rappel se réfère à M.-J. Tainturier ( 1996 ). On peut différencier plusieurs circuits d’écriture de mots avec ou sans signification dans des tâches de dictée ou de dénomination.

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1) Voie non-lexicale de conversion phonologie /orthographe : 3 étapes a : segmentation de la séquence phonologique en unités de taille inférieure au mot (phonèmes, groupes de phonèmes, syllabes), puis, b : conversion de chacune de ces unités en unités orthographiques correspondantes c : assemblage des unités orthographiques. 2) Voies lexicales : pour la transcription des nombreux phonèmes ayant une orthographe ambiguë. Voie lexicale sémantique : 3 étapes principales pour l’écriture sous dictée a : accès à la forme phonologique stockée dans le lexique phonologique d’entrée. b : activation de la représentation sémantique correspondante dans le système lexico-sémantique. c : accès au lexique orthographique de sortie. Voie lexicale asémantique : pour accéder aux représentations lexicales sans passer par le système sémantique. NB : la dénomination écrite se ferait sans médiation phonologique (sans passage par le lexique phonologique d’entrée) directement par le système sémantique. 3) Buffer graphémique : mémoire à court terme chargée de maintenir le niveau d’activité des chaînes de graphèmes issues du lexique orthographique de sortie ou de la voie de conversion Ph/Gr afin de permettre la production écrite.

♦ Analyse du trouble dysgraphique du patient Chez notre patient l’importance du trouble initial de la perception auditive et du déficit lexical oblitère une analyse d’emblée selon les voies du schéma décrit ci-dessus. L’état initial est celui d’une agraphie majeure ; on a probablement une atteinte conjointe de toutes les voies d’écriture ; même la copie servile est paragraphique. A propos de cette dernière, on peut faire l’hypothèse d’un trouble au niveau du buffer graphémique provoqué par un défaut de mémoire à court terme entrainant paragraphies ou persévérations (dans la copie, il n’y a pas de conversion mais une transposition visuo-graphique pour laquelle on peut éliminer chez le patient un trouble visuo-perceptif).

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En début d’évolution, à cause des troubles de la compréhension orale, on obtient donc peu de productions dictées ; à cause du déficit lexical, il existe peu de capacités de dénomination (à l’oral et encore moins à l’écrit). Les seules productions doivent être ébauchées : à cette occasion on peut se rendre compte qu’une voie lexicale sémantique devient praticable. Ainsi, beaucoup de productions - cf. liste des exemples ci-dessus - indiquent un passage dans le lexique orthographique de sortie impliquant une prise en compte des ambiguïtés orthographiques ; les approches / productions de non-mots phonologiquement plausibles (bijoux => bidoux) vont dans le sens d’un trouble du buffer s’associant au trouble des autres voies. Cependant les capacités de la voie phonologique s’améliorent : la dictée de monosyllabes est réussie à 75%. Postérieurement, - la voie lexico-sémantique devient plus praticable : la dictée de mots bisyllabiques est possible. Dans cette tâche, la production de paragraphies littérales (sans rapport de « phonétisme » avec la cible) pourrait s’interpréter comme un trouble du buffer, la forme orthographique quittant indemne le lexique orthographique de sortie et s’altérant dans le buffer ; a fortiori, les métathèses relevées plus tardivement dans la même tâche relèveraient de cette interprétation. Dans l’écriture de mots marqués par une ambiguïté orthographique, les erreurs de régularisation signifient un recours partiel à la voie non-lexicale qui devient plus fonctionnelle. En fin d’évolution, on constate que, dans la tâche de dénomination, le patient ne peut éviter une médiation phonologique préalable (donc un passage dans le lexique phonologique d’entrée) à l’accès au système lexico-sémantique : il ne peut dénommer par écrit qu’après avoir tenté de le faire oralement. On admet que la dénomination écrite se fait, chez le sujet non-cérébrolésé, sans la médiation évoquée ici. On remarque aussi que le patient peut se montrer capable d’épeler sans erreur le mot à dénommer comportant un degré moyen d’ambiguïté orthographique : il peut donc utiliser correctement le circuit qui va du lexique phonologique d’entrée jusqu’à la sortie du buffer graphémique en empruntant (ou pas) le système lexico-sémantique puis le lexique orthographique de sortie. Si, après avoir emprunté ce circuit, il ne parvient pas à écrire le mot sans paragraphies, il faut que le trouble se situe à une étape ultérieure de la réalisation graphique. - la voie phonologique s’améliore également : elle est utilisée assez bien pour la dictée de logatomes bisyllabiques et trisyllabiques ; on a vu ci-dessus qu’elle intervenait dans la régularisation des ambiguïtés orthographiques.

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- les capacités du buffer graphémique augmentent comme en témoignent la bonne qualité de la copie différée et la possibilité d’épellation correcte.

♦ En guise de synthèse L’évolution lente mais positive des capacités graphiques du patient incite les rééducateurs à poursuivre leur démarche de réhabilitation. Les points de vue ou « stratégies » de rééducation tantôt lexicaux, tantôt analytiques et syllabaires ont assurément contribué à rétablir la fonctionnalité des circuits phonologique et lexicaux d’écriture du patient. Au moment présent et globalement, la récupération des potentialités d’expression orale de Mr C. est moindre que celle de son langage écrit.

REFERENCES M.-J. TAINTURIER (1996), « Les dysgraphies centrales : état de la recherche et nouvelles perspectives » in Approche cognitive des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte - SOLAL Editeurs. BDAE (1981), Echelle française : J.M.Mazaux & J.M.Orgogozo . EAP.

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Synthèse des modèles théoriques et réflexions sur la rééducation de l’orthographe Didier Roch, Carolyne François

Résumé Ce texte tente de synthétiser les apports théoriques concernant l’orthographe, son acquisition et ses pathologies afin d’en dégager des axes de réflexion pour la pratique de l’évaluation et de la rééducation. Mots-clés : Ecriture, orthographe, développement, pathologie, modèles théoriques, rééducation.

An overview of existing theoretical models on orthography and remediation techniques Abstract This article tries to synthesize various theoretical models regarding the acquisition of orthography and associated pathologies, in order to identify themes of discussion which are central to diagnosis and rehabilitation. Key Words : Writing, spelling, development, pathology, theoretical models, remediation.

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Didier ROCH orthophoniste association Orthophonissimo S.E.S.S.D. A.P.F. 5, route de Stains 94380 Bonneuil-sur-Marne

A

Carolyne FRANÇOIS orthophoniste association Orthophonissimo 6, rue des Anglais 75005 Paris

lors que les recherches sur l’écriture (dans le sens proposé par Jaffré) en langue anglaise ouvrent sur des modèles aboutis, les études en français en sont tout juste à la collecte et à l’analyse de données.

Pour certains auteurs les différences de structures entre langues entraînent des différences sensibles au niveau de l’apprentissage (Sprenger-Charolles & Casalis 1996, Sprenger-Charolles 1997). D’autres auteurs au contraire, pensent que les invariants de traitement dépassent ces différences (voir résumé Jaffré 1995 ).

Le français a un système orthographique « profond » (ou opaque), qui représente le langage au niveau phonologique mais aussi morphologique et syntaxique. Le langage écrit, comme le montrent les différentes spécialités qui l’abordent, revêt plusieurs aspects intriqués dans son utilisation et son acquisition. Les articles de ce numéro l’attestent. Il repose tout d’abord sur la linguistique qui analyse les rapports entre l’oral et l’écrit, étudie l’historique du langage écrit et en décrit la structure (Catach 1986). La psycholinguistique, en particulier cognitive, s’intéresse à l’acquisition, ses modalités, ses contraintes, au fonctionnement des processus qui régissent l’écriture chez l’adulte et aux causes d’éventuels dysfonctionnements (Jaffré & Fayol 1997, Rieben, Fayol, Perfetti 1997). La neuropsychologie, par l’étude de « cas uniques », a renforcé ou remis en cause le bien fondé des modèles cognitifs tout en les utilisant. (Seron 1996, Mac Carthy & Warrington 1994). En ce qui concerne l’écriture, deux cas sont souvent évoqués. Ils montrent une double dissociation permettant de décrire deux voies de fonctionnement : la voie de conversion phonographémique (P.R. décrit par Shallice en 1981) et la voie lexicale (R.G. décrit par Beauvois & Derouesné également en 1981) (voir Tainturier 1996, Zesiger & de Partz 1997).

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Enfin, l’étude du fonctionnement de l’écrit serait incomplète sans l’évocation des enjeux sociaux et psychologiques de l’orthographe (Cibois et Coutou, dans ce volume) et des répercussions psychiques de l’échec (Nougaro & Vera 1997). Les orthophonistes engagés dans la rééducation d’enfants ou d’adultes pour qui le maniement de l’orthographe est, ou est devenu, une difficulté occupent une position à l’intersection de toutes ces disciplines et de leurs théories. L’orthophoniste trouve matière pour organiser son intervention en combinant les apports de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive, son expérience personnelle et le corpus théorique propre à sa profession. Ces dernières années, la théorie a considérablement évolué, alors que la réflexion sur les pratiques rééducatives n’est pas aussi avancée. Nous partageons, à ce propos les interrogations d’Emmanuelle Léderlé (1997) sur la pertinence de tel ou tel modèle, de telle ou telle théorie en matière d’évaluation et de rééducation.

♦ Du langage oral au langage écrit Les spécificités de l’écrit a) La différence oral-écrit L’écrit assure la pérennité de l’oral. Pourtant l’écrit n’est pas qu’une simple transposition de l’oral. Malgré les liens qui unissent ces deux codes, les différences sont nombreuses. Médium de la distance entre émission et réception, l’écrit est en général plus décontextualisé. Il dispose d’autres moyens pour faire du sens (ponctuation, mise en page...). La permanence et l’organisation spatiale de l’écrit s’opposent au caractère éphémère et à la linéarité de l’oral (Fayol 1992). De plus, le traitement de l’écrit, en lecture comme en écriture, demande que soient réalisées des tâches linguistiques et métalinguistiques, qui se rencontrent rarement à l’oral (Gombert 1992). En production, le scripteur doit gérer la formulation de ce qu’il veut écrire, la récupération en mémoire des formes orthographiques, leur actualisation sous forme graphique, les contraintes morphologiques (souvent « muettes » à l’oral) et la ponctuation. La relecture possible grâce au caractère permanent de l’écrit, est un moyen de contrôle puissant car elle permet l’application de règles explicites.

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Si le scripteur focalise davantage son attention sur le contenu que sur la forme, les capacités engagées dans l’écriture et le coût qu’elles occasionnent, expliquent en partie les erreurs des adultes, connaissant pourtant les règles explicites (Fayol 1995, Totereau 1997, Pacton, Kremin, dans ce volume). b) Composantes linguistiques et cognitives engagées dans le traitement du langage écrit et son acquisition. Les compétences nécessaires à l’acquisition de la lecture et de l’écriture sont maintenant bien connues. Elles entretiennent des liens de renforcement mutuels avec la lecture-écriture, ce qui rend souvent difficile l’affirmation d’un lien de causalité (Lecocq 1991, Gombert 1992). Leur analyse nous fournit des indications précieuses pour une partie des activités de rééducation. Les études synthétisées par J.E. Gombert (1992) envisagent les liens qu’entretiennent un certain nombre de compétences avec la lecture-écriture, sans préciser leurs apports différentiels à l’un ou à l’autre de ces aspects du langage écrit. La première de ces compétences est bien entendu la conscience phonologique (compétence métaphonologique pour Gombert) que Tunmer définit comme « la capacité à manipuler les unités sous syllabiques de la langue » (1989). Les liens privilégiés qu’entretient la conscience phonologique avec la lecture-écriture sont maintenant solidement établis (voir par exemple Rieben & Perfetti 1989, Lecocq 1991, Sprenger-Charolles & Casalis 1996, Alégria 1997), et son utilité, aussi bien pour l’évaluation que pour la rééducation est indéniable (Rééducation Orthophonique n° 197, 1999). L’écriture de mots sollicite des représentations phonologiques plus spécifiées ; la conscience phonologique a donc un effet plus important en écriture qu’en lecture, au moins au début de l’apprentissage (Alégria & Moraïs 1996, Ellis 1997). La capacité métalexicale correspond à « la possibilité d’isoler le mot et de l’identifier comme étant un élément du lexique » (Gombert 1992). Cette compétence est utile au développement de la lecture et est renforcée par celui-ci (présence de blancs entre les mots). Cette séparation des mots contribue sûrement à la constitution du lexique orthographique. En production, la fonction du blanc graphique évolue avec les compétences du scripteur, la notion de mot dépend de la stabilisation des formes orthographiques (Jaffré 1990).

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On peut voir la trace de la non maîtrise de cette compétence dans certaines erreurs de segmentation entre les mots. Le découpage en mots « entités difficilement isolables à l’oral » (de Boysson-Bardies 1994) se découvre lentement (Fijalkow & Liva 1994). Jaffré donne quelques exemples de procédures de segmentation propres à chaque enfant en découverte du système : groupes syntaxiques, pronom+verbe, découpage en syllabes, phrase entière... (Jaffré 1992, 1995). La capacité métasémantique « renvoie à la fois à la capacité de reconnaître le système de la langue comme un code conventionnel et arbitraire et à celle de manipuler les mots ou les éléments de taille supérieure aux mots, sans que les réalités auxquelles ils réfèrent s’en trouvent automatiquement affectées » (Gombert 1992). Les enfants en situation d’écriture spontanée (voir par exemple Fijalkow 1991) se fondent dans un premier temps plus sur les caractéristiques du référent que sur celle du signifiant. Cette capacité de mise à distance du signifié dans le but de se centrer et d’opérer sur le signifiant, est importante pour accéder aux stratégies phonographiques et orthographiques d’écriture. La conscience syntaxique est surtout utile à la compréhension qui nécessite à l’écrit un plus grand contrôle qu’à l’oral. « La compétence métasyntaxique renvoie à la possibilité que le sujet a de raisonner consciemment sur les aspects syntaxiques du langage et à contrôler délibérément l’usage des règles de grammaire » (Gombert 1992). Elle assiste également la reconnaissance des mots et permet de lever les ambiguïtés sur les homographes (Gombert 1992, Demont 1994). En situation d’écriture une bonne conscience syntaxique est nécessaire à la gestion des marques morphologiques et à l’apprentissage des règles qui y président. On imagine en effet difficilement un « apprentissage compréhensif » de la grammaire sans analyse de la langue. Le niveau d’habilité en conscience syntaxique préjugera du coût de son utilisation en situation car le lecteur scripteur ne peut appliquer longtemps des stratégies attentionnelles volontaires sur tous les aspects du texte à lire ou à écrire. Par ailleurs, une composante de mémoire de travail est présente dans tous les modèles de transcription. Cette composante est déficiente chez les enfants et les adultes dyslexiques, mais elle n’explique pas la dyslexie de développement si elle n’est pas liée à une déficience de la conscience phonologique. Cette composante mnésique peut être atteinte de façon isolée. Elle est nécessaire à la segmentation phonologique, au transcodage et à la réalisation graphémique (écriture par voie d’assemblage). Dans la constitution du lexique orthographique, il semble que la mémorisation soit implicite (Gillet & al. 1996) à force de rencontres répétées, précises et redondantes (Perfetti 1989).

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c) Du trouble du langage oral au trouble du langage écrit c-1 chez les enfants Pour l’orthophoniste confronté aux troubles des apprentissages, les liens entre les troubles du langage oral et ceux du langage écrit semblent une évidence. Plus que la sévérité du trouble du langage oral, (qui n’est pas toujours corrélée avec l’importance du trouble à l’écrit), c’est l’atteinte de plusieurs niveaux du fonctionnement langagier qui est prédictif ; en particulier les troubles de compréhension (Soprano & Chevrie-Muller 1996). En règle générale, on note chez les enfants dyslexiques des troubles de la dénomination rapide (Lecocq 1991), de la répétition de mots longs ou peu fréquents et de non mots (Valdois 1996). Comme décrit plus haut, la conscience phonologique entretient des liens particulièrement étroits avec le développement du langage écrit. Les troubles de cette habileté pourraient être liés à un déficit subtil de la discrimination des sons de parole (Mousty et Alégria 1996) qui ne seraient pas ou plus repérables à l’oral. Des études de cas ont suggéré une relation causale entre les troubles de l’output phonologique (sans trouble de la discrimination) et les troubles de la lecture/écriture (Snowling 1992, Snowling & Hulm 1992). Les auteurs émettent l’idée que les enfants pourraient s’appuyer sur leur sortie phonologique dans les tâches de segmentation et d’appariement lettres et sons. La situation d’écriture spontanée ou sous dictée est aussi tributaire de la qualité de ces sorties phonologiques (du moins tant que le lexique orthographique n’est pas constitué). L’écriture demande des représentations phonologiques plus complètes et mieux spécifiées que la lecture ; la portée de ces troubles sera donc plus grande en écriture qu’en lecture. Wells propose une analyse factorielle des processus de traitement de parole susceptibles d’éclaircir les liens entre troubles du langage écrit et troubles du langage oral (Wells & Stackhouse, 1992 ; Wells, Stackhouse & Vance, 1999). D’un point de vue développemental, Lecocq postule que l’enfant vers 4 ans a un système de représentation et de traitement de l’information phonologique avec une composante mnésique (mémoire de travail) et une composante de vitesse de traitement (liée à la vitesse de dénomination) ; l’état de ce système au moment de la rencontre avec l’écrit serait prédicteur de la réussite de l’apprentissage (Lecocq 1992). Bishop et Adams montrent que le déficit phonologique doit être accompagné d’un déficit au niveau syntaxique pour être prédictif de troubles de la lecture (Bishop & Adams, 1990, cités par Gérard, 1994).

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Ceci confirme les difficultés plus importantes à l’écrit des enfants qui présentent un trouble fonctionnel au niveau parole et langage, par rapport à ceux qui ont seulement un trouble phonologique. c-2 chez les adultes Un individu acquiert l’écriture après le langage oral. Par ailleurs, les troubles de l’expression écrite sont souvent associés, dans leur description, aux syndromes aphasiques. Dans la littérature neuropsychologique, les troubles acquis du langage écrit ont été longtemps directement liés aux troubles du langage oral. Par contre, tous les auteurs distinguent les composantes purement motrices des éléments linguistiques et aphasiques (Lambert 1993). Jules Déjerine (1891) est le premier à décrire une alexie-agraphie sans aphasie. Ses recherches anatomocliniques mettent en évidence une lésion du pli courbe dans le lobe pariétal gauche. Il a été également découvert que lorsque cette région était intacte, le patient pouvait écrire sans erreur mais n’était pas capable de se relire. Déjerine a donc nommé ce trouble alexie sans agraphie ou alexie pure (Habib et Demonet, ce volume). Par une approche dite du traitement de l’information, les modèles cognitifs ont permis de décrire des systèmes orthographiques (Kremin, ce numéro). Les modèles cognitifs (Ellis 1982, Morton 1980) proposent deux voies pour l’orthographe : la voie lexicale et la voie phonologique. Dès lors les syndromes qui en découlent sont l’agraphie phonologique ou profonde en cas d’atteinte de la voie phonologique et l’agraphie lexicale ou de surface en cas d’atteinte de la voie lexicale. Langage écrit : de la lecture à l’écriture a) Les traitements similaires de la lecture et de l’écriture La question ici est de savoir si lire et écrire sont deux aspects en miroir de la même activité ; les réponses à cette question influeront sur les modalités de prise en charge et sur les activités à mettre en place, en particulier pour la constitution du lexique orthographique. Les modèles développés pour rendre compte de l’écriture des mots possèdent les mêmes caractéristiques que ceux développés pour la lecture, à savoir deux stratégies (ou voies de traitement) par adressage et par assemblage ; les connaissances en mémoire étant similaires, à savoir : - le lexique et l’orthographe de mots spécifiques (Perfetti 1997, Ehri 1997),

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- la connaissance sur le système alphabétique (Ehri 1997), - le rôle de la médiation phonologique (Bosman et Van Orden 1997). Mais, bien que ces deux activités soient interdépendantes dans leurs processus et dans l’acquisition, elles présentent des différences non négligeables de nature et de traitement, comme l’attestent le fait qu’on puisse lire beaucoup de mots sans savoir les orthographier correctement, ainsi que les dissociations observées en pathologie acquise. La première différence a trait aux caractéristiques des unités à traiter : en lecture, les graphèmes sont écrits donc permanents ; en production, les unités à traiter (phonèmes) sont plus fugaces et posent des problèmes de discrimination et d’identification avant d’être traduits (Jaffré et Fayol 1997). Une seconde différence est liée à la nature dite « profonde » de l’orthographe du français. Une simulation sur ordinateur a en effet montré que par une utilisation stricte des règles de conversion phonème-graphème, on ne pouvait écrire que 50% des mots (Veronis 1988 cité par Mousty & Alégria 1996), alors que les règles de conversion graphème-phonème qui régissent la lecture sont beaucoup plus régulières. L’éventail des possibilités est donc plus large, et le choix de la « bonne forme » plus étendu en écriture qu’en lecture. Enfin, une troisième différence réside dans le fait qu’écrire est une activité de rappel (de formes orthographiques), alors que lire est une activité de reconnaissance, la reconnaissance étant plus facile que le rappel (Mousty & Alégria 1996). Pour orthographier un mot il faut disposer de représentations orthographiques complètes alors qu’on peut lire avec des représentations partielles, soit grâce au contexte, soit par un choix restreint de candidats dans le lexique (Mousty & Alégria 1996, Ehri 1997, Perfetti 1997). L’écriture mobilise des compétences plus complexes et plus variées que la lecture (Mousty & Alégria 1996) qui s’exercent dans un plus grand nombre d’étapes, chacune pouvant être déficiente (Tainturier 1996, Zesiger & de Partz 1997). En résumé, la lecture et l’écriture reposent sur les mêmes compétences mais l’écriture est plus exigeante dans son traitement, ce qui rend compte de l’asymétrie habituellement observée entre capacité de lecture et capacité d’écriture. b) Le développement L’interdépendance de la lecture et de l’écriture, le traitement partiellement différent dans ces deux situations devraient avoir des répercussions sur

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l’apprentissage. C’est dans ce sens que les modèles « en stades » de la lectureécriture sont pertinents (pour une revue de ces modèles voir Sprenger-Charolles 1992). Celui décrit par Frith (1985) définit trois stades d’évolution : logographique, alphabétique et orthographique. Ce qui nous intéresse ici c’est l’interaction entre la lecture et l’écriture dans le développement (voir Ehri 1997). Ce modèle postule que la lecture est le moteur de l’évolution pour l’accès au stade logographique en écriture. Mais les avis divergent sur l’utilité du traitement logographique dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture (Ellis 1997) ; Sprenger-Charolles ne trouve pas de trace de ce traitement dans le développement de la lecture-écriture en français (Sprenger-Charolles & Casalis 1996). Par contre, le traitement logographique est utilisé de façon compensatoire, au moins en lecture, par les lecteurs déficients; en orthographe il s’agirait plutôt d’un traitement alphabétique partiel (au sens d’Ehri 1997). Le second postulat du modèle conçu par Frith est que l’écriture constitue le moteur pour accéder au stade alphabétique. La médiation phonologique est une composante importante de l’habileté pour écrire des mots ; les enfants, à ce stade, ne peuvent se baser que sur des unités de petite taille et l’entraînement acquis en écriture leur permet de lire de façon alphabétique. Ainsi la conscience phonologique joue un rôle plus important en écriture qu’en lecture au début de l’apprentissage, et se trouve renforcée par cette activité. Les enfants répètent les mots pour les découper en se fondant sur leur articulation afin de les écrire. Il se constitue ainsi un stock de relations entre phonèmes et graphèmes qui peut être réinvesti en lecture. Ce moment de découverte du principe alphabétique est crucial dans le développement de la lecture-écriture (Observatoire national de la lecture 1999). Cette activité de segmentation dans le but d’écrire les mots permet à l’enfant de renforcer ses connaissances en conscience phonologique et de les expliciter (Ellis 1997, Plaza 1999). Le passage d’un traitement alphabétique à un traitement orthographique se fait sous l’influence de la lecture. La rencontre de mots lus fréquemment selon les principes de précision et de redondance énoncés par Perfetti (1989), permet la constitution de représentations orthographiques complètes nécessaires à l’écriture orthographique correcte (au niveau lexical). L’orthographe semble l’image la plus fidèle de la qualité des représentations orthographiques. Pour certains auteurs, l’habilité à utiliser des représentations orthographiques pour la lecture et l’écriture se situe à un stade plus précoce du développement que celui déterminé par Frith.

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c) En pathologie c-1 chez les enfants Les orthophonistes constatent quotidiennement que les enfants qui présentent des troubles de la lecture, présentent presque systématiquement des troubles de l’orthographe au moins aussi importants. D’autre part, on remarque que certains dyslexiques ayant compensé leurs difficultés en lecture restent gênés en production écrite. Une étude des performances en orthographe lexicale (Mousty et Alégria 1996, Alégria et Mousty 1997) montre : - d’une part, que les enfants déficients en lecture ont des processus d’identification des mots leur permettant la lecture mais pas la constitution d’un lexique orthographique efficient pour la transcription ; - d’autre part, qu’ils « auraient besoin d’une exposition aux mots écrits plus importante que les bons lecteurs pour parvenir à stocker des représentations orthographiques quantitativement et/ou qualitativement équivalentes » (Alégria et Mousty 1997, p. 177). Selon Ehri (1997), un déficit en orthographe n’existe pas indépendamment d’un déficit en lecture. La lecture de mots sans possibilité de recours au contexte (massivement utilisée par les mauvais lecteurs) peut en être un révélateur. Piérart (1995) part du constat que l’orthographe de scripteurs experts se dégrade sous l’effet d’une surcharge cognitive et se demande si les enfants dysorthographiques ne souffrent pas d’une sensibilité particulière à la surcharge cognitive. c-2 la pathologie des processus centraux chez l’adulte L’agraphie phonologique est caractérisée par l’impossibilité d’écrire des non-mots et par des difficultés dans l’écriture des mots grammaticaux. On retrouve dans l’agraphie profonde les mêmes perturbations auxquelles s’ajoutent des erreurs sémantiques, ce qui pose la question de l’éventualité d’une atteinte de la voie lexicale. Enfin, l’agraphie lexicale ou de surface se traduit par des difficultés à écrire des mots irréguliers ou ambigus sur le plan de l’orthographe, et donc des erreurs phonologiquement plausibles.

♦ Quelles théories pour quels usages ? Les modèles d’écriture experte Les premiers modèles de psychologie cognitive ont concerné le langage écrit (Morton 1980) - lecture et écriture.

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Pour l’écriture, 2 voies sont décrites : - la voie phonologique (par assemblage) qui s’établit tout d’abord par des opérations de segmentation du mot entendu en phonèmes, puis par conversion des phonèmes en graphèmes. - la voie lexicale (par adressage) qui active une représentation orthographique dans sa globalité dans le lexique orthographique de sortie. Une voie sémantique et une voie directe ont également été décrites parallèlement à cette voie lexicale. Les informations sont maintenues dans le bu ffer graphémique (mémoire de travail activant des modules de conversion) pour aboutir ensuite à la réalisation écrite suivant des processus périphériques (étape allographique, épellation orale, écriture dactylo-graphiée ou assemblage de lettres mobiles). Les modèles développementaux Les modèles habituellement utilisés pour rendre compte des réalisations des enfants sont les mêmes que ceux développés chez l’adulte (Piérart 1995, Lecocq & Casalis 1992). Ces modèles doivent être complétés, pour rendre compte de l’évolution, par des modèles développementaux comme celui de Frith (1985) ou celui d’Ehri (1989, 1997). Ces derniers permettent de définir d’une part les stratégies qu’utilise l’enfant de façon préférentielle en lecture comme en écriture, et d’autre part les liens que ces stratégies entretiennent avec les compétences linguistiques et métalinguistiques préexistantes. L’intérêt du modèle d’Ehri réside dans le fait que chaque phase d’acquisition est définie en référence aux connaissances alphabétiques de l’enfant, centrales dans l’acquisition (Ehri 1997). Rieben ne constate pas de développement complètement synchrone de l’écriture et de la lecture ni un décalage systématique comme dans le modèle de Frith. Les résultats de ses recherches accréditent l’idée que les enfants ne peuvent se définir par une seule façon de faire à chaque moment de leur développement, mais par une plus grande souplesse d’utilisation des différentes stratégies ; la « trame évolutive » est, malgré tout, sensiblement la même (Rieben & al. 1997, ce volume). (Pour l’évolution en français, voir également Sprenger-Charolles, Siegel, Bechennec 1997, Sprenger-Charolles 1999).

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Utilité pour l’évaluation des enfants Les outils d’évaluation les plus récents s’élaborent d’après la théorie (Piérart 1994, Mousty et al. 1994), mais les plus aboutis ne peuvent être utilisés facilement en pratique courante au moins lors d’un bilan initial. Les modèles cognitifs et développementaux ont fait faire un grand pas à l’évaluation en permettant l’analyse factorielle et la compréhension des chaînes causales des déficits constatés (voir Walch 1996 ou ce volume pour une illustration). La compréhension du trouble revient à construire un « modèle individuel de fonctionnement » (Monfort 1996) respectant ainsi les particularités inter-individuelles et les différences intra-individuelles en fonction des tâches ou du matériel à traiter. L’analyse qualitative et l’expérience clinique prennent ici toute leur valeur. Ce que nous montrent également ces modèles, c’est l’intrication de diverses compétences et donc l’importance de les évaluer conjointement (lecture/écriture, mémoire de travail, dénomination, discrimination, conscience phonologique, conscience syntaxique et plus généralement le langage oral). Utilité pour la rééducation des enfants La précision de l’évaluation, orientée par les modèles théoriques permet de dégager de « grandes pistes » de rééducation. La difficulté réside dans le fait que le trouble actuel est la conséquence d’une construction sûrement déviante dès le début. Celle-ci comporte en outre certainement des éléments de compensation, développés spontanément ou induits. Une autre source de difficultés vient du passé d’échec de ces enfants et du vécu qu’ils peuvent avoir de certaines activités qu’on leur propose. Un apport indéniable de la recherche pour la rééducation est l’analyse des tâches et ce qu’elles engagent comme ressources cognitives (voir, par exemple, l’analyse des tâches de conscience phonologique par Lecocq 1991). Pour l’orthographe, un consensus s’est fait jour pour l’origine de la dysorthographie phonologique développementale (altération du traitement phonologique). Par contre, en ce qui concerne la dysorthographie développementale de surface et la constitution du lexique orthographique, deux hypothèses s’affrontent : l’une, phonologique (Alégria & Morais, 1996, Casalis 1995, SprengerCharolles & al. 1999) et l’autre, visuelle (Valdois 1996, 1997). Cette dernière évoque des déficits fins qui dépassent l’analyse courante mais dont il faudra sûrement tenir compte.

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Les études présentées insistent, pour la plupart, sur l’intrication des processus de lecture et d’écriture et leur enrichissement mutuel à tous les stades de l’évolution ; elles confortent la pratique conjointe de la lecture et de la transcription en rééducation et en pédagogie (observatoire national de la lecture 1999). Par ailleurs, la pratique de l’orthographe reste le meilleur moyen de renforcer les représentations orthographiques (transcription à partir de représentations complètes, retour du geste graphique sur la connaissance, automatisation de la suite des lettres, relecture...).

♦ Rééducation Les enfants Seuls quelques grands principes tirés des expériences décrites sont ici suggérés : - Un travail systématique conjoint en lecture et écriture ; - Un entraînement de la conscience phonologique dans toutes ses modalités, incontournable dans la prise en charge des enfants présentant des troubles du langage écrit (Rééducation Orthophonique n° 197) ; - La découverte du principe alphabétique ; - Le renforcement des connaissances sur les relations graphèmes-phonèmes ; - Un enrichissement des connaissances lexicales et syntaxiques ; - Un contrôle des contingences mnésiques. Dans un deuxième temps, la question posée sera de chercher sur quel type d’unités travailler ? - pour l’orthographe morphologique, est-ce le syntagme ou la phrase l’unité minimum ? - pour l’orthographe lexicale, est-il préférable de travailler sur des mots isolés ou en contexte ? L’étude des situations didactiques (Allal 1997, ce volume) montre que les approches spécifiques portant sur des mots sont efficaces pour l’orthographe lexicale. Le corpus est alors constitué en fonction des difficultés en respectant les fréquences d’usage. Il semble toutefois nécessaire de les réutiliser dans une approche intégrée afin de les actualiser et de permettre une meilleure intégration par le biais du sens. L’utilisation des analogies, dont la date d’apparition dans le développement est discutée en anglais comme en français (Gombert, Bryant, 1997, Gombert 1997), peut être une approche très porteuse. En effet, le coût de traitement est réduit par le fait que peu d’éléments varient en partant d’un, préalablement connu.

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Selon Jaffré (1995) « apprendre l’orthographe, c’est d’abord la comprendre », le travail porte alors sur l’explication, la découverte et l’expérimentation des différentes règles présidant au fonctionnement de l’écrit. Les adultes La rééducation cognitive s’engage après une évaluation longue et rigoureuse. Le choix des épreuves et l’organisation de sa passation est un postulat de l’évaluation cognitive. Le matériel choisi est constitué de listes de mots de haute et basse fréquence, abstraits et concrets, imageables et non imageables, fonctionnels, logatomes etc. Au terme de cette évaluation, il est alors possible même dans les cas non purs, de définir l’origine du déficit et d’établir le programme de rééducation. En cas d’agraphie profonde, on pourra utiliser des procédures de segmentation phonologique, de pointage des constituants du mot, de reconstitution des mots à l’aide de syllabes, et des techniques d’associations de mots (Ducarne 1993, de Partz 1986). La stratégie d’utilisation des capacités lexicales préservées (Carlomagno 1994 cité par Lambert 1997, Hartfield 1982) et le rétablissement de la conversion phonème-graphème en associant la lettre à un mot clef seront également des objectifs (de Partz). Dans le cas d’agraphie de surface ou lexicale, de Partz (de Partz, Seron & Van der Linden, 1992) décrit une stratégie d’imagerie mentale avec des étapes très précises : copie du mot écrit avec un dessin, copie différée du motdessin, écriture sous dictée du mot-dessin et création de mot-dessin par le patient lui-même. On utilisera également des techniques d’associations sémantiques. Dans tous les cas, des exercices d’apprentissage classique peuvent être proposés : - copie différée ; - traitement du sens des syllabes figurant dans des mots familiers ; - stimulation de la conversion phonème-graphème ; - épellation ; - enrichissement de la phrase en cas d’agrammatisme (complétude, conversion, dialogue, jeux de questions-réponses ...) Pour la rééducation des processus périphériques, l’activation des codes gestuels, la conversion motrice et l’entraînement graphique sont à exploiter. Les thérapies cognitives ont été décrites essentiellement dans les cas des troubles du langage écrit mais les méthodes classiques gardent leur pertinence.

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Par ailleurs, le rééducateur devra sans cesse utiliser les fonctions préservées pour stimuler les fonctions perturbées, veiller au transfert des acquis et mettre en place des moyens de compensation, lorsque la fonction atteinte ne peut être récupérée. Ce long processus de rééducation tiendra compte également des progrès constatés afin d’adapter la technique choisie, et essayera de placer le patient dans une situation concrète d’utilisation afin qu’elle devienne transférable. N’oublions jamais que cette personne a su écrire et que la récupération de cette fonction perdue est primordiale pour la restauration de son identité.

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◆ ASSOCIATIONS A.P.E.D.A. France : 3bis, avenue des Solitaires - 78320 Le Mesnil Saint Denis. Tél. : 01.34.61.96.43 Avenir Dysphasie : 20bis, Avenue Carnot - 78100 Saint Germain-en-Laye. Tél. : 01.30.42.21.46 F.L.A. : Fédération Française des Troubles Spécifiques du Langage et des Apprentissages - 26, avenue de Lamballe - 75016 Paris. Tél./Fax : 01.45.69.07.94 UNADREO : Union nationale pour la recherche et l’évaluation en orthophonie - 2, rue des deux gares - 75010 Paris. Tél. : 02.43.95.38.41 Orthophonissimo : 86, rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 PA R I S . Tél. : 01.56.24.48.60. - http :// assoc.wanadoo.fr/orthophonissimo

L’association ORTHOPHONISSIMO a été créée par de jeunes orthophonistes tout juste diplômés qui souhaitaient créer un lieu susceptible de leur permettre d’approfondir mais aussi d’élargir le travail de recherche entamé à l’occasion de leur mémoire de fin d’études. Dans ce but, les activités de l’association se sont progressivement développées selon deux axes : d’une part, les groupes de recherche et les réunions inter-groupes permettent aux adhérents qui le souhaitent d’approfondir leur réflexion sur les sujets qui leur tiennent à coeur. D’autre part, les conférences et journées de conférences régulièrement organisées à Paris (et ouvertes à tous), créent des occasions d’échanges, de rencontres et de réflexion partagés avec des professionnels de tous horizons. Diverses publications ont vu le jour grâce à l’association, la revue « l’Echo des Mots », la cassette vidéo « Aphasie : le mal des mots » d’Hélène Lavenant et Frédérique Pacé, « la Dépêche » (publication interne).

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NOTES

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IVe Congrès scientifique européen du C.P.L.O.L.

Le langage oral : qualité et efficacité en orthophonie du 2 au 4 juin 2000 à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette PARIS Renseignements et inscriptions C.P.L.O.L. Congrès Paris 2000 2, rue des deux gares, 75010 Paris e-mail : [email protected] – http://www.multimania.com/cplol

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DERNIERS NUMÉROS PARUS N °1 96 : LANGAGE ORAL - PRODUCTION - Rencontre : Justine ou la difficile conquête de l’autonomie et du langage (P. AIMARD) — Données Actuelles : De l’approche neuropsychologique en général et du langage oral en particulier (J.-P. LASSERRE) - Etiologies des dysphasies : le point de la question (J.-J. DELTOUR) - Développement des productions vocales : évaluation et implications cliniques (S. VINTER) - Pour une évaluation intégrative du langage oral (J.A. RONDAL) — Examens et interventions : Etude de cas : Emmanuelle, née le 14 novembre 1969 (A.-M. ROBERT-JAHIER) - Qui dit quoi ? Le rôle de la reformulation dans la rééducation du langage oral chez l’enfant de 4 ans (C. FOUASSIER, A. GADOIS, C. HÉNAULT, D. MORCRETTE, L. BIHOUR, N. GUÉRET) - Quand le nombre est parlé avant d’être écrit : acquisition et élaboration de la chaîne numérique verbale (A. MÉNISSIER) — Perspectives : Apports de la pragmatique et de la psychologie du langage à la compréhension des troubles du développement du langage (G. DE WECK) - Premiers pas dans l’acquisition du lexique (D. BASSANO) - Et si l’humour c’était sérieux ? (M.FOSSARD) - L’oral : une tâche moins discriminante que l’écrit ? (K. DUVIGNAU) N °1 97 : LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE - Rencontre : La conscience phonologique dans le cadre d’une évaluation psycholinguistique de l’enfant (B. WELLS) — Données Actuelles : Sensibilité phonologique et traitement métaphonologique : compétences et défaillances (M. PLAZA) - Déficits phonologiques et métaphonologiques chez des dyslexiques phonologiques et de surface (L. SPRENGER-CHAROLLES, P. LACERT, P. COLÉ, W. SERNICLAES) - Evaluation de la mémoire de travail verbale chez six enfants présentant une hémiplégie congénitale (M. SANCHEZ, S. GONZALEZ, A. RITZ) - Conscience phonologique et surdité (A. DUMONT) — Examens et interventions : Approche rééducative de la conscience phonologique auprès d’une enfant présentant une dysphasie et une dyslexie (G. BERTIN, I. RETAILLEAU, S. GONZALEZ) Phonorama : matériel d’entraînement de la compétence métaphonologique (N. ISSOUFALY, B. PRIMOT) Pratique de la D.N.P. et développement de la conscience phonologique (D. PRADO) — Perspectives : Evaluation de la conscience phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande section de maternelle (M. ZORMAN) - Entraînement à la parole et au langage acoustiquement modifiés : une relation entre l’entraînement à la discrimination auditive du mot et les mesures d’évolution du langage (S.L.MILLER, N. LINN, P. TALLAL, M.M. MERZENICH, W.M. JENKINS) N °1 98 : LES APHASIES DE L’ADULTE - Rencontre : L’inénarrable aventure de P. (R. DEGIOVANI) — Données Actuelles : Aphaises et imagerie cérébrale fonctionnelle (B. LECHEVALLIER) - Les formes cliniques des aphasies corticales (R. GIL) - Les aphaises sous-corticales : données actuelles (M. PUEL, J.-F. DÉMONET, D. CARDEBAT, D. CASTAN) - Stratégies de compensation adoptées par des patients cérébrolésés : définitions conceptuelles et principes de mise en œuvre (A. KIOUA) - De la nécessité de l’évaluation des troubles de la compréhension dans l’aphasie (M.-N. METZ-LUTZ) — Examens et interventions : Une nouvelle batterie de tests de compréhension orale en temps réel pour patients aphasiques (F.GROSJEAN, I. RACINE, J. BUTTET-SOVILLA) - Rééducation des troubles de la compréhension de la phrase (M.-A.VAN DER KAA-DELVENNE, A. SCHWAB) - Les techniques de communication alternatives ou supplétives (M.-P. DE PARTZ) - Les thérapies de groupe en aphasiologie (J. BUTTET-SOVILLA) - Evaluer la communication de la personne aphasique dans la vie quotidienne : proposition d’une Echelle de Communication Verbale (B. DARRIGRAND, J.-M. MAZAUX) — Perspectives : La neuropsycholinguistique à la veille de l’an 2000. Réflexions et perspectives à partir d’un exemple : l’agrammatisme (J.-L. NESPOULOUS) - Les perspectives rééducatives en aphasiologie (J.-M. MAZAUX, P.A. JOSEPH, M. CAMPAN, P. MOLY et A. POINTREAU) N °1 99 : LES ACTIVITÉS LOGICO-MATHÉMATIQUES - Rencontre : Petites histoires sur l’histoire d’une grande invention : la numération (A. MÉNISSIER) - Le dénombrement : une activité complexe à deux composantes (V. CAMOS) — Données Actuelles : Les élèves en difficulté : calculent-ils autrement ? (J.-P. FISCHER) - Quelques dysfonctionnements dans l’appropriation du nombre, leur diagnostic et leur abord pédagogique (R. BRISSIAUD) - Relations entre des performances à des épreuves perceptivo-tactiles et des épreuves arithmétiques chez des jeunes enfants (C. MARINTHE, M. FAYOL, P. BARROUILLET) — Examens et interventions : Compétences arithmétiques : une aide à l’évaluation et à l’action pédagogique (F.DUQUESNE) - L’UDN 2 : un instrument révisé pour des évaluations plus fines (C. MELJAC) - Utilisation du jeu de stratégie « Quarto » comme stimulus développemental du fonctionnement cognitif. Application chez un enfant présentant un syndrome de William Beuren (S.W.B.) (OP DE BEECK) — Perspectives : Aspects cliniques des dyscalculies chez l’enfant (M. MAZEAU) - La délicate question de la compétence professionnelle face aux dysfonctionnements dans le traitement des données numériques (P. DESSAILLY)

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