Mines+et+glaciers+argentine

  • June 2020
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Industrie minière en Argentine : Menace pour les glaciers des Andes Les glaciers et leurs écosystèmes Notre planète est recouverte d’eau à 70%, dont 3% seulement sont constitués d’eau douce. 77,06% de cette eau douce est congelée dans les pôles ou dans les glaciers d’altitude. L’eau est une ressource essentielle pour le développement des organismes vivants (le corps humain est par exemple en est composé à 65%).1 77,06% de l’eau douce est congelée dans les pôles et les glaciers d’altitudes moyennes. Si la définition des glaciers est problématique, nous pouvons nous en tenir à celle du glaciologue Français Lliboutry2 : peut être appelée glacier « toute masse de glace persistante, formée par accumulation de neige, quelles que soient ses dimensions et sa forme […] qui coule sous son propre poids vers les hauteurs inférieures » L’eau est aujourd’hui devenue une ressource primordiale et un enjeu majeur pour la population mondiale. En effet, sa répartition inégale et sa pénurie génèrent la vulnérabilité des populations et provoquent de graves conflits sociaux, politiques, économiques et environnementaux. L’eau doit donc être une préoccupation majeure pour les organismes internationaux, les autorités politiques, mais aussi pour les citoyens. En Argentine, la plupart des glaciers sont localisés dans la cordillère des Andes, plus précisément en Patagonie et dans les provinces de Mendoza et San Juan. En Patagonie, on trouve par exemple des glaciers célèbres tels que le Perito Moreno, l’Upsala et le Viedma. L’Institut Argentin de Nivologie, de Glaciologie et de Sciences environnementales (IANIGLA) et le Conseil National de la Recherche Scientifique (CONICET) sont en train de procéder à un inventaire des glaciers de Mendoza et de San Juan, dans le cadre de l'Inventaire Mondial des Glaciers (WGI). L'objectif principal de ce projet est de permettre d'acquérir une connaissance globale de la neige et de la glace comme source d'eau et des caractéristiques des corps glacés/ensembles glaciaires dans le monde entier. 4 240 glaciers et espaces enneigés situés à 1 500 m au-dessus du niveau de la mer ont été inventoriés uniquement pour les vallées des fleuves Castaño, Blanco, des Patos, Mendoza, Tunuyán (pour le secteur oriental de la vallée, Atuel et Malargüe.) Le périmètre des zones englacées pour les vallées répertoriées ci-dessus sont les suivantes : le fleuve Castaño: 93,24km2, le fleuve Blanco: 286,90 km2, le fleuve de los Patos: 175,88 km2, le fleuve de Mendoza: 664,34 km2, le fleuve Tunuyán: 145,08 km2, le fleuve de Atuel:186,32 km2 et le fleuve de Malargüe: 12,34 km2. La superficie totale de toutes les zones mentionnées correspond à peut près à 1564,10 Km2. 48% de ces zones correspond à de la glace découverte et 52 % à de la glace recouverte. Il est important de noter qu’un glacier est un système ouvert, en interaction avec l’environnement. Il est régi par une dynamique complexe, dont la formation obéit à des conditions environnementales uniques et hautement fragiles. Pour qu’un glacier se forme, de fortes précipitations neigeuses sont nécessaires. Il faut également que le terrain qui les reçoit soit à la hauteur des neiges éternelles. La formation des glaciers est due au processus de transformation de la neige en glace, connu sous le nom de diagenèse. Ce processus est généré par la compaction de la neige en strates successives d’accumulation qui emprisonnent l’air et densifient la neige qui passe d’une texture douce et spongieuse à une texture granulaire et dure. C’est pour cette raison que les activités qui se déroulent sur les glaciers doivent être dûment contrôlées : elles peuvent générer une grande vulnérabilité des écosystèmes de la montagne, faisant courir des risques à toutes les populations (humaines, animales et végétales) qui s’approvisionnent en eau grâce au dégel. 1

Les propos de ce chapitre ont été rédigés à partir de documents envoyés par Marta Maffei (ex député nationale et auteur de la loi 26.418), et des échanges par mails que nous avons eus avec elle. 2 Traité de glaciologie, ,Louis Lliboutry

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Les glaciers jouent de plus un rôle fondamental dans la régulation des ressources hydriques. Les années où les précipitations sont faibles dans la Cordillère des Andes, les glaciers fournissent 70% du débit des fleuves dans les provinces de Mendoza et de San Juan. Les années particulièrement humides, l’eau s’accumule dans ces corps de glace pour être redistribuée lorsqu’elle vient à manquer. Durant les périodes estivales ou de sécheresse, les glaciers sont les principales sources d’approvisionnement en eau contre les déficits hydriques. En effet, lorsque les précipitations neigeuses (qui viennent se déposer sur la glace) sont moindres, la réflexion des rayons du soleil diminue. Par conséquent, le glacier absorbe plus d’énergie solaire et la fonte s’accroît. Au contraire, les années où ces précipitations sont plus conséquentes, la réflexion augmente et la fonte diminue. De plus, comme l’affirme Juan Pablo Milana, glaciologue à l’université de San Juan, les années de sécheresse, les glaciers s’assombrissent en raison de la poussière qu’apporte le vent, ce qui provoque une plus grande absorption de l’énergie solaire, responsable de la fonte de la glace. Les années où les précipitations neigeuses sont plus abondantes, l’opération est inversée : la superficie du glacier est moins assombrie et l’absorption de l’énergie diminue ; le glacier récupère donc de sa masse. Ce phénomène permet un approvisionnement constant des alentours tout au long de l’année et rend possible les activités humaines telles que l’agriculture. Dans les régions arides de l’ouest argentin, les activités agricoles et économiques sont hautement dépendantes des ressources hydriques. Dans les provinces de Mendoza et de San Juan, l’eau potable est utilisée pour l’irrigation de l’agriculture (essentiellement l’agriculture viticole) et la production d’énergie électrique. Ceci nous montre à quel point les glaciers font partie d’écosystèmes fragiles dans lesquels l’homme est inséré puisque ses activités et sa vie en dépendent. Notons aussi que les glaciers apportent une régulation thermique. Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, la majorité des glaciers de la Cordillère des Andes rétrécissent. Ce processus s’est dupliqué dans les dernières décennies. Par exemple, la majorité des glaciers de Patagonie souffrent de cette régression. Mais le réchauffement de la planète n’est malheureusement pas le seul danger pour les glaciers : l’industrie minière travaille elle aussi à la destruction de ces monstres de glaces millénaires…

Les projets miniers qui menacent les glaciers Comme l’ont montré certaines études, notamment celles réalisées par Alexander Brenning à l’université de Waterloo à Ontario au Canada3, l’exploitation minière en haute montagne est une source très importante de contamination et de fonte des glaciers en Argentine. On peut citer au moins deux projets célèbres qui risquent de porter atteinte aux glaciers qui les environnent. Il y a tout d’abord le tristement connu projet Pascua Lama mené par l’entreprise canadienne Barrick Gold Corporation. La future mine sera située entre le Chili et l’Argentine, à environ 300 kilomètres au nord-ouest de San Juan (la ville),dans le département d’Iglesia. Ce projet gigantesque (l’un des plus grands au monde) de mine d’or et d’argent à ciel ouvert a été initié en 2004 par le premier accord bilatéral entre le Chili et l’Argentine. En effet, la mine chevauche la frontière des deux pays. L’exploitation en question se situera en plein milieu d’un environnement périglaciaire, à environ 4800 mètres d’altitude. La répartition du gisement entre le Chili et l’Argentine correspond à 75% du coté chilien et 25% du coté argentin. La mine devrait produire en moyenne 750 000 d’onces d'or et 35 millions d'onces d'argent les cinq premières années4. Les réserves d’or de la zone sont estimées à 17.8 millions d’onces et celles d’argent à 718 millions 3

Pour consulter les études de Brenning sur les glaciers rocheux on peut de se référer au site suivant : http://www.environment.uwaterloo.ca/research/profiles/brenning.html 4 http://www.infomine.com/index/properties/pascua_-_lama.html (“annual production of about 750,000-800,000 ounces of gold and 35 million ounces of silver in the first five years of operation”)

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d’onces5. Le gisement sera exploité jusqu’à épuisement, pendant 21 ans maximum. Chaque année, 95 millions de tonnes de roches « stériles » abandonnées comme déchet6. L’entreprise canadienne à investi près de 1,5 milliards de dollars pour ce projet titanesque. En avril 2009, il a été annoncé que l’extraction débuterait en septembre 2009 malgré les fortes mobilisations des paysans et des écologistes des deux cotés de la frontière. Le deuxième projet très célèbre qui fait courir un risque réel aux glaciers est celui de Veladero. Encore une fois, c’est la Barrick qui exploite. La mine d’or et d’argent se trouve elle aussi à San Juan dans le département d’Iglesia, à 4 km de distance de Pascua Lama. Le gisement a été trouvé dans les années 90 ; un an après, l’exploration commençait. L’extraction du minerai a commencé en octobre 2005. Comme pour Pascua Lama, la mine est à ciel ouvert. Sa durée de vie est de 17 ans. Il est prévu que 18.2 millions d’onces d’or soient extraites7. En 2005 la mine a produit 56 000 d’onces d’or. A partir de 2006, il était prévu que la vitesse d’extraction augmente pour arriver à produire jusqu’à 700 000 d’onces par an! L’investissement pour ce projet correspond à 547 millions de dollars !8 Notons que dans cette mine les travailleurs travaillent entre 12 et 14 heures par jour et qu’on dénombre au moins six cas d’accidents graves, sans compter les cas de maltraitance. Les dangers de ces deux projets sont nombreux. Tout d’abord, il faut savoir que dans le cas des mines à ciel ouvert on commence par dynamiter les collines afin de remuer les sols, pour ensuite concasser la roche et extraire le minerai qu’elle contient. Ces explosions à la dynamite dégagent d’épais nuages de poussière qui transportent des métaux lourds extrêmement dangereux pour la santé et l’environnement. C’est donc 23 500 tonnes d’explosifs qui seront utilisés chaque année par la seule mine de Pascua Lama !9 . L’organisation écologiste FUCI (Fundación Ciudadanos Independientes) a dénoncé à la Cour Suprême la fonte des glaciers aux alentours de la mine de Veladero en présentant des films et des photos constatant le triste fait. Selon les documents présentés, la fonte était due à l’utilisation d’explosifs servant à remuer les sols. Mais l’un des problèmes les plus connus de ce type d’extraction est l’utilisation du cyanure de sodium. En effet, une fois la roche détachée du sol, il faut exécuter plusieurs concassages pour ensuite la plonger dans une solution de cyanure de sodium et d’eau. C’est ce produit chimique extrêmement toxique qui va permettre de détacher le minerai de la roche. Le problème est que les fuites souterraines sont extrêmement fréquentes et que les produits toxiques peuvent pénétrer dans les nappes phréatiques qui alimentent les cours d’eau. Il arrive aussi souvent que les entreprises se débarrassent de ces produits directement dans les cours d’eau. En effet, la question de la gestion des déchets et des résidus se pose quand on voit la quantité astronomique de produit utilisé ; ainsi Pascua Lama utilisera près de 379.428 de tonnes de cyanure de sodium (sur les 21 ans d’exploitation, soit 18 068 de tonnes par année10. « Aucune mine n’est capable d’assurer à 100 % qu’il n’y aura pas de contamination», prévient Lucio Cuenca Berger, ingénieur porte-parole de l’OLCA (Observatoire Latino-Américain de Conflits Environnementaux). Les cas de pollution des eaux sont monnaie courante en Argentine et en Amérique du Sud. Le film Mirage d’un Eldorado, réalisé par Martin Frigon (2008), montrait que les simples explorations faites pour le projet de Pascua Lama avaient déjà pollué l’eau par les produits chimiques.

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http://www.infomine.com/index/properties/pascua_-_lama.html (“The deposit contains 17.8 milion ounces of gold and 718 million ounces of silver reserves.”) 6 Un éléphant fou dans la galerie des glaces : la Barrick Gold Corporation au Chili, par Léon Taniau, Article publié le 11 mai 2007 7 http://www.infomine.com/minesite/minesite.asp?site=veladero (“Veladero has 130 km2 and proven and probable gold reserves of 12.8 million ounces.”) 8 http://www.infomine.com/minesite/minesite.asp?site=veladero 9 Se reporter à ce que Barrick Gold avance dans les documents officiels suivants : http://www.mineria.sanjuan.gov.ar/pascua-lama/CD1/Seccion%203.0%20%20DESCRIPCIONES%20DEL%20PROYECTO%20(59%20KB).zip Pour suivre les informations officielles sur Pascua Lama se rendre sur le site suivant : http://www.mineria.sanjuan.gov.ar/pascua-lama 10 idem

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Les conséquences pour les ressources hydriques ne s’arrêtent pourtant pas là ! Pour séparer les minerais de la roche, les entreprises ont aussi besoin d’un apport hydrique faramineux. Par exemple, Pascua Lama consumera 410 litres d’eau par seconde. De plus, il faut savoir que pour ce même projet, deux rivières seront détournées afin d’assurer un apport en eau au campement qui logera 3 500 travailleurs. Les cours d’eau, qui sont pour la plupart alimentés par les glaciers, vont donc être asséchés dans une région aussi aride que celle du nord-ouest Argentin. La pollution des eaux et l’assèchement des fleuves et rivières auront des répercutions graves pour les organismes vivants. Mais le problème de l’eau, c’est aussi et surtout le problème des glaciers. Nous avons déjà montré combien ces masses de glaces sont importantes, puisqu’ils sont souvent l’unique source de nombreuses vallées. Avec ces deux mines, c’est les glaciers qui seront attaqués directement. En effet, le projet de Pascua Lama est entouré de nombreux glaciers tel que l’Estrecho, l’Amarillos, le Toro I et II ou encore L’Esperanza. L’Estrecho est le glacier le plus gros des alentours. Et selon les scientifiques, ce dernier pourrait être affecté par l’exploitation. Mais le plus effrayant est de savoir qu’au début du projet, la Barrick Gold avait prévu de déplacer les plus petits des glaciers que sont le Toro I, le Toro II et l’Esperanza ! Les trois glaciers se trouvent en effet à cheval sur le périmètre d’exploitation. L’entreprise a donc proposé de les découper en morceaux pour ensuite les déplacer et les rattacher aux glaciers alentours. Là encore, les scientifiques se sont opposés au déplacement des glaciers en argumentant que l’on ne pouvait nullement prévoir comment ils réagiraient une fois l’opération effectuée. Ce projet farfelu a finalement été abandonné par l’entreprise. Le 19 février 2006, un accord a été signé avec la Corema (Corporacíon Regional de Medio Ambiante) stipulant que l'exploitation des mines devait se faire sans que les glaciers soient déplacés ou abîmés. Pourtant, les glaciers ne sont toujours pas mis hors de danger : le déplacement n’est pas la seule menace. Il existe un autre risque qui concerne les stériles (la roche concassée qui reste une fois que le minerai est extrait). Rappelons que pour la seule exploitation de Pascua Lama ce sont 95 millions de tonnes qui seront abandonnés dans les alentours de la mine. Ne sachant pas comment gérer une telle quantité de déchets, les entreprises laissent souvent les stériles à l’abandon sur les glaciers, ce qui a bien entendu des conséquences désastreuses. Il suffit de lire l’étude réalisée par le géographe Alexander Brenning à l’université de Waterloo à Ontario en collaboration avec l’universitaire Chilien Guillermo Azócar. L’étude porte sur les risques que font encourir les mines chiliennes (telles que celle de los Pelambres, de la division Andina ou encore de los Bronces qui sont toutes situées à la frontière qui sépare les deux pays) aux glaciers rocheux. Un glacier rocheux est une masse de débris rocheux mélangés à de la glace se déplaçant à très faible vitesse (quelques centimètres à quelques mètres par an) sur un versant. Sur plusieurs milliers d'années, ce déplacement engendre une morphologie semblable à une coulée de lave, atteignant parfois plusieurs kilomètres de long, particulièrement repérable dans les paysages de montagne. Le terme prête parfois à confusion avec ceux de glacier et de glacier couvert, dont il se différencie toutefois par une morphologie, une structure interne et une évolution au cours du temps différents. Selon les deux universitaires, les glaciers rocheux jouent aussi un rôle important dans le système hydrologique. Dans les alentours de la mine de los Pelambres d’après les études qui ont été faites par satellite en 1997, 2000 et 2006 sur 15 glaciers existants, quatre on été presque complètement recouverts par les stériles. Sur ces 15 glaciers, deux autres ont été touchés par la construction d’un chemin, ce qui a dégradé au total une zone d’entre 0.11 et 0.14 kilomètres carrés. L’exploitation a commencé en 1999. La contamination due aux rejets des produits chimiques a touché la communauté agricole de la vallée de Choapa.Les deux entreprises Codelco et Angloamerican qui exploitent les mines de Division Andina et de los Bronces au Chili (et qui ont à elles deux pompé plus de 21 millions de mètres cubes d’eau) ont déplacé respectivement 0.5 km carrés et 0.2 km carrés de glaciers rocheux. La mine de los Bronces a recouvert la partie centrale du glacier Infiernillo de 14 millions de tonnes stériles. Le

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recouvrement par les stériles rend nul la contribution hydrique des glaciers rocheux ou non rocheux. La Division Andina a recouvert par les stériles 38% des glaciers rocheux de sa zone d’influence. Les exploitations minières continueront à détruire les glaciers si rien n’est fait au niveau de la loi. Enfin, ceux qui douteraient des catastrophes que provoquent ce genre d’exploitations et qui misent sur l’honnêteté des entreprises minières et sur leur volonté d’exploiter tout en respectant l’environnement, pourraient peut-être changer d’avis en apprenant qui dirige ces entreprises minières. La compagnie Barrick Gold a compté dans ses rangs des personnalités comme George Bush père et l’ex dictateur indonésien Suharto, ainsi que des fonctionnaires et des avocats proches du pouvoir à Washington, l’ancien président argentin De La Rúa, le banquier en fuite Puchi Rohm et, au début, le trafiquant d’armes international Adnan Khashoggi11

La loi de protection des glaciers et le veto présidentiel C’est contre les dangers qu’encourent les glaciers et la vie qui en dépend que la loi 26.418. de Protection des Glaciers et de l’Environnement Périglaciaire fut écrite. Marta Maffei, ex-député nationale et auteur de la loi, explique qu’en 2005, lors d’un voyage au Chili, elle fit la connaissance de paysans qui lui apprirent l’existence du projet Pascua Lama. Ils lui racontèrent que l’entreprise voulait déplacer trois glaciers et risquait de contaminer les eaux. De retour en Argentine, elle consulta les experts de l’Institut d’Argentine de Nivologie et de Glaciation (INIGILIA) qui dépend du Conseil National de la Recherche Scientifique (CONICET). Ils constatèrent qu’en Argentine il n’existait pas de recensement des glaciers ni de registre évaluant leur évolution. De plus, ils prirent conscience que les glaciers n’étaient pas protégés et que le développement de l’industrie minière pouvait les mettre en danger et contaminer l’eau qu’ils fournissent. Le projet de loi 26.418, initié par Marta Maffei dans le courant de l’année 2007, a été voté à l’unanimité par les membres des deux chambres du Congrès National le 22 octobre 2008. L’objectif principal de cette loi était de protéger les glaciers et le milieu périglaciaire dans lequel ils s’insèrent. Celle-ci n’interdisait en rien l’extraction minière en général, comme l’a rappelé M.Maffei. Tout d’abord cette loi prévoyait de constituer de véritables connaissances sur les glaciers d’Argentine. En effet, c’est aussi le manque de connaissance et d’inventorisation qui les met en danger. Si une entreprise décide d’implanter des infrastructures à coté d’un glacier et que son existence est ignorée, rien ne peut être fait pour empêcher un désastre potentiel. De ce fait, les entreprises peuvent jouer sur l’ambiguïté du terme en déclarant que certaines masses de gèle ne sont pas des glaciers à proprement parler. Ce fut le cas de la Barrick Gold Corporation qui avait travaillé en « collaboration » (notons que certains rapprochent ce type de collaboration à de la corruption) avec des glaciologues Français et Argentins. Les études menées établissaient que certains glaciers situés dans la zone d’exploration étaient des « corps de glace » et non pas des glaciers12. Il s’agissait donc en premier lieu de définir ce qu’est un glacier. L’article 1 de la loi 26.418 définit les glaciers de la manière suivante : « on entend par glacier toute masse de gel pérenne et stable ou qui coule lentement, avec ou sans eau interstitielle, formée par la recristallisation de la neige, située au sein de différents écosystèmes, quelle que soient sa forme, sa dimension et son état de conservation » Notons que dans cette définition même les masses de glace les plus petites peuvent être considérées comme des glaciers et doivent par conséquent être protégées. Mais pour constituer une réelle base de connaissances 11 12

Une histoire de la Barrick Gold Corp.La chaîne de l’or, par Santiago O’Donnell (Article publié le 24 octobre 2007) Minería y glaciares: “No proteger nuestras fuentes de agua es un acto criminal”, par Marcelo Maggio 08-04-09

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sur les glaciers argentins, il fallait commencer par la réalisation d’un inventaire. Ainsi, les articles 3, 4 et 5 de la loi prévoyaient la création de l’inventaire national des glaciers et des milieux périglaciaires, un recensement de leurs superficies et une classification morphologique. Selon l’article 4, l’inventaire devait être actualisé tous les cinq ans en vérifiant tous les changements de superficie et d’avancée. Selon l’article 5, il devait être effectué par l’INIGLIA-CONICET. On voit donc qu’un des premiers buts de cette loi était d’élaborer des connaissances précises et systématiques sur les glaciers argentins pour combattre la méconnaissance qui les mettait en péril et dont les entreprises pouvaient jouer pour arriver à leurs fins. Ensuite, il s’agissait, selon l’article 6, d’interdire toute activité pouvant nuire aux glaciers et à leur fonctionnement, ou impliquant la destruction, le déplacement, ou encore empêchant leur avancée, dans les zones concernées (y compris les milieux périglaciaires). Parmi les activités prohibées par la loi, on pouvait trouver le déversement de substances ou d’éléments contaminants, de produits chimiques ou de résidus de n’importe quelle nature, la construction d’infrastructures (à l’exception de celles qui sont prévues pour la recherche scientifique), l’exploration minière ou pétrolière, et enfin le développement d’activités industrielles. Cette loi prévoyait aussi, selon l’article 11, des sanctions en cas de non respect de la loi (amendes et suspension de l’activité en question, etc.). Enfin, selon l’article 15, les activités décrites au moment de l’exécution de la loi devaient être soumises à une autorité environnementale qui se chargerait d’évaluer les impacts environnementaux occasionnés ou potentiels dans un délai de 180 jours. Si l’activité en question ne correspondait pas aux normes prescrites, elle devait être déplacée ou supprimée. La loi 26.418 s’attaquait donc directement à l’implantation des mines dans l’environnement des glaciers. Malheureusement, le 11 novembre 2008, la présidente de la république d’Argentine, Mme Christina Kirchner, a opposé à la loi son veto, provoquant un scandale sur la scène politique argentine. Les raisons officielles de ce veto sont contenues dans le décret 1837/2008 ; elles sont principalement d’ordre économique et attaquent tout particulièrement l’article 6 qui prohibe, entre autres activités, l’implantation d’infrastructures minières dans les milieux périglaciaires. Le décret prend tout d‘abord appui sur l’avis du Secrétariat des mines du Ministère de la planification fédérale, des investissements publics et des services pour établir des objections d’ordre juridique : « l’établissement d’un présupposé minimum, ne peut consister en l’interdiction totale des activités, mais doit se limiter à fixer des paramètres minimums que les provinces devront assurer, qui pourront être plus rigides suivant la spécificité de la situation environnementale ». Selon le pouvoir exécutif, si la loi ne peut interdire totalement les activités dans les milieux périglaciaires, c’est pour protéger le développement économique des provinces. Notons bien que l’accent est mis sur l’interdiction totale de toute activité dans les milieux périglaciaires. L’article 6 est donc jugé excessif car il pourrait compromettre le développement économique et handicaper les provinces. Le risque pour le développement des mines ne vient qu’en second plan. Ainsi le pouvoir exécutif tente d’écarter tout soupçon. La prohibition de toute activité « donnerait la prééminence des aspects environnementaux sur les activités que l’on pourrait autoriser et qui pourraient être développées dans un parfait respect de l’environnement ». Le décret rappelle également qu’il revient à la Nation de dicter les normes qui contiennent les présupposés minimum de protection, et que les provinces peuvent compléter si nécessaire sans que celles-ci (les normes) altèrent les juridictions locales. Or la loi 26.418 est accusée de porter atteinte à cet article en excédant la portée des facultés réservées à la Nation. Les députés et les sénateurs sont alors invités à former « un forum interdisciplinaire pour discuter des mesures à adopter pour la protection des glaciers et de l’environnement périglaciaire. Mais on peut douter que ce forum apporte quoi que ce soit de plus en ce qui concerne la protection des glaciers !

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Comme nous l’avons déjà dit, le veto de la Présidente de l’Argentine a provoqué un scandale parmi les écologistes, les associations, mais aussi certains hommes politiques. Tout d’abord, l’argument d’ordre juridique selon lequel l’établissement d’un « présupposé minimum » ne peut consister en une prohibition totale d’une activité est invalide. Selon Marta Maffei un « présupposé minimum » (presupuestos minimos) a pour but établir des règles basiques qui permettent la protection effective de l’environnement ou d’une ressource déterminée dans tout le pays, et de garantir un complément à l’article 41 de la Constitution […] ». Il existe selon elle de nombreuses lois qui le font ; par exemple la loi sur les forêts en Argentine interdit le déboisement de toutes les forêts primaires ou désignées comme « ROJOS ». La loi 25612 (sur les résidus industriels) interdit l’importation, l’introduction et le transport de tout type de résidus, provenant d’autres pays et d’autres territoires. De plus, elle argumente en réaffirmant que la loi n’interdit pas toute forme d’activité minière mais seulement celles qui se déroulent sur les glaciers et leur environnement. Pour elle, il faut absolument prohiber les activités minières et pétrolières qui se déroulent à proximité des glaciers car c’est le seul moyen de protéger ces ressources vitales. Pour Marta Maffei, l’argument qui consiste à dire que la prohibition des activités dans la Cordillère des Andes porte atteinte au développement économique des provinces n’est pas valable. En effet, les activités interdites par l’article 6 (à savoir les mines, l’exploitation pétrolifère, etc.) ne concernent pas toute la cordillère des Andes mais seulement les glaciers. De plus, la loi prévoyait d’autoriser d’autres activités autour des glaciers, si une étude environnementale préalable l’agréait. Concernant le veto, il est clair qu’un flou entoure l’expression « cordillère des Andes ». En effet, il semble que le texte de loi ait été modifié pour mieux servir les intentions de ses détracteurs. L’expression «prohibition des activités » a été remplacée par « prohibition des activités dans la Cordillère des Andes ». On peut donc interpréter ce remplacement comme intentionnel ; en effet si toute activité avait été prohibée cela aurait constitué un argument de poids contre la loi. Concernant l’attaque relative à la nuisance potentielle de la loi au développement économique, il est important de rappeler que la permission de l’implantation des mines nuira elle aussi à toute une partie de l’économie des provinces. En effet il a largement été démontré que de nombreuses d’activités comme l’agriculture dépendent des glaciers et que les mines risquent de les détruire. Marta Maffei le dit elle même à propos du passage du décret qui rappelle que l’article 41 de la Constitution promet aux citoyens le droit à un environnement sein équilibré et apte au développement des activités humaines et productives. Le veto ayant provoqué un tapage médiatique, il a été proposé d’opérer une réécriture. Le problème est que cette réécriture consiste pour beaucoup à vider la loi de son contenu et à la rendre inopérante. De nombreux organismes, en particulier la FUNAM (la Fondation pour la Défense de l’Environnement) ont dénoncé cette manœuvre juridique. Pour cette organisation, la réécriture constitue une porte ouverte à la Barrick ; elle laisse les milieux périglaciaires sans protection. Pour le biologiste et professeur de l’Université Nationale de Cordoba (UNC), Raul Montenegro, président de la FUNAM, ce projet est « pervers » parce qu’il « laisse sans protection l’environnement périglaciaire pour que les entreprises minières et pétrolières puissent exploiter sans obstacles la Cordillère des Andes. » Le biologiste qui a reçu le Prix Nobel Alternatif en 2004, dit que l’article 2 propose seulement de protéger « les sols gelés qui ne fondent pas » : une situation qui « change dramatiquement le sens de la loi »/ La nouvelle loi ne prendrait pas en compte la totalité de l’environnement périglaciaire. Selon Montenegro, les milieux périglaciaires « sont fondamentaux pour l’alimentation des cours d’eau » parce qu’ils « se congèlent et se décongèlent ». « Le nouveau projet impulsé par le gouvernement permet leur destruction et met en danger les fabriques d’eau andines » réitère-t-il.

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Marcelo Giraud, référent de l’assemblée populaire pour l’eau à Mendoza, affirme dans sa critique du nouveau projet13 que l’article 6 et l’article 15 sont particulièrement dangereux. L’article 6 interdit « la construction d’œuvres, d’architectures ou d’infrastructures, à l’exception de celles « déclarées d’intérêt public et celles qui sont nécessaires pour l’investigation scientifique et la prévention des risques. » Ici rien ne change à part le terme « d’intérêt publique ». Signalons que le terme est conforme à celui employé dans le décret du veto (1837 /2008). Le problème est, comme le dit Giraud, que beaucoup d’activités peuvent être déclarées «d’utilité publique», si bien que l’industrie minière a déjà été déclarée d’utilité publique par le Code de l’Industrie Minière. Selon l’article 13 de ce code « l’exploitation des mines, leur exploration, et les concessions revêtent le caractère d’utilité publique ». Beaucoup d’autres modifications apportées à la loi pourraient être commentées de la sorte, comme l’a fait Marcelo Giraud. Cependant il n’est pas nécessaire de le faire pour se rendre compte que ces changements vident la loi de son contenu. On peut donc dire que les glaciers sont aujourd’hui plus que jamais en danger. La loi qui pouvait être un rempart contre la destruction est aujourd’hui une porte d’entrée aux entreprises minières. Ajoutons que l’affaire du veto n’est pas dénuée d’intérêts douteux. En effet, en Argentine, beaucoup s’accordent à dire que ce veto est le fruit d’un accord entre la Barrick Gold et la Présidente. Mais le plus fort c’est que certains affirment que c’est la corruption qui a poussé la présidente à s’opposer à la loi. Ainsi le député Miguel Bonasso, accompagné d’Aníbal Ibarra (ex chef du gouvernement municipal de Buenos Aires), a déclaré devant le tribunal que la Présidente aurait reçu 3000 millions de dollars pour opposer son veto, après avoir exposé le vide juridique qu’il générait. Ceci peut donc nous amener encore une fois à remettre en question l’argument selon lequel les mines seraient en faveur du développement des provinces ; s’agit-il du développement des provinces ou tout simplement de la poursuite « d’intérêts funestes », pour reprendre l’expression de Jérémy Bentham ? Par Donatien Costa, Juillet 2009 Collectif Si a la Vida Pour plus d’informations : http://dunplateaualautre.over-blog.com Contacts : [email protected], [email protected]

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Diario Crítica de la Argentina y Marcelo Giraud

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