Melanges J.f.e Le Boys Des Guays T Iii

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  • Pages: 436
J. F. E. LE BOYS DESGUAYS l er Vol.,

COLLECTION •

DE

CONCERNANT LA NOUVELLE JÉRUSALEM

TOME TROIS1ÉME.

SAINT—AMAND (CHEII) A la librairie de La Nourelle Jérusalem,

chez PORTE, Libz,aire.

PARIS M. 31INOT, rue Monsieur-le-Prince, 58. E. JUNG-TREUTTEL, Libraire, rue de Lille: 19.

LONDRES



SWEDENBORG SOCiETY, 36, Bloorasbury Street, Oxford Street. le NEW—YORK"' NEW ClIURCII BOOK110014 346, Broadway.

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18Q4 ?9c

COLLECTION DE MÉLANGES.

SAINT-AMAND (CHE.R). - IMPRIMERIE DE DESTENAY Bu» Lafajette, 70, place Mont-Rond.

J. F. E. LE BOYS DES GUAYS

COLLECTION

MÉLANGES CONCERNANT LA NOUVELLE JÉRUSALEM

TOME TROISIÈME.

SAINT-AMAND (CHER) A la Librairie de LA NOUVELLE JERUSALEM, che» Porte, libraire. PARIS M. MINOT, RUE MOSSIECR-LE-PRINCB, 58. B. JUNG-TRBCTTEL, LIBRAIRE, RDE DE LILLE, 49.

LONDRES SWEDENBORG SOCIBTT, 36, BLOOMSBCRT STBBET, OXFORD STREET.

NEW-YORK NEW CUBRCU BOOK-ROOM, 346, BROADWAT.

1864

AVERTISSEMENT.

La publication, en 1861, des pièces fugitives d'Edouard Richer en deux Volumes, sous le titre de MÉLANGES, a suggéré l'idée de former une Collection de MÉLANGES, en réunissant par Volume, sous le nom de leurs auteurs, certains Articles de la REVUE la Nouvelle Jérusalem, qui a cessé de paraître depuis 16 ans, et dont l'Édition est épuisée. Cette idée ayant été adoptée par d'anciens Rédacteurs de ce Journal réunis à Paris, nous donnons ici, sous le nom de Le Roys des Guays, un premier Volume de Mélanges, qui devient par conséquent le Tome troisième de la Collection. Outre les Articles qui seront extraits de la REVUE et du Journal l'Écuo de la Nouvelle Jérusalem, qui depuis 3 ans paraît par livraison mensuelle à Maurice (Ancienne île de France), nous recueillerons toutes les pièces fugitives qui ont paru jusqu'à ce jour ou qui paraîtront dans le cours de notre publication. Notre seul but, en formant cette Collection, c'est de laisser à nos successeurs quelques traces des efforts qui ont été faits par les travailleurs de notre époque.

ERRATA. Page 82, lig. k, peut élevé, lisez : peut élever. — 169, — 1, longtemps, lisez : plus longtemps.

TABLE.

Pag,

Introduction



1

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

3

I. Sur le besoin de religion II. Sur l'insuffisance du déisme III. Sur l'impossibilité de revenir au -véritable christianisme sans admettre la nouvelle révélation IV. Sur le sens interne de l'évangile V. Sur le révélateur du sens interne de la Parole EXPOSITION Principes généraux sur Dieu, sur l'univers et sur l'homme. . . Sur les lois de l'ordre Sur la véritable acception du mot miracle Sur le libre arbitre Sur la chute Sur le soleil spirituel Sur l'origine du mal Sur les extatiques Sur la révélation ou transmission de la Parole divine aux hommes Réponse à l'Echo du Vatican Un mot au Semeur De la polémique religieuse Considérations générales sur le christianisme et sur sa marche pour constituer l'unité humanitaire • Aphorismes de la nouvelle Jérusalem Sur l'amour en général Sur les amours de soi et du monde Sur l'amour envers le Seigneur Sur l'amour du prochain ou la charité Considérations sur le sens interne de la Parole. .

5 5 8 12 15 19 20 28 51 33 36 40 41 46 4" 51 76 77 80 98 102 104 108 109 117

Pag.

Du pouvoir de lier et de délier que s'arroge le clergé" catholiqueromain Sur l'avenir de l'humanité Une nouvelle canonisation La nouvelle révélation ne pouvait pas être faite plus tôt. . . . Sur l'obscurité des prophéties Sur le second avènement Sur l'établissement de la nouvelle église Robert Hindmarsh Polémique locale. Une inhumation Considérations sur la foi, sur la charité & sur le culte Construction d'un temple de la Nouvelle Jérusalem à St-Amand . Fragment rétrospectif Sur la Parole Coup d'œil sur l'état de la nouvelle Jérusalem Sur la polémique religieuse De la cause du retour aux idées religieuses Du culte de la nouvelle Jérusalem à Saint-Amand Notice sur le capitaine Bernard Oberlin était un disciple de la nouvelle Jérusalem Gobert & Bernard Notice sur le général de Bissy Un mot au Nouveau-Monde, journal phalanstërien Extrait du Nouveau-Monde Les Archives du Christianisme (journal de la réforme) Swedenborg apprécié en Angleterre par des hommes de lettres. . Pourquoi Swedenborg a publié ses visions et ses mémorables . . Bibliographie. Un troisième biographe d'Éd. Richer A la Revue catholique La prétendue chronologie de la bible attaquée par la science . . Variétés. Les Annales algériennes Du fanatisme religieux Notes additionnelles

150 137 151 161 167 176 185 193 200 209 216 222 229 241 249 258 269 274 298 312 522 52G 529 531 535 346 351 561 368 571 58!) 400

INTRODUCTION

Nous avons indiqué, dans le Prospectus (2) de cette REVUE, le but que nous nous proposions d'atteindre. Nous avons dit que la Religion était seule capable de résoudre la grande question humanitaire, en régénérant l'homme et par suite les sociétés; que le Christianisme avait, depuis quinze siècles, été détourné de sa véritable route; qu'en raison de celte funeste déviation , les diverses Communions chrétiennes se trouvaient toutes dans l'impuissance d'opérer cette régénération; mais que cependant le Christianisme avait encore dans son tronc une sève vigoureuse, et que du moment où les superfétations qui empêchent cette sève de circuler auront été élaguées, on le verra sur-le-champ reverdir plus majestueux et plus fécond. Puis, sortant du cercle ordinaire des investiga(1) Nous donnons sous ce tilre d'iNTRODUCTlON les Considérations générales et l'Exposition que nous avons présentées dans LA REVUE, en 1838. (5) Voir ce PROSPECTUS à la fin du Volume, où nous avons placé ce qui peut concerner d'une manière, soit directe, soit indirecte, l'établissement de la Nouvelle Église en France, sans avoir été publié dans LA REVUE. 1.

INTRODUCTION.

tions humaines, nous nous sommes écriés : Les temps sont enfin accomplis ! Le sceau qui avait été mis par Dieu sur les Livres-Saints est levé, et la Vérité peut désormais apparaître aux yeux de quiconque désirera de bonne foi la connaître. Cette exclamation a dû paraître étrange dans un siècle où l'on s'est habitué à ne considérer que le positif, où tout est soumis à l'appréciation des sens, où la plus légère excursion hors du domaine des sciences naturelles et des idées intellectuelles généralement admises, est frappée surle-champ d'une sorte de réprobation. Quelque glissant que puisse paraître aux yeux du plus grand nombre ce terrain nouveau sur lequel nous nous sommes placés, nous montrerons qu'il est solide et surtout convenable. Nous n'avons même pas craint de déclarer tout de suite par quels moyens la Divinité avait levé le sceau posé par Elle sur sa Parole. Nous aurions pu, à la vérité, ne faire une déclaration si opposée à toutes les idées reçues, qu'après avoir complètement exposé la Doctrine; si nous avons préféré cette marche franche, ce n'est pas toutefois sans nous dissimuler l'impression fâcheuse qu'elle pourrait faire sur certains esprits; mais nous avions en même temps la conviction intime qu'elle ne déplairait pas à ceux qui cherchent avec persévérance la -Vérité, et qui ne jugent pas sans avoir sérieusement examiné. Toutes les propositions énoncées dans le Prospectus seront successivement développées dans le cours

INTRODUCTION.

3

de cette REVUE. Nous commencerons, dans ce Numéro, à exposer les grandes vérités spirituelles révélées à Swedenborg; mais nous croyons qu'il est nécessaire, avant d'entreprendre cette Exposition, d'entrer dans quelques considérations générales.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

I. Sur le besoin de Religion. Tous les hommes judicieux reconnaissent maintenant que la philosophie du dernier siècle, après avoir rendu d'éminents services, en sapant le vieil édifice social, est restée tout à fait impuissante pour en reconstruire un nouveau. On pense dès lors qu'une philosophie moins sensuelle et plus conforme aux besoins du siècle, pourrait nous préserver de l'abîme où nous courons. Chacun donc se met à l'œuvre, chacun s'évertue à formuler de nouveaux systèmes; mais si la philosophie a pu seule détruire, la philosophie seule est incapable d'édifier. En effet, pour détruire, la philosophie n'a eu qu'à faire un appel aux passions des hommes, et elle a été facilement comprise; en déroulant sous les yeux de l'homme ses droits, en le créant roi de l'univers, elle a flatté son

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SUR LE BESOIN DE RELIGION.

MOI, et après avoir renversé, à sa louange, un grand nombre d'abus, elle a malheureusement donné naissance au plus pernicieux des abus, au culte du MOI ; c'est lui qui détruit aujourd'hui tous les liens de la société humaine. Or, quelque pur que puisse être le système .philosophique qu'on cherche à formuler, il ne pourra jamais avoir seul la force nécessaire pour renverser ce culte désastreux. C'est sans doute par suite de semblables réflexions que certains philosophes cherchent à corroborer leurs systèmes par des idées religieuses ; mais on a pu,comme nous, remarquer que la plupart de ceux-là mêmes qui conviennent de l'utilité d'une religion, donnent à entendre, avec un certain air de supériorité, qu'elle serait bonne pour servir de frein aux passions du vulgaire ; mais que, quant à eux, hommes intelligents, elle ne saurait les lier. Ce serait donc encore de l'hypocrisie! et c'est sur une semblable religion que l'on compterait pour détruire Fégoi'sme? Non. Si l'on veut une religion, il ne faut pas qu'elle soit le résultat des décisions humaines, il faut qu'elle soit divine, il faut que ses dogmes puissent être aussi bien conçus et avoués par ceux qui sont au premier degré de l'échelle intellectuelle, que par ceux qui sont au dernier; car le Dieu qui ne serait pas accessible à tous, ne serait pas le vrai Dieu. Ce n'est qu'avec cette seule religion que les hommes parviendront à acquérir une foi vive, et qu'ils pourront y conformer leur vie,

SUR LE BESOIN DE RELIGION.

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Et cette religion, nous ne sommes plus à la désirer, elle existe; elle vient de descendre sans bruit, comme elle était descendue une première fois, il y a dix-huit siècles, sans qu'alors les maîtres du monde s'en fussent aperçu. Aujourd'hui, elle commence à apparaître d'une manière manifeste, et elle est au Christianisme primitif, ce que celui-ci fut à la Loi de Moïse; c'est, en un mot, un complément de Vérités Divines, qui se trouve en rapport avec la somme des lumières naturelles acquises par la succession des siècles. II.

Sur l'insuffisance du Déisme. S'il y a maintenant bon nombre d'hommes qui croient à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme, il en est bien peu qui vivent selon cette croyance. Cela tient à cet esprit de scepticisme qui pèse de tout son poids sur notre siècle. Il y a des moments où l'on croit, d'autres où l'on ne croit plus; et c'est précisément lorsque notre intérêt personnel nous pousse à agir contre les lois éternelles de la justice, que le peu de foi que nous avons nous abandonne. Alors on s'accommode facilement avec sa conscience, qu'elle soit civile ou politique, morale ou religieuse. C'est précisément là qu'en sont réduits la plupart des croyants, faute d'avoir des convictions assez fortes pour lutter contre l'Égoi'sme.

i*.

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SUR L'INSUFFISANCE DU DÉISME.

Le Déisme, à la vérité, semble, à l'époque où nous sommes, offrir seul au philosophe un abri contre les superstitions grossières de toutes les Communions chrétiennes; mais le Dieu des philosophes n'est qu'une simple abstraction qui éblouit la raison sans rien dire au cœur. Car si les théologiens ont tous rabaissé leur Dieu en lui donnant des passions humaines, si tous l'ont représenté d'une injustice révoltante, les déistes au contraire se sont plu à élever leur Divinité, au point de la rendre inaccessible à l'homme, de sorte qu'on aperçoit à peine le lien qui doit rattacher l'un à l'autre. Il en est résulté que le Dieu des théologiens a été rejeté par les philosophes, et que le Dieu des philosophes est resté inintelligible pour les masses; mais le véritable Dieu des Chrétiens, révélé par Swedenborg, peut être compris et par l'homme du peuple et par l'intelligence la plus élevée, car il est la Justice même ; et comme tout homme a reçu de Dieu un sentiment interne de justice, souvent étouffé par Fégoi'sme, mais se manifestant toujours lorsque cette passion n'est pas mise en mouvement, il n'est par conséquent aucun homme qui ne puisse le comprendre. En un mot, avec les théologiens, Dieu est un tyran redoutable qu'il faut craindre; avec les philosophes, c'est un maître insouciant qui s'occupe peu d'insectes tels que nous ; mais avec Swedenborg, c'est le plus tendre des pères qui n'exige que notre amour. Il est du reste plus que douteux qu'on puisse ja-

SUR L INSUFFISANCE DU DÉISME.

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mais amener la majorité d'une nation au Déisme; et l'on peut conclure de ce qui vient d'être dit, que si le fait arrivait, cette nation resterait plongée dans l'Égoi'sme; mais il n'en sera jamais ainsi; il faut une certaine dose d'instruction et de probité pour être déiste vertueux, et certes la majorité d'une nation ne remplira jamais en même temps les deux conditions exigées. D'ailleurs, il y a dans cette populeuse partie de la société qui reste tout à fait privée d'instruction, un penchant tellement prononcé pour le merveilleux, qu'en admettant chez elle le discrédit total des croyances superstitieuses, elle n'en deviendrait pas moins la proie des premiers charlatans qui s'offriraient à elle. De vrais principes religieux, dégagés de toute espèce de superstition, pourraient donc seuls empêcher la civilisation de devenir le plus grand des maux; on ne sait que trop, en effet, combien l'homme en se civilisant éprouve de propension à l'égoïsme. Or, pour déraciner cette funeste passion, il ne suffit pas d'avoir recours aux lois civiles, politiques et morales, il faut de plus des convictions religieuses propres à porter les hommes à s'aimer les uns les autres. La vertu morale et philosophique est insuffisante pour diriger l'homme ; il succombera tôt ou tard lorsque l'occasion se présentera, si la vertu religieuse ne vient le soutenir; on sait, en effet, qu'au fond de toutes nos actions, même de celles qui passent pour les plus vertueuses, se trouve toujours une espèce d'égoi'sme; car ce vice est la tache originelle.

8

SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

III.

Sur l'impossibilité de revenir au véritable Christianisme sans admettre la nouvelle Révélation ({}. Cette insuffisance du Déisme est avouée aujourd'hui parla plupart des penseurs; aussi plusieurs d'entre eux étudient-ils sérieusement le Christianisme dans l'intention de le réhabiliter. Mais dans l'état de ténèbres où les théologiens l'ont plongé, ces théophilosophes feront en vain de généreux efforts, privés qu'ils sont du seul fanal qui puisse dissiper tant d'erreurs accumulées. Ceux d'entre eux qui prétendent réussir en conservant le Catholicisme romain, et en se contentant (1) Ici, et dans ce qui suit, par Révélation il ne faut pas entendre une Révélation telle que celles dont sont composés les Livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ces Révélations constituent ce qu'on appelle La Parole de Dieu ou simplement la Parole. Or, Swedenborg ne nous a pas apporté une nouvelle Parole, mais il a été l'instrument par lequel le Seigneur a levé le voile qui couvrait sa Parole, en manifestant les vérités réelles cachées sous la lettre. Ainsi, par une Révélation nouvelle, il faut entendre la Révélation ou manifestation du sens interne de la Parole. De m<*me, lorsque plus loin Swedenborg sera appelé le Révélateur, il faudra seulement entendre qu'il a été l'instrument dont le Seigneur s'est servi pour une nouvelle dispensation de vérités divines contenues dans le sein de sa Parole. Ces expressions peu usitées maintenant, étaient alors (en 1838), assez fréquemment employées par les membres de la Nouvelle Jérusalem.

SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

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de le réformer, iront se briser inévitablement contre deux écueils. D'un côté, Rome, malgré les nouveaux revers qu'elle éprouvera, toujours fière de son antique puissance, ne consentira jamais à céder sur aucun point; dé l'autre, les peuples, fatigués du joug ukramontain, ne sont pas disposés à le supporter longtemps; et, dans le cas où ils ne l'auraient pas secoué au moment de la réforme qu'on projette, ils refuseraient de la seconder, dans l'appréhension d'un nouveau piège. Quant à ceux qui, frappés de la pureté primitive du Christianisme, voudraient nous y ramener, en détruisant les abus, mais sans s'appuyer sur la nouvelle Révélation, ils se trouveront dans une position non moins critique. Forcés de prendre l'Évangile pour code et de l'expliquer, comment y parviendrontils? s'ils se contentent de la partie morale, je cherche en vain le Christianisme; je vois bien une morale divine, mais la religion a disparu. Si, plus conséquents avec eux-mêmes, ils consentent à admettre des dogmes, ils se trouveront dans la nécessité, ou de conserver ceux des Catholiques-Romains, ce qui serait maintenir le peuple dans la superstition, ou d'en établir d'après leurs idées philosophiques, et alors le peuple ne les comprendra plus. Dans l'un et l'autre cas, tout homme, pour peu qu'il soit doué de jugement, verra que la nouvelle religion n'est qu'un frein politique pour contenir la populace, et de ce moment elle sera enlièrement discréditée et restera

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SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

sans effet; car toute religion, qui ne conduit pas intérieurement l'homme à combattre ses défauts et à se régénérer, a manqué totalement son but. D'ailleurs, comment ces théophilosophes pourrontils amener l'homme qui raisonne à adopter avec une pleine conviction leurs principes religieux, s'ils ne peuvent lui expliquer d'une manière satisfaisante ce que devient l'homme après sa mort? car il n'y a pas de religion sans le dogme des récompenses et des peines. Or, savent-ils ce que c'est que le ciel? Saventils ce que c'est que l'enfer? Présenteraient-ils sérieusement pour récompense à l'homme de bien ces prétendues béatitudes, dont personne n'a encore pu donner la moindre idée exacte, et qui seraient plutôt propres à produire l'ennui, qu'à constituer le véritable bonheur? Prétendraient-ils de nos jours détourner le méchant du vice, avec ces vieilles descriptions de l'enfer, bonnes tout au plus pour effrayer les enfants? On ne les écouterait même pas. Iraient-ils au contraire présenter sur l'âme les diverses élucubrations de la philosophie? Le bon sens populaire leur aurait bientôt fermé la bouche. « Mon âme, dirait l'homme du peuple, ne serait qu'un souffle...! qu'un principe vital...! En quoi consisterait donc cette existence immortelle dont vous m'entretenez? Que faire dans un monde où je serais privé de tous mes sens? En supposant même que je pusse avoir des sensations, elles ne pourraient ressembler en rien à celles que j'éprouve sur cette terre; s'il n'y a entre

SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

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elles aucun rapport, je ne serai donc plus MOI? Or si ce principe, qui m'anime, ne doit pas spirituellement rester MOI TOUT ENTIER, peu m'importe qu'il soit immortel ou non? son immortalité ressemblerait trop à celle de mon corps, dont la décomposition n'est pas un anéantissement, mais un simple changement de forme. Dès lors, pourquoi se contraindre, pourquoi ne pas se procurer à tout prix ce qui peut nous plaire? Les seules peines à éviter sont celles de ce monde; cessez donc de parler de dévouement : Chacun pour soi; voilà la seule règle qui doive diriger l'homme.» Qu'en présence d'une logique si désespérante, on cherche à réhabiliter les idées religieuses, c'est fort bien ; mais tant qu'on n'aura, pour convaincre l'homme de son immortalité, que des lieux communs dont on fait depuis si longtemps usage, et dont l'inefficacité est si patente, on ne devra pas espérer d'y parvenir. Si l'on produit par hasard quelqu'impression sur certaines organisations aimantes, cette impression ne pourra être que légère et fugitive, et ce doute déchirant, dont le grand Pascal lui-même était la victime, viendra de temps en temps troubler leur espoir. Ce n'est qu'avec Swedenborg, comme on le verra plus tard, qu'on peut acquérir une conviction pleine et entière de l'immortalité de l'homme; alors on arrive à cette foi vive qui peut seule nous rendre véritablement religieux. Si maintenant, malgré ce besoin de religion qui commence à se faire sentir, on

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SUR LE VÉRITABLE CHRISTIANISME.

voit si peu de vrais croyants, si chacun cherche à s'affranchir de toute espèce de foi, c'est que la foi telle que les théologiens l'ont faite, est contraire à la nature de l'homme. La foi, d'après eux, consiste à croire aveuglement, sans chercher à comprendre. Or, n'est-ce pas là contraindre l'homme à laisser inactive une des facultés qui font qu'il est homme, c'-est-àdire, l'intelligence dont Dieu l'a doué? Tant que l'on concevra ainsi la foi, il deviendra impossible de rétablir la religion, parce que le sens commun se refusera toujours à croire ce qu'on lui défendra de chercher à comprendre. Nous montrerons plus tard que la foi vive, prescrite par le sens interne de l'Évangile, est bien différente, et bien plus conforme à la constitution spirituelle de l'homme.

IV.

Sur le sens interne de l'Évangile. Nous avons la conviction intime que, du moment où l'Évangile sera lu et compris par le peuple, le vaste champ des révolutions sera clos, et que l'humanité jouira paisiblement de ses droits; car elle saura alors accomplir ses devoirs. Mais ce Livre, reconnu Saint par tous les Chrétiens, et destiné par son Divin Auteur à tous les peuples et à toutes les générations, devait-il être écrit comme un livre ordinaire? S'il ne renfermait que ce qui ;se lit dans

SUR LE SENS INTERNE DE L ÉVANGILE.

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sa lettre, pourrait-il satisfaire aux besoins de tous les lieux et de tous les temps? Du moment où une génération se serait élevée à sa hauteur, ne deviendrait-il pas, en raison de la loi du progrès, insuffisant pour régir les générations suivantes? Il faut donc qu'outre son sens littéral, qui causait l'admiration de Rousseau, il renferme en lui un sens caché, propre à être dévoilé successivement aux hommes, selon leurs besoins. Or, le sens seul de la lettre ne suffit plus aujourd'hui à notre état de civilisation ; qui donc recevra la clé nécessaire pour ouvrir ce trésor, et répandre les richesses cachées qu'il renferme? Cette clé, comme nous l'avons indiqué dans notre Prospectus, & été enfin donnée. L'Évangile n'est plus un livre où, à côté d'une morale sublime, se trouvent des passages que la raison humaine ne puisse admettre, et devant lesquels Rousseau s'anéantissait; maintenant, au moyen de la théorie des phénomènes spirituels donnée par Swedenborg, tout s'explique, et des endroits qui semblaient les plus obscurs surgissent des faisceaux de lumière. V.

Sur le Révélateur du sens interne de la Parole.

Ce n'est pas avec légèreté qu'on doit juger les écrits de cet homme extraordinaire. Si ses contemporains, tout en rendant hommage à ses vertus et à son 2.

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SUR LE RÉVÉLATEUR

profond savoir, ont négligé l'étude de ses écrits extatiques, ce n'est pas un motif pour que nous ne les examinions pas. Combien d'autres hommes, négligés par leurs contemporains, n'ont-ils pas fait l'admiration de la postérité? C'est un visionnaire, nous dirat-on. — C'est vrai, et c'est précisément parce qu'il est visionnaire, et qu'il s'est donné pour tel, qu'il faut surtout l'étudier. N'a-t-on pas perdu assez de temps à compulser les divers systèmes enfantés par la raison humaine? Pourquoi ne consentirait-on pas maintenant à en consacrer un peu à méditer les ouvrages d'un homme si extraordinaire? Qu'on se rappelle seulement qu'on va voyager dans des régions jusqu'ici inconnues; qu'ainsi il ne faut pas porter de jugement sur l'apparence, mais attendre pour décider qu'on ait saisi tout l'ensemble. L'apparence ! Ne devrions-nous pas nous en défier ? car malgré l'apparence contraire, nous croyons fermement aux antipodes et aux mouvements de la terre; nous nous rendons même facilement compte de cette croyance que nos ai'eux rejetaient. Ces mots de Galilée : Et cependant elle tourne, sont restés comme une preuve de l'ignorance de ses contemporains; craignons que notre dédain pour Swedenborg ne soit, aux yeux de la postérité, une tache indélébile pour notre siècle. Si la raison humaine a admis plus tard ce qu'elle avait d'abord refusé de reconnaître, c'est sans aucun doute parce qu'elle s'était perfectionnée. Or, nous ne pensons pas qu'on ose préten-

DU SENS INTERNE DE LA PAROLE.

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dre que cette pauvre raison humaine soit arrivée aujourd'hui à son plus haut degré de perception ; qu'elle consente donc à examiner. Il faut du temps pour se familiariser avec Swedenborg ; habitués que nous sommes à vivre au milieu des ténèbres, la lumière vive qu'il nous présente, éblouit d'abord nos yeux, et nous fait prendre les vérités pour des illusions; mais peu à peu la vue se raffermit, et l'on parvient à distinguer nettement les objets et à marcher avec assurance dans la nouvelle voie qu'il ouvre. Il ne faudrait pas néanmoins juger le Révélateur sur la lecture d'un abrégé de ses ouvrages, car alors on n'aurait pas plus d'idée des beautés renfermées dans Swedenborg, qu'on en aurait de celles contenues dans Homère ou dans Virgile, si l'on se contentait de lire les sommaires que les traducteurs placent en tête de chaque Chant. On pourrait peut-être, au premier abord, regarder une partie de ses théories comme des fictions inventées par un homme de génie, ou comme les fruits de l'imagination la plus riche qui ait existé; mais si, après que l'ensemble aura été entièrement saisi, on trouve que les parties coordonnées forment un tout tellement complet, tellement encyclopédique, que la plupart des questions les plus élevées, jusqu'ici demeurées insolubles, puissent par lui être facilement résolues, alors on ne résistera pas à l'admiration, et tout homme de bonne foi se dira comme nous nous sommes dit : II est impossible qu'une combinaison

16

SUR LE RÉVÉLATEUR

si vaste soit due à la seule intelligence humaine, il y a du Divin là-dedans. Des hommes transcendants ont pu enrichir le monde de certaines vérités, mais il n'a été donné jusqu'ici à aucun homme d'en embrasser l'ensemble. Swedenborg n'était pas non plus un extatique ordinaire ; il était, comme il le dit luimême, un instrument entre les mains de la Divinité : c'était le Révélateur du sens interne de la Parole. Que ce mot de Révélateur ne choque pas les oreilles; qu'on attende pour juger. Aujourd'hui, comme au temps des premiers Césars, le monde est dans un vague d'idées que personne ne peut définir; chacun, sans pouvoir s'en rendre compte, a en soi-même un pressentiment secret de l'approche d'un de ces grands événements qui renouvellent les destinées humaines ; aujourd'hui, comme il y a dix-huit siècles, on peut dire avec le poète : Magnus ab intégra sœclorum nascitur ordo;

et si l'Évangile, dans le sens de la lettre, a suffi avec le temps pour renouveler la société d'alors, l'Évangile dans son sens spirituel, qui n'est encore connu que de quelques hommes, suffira, lorsque ce sens sera répandu, pour donner une vie nouvelle à ce squelette qu'on gratifie encore du nom de société. Qu'un Paul surgisse, et bientôt les colonnes du nouvel édifice s'élèveront au grand étonnement de nos Scribes et de nos Pharisiens ; mais Paul avait puisé sa force dans l'Évangile pris dans le sens de la lettre, il

DU SENS INTERNE DE LA PAROLE.

Il

faut que le nouveau Paul, que nous appelons de tous nos vœux, puise la sienne dans l'Évangile, pris dans le sens spirituel d'après Swedenborg, et ainsi devenu susceptible d'être compris et adopté par les hommes de notre époque (1). Nous terminerons ces considérations générales par deux points de doctrines qui nous semblent propres à réconcilier la philosophie avec la vraie religion : (1) Quand nous tracions ces lignes, il y a vingt-cinq ans, les Traités de Swedenborg étaient encore rares en France. Les Arcana Cœlestia n'étaient connus que par une nouvelle Édition, qui était loin d'être terminée ; et son Diarium (Journal) n'avait pas encore été publié ; nous -n'avions donc pas tous les documents nécessaires pour nous former une -idée exacte sur certains points relatifs à l'instauration de la Nouvelle Jérusalem sur notre terre. L'établissement de cette Nouvelle Église, qui est l'Église définitive du Seigneur, doit différer de l'établissement de la première Église chrétienne, dont la fin a été prédite au moment même où elle était fondée. Car la primitive Église chrétienne, comme il ressort des écrits de notre Auteur, ne pouvait être établie que par la contrainte, tandis que la Nouvelle Jérusalem le sera par la liberté spirituelle laissée pleine et entière aux hommes. Il fallait donc des miracles, il fallait donc un Paul pour frapper les imaginations et amener les hommes au Christianisme primitif, et plus tard il a fallu le despotisme des papes et du clergé pour y maintenir successivement les générations ; mais la Nouvelle Jérusalem, s'appuyant sur le rationnel pour affermir sa foi, doit rejeter nécessairement toute contrainte et tout despotisme spirituel, quel qu'il soit, et reconnaître pour seul Maître le Seigneur Jésus-Christ, et pour Règle de conduite sa Divine Parole illustrée par le sens interne. Ainsi, point de miracles, parce qu'ils contraindraient; point de nouveau Paul, parce qu'il contrarirait par ses actes les vues miséricordieuses de la Providence ; c'est au Seigneur Seul à instaurer sa Nouvelle Église, en disposant peu à peu par son influx le genre humain à recevoir librement sa céleste doctrine.

a*.

18

SUR LE RÉVÉLATEUR.

1° // ne peut y avoir de religion vraie là où il n'y a pas entière liberté de conscience. Car la liberté est la base de tout acte spirituel ; et quiconque agit en matière religieuse, soit par crainte ou par intérêt, soit par habitude, est un égoïste ou un automate. 2° Le culte intérieur constitue l'homme au spirituel, le culte extérieur n'étant qu'un simple vêtement. Peu importe donc la forme du culte extérieur, pourvu que l'homme soit dans le véritable culte intérieur. Ainsi tous les hommes, de quelque religion qu'ils soient extérieurement, sont acceptés par Dieu, s'ils ont bien vécu, c'est-à-dire, si le dévouement chez eux l'a emporté sur l'égoi'sme; car en général pour nous, le dévouement, c'est le bien; l'ego ïsme, c'est le mal. Ainsi disparaît lç vice radical de tous les systèmes religieux qui ont précédé ; nous n'aurons plus à craindre que les ambitieux tournent à leur profit une religion toute divine; nous n'aurons plus à craindre que les fanatiques fassent couler le sang humain pour la plus grande gloire de Dieu. Il ne sera donné à personne de juger la conscience religieuse de qui que ce soit. DIEU SEUL SONDE LE COEUR ET LES REINS.

19 EXPOSITION. Le véritable but du Christianisme étant de détacher l'homme de l'amour de soi pour le ramener à l'amour de Dieu, ou du bien général, il en résulte que quiconque est porté à préférer le bien général à son intérêt propre, n'eût-il d'ailleurs aucun culte externe, est plus près d'être un vrai chrétien, que celui qui croit aveuglement à tous les dogmes, et qui dans tous ses actes n'a en vue que son propre bonheur, soit dans cette vie, soit dans l'autre. Il y a donc nombre de gens qui se croient et se disent chrétiens, et qui sont néanmoins bien éloignés du vrai Christianisme, tandis qu'il en est beaucoup d'autres qui ne remplissent aucun des devoirs extérieurs du culte, et auxquels il ne manque, pour devenir de vrais chrétiens, que d'être éclairés sur des dogmes que leur raison a repoussés, parce qu'on exigeait d'eux qu'ils crussent sans chercher à comprendre. C'est surtout pour ceux-ci que nous écrivons, sans cependant désespérer d'éclairer les autres. Nous sommes même convaincus que, pour peu qu'ils veuillent nous suivre dans nos développements sur chacun des dogmes qui constituent la Vraie Religion Chrétienne, ils reviendront bientôt de leurs préventions. Comme la Révélation est le principe et la base du Christianisme, et que, présentée ainsi qu'elle l'a été

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EXPOSITION.

jusqu'ici, elle choque communément la raison humaine, il est naturel que nous commencions par donner une idée de la manière dont nous nous rendons compte de ce dogme; mais pour que nous puissions être plus facilement compris, nous poserons avant tout quelques principes généraux sur Dieu, sur l'Univers et sur l'Homme. Principes généraux sur Dieu, sur l'Univers et sur l'Homme. I. Dieu ou Jéhovah est l'Amour Même et la Sagesse Même ou l'Intelligence Même ; il est la VieMême par qui tout a existé et subsiste. Ainsi il n'ya qu'une seule Vie, c'est Dieu. Rien de ce qui existe dans l'Univers n'a la vie en soi ; il n'y a, à proprement parler, que de simples réceptacles de cette vie unique, qui se trouve ainsi modifiée par chaque être selon sa propre organisation. Pour peu que l'homme veuille réfléchir, il se convaincra facilement de cette haute vérité. Qu'il se prenne pour exemple, lui qui, par son organisation, possède la vie à un plus haut degré que tout autre être, il verra bientôt ^que la source de cette vie qu'il croit posséder pleinement, n'est pas en lui, et qu'il n'est qu'un simple récipient; il verra bientôt qu'il ne tient pas cette vie de son père qui n'était que le dépositaire de germes propres à recevoir la vie, de même que lui n'est que le dépositaire de germes qui

PRINCIPES GÉNÉRAUX SDR DIEU.

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pourront la recevoir un jour. Si l'homme prétendait donner la vie à l'homme, il serait conduit, par l'analogie, à dire que le végétal la donne au végétal, ce qui ne saurait être admis. De ce principe, que Dieu est la Vie unique, découle ce beau dogme de la fraternité humaine, fraternité qui existe dans toute sa réalité, dans le monde spirituel, entre tous ceux qui ont bien vécu dans le monde naturel ; fraternité qui doit aussi régner sur cette terre, mais seulement lorsque l'homme se sera librement replacé dans l'ordre. II. L'Univers est une émanation de Dieu. Ainsi, ce serait plutôt une formation qu'une création, si par créer on entend tirer du néant; car il est impossible que de rien on puisse faire quelque chose : de nihilo nihil. Cependant l'Univers n'est pas Dieu ; car Dieu est hors du temps et de l'espace, quoiqu'agissant dans le temps et dans l'espace. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans des détails sur la formation de l'univers : Swedenborg a donné sur cette matière importante un traité complet. Nous en présenterons plus tard l'analyse. L'univers se compose de deux mondes, l'un spirituel, l'autre naturel. Le spirituel est le véritable monde, le monde des causes; le naturel, dans lequel nous ne faisons que séjourner, est le monde des effets, et se compose de notre terre matérielle et de tous les globes terrestres qui gravitent autour de so-

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PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR I/UNIVERS.

leils innombrables. Ces deux mondes forment un tout qui cesserait d'exister, si l'une de ses deux parties était anéantie. Ainsi notre monde naturel est aussi indispensable au monde spirituel, que celui-ci est indispensable au nôtre; car, de même qu'il n'y a pas d'effet sans cause, de même aussi une cause qui ne se manifesterait pas par un effet, resterait privée de ce qui constitue l'existence réelle. Tout ce qui existe dans le monde des causes ou monde spirituel, reçoit donc une manifestation dans notre monde par un effet qui nous devient sensible. Ainsi disparaissent sur la fin de notre monde ces appréhensions qui produisirent dans le moyen âge de si grandes perturbations, et qui troublent encore quelques esprits faibles. Ainsi tombe la croyance à la reprise de nos corps matériels, lors de la consommation des siècles qu'une théologie erronée a prise pour la fin du monde matériel. Tout ce qui est naturel reçoit sa forme d'un spirituel correspondant ; car la matière n'a pas de forme par elle-même, c'est la vie seule qui lui donne celle qu'elle a. En effet, lorsque la vie se retire, la matière perd insensiblement la forme qu'elle avait, et reçoit de cette vie unique et toujours agissante des formes nouvelles. C'est ainsi que tout corps matériel, privé du principe qui l'animait, ne se détruit que quant à la forme, et ne continue pas moins à exister et à subsister matériellement, mais sous de nouvelles formes, soit visibles, soit invisibles pour nos faibles organes.

PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR l/UNIVERS.

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La correspondance entre les deux mondes est générale; c'est-à-dire que toutes les productions qui existent dans le monde naturel, depuis la plus petite jusqu'à la plus grande, représentent des choses spirituelles, et y correspondent. Ainsi le monde naturel n'est qu'une enveloppe du monde spirituel; car le spirituel se revêt du naturel, comme l'homme d'un habit; toutes les choses qui sont dans notre monde sont aussi dans le monde spirituel, qui en renferme en outre une immensité d'autres; mais celles-ci différent toutes de celles que nous voyons ici, en ce qu'elles sont d'une origine spirituelle. Là, toutes les affections et toutes les pensées sont des êtres et des objets distincts ayant substance et forme, et leur variété est aussi multipliée que celle des affections et des pensées qui les produisent. Si le funeste préjugé qui n'accorde la substance qu'aux corps matériels était détruit, il deviendrait facile de comprendre tous les phénomènes de l'ordre spirituel. La théorie des substances et des formes sera développée dans le cours de cette Revue. III. L'Homme est le lien de communication entre les deux mondes; il tient par son esprit au monde spirituel, et par son corps au monde naturel; car de même que Dieu soutient le matériel de l'homme par la chaleur et la lumière du soleil naturel, de même il vivifie l'immatériel de l'homme par son soleil spirituel, dont la chaleur est amour et la lumière sa-

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PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME.

gesse ou intelligence. Le monde spirituel a existé et subsiste par le moyen de ce soleil qui est le premier procédant de Dieu, de même que notre système planétaire a existé et subsiste par notre soleil qui est le représentant matériel du premier. La chaleur et la lumière du soleil spirituel influent dans l'homme : la chaleur, dans sa volonté pour y produire le bien ; la lumière, dans son entendement pour y produire le vrai. Il y a ainsi dans l'homme deux réceptacles de la vie, la volonté et l'entendement. Vouloir et penser, voilà l'homme. Puisque l'homme tient par son esprit au monde spirituel, et par son corps au monde matériel, il est double; néanmoins c'est par l'esprit et non par le corps qu'il est véritablement homme; car tout ce qui vit dans l'homme est son esprit, et le corps ne sert à l'esprit que comme l'instrument sert à une force vive motrice. En effet, la volonté et la pensée, qui sont le propre de l'esprit de l'homme et non du corps, donnent au corps et à ses parties la totalité et le détail de l'action tellement à leur gré, que tout y concourt, et que tout ce qui n'y concourt point, n'est plus regardé comme partie du corps et est rejeté comme i n'ayant plus la vie. II y a plus encore, l'esprit est l'homme même, et il existe dans une semblable forme que l'homme; car tout ce qui vit et sent dans l'homme est dans son esprit, et il n'y a rien dans l'homme, depuis la surface de la tête jusqu'à la plante des pieds, qui ne vive et

PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME.

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ne sente. Quand l'esprit se sépare du corps, ce qu'on appelle mourir, l'homme demeure toujours homme et vit; en effet, l'homme ne peut ni penser ni vouloir, s'il n'est un sujet substantiel par qui et dans qui soient le penser et le vouloir; car ce qu'on croit exister sans un sujet substantiel ne peut être que néant. De même que l'homme ne peut voir sans l'organe qui est le sujet de sa vue, ni entendre sans l'organe qui est le sujet de son oui'e; de même la pensée qui est la vue intérieure, et Faperception qui est l'oui'e intérieure, n'existeraient pas, si elles n'étaient dans les substances qui sont les formes organiques ou les sujets. L'esprit de l'homme, quand il est séparé du corps, jouit de tous les sens, comme il en jouissait dans le corps matériel. Le total de la vie de l'œil, le total de la vie de l'oreille, en un mot, le total de la vie de chaque sens, n'est point au corps de l'homme, mais à son esprit, dans tous ses organes, et jusque dans les moindres parties de ses organes. De là l'esprit, après sa séparation du corps, voit, entend et sent dans le monde spirituel, comme lorsqu'il était dans le monde naturel, à la seule différence que ses sens sont plus exquis. Si l'esprit a senti naturellement dans le corps, c'était par le matériel qui lui servait de vêtement; mais dans le monde immatériel il sent spirituellement en pensant et en voulant tout ensemble, et au moyen d'un corps immatériel ayant substance et forme. Si l'esprit, quand il a brisé les liens 3.

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PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR L'HOMME. t

de son corps, n'apparaît pas à l'homme en forme humaine, c'est une conséquence de cette grande loi de l'ordre universel : Le Matériel ne voit que le Matériel, et le Spirituel voit le Spirituel. Ces divers principes sur Dieu, sur l'Univers et sur l'Homme, méritent d'être sérieusement médités. Quelques-uns d'entre eux sont tellement opposés aux idées reçues, qu'on ne peut qu'être étonné en les lisant pour la première fois; tel est, surtout, celui qui donne à l'esprit substance et forme. On a de la peine à se persuader qu'après la mort de l'homme, son esprit soit dans une parfaite forme humaine, et jouisse de tous ses sens; mais pour peu qu'on veuille y réfléchir, on voit bientôt que s'il n'en était ainsi, l'immortalité de l'âme ne serait plus qu'un mot, une illusion, une chimère. C'est parce que cette grande vérité était inconnue, que les spiritualistes eux-mêmes se sont souvent trouvés en proie au doute le plus déchirant.

Avant d'aborder la question importante de la Révélation, sans laquelle il ne saurait y avoir de Christianisme, il était indispensable de poser, comme nous l'avons fait, quelques principes généraux sur Dieu, sur l'Univers et sur l'Homme ; car ces principes, pour la plupart inconnus avant Swedenborg, ouvrent à l'étude de la science divine une nouvelle et large

SUITE DE L'EXPOSITION.

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voie; ils sont loin cependant d'être suffisants pour résoudre une question qui, par son enchaînement avec plusieurs autres dogmes, exige un grand nombre d'explications préliminaires; mais du moment où ces explications auront été données, la solution s'offrira, pour ainsi dire, d'elle-même. Si, au lieu de présenter successivement chaque dogme avec tous les développements qu'il exigerait, nous nous contentons, pour le moment, d'en faire une exposition succincte afin d'arriver plus promptement à la Révélation, c'est parce que nous avons senti combien il était important de commencer par détruire la répugnance qu'on éprouve généralement aujourd'hui pour tout ce qui concerne ce dogme. A quoi bon présenter, chaque mois, quelques fragments d'un traité spécial sur tel ou tel dogme, lorsqu'il est reconnu que la plupart des hommes ne veulent pas entendre parler de choses révélées? Estil un seul dogme qui ne s'appuie sur la Révélation ? Aurait-on pu même acquérir une seule notion dogmatique, si elle n'avait pas été révélée? Il fallait donc montrer avant tout que notre manière d'entendre la Révélation n'était pas celle des autres Communions chrétiennes, et qu'elle était de nature à satisfaire en même temps la raison et l'intelligence de l'homme. Ainsi, au moyen des Vérités données par la nouvelle Révélation, l'on arrivera à comprendre comment la Révélation primitive a pu être faite, et du moment où l'on sera pénétré de la possibilité de la transmis-

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SUITE i!E L'EXPOSITION.

sion de la Parole de Dieu aux hommes, on n'éprouvera plus de répugnance à s'occuper des véritables dogmes du Christianisme.

Sur les Lois de l'ordre. Tout ce qui existe dans l'univers est soumis à un ORDRE établi à l'instant de la création, et DIEU LUIMÊME est cet ORDRE. Dieu a donc introduit par lui-même les lois de son ordre divin, tant dans la création que dans toutes les productions générales et particulières qui en composent l'universalité. C'est ainsi que le monde spirituel a ses lois générales, et le monde naturel les siennes ; que chacun des trois règnes est soumis à des lois particulières qui lui sont propres; que chaque genre, chaque espèce, se trouve différencié par les siennes, et que l'homme est régi par des lois qui le distinguent de la brute. Il résulte de là que les lois de l'ordre sont innombrables, tant celles qui régissent le monde spirituel que celles qui régissent le monde naturel. La science a beau s'enorgueillir de ses progrès; si l'astronomie, la physique, etc., ont fait découvrir une multitude de lois auxquelles le monde matériel est soumis, on ne peut mettre en doute que nous n'en ignorions encore un très-grand nombre, et les savants présents et futurs auront toujours matière à exercer leur sagacité. Quant aux lois du monde spirituel, dont le nombre est encore plus considérable,

SUR LES LOIS DE L'ORDRE.

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elles étaient presque toutes inconnues avant la publication des écrits de Swedenborg; à peine commencet-on maintenant à explorer cette mine précieuse; mais elle est si féconde que l'esprit humain peut être certain d'y trouver toujours un aliment pour satisfaire l'impérieux besoin d'augmenter ses connaissances. Dieu ne peut agir contrairement aux lois de son Ordre; car par là il agirait contre Lui-Même, contre sa Justice et même contre sa Toute-Puissance. Quelque surprenante que puisse d'abord paraître la fin de cette proposition, on verra, pour peu qu'on veuille réfléchir, que toute autre manière d'entendre la Toute-Puissance Divine serait opposée à la haute idée que le XIX0 siècle doit se faire de la Divinité. On n'a que trop longtemps donné à Dieu des passions humaines; le moment de revenir aux véritables principes est arrivé. La Toute-Puissance de Dieu ne saurait ressembler à la puissance humaine qui ne consiste souvent qu'à faire ce qui plaît. Si toutes les lois de l'Ordre Divin n'étaient pas invariables; si Dieu ne s'y était pas Lui-Même astreint; si, à l'exemple des puissants de la terre, il pouvait les enfreindre, il ne serait pas la Sagesse Même. Revenir sur ce qui a été fait, c'est sans aucun doute de la sagesse humaine, mais ce ne saurait être de la Sagesse Divine. L'homme, être fini, sujet à l'erreur, peut et doit retoucher à l'ouvrage qu'il fait, pour le perfectionner : si Dieu, l'Être Infini, l'Intelligence Même, retouchait au sien, ce serait une marque certaine

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SUK LES LOIS DE l'ORDRE.

qu'il n'aurait pas tout prévu; or Dieu, qui est la Prescience Même, a dû tout prévoir. Dieu ne pourrait donc pas enfreindre une seule des lois de son Ordre sans fournir un argument contre sa Sagesse Infinie. Il résulte nécessairement de là que tout a été prévu dès la création, et que Iss lois de l'Ordre Divin ont toujours été, sont, et seront toujours invariables. Ce n'est pas à dire pour cela que toutes ces lois aient toujours été en activité; beaucoup d'entre elles n'ont dû être en action qu'à mesure que les choses pour lesquelles elles avaient été établies se sont manifestées, et beaucoup d'autres n'auront d'action que lorsque d'autres germes se manifesteront; mais elles n'en ont pas moins existé toutes dès le commencement. Lorsque l'homme comprend ainsi la Toute-Puissance de Dieu, un nouvel horizon spirituel se développe tout à coup à ses regards. La Divinité lui apparaît avec une grandeur, une majesté et une sagesse qui produisent en lui l'admiration et l'amour. Ce n'est plus ce Dieu trop souvent représenté comme un roi trônant et dispensant ses bienfaits à son gré, ou comme un maître jaloux de ses droits, ou comme un père établissant des distinctions entre ses enfants; mais c'est l'Ordre Même, c'est la Justice Même, c'est, en un mot, l'Essence de l'Amour se manifestant par une Sagesse infinie. Dogmes désolants et pernicieux de la Prédestination et de la Foi seule, disparaissez! plus de Prédestinés, plus d'Élus. Le Dieu qui nous a tous créés,

SUR LES LOIS DE L'ORDRE.

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nous aime tous sans distinction ; et de même que son soleil matériel nous échauffe et nous éclaire tous sans faire acception de personne, de même son Soleil Spirituel distribue à tons l'Amour et la Sagesse; mais l'homme, trop souvent semblable à un vase impur qui vicie ee qu'il reçoit, change cet amour en haine et cette sagesse en folie. Disparaissez aussi, Superstitions grossières dues à la fausse idée de la Toute-Puissance Divine! votre règne est désormais fini. Disparaissez aussi, Idoles de tous rangs! Semblables à ces nombreux agents d'un monarque inabordable, vous receviez les intercessions des mortels, comme eux reçoivent les suppliques des sujets; on s'adressait de préférence à vous, comme on s'adresse à la tourbe des courtisans pour obtenir quelques faveur du prince. Disparaissez donc à jamais, erreurs si déplorables ! car c'est en assimilant la Puissance Divine à celle d'un roi de la terre; c'est en reportant toute l'attention des peuples sur des êtres qui, quelque soit leur sort dans l'autre vie, ne sont que des créatures, qu'on a fait négliger le vrai Dieu, et donné naissance aux plus funestes idolâtries. Sur la véritable acception du mot Miracle. C'est parce que l'homme n'avait aucune connaissance de l'Ordre Divin et de ses lois, qu'il a donné au mot miracle une acception tellement erro-

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SUR LES MIRACLES.

née, qu'une raison éclairée rejette tous les faits qui lui sont présentés comme miraculeux. Si par miracle on entend un fait contraire aux lois de l'ordre, il njy en a jamais eu, et il n'y en aura jamais, Dieu s'étant astreint Lui-Même aux lois de son Ordre. Mais si par miracle on entend seulement un fait que l'homme ne puisse pas expliquer d'après ses connaissances acquises, ou qu'il juge opposé à de certains principes que de son autorité privée il a déclarés lois naturelles, nous disons qu'il y en a eu. Dans ce dernier sens un acte peut être un miracle pour un siècle, et ne pas l'être pour un autre. Ainsi, aujourd'hui, l'on peut facilement se rendre compte de plusieurs événements, que les théologiens ordinaires rangent dans la classe des miracles, parce que Swedenborg nous dévoile un grand nombre de lois spirituelles ignorées jusqu'à nos jours. Il en est de même des lois de l'ordre naturel : par suite du progrès des sciences physiques et astronomiques, beaucoup de faits nous paraissent naturels, qui certes auraient paru miraculeux aux peuples du moyen âge. Si, malgré les pas rapides de la science, un nombre prodigieux de lois de l'ordre naturel nous sont encore inconnues, à combien plus forte raison devons-nous être dans l'ignorance sur les lois de l'ordre spirituel, puisque, comme nous l'avons déjà dit, nous ne faisons que commencer nos investigations dans cet ordre. Du reste, jamais l'homme ne pourra découvrir toutes les lois de l'ordre, Dieu seul les connaît; mais l'homme est seu-

SUR LES MIRACLES.

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lement appelé, tant dans ce monde que dans l'autre, à augmenter ses connaissances, sans néanmoins arriver jamais jusqu'à pouvoir pénétrer l'infini. Nous devons donc entendre par miracles des faits conformes aux lois de l'Ordre Divin, mais tels cependant que les contemporains soient dans l'impossibilité de les expliquer d'après la somme de leurs connaissances.

Sur le Libre Arbitre. Une des lois principales de l'Ordre Divin, c'est que le libre arbitre de l'homme ne puisse jamais être contraint. Dieu, par son continuel effort dans l'homme, touche son libre arbitre sans jamais néanmoins le violenter; car s'il le violentait, la demeure de l'homme dans Dieu périrait ; il ne resterait plus que la demeure de Dieu dans l'homme, et cette demeure est celle qui lui est commune avec toutes les productions et tous les êtres qui composent l'univers, et de laquelle ils tirent tous leur existence. Dieu, l'Être Infini, Éternel, quoique hors du monde naturel et du monde spirituel, ou hors de l'univers, est cependant dans cet univers, puisque l'univers est une émanation de Lui; mais l'univers n'est pas dans Dieu. De toutes les créatures, l'homme seul est appelé à faire réciproquement sa demeure en Dieu, et pour cela il doit vivre selon les lois de l'Ordre Divin ; c'est alors seulement qu'il a pour nourriture le fruit de l'arbre de

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SUR LE LIBRE ARBITRE.

vie. Dieu, par l'intermédiaire de son Soleil Spirituel, répand continuellement son Amour et sa Sagesse chez tous les humains ; mais cet amour et cette sagesse, en pénétrant chez les hommes, deviennent tels qu'est le récipient de chacun d'eux. C'est donc à l'homme de disposer convenablement son récipient; il est libre. Cette loi est une conséquence du but même que Dieu s'est proposé en formant l'homme. Si l'homme n'était pas libre, on chercherait en vain le but de Dieu dans la création. Or, Dieu a dû avoir un but, puisque l'homme lui-même en a un dans les moindres choses qu'il fait. Quel a donc été le but de Dieu? Cette question exige par son importance quelques développements. L'essence de Dieu est l'Amour se manifestant par la Sagesse. Le propre de l'amour est d'aimer hors de soi et de se répandre au loin pour faire des heureux. Or, en examinant la grande échelle des êtres qui composent notre monde, qu'y trouve-t-on qui paraisse digne de cet amour? Tous les êtres, à la vérité, sont à leur place, et remplissent des usages; mais les trois règnes ne sont-ils pas à la disposition de l'homme?— L'homme, cet être souvent si abject, serait-il réellement le but unique de la création? Pourquoi alors est-il si imparfait? — Malgré la force de cette objection, on peut répondre : Oui, l'homme est le but unique de la création, tout a été créé pour lui; mais il n'est plus ce qu'il était; et, d'après les lois de

SUR LE LIBRE ARBITRE.

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l'Ordre, Dieu ne pouvait le maintenir tel qu'il avait été créé. En effet, si le propre de l'amour est d'aimer hors de soi, la jouissance que l'amour éprouve ne peut être parfaite qu'autant qu'il y a retour, et que ce retour est le résultat de la liberté la plus complète. Quel est donc l'homme qui se croirait encore heureux, s'il venait à découvrir que l'objet de ses aifections ne l'aime que par contrainte, ou par un motif quelconque d'intérêt? Du moment où il ferait une telle découverte, tout le charme de l'amour ne serait-il pas détruit? Ainsi Dieu, qui est l'Amour Même, en créant l'univers en vue de l'homme, afin d'aimer hors de soi et d'être aimé, a dû nécessairement donner à sa créature chérie la liberté la plus entière. Si cette liberté, qui peut seule constituer la vraie réciprocité d'amour, n'avait été donnée à l'homme, on n'apercevrait plus le but de la création de l'univers; et si, ce qui est impossible, cette liberté lui était enlevée, il cesserait par cela seul d'être homme, et ne serait plus alors qu'un automate indigne de l'amour de Dieu. Il est important d'insister sur ce point, parce que la liberté est la base de la vraie religion, et que par elle on peut résoudre les questions théologiques les plus ardues. Mais en disant que le but de la création est l'homme, il faut entendre par là l'homme-Esprit, destiné à peupler l'immensité du monde spirituel. Ainsi d'un côté, je vois un seul Dieu qui nous convie tous à nous conjoindre à lui, en l'imitant, c'est-

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SUR LE LIBRE ARBITRE.

à-dire, en répandant sur nos frères, au lieu de le concentrer en nous, cet amour inépuisable qui nous vient de lui, et dont l'activité ne peut croître qu'eu raison de son effusion ; de l'autre, je vois tous les humains libres de se procurer les plus grandes jouissances, même en ce monde, en donnant chaque jour à ce feu céleste de nouveaux aliments, ou de se priver des seuls plaisirs vrais, en le concentrant en eux et en l'étouffant sous les cendres de l'égoïsme, libres en un mot de faire eux-mêmes leur bonheur ou leur malheur. En outre, de ce qui précède il résulte que le but de la Divinité, en créant l'univers, a été de peupler le monde spirituel de créatures capables de le comprendre et de l'aimer, comme il doit être compris et aimé, c'est-à-dire, librement et sans la plus légère contrainte. Ainsi les terres matérielles sont des pépinières pour peupler autant de terres immatérielles.

Sur la Chute. L'homme n'est homme que par sa volonté et par son entendement. Sa volonté, d'où viennent ses affections, est le réceptacle de la chaleur spirituelle ou amour divin; son entendement, d'où résultent ses pensées, est le réceptacle de la lumière spirituelle ou sagesse divine. Ainsi, l'homme créé à l'image, et selon la ressemblance de Dieu est, comme son Créateur, amour et sagesse; mais avec cette différence que

SUR LA CHUTE.

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Dieu est en soi l'Amour Même et la Sagesse Même, tandis que l'homme n'est qu'un simple récipient de l'amour et de la sagesse qui procèdent de Dieu. — Mais pourquoi l'homme, depuis les plus anciens temps historiques jusqu'à cette époque, a-t-il toujours présenté un aspect si peu conforme à son Divin Modèle? — C'est qu'il est déchu. Dans le principe, les deux facultés constitutives de l'homme, la volonté et l'entendement, étaient unies, c'est-à-dire, dans l'accord le plus parfait, et ce n'est que par une telle union que l'homme est selon l'ordre, et qu'il peut comprendre et aimer Dieu comme Dieu veut être compris et aimé. Or, pour être digne de son Auteur, l'homme avait, comme nous l'avons dit, reçu la liberté; aussi longtemps qu'il fit un bon usage de ce don précieux, il vécut heureux sur cette terre. Alors ses affections étaient approuvées par son entendement, et ses pensées étaient acceptées par sa volonté; car il puisait ses affections dans le bien et ses pensées dans le vrai. Mais, par suite de son libre arbitre, l'homme, au lieu de continuer à diriger ses pensées vers Dieu ou le bien général, les reporta peu à peu sur lui-même. Simple récipient de la vie, il crut l'avoir en soi. Alors son entendement se trouvant domine par sa volonté, il n'y eut plus d'accord entre ces deux facultés; il cessa par là d'être dans l'ordre, et sa constitution originelle fut altérée, il conserva, il est vrai, un récipient pour l'amour dans sa volonté, h.

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SUR LA C H U T E .

mais il n'en eut plus pour la sagesse dans son entendement; car sa volonté, tout en recevant la vie émanée de Dieu, refusc.it les conseils de la sagesse ou vraie intelligence qui auraient, pu régler les opéralions d'un amour aveugle. Dès lors la lumière de l'esprit ne lui servit plus qu'à s'approprier les biens d'en-haut pour les concentrer sur lui seul. La chute fut donc la substitution de l'amour de soi à l'amour de Dieu ou du bien général. Aussi l'homme est-il aujourd'hui bien différent de ce qu'il était primitivement. Il avait été créé bon, et depuis la chute il naît mauvais, c'est-à-dire, avec une propension à l'égoïsrne ; c'est ce qu'on appelle le mat héréditaire. Les vices de l'organisation sociale viennent ensuite donner de nouveaux aliments à cette funeste passion, qu'il faudrait s'empresser de combattre dès le jeune âge. Dieu étant la Toute-Science, la Toute-Prévoyance, savait que l'homme qu'il avait créé bon devait déchoir ; et, néanmoins, il ne pouvait empêcher sa chute; car s'il l'eût prévenue par un moyen quelconque, il aurait par cela même mis des entraves à la liberté pleine et entière dont il l'avait doué, et sans laquelle, nous le répétons, l'homme ne serait plus qu'un automate indigne de l'aaiour divin. Mais Dieu savait aussi que cette même chute serait, pour sa créature, un moyen d'arriver plus tard au plus haut degré possible de perfection. En conséquence il avait, par les lois immuables de son ordre, pourvu d'avance aux

SUR LA CHUTE.

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moyens de relever l'homme, sans toutefois contraindre sa liberté. Les temps de calamité vont enfin s'éloigner de nous, pour faire place à des jours plus heureux. Si l'homme a perdu l'âge d'or, il est destiné à le reconquérir. Dès maintenant il peut marcher à grands pas vers cet Éden qu'il avait perdu et qu'il doit retrouver. Déjà l'Étoile brillante du matin s'est montrée à l'horizon, et s'il n'est encore que peu de passagers qui l'aient saluée, bientôt tout l'équipage, fixant ses regards sur elle, reconnaîtra que le navire ne peut être sauvé qu'en se dirigeant à l'éclat de sa lumière. Alors chacun se mettra à l'œuvre, chacun cherchera à rétablir l'union entre sa volonté et son entendement, c'est-à-dire, à replacer dans son être l'amour du bien général au-dessus de l'amour de soi. Si l'on était bien convaincu de cette vérité, que l'homme n'est tombé dans son état actuel de misère, que pour avoir mis l'amour de soi au-dessus de l'amour de Dieu ou du bien général, et que le but unique de la vraie religion est de le rétablir dans l'ordre, en lui faisant replacer l'amour du bien général au-dessus de l'amour de soi, combien de cœurs généreux, que le seul mot de religion effarouche, s'empresseraient de venir puiser dans les doctrines de la Nouvelle Jérusalem les eaux vivifiantes qu'ils demandent en vain à la science.

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Sur te Soleil spirituel. Dieu, par son Soleil spirituel, vivifie l'esprit de l'homme de la même manière qu'il vivifie son corps par le soleil naturel, qui est le représentant matériel du premier. Ce Soleil spirituel n'est pas Dieu; c'est seulement la première substance et la première forme qui procèdent de Dieu ou Jéhovah, c'est-à-dire, de l'Être Unique qui existe par Soi. Ce Soleil est, pour le monde immatériel, ce que notre soleil est pour le nôtre. Jéhovah est au centre du Soleil spirituel, et c'est par lui qu'il gouverne l'univers, tant le monde spirituel que le monde naturel; car le monde spirituel influe à chaque instant sur le inonde naturel, et la vie pour arriver de Dieu à nous le traverse, de sorte que nous la recevons par son intermédiaire. De même que notre soleil est inaccessible à l'homme, de même le Soleil spirituel est inaccessible à l'homme devenu Esprit ; ainsi Jéhovah n'a jamais été vu, et ne sera jamais vu face à face par aucune de ses créatures. Nul ne saurait voir Dieu et vivre; car voir Dieu face à face, ce serait le comprendre; or, pour comprendre Dieu, il faudrait être Dieu; jamais le fini ne comprendra l'infini. L'homme devenu Esprit pourra augmenter indéfiniment ses jouissances par l'aliment divin qui est l'Amour, et perfectionner son intelligence par la boisson divine qui est la Sagesse ; mais il ne pourra jamais être l'Amour Même et la

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Sagesse Même, parce qu'alors il serait Dieu. Jéhovah se voile donc, pour ainsi dire, afin de pouvoir se communiquer à ses créatures les plus parfaites. Son Soleil spirituel est aussi éloigné des Esprits que noire soleil est éloigné de nous ; et de même que nous ne pourrions supporter la chaleur et la lumière de notre soleil, si elles n'étaient modifiées par les atmosphères matérielles qui nous en séparent; de même les hommes-esprits ne pourraient supporter l'ardeur de l'Amour et l'éclat de la Sagesse qui effluent du Soleil spirituel, si leur force n'était atténuée par des atmosphères spirituelles dans lesquelles ils vivent, comme nous vivons au milieu de la nôtre. A combien plus forte raison ne pourrions-nous pas les supporter, nous qui sommes ici dans un état si éloigné de la pureté des bons esprits, nous qui sommes dégradés par la chute.

Sur l'origine du mal. Mais la chute n'a pas pu être instantanée, l'homme, de bon qu'il était, n'est pas devenu tout à coup mauvais. Rien dans l'univers, tant immatériel que matériel, ne se fait sans transition progressive. Tant que l'homme resta dans le bien et dans le vrai, le mal et le faux n'existaient pas; car ils ne peuvent venir de Dieu qui est la bonté même; mais du moment que l'homme commença, par suite de son libre arbitre, à s'écarter du bien et du vrai, le mal et le faux comA*.

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mencèrent aussi à apparaître (1), et ils s'accrurent en suite dans tout l'univers, en raison de la dépravation successive de l'homme. Ainsi le monde immatériel, au lieu de ne renfermer que le bien et le vrai, reçut aussi leurs opposés, le mal et le faux. De là sa division en deux parties distinctes et opposées entre elles : l'une où résident le bien et le vrai, le ciel; l'autre où résident le mal et le faux, l'enfer. Et comme dans le monde spirituel les affections et les pensées sont véritablement des substances et des formes, les affections des substances, et les pensées des formes, il en résulte que tous les objets qui environnent l'hommeesprit lui offrent un aspect agréable ou hideux, et lui procurent des jouissances ou des peines, selon que ses pensées sont vraies ou fausses, et ses affections bonnes ou mauvaises. Le progrès de la dégradation humaine peut maintenant s'expliquer. En effet, c'est l'homme qui peuple le monde spirituel, et c'est le monde spirituel qui transmet à l'homme la vie qui vient de Dieu. Tant que l'homme ne se détourna pas du bien et du vrai, les deux principes de sa vie, volonté et entendement, lui arrivaient purs du monde spirituel où i!s n'avaient pu être viciés; mais comme l'homme après la (1) « De tous les êtres de la nature, l'homme est le seul qui soit doué u'un principe rationnel. Puisque le mal ne vient pas de Dieu, il ne peut provenir que du seul être qui soit doué de liberté et de rationalité. La matière n'ayant aucune volonté, puisqu'elle est matière, le mal ne peut ni être attribué. » (En. RICHER.)

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mort est tel que sa vie a été clans le monde naturel, et qu'il ne peut plus changer son amour dominant, le mal fut, par suite de sa chute, introduit dans le monde spirituel, et avec lui le faux, parce que la volonté devenue mauvaise avait subjugué l'entendement. Dès lors l'influence du monde spirituel sur le nôtre fut modifiée; elle cessa d'être entièrement pure; ce fut un mélange de bien et de mal, de vrai et de faux. L'homme, il est vrai, était libre de choisir, il pouvait s'attacher au bien et au vrai, et rejeter le mal et le faux; mais chaque génération fournissant un contingent d'hommes moins bons, et par suite de la modification de l'influx, et par suite de la loi générale de la transmission des germes, la génération qui la suivait recevait, par cela même, une influence encore moins pure, et avait par conséquent moins de propension pour le bien. La pureté de l'influesce diminua ainsi de génération en génération, et la décroissance fut telle que par la suite l'influence du mal et du faux l'emporta sur celle du bien et du vrai; et enfin il arriva un temps où la surabondance des maux et des faussetés vint inonder l'humanité tout entière au point qu'elle la mit en péril de succomber. Tel fut l'état de la société nommée Adam, à l'époque désignée dans la Bible sous le nom de déluge. Mais Dieu qui, par les lois de son ordre, ne peut en aucune manière contraindre la liberlé spirituelle de l'homme, trouve dans ces mêmes lois des moyens de

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venir au secours de la race humaine ; car tout a dû être et a clé prévu par Lui. Lors donc que les choses en sont arrivées à ce point, il influe avec plus de force pour réchauffer dans le cœur des moins mauvais le peu de bien qui s'y trouve, et il manifeste sa puissance par des actes en tout conformes aux lois de son ordre, pour ranimer la vraie intelligence chez ceux qui ne l'ont point entièrement éteinte sous les faussetés résultant du sensuel; mais tout en agissant ainsi, il se garde bien de contraindre la liberté de l'homme, il la laisse intacte; et c'est pour cela que les diverses manifestations qu'il a effectuées, ont toutes eu lieu sans que les contemporains s'en soient pour ainsi dire aperçu. Nous ne donnerons pas pour preuve celle dont il vient d'être parlé, il n'existe pas de monuments historiques sur cette époque reculée; mais nous citerons la manifestation au moyen de laquelle le Christianisme fut fondé. Lorsqu'on voyait, au commencement de notre ère, la société en pleine dissolution, les philosophes et les publicités de l'Empire Romain ne se doutaient guère que, par suite d'une manifestation divine, une nouvelle société différente de génie et de mœurs, prenait racine dans un coin obscur de l'Asie. Et la manifestation qui s'est faite vers le milieu du siècle dernier, s'en est-on aperçu? s'en aperçoit-on même aujourd'hui? Nos philosophes et nos publicités sont comme ceux de l'Empire Romain : ils voient bien que la société est en dissolution, mais ils ne savent pas que les bases d'une non-

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velle société, différente aussi de génie et de mœurs, sont déjà posées. Ainsi, tous ces grands événements, ne contraignant en rien le libre arbitre de l'homme, sont dans l'ordre; tandis que si Dieu se manifestait de manière à convaincre tous les esprits et à toucher tous les coeurs, ce serait agir contre l'ordre; car par là il forcerait l'homme à le reconnaître et à l'aimer. Or, serait-ce là le véritable amour? Nous l'avons dit, et nous le répétons : Là où il y a contrainte, il ne peut y avoir amour. Parvenu à l'état de dégradation dont nous venons de parler, l'homme ne pourrait être ramené au bien et au vrai, et le genre humain finirait même par disparaître de la surface de la terre, si Dieu ne venait à son secours par des moyens qu'il tient en réserve, et dont il n'use que lorsque l'équilibre est sur le point de se rompre. Car, à ces époques de péril pour l'humanité, tout se trouve renversé chez l'homme; il appelle bien ce qui flatte son égoïsme, et mal ce qui le contrarie; et par suite de ce renversement, les vérités opposées à l'amour de soi sont pour lui des faussetés, et il nomme vérités toutes les faussetés qui favorisent cet amour. Alors tous les îiens sociaux précédemment relâchés finissent par se rompre; car chaque .homme ne voit plus dans ses frères que des rivaux, que des ennemis; et s'il le pouvait, il les exterminerait tous, dût-il ne régner que sur des ruines. Caligula aurait voulu que le peuple Romain n'eût qu'une seule tête, pour le détruire d'un seul coup.

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Sur les Extatiques. Nous avons dit précédemment que l'esprit de l'homme est l'homme même; qu'il est substance et forme; que cette forme est la forme humaine même ; qu'en conséquence il jouit des cinq sens, et que lorsque par la mort il est débarrassé du corps matériel, ces sens n'étant plus enveloppés par la matière ont beaucoup plus d'activité. Ainsi, tant que l'homme existe sur celte terre, c'est son esprit seulement qui éprouve des sensations; mais ces sensations sont naturelles, parce qu'il les éprouve par le corps matériel qui lui sert d'enveloppe, tandis que lorsqu'il a rejeté cette enveloppe, ces sensations sont spirituelles. De là cette loi de l'ordre universel déjà citée : Le matériel ne voit gué le matériel, et le spirituel voit le spirituel. Ce n'est pas à dire pour cela que le matériel puisse voir, entendre,en un mot, sentir; car la matière est par elle-même incapable de voir, d'entendre, de sentir; mais comme c'est par cette matière que l'esprit de l'homme éprouve sur notre terre des sensations, ces sensations sont alors purement naturelles; de sorte que l'esprit ne peut voir, à travers le sens naturel de la vue, que des objets matériels; entendre, à travers le sens naturel de l'ouïe, que des sons matériels; palper, à travers le sens naturel du toucher, que des corps matériels. Mais si les fonctions des sens naturels, qui ne sont

SUR LES EXTATIQUES.

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que les enveloppes des véritables sens, c'est-à-dire, des sens spirituels, sont par une cause quelconque momentanément suspendues, alors les sens spirituels ont chez l'homme, quoiqu'encore sur terre, l'activité qu'ils auraient si cet homme, par la mort naturelle, était devenu homme-esprit, parce qu'ils sont pour ainsi dire dégagés de la matière. Dans ce cas, l'homme plonge dans l'immatériel; et ce n'est pas là une exception à la règle posée ci-dessus; car, quoique l'homme dans cet état extraordinaire ait toujours son corps matériel, ce n'est pas ce corps matériel, mais bien son spirituel qui voit le spirituel. Ainsi les faits si souvent constatés d'extase, de somnambulisme, etc., loin d'être contraires aux lois de l'ordre, peuvent être expliqués par elles de la manière la plus satisfaisante. En citant ici les extatiques, nous sommes très-éloignés de prétendre qu'ils aient tous été des instruments de la Divinité; mais nous voulons seulement dire que tous, sans exception, se trouvent, pendant l'état d'extase, en communication avec le monde immatériel, y percevant le vrai ou le faux, ou même le vrai mélangé de faux, suivant les sociétés avec lesquelles ils sont alors en contact. Sur la Révélation ou Transmission de la Parole Divine aux hommes. Ce n'est qu'en se conformant aux lois de son ordre que Dieu ramène insensiblement à Lui le genre

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SUR LA RÉVÉLATION.

humain perverti et dénaturé. Jéhovah, du milieu de son Soleil spirituel, ne pourrait, par l'influx de son amour et de sa sagesse, changer dans l'homme le mal en bien, le faux en vrai ; car il en est de la chaleur et de la lumière spirituelles, comme de la chaleur et de la lumière naturelles; au moment où elles s'introduisent dans les différents êtres, elles deviennent telles que sont les récipients. Mais au moyen de la faculté extatique qui de tout temps a existé chez certains hommes, par suite d'une organisation particulière et indépendante de leur qualité morale, Jéhovah pouvait transmettre au monde des préceptes capables de le ramener peu à peu au vrai, et par suite au bien. C'est ce qu'il a fait à diverses époques. Abraham et les autres patriarches, Moi'se et tous les prophètes, étaient des extatiques. Ils disent tous s'être entretenus avec Jéhovah, mais aucun d'eux n'a vu réellement Jéhovah. Nul, avons-nous déjà dit, ne peut voir Dieu et vivre. Le premier procédant de Dieu, le Soleil spirituel, ne pourrait pas plus s'approcher des terres spirituelles où résident les esprits, sans détruire le monde spirituel, que son correspondant matériel, notre soleil, ne pourrait s'approcher des planètes sans détruire tous ceux qui les habitent; à plus forte raison Jéhovah ne peut-il être vu par aucune de ses créatures, soit naturelles, soit spirituelles. Nul être fini ne pouvant voir I'ÉTRE INFINI, voici le moyen que la Divinité employait, avant son pré-

SUR LA RÉVÉLATION.

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mier Avènement sur terre, lorsqu'elle jugeait nécessaire de transmettre sa Parole aux hommes. Comme l'extatique communique, au moment de son extase, avec le monde spirituel, et qu'il peut voir, entendre, toucher l'homme-esprit, de la même manière qu'il verrait, entendrait, toucherait, dans son état ordinaire, l'un de ses frères; Jéhovah pénètre un des hommes-esprits de son Amour Divin et de sa Sagesse Divine, jusqu'au point de le convaincre qu'il est Jéhovah Lui-Même, et alors il le met en rapport avec l'extatique : c'est ainsi qu'il en a agi avec Moi'se. Tant que l'homme-esprit est l'instrument de Jéhovah, il se croit Jéhovah, et parle comme s'il l'était. Mais comme la sagesse doit être mise à la portée des hommes pour qu'ils puissent la saisir, les paroles de Jéhovah, quoique étant la vérité même, sont toujours dans leur sens naturel conformes à l'état présent de la société, et appropriés à ses mœurs. Voilà pourquoi la Parole de l'Ancien Testament, prise à la lettre, nous paraît, dans beaucoup de passages, si peu conforme à l'idée que nous pourrions nous former d'un langage divin; mais ce sens naturel renferme, sous son écorce grossière, un sens interne qui n'est autre que la Divine Vérité elle-même. Ce sens interne est resté inconnu tant que la société humaine n'a pas été en état de le pouvoir comprendre; mais, dans ces derniers temps, les sciences ayant agrandi le champ des connaissances humaines, au point de permettre à l'homme de saisir les vérités 5.

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divines dans toute leur portée, et les temps d'ailleurs étant accomplis, Dieu a levé le sceau qu'il avait posé sur sa Parole, en dévoilant son sens interne <î l'extatique Swedenborg, qui se présente lui-même dans ses écrits comme serviteur du Seigneur JésusChrist. C'est dans ce sens.interne que l'homme, dégagé de préventions, peut aujourd'hui aller, sans crainte, puiser toutes les vérités; car elles sont maintenant exprimées clairement, et ne sont plus sujettes à interprétation. Telle est notre manière d'envisager la Révélation. Ainsi expliquée, elle ne répugnera plus à l'intelligence de ceux qui voudront méditer les nombreuses et belles théories renfermées dans les ouvrages de Swedenborg.

RÉPONSE A L'ÉCHO DU VATICAN ^

L'article de l'Echo du Vatican sur les doctrines de la Nouvelle Jérusalem est intitulé : D'UNE NOUVELLE HÉRÉSIE. Ce titre indique seul que la manière de procéder des Catholiques-Romains envers leurs adversaires est toujours la même. Ne tenant aucun compte de la marche progressive des idées, ils se croient seuls juges compétents pour décider où est l'hérésie, et ils agissent encore, du moins en paroles, comme si l'Europe était toujours courbée sous le joug du célèbre Hildebrand. Il serait difficile de déterminer la nature de cet écrit. L'auteur n'a pas osé entrer dans une discussion sérieuse; et lorsqu'il s'agissait d'examiner avec gravité une doctrine qui ne date pas d'aujourd'hui, et qui est respectée dans tous les autres États par les diverses Communions chrétiennes, il s'est jeté dans des personnalités outrageantes et dans des divagations de tout genre, prodiguant à chaque instant 11) Voir à la fin du Volume les notes additionnelles.

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les expressions les plus injurieuses et du plus mauvais goût. Nous étions loin de nous attendre h trouver dans un écrit religieux de notre époque des locutions de ce genre : Les jongleurs en philosophie du X VIIIe siècle, la prostituée des masses, l'athéisme en guenilles, le vagabondage du schisme, le dernier va-toul de l'erreur, le dernier hourra de la philosophie, etc., etc. Nous aurions cru que les rédacteurs d'une publication faite en quelque sorte sous les glorieux auspices du Pape, et destinée à propager /'ESPRIT DE ROME en France (1), se seraient assez respectés eux-mêmes pour refuser d'accueillir une semblable production; mais puisqu'ils l'ont insérée dans leur journal, ils en ont assumé sur eux la responsabilité morale. S'il fut une époque où le Vatican n'avait pas besoin de chercher des arguments pour combattre ses adversaires, s'il lui suffisait alors de lancer ses foudres pour terrasser quiconque osait n'être pas en tout point de son avis, il n'en est plus de même aujourd'hui; et puisque l'avantage de la lutte ne peut rester en définitive qu'à ceux qui auront présenté les meilleures raisons, le VATICAN aurait au moins dû choisir des défenseurs capables de traiter une question si importante avec la décence et la dignité qui (1) Ce sont les termes qu'emploient les Rédacteurs de Y Echo du Vatican.

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conviennent à de semblables matières. En effet, si nous suivions l'exemple que nous donnent nos adversaires; si nous nous lancions comme eux dans les personnalités; si nous allions puiser dans des libelles, et faire sur leurs chefs les suppositions qu'ils ont gratuitement faites sur un homme qui a joui pendant toute sa vie de la considération générale et de l'estime publique, dans quelle position se trouverait le VATICAN? Nous en aurions cependant le droit; mais nous ne voulons pas user de représailles, notre cause est trop belle pour que nous ayons recours à de tels moyens; c'est lorsqu'on a tort qu'on emploie l'injure. D'ailleurs, notre doctrine qui est toute de charité nous défendrait d'agir ainsi ; elle nous commande de combattre les erreurs; mais quant à ceux qui sont plongés dans ces erreurs, elle nous dit de les plaindre, de chercher à les éclairer, mais non de les aigrir en les chargeant d'invectives. Aussi nous garderons-nous bien de sortir de la question. De quoi s'agit-il donc réellement? — De savoir qui de vous ou de nous possède la vérité spirituelle. Or, il n'y a qu'une discussion grave et approfondie qui puisse éclairer les esprits et amener une décision définitive. Attendez-la denc cette décision à laquelle vous serez plus tard obligés de vous soumettre, et ne proclamez pas tout de suite, de votre autorité privée, que nous sommes des hérétiques ; car il n'y a hérésie que chez ceux qui s'écartent de la vérité spirituelle. Si vous dites que cette vérité est en votre possession,

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nous disons, nous, qu'elle est en la nôtre. Pouvezvous être en même temps juge et partie? Ne croyez pas cependant que nous soyons étonnés de la qualification d'hérétiques que vous nous appliquez. Nous savons que c'est votre habitude d'agir ainsi envers tous ceux qui s'écartent de votre opinion. Quoique vous nous ayez donné le droit de vous traiter de la même manière, nous n'emploierons pas l'épithèque d'hérétique; ce mot sonne trop mal dans ce siècle, et réveille du reste de trop pénibles souvenirs; mais nous prouverons que vous n'êtes plus de vrais chrétiens, et que votre doctrine est devenue tout à fait idolàtrique. Nous vous le prouverons, sans pour cela employer des termes injurieux. Le temps n'est pas éloigné où vous serez obligés de descendre dans l'arène, et de défendre pied à pied chacun de vos dogmes. Nous verrons alors s'ils appartiennent au véritable Christianisme, ou si par suite des altérations qu'on leur a fait subir, ils ne sont pas devenus réellement idolâtriques. Votre article indique assez que vous redoutez le jour où la lutte sera définitivement engagée. Malgré le dédain superbe que vous affectez, vous n'avez pu éviter l'emploi de certaines expressions qui témoignent de la crainte que vous éprouvez, et qui indiquent en vous un pressentiment secret du sort qui attend la doctrine ultramontaine que vous défendez. La force de la vérité vous a même arraché des aveux précieux que nous devons enregistrer ici; et bien

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que les éloges que vous donnez aux Novi-Jérusalémites soient toujours accompagnés d'un correctif souvent acerbe, nous citerons textuellement (1). C'est ainsi qu'après la phrase obligée sur l'indifférence en matière religieuse qui, en réalité, n'est due qu'à la déviation que vos prédécesseurs ont donnée au Christianisme, vous vous écriez : « Hélas ! peut-être est-ce à ce malaise de l'indiffé» renée en matières religieuses qu'il faut attribuer la » déplorable facilité avec laquelle des citoyens d'ail» leurs si reeommandables, des hommes d'un cœur » si droit, d'un esprit si élevé, ont déserté le giron » de l'Église de Saint-Pierre au profit des rêveries » de Swedenborg. Plus il n'est aujourd'hui question » de ce Saint-Simonisme obscène jeté au travers des » peuples comme pour en mesurer la niaiserie et re» connaître tout le parti qu'on pourrait tirer de leur » crédulité; la Jérusalem nouvelle se présente sous » un aspect tout autre : ses formes sont agréables, » son ton mielleux, son attitude grave et imposante. » Courtisane de bonne compagnie, elle sait éviter » jusqu'à l'apparence du dérèglement; sa propa» gande habilement concertée s'adresse de préfé» renée aux âmes poétisées, aux cœurs brûlants de » philantropie et de charité, fulmine contre l'égoïs» me, et accuse l'isolement de toutes les souffran(l) L'Echo du Vatican n'a pas agi de la sorte; il a de"naturé toutes les phrases de notre Prospectus qu'il a citées.

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ces de l'humanité; tolérant envers tous les hommes, le Novi-Jérusalémisme ne s'impose à personne sous peine de damnation; sa morale paraît saine et pure comme celle de l'Evangile dont elle prétend émaner; et en vérité, lors même que cette hérésie parviendrait à détrôner le Catholicisme, nous ne voyons point où sont les avantages que les passions révolutionnaires pourraient en obtenir immédiatement. » Vous n'avez à la vérité tracé ce tableau que pour arriver à dire que si les passions révolutionnaires ne peuvent rien obtenir immédiatement du triomphe de la Nouvelle Jérusalem, ce triomphe serait cependant plus tard celui de l'enfer, puisque vous ajoutez : « Nous disons immédiatement, car il n'est que » trop vrai, qu'à la longue, les conséquences de ce » bouleversement, heureusement impossible, seraient » le triomphe de l'enfer sur la famille que le divin » fils de Marie a promis de protéger jusqu'à la con» sommation des siècles. En faut-il davantage » pour montrer la vanité de ses prétentions? » Quel est donc l'homme de bonne foi qui, après avoir lu cette esquisse de la Nouvelle Jérusalem tracée par une main hostile, pourrait croire que notre doctrine est infernale, surtout lorsque vous n'apportez aucune preuve à l'appui d'une assertion aussi grave ; car si vous connaissiez la signification spirituelle de ces mots, jusqu'à la consommation du siècle, vous sauriez que le passage de l'Écriture au-

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quel vous faites allusion prononce votre propre condamnation. La consommation du siècle n'est pas la fin du monde, comme vous le prétendez; la Divinité n'a pas créé l'univers pour le détruire; mais cette expression symbolique désigne la fin d'une Église. La première Église chrétienne est arrivée à sa fin dans le siècle dernier, comme l'Église Judaïque était arrivée à sa fin il y a dix-huit siècles. Voilà pourquoi tout croule dans votre Église, tandis que tout s'édifie dans la nôtre; de même que tout croulait dans le Mosai'sme, lorsque le Christianisme s'établissait : comparez les deux époques, et vous trouverez la ressemblance frappante. L'indifférence en matières religieuses dont vous vous plaignez vient de ce que vous avez tellement confondu toutes les notions du bien et du mal, toutes celles du vrai et du faux, que les hommes, n'ayant plus de fanal pour marcher dans de si épaisses ténèbres, ont fini par abandonner leurs guides devenus aveugles. Ce sont là les signes qui indiquent d'une manière évidente la fin d'une Église ; alors le soleil est obscurci, la lune ne donne point de lumière, c'est-à-dire que la charité s'éteint, et qu'il n'y a point de foi. Vos plaintes réilérées prouvent suffisamment que cette époque est arrivée. Mais en même temps le signe du Fils de l'homme apparaîtrait toutes les tribus de la terre verront le Fils de l'homme venir sur les nuées du ciel. —Matth. XXIV. 30. —Vous le méconnaissez, ce signe du Fils de l'homme, de même

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que les Pharisiens et les docteurs de la loi méconnaissaient le Christ. Ils s'opiniàtraient à ne voir dans le Christ qui leur était promis qu'un Roi de la terre qui devait les rendre maîtres des peuples, comme vous, en prenant ces paroles de l'Évangile à la lettre, vous vous opiniâtrez à croire que le Seigneur descendra en personne sur les nuées du ciel : aurezvous donc toujours des yeux pour ne pas voir? Nous sommes prêts maintenant à rendre justice à plusieurs des vôtres. Nous reconnaissons aussi qu'il y a parmi les Catholiques-Romains des citoyens d'ailleurs rccommandables, des hommes d'un cœur droit, d'un esprit élevé, qui, frappés de la grandeur passée du Catholicisme-Romain, s'abusent encore au point de croire qu'ils pourront rappeler à la vie ce vieillard décrépit qui se meurt. Ils voient ses rides, mais ils les fardent; ils connaissent ses blessures, mais ils les cachent, et ils pensent par là soustraire son agonie à la vue des peuples. Hommes aux sentiments élevés et religieux qui dissipez vainement vos forces à réchauffer un cadavre, faites usage de cette intelligence que vous avez reçue de la Divinité pour approfondir, comme vous avez reçu l'œil pour voir et l'oreille pour entendre! Cessez de croire que cette précieuse faculté qui nous rend images de Dieu puisse être liée par des décisions humaines; car il n'y a pas de religion là où il n'y a pas liberté d'examen. Avant donc de juger une doctrine que vous ne connaissez pas, ouvrez nos livres, méditez-les, et

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bientôt, au lieu de vous voir dans les rangs de nos adversaires, nous vous compterons au nombre des ouvriers de la nouvelle vigne du Seigneur. Continuons de citer : « Bien que depuis un demi-siècle et plus, les » théories de Swedenborg se soient impatronisées en » Angleterre, d'où elles se sont répandues successi» veinent en Suisse, en Allemagne et en différentes » contrées du nouveau continent, elles ne s'étaient » pas jusqu'ici montrées assez hostiles aux doctrines » que nous professons pour nous inspirer de sérieu» ses inquiétudes ; nous les observions cependant » avec moins de sollicitude que de curiosité, tantôt » sous les latitudes équatoriales de l'Amérique, tan» tôt sous les glaces du Sund. Sans diriger contre » elle ni les lumières de l'examen ni les armes de la » plaisanterie, nous ne les perdions pas entièrement » de vue, en attendant la nécessité de repousser les » attaques de la Nouvelle Église, ou de lui crier qui » vive les premiers pour lui enlever les avantages de » l'agression. Que pouvions-nous exécuter de plus » sage ? » Ainsi, de votre aveu même, nous ne sommes pas nés d'aujourd'hui, nous comptons plus d'un demisiècle d'existence; notre doctrine n'est pas resserrée dans d'étroites limites territoriales, elle est répandue dans les États les plus éclairés des deux continents, partout enfin où il y a liberté de conscience. Vous ne nous perdiez pas de vue, dites-vous, et

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vous attendiez que le moment fût arrivé de diriger contre la Nouvelle Jérusalem : 1° les lumières de l'examen ; 2° les armes de la plaisanterie. 1° Les lumières de l'examen ! Qu'entendez-vous parla? Une explication serait nécessaire. Pour faire un examen consciencieux, ne faut-il pas, avant de se livrer à la critique des moyens de l'adversaire, s'assurer que ceux qu'on veut employer contre lui sont bien fondés? Or, comment pouvez-vous exécuter ce travail préliminaire, puisqu'il vous est défendu sur ce point de faire usage de v?» tre entendement et de votre raison. Vous allez donc vous engager en étourdis dans une lutte sans savoir comment vous pourrez vous en tirer? Votre dernière phrase : « Que pouvions-nous exécuter de plus sage? » ne semble-t-elle pas indiquer en vous de grandes appréhensions? vous regrettez vivement de ne pas avoir crié qui vive les premiers; eh! n'importe qui commence, c'est le bon droit qui décide. 2° Les armes de la plaisanterie ! La plaisanterie ! nous ne craignons pas ses armes; elles ne sont redoutables que pour ceux qui n'ont pas de fortes convictions. Si elles tuent, elles ne tuent que ceux qui sont déjà morts, c'est-à-dire, ceux qui, ayant tout à fait oublié que l'homme est immortel, ne vivent absolument que pour obtenir les faveurs du siècle? Est-ce que Gênes, la patrie de Christophe Colomb, ne plaisantait pas ce grand homme? elle le traitait

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même de fou lorsqu'il parlait d'un nouveau monde terrestre; raaisla plaisanterie émoussa ses armes contre la conviction de l'illustre navigateur, et l'Amérique découverte versa toutes ses richesses sur l'ancien continent. Le nouveau monde découvert par Swedenborg aura pour l'humanité une importance bien supérieure. Les contemporains du théosophe suédois l'ont aussi plaisanté, ils lui ont aussi donné Pépithète de fou (1); mais lui, sans faire attention aux piqûres des mouches qui bourdonnaient à ses oreilles, continuait de poser pour la postérité les bases du nouvel édifice religieux. Qu'on plaisante donc aussi les Novi-Jérusalémites, si on le veut; la plaisanterie aura son ternie, et le temps est proche où l'humanité commencera à jouir pleinement des avantages les plus précieux que la Divinité ait jamais accordée aux hommes. Mais était-ce bien à vous de plaisanter? Deviezvous, hommes revêtus d'un caractère religieux, admettre dans vos colonnes des plaisanteries scandaleuses, grossières, et qui plus est calomnieuses contre un homme dont la vie pure et laborieuse fait l'admiration de ceux mêmes qui n'admettent pas ses théories? Avez-vous bien réfléchi avant d'avoir eu recours à l'arme du ridicule en fait de matières religieuses? Ignorez-vous qu'il n'est pas une seule de vos céré(1) II esl à remarquer que les plus grands hommes ont été traités de fous par tous ceux qui ne pouvaient ou qui ne voulaient pas les comprendre. Celui qui a découvert la puissance de la vapeur a été enfermé comme fou par le cardinal de Richelieu.

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monies, que vous dites saintes, qui n'ait été attaquée avec cette arme? Gardez-vous donc soigneusement d'employer la plaisanterie : cette arme, dans vos mains, vous deviendrait fatale; elle se tournerait contre vous-mêmes. D'ailleurs la plaisanterie n'est bonne et ne produit des effets redoutables qu'aux époques de destruction. Lorsque Voltaire vous plaisantait, tous ses coups ont porté, parce que les jours marqués pour la destruction de votre doctrine étaient arrivés; mais tout l'esprit de Voltaire échouerait maintenant, parce que nous sommes à une époque de reconstruction, et qu'on ne peut reconstruire qu'avec la logique et la science.— Vous ajoutez : « Notre position vis-à-vis la Jérusalem nouvelle a » tout à fait changé : de modeste et silencieuse qu'elle » était, l'hérésie se montre aujourd'hui la tête dé» couverte : elle attaque au lieu de se défendre, » elle accuse au lieu de se disculper. Elle a ses » écrits, son code, sa presse périodique, ses mission» naires; il ne lui manque plus que des miracles pour » nous prouver son origine céleste, et des martyrs » pour sceller de leur sang les révélations de Swe» denborg. » Vos plus solides arguments sont donc fondés sur les miracles et sur les martyrs; et quand nous aurons prouvé que toutes vos cérémonies sont u :" triques; que vos dogmes ne peuvent pas supporte la comparaison avec les véritables dogmes du Chris-

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lianisme, vous croirez donc qu'il vous suffira pour détruire tous nos arguments de nous crier : Où sont vos miracles? où sont vos martyrs? Ignorez-vous que nous sommes chrétiens, et qu'en cette qualité ce que vous appelez vos miracles et vos martyrs nous appartiennent comme à vous? Nous posons en principe, ne l'oubliez pas, car toutes les fois que vous l'oublierez, nous vous le rappellerons; nous posons, dis-je, en principe que le Christianisme a été détourné de sa véritable route depuis le concile de Nicée sous Constantin, lorsque, pour combattre l'hérésie d'Arius, les pères de ce concile sont tombés dans l'hérésie de la trinité de personnes, hérésie qui a été la source de toutes celles qui ont perdu définitivement l'Église. Tout ce qui est antérieur à ce concile nous appartient aussi bien qu'à vous : tout ce qui l'a suivi, nous vous l'abandonnons; c'est votre œuvre. Ainsi s'écroulera cette argumentation sur laquelle vous fondez tant d'espoir. Les miracles (1) sont utiles aux vues de la Providence-dans des temps d'ignorance et de foi, ils peuvent corroborer cette foi sans la commander : s'il n'y en a plus, c'est qu'ils ne serviraient à rien ; ils forceraient le libre arbitre des uns, et seraient pour les autres un sujet de raillerie. Les Juifs se sont-ils convertis à la vue de toutes les actions du Seigneur? La plupart d'entre eux, au moment du miracle, (!) Nous avons dit, page 31, qu'on doit entendre par miracles des faits conformes aux lois de l'Ordre Divin, mais tels que les contemporains ne puissent les expliquer d'après la somme de leurs connaissances.

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croyaient; quelques jours après, ils ne croyaient plus; ses apôtres, témoins de tous ses actes miraculeux, étaient même souvent dans l'incertitude sur Sa Mission Divine, et tous l'abandonnèrent, jusqu'à Pierre, dont la foi paraissait si robuste. Les Pharisiens et les Saducéens demandaient aussi au Seigneur qu'il leur fît voir quelque miracle du Ciel; mais il leur répondit : « Quand le soir est venu, vous dites : » Beau temps ! car rouge est le ciel ; et le matin : » Aujourd'hui tempête! car d'un rouge sombre est » le ciel. Hypocrites ! l'apparence du ciel, vous sa» vez, il est vrai, la discerner; mais les signes des » temps, ne le pouvez-vous point? » — Matth. XVI. 1 2 3 Vous avez cru sans aucun doute lancer contre nous un trait fort piquant, en disant, au sujet des miracles que vous nous demandez : « A moins qu'il ne » faille considérer comme un miracle la facilité avec » laquelle un si grand nombre de personnes, d'ail» leurs fort estimables, ont ouvert leur âme à ces » chimériques illusions. » Ce seul fait, avoué par vous, est certes de nature à faire plus d'impression sur l'esprit de ceux qui réfléchissent, que tous les prétendus miracles que vos co-religionnaires savent encore si bien exploiter. Quant aux martyrs, nous dirons : Le temps des persécutions religieuses est passé; mais s'il revenait et qu'on nous persécutât, nos convictions sont assez profondes pour nous faire supporter la persécution. 1, 4, O.

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Ce serait sans doute un moyen de propager plus vite notre doctrine, mais cela ne prouverait en aucune manière qu'elle est vraie; aussi n'a-t-elle pas besoin d'une semblable preuve. Les persécutions donnent de l'énergie, mais le sang des martyrs ne prouve rien. On meurt aussi bien pour l'erreur que pour la vérité, car on meurt pour ses convictions, et l'histoire prouve que les convictions les plus fortes peuvent aussi bien être le résultat de l'erreur que celui de la vérité. Vous avez raison de vous effrayer des théories de la Nouvelle Jérusalem sur l'homme immatériel, vous pressentez déjà tout l'effet que produiront ces théories, lorsqu'une fois elles seront bien comprises; mais vous n'auriez pas dû ajouter : « Donner à l'es» prit une forme et des sens, n'est-ce pas incontes» tablement le matérialiser? » Car vous devez savoir, puisque vous avez parcouru les écrits de Swedenborg, la différence qu'il établit entre la substance spirituelle et la matière. Ce n'est pas dans une simple réponse à une attaque générale que nous pouvons donner la théorie des substances et des formes; nous la présenterons plus tard. Nous vous dirons seulement aujourd'hui : Croyez-vous que vos élucubrations sur l'âme humaine puissent ramener les hommes aux véritables idées spirituelles? ne sont-ce pas elles, au contraire, qui les ont conduits à ce septicisme mortel que nous devons tous déplorer? Vous ne voulez pas admettre que l'homme, sorti de ce monde, 6*.

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existe dans le monde immatériel avec un corps spirituel, proposition dont il est cependant facile de se rendre compte pour peu qu'on veuille étudier nos doctrines et réfléchir, et vous admettez la reprise de nos corps matériels à la fin du monde, lorsque, selon vous, nous serons tous convoqués dans la vallée de Josaphat. Avez-vous bien réfléchi avant de nous faire cette objection? Est-il bien conséquent de votre part de placer la matière même dans le monde immatériel, et de venir nous dire que nous matérialisons l'esprit en lui donnant des sens spirituels? Que faites-vous donc de l'homme au sortir de ce monde? Que sont devenus tous ceux qui sont morts depuis des milliers d'années? Que deviendrons-nous nousmêmes jusqu'à cette convocation dans la vallée de Josaphat, si vous nous privez de nos sens spirituels? Pouvez-vous faire une seule réponse à ces questions qui se présentent tout naturellement? Ne vous plaignez donc plus de l'indifférence en matières religieuses ; si l'homme n'a plus de foi, c'est parce que vous avez tellement abusé de sa crédulité, qu'il rejette même les choses les plus saintes et les plus dignes de ses méditations; mais il reviendra à la véritable foi, dès l'instant que les divines vérités lui seront présentées dans toute leur clarté; car il ne saurait vivre longtemps sans croyances, et il en sent déjà le besoin.

Nous nous sommes jusqu'ici abstenus de relever beaucoup d'inexactitudes dans les faits, beaucoup de

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suppositions gratuites, beaucoup d'allusions insidieuses, mais nous ne pouvons passer sous silence vos réflexions au sujet des doctrines de Swedenborg sur l'enfer. Il y a plus que de la perfidie lorsque vous dites : « Rassurez-vous, méchants de la terre ! vous ne » trouverez à ce gracieux rendez-vous que ce que » vous avez tant regretté sur cette boule. Point n'y » verrez chaudières ni fourneaux, et votre situation » de damné sera telle que pour rien au monde vous » ne voudriez la changer. Eh bien ! qu'en dites-vous, » législateur des nations? Et vous, rois de.la terre, » que vous en semble? Les doctrines de Swedenborg » ne sont-elles pas infiniment plus attrayantes que » celles de Saint-Paul? surtout plus rationnelles, » plus puissantes pour améliorer les hommes et con» tenir les masses dans l'obéissance et le devoir? Avec » de pareilles théories, y a-t-il rien de plus facile à » pratiquer que la science gouvernementale, rien de » plus solidement garanti que le repos et le bonheur » de la Société? » Nous sommes fâchés de vous le dire, mais vous nous y contraignez, car la défense contre la calomnie est de droit naturel; vous avez joué là un rôle... que nous pouvons nous dispenser de qualifier; chacun saura bien ajouter au mot l'épithète qui lui convient. —- On n'analyse pas une doctrine sans la connaître, vous n'avez donc pu vous méprendre sur l'enfer de Swedenborg; c'est donc sciemment que vous avez

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dénaturé la belle théorie que vous prétendez analyser. Et pourquoi? pour attirer sur les Novi-Jérusalérnites les soupçons des chefs des nations, pour les signaler comme des hommes immoraux. Votre cause est donc bien faible, et la peur de perdre votre pouvoir bien grande, pour que vous soyez descendus à des moyens si bas. Il faut qu'un esprit de vertige, avant-coureur de votre chute, se soit emparé de vous, pour que vous ayez avancé des choses dont la fausseté peut être si facilement prouvée. Que ces paroles du premier ministre de Gustave III retentissent à vos oreilles pour vous donner le démenti le plus formel : « Si j'avais à fonder un état fort et transi quille, dit le comte de Hobken,y
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convaincus qu'il n'est pas un seul homme qui ne cherchât à réformer ses défauts. Les tisons, l'huile bouillante et les fourches infernales font rire de pitié ; mais les descriptions de Swedenborg font réfléchir, parce qu'elles parlent à la raison, et parce qu'elles sont confirmées par l'analogie, seule preuve qu'on puisse donner aux hommes qui n'ont pas encore la foi. Le ton qui règne dans votre article indique suffisamment que vous ne croyez pas vous-mêmes à tous ces contes. Alors votre apostrophe aux puissants de la terre peut se traduire ainsi : « Nos contes étaient » bons pour retenir les masses dans le devoir, on ose » donner de l'enfer une description toute différente ! » Vite, armez-vous de vos foudres pour frapper ceux » qui prétendent que nous ne devons plus tromper le » peuple.»Et ce sont les rédacteurs d'un journal religieux qui parleraient ainsi; qui oseraient dénaturer la religion au point de la faire descendre à un rôle de police; qui de Divine voudraient la rendre terrestre? Non, quand ce ne serait que par pudeur, vous vous rétracterez. «Il n'est que trop vrai, avouez-vous ensuite, que » dans l'examen du dogme Novi-Jérusalémitain, nous » rencontrerons des propositions captieuses, des dif» ficultés inextricables pour les esprits récalcitrants » qui ne veulent s'en rapporter ni à la décision son lennelle des conciles, ni à l'interprétation des » saints docteurs. Aussi demandons-nous à l'Es-

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» » » » »

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prit-Saint de nous prêter assistance dans la contraverse qui se prépare, et de nous éclairer tous de ses rayons célestes, les disciples de Swedenborg pour comprendre, nous pour expliquer la Parole de Dieu. » Oui, vous rencontrerez dans l'examen de nos dogmes, si vous vous y livrez, non pas des propositions captieuses, comme vous le dites, mais des propositions tellement précises et tellement conformes à la nature spirituelle de l'homme, qu'elles seraient suffisantes pour dissiper les ténèbres dans lesquelles vous êtes plongés, si vous vouliez faire un instant usage de votre entendement et de votre raison. Ces difficultés dont vous parlez ne sont inextricables que pour ceux qui mettent les décisions humaines au-dessus de la PAROLE DE DIEU. Comment! vous prétendriez encore que la Vérité Divine a pu sortir de ces assemblées tumultueuses où les passions humaines étaient portées au plus haut degré; où chaque parti s'anathématisait; où celui qui avait momentanément obtenu le plus de voix envoyait son antagoniste au bûcher qui devait plus tard se dresser pour lui-même ; où l'on déchirait le lendemain ce qu'on avait fait la veille; où enfin l'intrigue et la force brutale étaient employées à défaut d'arguments! Les disputes de la Montagne et de la Gironde n'ont pas soulevé plus de passions que celles des théologiens des conciles, et ce sont les décisions prises au milieu de cette effervescence des esprits

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que vous nous présentez comme infaillibles! Croyezvous que le XIXe siècle, qui revient aux idées religieuses dont il sent le besoin, consentira jamais à faire une abnégation complète de l'intelligence qu'il a reçue de la Divinité? Et pourquoi? Pour courber servilement la tête devant les décisions des théologiens du moyen âge! Ah! vous ne le pensez pas. Vous terminez ce paragraphe par une invocation à l'Esprit-Saint. Ce que vous demandez spécialement à l'une des trois personnes de votre Trinité, nous le demandons au Seigneur qui est seul la Divine Trinité; nous le prions de répandre avec abondance son influx divin sur tous les hommes, afin qu'ils puissent comprendre les vérités que renferme sa PAROLE. « Rien, dites-vous encore, n'est écrit avec plus » d'entraînement et ne renferme des séductions plus » dangereuses que les productions Novi - Jérusalé» mites du célèbre hérésiarque (Ed. Richer) auquel » la doctrine de Swedenborg doit tout son intérêt. » Un avant-propos de M. de Tollenare son éditeur, » non moins riche de pensées que fleuri d'expres» sions, ajoute encore aux dangers réels de ces ou» vrages qui déjà ont produit des fruits bien amers » dans certaines villes de France, et ont dévoyé de » la foi catholique des hommes de cœur et de mérite » dont nous déplorons la défection. Sans rappeler » ici la scandaleuse apostasie de l'abbé Ledru, qui » désertant notre bannière s'est fait un des apôtres » les plus fougueux du visionnaire suédois, combien

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» » » » » » » »

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n'avons-nous pas à gémir de voir se précipiter dans l'hérésie des citoyens aussi honorables que MM. le Maire de Saint-Amand, le Rédacteur de la Revue religieuse qui nous a jeté le gant avec tant de témérité, le savant M. de Tollenare, éditeur de Richer, l'infatigable Hofaker, le brave et candide capitaine Fraiche, auteur d'un opuscule brûlant de convictions. » Lorsque le Seigneur est venu sur terre, les Juifs suivaient la loi de Moi'se de la même manière que les chrétiens d'aujourd'hui suivent la loi du Christ. « Ce » peuple des lèvres M'honore, mais leur cœur est » fort éloigné de Moi. Mais en vain ils Me rendent un » culte, enseignant des doctrines, commandements » d'hommes. » —Marc, VII. 6, 7.— Ces paroles de l'Évangile peuvent certes aussi bien s'appliquer à notre époque qu'à celle où elles ont été prononcées. Ainsi, nous le demandons, était-on alors apostat quand on abandonnait les doctrines falsifiées des Scribes et des Pharisiens, pour suivre la nouvelle lumière qui apparaissait dans le monde? Vous n'oseriez pas le soutenir, parce que vous feriez par là des Apôtres et des Disciples qui tous avaient été élevés dans la loi de Moi'se autant d'apostats; et cependant, quoique le Seigneur ait dit en parlant de la Nouvelle Jérusalem : « Voici, je vais faire toutes choses nou» velles. » —Apoc.XXI. 5, — vous osez nous traiter d'apostats par cela seul que nous suivons la nouvelle lumière qu'il a donnée au inonde selon sa promesse.

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Nous savons bien que vous n'admettez pas que cette nouvelle lumière ait été donnée, et en cela, comme en beaucoup d'autres points (voir Matth., Ch. XXIII tout entier), vous ne faites qu'imiter les Scribes et les Pharisiens. Ils ne voulaient pas reconnaître dans le Seigneur le Christ qu'ils attendaient; et vous, vous ne voulez pas voir que son second Avènement sur les nuées du Ciel n'est autre chose qu'une nouvelle dispensation de sa Divine Vérité, pour retirer les hommes des ténèbres spirituelles où vos fausses doctrines les ont plongés. Puissent vos yeux s'ouvrir! Nous pensons que la discussion éclairera ceux d'entre vous qui cherchent de bonne foi la vérité. Quant à ceux qui ont pris d'avance leur parti, et qui nieraient la vérité lors même qu'elle leur apparaîtrait dans tout son éclat, la discussion aura du moins cet avantage de les forcer, dans leur intérêt, à modifier certaines de vos propositions canoniques. Vous n'ignorez pas, en effet, la défaveur qu'elles jetteraient sur votre cause si vous les défendiez; aussi les laissez-vous de côté : vous cherchez même à relever en quelque sorte le Catholicisme-Romain, en le confondant adroitement avec le Christianisme. Rome ne s'en alarme point, parce qu'elle pense que cette ruse peut lui être utile, et elle permet en France, pays avancé, ce qu'elle réprouverait ailleurs; mais cependant, tenez-vous sur vos gardes, ne nous faites pas trop de concessions; car vous seriez désavoués et traités d'héréti7,

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ques, si vous ne vous empressiez de passer les monts pour aller vous soumettre. Nous ne répondrons pas dans cet article, déjà assez long, à une foule de propositions que nous nous réservons d'examiner plus tard ; et puisque vous annoncez à la fin du vôtre que « cette impor» tante discussion sera continuée et soutenue jus» qu'au bout, » la lutte pourra se prolonger encore longtemps, à moins toutefois que la force de l'évidence ne vous fasse tomber les armes des mains. Nous terminerons par une simple comparaison des deux doctrines sous le point de vue de leur action sur le corps social. Suivant la Nouvelle Jérusalem, nous sommes sur terre pour nous régénérer, mais en même temps pour faire des usages et toujours des usages, c'est-à-dire, pour travailler et toujours travailler, afin d'être des membres utiles à la société; pour nous, travailler ainsi, c'est prier, sans que cependant une telle prière puisse nous dispenser de remplir les devoirs de notre culte extérieur aussi simple que dégagé de toute superstition. Vous, au contraire, vous faites consister la vie agréable au Seigneur à toujours prier, à se séquestrer et à rester ainsi inutile aux autres. C'est de là que J.-J. Rousseau et quelques autres réformateurs ont dû croire qu'il serait tout à fait impossible de former un corps social avec de véritables chrétiens; ils auraient pensé tout autrement si vos fausses doctrines ne les avaient jetés dans l'erreur.

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C'est donc à tort que vous vous prévalez à chaque instant d'avoir fait progresser la société; ce n'est pas à vous, Catholiques-Romains, qu'elle doit les progrès qu'elle a faits; vous l'avez, au contraire, arrêtée dans sa marche autant que vous avez pu; mais c'est le Christianisme seul qui l'a fait progresser; car, quoique vous l'ayez presqu'étouffé dans vos serres, il avait cependant encore conservé une force cachée que vous ne pouviez pas détruire, et c'est à cette force que la société doit ses progrès. Si, malgré les efforts de Rome, le Christianisme a produit de si grands biens, que ne produira-t-il pas, lorsqu'enfin il sera débarrassé des entraves dans lesquelles vous ne l'avez que trop longtemps retenu !

L'Echo du Vatican, dans ses numéros d'avril et de mai, a tout à fait changé de ton en parlant de la Nouvelle Jérusalem. Il a sans doute senti l'inconvenance de son premier article; mais, confondant toujours le catholicisme avec le christianisme, il refuse toute discussion de détails et se retranche derrière l'auguste majesté de Rome. Son argumentation peut se traduire en ces termes : Les principes de notre doctrine sont vrais, il n'est permis à qui que ce soit d'en douter; donc, toutes les conséquences que nous en tirons, quelqu'absurdes qu'elles paraissent, sont vraies aussi. Nous, au contraire, nous lui disons : Les principes de notre dochine sont vrais, mais nous désirons qu'on s'en assure; examinez donc toutes les conséquences que nous en tirons, et si vous êtes dans l'impossibilité de démontrer qu'elles sont contraires à l'idée que tout esprit juste et religieux doit se faire de la Divinité, vous serez forcé par cela même d'avouer que nos principes sont vrais. Le

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UN 510T AU SEMEUR.

Seigneur ne nous a-t-il pas donné à tous une règle infaillible pour juger aussi bien des doctrines que des personnes, en nous disant : Vous les connaîtrez à leurs fruits? Le Vatican donne aussi, sur les ouvrages philosophiques de Swedenborg, antérieurs à ses travaux religieux,un article tiré, de son aveu, de l'ouvrage du docteur Gœrres. N'est-ce pas là se mettre à côté de la question?

UN MOT AU SEMEUR * Le SEMEUR, journal de la RÉFORME, s'est occupé de notre Prospectus dans son N° du 28 mars. Si son article diffère de celui de YÉcho du Vatican, c'est en ce sens seulement que la forme est co-nvenable; car, quant au fond, même prétention, même affectation de dédain pour des doctrines qu'il connaît à peine. Il nous désigne aussi sous la dénomination de Secte, comme si la Réforme, qui est le dissolvant le plus nuisible et le plus pernicieux sous le double rapport religieux et civil, pouvait avoir la moindre prétention à l'UxiTÉ. Mous répondrons au Semeur dans notre prochaine livraison; cependant, nous devons dès aujourd'hui reconnaître que loin de suivre l'exemple de l'Écho du Vatican, il a loyalement cité plusieurs passages de notre Prospectus sans les dénaturer en aucune manière. (*) Voir aux notes additionnelles.

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DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

Une vérité nouvelle ne s'est jamais produite dans notre monde sans avoir aussitôt excité les clameurs de quiconque était sous l'empire d'erreurs qu'elle venait détruire. Les luttes furent souvent longues et pénibles, mais la vérité finit toujours par triompher, et cela, parce qu'elle est la vérité. Nous ne saurions donc avoir de crainte sur le résultat de la lutte qui vient de s'engager entre la Nouvelle Jérusalem et les autres Communions chrétiennes. Quelles que soient les attaques que l'on dirige contre nous, nous saurons toujours répondre avec le calme et la dignité que donne une intime conviction. Nous ne reculerons devant aucune des objections qui nous seront faites ; mais malgré notre ardent désir de répondre tout de suite à toutes celles qui ont déjà été posées, les bornes de cette Revue ne nous le permettent pas. En effet, quoique nous ayons consacré une moitié de notre deuxième livraison pour répondre à l'Écho du Vatican, nous n'avons fait qu'effleurer une partie des questions soulevées, et pour résoudre sur-le-champ celles que soulève le Semeur, il nous faudrait plus d'un 7*.

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DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

numéro; or, nous croirions manquer à nos obligations envers nos abonnés et à notre devoir comme Novi-Jérusalémites, si nous remplissions entièrement notre Bévue de réponses à toutes les questions qui pourraient chaque jour nous être faites. Il nous semble qu'une discussion ne peut porter de bons fruits qu'autant qu'elle est soumise à un ordre quelconque, et si nos adversaires ne consentent pas à en établir un, nous sommes de notre côté décidés à suivre les règles d'une saine logique. Que signifient, en effet, ces attaques multipliées contre Swedenborg, lorsqu'on devrait d'abord examiner la doctrine de la Nouvelle Jérusalem. Si nous attaquions Luther, Mélancllton ou Calvin, les rédacteurs du Semeur seraient en droit de nous dire : Nous ne reconnaissons de maître que le Christ, discutez notre doctrine.— Nous pouvons donc leur dire avec le même droit : Nous ne reconnaissons pour maître que le Seigneur, discutez notre doctrine. C'est en agissant ainsi que nous pourrons procéder avec ordre, et que la lumière sortira de la discussion ; car notre Maître commun a dit : « Vous connaîtrez l'arbre à son fruit. » Voilà la règle infaillible qu'il nous a donnée et que nous devons suivre. Agir autrement, ce serait s'exposer à mettre des passions humaines dans des matières où elles ne sauraient s'introduire sans causer les plus grands désastres. Ce n'est pas, cependant, que nous refusions de répondre à toutes les questions qui nous seront faites

DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

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sur l'état de Swedenborg. Le temps ne tardera pas à arriver où nous pourrons présenter la véritable théorie de l'extase qui n'est encore connue que d'un petit nombre d'hommes, mais nous devons, comme nous l'avons dit, procéder avec ordre, et ne pas nous laisser détourner de notre but principal, à savoir, le développement de notre doctrine ; car si les doctrines des autres Communions chrétiennes sont depuis longtemps connues, la nôtre ne l'est pas encore; et si elle l'était, beaucoup de questions qu'on nous adresse ne nous seraient certainement pas faites. D'ailleurs, le développement successif que nous donnerons répondra suffisamment au plus grand nombre d'objections faites ou à faire. C'est ainsi que l'article suivant pourra servir de commencement de réponse au Semeur; il en sera de même de tous ceux que nous donnerons; car, tout en posant nos principes, nous aurons soin de les comparer à ceux des autres Communions chrétiennes, pour que le lecteur de bonne foi puisse reconnaître de quel côté se trouve la vérité.

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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR

LE CHRISTIANISME ET SUR SA MARCHE POUR CONSTITUER L'UNITÉ HUMANITAIRE *

L'attaque des Protestants ne nous a pas plus étonnés que celle des Catholiques-Romains. Pourquoi serions-nous surpris de voir repousser par toutes les Communions chrétiennes la Nouvelle Église du Seigneur, lorsque l'histoire nous apprend que toutes les sectes du Judaïsme se sont acharnées, il y a dix-huit siècles, contre la première Église chrétienne? Alors les attaques des Scribes et des Pharisiens restèrent impuissantes, et la Religion du Christ, supplément de la loi de Moi'se, se répandit dans toutes les possessions de l'Empire Romain. Il en sera de même de la Nouvelle Jérusalem ; elle sortira victorieuse des combats qui lui seront livrés, et se répandra sur toute la surface de la terre; car telle est la destinée promise dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament à cette Église qui doit être la couronne de toutes les Églises précédentes, et le complément du Christianisme. Nous désirerions néanmoins que tous ceux qui re(*) Voir aux notes additionnelles.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

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cherchent la vérité consentissent, avant d'entrer dans la lutte, à prendre connaissance de la doctrine céleste de la Nouvelle Jérusalem ; car nous sommes convaincus que pour peu qu'ils voulussent l'examiner sans prévention, sans parti pris d'avance, ils ne pourraient s'empêcher de déposer les armes, ou de combattre dans nos rangs. Mais nous savons qu'il y a toujours des hommes prêts à repousser, sans examen préalable, les vérités les plus avantageuses à l'humanité, par cela seul qu'elles sont opposées à des erreurs qui leur plaisent, ou qu'ils ont considérées jusqu'alors comme des vérités. Ceux-là ne consentiront pas à prendre connaissance de notre Doctrine; cependant, ils sont aussi nos frères, puisqu'ils sont hommes, et nous devons chercher à dessiller leurs yeux. Puissions-nous réussir en leur signalant la source de leurs erreurs et l'abîme dans lequel elles peuvent entraîner la société ! Sans la Révélation, l'homme n'aurait aucune idée de la Divinité; aussi Dieu ne laissa-t-il jamais le genre humain privé de sa Parole. Avant celle qu'il donna à Moïse, il en existait une dont Moïse luimême cite quelques passages; mais la Parole Divine est toujours appropriée aux mœurs, au caractère et à l'état de civilisation du peuple qui la reçoit. Il en est ainsi, parce que Dieu a créé l'homme libre, et que, d'après les lois de son Ordre Divin qui sont luimême, il ne pourrait porter atteinte à la liberté humaine, sans détruire son ouvrage, c'est-à-dire,

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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

sans faire de l'homme un automate. Dieu est donc obligé pour élever l'homme à Lui de descendre jusqu'à l'homme. C'est ainsi que l'homme civilisé ne peut élevé le sauvage à la civilisation qu'en se conformant d'abord à ses idées, et en s'identifiant pour ainsi dire avec lui. C'est pour cela que la Parole de Dieu est toujours couverte d'un voile plus ou moins épais, selon que le peuple, auquel elle est donnée, est plus ou moins susceptible de recevoir et de comprendre les Vérités Divines. Toutes les vérités qu'il peut recevoir et comprendre, sans qu'il y ait pour lui danger de les profaner, lui sont données dans le sens de la lettre; toutes les autres sont soigneusement enveloppées dans ce sens pour n'être dévoilées que lorsque le temps propice sera arrivé. Quinze siècles s'étant écoulés depuis Moïse jusqu'au premier Avènement du Seigneur, la civilisation avait pendant cet intervalle fait des progrès; mais en même temps le genre humain était tombé dans le plus déplorable état de dégradation spirituelle et morale, par la falsification des vérités qui avaient été révélées dans les précédentes Paroles, et il n'y avait qu'une nouvelle manifestation de la Vérité Divine qui pût le sauver. C'est alors que le Verbe ou la Parole se fit chair; c'est alors que s'opéra le grand acte de la Rédemption au milieu de ceux qui possédaient la Parole Mosaïque, et que la Bonne Nouvelle, rejetée avec mépris par la majorité des Juifs, fut annoncée aux Gentils et reçue par eux avec acclamation. Si la

SUR LE CHRISTIANISME.

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Parole du Nouveau Testament est pour notre siècle plus facile à comprendre dans son sens littéral que celle de l'Ancien, c'est parce qu'elle fut, comme les précédentes, appropriée aux besoins de l'époque, et que la civilisation actuelle diffère moins de la civilisation d'il y a dix-huit siècles, dont elle dérive immédiatement, que de la civilisation Mosaïque qui se perd dans la nuit des temps. Néanmoins, si l'on trouve dans le Nouveau Testament plus de vérités nues que dans l'Ancien, le plus grand nombre de vérités qu'il renferme n'étant point encore susceptibles d'être reçues et comprises sans profanation par les contemporains et par leurs descendants, ne leur ont été présentées que voilées, mais toutefois avec promesse réitérée de lever le voile qui les cachait, lorsque les temps seraient accomplis, ou en d'autres termes, à la consommation du siècle, c'est-à-dire, lorsque l'Église ou la société chrétienne serait tombée, par la falsification des divines vérités, dans un état de dégradation spirituelle et morale analogue à celui où s'était trouvée la société lors du premier Avènement du Seigneur. Et de même qu'il y a dix-huit siècles le genre humain aurait succombé sous le poids de ses maux, si la Divinité ne fût venue à son secours en fondant une nouvelle société au moyen de vérités nouvelles, de même la société dans le siècle dernier eût été conduite à une perte certaine, si le Seigneur ne fût venu, selon sa promesse, poser les bases d'une société nouvelle en étant le

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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

voile qui recouvrait ses Divines Vérités. C'est là son Second Avènement. Toute autre manière de l'entendre est opposée à la Majesté Divine et à la saine raison. Quoique la Parole du Nouveau Testament fût en grande partie couverte d'un voile, les vérités nues qu'elle renfermait étaient cependant suffisantes pour préserver l'humanité de sa ruine, et ramener au vrai Dieu quiconque désirait le trouver. Chacun reconnaît aujourd'hui que les grands principes humanitaires dont notre siècle est si glorieux sont tous posés dans l'Évangile; chacun admire la vie simple, pure et dévouée des premiers Chrétiens. L'hérésie néanmoins ne tarda pas à se glisser parmi eux. Celle que soutint avec tant d'ardeur Arius aurait certainement porté un coup mortel au Christianisme, si elle eût prévalu ; aussi se réunit-on de toutes parts pour la combattre. Mais déjà les passions humaines s'étaient introduites dans les discussions spirituelles, la pureté primitive des mœurs s'était insensiblement altérée, et les pères du Concile de Nicée en repoussant une hérésie monstrueuse tombèrent eux-mêmes dans une autre hérésie, et cette hérésie devint la source de toutes les erreurs et de tous les maux qui depuis affligèrent l'Église et la conduisirent à sa perte. Cette hérésie fut celle de la Trinité de personnes qu'on substitua à la Trinité d'attributs. On admit trois personnes distinctes en Dieu, tandis que les Apôtres

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et leurs successeurs n'avaient vu dans la Trinité que les trois attributions du Dieu unique qui créa l'univers, le racheta en prenant l'humanité, et le conserve à chaque instant par sa Divine Providence. En vain déclara-t-on, pour éviter le reproche de Polythéisme, que ces trois personnes distinctes ne fesaient qu'un seul Dieu, l'hérésie n'en fut pas moins pernicieuse, et donna lieu à toutes ces aberrations de l'esprit humain qu'on rencontre à chaque pas dans les écrits des théologiens les plus profonds, tant il est vrai qu'une fois en dehors du sentier de la vérité, on ne peut qu'errer ça et là, et s'enfoncer graduellement dans les ténèbres les plus épaisses ! La Divinité, nous dira-t-on, ne devait-elle pas prévoir qu'en couvrant d'un voile ses divines vérités, la faiblesse humaine tomberait infailliblement dans l'erreur? Nous répondrons : Elle l'avait prévu ; car une foule de passages de l'Écriture l'indiquent d'une manière claire, et annoncent qu'un Second Avènement viendra enfin rétablir l'homme dans les lois de l'ordre et le faire jouir des délices d'un nouvel Éden. — Mais n'aurait-il pas été plus conforme à l'essence de l'Amour Divin d'éviter à l'humanité cette nouvelle chute, et de la faire entrer tout de suite dans ce jardin de délices?—Quel est donc aujourd'hui le nouvel Alphonse de Castille qui oserait dire que s'il eût été du conseil de Dieu, il lui aurait donné de bons avis? C'est la réponse qu'on pourrait faire à une semblable question; cependant la nouvelle dispensation des vé8.

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rites divines permet maintenant de donner quelques motifs propres à satisfaire la raison humaine. Dieu est un; par conséquent, pour que l'humanité puisse rentrer dans l'ordre, il faut qu'elle redevienne une. Tous les efforts de la Divine Providence, depuis la chute, tendent à ramener les hommes à cette unité; mais tout dans ce inonde ne se faisant que par progression, ce n'est que progressivement que l'œuvre divine peut être accomplie. Nous, faibles mortels, nous comptons dans notre impatience les jours, les années, les siècles, et nous allons quelquefois jusqu'au blasphème, en osant attribuer à Dieu ce qui ne vient que de la dépravation humaine. Dieu est l'Amour Même, et il est dans un continuel effort pour ramener l'humanité à Lui ; mais l'humanité qu'il a douée de liberté résiste, et il ne saurait sans détruire son ouvrage contraindre le libre arbitre des hommes. Maintenant ouvrons l'histoire, et partout nous reconnaîtrons le doigt de Dieu pour reconstituer l'unité humaine. Les hommes agissent poussés le plus souvent par leurs passions, mais l'œil de la Providence reste sans cesse ouvert, et elle sait toujours du plus grand mal tirer quelque bien. En un mot, tous les événements sont providentiels à un degré plus ou moins élevé, et cependant chaque homme, chaque société, quoiqu'instrument de la Divinité, reste parfaitement libre dans ses actions. C'est ainsi que la grandeur et la décadence de l'Empire Romain furent des événe-

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ments providentiels de l'ordre le plus important. La grandeur de l'Empire Romain était utile aux vues de la Providence, parce qu'il était nécessaire qu'une masse de nations fût réunie sous le pouvoir d'un peuple qui professait la plus grande tolérance pour tous les cultes. C'est, en effet, cette tolérance qui permit aux disciples du Seigneur de proclamer hautement la Bonne Nouvelle, et de répandre dans tout l'Empire la vraie semence. Mais dès que cette semence eut germé et donné des fruits assez nombreux, l'unité romaine, qui n'était que factice, commença à se décomposer, car sa mission était remplie. Aussi dès l'aurore du Christianisme voit-on apparaître les premiers linéaments d'une nouvelle société beaucoup plus compacte et d'une nature bien différente. L'unité romaine, avons-nous dit, était factice : en effet, il y avait dans l'Empire unité de pouvoir; mais chacune des diverses nations qui le composaient avait conservé ses lois, ses mœurs, ses usages, ses préjugés, sa religion, de sorte que cette unité était purement matérielle, et n'avait rien d'intellectuel, rien de spirituel. Il n'en fut pas ainsi de la petite Société Chrétienne qui commençait à se former. Dès ses premiers pas on remarque en elle une tendance à l'unité de sentiments et de croyances. C'est que l'Évangile avait proclamé que tous les hommes étaient libres et frères. Mais que de sang cette sainte vérité va faire couler ! que de siècles vont passer avant qu'elle puisse être bien conçue et mise en ap-

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plication ! Il y a dix-huit cents ans qu'elle a été promulguée pour la première fois, et nous avons encore des esclaves, et tous les chrétiens loin de vivre en frères ne connaissent encore de la Fraternité Évangélique que le nom. Ah ! c'est que les préjugés sont d'autant plus enracinés dans le cœur de l'homme qu'ils se trouvent liés à son orgueil ou à son intérêt personnel. Pour juger sainement de l'époque dont nous parlons, il faut se représenter les peuples d'alors tels qu'ils étaient réellement, et l'on ne s'étonnera plus qu'il ait fallu dix-huit siècles pour amener la société au point où nous la voyons. Si les Romains fussent restés maîtres de l'Empire, le Christianisme eût fait moins de progrès parmi eux. La prospérité enfle le cœur des hommes, et leur laisse peu d'instants pour penser aux choses éternelles. D'un autre côté, la Religion nouvelle serait restée inconnue aux nombreuses populations de l'est et du nord de l'Europe; mais des hordes de barbares, poussées par la rapacité et par le besoin de combattre, se jettent tout à coup sur l'Empire et en inondent toutes les possessions. Cette époque fut certes une des plus douloureuses pour l'humanité ; cependant la Divine Providence, qui laisse les nations aussi libres de leurs actions que les individus, sut tirer le plus grand bien de cette horrible catastrophe. Le reste des vaincus fut plus facilement porté à adopter le Christianisme qui offre tant de consolations aux malheureux, et les vainqueurs, ne pouvant méconnaître

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la supériorité intellectuelle de ceux qu'ils avaient soumis par la force des armes, courbèrent eux-mêmes la tète devant la force morale et spirituelle du Livre Divin que les vaincus leur expliquèrent. C'est ainsi que les peuples les plus hétérogènes se trouvèrent disposés, par suite de ce mélange, à constituer plus tard cette unité chrétienne du moyen âge qui cause aujourd'hui l'admiration de tous les penseurs. Mais, à l'époque dont nous parlons, la Religion Chrétienne avait déjà perdu sa pureté primitive. Le dogme de la Trinité des personnes avait engendré une foule d'hérésies. Les théologiens passent leur vie à se disputer, à s'anathématiser; mais il y a dans le peuple de nombreux chrétiens qui, sans s'occuper des discussions théologiques, vivent conformément aux préceptes de l'Évangile. Ceux-là seuls constituaient la véritable Église du Seigneur, et quelles qu'aient été d'ailleurs leurs erreurs au sujet des vrais dogmes, ces erreurs appartenaient à leur siècle, et ne leur furent point imputées, parce que le Seigneur n'a égard qu'au bien ou au mal de la vie, l'erreur non-confirmée n'étant point le fait de l'homme, mais le résultat des temps et des lieux. Bientôt l'orgueil et l'ambition des chefs de l'Église, que la funeste rivalité des princes se chargeait d'alimenter, ne connurent plus de bornes; mais la Divine Providence sut encore tirer du bien de ces passions désastreuses. Les peuples, victimes des déprédations et des fureurs de leurs maîtres, sanction8*.

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nèrent avec joie la prééminence du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et de ce moment l'unité catholique fut définitivement établie. Elle eut pour résultat la réunion de tous les peuples de l'Occident en une seule grande famille. Ce fut là sa mission, mais dès qu'elle l'eut remplie, elle dut commencer à s'affaiblir'insensiblement pour disparaître comme l'unité romaine, parce que l'une et l'autre elles n'étaient que de simples acheminements pour arriver à la grande unité humanitaire, seul but de la Divinité ; car le Seigneur n'est pas seulement le Dieu des Chrétiens, il est le Dieu de tous les peuples de la terre; tous sont ses enfants, et il les a tous conviés au grand banquet des noces de l'Agneau. Pourquoi cette unité Catholique-Romaine si adroitement cimentée, si puissante, si respectée, fut-elle insuffisante pour remplir les vues de la Divinité? C'est parce que d'hérésie en hérésie elle était tombée dans l'idolâtrie la plus grossière; c'est parce que ses chefs s'étaient arrogé la puissance divine, et avaient placé leurs décisions au-dessus de la Parole de Dieu ; c'est parce qu'ils avaient enlevé cette Parole au peuple avec défense expresse de se la procurer; c'est enfin parce qu'ils avaient détruit la foi vivifiante en abolissant, sous peine de mort naturelle et spirituelle, la liberté de conscience, de toutes les libertés la plus précieuse à l'homme. Que fût devenu pour l'humanité l'espoir d'obtenir par le progrès ce bonheur que tous les Livres Saints

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lui promettent, si une pareille puissance se fût maintenue sur la terre? Eût-il été possible de déraciner le moindre de ses vices, de détruire la plus faible de ses erreurs, de signaler la plus petite de ses hérésies, quand toute l'Europe tremblait sous ses lois? Quel aurait donc été le sort de l'humanité enlacée dans de pareilles entraves, accablée sous ce joug de fer et de plomb ; mais la Divine Providence veillait, toujours prête à tirer quelque bien des passions humaines qui de leur côté ne sommeillent jamais. Bientôt les puissances temporelles s'indignent de supporter les caprices des chefs de l'Église; les plus éclairés des laïques reconnaissent l'ambition et l'orgueil sous le masque de la paternité spirituelle, et ne voient plus dans le serviteur des serviteurs du Seigneur que l'homme qui veut tout asservir à ses lois. Enfin, tout se trouvant disposé d'avance pour une scission éclatante, le faible bandeau qui reste encore sur les yeux des peuples tombe subitement à la voix puissante dès-Luther, des Mélanchton et des Calvin. La Réforme fut donc aussi un événement providentiel d'une haute importance : le temps était arrivé de briser l'unité Catholique-Romaine qui, désormais inutile, ne pouvait que nuire aux vues miséricordieuses du Seigneur. Le coup que porta la Réforme fut terrible. Le dix-huitième siècle fut ensuite chargé d'achever l'œuvre, et l'on sait avec quel acharnement il s'en acquitta. Il faut en effet que le terrain soit entièrement déblayé pour qu'une recon-

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struction nouvelle puisse être solide. « Voici, dit le » Seigneur en parlant de notre époque, je vais faire » toutes choses nouvelles.» Il faut aussi qu'une terre couverte de ronces et d'épines soit entièrement défrichée pour que la semence qu'on y jettera ne puisse être étouffée dans sa naissance. « On ne coud pas, dit » l'Évangile, une pièce de drap neuf sur un vieil ha» bit, et l'on ne met pas de vin nouveau dans un » vieux tonneau. » L'humanité délivrée des entraves de toute espèce dans lesquelles elle avait été providentiellement retenue pour qu'elle ne tombât pas dans de plus grands malheurs, se trouve enfin en état de pouvoir marcher d'un pas ferme vers les grandes destinées qui lui ont été promises. Chacun peut, en effet, remarquer les efforts de tout genre qui, depuis plus d'un demi-siècle, manifestent la tendance de notre époque à réaliser la véritable unité religieuse et sociale. Si les essais n'ont pas toujours été heureux, c'est que tout enfantement est pénible; mais quel espoir ne devons-nous pas tirer de la différence qui existe entre la position où nous sommes et celle où se trouvait la société, lorsque l'unité Catholique-Romaine commença à se former! La boussole a mis en communication tous les peuples de la terre; l'imprimerie a répandu l'Évangile sur les plages les plus éloignées, et il n'est pas un seul point du globe où le Livre-Saint n'ait pénétré; les merveilles que produira la vapeur ne sont encore que faiblement entrevues, et l'on peut prévoir

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qu'il n'y aura bientôt plus d'obstacles capables d'isoler un peuple d'un autre. Déjà ce progrès rapide qui nous étonne n'est plus resserré dans les limites de la civilisation chrétienne; l'Orient lui-même, jusqu'au dernier siècle si immobile, se met aujourd'hui en mouvement; tout enfin se modifie, tout se dispose pour la grande fusion. Est-ce à dire pour cela qu'il n'y aura plus sur terre qu'un seul peuple, qu'un seul culte externe? Loin de nous une telle idée qui ne saurait être qu'une utopie. L'unité ainsi conçue serait tout à fait en opposition avec les lois de l'ordre. Le principe important qui domine toutes les belles théories de Swedenborg, et qu'on ne doit jamais perdre de vue, c'est que l'unité résulte de la diversité, mais d'une diversité telle que toutes les parties concourent, chacune selon sa nature, à la perfection du tout. C'est ainsi que les milliers de miliers de parties qui composent le corps humain diffèrent]toutes les unes des autres, et concourent cependant par une disposition harmonique à constituer cette unité qu'on appelle homme. La grande unité humanitaire se formera donc de toutes les unités nationales qui devront nécessairement différer toutes entre elles. C'est ainsi que dans le corps humain, le cœur qui en est une unité partielle diffère du poumon qui en est une autre; le foie n'est pas semblable à la rate, l'œil à l'oreille. Or, tout n'est-il pas maintenant en travail pour

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former ces unités nationales indispensables à la constitution de la grande unité? Chaque peuple n'est-il pas porté par une impulsion secrète à désirer l'unité dans ses usages, dans ses lois, dans son gouvernement? Si chaque nation souffre dans l'état social actuel, c'est parce qu'aucune n'est encore parvenue à former une véritable unité; car, lorsqu'il n'existe pas une harmonie parfaite entre les milliers de parties différentes qui composent un organe du corps humain, cet organe ne peut pas remplir parfaitement ses fonctions, et moins il y a d'harmonie entre ces parties et plus l'organe souffre. C'est ainsi que chaque nation éprouve plus ou moins de souffrances selon que les diverses parties qui la constituent s'éloignent plus ou moins de l'état harmonique. La véritable unité nationale ne pourra donc se former que lorsque toutes les divisions territoriales, et particulièrement les communes, seront elles-mêmes de véritables unités; et les communes ne parviendront à cet état que lorsque les hommes qui les composent mettront le devoir au-dessus du droit, et seront convaincus que le tout se porte mal et que les parties souffrent dès que l'une d'elles ne remplit pas convenablement les fonctions qui résultent de son organisation particulière. Ainsi, pour que l'humanité puisse rentrer dans l'ordre dont elle est sortie à son grand détriment, il faut qu'il y ait d'abord régénération dans les individus. Cette régénération conduira ensuite à rétablir

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successivement l'harmonie dans les unités partielles qui concourent à composer, chacune dans leur ordre, la grande unité sociale. Mais quelle sera dans l'ordre spirituel la doctrine destinée à former et à diriger cette grande unité? Ce sera, selon les promesses du Seigneur, la doctrine céleste de sa Nouvelle Église, de cette Nouvelle Jérusalem qu'il nous a annoncée pour l'époque où il ferait toutes choses nouvelles; et ce ne peut être qu'elle, car elle seule est capable de rallier les hommes en les régénérant ; elle seule peut convenir aux Chrétiens de toutes les communions; elle seule enfin est susceptible d'être admise par tous les peuples de la terre. En effet, pour elle le culte intérieur est l'important, le culte extérieur n'est qu'un accessoire; celui-ci est à celui-là ce que le vêtement est à l'homme. Est Novi-Jérusalémite, non pas celui qui s'annonce comme tel, mais seulement quiconque adore Dieu en esprit et en vérité, c'est-à-dire, quiconque reconnaît le Seigneur comme seul Dieu du ciel et de la terre, et conforme sa vie aux préceptes du Décalogue, quelle que soit d'ailleurs la forme dont il revêt ce culte intérieur. Est-il une doctrine plus simple et en même temps plus conforme aux idées de tous les hommes de bien, de quelque nation qu'ils soient, plus propre enfin à remplir les préceptes de l'Évangile, à faire cesser toute division religieuse entre les hommes, et à établir le règne de la fraternité sur la terre ?

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Ainsi, unité de culte quant à l'intérieur pour tous les peuples de la terre, l'adoration d'un seul Dieu en esprit et en vérité; diversité de culte quant à l'extérieur, chaque nation, chaque communauté d'habitants, chaque individu étant libre de manifester son adoration de la manière qui lui semble le plus en rapport avec ses sentiments intérieurs. C'est bien là l'accomplissement de cette vérité primordiale : l'unité résulte de la diversité; c'est bien là, dans sa plus grande extension, cette précieuse liberté de conscience sans laquelle le culte de l'homme ne saurait être agréable au Seigneur. Est-il une seule des autres Communions chrétiennes qui puisse offrir une doctrine aussi propre à satisfaire l'esprit et le cœur de tous les amis de l'humanité, aussi conforme à l'idée que la raison éclairée doit se faire de la Divinité et du culte qui lui est dû ? Le SEMEUR prétendrait-il opposer à la doctrine du devoir, qui est la nôtre, la doctrine des Réformés qui n'est autre que celle du droit individuel? Qui ne sait que la liberté individuelle absolue renferme en elle-même l'anarchie universelle? Qui ne sait que la doctrine protestante conduit directement au fatalisme, elle qui déclare que l'homme n'a ni bien ni mal en soi; elle qui prétend qu'il est privé du libre arbitre spirituel ; elle, en un mot, qui admet la prédestination? Peut-il exister un principe plus anti-social, un dogme plus anti-religieux? Le SEMEUR, à la vérité, fait tous ses efforts pour répandre une morale pure

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et évangélique; mais il n'en est pas moins certain que telle est la métaphysique transcendentale des docteurs Réformés. Le Catholicisme-Romain n'a jamais cessé, il est vrai, de faire des efforts pour reconstituer l'unité, et chaque jour il proclame encore à haute voix qu'elle ne saurait exister que dans son sein. C'est cette persistance qui a frappé quelques esprits justement effrayés des malheurs que l'individualisme a causés, et qui leur a fait croire que Rome pourrait être une arche de salut; mais on a pu voir par ce qui précède, en quoi consiste l'unité Catholique-Romaine, et combien elle est opposée aux lois de l'ordre divin qui exigent, pour qu'il y ait perfection tant au matériel qu'au spirituel, que l'unité soit le résultat d'une diversité harmonisée. On a pu voir aussi que cette unité factice était nécessaire aux vues de la Providence dans le moyen âge et qu'elle a commencé à se décomposer, du moment où son action n'aurait plus été qu'un obstacle à ces mêmes vues; aujourd'hui elle n'est plus qu'une ombre, et il y a pour elle impossibilité absolue de se reconstituer. Le monde ne rétrograde pas, et une fois que les institutions sont mortes, elles ne revivent plus. Puissent ces considérations générales engager les véritables amis de l'humanité à étudier sérieusement notre doctrine ! Elle seule est capable de réaliser leurs espérances.

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APHORISMES DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Tout ce qui existe dans l'univers se rapporte au bien et au vrai, ou au mal et au faux. Les choses qui sont conformes aux lois de l'ordre divin se rapportent au bien et au vrai, et toutes celles qui sont opposées aux lois de cet ordre se rapportent au mal et au faux. Il y a en l'homme deux facultés qui le constituent, la volonté et l'entendement; et telles elles sont en lui, tel il est lui-même. C'est par ces deux facultés que l'homme se distingue des bêtes, parce que par son entendement il peut voir les vérités divines, et par sa volonté percevoir les biens divins ; c'est ainsi que par elles l'homme peut être conjoint à la Divinité. Comme tout dans l'univers se rapporte au bien et au vrai, ou au mal et au faux, de même en l'homme tout se rapporte à la volonté et à l'entendement, parce que la volonté est le récipient du bien ou du mal, et l'entendement le récipient du vrai ou du faux. La volonté de l'homme est l'être même de sa vie,

APHORISMES.

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et l'entendement en est {'exister : ainsi la vie de la volonté est la vie principale de l'homme, et la vie de l'entendement en procède, comme la lumière procède du feu ou de la flamme. La volonté et l'entendement constituent un seul mental (mens) ou une seule âme. Ces deux facultés de la vie ne doivent faire qu'un, pour que l'homme soit véritablement homme. La volonté et l'entendement dans l'autre vie sont ramenés à l'unité; car il n'y est pas permis d'avoir un mental divisé. L'homme sait à peine distinguer entre l'entendement et la volonté, parce qu'il n'aperçoit qu'à peine la différence qui existe entre penser et vouloir. L'homme a été créé de telle sorte qu'il est tout à la fois dans le monde spirituel et dans le monde naturel; et parce qu'il a été ainsi créé, il y a en lui un interne et un externe, ou un homme interne et un homme externe. L'homme interne est spirituel, l'homme externe est naturel. Ainsi le monde spirituel et le monde naturel sont conjoints en l'homme. De là, l'homme est tel qu'il peut porter ses regards en haut vers le Ciel, et en bas vers le monde. L'homme interne ou spirituel, et l'homme externe ou naturel sont absolument distincts l'un de l'autre. La distinction qu'il y a entre eux est semblable à celle qui existe entre la cause et l'effet, entre ce qui est antérieur et ce qui est postérieur. Ainsi, ils ne sont pas continus, mais contigus.

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APHOR1SMES

Dans l'interne, il y a des milliers de milliers de choses qui apparaissent dans l'externe comme une seule chose, l'ar conséquent, plus la pensée et la perception sont intérieures, et plus elles sont claires. De là résulte que l'homme doit être dans les internes. L'homme s'élève quand il porte ses regards vers les choses spirituelles; et autant il s'élève des externes vers les internes, autant il vient dans la lumière, et ainsi dans l'intelligence ; c'est là ce que les anciens appelaient être séparé des objets sensuels. L'influx procédant de la Divinité s'effectue par l'homme interne dans l'homme externe. En effet, les intérieurs peuvent influer dans les extérieurs, mais jamais les extérieurs n'influent dans les intérieurs ; par conséquent il existe un influx spirituel, et il n'y a point d'influx physique. L'homme spirituel ou interne peut voir ce qui se fait dans l'homme naturel ou externe; mais l'homme naturel ne voit pas ce qui se fait dans l'homme spirituel, puisque le spirituel influe clans le naturel et non le naturel dans le spirituel. Toutes les choses du monde naturel viennent de la Divinité par l'intermédiaire du monde spirituel. De là le spirituel est dans toute chose naturelle, comme la cause est dans l'effet, comme l'effort est dans le mouvement, comme l'interne est dans l'externe. Entre les naturels et les spirituels il y a correspondance, et les choses qui existent par les spiri-

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tuels dans les naturels sont des Représentations. De là vient que toute la nature est le théâtre représentatif du monde spirituel. L'homme naturel, par sa lumière appelée lumière de la nature, ne sait rien sur Dieu, sur le ciel, sur la vie après la mort; il n'en croit rien quand il en entend parler, à moins que la lumière spirituelle n'influe dans cette lumière naturelle. La lumière spirituelle est la lumière procédant du Ciel. L'homme naturel est de lui-même opposé à l'homme spirituel, car il lui est opposé dès sa naissance. C'est pourquoi, tant que cette opposition existe, l'homme est dans un état de gêne quand il pense aux objets spirituels et célestes, et il éprouve de la satisfaction quand il pense aux objets naturels et corporels. Le sensuel est chez l'homme le dernier degré de la vie, adhérent et inhérent s. son corporel. L'homme sensuel est celui qui juge et conclut d'après les sens du corps, et qui ne croit que ce qu'il peut voir de ses yeux et toucher de ses mains. Un tel homme pense extérieurement et non intérieurement en soi. Ses intérieurs sont entièrement fermés. Les hommes sensuels raisonnent avec hardiesse et adroitement, parce que leur pensée est si près de leur parole qu'elle se confond presque avec elle, et parce qu'ils fondent toute leur intelligence sur cette parole qu'ils tirent de leur seule mémoire; mais ils raisonnent d'après les illusions des sens qui séduisent

le vulgaire. 9*.

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APHOR1SMES

Si la pensée n'est point élevée au-dessus des choses sensuelles, l'homme n'a que peu de sagesse. L'homme sage pense au-dessus du sensuel. Quand l'homme élève sa pensée au-dessus du sensuel, il entre dans une lumière plus claire, et enfin dans la lumière céleste. Sur l'Amour en général. L'amour est une chaleur spirituelle, et le principe vital même de l'homme. L'homme a pour fin ce qu'il aime par-dessus toutes choses. Ce que l'homme aime et a pour fin règne universellement en lui, c'est-à-dire, dans toutes ses affections, dans toutes ses pensées, dans toutes ses paroles et dans toutes ses actions. Il y a en conséquence dans chaque homme un amour dominant; tel est cet amour, telle est la vie de l'homme, et tel est même l'homme tout entier; car ce que l'homme aime par-dessus toutes choses est sans cesse présent à sa pensée ainsi qu'à sa volonté, et fait sa vie la plus intime; ainsi, c'est l'amour dominant qui fait l'homme. Cet amour a sous ses ordres d'autres amours qui ne sont que des dérivations de lui-même; ils paraissent sous une autre forme, mais néanmoins ils sont tous individuellement compris dans l'amour dominant et ne font qu'un avec lui.

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L'amour dominant est leur chef et les dirige; c'est par eux comme par des fins moyennes qu'il vise et tend à sa fin, et cela, tant directement qu'indirectement. L'homme étant absolument tel qu'est l'amour dominant de sa vie, se trouve distingué des autres hommes par cet amour, qui constitue son ciel, s'il est bon ; et son enfer, s'il est mauvais : cet amour dominant est sa volonté, son propre, sa nature, puisqu'il est l'être de sa vie, et il ne peut être changé après la mort de l'homme, puisqu'il est l'homme lui-même. Tout plaisir, toute volupté, tout bonheur, toute félicité, toute joie du cœur, procèdent dans chaque homme de son amour dominant, et leur qualité est selon la qualité de cet amour. Ce qu'il aime, l'homme l'appelle un plaisir; ce qu'il pense et n'aime pas, il peut aussi l'appeler plaisir, mais ce n'est pas le plaisir de sa vie. Le plaisir de son amour est pour l'homme le bien, et ce qui est contraire à ce plaisir est pour lui le mal. Il y a deux amours d'où découlent tous les biens et toutes les vérilés comme de leurs sources mômes. Ce sont l'amour envers le Seigneur et l'amour à l'égard du prochain. Ces deux amours font le ciel en l'homme; ils ouvrent et forment l'homme spirituel, parce qu'ils résident en lui. Il y a deux amours d'où dérivent tous les maux et toutes les faussetés. Ce sont l'amour de soi-même et

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APHORISMES

l'amour du monde. Ces deux amours sont entièrement opposés aux deux premiers; ils font l'enfer en l'homme; ils ferment et détruisent l'homme interne ou spirituel quand ils dominent, et alors ils font que l'homme est naturel et sensuel selon le degré de leur domination. Sur les Amours de soi-même et du monde. L'Amour de soi-même consiste à ne vouloir du bien qu'à soi seul, et à n'en vouloir aux autres, c'està-dire, à l'humanité, à la patrie, à ses concitoyens que par rapport à soi-même, de sorte qu'on ne leur fait du bien qu'en vue de la réputation, des honneurs et de la gloire qu'on espère en retirer. Aimer exclusivement les siens, c'est-à-dire, ses enfants, ses descendants, et en général tous ceux qui flattent, honorent et rendent une sorte de culte, c'est aussi s'aimer soi-même ; car c'est les considérer comme en soi, et se considérer comme en eux. Faire du bien par ostentation, c'est encore être dans l'amour de soi. L'homme est dans l'amour de soi-même, lorsqu'il regarde comme ennemis ceux qui ne lui sont pas favorables, qui ne !s révèrent pas, et qui ne lui rendent point hommage ; et surtout lorsque, pour cette raison, il les prend en haine, les persécute, brûle du désir de se venger et aspire à leur perte. L'Amour du monde consiste à vouloir attirer à

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4OS

soi les richesses des autres par quelque moyen et par quelqu'artifice que ce soit. Ceux qui sont dans cet amour brûlent du désir de posséder tout ce qui appartient à autrui, et mettraient ce désir à exécution, s'ils ne craignaient l'action des lois et la perte de leur réputation qu'ils ne ménagent que par avidité pour le gain. Cependant l'amour du monde n'est pas aussi pernicieux que l'amour de soi-même, parce qu'il n'y a pas autant de maux renfermés en lui. L'amour du monde se divise en plusieurs espèces ; les principales sont : l'amour des richesses pour s'élever aux honneurs et aux dignités ; l'amour des honneurs et des dignités pour obtenir les richesses; l'amour des richesses pour les différents usages qui procurent des jouissances et des délices dans le monde ; l'amour des richesses pour les richesses elles-mêmes : ce dernier amour est celui des avares. La fin pour laquelle on désire les richesses est l'usage, et c'est de cette fin que l'amour tire sa qualité. L'amour de soi-même et l'amour du monde sont destructifs de l'Ordre social humain et de l'Ordre céleste. Les hommes n'ont établi des gouvernements, et ne se sont soumis à des puissances, que pour se mettre en sûreté contre les maux qui résultent de ces deux amours. Car des amours de soi-même et du monde proviennent l'inimitié, la haine, la vengeance, la cruauté, les trahisons, et en général tous les maux.

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APHORISMES

Chez ceux qui sont dans les amours de soi-même et du monde, il y a des liens externes, mais aucun lien interne. Aussi du moment que les liens externes sont ôtés, ils se précipitent dans toute sorte de crimes. Les liens externes sont la crainte de la loi et des châtiments, et celle de la perte de la réputation, de l'honneur, du gain, des emplois et de la vie. Ces amours se précipitent avec impétuosité tant qu'on leur lâche la bride, et l'amour de soi-même s'élance jusqu'au trône céleste. Pour lui il n'y a ni terme, ni limite. Quoique cet esprit de domination ne se manifeste pas devant le monde où il est retenu par les liens externes, il est néamoins caché en tous ceux qui sont dans l'amour de soi. Lorsqu'il rencontre dans ses projets un obstacle insurmontable, il s'arrête jusqu'à ce qu'il puisse les accomplir. De là vient que l'homme, qui est dans l'amour de soi-même, ne sait pas qu'une cupidité si insensée et si effrénée est cachée au fond de son cœur. Cependant l'histoire de tous les peuples prouve qu'il en est ains,i. Une fois que les puissants de la terre ne sont plus retenus par toutes ces craintes et par ces obstacles, ils se précipitent sur les pays qu'ils convoitent, les subjuguent autant que le sort des armes leur est favorable, et aspirent à une puissance et à une gloire sans bornes. L'influence de cet amour est encore plus forte chez ceux qui veulent étendre leur domination jus-

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

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que dans le Ciel ; ils s'arrogent la Toute-Puissance Divine du Seigneur, et désirent encore sans cesse aller au-delà. Il y a deux genres de domination : l'une est celle qui résulte de l'amour à l'égard du prochain ; l'autre est celle qui résulte de l'amour de soi-même. Ces deux dominations dans leur essence sont diamétralement opposées entre elles; l'une est céleste et l'autre infernale. L'amour de la domination reste en chacun après sa vie dans le monde, et fait son bonheur ou son malheur, selon qu'il provenait de l'amour à l'égard du prochain ou de l'amour de soi-même. L'amour de soi-même ne peut pas être reconnu à l'apparence extérieure, ni à l'état d'élévation ou d'abaissement, car les affections sont dans l'homme interne. Or, l'homme interne est le plus souvent caché, et l'homme externe est habile à feindre les affections de l'amour du bien public et du prochain ; cette feinte est encore un effet de l'amour de soi-même; car ceux qui sont dans cet amour savent qu'aimer le bien public et le prochain, c'est charmer tous les hommes et attirer leur affection et leur estime. Tous les maux tirent en général et en particulier leur origine de l'amour de soi-même ou de l'amour du monde; et comme il est évident que l'homme naît dans ces deux amours qui constituent son propre, il en résulte qu'il naît dans les maux de tout genre, et qu'il doit renaître, c'est-à-dire, se régénérer.

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APHOR1SMES

Les maux héréditaires dérivent des pères, des ai'eux et des ancêtres dans la série la plus éloignée. A ses maux héréditaires, l'homme en ajoute d'après lui-même de nouveaux qui sont appelés maux actuels. Nul ne porte dans l'autre vie la peine de ses maux héréditaires, mais il porte celle de ses maux actuels qui alors reviennent. L'homme ne peut connaître quels sont les biens, s'il ne sait d'abord quels sont les maux; c'est pour cela qu'il a été parlé de la double origine des maux, avant de dire d'où découlent les biens. Sur l'Amour envers le Seigneur. Dieu ou le Seigneur est l'Amour Même. Trois choses constituent l'essence de l'Amour Divin : 1° Aimer les autres hors de soi ; 2° Vouloir ne faire qu'un avec eux ; 3° Faire leur bonheur par soi. C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour d'aimer les autres hors de soi, que Dieu a créé l'univers pour pouvoir étendre son amour sur lui. C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour de vouloir ne faire qu'un avec les autres, que Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance, c'est-à-dire, susceptible de recevoir son Amour et sa Sagesse, et de se conjoindre à son Créateur.

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CONSIDÉRATIONS

irrécusable qu'il est de toute impossibilité que la Bible ne renferme pas un sens caché ou interne ; il nous suffit pour cela d'ouvrir les premiers Chapitres de la Genèse. Est-il aujourd'hui un seul homme d'un jugement sain qui puisse admettre que la Divinité ait été occupée six jours à créer l'univers? Est-il une seule personne douée d'une intelligence ordinaire qui puisse reconnaître comme vraies toutes les circonstances rapportées par la Bible sur cette création? Il est dit, par exemple, que la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, le matin et le soir, les herbes et les arbres, les semences et les fruits furent créés avant le soleil, la lune et les étoiles. Comment est-il possible de concevoir que ces effets aient pu être produits sans l'existence et l'influence du soleil ? Dans le premier Chapitre, il est dit que Dieu fit l'homme mâle et femelle; et dans le second, après les six jours de la création, on lit qu'il n'y avait point d'homme pour cultiver la terre, et qu'alors Dieu forma l'homme de la poussière de la terre. Peut-il exister une contradiction plus manifeste? Pourquoi est-il défendu à l'homme placé dans le jardin d'Éden de manger du fruit d'un seul arbre, lorsqu'on lui permet de manger des fruits de tous les autres? N'est-ce pas là lui tendre un piège? Une telle supposition peut-elle être admise par un homme raisonnable ? Que dire de cette côte tirée d'Adam pendant son

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

» » » » »

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brode tout ce qui passe par l'imagination, quand on détruit le sens naturel de chaque passage pour y substituer un sens caché, et qu'on change la signification des mots pour leur faire dire autre chose qu'ils ne disent ! » Le SEMEUR a cru sans doute présenter un argument irrésistible, tandis qu'il nous place, au contraire, dans la position la plus avantageuse pour lui répondre. Si, comme le prétend le SEMEUR, la Bible n'a pas de sens caché, elle doit être prise tout entière dans le sens de la lettre. Dès lors, le clergé CatholiqueRomain ne devrait pas être blâmé par lui d'avoir établi la puissance de son chef et la prééminence de sa doctrine sur ce passage de l'Évangile : « Et Moi » aussi je te dis que toi tu es Pierre (Roc); et sur ce » roc je bâtirai mon Église. » — Matth. XVI. 18.— Nous savons bien qu'il répondra que c'est à tort que le Catholicisme-Romain se prévaut de ce passage, et qu'il en est une quantité d'autres qui condamnent sa doctrine; mais les Catholiques-Romains vous citeront à leur tour mille passages qui réprouvent la vôtre. Que conclure de là, sinon que chaque communion chrétienne a toujours cherché à torturer les Écritures pour les rendre applicables à la doctrine qu'elle s'est faite? C'est d'ailleurs ce que personne n'ignore aujourd'hui. Mais, ne nous arrêtons pas à ces subtilités, et arrivons au fait principal, en prouvant d'une manière

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CONSIDÉRATIONS

primaient leurs idées par des représentations, et qu'on avait la plus haute estime pour ceux qui montraient le plus d'habileté à décrire les sujets moraux et spirituels sous des formes historiques. Toute la littérature des anciens orientaux, aujourd'hui mieux connue, prouverait encore, s'il était nécessaire, que cette coutume d'écrire par représentation était généralement en usage dans les temps reculés. Et cependant, lorsque Swedenborg offre la clé qui peut seule ouvrir les trésors cachés dans la Bible; lorsqu'on peut s'assurer qu'avec cette clé la Genèse et l'Apocalypse, les deux ouvrages les plus inintelligibles dans le sens de la lettre, se trouvent néanmoins expliqués mot par mot, et présentent alors les vérités les plus utiles à l'homme; lorsqu'il serait même facile de se convaincre qu'avec la même clé on pourrait, mieux qu'avec la science des Champollion, expliquer les monuments de l'antiquité, qui, depuis si longtemps, exercent la sagacité des archéologues; lorsqu'enfin tant de témoignages se réunissent en faveur des assertions de Swedenborg, il y a encore, malgré cela, des hommes religieux qui, sans vouloir examiner le plus ou moins de fondement qu'elles peuvent avoir, décident de leur autorité privée que la Bible ne renferme aucun sens caché. C'est, en effet, ce qui résulte de ce passage d'un des journaux de la Réforme, le SEMEUR : « Comment, » dit-il, ne pas sentir que la Bible n'est plus qu'un » canevas dont on fait ce qu'on veut, sur lequel on

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CONSIDERATIONS SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

Notre doctrine, comme celle de toutes les communions chrétiennes est fondée sur la Bible, car l'on ne saurait être chrétien sans reconnaître l'Évangile, et l'Évangile confirme l'Ancien Testament ; mais nous différons des autres communions, en ce sens que chacune d'elles prend ça et là dans la Parole quelques passages dont elle torture le sens pour confirmer sa doctrine, tandis que nous, au contraire, nous disons qu'il y a dans toutes les phrases de la Parole un sens interne caché dans le sens de la lettre, ou, en d'autres termes, que les choses célestes y sont représentées par des choses naturelles, et nous appuyons notre doctrine sur le sens externe éclairé par les ilôts de lumière qui jaillissent du sens interne. Sans répéter ici ce que nous avons déjà dit sur la mission donnée à Swedenborg, nous ferons remarquer que cette manière de considérer la Bible n'a rien qui puisse choquer l'esprit; car il est bien reconnu maintenant que les plus sages des anciens ex-

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APHORISMES DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Elles constituent des actes de vraie charité, si elles sont faites par un pur amour pour la société et pour les individus. Elles ne sont pas des actes de vraie charité, si elles sont faites par des motifs de vaine gloire, d'amour de la renommée, d'hypocrisie, ou par quelqu'autre considération personnelle.

DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

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II faut aussi distinguer entre les devoirs de la charité et les bienfaits de la charité. Par devoirs de la charité on doit entendre les exercices de charité qui procèdent immédiatement de la charité même, et qui consistent principalement pour chaque homme à se conduire avec justice et sincérité dans son emploi. Les bienfaits de la charité sont de donner aux pauvres et de secourir les indigents, mais avec prudence. Si une infortune grave, un malheur récent, un dénuement complet doivent être, autant que possible, immédiatement secourus, il n'en est pas de même des. pauvres de profession, il faut agir envers eux avec discernement et intelligence et non pas indistinctement. Celui qui porte secours h quelque pauvre malfaisant fait du mal au prochain par ce pauvre lui-même, si le secours qu'il lui porte le confirme dans le mal, et lui procure le moyen de nuire aux autres. On croit en général que la charité consiste uniquement à donner aux pauvres, c\ soulager les nécessiteux, à secourir les veuves et les orphelins, à fonder des hôpitaux et surtout à faire des donations pour construire ou orner des édifices religieux. On voit par les principes précédents que ces choses ne constituent pas à proprement parler la vraie charité. Elles peuvent être ou ne pas être des actes de vraie charité ; tout dépend des motifs et de l'intention des personnes qui les font.

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APHORISMES

ce que l'on fait, et à s'acquitter de son devoir dans tous les emplois. Quiconque, dans quelqu'état que ce soit, fait son devoir par amour de son devoir, et agit avec justice par amour pour la justice, exerce la charité. Mais s'il fait son devoir et agit avec justice, en vue de soi-même et du monde, il n'exerce pas la charité. En effet, la charité est une affection interne qui pousse l'homme à faire le bien par pur amour du bien et de la justice, et sans aucun égard à la récompense ou à la réciprocité ; car elle porte avec elle sa récompense, en procurant à celui qui l'exerce la plus grande et la plus pure satisfaction. Ainsi, la vraie charité ne saurait être méritoire; elle chasse loin d'elle toute idée de mérite, parce qu'elle sait que le bien vient du Seigneur Seul, et appartient au Seigneur Seul. L'homme naissant dans le mal, la première action de la charité, c'est de ne pas faire de mal au prochain; la seconde, c'est de lui faire du Lien. La charité et les œuvres sont deux choses distinctes, comme la bienveillance et la bienfaisance. Les œuvres sont bonnes, et par conséquent œuvres de la charité, si la bienfaisance est le résultat de la reconnaissance d'un bien réel dans la personne. Les œuvres ne sont pas des œuvres de charité, si la bienfaisance est le résultat d'une préférence envers la personne résultant de toute autre cause.

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par la nourriture qui lui est nécessaire, c'est-à-dire, par les choses qui appartiennent à l'intelligence et à la sagesse, dans la seule fin que cet esprit le mette en état d'être utile à ses concitoyens, aux diverses branches de la société, à la patrie et à l'humanité, et par conséquent de servir le Seigneur comme le Seigneur veut être servi. Agir ainsi, c'est pourvoir à son bien-être pour l'éternité. La fin montre comment chacun doit être son propre prochain, et comment il doit songer à soi. Si la fin est de devenir plus riche que les autres uniquement pour l'amour des richesses ou des voluptés ou des dignités, ou pour tout autre motif personnel, cette fin est mauvaise, et celui-là n'aime pas le prochain, il s'aime lui-même. Mais si la fin est de s'enrichir, ou d'obtenir des emplois pour être en état de secourir ses concitoyens, une société petite ou grande, la patrie, l'humanité, alors la fin est bonne, et celui-là aime le prochain. La fin pour laquelle l'homme agit fait l'homme ; car elle est son amour, chacun ayant pour fin première et dernière ce qu'il aime par-dessus tout. La CHARITÉ est l'amour à l'égard du prochain. Elle consiste à agir prudemment, et à avoir pour but quelque bien. Elle consiste encore à agir avec droiture dans tout 10*.

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APHOR1SMES

Aimer le Seigneur, c'est donc aimer le bien partout où on le découvre, mais toutefois en suivant de préférence l'ordre qui vient d'être établi ; c'est ainsi que l'amour du prochain se conjoint avec l'amour de Dieu, ces deux amours ayant uniquement pour objet le bien comme émanant du Seigneur, et comme reçu par l'homme ; le plus ou le moins de réception par l'homme en fait la différence. Tels sont les degrés ascendants du prochain ; ils forment comme les étages successifs d'une tour au sommet de laquelle est le Seigneur. L'on dit communément que chacun est son prochain à soi-même, c'est-à-dire, que chacun doit se pourvoir d'abord. La doctrine de la charité enseigne comment cela doit s'entendre. Chacun doit songer à se procurer les nécessités de la vie, comme la nourriture, l'habillement, le logement et les autres objets indispensables dans la vie civile, et il doit y pourvoir non-seulement pour soi, mais pour les siens ; non-seulement pour le présent, mais pour l'avenir : car si quelqu'un ne se procure pas les nécessités de la vie, il ne peut être en état d'exercer la charité, puisqu'il se trouvera lui-même dans l'indigence. Ainsi, la première obligation de chacun est de pourvoir à son propre corps par les aliments dont il le nourrit, et par le vêlement dont il le couvre, dans la seule fin de se procurer un esprit sain dans un corps sain. Chacun doit aussi pourvoir à son esprit

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Aimer la patrie, c'est aimer le salut commun; on doit donc l'aimer non comme soi-même, mais de préférence à soi-même. Cette loi est gravée dans le cœur humain, c'est d'elle que vient cette maxime de tous les temps et de tous les pays : // est glorieux de mourir pour la patrie. Les hommes étant tous frères, enfants d'un même père, le Seigneur, l'humanité entière, qui est la réunion de tous les hommes vivants, doit être le prochain de préférence à la patrie, car l'humanité entière est à la patrie ce que la patrie est à la petite société dont chacun de nous fait partie. Aimer l'humanité, c'est donc préférer le bien de tous les hommes en général au bien des compatriotes, de même qu'on doit préférer le bien de ceux-ci au bien des hommes d'une société quelconque, et celui de ces derniers au bien privé. Le Royaume du Seigneur est le prochain dans un degré encore supérieur, parce qu'il est formé de tous ceux qui sont véritablement dans le bien, tant de ceux qui sont encore dans le monde naturel que de ceux qui sont déjà dans le monde spirituel. Ainsi le Royaume du Seigneur réunit au bien des hommes vivants sur terre celui de toutes les générations passées; c'est pour cela qu'il doit être préféré à l'humanité contemporaine. Enfin le Seigneur, source de tout bien, est le prochain dans le degré suprême et doit être aimé par-dessus toutes choses, puisqu'il est le bien même.

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APHOR1SMES

par amour pour le bien, et selon la qualité du bien qui est en lui. Ainsi, aimer le prochain, ce n'est pas aimer la personne, c'est aimer le bien et le vrai qui sont en elle. Ceux qui aiment la personne, et non ce qui fait le prochain en elle, aiment le mal comme le bien ; ils font du bien aux méchants comme aux bons, et cependant il est généralement reconnu que faire du bien aux méchants, c'est nuire aux bons. Tout homme n'est pas le prochain au même degré, mais chaque homme est le prochain selon le degré de bien qui est en lui. Le mot prochain n'est pas restreint à l'homme en particulier, il est aussi collectif et s'applique à toute réunion d'hommes, de sorte que l'amour pour lui doit s'étendre en raison de l'importance de chacune de ces réunions. Ainsi, parce qu'une société petite ou grande est une réunion d'hommes, ou un homme au pluriel, elle doit être le prochain par préférence à un homme seul. La charité doit être exercée envers elle, comme envers l'homme individuel, c'est-cî-dire, selon la qualité du bien qui est en elle; ainsi d'une manière différente selon qu'elle est un composé d'hommes plus ou moins probes. La patrie est le prochain par préférence à une société quelconque, parce qu'elle est la réunion de toutes les sociétés particulières qui existent dans son sein. La patrie est pour l'homme comme une mère qui le nourrit et le garantit des injures.

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C'est parce qu'il est de l'essence de l'Amour de faire le bonheur des autres par soi, que Dieu a destiné le bonheur céleste à tout homme qui reçoit son amour et y répond. L'amour envers le Seigneur n'est pas un amour ayant pour objet la personne du Seigneur sans égard à ses attributs divins et à ses perfections divines, mais c'est un amour pour toutes les bontés et pour toutes les vérités qui émanent uniquement de lui. Prendre pour modèle l'Amour de Dieu, autant que cela est possible à la faiblesse humaine, c'est aimer le Seigneur. Cet amour qui consiste dans l'abnégation et le dévouement est céleste et entièrement opposé à l'amour de soi-même qui est infernal. L'égoï'sme est appelé amour; mais, considéré en lui-même, il n'est que haine; car l'égoïste n'aime personne, excepté lui, et s'il désire s'unir aux autres, ce n'est pas pour leur faire du bien, mais pour s'en faire à lui-même. L'amour envers le Seigneur ou l'amour céleste régnait sur la terre dans le commencement de la TrèsAncienne Église ou Église Adamite. Sur l'Amour du prochain ou la charité. L'Amour à l'égard du prochain, ou la charité, est l'amour spirituel. Le PROCHAIN- est celui qui doit être aimé et envers qui la charité doit être exercée. Il doit être aimé 10.

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

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sommeil pour en former la femme? Et de ce serpent, la plus rusée de toutes les bêtes, qui parle et tient une conversation avec Eve dans sa propre langue? Et de ce fruit défendu qui perdit non-seulement Adam et sa femme, mais le genre humain tout entier? Estil possible de reconnaître la Parole de Dieu dans toutes ces choses prises au sens de la lettre? Imprudents ! Et ne voyez-vous pas que c'est en agissant ainsi que vous avez exposé le Livre Saint à la risée des hommes, en les portant successivement à douter de sa Sainteté, à nier sa Divine Inspiration, et à le considérer enfin comme un tissu d'impostures offertes à la crédulité ? Cherchez autour de vous, tâchez de découvrir un homme qui puisse s'empêcher de sourire, lorsque vous lui direz, en gardant votre sérieux, qu'il est certain que Dieu a tiré la femme d'une des côtes d'Adam, et que le serpent a réellement tenu avec elle une conversation dans sa propre langue. Vous vous en garderez bien; vous ne voudriez pas vous exposer à compromettre ainsi votre dignité; et cependant, s'il n'y a pas dans la Bible un sens caché, vous êtes forcés d'admettre ce que votre propre raison rejette, ce que le sens commun ne saurait reconnaître. Tout ce que nous venons de dire de la Genèse, qui ouvre le Livre Saint, peut s'appliquer à l'Apocalypse qui le ferme; mais ici nous pouvons sans aucun inconvénient nous dispenser de faire des citations, car vous n'oseriez pas prétendre sérieusement que la il.

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CONSIDÉRATIONS

Révélation de l'Apôtre Jean doive être prise dans le sens de la lettre, et refuser de convenir qu'il y ait en elle un sens caché. Il en est de même de la plupart des écrits des prophètes; et quant aux livres historiques, dites-nous ce qu'on pourrait, aux tableaux qu'ils présentent, reconnaître de Sacré et de Divin en eux, si l'on prétend qu'ils ne renferment aucun sens interne. Vous avez, il est vrai, un très-grand respect pour la Bible, et vous faites tous vos efforts pour la répandre; en cela vous servez la cause de l'humanité, car c'est dans ce Livre seul que les hommes pourront trouver le remède à leurs maux de tout genre, lorsqu'ils sauront y découvrir les vérités divines qu'il renferme dans son sens interne. Mais, si vous persistez à dire que tout doit y être pris à la lettre, vous ne parviendrez pas à convaincre de sa sainteté la raison éclairée des peuples d'aujourd'hui, car elle ne peut plus admettre ce qui était jadis reçu sans examen par la simplicité de cœur des chrétiens primitifs; et si, lorsqu'on vous offre le seul moyen d'atteindre le but, vous continuez à le rejeter avec dédain, vous donnerez à penser par là que votre zèle pour répandre la Bible appartient plutôt au prosélytisme étroit de l'esprit de secte, qu'à la vraie charité chrétienne. Swedenborg ne se contente pas de prouver que la Bible renferme un sens caché, il donne ce sens; et tout homme qui voudra examiner avec un peu d'at-

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

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tention ses Arcanes Célestes et ses Traités suri'Apocalypse, se convaincra facilement qu'il n'y a dans ces écrits rien d'hypothétique, rien de bizarre, rien d'arbitraire, et, en un mot, rien de l'homme ordinaire. Si Swedenborg eût seulement signalé, dans le sens littéral de la Bible, certaines contradictions sans les expliquer, et sans prouver que ces explications, loin de porter atteinte au sens de la lettre, lui donnaient au contraire plus de prix, il n'eût fait que répéter ce qui avait été souvent dit avant lui; il n'eût alors été qu'un démolisseur de plus, dans ce siècle où tout croulait, où chacun, depuis le premier jusqu'au dernier degré de l'échelle intellectuelle, voulait mettre la main à l'œuvre, et détacher quelque pierre du vieil édifice ; mais il avait une mission bien différente à remplir, et c'est en cela surtout qu'on doit se garder de le confondre avec tous ceux qui se sont occupés de matières religieuses; par eux-mêmes les hommes ne savent que détruire ; par eux-mêmes ils ne pourraient réédifier, Dieu seul le peut. Swedenborg fut donc un de ces hommes extraordinaires dont la Divinité se sert comme d'instruments, aux époques funestes de calamité morale et spirituelle, alors que la société humaine, accablée sous le poids de ses maux et de ses faussetés, ne pourrait faire autrement que de succomber, si la Miséricorde Divine ne venait à son secours. Examinons maintenant en peu de mots les sujets spirituels et célestes qui sont décrits sous les formes

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CONSIDÉRATIONS

historiques que nous présente la Genèse dans ses premiers Chapitres. La création du ciel et de la terre représente spirituellement la nouvelle Création ou la Régénération de l'homme en général, et particulièrement de l'homme de la Très-Ancienne Église qui fut appelée Adam ou Homme, parce qu'elle était une Église vraiment céleste, et un modèle de toutes les vertus. Le ciel signifie l'interne de cette Église, et la terre son externe. Les six jours de travail et le septième dans lequel Dieu se reposa, après avoir terminé son ouvrage, désignent les états successifs de la Régénération de l'Église ou de l'homme, et la paix céleste qui en est la suite. Lorsqu'on connaît la signification spirituelle des mots, on n'est plus étonné de lire que les herbes et les arbres, les semences et les fruits qui représentent l'état de préparation de l'homme pour qu'ils puisse recevoir la vie spirituelle, aient été créés avant le soleil, la lune et les étoiles par lesquels sont représentés l'amour, la foi et les connaissances du bien et du vrai qui seuls procurent cette vie spirituelle. La création de l'homme au sixième jour indique que l'homme arrivé au sixième état de Régénération devient spirituel; il est alors créé homme en ce sens que sa vie précédente, comme homme purement naturel n'étant pas la vraie vie, il était au spirituel comme s'il n'eût pas existé Mais la vie spirituelle étant dans un degré de féli

SUR LE SENS INTERNE DE LA PAROLE.

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cité inférieur à celui de la vie céleste qui procure le véritable état de paix, l'homme rendu spirituel par les six.états de régénération peut obtenir cette nouvelle vie en devenant céleste; c'est alors une nouvelle transformation qui s'opère en lui. Voilà pourquoi dans le second Chapitre, où il s'agit de l'homme céleste, il est dit qu'il n'y avait point d'homme et que Jéhffcali Dieu forma l'homme, quoiqu'il ait été dit dans le premier Chapitre que Dieu avait créé l'homme; car l'homme n'étant encore que spirituel n'existait réellement pas comme homme céleste. Il n'y a plus ici de contradiction. Ce second Chapitre, depuis le septième Verset jusqu'au dix-septième, renferme la description de l'état le plus parfait de la société Adam ou de la Très-Ancienne Église. Ainsi formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, l'homme est appelé âme vivante, et il est dit qu'il fut placé dans le jardin d'Éden, nommé aussi Paradis. Ce jardin désigne l'intelligence de l'homme ou des hommes ainsi créés de nouveau et devenus célestes : leurs perceptions intérieures du Vrai et du Bien sont représentées par les arbres beaux à la vue et bons à manger. L'arbre de vies désigne leur amour et leur sagesse dérivés du Seigneur seul; et l'arbre de la connaissance du bien et du mal signifie la foi ou la science qui pouvait dériver d'eux-mêmes, ou du principe sensuel, par la voie externe opposée à l'ordre divin. C'est pour cela qu'il leur fut défendu de manger du fruit de ce

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CONSIDÉRATIONS

dernier arbre, tandis qu'il leur était permis de manger librement du fruit des autres. Il est facile maintenant de concevoir cette défense. Cette époque de l'humanité fut l'âge d'or, temps heureux dont le souvenir s'est conservé par tradition chez tous les peuples de la terre. Alors les hommes n'avaient pas besoin d'instruction externe, ils obtenaient par un influx interne toutes les connaissances qui leur étaient nécessaires. Convaincus qu'ils étaient des récipients de la vie de Dieu, ils rejetaient la trompeuse apparence que la vie dont ils jouissaient pleinement leur appartenait en propre; mais leurs descendants ne surent pas se maintenir dans cet état de bonheur céleste ; entraînés par les choses du monde extérieur, l'apparence chez eux l'emporta sur la réalité; ils crurent vivre par eux-mêmes; et, en commençant à reporter leur amour sur eux, ils se détournèrent insensiblement de la Divinité. Ce commencement d'altération du bonheur dont jouissait la société Adam est décrit dans le second Chapitre, à partir du dix-huitième Verset. D'abord, les hommes ne se contentant plus de se laisser diriger par l'influx de la Divinité, désirèrent se diriger par eux-mêmes, d'après les choses du monde, c'est-à-dire, par leur propre. Or, le propre de l'homme, qui est désigné par la côte, n'étant point encore vivifié, Jéhovah Dieu le vivifia en édifiant la côte en femme, qui désigne la volonté. Adam, ou les hommes de cette époque, eurent donc leur propre volonté; mais plus tard le serpent,

SUR LE SEXS IXTERM: DE LA PAROLE. 127 qui représente le sensuel, c'est-à-dire, la plus astucieuse de toutes les affections de l'homme externe, séduisit la femme ou la volonté, et la volonté une fois séduite entraîna le mari, c'est-à-dire, le rationnel de l'homme. Ainsi le serpent, qui par des discours trompe la femme, et par elle l'homme, n'est autre que le principe sensuel qui, par des apparences illusoires et des raisonnements plausibles mais faux, flatte et séduit d'abord la volonté ou le propre, et ensuite la faculté rationnelle elle-même. Ainsi la chute de la Très-Ancienne Église ne fut pas instantanée, mais graduelle; elle commença chez les hommes de cette Église ou société par une pente ou inclination presqu'imperceptible à se conduire par eux-mêmes, au lieu de se laisser conduire par le Seigneur;, et c'est cette inclination contraire aux lois de l'ordre, qui d'abord les fit sortir peu à peu du haut état d'intégrité et de bonheur où ils étaient parvenus; il en résulta ensuite un changement funeste dans leur volonté et dans leur entendement; mais ce changement désigné par l'action de manger du fruit défendu ne les précipita pas subitement dans le plus profond abîme de la dépravation morale, il les conduisit à un état plus prononcé d'amour de soi ou d'égoïme, et c'est cet égoi'sme qui, en faisant de génération en génération de nouveaux progrès, précipita enfin le genre humain dans un abîme de maux, et couvrit la terre de rapines et de violence. Nous n'aurions pas pu, dans un simple article pré-

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senter toutes les grandes vérités morales, spirituelles et célestes que renferment les premiers Chapitres de la Genèse, elles se trouveront d'ailleurs exposées avec leurs preuves dans les Arcanes Célestes dont nous donnons la traduction ; nous avons seulement voulu montrer combien certains passages inintelligibles ou contradictoires dans le sens de la lettre, deviennent clairs et concordants avec le secours du sens interne. Si une si sublime interprétation pouvait être le simple résultat de la perspicacité humaine, loin de plaisanter le génie qui l'aurait produite, on lui devrait les plus grands éloges ; mais ici rien n'est dû à l'imagination et à la science, qui par elles-mêmes ne sauraient embrasser un si vaste champ; aussi ne sont-ce pas des éloges que nous demandons pour Swedenborg, nous désirons seulement attirer l'attention sur des écrits aussi précieux que les siens; et lorsque la moindre découverte archéologique est prônée de tous côtés, on refuserait de s'occuper des écrits d'un homme qui explique et rend intelligible l'ouvrage le plus ancien qui soit parvenu jusqu'à nous! D'où peut donc provenir une telle bizarrerie? Est-ce parce que cet homme déclare avec ingénuité que ses écrits ne sont pas le résultat de ses propres idées, mais celui d'un état extraordinaire dans lequel la Divinité l'a placé? ou bien est-ce parce que la Nouvelle Doctrine qu'il révèle fait crouler toutes les doctrines religieuses que l'on prêche aujourd'hui? C'est en

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même temps de l'une et de l'autre de ces causes qu'elle provient. Les hommes du monde, éblouis par la vanité de leurs sciences, s'amusent comme des enfants avec les hochets qu'elles leur présentent et n'ont de confiance qu'en elles seules, oubliant qu'il est une science bien supérieure qui faisait autrefois le charme et les délices des anciens sages : et les ecclésiastiques des diverses communions chrétiennes, aveuglés par les ténèbres spirituelles qui les enveloppent, rejettent sans examen tout ce qui leur paraît contraire à la doctrine que, par état, ils se croient obligés de défendre. Nous reviendrons souvent sur un sujet si important, et nous continuerons à prouver que tous les passages de la Parole, qui semblent se contredire, se trouvent, au moyen du Sens Interne, dans l'accord le plus parfait.

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DU POUVOIR DE LIER ET DE DÉLIER QUE S*ARROGE LE CLERGÉ CATHOLIQUE-ROMAIN".

On a souvent contesté au clergé Catholique-Romain ce pouvoir de lier et de délier, qui n'est plus aujourd'hui entre ses mains qu'un faible levier, si on le compare à ce qu'il fut, lorsqu'il lui servait à remuer les masses pour établir et consolider sa domination; on lui a souvent prouvé l'extravagance de ce dogme, d'après lequel l'homme ose s'attribuer ce qui ne peut appartenir qu'à la Divinité. Cependant, quoique la domination qu'il s'était acquise par cette fraude se soit écoulée peu à peu en présence de la civilisation toujours croissante ; quoiqu'il soit aujourd'hui reconnu qu'un tel pouvoir ne saurait appartenir à l'homme, le clergé romain n'en persiste pas moins à conserver précieusement ce dogme impie, dans l'espoir qu'il pourra plus tard lui servir à recouvrer cette domination qu'il a perdue, et à laquelle il aspire toujours. Comme cette prétention anti-chrétienne est néanmoins appuyée sur un passage de l'Évangile qui fut

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pris au pied de la lettre, il devient important de montrer quel est le sens interne de ce passage, afin que tous ceux qui, fatigués de leur septicisme, ont maintenant une tendance à revenir aux idées religieuses et au code des chrétiens, puissent au moins être en garde contre tous les arguments qu'on ne manquera pas de reproduire. Swedenborg s'élève souvent dans ses écrits contre le pouvoir de lier et de délier, et montre combien il est opposé à la Majesté Divine et à la raison humaine. Il traite aussi de ce point dans la Préface de la troisième partie de ses Arcanes Célestes. Comme cette Préface n'est pas connue de la plupart de nos lecteurs, nous pensons leur faire plaisir en la leur traduisant en entier. « Ceux qui s'en tiennent au sens seul de la lettre, » sans rechercher le sens interne dans d'autres pas» sages de la Parole où il se trouve expliqué, s'abu» sent d'une manière étrange. C'est ce qu'on peut » voir clairement par le grand nombre d'Hérésies » dont chacune confirme son dogme au moyen du » sens littéral de la Parole, et surtout par cette » grande Hérésie que l'extravagant et infernal amour » de soi et du monde a tirée de ces paroles du Sei» gneur à Pierre : « Moi je te dis gué toi tu es » Pierre (Roc) ; et sur ce roc je bâtirai mon Égli» se, et les portes de l'enfer ne prévaudront point » contre elle. Et je te donnerai les clés du Royau» me des deux, et tout ce que tu auras lié sur la

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DU POUVOIR

» terre sera lié dans les deux; et tout ce que tu » auras délié sur la. terre, sera délié dans les » deux. » — Matth. XVI. 18, 19. — Ceux qui pres» surent le sens de la lettre croient que toutes ces » choses ont été dites au sujet de Pierre, et qu'un » pouvoir si grand lui a été donné, quoiqu'ils sa» chent que Pierre a été un homme tout à fait sim» pie, qu'il n'a jamais exercé un tel pouvoir, et que » l'exercer, c'est agir contre le Divin; cependant, » comme d'après l'extravagant et infernal amour de » soi et du monde, ils veulent s'arroger un souve» rain pouvoir sur la terre et dans le ciel, et se » faire dieux, ils expliquent ce passage selon la let» tre, et soutiennent avec force leur explication, » lorsque cependant le Sens Interne de ces paroles » est que la Foi au Seigneur, laquelle est seulement » chez ceux qui sont dans l'amour envers le Sei» gneur et dans la charité à l'égard du prochain, a ce » pouvoir, et encore appartient-il non à la Foi, mais » au Seigneur de qui procède la Foi. Par la pierre » ici est entendue cette Foi, comme partout ailleurs » dans la Parole ; sur elle l'Église est bâtie, et con» tre elle les portes de l'enfer ne prévalent pas; à » cette Foi appartiennent les Clés du Royaume des » Cieux; c'est elle qui ferme le Ciel pour que les » maux et les faussetés n'entrent point, et c'est elle » qui ouvre le Ciel pour les biens et les vérités; tel » est le Sens Interne de ces paroles. Les douze Apô» 1res, de même que les douze tribus d'Israël, n'ont

DE LIER ET DE DÉLIER.

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» pas représenté autre chose que ce qui appartient » à une telle Foi. Pierre a représenté la Foi elle» même, Jacques la Charité, et Jean les biens de la » Charité. Il en était de même de Ruben, de Siméon » et de Lévi, les premiers nés de Jacob, dans l'É» glise représentative. Juive et Israélite, ainsi qu'on le » voit par mille passages de la Parole; et, parce que » Pierre représentait la Foi, c'est à lui que ces pa» rôles ont été adressées. D'après ce qui vient d'être » dit, on voit clairement dans quelles ténèbres se • » jettent, et jettent les autres avec eux, ceux qui ex» pliquent toutes choses selon la lettre, comme ceux » qui appliquent à Pierre ces paroles, par lesquelles » ils enlèvent au Seigneur et s'arrogent à eux-mêmes » le pouvoir de sauver le genre humain.» Ce passage de Swedenborg est en parfait accord avec tous ses autres écrits : l'exposition qu'il donne du sens interne de ces deux Versets de l'Évangile n'offre rien d'arbitraire, et est d'ailleurs basée, comme toutes ses autres explications, sur ce grand principe qu'on devrait toujours avoir présent à l'esprit, en lisant la Parole, à savoir, que toute l'Écriture Sainte ne traite que des choses spirituelles et célestes, et n'a aucunement en vue les choses du monde ; qu'en conséquence, les noms de personnes et de lieux, qu'on rencontre dans la Parole, ne signifient pas des personnes et des lieux, mais les choses spirituelles ou célestes que ces personnes et ces lieux représentent. Ainsi, partout où Pierre se trouve nommé dans 12.

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DO POUVOIR

l'Évangile, c'est de la Foi dont il s'agit, de même qu'il s'agit de la charité ou des œuvres, quand il est question de Jacques ou de Jean ; mais cette Foi que Pierre représente, ce n'est ni la foi des Réformés qui exclut les œuvres, ni la foi des Catholiques-Romains qui consiste à croire aveuglement, sans se permettre de faire usage de la rationalité et de la liberté que Dieu a données à l'homme pour qu'il fût véritablement homme; mai> c'est la vraie Foi qui ne se trouve que chez ceux qui sont dans l'amour envers le Seigneur et dans la charité à l'égard du prochain. C'est cette Foi seule qui édifie en l'homme l'Église ; c'est elle qui le met à l'abri des tentatives de l'enfer, qui empêche les maux et les faussetés de pénétrer en lui, et qui donne accès aux biens et aux vérités. Cette puissance lui est accordée, parce qu'une telle Foi vient du Seigneur, à Qui Seul appartient tout pouvoir dans les deux et sur terre. « Qu'y a-t-il donc de plus abominable, dit Swe» denborg, que de fonder une religiosité par laquelle » il est établi que ce divin pouvoir et cette divine » puissance appartiennent à un homme, et ne sont » plus au Seigneur ; et que le ciel est ouvert ou fer» me pourvu qu'un prêtre dise : J'absous ou j'ex» communie; et qu'un péché même énorme est re» mis pourvu qu'il dise : Je remets? Il y a un grand » nombre de diables dans le monde qui, pour éviter » les peines temporelles, demandent et obtiennent » par des artifices et par des présents, l'absolution

DE LJEB ET DE DÉLIER.

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» d'un crime diabolique. Qui est-ce qui peut être » assez insensé pour croire qu'il soit donné pouvoir » d'introduire des diables dans le Ciel? » (Apoc. Révélée, N° 798J On répondra sans doute que le clergé ne prétend plus avoir ce pouvoir, et qu'il pense n'absoudre qu'autant qu'il y a sincère repentir. Nous convenons que parmi ses membres les plus éclairés, il en est maintenant quelques-uns qui ont cette opinion : il a bien fallu d'ailleurs marcher avec le siècle, et se mettre à la hauteur de la morale publique qui réprouve un tel pouvoir; mais le dogme n'en subsiste pas moins; mais le pontife de Rome n'en distribue pas moins des indulgences, et transmet même une partie de ce pouvoir monstrueux à ses délégués. Or, que sont les indulgences, sinon le pouvoir d'ouvrir le Ciel? N'est-ce pas là se faire soi-même Dieu? Et quel Dieu que celui qui, à l'exemple des hommes, distribuerait ses faveurs selon son caprice ! Non, ce pouvoir que le pape s'attribue ne saurait même appartenir au Seigneur, car le Seigneur est la JUSTICE MÊME, et s'il avait un tel pouvoir et qu'il ne sauvât pas tout le genre humain, il serait par cela seul un père injuste. Mais le Seigneur, qui est l'Amour Même et la Sagesse Même, agit toujours d'après les lois de l'Ordre Éternel qu'il a lui-même établi. A Lui Seul appartient le pouvoir de lier et de délier, d'ouvrir et de fermer, en ce sens qu'il accorde la vraie Foi à qui-

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DU POUVOIR DE LIER ET DE DÉLIER.

conque vit conformément à ses préceptes, c'est-àdire, à quiconque aime la vérité pour elle-même, et fait le bien, parce que c'est le bien, et sans aucune vue de retour sur lui-même; car c'est là être dans l'amour envers le Seigneur et dans la charité à l'égard du prochain. Ainsi compris, ce pouvoir n'offre plus rien d'arbitraire, rien de capricieux, rien d'injuste. Tout homme peut être sauvé en suivant les lois de l'ordre, et pour peu qu'il fasse d'efforts pour les suivre, la Miséricorde du Seigneur est toujours prête pour le soutenir et l'aider. C'est ainsi que le Seigneur a seul le pouvoir de sauver, l'homme par lui-même étant incapable de persister longtemps dans le vrai et dans le bien. Dans un prochain Numéro, nous reviendrons sur le pouvoir de lier et de délier.

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SUR L'AVENIR DE L'HUMANITÉ.

Les philosophes et les publicités, reconnaissant aujourd'hui toute l'importance du principe religieux sur les destinées de l'humanité, ne dédaignent plus de faire intervenir des idées religieuses dans leurs cours publics ou dans leurs ouvrages. C'est une amélioration sensible qui conduira, nous en sommes convaincus, à d'heureux résultats. Cependant, faute de connaître les doctrines de la Nouvelle Jérusalem, nos savants ne s'occupent encore que du vieil édifice chrétien, soit pour le critiquer, soit pour l'exalter, soit plus généralement encore pour chercher à le modifier, en élaguant ce que chacun d'eux trouve en lui de choquant. Ils ne se doutent pas que les bases du nouvel édifice chrétien, prédit dès la fondation du premier, sont maintenant toutes posées, et qu'il ne reste plus qu'à l'élever sur les solides fondements qui viennent d'être jetés, et qui ne sont pas l'œuvre de la main des hommes. L'instant n'est pas éloigné, où la science humaine sera conduite par la force des choses à donner une attention sérieuse aux écrits de Swedenborg; instruite, 12*.

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SUR L'AVENIR

par l'histoire, des dissensions sanglantes qui furent le résultat de discussions théologiques, elle redoute, avec juste raison, de s'enfoncer dans un labyrinthe sans issue, où la plupart de ceux qui y sont entrés ont obscurci leur esprit au lieu de l'éclairer, et rempli leur cœur de haine au lieu de le saturer d'amour. Mais, lorsqu'elle saura qu'il n'en a été ainsi que parce que la théologie avait été dénaturée par les passions des hommes, qui avaient aux vrais dogmes substitué des dogmes erronés; lorsqu'elle saura surtout que la théologie nouvelle n'exige, pour être comprise, que le désir du vrai et l'amour du bien, et qu'au lieu de dessécher l'esprit et le cœur, elle leur procure les plus douces jouissances, toutes ses craintes se dissiperont, et elle sera la première à chercher un appui dans la science divine. En attendant cette époque où la nouvelle doctrine religieuse et la science pourront marcher de concert, nous pensons qu'il n'est pas hors de propos de donner ici quelques fragments d'une lettre écrite à la fin de 1836, au sujet du cours de M. Lerminier et du système présenté par M. Bûchez dans ses préfaces de l'Histoire parlementaire. Cette lettre adressée à un jeune néophyte de Paris pourra, dès à présent, faire entrevoir la possibilité d'arriver plus tard à concilier les idées nouvelles des contemporains avec les nouvelles idées religieuses.

« L'analyse que vous me donnez du système de

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M. Lerminier me prouve que, malgré son savoir et des intentions pures, il n'a pu arriver jusqu'au vrai, faute de connaître le point de départ. Il en sera ainsi de tout savant qui voudra prétendre à l'honneur de bâtir un système. Il pourra approcher plus ou moins de la vérité, selon qu'à plus ou moins d'intelligence il joindra plus ou moins d'amour; mais jamais il ne pourra, en volant de ses propres ailes, s'élever jusqu'au vrai même. » II n'est pas étonnant que M. Lerminier, qui n'a pour critérium que la raison humaine, trouve que le Christianisme ait fait son temps ; ne disions-nous pas la même chose avant de connaître les écrits de notre Swedenborg? Je ne le blâme donc pas d'avancer une semblable erreur, quoique, sortant de sa bouche, elle me semble plus dangereuse que si elle eût été prononcée par un homme moins consciencieux; je regrette seulement qu'un savant d'un esprit juste et d'un cœur droit méconnaisse encore la vraie source des eaux vives. » Vous me le présentez plus loin, tonnant contre ceux qui ont voulu distraire la religion des préoccupations du monde, et, par là, dédoubler l'homme, c'est-à-dire, couper tous les liens qui unissent l'homme religieux à l'homme occupé des affaires, et vous trouvez que sur ce point il a raison, et que sa pensée, réduite à sa plus simple expression, est celleci : L'homme doit toujours agir eu vue de Dieu. Si telle est la pensée de M. Lerminier, elle est vraie;

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mais lors même que vous lui donneriez plus d'extension qu'elle n'en aurait réellement, il resterait toujours dans le vrai, en ce sens qu'il considérerait l'homme comme religieusement obligé à remplir ce que Swedenborg appelle des Usages. n Quant à cette proposition : les sociétés accomplissent à leur insu une mission fatalement réglée, il faudrait, pour la discuter, savoir ce qu'entend M. Lerminier par fatalement réglée, car il a dû développer son idée. Vous présumez qu'il a voulu dire que nous sommes les instruments de la Divinité ; mais votre interprétation exigerait encore une explication. Je suis convaincu que vous vous entendez fort bien en disant que nous sommes les instruments de la Divinité, mais cette locution a besoin d'un complément pour ne pas mener droit à une hérésie très-dangereuse; car on en pourrait conclure que l'homme n'est qu'une machine, et toute société un assemblage de machines, ce qui conduirait à la négation du libre arbitre et au système désolant d'une fatale nécessité. Or, toute religion qui méconnaîtrait le libre arbitre ne serait pas divine ; car, si l'homme n'est pas libre,il n'y a plus ni récompenses, ni peines, ou son Dieu est injuste. D'un autre côté, toute société qui nierait ie libre arbitre perdrait logiquement le droit d'instituer des tribunaux, car il n'y aurait plus de la part de ses membres ni actions criminelles, ni actions vertueuses. Il est certain cependant que nous sommes des instruments de la Divinité : —Oui,

DE L'HUMANITÉ. 141 mais en conservant notre libre arbitre, soit qu'il s'agisse d'un individu, soit qu'il s'agisse d'une nation, car aux yeux de Dieu une nation est comme un individu; elle a son libre arbitre; et, comme lui, elle devient responsable de ses actes. » Voici, sur ce sujet, un passage remarquable de l'Avant-propos que M. de Tollenare a placé en tête de la 2me partie des œuvres religieuses d'Edouard Richer. « Et quand notre doctrine religieuse proclame » l'intervention providentielle au milieu des intérêts » sociaux, elle est loin d'établir que ce soit au péril » de la liberté. Elle entend que cette intervention a » lieu pour conserver, pour prévenir la dissolution, » et cela, par le principe que la destruction propre » ou le suicide humanitaire ou social, est interdit à » qui n'est qu'instrument de coopération du Sage et » Seul Ordonnateur. Jusqu'aux limites deladestruc» tion exclusivement, la liberté la plus complète » existe, et l'intervention providentielle ne consiste » nullement, dans la théorie qui nous occupe, à » commander à l'avance ce que doivent faire les » peuples, c'est-à-dire, à tirer les fils qui leur fe» raient exécuter forcément tels ou tels mouvements. » Ici, la Providence ne prescrit à priori aucun acte; » elle se réserve seulement de les prendre tels qu'ils » ont été librement accomplis, à bien ou à mal; et, » dans sa haute prévision, de faire usage de ces li» bres événements pour le maintien de l'ordre géné» rai que sa sagesse a établi. »

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SUR L'AVENIR

» Le genre humain tout entier ne paraît lui-même aux yeux de Dieu que comme un seul homme; il a aussi son libre arbitre, et devient ainsi responsable de ses actes. Mais Dieu en créant l'univers, ayant eu pour but le genre humain comme pépinière du Ciel, il est dans les lois de l'ordre Divin que le genre humain ne puisse pas périr, afin que lo Ciel par des recrutements successifs arrive à un perfectionnement indéfini. En conséquence, lorsque la société humaine, par la surabondance des maux et des faussetés qui l'inondent, est en péril de succomber, la Divine Providence vient à son secours par une de ces grandes manifestations dont nous entretiennent les LivresSaints, mais cependant sans contraindre en rien le libre arbitre. Seulement, la Divinité influe avec plus de force pour réchauffer chez les moins mauvais le peu de bien et de vrai qui réside au fond de leur cœur, et la transformation de la société s'opère peu à peu. C'est ainsi qu'il en est arrivé à l'époque désignée sous le nom de déluge; c'est ainsi qu'il y a dix-huit siècles, la société d'alors a été peu à peu remplacée par une société d'un caractère et d'un génie tout différents; enfin, c'est ainsi que depuis quatre-vingts ans notre ordre social se dissout insensiblement, pour faire place à un ordre nouveau que chacun commence à pressentir, mais dont on ne peut avoir une juste idée qu'un étudiant les écrits de Swedenborg.

» Si, comme vous le dites plus loin, M. Lerminier

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en est encore à considérer Jésus-Christ comme un simple réformateur, dont les vues sont maintenant débordées par les besoins toujours croissants de la civilisation, nous ne pouvons que l'engager à méditer sérieusement l'Évangile. Il pourra facilement se convaincre qu'il n'est aucune idée nouvelle, pourvu qu'elle soit vraie, qui ne se trouve explicitement ou implicitement renfermée dans ce Code Divin. » Quant à M. Bûchez, dont vous me citez plusieurs passages tirés de ses Préfaces, il me semble, comme à vous, plus avancé. Ce publicité n'a plus qu'un coin du voile à soulever pour que la vérité apparaisse à ses yeux dans toute sa pureté. Puisse l'amour propre qui guide ordinairement les faiseurs de systèmes ne pas s'opposer à ce que le rideau soit entièrement tiré ! Les applications de son système à l'ordre social ne pourraient être jugées qu'après un examen bien approfondi, et ce n'est pas dans une simple lettre qu'on peut entreprendre un pareil travail; cependant, si vous me demandiez quelles sont les idées que les écrits de Swedenborg ont pu me donner sur le sort futur de l'humanité, socialement parlant, voilà ce que je pourrais vous répondre. » Les hommes, quoique libres dans leurs actions, sont néanmoins soumis à l'influence du monde spirituel, où résident de bons et de mauvais esprits; c'est de là que leur viennent toutes leurs pensées vraies ou fausses, et toutes leurs affections bonnes ou mauvaises. Nous n'avons réellement en propre que la H-

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SUR L'AVENIR

berté, pour choisir, et la rationalité, pour guider notre liberté dans son choix. Ainsi, les deux mondes se trouvent liés entre eux de telle sorte que le progrès des sociétés humaines vers le mal ou vers le bien dépend de la composition des sociétés spirituelles. Or, Swedenborg nous apprend que lorsqu'il se fait un jugement dernier, c'est-à-dire, lorsque le mal et le faux sont arrivés à un tel degré que l'équilibre spirituel qui maintient l'univers est sur le point d'être rompu, la Divinité rétablit l'ordre par une de ces manifestations dont je viens de vous parler. En 1757, l'univers était dans cette position critique, lorsque le Seigneur, suivant sa promesse, vint sur les nuées du Ciel avec puissance et beaucoup de gloire, — Matth. XXIV. 30, — c'est-à-dire, vint effectuer son second avènement en dévoilant le sens interne de Sa Parole. » Depuis la fondation de l'Église chrétienne jusqu'à cette mémorable époque, tous les hommes qui n'étaient pas assez purs pour aller au Ciel, ou assez impurs pour se précipiter dans l'enfer, s'étaient réunis, après leur mort, dans le monde des Esprits qui influe immédiatement sur nous, et y étaient restés. Or, du moment où l'Église chrétienne s'était écartée de sa véritable route, le nombre des méchants étant devenu plus grand que celui des bons, l'influence du mal et du faux l'emporta sur celle du bien et du vrai, et ne fit que s'accroître ensuite de génération en génération. Enfin, cet accroissement devint tel qu'au

DE B^HCKANITÊ. 1

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miteu (tu sièete dentier, là pauvre humanfté allait succomber sons le poids des maux et des faussetés qui l'inondaient et ne lui permettaient plus de discerner le bien du mal et le vrai du faux. C'est alors que s'opéra dans le monde spirituel le Jugement Derfc nier. Le- Seigneur fit par son influx l'a séparation des bons et des méchants ; les uns furent élevés au Cîel, et les autres se précipitèrent dans les enfers. Ainsi prit fin dans le monde intermédiaire cette première Église chrétienne qui était parvenue à tout falsifier et à tout adultérer; et si sur terre ses deux principales branches, le Catholicisme et le Protestantisme, nous paraissent maintenant dans un état si déplorable, c'est qu'elles ne reçoivent plus du monde intermédiaire cette puissante influence qui faisait autrefois toute leur force; car l'ordre ayant été rétabli dans le monde spirituel par suite du Jugement Dernier, une Nouvelle Église chrétienne a pu, dès lors, commencer à s'y former, pour de là se manifester sur la terre. » Cependant, les fervents adeptes du catholicisme et du protestantisme se rendant après leur mort dans le monde intermédiaire, peuvent encore influer sur nous, mais au lieu d'y demeurer des siècles comme autrefois, ils n'y restent que très-peu de temps, et le plus long terme est de trente années. En outre, tous ceux qui, quoique dans le faux, ont vécu dans le bien, sont tirés de leurs erreurs et instruits dans la doctrine de la Nouvelle Église du Seigneur. L'in13.

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fluence que la vieille Église tire du monde spirituel n'est plus que très-faible, et doit nécessairement diminuer peu à peu, jusqu'à ce qu'elle devienne enfin nulle, et c'est alors qu'elle-même cessera d'exister sur terre. » Ce que je viens de vous dire sur l'influence des idées religieuses, s'applique à l'influence des idées sociales; car non-seulement les unes se trouvent liées aux autres et en dépendent, comme le remarque très-judicieusement M. Bûchez, mais il n'est pas une seule idée, de quelque nature qu'elle soit, qui ne nous arrive du monde spirituel. C'est là le motif qui m'a fait entrer dans des détails qui, sans cela, auraient été hors de propos. Vous pouvez maintenant vous expliquer pourquoi, depuis plus d'un demisiècle, on remarque dans les idées qui se rapportent à l'état social autant de cahos que dans celles qui concernent la religion; vous pouvez voir pourquoi les trônes sont aussi chancelants que les autels; et enfin, puisque la Nouvelle Église doit descendre du Ciel insensiblement sur la terre, pour remplacer celle qui s'écroule, vous pouvez en conclure qu'un nouvel ordre social viendra aussi se substituer graduellement à celui qui nous régit maintenant. » Mais quelles seront la substance et la forme de ce nouvel ordre que chacun pressent et que personne ne peut encore déterminer? Voilà l'important à découvrir. Il me semble qu'on ne parviendra à une telle découverte, qu'autant qu'on cherchera à con-

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naître, au moyen des écrits de Swedenborg, l'ordre qui existe dans le monde spirituel. Je ne dis pas par là que les sociétés humaines seront absolument constituées de la même manière que les sociétés spirituelles; il y aura toujours entre elles la différence qui résulte de leur nature respective; mais je dis que, par suite de la loi du progrès que nos jeunes publicités ne font qu'entrevoir, mais que Swedenborg prouve, l'humanité tendra désormais, ainsi que le fait le monde spirituel, a u n e perfection qui s'accroîtra indéfiniment, et cela, en marchant à l'unité de croyance, source de la véritable unité sociale. « Ainsi, en tenant toujours compte de la différence dont je viens de parler, voilà, ce me semble, le raisonnement qu'un disciple de la Nouvelle Église pourrait faire.— Le Livre Saint, dirait-il, nous annonce que la Nouvelle Jérusalem doit descendre du Ciel et s'établir parmi nous; donc, les hommes finiront par obtenir sur terre une félicité analogue à celle dont jouissent les esprits célestes. Or, la fraternité règne dans le Ciel, car tous les habitants des cieux reconnaissent le Seigneur seul pour leur père ; ils sont convaincus qu'ils n'ont pas la vie en propre; qu'ils n'en sont que des récipients, et qu'ils la puisent tous dans le Seigneur qui est la vie même ; qu'ainsi, ils sont tous véritablement frères, et qu'en cette qualité ils doivent tous vivre les uns pour les autres, et jouir ainsi du seul bonheur réel, en répandant leur amour sur tous ceux qui les environnent.—

448 ABB L'AVENIR Donc, il viendra un temps où ces vérités étant comprises et mises en pratique par les hommes, on verra la fraternité établir enfin son règne sur la terre. » L'Égalité règne aussi au Ciel, car la vie céleste consiste à faire des usages, c'est-à-dire, à travailler, toujours travailler, mais de telle manière cependant que le travail, au lieu d'être une peine, soit le plus grand des plaisirs, parce que chacun est à sa place, et exerce les travaux auxquels il est apte et qui lui plaisent. — Donc, il viendra un temps sur la terre où l'égalité existera aussi, c'est-à-dire qu'alors chacun sera à sa véritable place, et consacrera sa vie à faire avec plaisir un travail utile à la société. Chacun à sa place, voilà l'égalité ; toute autre manière de la concevoir, ne saurait être qu'une utopie. » Là Liberté règne au ciel, car là chacun y jouit dans toute sa plénitude, non-seulement de la liberté de penser, mais encore de la liberté d'agir. En effet, lorsque la pensée est toujours conforme à l'amour •du bien, l'action qui en résulte ne saurait être nuisible aux autres. — Donc, lorsqu'au moyen des célestes vérités que renferme la doctrine de la Nouvelle Jérusalem, les hommes se seront régénérés, chacun d'eux pourra jouir même sur terre de la plénitude de la liberté, parce qu'il n'en résultera aucun préjudice pour la liberté des autres; on trouvera plus de plaisir à remplir des devoirs qu'à exercer des droits. » La Nationalité existe au Ciel, car chaque société

DE L'HBMANITÉ. 149 céleste est, si l'on peut s'exprimer ainsi, une espèce de nation ; mais toutes ces sociétés sont les membres divers d'un même corps, le Ciel entier, qu'elles préfèrent à elles-mêmes, et pour le perfectionnement duquel elles travaillent sans relâche, tout en se perfectionnant elles-mêmes.—Donc, il existera toujours sur la terre de grandes sociétés, c'est-à-dire, des nationalités qui se distingueront les unes des autres par certains caractères particuliers, mais au lieu de se porter réciproquement envie, et de s'entredéchirer comme elles l'ont fait et le font encore, il y aura fraternité de nations, et chacune d'elles préférera le bien de l'humanité entière au sien propre. » L'Unité de gouvernement existe au Ciel, tant dans son ensemble que dans ses parties; car le Seigneur gouverne seul le Ciel, et place à la tête de chaque société un seul chef, qui, loin de se prétendre le maître, n'est que le serviteur de ses frères, puisqu'il ne s'occupe uniquement que de leur bonheur, et n'est leur chef que parce qu'il les surpasse tous en abnégation personnelle.—Donc, il arrivera un temps où notre globe sera régi par une seule volonté, et où chaque peuple sera gouverné par un seul chef. Qu'on le nomme Empereur, Roi ou Président, peu importe. L'important, c'est qu'alors ce chef n'aura de pouvoirs légitimes, qu'autant qu'il fera abnégation complète de ses intérêts propres, et qu'il gouvernera dans l'intérêt du plus grand nombre. Ainsi, par cela seul qu'il sera le serviteur du peuple, il sera son re13*.

sas LAVENIR présentant légitime; et, comme tel, il jouira des pouvoirs les plus étendus, mais toujours basés sur le devoir commun. Voilà la seule Souveraineté du peuple. Toute autre manière de l'entendre serait illusoire. Tout gouvernement représentatif, même -avec le suffrage universel, serait une déception; et l'histoire nous apprend que tout gouvernement, où le peuple s'assemblait sur la place publique pour délibérer, n'a pu se soutenir longtemps, et n'a produit pendant son existence que troubles et divisions intestines. » Après avoir ainsi expliqué quel sens on doit donner à tous ces grands mots, Fraternité, Égalité, Liberté, Nationalité, Unité, Souveraineté du peupie, qui agitent notre globe depuis un demi-siècle, le Disciple de la Nouvelle Église, en continuant à puiser ses arguments dans la connaissance de la Jérusalem Céleste, pourrait descendre dans les questions d'administration intérieure qui, quoique secondaires, n'en méritent pas moins l'attention de ceux qui s'occupent des grandes destinées de l'humanité. » L'interrogerait-on, par exemple, sur l'importante question de l'instruction de la jeunesse? Il dirait : Au Ciel, la première éducation des enfants est confiée à des anges du sexe féminin, qui font consister toutes leurs jouissances à développer dans ces jeunes âmes le germe des vertus et à déraciner leurs penchants vicieux. La seconde éducation et l'instruction des garçons sont communes et dirigées par des

DE L'HUMANITÉ. 1S1 anges
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JSUR L'AVENIR

une chimère, sera-t-il réalisé? — II n'est donné à personne, pas même à l'ange le plus pur, de le savoir : c'est le secret de Dieu. — Qu'il nous suffise d'avoir sa promesse Divine que la Nouvelle Jérusalem descendra sur la terre, et y établira son règne. Tout, dans le monde naturel, est soumis aux lois du temps, qui sont aussi des lois de l'ordre divin; tout a besoin, pour se développer, de passer par des états successifs de progression. La pauvre espèce humaine, depuis si longtemps le jouet des différents systèmes enfantés par l'orgueil de la propre intelligence, ne peut être tirée tout à coup des épaisses ténèbres dans lesquelles ces systèmes ont plongé son entendement; mais vous pouvez remarquer avec satisfaction qu'elle a beaucoup perdu de son engouement pour eux, et c'est là l'important ; peu à peu le vrai chassera le faux, et la Divine Providence, tout en laissant aux nations et aux individus leur libre arbitre, saura, comme elle le fait toujours, tirer du mal le bien, et les conduire finalement au but qu'elle s'est proposé. » Dès que le Christianisme est ainsi compris, et, depuis la révélation du Sens interne de la Parole Divine qui en fait la base, c'est la seule manière de le comprendre, il ne peut plus encourir le reproche que lui fait M. Lerminier, d'être débordé par les besoins toujours croissants de la civilisation. Que la civilisation consente à le suivre dans le développement de sa seconde et dernière phase, quels que

DE L'HUMANITÉ. 183 soient ses besoins légitimes, il les satisfera, et il la conduira à des destinées dont ses précepteurs actuels sont encore loin de prévoir l'élévation.» Les idées émises dans cette lettre feront peut-être l'objet de la critique, et de ceux qui ne veulent pas méditer sur de pareilles matières, et de ceux dont elles contrarient les préjugés; mais tous du moins devront convenir qu'avec de semblables principes, on cesse d'être malheureux dans ce séjour, où tout est maintenant misère, parce que tout est vanité.

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UNE NOUVELLE CANONISATION.

Les défenseurs du Catholicisme-Romain se gardent bien d'engager une discussion sérieuse; ils se contentent de lancer quelques traits qu'ils croient plaisants, oubliant sans doute qu'il n'y a pas de croyances qui puissent plus que celles des Romains prêter aux plaisanteries de tout genre. Ils ne se rappellent plus celles qui leur ont été faites par les fondateurs de la Réforme, par la généralité des Écrivains du XVIIIe siècle, et même par ceux qui portaient l'habit religieux et qui étaient les premiers à rire de toutes les pratiques superstitieuses et idolâtriques dont cependant ils vivaient. Nous répugnerions à faire usage d'armes semblables; nous dirons néanmoins qu'il est bien surprenant que ceux qui s'amusent chaque jour avec gravité à faire des saints, osent trouver ridicule cette assertion que l'ange et l'homme-esprit sont couverts de vêtements. Si Rome reste immobile au milieu du mouvement qui entraîne le monde; si elle ne veut rien apprendre, rien oublier; si elle est aujourd'hui ce qu'elle était il y a un siècle, c'est que la vie s'est retirée d'elle. Elle est morte maintenant, comme le Paga-

UNE NOUVELLE CANONISATION.

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nisme était mort dans le premier siècle du Christianisme. Alors le Paganisme se croyait encore puissant, parce que les peuples, attirés par l'éclat de ses pompes, ou entraînés par la force de l'habitude, remplissaient les temples de ses dieux. Il en est ainsi de Rome, elle croit encore avoir de la puissance; elle se berce même, par instant, de l'espoir de ressaisir son antique pouvoir, parce qu'elle voit les populations pressées d'un besoin de religion; mais sa destinée est accomplie, elle ne peut que se traîner encore quelques temps, comme a fait le Paganisme; car, pour satisfaire ce pressant besoin de religion qui se manifeste, il faut d'autres doctrines que celles du Catholicisme-Romain. C'est cependant dans un tel état de choses que Rome a la prétention de tourner en ridicule ceux qui ne professent pas ses doctrines; mais, par un aveuglement qui résulte toujours de la passion et qui fait qu'alors on ne se connaît plus soi-même, ses écrivains ont placé, à la suite de leurs sarcasmes sur Swedenborg et sur Éd. Richer, le récit de plusieurs cérémonies qui certainement appartiennent à un autre âge, et qui par leur nature nous mettraient en état d'user largement de représailles; mais, nous le répétons, nous ne voulons pas avoir recours à de pareils moyens. Notre siècle lui-même, plus sage que ces prétendus défenseurs de la religion, réprouve maintenant toute plaisanterie sur des matières religieuses. Faut-il donc que ce soit le bon sens populaire

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UNE NOUVELIE CANOUBATIOST*

qui se charge aujourd'hui de rappeler à la décence ceux qui,par état,devraient en donner l'exemple? Voici un passage de l'article dont nous parlons : «Le 19 juin (1838), LL. ÉÉm. les Cardinaux, » qui composent la congrégation des rits, se sont » réunis au Vatican, sous la présidence de S. Ém. le » Cardinal Odescalchi. A la requête du P. Louis » Nanni, religieux du tiers-ordre de Saint-François, » on discuta la cause concernant la renommée de » Sainteté du vénérable serviteur de Dieu, Mariano » Arriéra, prêtre du diocèse de Consa, décédé à >> Naples le 16 février 1789. Après avoir entendu » l'évêque promoteur de la foi, et ayant considéré » les observations de M. l'avocat Rosatini, défenseur, » LL. ÉÉm. répondirent, en révoquant le doute pro» posé par la partie adverse, que la renommée de » Sainteté du vénérable prêtre était fondée. Cette » cause a été ensuite approuvée par le Saint-Père. » Nous ne pouvons rien dire de Mariano Arciero, dont nous ne connaissons pas la vie ; mais cette vie fût-elle connue et admirée de tout l'univers, ce ne serait pas un motif de décider de son état spirituel. Dieu seul peut juger l'intérieur de l'homme, car lui seul sonde le cœur et les reins. Nous demanderons donc aux défenseurs du Catholicisme-Romain qui trouvent si plaisant que l'homme ait des vêtements dans l'autre vie, ce qu'ils pensent de l'état actuel de celui que leurs chefs viennent de déclarer Saint. S'il n'est plus maintenant qu'un souffle, quel peut être

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son mode d'existence? Eux et leurs chefs répondront sans doute qu'ils n'en savent rien ; que c'est le secret de Dieu. Cependant ces mêmes hommes, abusant de la crédulité humaine, osent s'attribuer la ToutePuissance Divine, en déclarant que Mariano est au Ciel; et, lorsque tout tend, dans ce siècle, à détruire l'idolâtrie, ils osent encore instituer un nouveau culte idolâtrique pour des ossements humains? Oui, certes, l'homme ne connaîtra jamais tous les secrets de Dieu, car pour les connaître tous, il faudrait qu'il fût Dieu lui-même, ce qui est impossible; mais la Divinité a de tout temps et successivement révélé à l'homme les secrets qui étaient de nature à être saisis par son esprit. Si nous avions à combattre les objections des philosophes sur l'existence de l'Esprit en forme humaine et sur les vêtements dont sou corps immatériel est couvert, nous aurions recours à des arguments puisés dans les sources philosophiques; mais puisqu'il ne s'agit ici que des Catholiques-Romains, nous prendrons nos arguments dans les Livres Saints. Lorsque les femmes qui avaient accompagné le Seigneur pendant son séjour sur notre terre vinrent au sépulcre, « deux hommes se présentèrent à elles en habits resplendissants. »—Luc, XXIV.4.—Or, quels étaient ces hommes, sinon deux anges, comme la suite l'indique clairement? L'Évangile admet donc les anges en forme humaine, et couverts de vêtements. Lors de la Transfiguration, les trois disciples qui

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avaient accompagné le Seigneur sur la montagne virent « deux hommes qui s'entretenaient avec Lui, lesquels étaient Moïse et Élie. » — Luc, IX. 30. — L'Évangile reconnaît donc que les hommes qui ont habité cette terre, tels que Moïse et Élie, ont conservé dans le monde immatériel la forme humaine ; et quoiqu'il ne soit pas dit d'une manière explicite que Moïse et Élie étaient vêtus, cela peut résulter implicitement de ce qu'ils s'entretenaient avec le Seigneur, dont« les habits devinrent alors blancs comme la neige et resplendissants comme un éclair. » Nous pourrions citer une infinité de passages de la Parole qui confirme l'assertion de Swedenborg ; mais nous ferons seulement remarquer que les Catholiques-Romains ont été beaucoup plus loin que Swedenborg sur ce point ; car Swedenborg n'admet dans le monde immatériel que des corps immatériels, tandis qu'eux y ont même introduit la matière. En effet, poussés par l'esprit d'idolâtrie, et voulant assimiler en quelque sorte la mère du Seigneur au Seigneur même, ils ont été jusqu'à prétendre qu'elle avait été enlevée vivante dans les cieux, tandis qu'ils savent très-bien que le Seigneur a plusieurs fois déclaré que sa mère n'était qu'une mortelle, et n'avait rien de commun avec Lui (1). Ils auront beau pré(1) Les Novi-Jërusalémites ont pour Marie le respect qu'on doit avoir pour celle qui porta le Seigneur dans son sein lorsqu'il se fit homme; mais ils ne lui rendent aucun culte, parce que le culte n'est dû qu'au Seigneur. C'est ainsi qu'en agissaient les premiers Chrétiens.

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tendre que le fait dont il s'agit n'est pas admis par leurs théologiens comme dogmatique; le nom seul de la fête de l'Assomption qu'ils célèbrent chaque année avec tant de pompe déposera toujours contre eux. Qu'on remarque l'inconséquence des défenseurs du Catholicisme-Romain; ils reconnaissent comme nous que Dieu est homme, car ils admettent comme dogme que le Seigneur est ressuscité avec le corps qui fut déposé dans le sépulcre; et cependant ils ne veulent pas que l'homme qui a été créé à l'image de Dieu reste sous une forme humaine ; ils veulent absolument qu'après sa mort naturelle il ne soit plus qu'un souffle. Ils disent que nous matérialisons l'Esprit en lui donnant une substance et une forme spirituelles; et eux, en faisant une exception en faveur de Marie, vont jusqu'à placer la matière même dans le monde immatériel. Que sait-on? lorsqu'on se lance dans le champ des exceptions, on va loin; peut-être qu'à l'exemple des Brahmanes qui font une distinction entre leurs sages et le reste des humains, admettent-ils aussi d'autres exceptions en faveur de ceux qu'ils déclarent Saints. S'il en était ainsi, nous leur demanderions s'il ne leur semblerait pas plus convenable que Mariano Arciero se présentât dans le céleste séjour le corps couvert de vêtements ainsi qu'apparurent Moi'se et Élie, lorsqu'ils s'entretinrent avec le Seigneur.

Nous terminerons cet article en répétant aux dé-

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fenseurs du Catholicisme-Romain que nous ne reconnaissons nullement les décisions des conciles. Qu'on étudie les conciles pour y trouver des faits historiques, rien de mieux; mais pour y découvrir des vérités spirituelles, qu'on s'en garde bien ; car le bien et le faux ont été tellement mélangés par eux, qu'il est tout à fait impossible, dans un semblable chaos intellectuel, de distinguer la lumière des ténèbres. Il est cependant une autorité aussi supérieure aux conciles que Dieu est supérieur à l'homme, c'est celle de la Parole Divine ; c'est la seule que nous reconnaissions. Mais les défenseurs du Catholicisme-Romain ne consentiront jamais à soumettre les incohérentes décisions de leurs chefs aux sublimes vérités de l'Évangile.

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LA NOUVELLE RÉVÉLATION NE POUVAIT PAS ÊTRE FAITE PLUS TÔT.

Au nombre des arguments, la plupart futiles, qu'on nous adresse, il en est un qui, tout spécieux qu'il est, mérite néanmoins d'être réfuté. Si Dieu, nous dit-on, n'a révélé que dans le siècle dernier le sens spirituel de la Parole, il s'est donc plu à laisser les hommes dans l'erreur. Ceux qui nous font cette objection n'ont certainement pas lu les écrits de Swedenborg; car la Doctrine de la Nouvelle Jérusalem donnée par Swedenborg n'est pas puisée dans le sens spirituel de la Parole, comme ils semblent le croire, mais elle est entièrement tirée du sens de la lettre et éclairée seulement par le sens spirituel. Cette doctrine est celle que suivaient les premiers Chrétiens, celle qu'ont suivie et que suivent encore tous ceux dont le cœur n'a pas été et n'est pas perverti par les fausses lumières de l'esprit; elle est écrite dans l'Ancien et le Nouveau Testament, et tout homme sincèrement chrétien la voit clairement dans ces beaux préceptes qui causent l'admiration de ceux mêmes qui ne croient pas à la sainteté de ces

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Livres. Si cette doctrine, en même temps simple et sublime, a été tellement dénaturée par les conciles et par les théologiens des diverses Communions chrétiennes, qu'elle est devenue en grande partie méconnaissable ; si ces modernes docteurs, en tous points semblables aux docteurs de la loi, « ont lié des fardeaux pesants et difficiles à porter, et les ont mis sur les épaules des hommes, bien qu'ils n'eussent point voulu les remuer de leur doigt, » — Matth. XXIII. 4, — les vérités indispensables à la vie chrétienne n'en sont pas moins restées intactes par un effet tout spécial de la Providence. L'ensemble de ces vérités peut se résumer en ce peu de mots : Vivre selon les préceptes du Décalogue, et fuir les maux comme contraires à l'Ordre Divin (1). Tous ceux qui ont vécu ainsi ont vécu en vrais chrétiens. Mais, pourrait-on nous dire, les erreurs des chefs spirituels ont nécessairement fait tomber les hommes dans des maux de différents genres. — C'est indubitable; mais la justice de Dieu n'est pas semblable à celle des hommes; la Divinité fait une grande distinction entre l'erreur qui conduit au mal, et l'erreur qui résulte du mal. Tout homme qui tombe dans le mal par suite des erreurs dans lesquelles il a été élevé est excusable, si toutefois il ne s'approprie pas ce mal, en le faisant entrer dans sa vie; tandis (1) Fuir les maux par tout antre motif, c'est faire seulement qu'ils ne paraissent pas devant le monde; c'est, s'il nous est permis d'employer une expression vulgaire, c'est renfermer le loup dans la bergerie.

NE POUVAIT PAS ÊTRE FAITE PLUS TÔT.

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que quiconque se plonge dans l'erreur, entraîné par l'amour pour le mal, est criminel. De même que Dieu ne punit pas les peuples, qui ne sont pas chrétiens, des erreurs dans lesquelles ils ont été élevés et entretenus par leurs prêtres; et que, pour les appeler à Lui ou les rejeter, il n'a égard qu'à la manière dont ils ont vécu; de même aussi Dieu n'a pas eu égard aux erreurs grossières dans lesquelles les prêtres avaient élevé et entretenu les hommes du monde chrétien; il a seulement considéré si ces hommes avaient vécu selon les préceptes du Décalogue, et avaient fui les maux comme contraires à l'Ordre Divin. Or, ces deux points n'ont jamais cessé d'être recommandés même par les chefs spirituels qui, par les pratiques superstitieuses qu'ils avaient introduites, s'étaient le plus écartés de la doctrine primitive. De ce que la Parole dans son sens littéral renferme toutes les vérités nécessaires au salut de l'homme; de ce que, malgré les erreurs que les conciles et les théologiens de tous les siècles ont introduites dans la doctrine chrétienne, ces vérités ont toujours été enseignées, on doit déjà en conclure que si Dieu n'a révélé que dans ces derniers temps le sens spirituel de sa Parole, on ne peut sans blasphème l'accuser d'avoir laissé les hommes dans l'erreur, puisqu'il a pourvu à ce que les erreurs des chefs spirituels ne détruisissent pas les vérités les plus indispensables. Mais répétons encore ici que c'est faute de connaître les écrits de Swedenborg qu'on a osé dire

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LA NOUVELLE RÉVÉLATION

que, par une tardive Révélation, Dieu se serait plu à laisser les hommes dans l'erreur. Non, Dieu ne s'est pas plu à les laisser dans l'erreur; s'il avait pu les en retirer plus tôt, sans forcer leur libre arbitre qu'il s'est fait une loi de toujours laisser intact, il l'aurait certainement fait ; mais, sans revenir sur ce que nous avons déjà dit ailleurs, à savoir, que, selon l'Écriture, le sens spirituel de la Parole ne devait être révélé que lorsque la première Église chrétienne serait parvenue à sa fin par un débordement complet de maux et de faussetés, nous dirons que Dieu n'aurait pas pu faire cette Révélation plus tôt, puisque tout s'opposait à ce qu'elle pût être reçue par les hommes avant l'époque où elle leur a été donnée. En effet, aurait-ce été lorsque Rome régnait en souveraine sur toute la chrétienté, et que les bulles des Papes étaient les seules lois religieuses qu'il fut permis de suivre? N'aurait-elle pas"alors été étouffée sur-le-champ? Aurait-ce même été au moment de la Réforme? L'inopportunité était presqu'aussi grande. Pour saper le Vatican devenu domination politicoreligieuse, il fallait une doctrine qui mit en jeu les intérêts mondains ; pour détruire une théocratie qui punissait de mort quiconque osait faire publiquement usage de son entendement en fait de matières religieuses, il fallait une doctrine qui, bien qu'aussi fausse que celle qu'elle combattait, préparât du moins les hommes à la liberté de conscience. La véritable doctrine n'aurait-elle pas eu contre elle les

NE POUVAIT PAS ÊTRE FAITE PLUS TÔT.

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deux seules puissances qui avaient partagé les peuples chrétiens en deux camps, et qui les tenaient toujours prêts à s'entr'égorger au premier signal qu'elles donnaient? Au milieu des passions sanguinaires, autant excitées par les intérêts matériels que par les discussions théologiques, il aurait été impossible qu'une doctrine toute de charité pu se produire au grand jour. Non ; pour que la Révélation pût être donnée au monde chrétien, il fallait nécessairement que les peuples fussent amenés, par les excès de leurs conducteurs spirituels, à reconnaître les motifs secrets qui les faisaient agir, et à secouer définitivement le joug qu'ils avaient si longtemps fait peser sur eux. Nous savons que ceux qui nous ont fait cette objection n'ont pas eu l'intention d'adresser un reproche à la Divinité; ils ont voulu par là donner à penser que si Dieu eût voulu faire une Révélation nouvelle, il n'eût pas laissé les hommes si longtemps plongés dans les ténèbres. Si ces critiques avaient vécu du temps des Apôtres, lorsqu'apparut la doctrine chrétienne, qui, en rappelant à sa pureté primitive la doctrine Mosaïque falsifiée par les théologiens Juifs, apportait en outre un supplément de vérités nouvelles appropriées aux besoins de l'époque; si, disons-nous, ces critiques avaient vécu dans le premier siècle de l'ère chrétienne, ne se seraientils pas empressés d'opposer à la doctrine nouvelle l'argument qu'ils présentent aujourd'hui avec tant

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LA NOUVELLE RÉVÉLATION'.

de légèreté contre la doctrine de la Nouvelle Jérusalem ? Si votre Maître, auraient-ils dit aux Apôtres ou à leurs successeurs, a été envoyé de Dieu (1) pour donner une nouvelle doctrine, parce que l'ancienne aurait été falsifiée, que n'a-t-il été envoyé plus tôt? car il y a longtemps que la doctrine de Moïse est dans l'état où nous la voyons; Dieu se serait donc plu à laisser les hommes dans l'erreur? Oui, l'on ne saurait en douter, cet argument a aussi été fait aux premiers Chrétiens, et cependant leur doctrine n'en a pas moins prévalu. Il en sera de même de la doctrine de la Nouvelle Jérusalem, elle prévaudra, non pas seulement parce que c'est la seule qui puisse convenir aux peuples fatigués maintenant des doctrines anciennes, et poussés intérieurement à revenir à leur Dieu, mais surtout parce que son triomphe est annoncé dans le Livre Saint, et que les promesses de la Divinité ne sont jamais vaines. (1) Dans la supposition que nous faisons, ces critiques auraient indubitablement tenu à la doctrine alors régnante, comme ils tiennent à celle qui règne aujourd'hui; par conséquent ils se seraient bien gardés de reconnaître Jésus-Christ comme Dieu; et si on leur eut dit que les Écritures avaient prédit sa venue, ils auraient répondu que le Messie qui leur était annoncé devait régner avec gloire sur la terre, et non mourir sur une croix; de même qu'aujourd'hui, dans le second Avènement du Seigneur, ils s'opiniâtrent à ne voir qu'un Avènement sur les nuées du Ciel pour juger les hommes dans la vallée de Josaphat. Nous désirons que le bandeau qui leur couvre les yeux puisse enfin tomber, pour qu'ils jouissent, comme nous, des faisceaux de lumière qui jaillissent maintenant de la Révélation du sens spirituel de la Parole.

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SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

Ceux qui ne veulent admettre aucune Révélation opposent souvent aux Chrétiens l'obscurité des livres prophétiques, en faisant remarquer que le sens qu'ils présentent est presque toujours équivoque, et que si l'on y rencontre quelque clarté, c'est seulement lorsque l'événement prédit est entièrement accompli. Ces objections fort embarassantes, et pour les Chrétiens qui nient le libre arbitre, et pour ceux qui, le reconnaissant, ne veulent pas admettre dans les Ecritures un sens spirituel, ne sauraient arrêter un seul instant le disciple de la Nouvelle Jérusalem. Si le véritable sens des prophéties est toujours enveloppé d'un sens extérieur obscur et souvent équivoque, c'est, dira-t-il, parce qu'il est indispensable, pour l'avantage du genre humain et dans les vues miséricordieuses de la Providence, que la liberté de l'homme reste toujours intacte; et, si ce véritable sens est dévoilé lorsque l'événement prédit est entièrement accompli, c'est parce qu'alors la liberté humaine ne peut plus en aucune manière être violentée. Remarquons d'abord qu'avec le dogme du libre

168 SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES. arbitre, compris comme il doit l'être, la plupart des difficultés théologiques peuvent être résolues. Si nos adversaires religieux consentaient à entrer dans une discussion sérieuse sur les principaux dogmes du Christianisme, il en résulterait pour les hommes de bonne foi la preuve que la Religion Chrétienne ramenée à ses véritables principes est la seule vraie, et qu'elle ne renferme rien qui puisse être rejeté par la raison éclairée de notre siècle; mais jusqu'ici une telle discussion, que nous appelons de tous nos vœux, a toujours été éludée; et, en cela, nos adversaires ont agi prudemment. En effet, pour ne parler ici que du dogme du libre arbitre, l'on sait que des deux communions les plus nombreuses du Christianisme, l'une l'admet et l'autre le rejette; on sait pareillement que les Catholiques-Romains qui l'admettent, reconnaissent en même temps le mérite de l'homme, et que les Protestants qui rejettent le libre arbitre, nient le mérite de l'homme. Or, comme il résulte des véritables principes du Christianisme que l'homme jouit du libre arbitre, et qu'il ne saurait néanmoins s'attribuer le mérite qui n'appartient qu'au Seigneur Seul, il s'ensuit que chacune de ces deux communions est dans le vrai sur l'un de ces points, et dans le faux sur l'autre. Elles ont été ré • duite à ce triste état, parce qu'étant sorties des vrais principes du Christianisme primitif, et par conséquent du chemin de la vérité, il leur était devenu impossible de concilier deux dogmes dont l'un semblait exclure l'autre.

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

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Mais, n'anticipons pas longtemps sur une matière si importante, qui ne peut manquer d'être soumise un jour à un examen tout à fait spécial, et revenons à la solution donnée par le disciple de la Nouvelle Jérusalem concernant notre sujet. Si, quant à ce qui concerne les événements futurs, la vérité divine que renferment les prophéties était exprimée en termes clairs et précis, de telle sorte que les hommes ne pussent s'y méprendre, il est bien évident que, par cela seul, leur libre arbitre serait entièrement détruit, et qu'ainsi ils cesseraient d'être hommes; mais lors même qu'on supposerait qu'ils pussent encore conserver leur libre arbitre, la nature humaine a été tellement changée par la chute, que, dans celte hypothèse même, l'homme ferait tous ses efforts pour contrarier les vues bienveillantes de la Providence Divine à son égard, et que par là il rendrait sa position encore plus malheureuse. S'il y avait quelques doutes à cet égard, un seul exemple suffirait pour les lever. Il est, certes, bien des hommes qui n'ont pas de plus grand désir que de connaître la destinée qui leur est réservée sur cette terre; c'est, du reste, ce qui est constaté par l'histoire de la Divination, de cet art trompeur, qui fut exercé chez tous les peuples, et dont l'origine se perd dans la nuée des temps. Eh bien ! Qu'on suppose que le prétendu livre des destins ait été ouvert à un mortel pour qu'il puisse y lire tout ce qui concerne son existence ter15.

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restre; que, même, pour éviter tout défaut de mémoire de sa part, il lui ait été permis de transcrire jusqu'aux moindres particularités de sa vie; qu'on suppose, en outre, que sa destinée soit telle qu'elle doive surpasser tout ce que l'imagination de l'homme le plus attaché aux biens de ce monde pourrait inventer pour embellir la vie. Un tel mortel serait-il véritablement heureux? Il pourrait du moins le paraître aux yeux de ceux qui courent inconsidérément après le bonheur, il pourrait même exciter leur envie; mais, nous soutenons, qu'il serait le plus infortuné des hommes. En eifet, dès l'instant qu'il aurait acquià par expérience l'entière certitude que les divers événements de sa vie arriveront tels qu'ils ont été annoncés, et sans que le moindre changement puisse y être apporté, dès cet instant, ce qui constitue véritablement l'homme disparaîtrait en lui, son moi n'existerait plus; car, pour lui désormais plus de liberté, il est enchaîné au bonheur; plus d'alternative, il faut qu'il suive fatalement la ligne tracée; plus même d'espérance, la certitude la lui a enlevée. Que lui reste-t-il donc, au milieu de son prétendu bonheur? La mort, la terrible mort à jour et à heure fixes. Mais, croit-on qu'un homme, quelque soit d'ailleurs son caractère, puisse rester longtemps dans cette position passive. L'apathie qu'on remarque chez certains individus n'est que relative ; l'homme a été créé Être libre et actif, et s'il arrivait qu'il fût

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totalement privé de la faculté d'agir librement, par cela seul il cesserait, comme nous l'avons dit, d'être homme. Celui que nous avons pris pour exemple serait donc irrésistiblement conduit, par suite de sa qualité à'Être libre et actif, à mettre toutes ses facultés en action pour contrarier l'ordre des destins à son égard. Or, si le prétendu livre des destinées existait réellement, si le sort de -l'homme en particulier et de l'humanité en général était fatalement réglé, peu importerait pour les plans de la Divinité que l'homme connût ou ne connût pas sa destinée; tout n'en marcherait pas moins selon l'ordre déterminé; mais il n'en est pas ainsi. Jamais le Christianisme n'a admis le dogme désolant de la fatalité qui avilit Dieu et anéantit l'homme. Le vrai Christianisme pose en principe que l'homme est libre, et que Dieu, en le gratifiant de la liberté, s'est interdit, par les lois de son ordre divin, de porter la moindre atteinte à sa liberté. Ainsi l'homme, pouvant toujours faire usage de son libre arbitre, se trouve porté par sa nature déchue à abuser de sa liberté; il est toujours prêt à se précipiter dans le mal, en courant par une fausse route vers un bopheur idéal qu'il recherche continuellement; mais Dieu, qui est l'amour même, influe sans cesse sur l'homme pour le ramener à lui, sans toutefois contraindre son libre arbitre ; et sa Divine Providence veille à chaque instant sur ses actions, pour atténuer autant-que possible le mal qu'il fait ou

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qu'il veut faire, et en tirer même quelque bien, en lui suggérant des pensées propres à lui imprimer une autre direction. Cette action incessante de la Providence est ce qui maintient l'ordre dans cet univers au milieu de toutes les causes de dissolution qui résultent de l'abus que l'homme fait de son libre arbitre. Cette action est puissante contre le mal, parce l'homme, tout en recevant son impulsion secrète, croit néanmoins agir par lui-même ; mais il n'en serait plus de même, si l'homme pouvait avoir une connaissance certaine des événements futurs ; son naturel ne lui permettrait pas de faire une abnégation complète du moi humain; ce qui, du reste, ne serait autre chose que l'anéantissement de l'individu. Dès lors, cette espèce de fatalité, toujours présente à ses yeux, ne ferait qu'irriter son désir de faire acte de liberté; toutes ses facultés seraient employées à contrarier les plans de la Divinité ; et la Providence, ne pouvant plus le diriger à son insu, il se précipiterait de lui-même dans les maux de tout genre. Or, ce que nous venons de dire d'un seul individu s'applique nécessairement à la collection d'individus nommée nation, et, par la même analogie, à l'humanité tout entière. Nous pouvons donc conclure de ce qui précède, que c'est par un pur amour pour nous que Dieu nous a caché les événements futurs, et que c'est pour ne pas augmenter notre état misérable sur cette terre, qu'il a voilé ceux que, dans l'intérêt de l'hu-

SDR L'OBSCURITÉ DBS «WPHÉTIES. 173 : inanité, et pour la eonservation de son Église, il a cru nécessaire de révéler-par la bouche de ses Prophètes. Si, lorsque les événements sont accomplis, le véritable sens des Prophéties devient plus clair, ou si même il est quelquefois révélé, c'est encore une conséquence de ce qui vient d'être dit, puisqu'alorsle libre arbitre de Phomme ne saurait plus à cet égard être violenté. Nous terminerons cet article en faisant remarquer quelques poiwts frappants de similitude entre les prophéties de l'Ancien Testament et celles du Nouveau. Les prédictions si souvent réitérées de l'Avènement d'un Sauveur ou Messie furent présentées d'une telle manière dans leur sens littéral ou naturel, que les Juifs s'attendaient à voir un Roi qui les rendait maîtres de toute la terre, tandis-que les Écritures, ilans leur sens interne ou spirituel, ne désignaient cependant que PHomme-Dieu, dont le royaume n'était pas de ce monde. De même, -les prédictions de l'Évangile et de l'Apocalypse sur le second Avènement du Seigneur, sont présentées d'une telle manière dans leur sens littéral, que les Chrétiens de toutes les Communions prétendent, en paroles du moins, que le Seigneur viendra, sur les jnuées du Ciel, pour juger tous les hommes dans la vallée Ae Josaphat, tandis que les Écritures, dans leur sens interne, ne désignent que l'Avènement spirituel du Seigneur, dans 4oute sa gloire, par 4a 15*.

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SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES.

Révélation du sens interne de Sa Parole, Révélation qui dissipera toutes les erreurs théologiques, et ramènera par la vérité les hommes au bien. Le sens interne des prédictions sur le premier Avènement ne fut dévoilé par les Évangélistes qu'après la glorification du Divin Humain du Seigneur, par conséquent lorsque l'événement prédit avait reçu son entier accomplissement. De même, le sens interne des prédictions sur le second Avènement ne fut dévoilé par Swedenborg qu'après le Jugement Dernier, qui se fit, dans le monde spirituel, en 1757, par conséquent, lorsque l'événement prédit était entièrement accompli. La similitude entre les deux époques où s'opérèrent les deux Avènements, est pareillement frappante. Qu'on ouvre l'Évangile; qu'on médite sur les nombreux passages où le Seigneur trace le portrait de la société religieuse dans la personne des Scribes, des Pharisiens, des Docteurs de la Loi, des Princes des Prêtres, qui la représentaient ; que l'on compare son état avec celui de la société religieuse dans le monde chrétien au milieu du dernier siècle, et l'on restera pleinement convaincu. Il ne nous reste plus qu'une remarque à faire : Ceux qui sont chargés de diriger les diverses Communions chrétiennes ont devant les yeux, reconnaissent et critiquent même, chaque jour, l'erreur grossière dans laquelle les Juifs sont tombés, il y a dix-huit siècles, en s'opiniâtrant à ne voir dans l'É-

SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES. 175 criture que le sens de la lettre; que le terrible exemple que leur offre ce peuple, aujourd'hui dispersé et encore aveugle, serve donc à les faire sortir d'une opiniâtreté semblable, et qui, chez eux, deviendrait plus coupable qu'elle ne le fut chez les chefs de la Loi Ancienne.

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SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

Lorsque nous parlons du second Avènement, et que nous disons qu'il ne faut pas prendre à la lettre les paroles de l'Écriture qui l'ont annoncé; que la Consommation du siècle n'est pas la fin du monde matériel, mais la fin de la première Église chrétienne; que le Jugement Dernier ne se fera pas sur cette terre dans l'étroite vallée de Josaphat, mais qu'il a été fait, en 1757, dans le monde spirituel, aussitôt, Catholiques-Romains et Protestants se recrient, sans même se donner la peine de réfléchir; car, s'ils consentaient à prêter la moindre attention, ils verraient tout de suite que ce qu'ils appellent notre interprétation de la Parole est beaucoup plus conforme à l'idée que l'on doit avoir de la justice divine, et choque bien moins le sens commun que ce qu'ils annoncent eux-mêmes, en s'attachant judai'quement au seul sens de la lettre. Ils ne veulent pas, disent-ils, s'écarter du sens littéral, de peur d'errer; et cependant, ils sont chaque jour forcés de reconnaître qu'il y a dans la Parole des expressions symboliques et un sens figuré et

SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

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anagogique dont ils font même un fréquent usage, soit dans leurs discours, soit dans leurs écrits. Ils croient ou feignent de croire que nous n'avons égard qu'au sens spirituel et que nous mettons de côté le sens littéral, tandis qu'au contraire l'importance de ce dernier sens est démontrée dans chacun des écrits de Swedenborg, qui le considère comme la base et l'affermissement du sens spirituel. Il y a plus, c'est que tous les points de la Nouvelle Doctrine sont puisés dans le sens littéral et confirmés par lui. « On pourrait croire, dit Swedenborg, que la doc» trine du vrai réel (*) peut être acquise par le sens » spirituel de la Parole, qui est donné par la science » des correspondances ; mais par ce sens la doctrine » n'est pas acquise, elle est seulement illustrée et » corroborée; car l'homme peut falsifier la Parole » par quelques Correspondances qu'il connaît, en » les liant ensemble et en les appliquant pour confir» mer ce qui est attaché à son mental d'après un » principe arrêté. » — V r . Bel. Chr. N° 230. Tout homme qui désire sincèrement connaître la vérité, pourra facilement se convaincre, en lisant les écrits de Swedenborg, que le Jugement Dernier a reçu son exécution; il reconnaîtra même que c'est par des arguments tirés du sens littéral de la Parole que Swedenborg confirme tout ce qu'il avance sur (*) La vérité absolue c'est Dieu; de Lui viennent toutes les vérités : les unes sont réelles, d'autres ne sont qu'apparentes. De là l'expression de Frai réel qu'emploie Swedenborg par opposition au Vrai apparent.

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SUR LE SECOND AVÈNEMENT.

l'accomplissement, dans le monde spirituel, de tout ce qui a été prédit sur ce terrible événement. Mais, que ce Jugement ait été exécuté précisément en l'année 1757, ainsi qu'il l'annonce positivement, c'est un fait qu'il n'appuie sur aucun passage de la Parole; la seule preuve qu'il nous offre, c'est qu'en raison de l'état extraordinaire dans lequel il est resté si longtemps, et qu'il explique si bien, il a vu d'une manière claire et manifeste exécuter, en 1757, tout ce qui concerne ce Jugement, ainsi que tout ce qu'il décrit avec une bonne foi si remarquable. Pouvaiton exiger de lui d'autres preuves? Cependant, comme nous venons de dire que ses assertions sont en général confirmées par des passages du sens littéral de la Parole, celle qui fixe à l'année 1757 l'exécution du Jugement Dernier, ne devrait-t-elle pas aussi être confirmée par ce sens? C'est un point qu'il devient important d'examiner. En effet, l'époque de cette exécution n'est pas aussi indifférente pour -les Novi-Jérusalémites qu'on pourrait d'abord'le croire; car, pour eux, le Jugement Dernier est le rétablissement de 'l'ordre dans le monde spirituel, et par suite la formation, dans ce monde, d'un Nouveau Ciel et d'une Nouvelle Église; et, comme l'influx nous vient directement du monde spirituel ou monde des causes, du moment où l'ordre y est rétabli, tout doit tendre à faire disparaître idu monde des effets, où nous vivons, l'ancien ordre,de choses, <jui n'est «n réalité que désordre,

SUR LE SBCON» AVÈNEMENT.

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pour y coBstituer le véritable ordre par l'éteklissement d'une nouvelle Église, établissement qui ne peut être complété que graduellement, et cela, en raison de la loi immuable qui maintient l'homme collectif et l'homme individu dans le libre arbitrer sans-jamais le froisser. Il n'est donc pas indifférent d'examiner si l'assertion de Swedenborg ne serait pas susceptible d'être confirmée par le sens littéral de la Parole; car, dans le cas de l'affirmative, on saurait d'une manière plus expresse que c'est à partir de 1757 que la nouvelle influence spirituelle a commencé à se faire sentir sur notre globle, pour ramener librement les hommes à leur vrai Dieu, et par conséquent au véritable bonheur. Et d'abord, il conviendrait de rechercher quel a pu être le motif qui a empêché Swedenborg de présenter à l'appui de son assertion quelques passages de la Parole. Il faut remarquer qu'il s'agit seulement ici de la fixation d'une époque, c'est-à-dire, d'une chose qui ne concerne absolument que le monde matériel pour lequel seul existe le temps. En effet, dans le monde spirituel, il n'y a ni temps, ni espace, mais seulement des apparences de temps et d'espace, qui résultent des variations de l'état intérieur des êtres qui l'habitent. Or, la Parole, dans son sens interne, ne traite que des choses qui concernent l'état spirituel; et Swedenborg n'avait pour mission que de révéler ce sens resté jusqu'alors inconnu.

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On fera sans doute cette objection : L'époque du premier Avènement ayant été confirmée par les 70 semaines du Prophète Daniel prises au sens de la lettre, sauf la substitution qu'on a faite des années aux jours, pourquoi Swedenborg, si le second Avènement est accompli, comme il le prétend, n'a-t-il pas confirmé de même l'époque de son accomplissement, par quelques passages tirés, soit des Prophètes, soit desÉvangélistes? On peut d'abord répondre à cette objection, en faisant observer que les Évangélistes n'ont, en aucune manière, fait mention des semaines de Daniel, quoique ce Prophète soit cité dans Marc, au sujet de l'abomination de ta désolation, expressions qui se trouvent dans le Verset même où il est question des semaines. Or, si l'Évangile garde le silence sur ces fameuses semaines qui indiquent, dit-on, l'époque du premier Avènement, pourquoi s'étonner que le Prophète de la Nouvelle Église chrétienne n'ait cité aucun passage de la Parole indiquant par son sens littéral l'époque du second Avènement. Nous avons dit, dans l'Article précédent, que Dieu, pour ne point violenter le libre arbitre de l'homme, voilait le sens des prophéties, et que ce sens ne paraissait clair qu'après l'entier accomplissement de l'événement prédit. Ne serait-ce pas là l'explication du double silence gardé par les Évangélistes et par Swedenborg? Les Évangélistes n'ont fait que transmettre aux hommes la Nouvelle Parole

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qui renfermait, dans son sens littéral, les principales actions du Seigneur sur cette terre. Or, pendant la vie terrestre du Seigneur, le premier Avènement n'avait pas encore reçu son entier accomplissement. D'un autre côté, Swedenborg, depuis le commencement de sa mission jusqu'à sa mort, fut continuellement occupé à donner la Révélation du sens spirituel de la Parole; or, c'est dans cette Révélation que consistait pour notre globe le second Avènement du Seigneur, par conséquent il n'y avait pas non plus alors entier accomplissement. Mais si, lorsque la première Église chrétienne fut établie, on ne tarda pas à recourir aux semaines de Daniel, pour prouver aux partisans exclusifs de la loi de Moïse que le Christ était venu dans ce monde à l'époque fixée par les Prophètes, les Chrétiens de la Nouvelle Église peuvent aussi présenter aux Chrétiens de l'Église en dévastation des arguments du même genre, pour leur montrer que le second Avènement est accompli, et que le Jugement Dernier a été fait, en 1757, selon l'assertion de Swedenborg. En effet, dans la vision du bélier et du bouc du même Prophète Daniel, on trouve ces paroles remarquables : « Jusqu'à quand cette vision? » Et il fut répondu : « Jusqu'à deux mille trois cents soirs et matins; puis le SANCTUAIRE sera sanctifié. »— VIII. 13, 14. Nous pourrions continuer la citation de cette vision, qui, dans son sens spirituel, se réfère, comme 10.

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celle des semaines, à un Jugement Dernier; mais nous nous contenterons pour le moment de compter les soirs et matins, comme les premiers Chrétiens ont compté les semaines. Or, si d'une semaine, qui comporte sept jours, ils ont fait sept années, on nous permettra bien de faire aussi de chaque soir et matin, ou de chaque jour une année. On ne pourrait pas nous dire qu'il s'agit réellement ici, dans le sens de la lettre, de 2300 soirs et matins, car il est dit plus loin : « La vision du soir et du matin qui a été dite est la vérité; mais toi, scelle la vision, car elle n'arrivera de longtemps. »— VIII. 26. Il ne s'agit plus maintenant que d'un calcul chronologique; or, sans entrer ici dans les commentaires que comporterait un tel calcul, nous pouvons affirmer que quiconque voudrait supputer en même temps les 70 semaines de 7 années qui se réfèrent au premier Avènement, et les 2300 années qui se réfèrent au second, se trouverait porté plus près de l'année 1757 par le second calcul que de l'époque du premier Avènement par la première supputation; car, l'on n'ignore pas qu'on a fait hypothèse sur hypothèse pour faire concorder les semaines avec le premier Avènement. Dom Calmet dit à ce sujet : « Les Pères, » les interprèles et les chronologistes sont de divers » sentiments; mais l'hypothèse de Jules Africain est » maintenant adoptée par la plupart des interprètes » et des chronologistes, tant Catholiques que Proles» tants. » II ajoute ensuite qu'il y a quelque variété

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sur le calcul, que les chronologistes diffèrent de quelques années, mais que la plus grande différence ne va qu'à 9 ou 10 ans. — Tout cela vient, sans doute, des ténèbres qui planent sur la chronologie pour les époques où les astronomes n'avaient pas encore su déterminer exactement le cours des astres. Les premiers Chrétiens n'avaient pas besoin des semaines de Daniel pour se confirmer dans la doctrine que les Apôtres avaient prêchée, et pour se convaincre que Jésus était le Christ annoncé par les Prophètes; de même, les Novi-Jérusalémites n'ont nullement besoin des 2300 soirs et matins de Daniel pour se confirmer dans les vérités révélées à Swedenborg, et pour se convaincre que le Seigneur a opéré son second Avènement en rétablissant l'ordre dans le inonde spirituel. Mais, de même que les premiers Chrétiens disaient aux Juifs incrédules qui attendaient la venue du Messie : Comptez les semaines de Daniel, et vous verrez que l'événement que vous attendez est arrivé ; de même aussi nous dirons aux Chrétiens de la Vieille Église : Comptez les 2300 soirs et matins de Daniel, et vous reconnaîtrez que le SANCTUAIRE a été purifié, dans le monde spirituel, en 1757; c'est-à-dire, qu'il y a eu alors séparation des bons d'avec les méchants, par conséquent Jugement Dernier ou consommation du siècle; ou, en d'autres termes, fin de l'Ancienne Église et établissement de la Nouvelle.

Ainsi, même en prenant les Prophéties anciennes

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SUR LE SECOND AVÉXEMEXT.

dans le sens de la lettre, sens que nous sommes bien éloignés de mettre de côté, comme nous l'avons précédemment prouvé, nous pouvons encore montrer aux Chrétiens de la Vieille Église que ces prophéties concordent avec les déclarations du Prophète de la Nouvelle Jérusalem; mais, nous ne saurions trop le répéter, ce qui distinguera toujours la Nouvelle Église de celles qui l'ont précédée, c'est qu'aux avantages qu'elle relire, comme elles, du sens de la lettre, elle joint l'avantage inappréciable de posséder le sens spirituel, ce qui la garantira des périodes de décroissances qui conduisirent les autres à leur ruine : aussi doit-elle être la couronne de toutes celles qui ont existé jusqu'à présent, et progresser continuellement. « Ses portes ne seront point fermées journellement, car de nuit il n'y aura point là. » — Apoc. XXI. 23.

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SUR L'ÉTABLISSEMENT DE LA NOUVELLE ÉGLISE

Lorsque la première Église chrétienne, après avoir parcouru ses diverses phases, fut arrivée à sa fin; quand, pour elle, le Soleil fut obscurci; quand la Lune ne donna plus sa lumière; ou, en d'autres termes, quand la charité fut presqu'éteinte et qu'il n'y eut plus de foi, alors se fit, selon les promesses du Seigneur, une nouvelle dispensation de vérités divines, propres à dissiper les ténèbres épaisses qui enveloppaient le monde chrétien, et tout fut disposé par la Providence Divine pour arriver à l'établissement d'une Nouvelle Église, de celle que les Livres Saints désignent sous la dénomination emblématique de Nouvelle Jérusalem, de celle enfin qui doit être le complément ou la couronne de toutes les Églises qui l'ont précédée. Nous avons déjà dit que la Divinité transmet au genre humain ses vérités célestes, au moyen de certains hommes qui ne sont, dans cette circonstance, que de simples instruments; nous avons surtout insisté sur ce point important, que jamais Dieu ne contraint le libre arbitre de l'homme, et qu'en con16*.

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SUR L'ÉTABLISSEMENT

séquence rien ne s'opère an spirituel que par une transition, pour ainsi dire, insensible. Ainsi, quand nous avançons que la première Église chrétienne est arrivée à sa fin au milieu du siècle dernier, et qu'au même moment les premiers fondements d'une Nouvelle Église ont été posés par le Seigneur, nous entendons seulement par là que cette première Église a cessé d'exister en tant qu'Église du Seigneur, parce qu'elle s'était entièrement séparée de Lui, en abusant de tous les biens célestes, et en falsifiant toutes les vérités spirituelles; et que les bases de sa Nouvelle Eglise ont été établies par la nouvelle doctrine qu'il a transmise aux hommes, en se servant de Swedenborg qui, en cela, fut seulement un intermédiaire. Mais, de ce que la première Église chrétienne a cessé d'exister, en tant qu'Kglise du Seigneur, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle ait dû cesser aussitôt d'exister en tant qu'institution humaine. Quand le Seigneur vint établir celte première Église, ce fut sur les débris de celle qu'il avait instituée quinze-cents ans auparavant par l'intermédiaire de Moïse; or, l'Église Judaïque était arrivée à sa fin; l'abus qu'elle avait fait des choses saintes l'avait entièrement séparée du Seigneur, et par conséquent la véritable vie n'était plus en elle; cependant, le Judaïsme n'en subsista pas moins comme institution humaine, et lutta même assez longtemps contre le Christianisme. Tant que celui-ci fut dans sa période

DE LA. NOUVELLE ÉGLISE.

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d'enfance, il demeura exposé aux sarcasmes et au mépris de son vieil adversaire qui se croyait puissant, parce qu'il avait en sa possession le Temple de Jérusalem ; inébranlable, parce qu'il s'appuyait sur plus de quinze cents ans d'existence; fort, parce qu'il faisait avec orgueil le dénombrement de ses enfants; majestueux enfin, parce qu'il marchait avec pompe, revêtu d'éclatants oripeaux. Mais, tandis que le vieillard, privé de la véritable vie, perdait à chaque instant une partie de cette faible chaleur naturelle qui lui donnait un semblant d'existence, l'enfant, puisant aux sources mêmes de la vie, croissait avec vigueur, et les forces spirituelles qu'il acquérait chaque jour développaient en lui ses forces naturelles. Il n'était pas encore arrivé à la fleur de l'âge que son rival avait disparu de la scène : le Temple de Jérusalem avait été renversé; ses quinze cents ans d'existence étaient passés dans, le domaine de l'histoire ecclésiastique; ses enfants qui faisaient autrefois sa gloire avaient été dispersés; il ne lui restait plus enfin que quelques franges de ses oripeaux, comme témoignage de son antique splendeur. Depuis lors, bien des siècles se sont succédé; l'enfant qui avait crû avec tant de vigueur devint homme, mais bientôt enorgueilli par ses succès, il suivit la marche de son prédécesseur, et éprouva le même sort. Comme lui, il est devenu vieux ; comme lui, il s'est trouvé par sa faute privé de la véritable vie; comme lui, il disparaîtra insensiblement de la scène.

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Ni la ville aux sept montagnes, ni ses dix-huit siècles d'existence, ni le nombre actuel de ses enfants, ni le déploiement de toutes ses pompes ne sauraient le garantir de la destruction. L'heure fatale est sonnée pour lui; il n'est plus qu'un cadavre qui conserve encore la forme que la vie lui avait imprimée, mais qui la perd nécessairement, avec plus ou moins de rapidité, selon que les diverses circonstances qui accompagnent la décomposition sont de nature à la ralentir, ou à l'accélérer. Maintenant, il est facile de comprendre comment la première Église chrétienne a pu arriver à sa fin, vers le milieu du siècle dernier, et cependant paraître encore aujourd'hui, à l'extérieur, comme si elle existait réellement. Quant à la Nouvelle Jérusalem, qui est destinée à être, à l'égard de la première Église chrétienne, ce que celle-ci fut à l'égard du Mosaïsme, si l'on veut s'assurer que les bases de cette Nouvelle Église ont été établies par les doctrines données au moyen de Swedenborg, il suffit d'étudier ces doctrines, et tout homme de bonne foi ne tardera pas à reconnaître que leur origine ne peut être que divine. Les diverses théories de Swedenborg, que nous admettons toutes, ont pu souvent être l'objet de la critique d'hommes qui voulaient juger des parties, sans avoir embrassé l'ensemble; mais nous n'avons pas encore connaissance qu'un seul homme moral, ou véritablement religieux, ait osé attaquer un de ses points de

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doctrine, tandis que la doctrine de la première Église chrétienne a été tellement pervertie par ceux qui avaient été chargés de la maintenir, qu'elle ne peut plus aujourd'hui, dans la plupart de ses points, supporter le moindre examen. La doctrine, nous dira-t-on, est sans aucun doute la base de toute Église : ainsi, nous admettons que les fondements d'une Nouvelle Église ont été posés dans les écrits de Swedenborg; mais, après nous avoir indiqué où est la base, il devient important de nous faire connaître comment l'édifice s'est élevé; car on voit maintenant la Nouvelle Jérusalem se manifester, dans plusieurs états de l'Europe et de l'Amérique, sous forme de sociétés visibles, et l'on ignore encore généralement par quelles phases elle a passé pour parvenir au point où elle est aujourd'hui. Il faudrait, pour répondre à cette question, faire, pour ainsi dire, l'historique de la Nouvelle Église à partir de son origine. Or, toute l'histoire exige de nombreux documents, et l'on sait que c'est surtout quand il s'agit du berceau des grandes institutions que le défaut de documents se fait plus particulièrement sentir, parce que ceux qui édifient sont plus occupés à agir qu'à écrire. Il nous serait donc impossible, dans la position où nous nous trouvons, de donner à notre réponse toute l'extension qu'exigerait un tel sujet. Nous nous contenterons, pour le moment, de présenter quelques faits importants, con-

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nus, il est vrai, de nos frères d'Angleterre, mais ignorés d'un grand nombre de Novi-Jcrusalcmites de France (*). Quand une Église est arrivée à sa fin, il y a nécessairement une nouvelle clispensation de vérités divines, pour sauver le genre humain; car, sans ce secours de la Providence, il se précipiterait dans un abîme de maux qui le feraient disparaître de la surface de la terre; mais les ténèbres sont alors si épaisses, et l'égoi'sme a tellement endurci le cœur de l'homme, que les vérités nouvelles sont généralement prises pour des illusions, et que le véritable dévouement est considéré comme une niaiserie. Ainsi, quand Dieu donna sa loi à Moi'se, quoiqu'il (') NOTA. 11 serait important de recueillir avec soin, et dès ce moment, tout ce qui peut être propre à faire connaître les divers efforts qui ont été faits, tant à l'Étranger qu'en France, pour arriver à rétablissement de la Nouvelle Église. 11 existe, sar.s aucun doute, beaucoup de matériaux précieux laissés par des hommes qui, pénétrés des divines vérités, mais convaincus que le temps de les répandre n'était pas alors arrivé, ont travaillé dans le silence, ou entourés d'un petit cercle d'amis ; leurs pensées, leurs vues, leurs moyens d'action pour un temps plus propice, ont pu aussi être consignés dans leur correspondance. Que rien de ce qui peut intéresser la Nouvelle Église ne soit perdu par notre négligence; empressons-nous de mettre le plus tôt possible à l'abri de la destruction tout ce que nous pourrons découvrir. Que les plus âgés rappellent leurs souvenirs; que lesjcuncs se livrent à de laborieuses recherches. De notre côté, nous consacrerons une partie de la Revue, qui pourra être considérée comme section rétrospective, pour consigner les pièces qui nous seront adressées, en ayant toutefois égard à leur degré d'importance et à l'opportunité de leur publication.

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l'eût entourée de l'appareil le plus propre à rendre témoignage de son origine céleste, les Israélites, plongés dans l'obscurité et dans l'amour de soi, quittaient à chaque instant Jéhovah pour leurs idoles, et la génération, témoin de tant de merveilles, erra péniblement dans le désert, sans pouvoir entrer dans la terre promise. Lorsqu'à la fin de l'Église Judaïque, le Seigneur vint lui-même dans le monde pour le sauver, les Juifs furent sourds à sa voix; la sublimité de la doctrine qu'il prêchait ne pouvait émouvoir leurs cœurs endurcis : ses Apôtres, témoins chaque jour des choses merveilleuses qu'il opérait, ses Apôtres, auxquels il avait même donné le pouvoir d'en opérer de semblables, étaient néanmoins à chaque instant dans l'incertitude sur sa mission, et ne crurent inébranlablement en lui qu'après sa résurrection. D'après de tels faits, serait-il étonnant que le second Avènement du Seigneur, ou la Révélation du sens interne de la Parole Divine, n'ait trouvé, lorsqu'elle a été faite, que des incrédules et des indifférents. Lorsque Swedenborg remplissait la mission qui lui avait élé confiée, il savait bien que ses écrits seraient dédaignés de ses contemporains. Il ne s'occupa pas, comme font tous les faiseurs de systèmes, à former des disciples, à s'entourer de preneurs, à faire école enfin; cependant, il ne refusait jamais de donner des explications à ceux qui lui en demandaient. Il ne s'adressa pas, comme les chefs de secte,

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à telle ou telle nation de préférence, en se conformant à ses mœurs et à ses usages, pour capter sa bienveillance; mais il écrivit pour tout le monde chrétien, et c'est pour cela que ses ouvrages furent composés en latin ; il ne cherchait pas même à les répandre par les moyens usités; il les adressait seulement aux hauts dignitaires de l'Église, aux établissements publics et à quelques amis, sachant bien que le Seigneur, dont il n'était que l'instrument, ferait germer la semence en temps et lieux convenables. La germination se fit d'abord avec silence et progressivement dans quelques États de l'Europe ; car toutes les choses qui s'exécutent conformément à l'Ordre Divin procèdent toujours par gradation et non par transition violente. Ceux donc qui admirent les premiers les doctrines célestes de la nouvelle dispensation, les conservèrent intérieurement dans leurs cœurs, jusqu'à ce que le moment fût arrivé de les professer publiquement ; mais il ne larda pas à se faire quelques manifestations publiques, et la première paraît s'être effectuée en Angleterre ; du moins, s'il y en eut qui la précédèrent dans quelques autres contrées, ce que nous ignorons, elles furent sans importance, tandis que celle dont nous allons parler eut les résultats les plus heureux.

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ROBERT HINDMARSH. Les détails que nous allons donner sur ce fervent disciple, en tant que promoteur de l'Etablissement ostensible de la Nouvelle Église, sont puisés dans un écrit de M. Noble, ministre actuel de cette Église à Londres, et Rédacteur du journal Anglais Vlntellectual Repository. Robert Hindmarsh était un de ceux qui avaient eu le précieux avantage de connaître les écrits de Swedenborg, à une époque où il n'y avait encore en Angleterre qu'un petit nombre de ses Traités qui fassent traduits. Son esprit n'étant pas de nature à se contenter d'une simple traduction, il eut recours à la collection latine, et l'étudia avec l'assiduité la plus soutenue et les plus suaves délices. Heureux d'avoir trouvé une mine si précieuse, il ne songea plus qu'à faire partager son bonheur à ses concitoyens, en leur procurant la lecture de ces ouvrages connus à peine d'un petit nombre d'entre eux; et, de ce moment, il fit tous ses efforts pour dissiper la torpeur qui régnait clans tous les esprits. Il se concerta en conséquence avec trois autres personnes, et en décembre 1783, il inséra dans les journaux un avis pour prier les lecteurs et les admirateurs des écrits théologiques de Swedenborg, de se réunir le o du mois dans un lieu public de Londres. Cinq personnes seulement s'y rendirent. Ces quelques disci17.

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pies de la Nouvelle Église convinrent de tenir des assemblées dans un local, où ils furent joints par d'autres, au nombre de trente, îls manifestèrent tous un grand zèle et firent beaucoup de bien : on imprima, aux frais d'un petit nombre d'entre eux, quelques ouvrages posthumes de Swedenborg, écrits aussi en latin. C'est à cette petite réunion que nous devons l'impression de l'inestimable Traité, YApocalypsis Explicata (4 vol. in-4°).— Hindmarsh, en outre, traduisit et imprima, à son compte, plusieurs des plus petits Traités. Biais une société ayant, à la même époque, été formée à Manchester pour publier la traduction des ouvrages de Swedenborg, il devint moins nécessaire pour la petite réunion de Londres de diriger uniquement ses travaux sur cet objet. Elle prit, en conséquence, en considération le projet d'établir une société pour constituer la Nouvelle Église sous une forme visible, et la distinguer complètement de l'ancienne. Cette proposition donna lieu à de nombreuses discussions. La majorité jugea cette mesure trop hardie pour être adoptée tout de suite, et voulait la différer jusqu'à ce que le nombre des personnes qui admettent les vérités de la Nouvelle Eglise fût plus considérable; mais Hindmarsh, et la minorité d'accord avec lui, la considérèrent comme le moyen le plus capable de faire disparaître de grands inconvénients. Ils pensaient, en outre, nue celte manifestation était indispensable v>cur l'existence réelle de la

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Nouvelle Église, et pour la satisfaction et l'instruction de ses membres, quoiqu'une augmentation de nombre ne dût pas en résulter immédiatement; car, il n'y a pas en réalité Église là où on ne possède pas les statuts essentiels de l'Église. En conséquence, Hindmarsli et le petit nombre de ceux qui étaient de son avis obtinrent, dans Great-Eastcheap, une chapelle qui fut ouverte en janvier 1788. On ignore si ce fut immédiatement avant l'ouverture de cette chapelle, ou aussitôt après, mais toujours est-il que ce fut à cette époque que se fit, dans la Nouvelle Eglise, la première ordination de Ministres. Hindmarsh fut également le promoteur de cette mesure. On considéra avec juste raison que, puisqu'il s'agissait d'une Église tout à fait nouvelle, aucune ordination consacrée par l'Ancienne Église ne pourrait être valide pour les ministres de cette Nouvelle Église; mais que, comme l'ordination de ministres dans la première Église chrétienne avait commencé avec les douze Apôtres, qui ne furent pas tirés de la prêtrise de l'Église juive, de même le Ministère de la Nouvelle Église devait avoir aussi une origine indépendante. Hindmarsh proposa, en conséquence, pour l'institution d'un nouveau Ministère, la formalité admise par les Apôtres dans une circonstance bien connue. Désigné lui-même par le sort pour accomplir le rôle principal de l'ordination, il transmit tout de suite les ordres à son père Jam. Hindmarsh et à Samuel Smith. C'est de ce commencement d'un mi-

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nistère que découlent toutes les ordinations qui se sont succédé dans la Nouvelle Église, et c'est aussi de ce 'commencement de prédication publique que vient l'origine de toutes les congrégations de la Nouvelle Église en Angleterre, qui étaient, en 1833, au nombre d'environ cinquante. Le vœu le plus cher au cœur d'Hindmarsh était accompli. La Nouvelle Église du Seigneur avait enfin reçu une forme distincte et visible, et se trouvait établie à perpétuité. En effet, elle prit dès lors une grande extension, se répandit d'Angleterre aux États-Unis d'Amérique, et commença à apparaître plus ou moins manifestement dans presque toutes les contrées du globe. Cette tâche ayant été providentiellement remplie, Hindmarsh se livra à de nouveaux travaux. Il publia, en 1790, un écrit périodique mensuel, et composa ensuite plusieurs ouvrages importants. La plupart des principaux points de controverse entre la Nouvelle Eglise et l'Ancienne sont traités avec tant de force et de clarté dans ses lettres en réponse au docteur Priestley, la vérité s'y montre dans un centre de rayons si lumineux, qu'elles resteront comme étendard dans les polémiques théologiques de la Nouvelle Église. Après avoir rendu, pendant cinquante-cinq années, de si émincnts services, en établissant et en consolidant la Nouvelle Église dans sa patrie, Robert Hindmarsh quitta ce monde en 1835, à l'âge de 7(> ans.

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Que l'exemple de ce zélé disciple de la Nouvelle Kglise ne soit pas perdu pour les Novi-Jérusalémites français. L'appel qu'il fit à ses concitoyens, en 1783, fut h peine entendu, mais loin de se décourager, il redoubla de zèle, car il était pleinement convaincu qu'il remplissait une haute mission; aussi, ses persévérants efforts furent-ils plus tard couronnés d'un beau succès. De fervents disciples ont aussi tenté en France, à différentes époques, de faire jouir leurs concitoyens des bienfaits innombrables de la Nouvelle Dispensation ; si leurs efforts n'ont point eu un grand résultat, c'est, sans aucun doute, par suite de cette loi qui exige que la terre soit défrichée, que la semence soit répandue, et qu'elle germe avant d'apparaître; leurs travaux étaient donc indispensables. Nous les ferons successivement connaître à mesure que nous recueillerons.les documents qui les constatent. Maintenant que nos devanciers ont préparé le terrain, c'est à nous tous, leurs successeurs, qu'est réservée la tâche de hâter la germination; c'est à nous tous de rechercher les meilleures terres en friche pour les disposer aussi à recevoir la vraie semence. Unissons-nous étroitement, nous aurons plus de force pour nous étendre. Qu'aucun de nous ne soit un ouvrier inutile; que chacun rende productif le talent qui lui a été départi par le Seigneur. Le Royaume de Dieu est le Royaume des usages; faisons donc des 17*.

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usages, des usages, toujours des usages. Que chacun de nous s'attache avec persévérance à éclairer ceux en qui il reconnaîtra l'amour de l'humanité ou du bien public; si chez eux cet amour l'emporte sur l'intérêt privé, quelle que soit du reste leur opinion, ils seront, tôt ou tard, des nôtres. Préférer réellement l'humanité à soi-même, c'est être dans le bien; et celui qui est dans le bien reconnaît le vrai aussitôt qu'il lui est présenté. Le démocrate qui se sacrifierait, non pour le plaisir de détruire ou de satisfaire de mauvaises passions, mais pour que le peuple fût plus heureux; le légitimiste qui serait capable de. se dévouer pour son idole, non dans des vues d'ambition ou de vanité, mais dans l'intime conviction que, sans elle, le peuple ne saurait jouir de la paix et de la tranquillité; le paisible bourgeois qui serait susceptible de négliger ses propres intérêts pour soutenir le gouvernement, non dans l'espoir d'en être récompensé ou dans la crainte d'éprouver de plus grandes pertes, mais parce qu'il serait convaincu que le peuple ne saurait être heureux que dans tin gouvernement tenant le milieu entre l'aristocratie et la démocratie, tous ces hommes-là, quoique d'opinions si différentes, reçoivent à leur insu le nouvel influx du Seigneur. Cette terre-là est excellente; elle est déjà échauffée par la chaleur divine, puisqu'il y a véritable dévouement : il ne lui manque que la bonne semence. Répandons-la donc cette semence, et nos peines ne seront pas perdues; car, l'homme

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capable de sacrifier ses propres intérêts à ceux de l'humanité, par suite seulement d'un sentiment interne dont il ne saurait se rendre compte, ne peut manquer d'accueillir une doctrine qui lui démontre que ce sentiment n'est autre que l'action du Seigneur en lui, et que ce Dieu unique, que la théologie avait rendu méconnaissable, est l'Amour Même et la Sagesse Même.

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POLÉMIQUE LOCALE.

— On lit ce qui suit dans l'Annonciateur du Cher : Saint-Amand (Cher), le 11 décembre 1838. •

MONSIEUR LE RÉDACTEUR, Attaqués par le Journal l'Abeille du Cher, dans son N° 172, les Novi-Jérusalémitcs comptent sur votre impartialité pour l'insertion de leur réponse. Occupés de leur propre Régénération et de la propagation de leur doctrine, ils n'auraient fait aucune attention à un article aussi inconvenant, pour ne rien dire de plus, s'il ne renfermait du reste des faits controuvés et des suppositions gratuites. Ils se borneront donc, pour le moment, à rectifier les faits, et attendront qu'on revienne sur cette affaire, pour entrer dans tous ses détails, et mettre à découvert les manœuvres qu'on a employées. Agréez, etc. Le chef d'une famille étrangère, M. H...*, ayant appris que la Nouvelle Église chrétienne, dont le culte est ostensiblement célébré dans plusieurs Etals de l'Europe et de l'Amérique, s'était manifestée en * Voir aux notes additionnelles,

UNE IXHU3ÏATIOX.

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France, et que des disciples de la Nouvelle Jérusalem avaient un culte public à Saint-Amand, vint de son propre mouvement, il y a quelques mois, se réunir à nous. Accueilli avec cordialité, il assista à nos exercices religieux; mais, attaqué presqu'aussitôt d'une maladie grave, il succomba le 6 octobre dernier. Les Novi-Jérusalémites, se conformant aux intentions qu'il avait manifestées, lui rendirent les derniers devoirs selon le rit de leur culte. Cette cérémonie, quoique simple en elle-même, prit cependant un caractère imposant, par suite du concours de la plus grande partie de la population. En conséquence, on s'attendait généralement à trouver, dans un des journaux de la localité, une relation détaillée de l'inhumation ; mais la Nouvelle Jérusalem n'a pas besoin pour se propager d'avoir recours à ces petits moyens; aussi garda-t-elle un profond silence : si elle le rompt aujourd'hui, c'est uniquement parce qu'elle s'y trouve forcée par les actes de ses adversaires. En effet, plus de deux mois s'étaient écoulés, lorsqu'un événement presqu'inaperçu vint servir de prétexte au journal /''Abeille',,,pour nous attaquer et crier en même temps Victoire. Qu'était-il donc arrivé? Rien, certes, qui pût exciter la surprise. M"' C H... qui, selon l'Abeille ellemême, avait toujours été de la religion désespères, venait de faire baptiser deux de ses enfants à l'Église Catholique-Romaine.

Tel est, en deux mots, le grand événement que

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CXE INHUMATION.

l'Abeille annonce avec jubilation au public, qui, sans elle, n'en aurait pas eu connaissance. Si cette feuille s'en était tenue là, nous n'aurions rien à en dire : chacun, en pareille circonstance, étant libre d'agir comme bon lui semble; mais elle veut argumenter, et elle conclut, en bonne logicienne, qu'en faisant baptiser ses enfants selon le rit romain, M mo H..., qui est née Catholique-Romaine et qui a toujours été de la religion de ses pères, a nécessairement fait, éprouver une défection à la Nouvelle Jérusalem. Or, comme la défection est la base et le fondement de l'article de l'Abeille, tout s'écroule sans discussion. Reproduire son argumentation, c'est la réfuter complètement. Du reste, nous ne voyons pas la grande importance de l'acte de M mc H... Le baptême d'eau n'est par lui-même qu'un emblème du véritable baptême, qui consiste à se réformer peu à peu, et à parvenir par ce moyen à dépouiller le vieil homme pour revêtir l'homme nouveau. Si les enfants de M m °H... mouraient avant d'avoir atteint l'âge où l'homme peut agir librement et rationnellement, notre doctrine et le bon sens nous disent qu'ils seraient acceptés de Dieu, quelle que fût la religion dans laquelle ils auraient été élevés; car Dieu, qui est la Justice Même, n'impute à l'homme que ce qu'il a fait comme homme, c'est-à-dire, avec pleine liberté et entière rationalité. Si, au contraire, ils deviennent hommes,

UNE INHUMATION.

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nous avons l'espoir qu'ils sauront alors secouer les préjugés superstitieux dans lesquels on les aura élevés, et qu'ils s'administreront eux-mêmes le véritable baptême, en devenant des citoyens utiles et de véritables Chrétiens. Quant à la cérémonie de l'inhumation, puisque l'Abeille la critique, nous nous trouvons forcés d'en parler. Réunis au domicile du défunt, nous nous rendîmes au champ du repos dans un silence religieux, marchant deux à deux, à quelques pas en arrière des porteurs, et entourés d'une foule considérable. Arrivés au cimetière, une autre partie de la population nous y avait devancés. Lorsque le corps fut descendu dans la fosse, l'un de nous ouvrit le livre de la liturgie, et s'adressant à rassemblée, il lut à haute voix les passages suivants : FRÈRES, « Puisqu'il a plu au Seigneur, selon le cours de sa Divine Providence de retirer de ce monde notre frère H..., nous déposons son corps dans ce sépulcre, rendant de la terre à de la terre, des cendres à des cendres, de la poussière à de la poussière, avec la ferme assurance qu'il est vivant pour l'Éternité, cl avec l'espérance qu'il a trouvé miséricorde devant le Seigneur. » II est impossible que le corps naturel, qui n'est en lui-même qu'une matière insensible, constitue le

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USE INHUMATION.

véritable homme; il n'est qu'un instrument donné à celui-ci, instrument à l'aide duquel il se rapproche du but pour lequel il a été créé, en résidant, pendant un court espace de temps, dans ce monde matériel. Quand le corps naturel cesse d'être dans un état propre à servir d'instrument, c'est alors qu'on dit ([u'z/ meurt; non pas que l'homme cesse de vivre; il ne fait que se débarrasser de cette enveloppe extérieure, à l'aide de laquelle il était en communication avec ce monde et les choses de ce monde. Le théâtre de son existence est transporté dans un autre monde, où il continue de vivre, devenu, non une vapeur sans substance, un vain fantôme, mais un homme véritable; car l'homme est homme, parce qu'il a une âme spirituelle douée de la faculté de connaître et d'aimer son Dieu; et c'est pour cela seul qu'il est immortel; ainsi, quand l'homme (je ne parle ici que de son âme) passe de ce monde matériel dans le monde spirituel, il emporte avec lui tout ce qui lui appartient comme homme ; il ne se dépouille que de cette simple enveloppe terrestre dont il n'a plus besoin, et que par conséquent il ne reprendra jamais. Sans elle, il n'a pas moins un corps comme avant, mais un corps d'une substance spirituelle et immortelle. » Nous avons donc suffisamment de quoi nous rassurer contre la crainte de la mort du corps. Mais il est une mort qui a de la terreur, môme pour le philosophe, cl de laquelle, si nous sommes sa^;es, noua

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devons chercher à nous préserver pendant que nous demeurons dans la vie terrestre. « Ne craignez point » ceux qui tuent le corps, et après cela n'ont pas » pouvoir de rien faire de plus. Mais je vous mon» trerai qui vous devez craindre : Craignez Celui » qui, après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la gé» henné; oui, vous dis-je, Celui-là, craignez-le. »— Luc, XII. 4, S.— La mort que nous devons tous craindre est la mort spirituelle ou la mort de l'âme. Cette mort est amenée par l'amour du mal ; elle est véritablement l'ouvrage de nos propres mains. Ne nous laissons donc pas induire en erreur; ayons toujours présent à l'esprit que la vie intérieure de chacun le suit dans la vie éternelle, et qu'une vie bonne a pour terme le Ciel, de même qu'une vie mauvaise a pour terme l'enfer; car le Seigneur a dit : « Voici, je viens bientôt, et ma récompense avec » Moi, pour rendre à chacun selon que son œuvre » sera. » — Apoc. XXII. 12. — Ainsi l'état de l'homme ne peut plus changer une fois qu'il est entré dans l'éternité. » Connaissant donc l'importance du grand changement que nous subirons bientôt el inévitablement, songeons sans cesse à nous y préparer. Cherchons le Seigneur pendant qu'il nous est possible de le trouver. Appelons-le pendant qu'il est près de nous. Que le méchant abandonne sa voie, et l'homme injuste ses pensées; qu'ils viennent au Seigneur et il aura pitié d'eux : qu'ils reviennent à notre Dieu, et ils 18.

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trouveront pleine miséricorde. C'est ainsi que nous serons prêts à paraître devant notre juge, quand il nous appellera. C'est ainsi que nous entendrons sa miséricorde dire à chacun de nous : « Bien ! servi» leur bon et fidèle; sur peu tu as été fidèle, sur » beaucoup je t'établierai. » — Matth. XXV. 21. Un autre de nos frères a lu l'invocation de Richer, qui a pour titre : Qu'est-ce que la mort? Nous nous retirâmes ensuite en silence au milieu d'un recueillement général. — Oui, Messieurs de l'Abeille, il y eut un recueillement bien senti; car de telles paroles, qui ne sont ni des discours pompeux, ni des panégyriques faits par des amis, mais un simple résumé de nos doctrines sur ce qu'on appelle la mort, étaient bien capables de porter le recueillement dans l'âme des nombreux assistants, et de leur faire sentir la différence des deux cultes. Non, personne ne se demandait ce que cela signifiait, parce que tout le monde avait compris ce qui avait été dit, tandis que chez vous, Messieurs, ceuxlà mêmes qui sont payés pour prononcer des chants lugubres ne savent pas un seul mot de ce qu'ils disent: et vous aussi, vous avez fort bien compris, et c'est là le motif de votre irritation; car, toutes les réflexions que la foule se communiquait dans un religieux silence , vous les avez recueillies avec anxiété ; le compte exact qu'on vous en a rendu n'était pas ce que vous attendiez, et voilà la cause de l'article maladroit que vous avez rédigé contre nous. Allons,

UNE INHUMATION.

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soyez de bonne foi; est-ce bien pour défendre le principe religieux que vous avez pris la plume? Que pouviez-vous trouver d'irréligieux dans ce que nous avons dit? Ne serait-ce pas plutôt pour quelques intérêts terrestres? Nous pourrions en indiquer plusieurs; mais à quoi bon ! ils se présentent si naturellement à la pensée de tout homme, que les passer en revue serait faire injure à la sagacité et au bon sens du public. Nous terminerons en rapportant un fait qui pourra seul donner une idée de tous les moyens qu'on emploie pour nous calomnier. Lorsque la foule se retirait paisiblement, on entendait répéter dans divers groupes cette exclamation bien significative : « Ah ! nous ne nous attendions pas à cela; on nous avait dit qu'ils ne croyaient pas en Dieu? » Ainsi, de perfides insinuations avaient été répandues contre nous; et si nous eussions habité l'une de ces contrées, où malheureusement encore le fanatisme ose montrer quelquefois sa tête hideuse, elles auraient pu, malgré la liberté de conscience, inscrite dans nos lois, causer un mal affreux; mais nos concitoyens sont trop éclairés; ils ont, en général, une idée trop élevée de la Divinité, et sont trop amis de nos libertés publiques, pour souffrir jamais qu'on trouble le repos de leur ville pour des formalités de culle qui, aux yeux de tout homme de bon sens, n'honorent ni ne déshonorent la Divinité, attendu que le vrai Dieu n'est honoré que par les verius de ses créatures, de même

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UNE INHUMATION.

qu'il n'est déshonoré que par leurs vices. Du reste, les Novi-Jérusalémites n'oublieront jamais les principes de tolérance qui résultent de leur doctrine, et chercheront toujours à éviter le scandale; car le Seigneur a dit : « Malheur à celui par qui le scandale arrive. »

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CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ, SUR LA FOI ET SUR LE CULTE.

On parle souvent de la Foi ; et quoique la vraie Foi ait été bannie de la première Église chrétienne, beaucoup de personnes cependant pensent encore la posséder, et font même retentir ce mot bien haut; mais ce qu'elles prennent pour de la foi ne ressemble en aucune manière à cette foi vivifiante sur laquelle toute Église doit reposer; aussi la première Église chrétienne a-t-elle cessé spirituellement d'exister. On fait aujourd'hui consister la foi à croire les points de doctrine de l'Église, tandis que la foi ne saurait exister là où il n'y a point de charité. Croire seulement, ce n'est pas la foi; vouloir et pratiquer ce que l'on croit, voilà la foi. La croyance aux points de doctrine ne les met pas dans la vie de l'homme, elle les place seulement dans sa mémoire et par suite dans sa pensée externe : pour qu'ils entrent dans sa vie, il faut qu'ils soient d'abord dans.

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CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

sa volonté et ensuite dans ses actions. C'est alors que la foi commence à être dans le mental de l'homme; car la mémoire de l'homme et la pensée qui en résulte sont seulement le vestibule par lequel se fait l'introduction. L'homme peut savoir, penser et comprendre beaucoup de choses ; mais celles qui ne concordent pas avec sa volonté, ou avec son amour, ce qui est la même chose, il les rejette loin de lui, quand, livré à lui seul, il médite d'après sa volonté ou son amour : c'est pour cela qu'il les rejette aussi quand il passe de cette vie dans l'autre; car il ne reste dans l'homme devenu Esprit que ce qui est entré dans sa volonté ou dans son amour; toutes les autres choses, après la mort, sont regardées par lui comme étrangères : il les rejette, il les a en aversion, parce qu'elles ne sont pas les objets de son amour. C'est donc une grande erreur de penser que la foi consiste à croire et à se persuader que telle chose est ainsi ; et surtout de croire que la foi est seulement dans la confiance ou la présomption qu'on est sauvé par la passion du Seigneur et par son intercession. La vérité sur ce point important, c'est qu'il n'y a point de foi sans charité, ni de charité sans foi, de même qu'il ne saurait y avoir d'entendement sans volonté, ni de volonté sans entendement. Car la charité et la foi, de même que la volonté et l'entendement, qui leur servent respectivement de siège, ne doivent faire qu'un.

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE.

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Or, s'il n'y a plus aujourd'hui de vraie foi dans l'Église chrétienne, c'est parce qu'il n'y a plus de vraie charité; et s'il n'y a plus de vraie charité, c'est qu'il n'y a plus en elle aucun bien spirituel, quoiqu'il reste cependant encore chez quelques-uns de ses membres un bien qui est purement naturel. Ce qui confirme encore qu'il n'y a plus de vraie charité dans cette Église, c'est que les diverses Communions qui la composent ne se distinguent entre elles que par ce qui est du ressort de ce qu'on appelle la foi. Du reste, la doctrine de la charité, qui est celle de la vie, est entièrement oubliée depuis bien des siècles. « Cette doctrine, dit Swedenborg, était la doc» trine même des Églises anciennes qui précédèrent » la Parole mosaïque. Elle les conjoignait toutes, et » ainsi de plusieurs n'en formait qu'une. On y re» connaissait pour hommes de l'Église tous ceux qui » vivaient dans le bien de la charité, et on les appe» lait frères, quoique d'ailleurs ils ne fussent pas » d'accord sur les vérités qu'on nomme aujourd'hui » vérités de la foi. On s'instruisait les uns les autres, » et cela faisait partie des œuvres de charité ; mais » on ne s'indignait pas de ce que quelqu'un n'admet» tait pas l'opinion d'un autre, sachant bien que cha» cun reçoit la vie en proportion de ce qu'il est dans » le bien. C'est parce que telles furent les anciennes » Églises, que les hommes qui en faisaient partie » étaient intérieurs, et par conséquent plus sages.

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CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

» » » » » » » » » » » » » » » » » » » »

Mais cette sagesse a décru par la succession des temps; car autant le genre humain s'est éloigné du bien de l'amour envers le Seigneur et de l'amour à l'égard du prochain, qui se nomme charité, autant il s'est par là éloigné de la sagesse. C'est ainsi que l'homme, d'interne qu'il était, est devenu d'abord externe, puis mondain et corporel. Parvenu à ce dernier état, il songe peu aux choses du Ciel, car il est tout occupé des plaisirs des amours terrestres, et il se livre aux maux que ces amours rendent agréables à l'homme. Alors, toutes les choses qu'il entend dire sur la vie après la mort, sur le Ciel, sur l'enfer, et, en un mot, sur les vérités spirituelles, sont comme hors de lui, et non en lui, comme cependant elles devraient y être. II est encore résulté de là que la doctrine de la charité, qui était en si grande estime chez les anciens, est aujourd'hui entièrement perdue; car aujourd'hui on ignore absolument le véritable sens des mots charité et prochain. » Ainsi, c'est en s'écartant peu à peu de la charité qu'une Église finit par perdre sa foi ; car la charité et la foi, ne formant qu'un seul tout, ne peuvent exister l'une sans l'autre; la charité est la substance même de ce tout, et la foi en est la forme. Or, toutes les fois qu'une substance est viciée, sa forme se détériore, et si la substance vient à être anéantie, sa forme disparaît.

Ces Églises anciennes, dont vient de parler Swe-

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE.

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denborg, faisaient plutôt consister le culte dans la vie intérieure que dans les actes extérieurs de la religion : aussi les hommes de ces temps reculés vivaient-ils dans un haut degré de sagesse. Ils n'usaient pas leur intelligence à de stériles discussions théologiques ; ils étaient bien éloignés de se persécuter pour des dogmes : ils reconnaissaient au contraire pour frères tous ceux qui étaient dans le bien, quelles que fussent d'ailleurs leurs opinions religieuses en ce qui concernait la forme. C'est à cet état de paix et de bonheur que l'humanité est appelée à marcher sous la bannière de la Nouvelle Jérusalem, pour, de là, arriver à cet âge d'or dont les premiers hommes ont goûté les délices, et qui doit reparaître de nouveau sur la terre pour s'y établir définitivement (1). Que tous nos efforts soient donc employés à hâter son règne; mais sachons néanmoins que nous ne pourrons le conquérir qu'en nous soumettant aux lois de transition. C'est par gradation que l'humanité est tombée dans le mal et dans le faux; c'est de même par gradation qu'elle doit revenir au .bien et au vrai : c'est insensiblement que le culte, d'interne qu'il était, est devenu entièrement externe; c'est de même par transition insensible que, de tout à fait externe qu'il est, il faut qu'il redevienne interne. (1) Les hommes de la Très-Ancienne Église, dont la tradition se retrouve chez presque tous les peuples, sous ce nom d'âge d'or, jouissaient d'un bonheur encore plus grand que ceux des Églises anciennes.

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CONSIDÉRATIONS SUR LA CHARITÉ,

Aussi, bien que le disciple de la Nouvelle Jérusalem sache que le culte intérieur est la substance même de la religion, et que le culte extérieur en est seulement la forme; que le premier est au second ce que le corps est au vêtement; qu'ainsi, chacun peut donner à son culte extérieur la forme qu'il croit la meilleure, de même qu'il peut donner à ses vêtements la forme qu'il lui plaît; il se gardera bien néanmoins de rester dans l'isolement pour remplir les devoirs de ce culte, lorsqu'il trouvera la possibilité de se réunir à d'autres frères; car il sait aussi que, dans l'état actuel du milieu où nous vivons, c'est dans ces réunions que chacun puise de nouvelles forces pour continuer l'acte incessant de la Régénération, seul but de la religion. Le disciple de la Nouvelle Jérusalem sait aussi que le Seigneur ne peut pas avoir de temple plus beau et qui lui soit plus agréable que celui que lui élève l'homme dans son intérieur, en se dépouillant de ses maux et de ses faussetés. Il sait encore qu'il n'existait pas de temple dans la Très-Ancienne Église, et que les temples n'ont commencé à être érigés sur terre que quand les hommes, de célestes qu'ils étaient d'abord, furent devenus spirituels; mais il reconnaît en même temps que l'humanité étant descendue dans le degré le plus bas, il faut que les hommes, de corporels qu'ils sont aujourd'hui, passent nécessairement par l'état spirituel avant de parvenir à l'état céleste, et qu'ainsi il leur devient utile

SUR LA FOI ET SUR LE CULTE.

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d'avoir des lieux spécialement destinés à la célébration du culte externe. C'est ainsi que la Nouvelle Jérusalem, prenant l'humanité dans l'état où elle est maintenant, l'élèvera par gradations jusqu'aux hautes destinées qui lui sont promises.

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CONSTRUCTION D'UN TEMPLE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM A SA1NT-AMAND *

Les Novi-Jérusalémites de Saint-Amand ayant éprouvé, en 1837, le besoin de se réunir pour prier en commun, profitèrent de la liberté que leur accorde la charte, et déclarèrent à l'autorité municipale leur intention d'exercer publiquement le culte qu'ils rendent au Seigneur. Ils n'ont eu depuis cette époque qu'à se louer de l'esprit de tolérance, et de l'administration en particulier, et de leurs concitoyens en général; aussi est-ce pour eux un véritable plaisir de leur témoigner publiquement ici toute leur gratitude. Ce seul fait prouvera, mieux que mille phrases sonores, aux peuples d'Angleterre et des États-Unis d'Amérique, nos aînés en liberté, que les Français savent aussi, eux, comprendre la véritable liberté de conscience, et que, si elle n'est restée que trop longtemps inscrite seulement dans nos lois, elle est maintenant descendue dans nos mœurs. Après ce témoignage rendu à nos concitoyens, nous dirons que si notre culte externe a été exercé * Voir aux notes additionnelles.

SUR LA CONSTRUCTION D\'N TEMPLE.

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publiquement, ce n'a toutefois été que dans un local particulier, déclaré provisoirement public. Nous ne nous dissimulions pas les inconvénients qui pouvaient en résulter pour la propagation de nos célestes doctrines, et nous sentions tous l'urgente nécessité d'avoir un édifice spécial. La plupart de ceux de nos frères, soit de France, soit de l'Étranger, qui sont venus nous visiter, nous témoignaient aussi leur vif désir de voir s'élever, au milieu de Saint-Amand, un monument public pour l'exercice du culte de la Nouvelle Église. Ainsi pressés, nous avions souvent délibéré sur les moyens à prendre pour satisfaire des désirs si naturels. Nos vœux se bornaient, pour le moment, à la construction d'un édifice proportionné aux besoins actuels ; et nous n'entrevoyions même pas la possibilité de l'élever à une époque aussi prochaine qu'on l'aurait désiré, lorsque la Providence, qui se sert des hommes pour remplir ses vues, est venue à notre secours, en nous accordant beaucoup plus que nous ne pouvions espérer. Un de nos frères, M. C , qui, comme nous tous, était naguère plongé dans les ténèbres que les aberrations théologiques et une fausse philosophie ont accumulées sur la généralité des hommes, trouva les moyens de s'en retirer, en saisissant une de ces mille circonstances que la Divinité fait naître sous les pas de tous ses enfants, pour les avertir de leur fausse route, et qu'eux négligent ou méprisent, tant 19.

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SUR LA CONSTRUCTION D'UN TEMPLE.

est grande leur insouciance ou leur perversité ! Convaincu dès lors de l'origine toute divine du Christianisme, mais ne pouvant le reconnaître dans les diverses Communions qui toutes se prétendent chrétiennes, notre frère en avait conclu que les temps prédits pour l'établissement d'une Nouvelle Église du Seigneur étaient arrivés. Il ne connaissait pas encore les écrits de Swedenborg, et cependant tout lui disait que la Nouvelle Jérusalem descendait du Ciel sur la terre; et la pensée d'élever un nouveau Temple au Seigneur germait déjà en lui. Alors, de nouveaux incidents vinrent successivement le confirmer dans ses croyances. On lui communiqua les ouvrages de Swedenborg, et bientôt après il apprit que la Nouvelle Église du Seigneur existait déjà sous des formes visibles. Ce fut pour lui la bonne nouvelle, elle combla son cœur de joie; mais ne voulant pas concentrer son bonheur en luimême, il vint à Saint-Amand pour faire connaissance avec ses nouveaux frères : de là, il parcourut une partie de la France pour visiter des Novi-Jérusalémites; et, de retour à Saint-Amand, à la fin de décembre dernier, il nous prévint de son intention de consacrer une partie de sa fortune à l'édification d'un Temple de la Nouvelle Jérusalem à Saint-Amand. Ce sera tout à la fois un monument simple mais imposant, et autant que possible en rapport avec les idées de la Nouvelle Doctrine. Dès le premier janvier, toutes les mesures étaient

SDR LA CONSTRUCTION D'UN TEMPLE.

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déjà prises pour que nous puissions disposer bientôt d'un vaste emplacement situé clans un des plus beaux quartiers de la ville. Le terrain seul a été estimé douze mille francs. Tous les travaux préparatoires seront exécutés dans le cours de cette année, de telle sorte que la première pierre puisse être posée le 21 mars 1840. Tout en pourvoyant aux choses les plus indispensables à la construction du Temple, M. G , est loin d'avoir la prétention d'élever seul ce monument extérieur de la Nouvelle Église; il se joint à nous pour faire un appel à tous ceux qui, sur terre, éprouvent des sympathies pour les doctrines de la Nouvelle Jérusalem. Que chacun apporte sa pierre; quelque petite qu'elle soit, elle contribuera à la consolidation de l'édifice; et, liée par le ciment avec les autres, elle sera l'emblème de l'effort que chacun de nous doit faire pour s'unir étroitement à ses autres frères, afin de ne faire qu'un seul homme sous la direction du Seigneur. Cet appel sera entendu, nous n'en doutons pas : il n'y a point pour les disciples de la Nouvelle Jérusalem de distinctions de races, ni de barrières de nation à nation; ils sont tous frères dans le Seigneur, avant d'être Anglais, Américains, Allemands ou Français. Nous avons donc l'espoir d'obtenir de tous côtés des assentiments et même des encouragements. Quoique les efforts que nous faisons pour répandre la Nouvelle Doctrine partent d'hommes in-

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SUR LA CONSTRUCTION D*UN TEMPLE.

connus, et soient dirigés sur un point presqu'ignoré, on se gardera bien de les considérer pour cela comme devant être infructueux; car il n'en est pas de la religion comme de la politique. Pour agir avec plus de chances de succès, la politique choisit ordinairement pour son centre d'action l'un des principaux foyers des relations sociales; et cela, parce qu'elle parle à tous les intérêts matériels qui font aujourd'hui la principale occupation des hommes. La religion, au contraire, ne s'occupant que des intérêts spirituels, n'a pas besoin, pour s'étendre, de faire un pareil choix. Le tourbillon d'une ville populeuse ne lui convient nullement pour répandre la semence et la faire germer; il lui faut, à elle, une terre neuve et fertile où il lui soit facile de s'implanter, et qui, par sa position centrale, puisse permettre aux rayons vivifiants de sa doctrine de pénétrer intimement toutes les parties du pays qu'elle est appelée à régénérer. Sous ce point de vue, l'on ne saurait trouver en France une ville qui pût, mieux que Saint-Amand, remplir toutes ces conditions. La ville est neuve; et, plus que toute autre, à l'abri des préjugés religieux; la Nouvelle Doctrine s'y est implantée, et sa position géographique en faille centre même de la France (1). La Revue étant destinée, par sa nature, à servir (1) Une ancienne colonne milliaire placée sur !a route de Paris à Clcrmont, à peu de distance de Saint-Amand, indique aux voyageurs le centre de la France. (Itinéraire de Bourges à Saint-Amand.)

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aussi de mode de communication entre les Novi-Jérusalémites, pour tout ce qui peut concerner directement ou indirectement les intérêts de la Nouvelle Église, nous n'avons pas hésité à entrer dans tous ces détails. Ils pourront, à la vérité, paraître oiseux à ceux qui nous sont étrangers; mais nous avons la conviction qu'ils ne seront pas sans intérêt pour les membres de la famille nouvelle, qui, quoiqu'encore peu nombreuse, n'en est pas moins destinée par la Providence à s'étendre sur toute la surface du globe.

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FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

On trouve dans le Journal Encyclopédique (vol. du 1er septembre 1785, tome IV, partie 2me) une lettre du marquis de Thomé, qui montre que les doctrines de la Nouvelle Jérusalem avaient déjà trouvé à cette époque quelques adeptes en France. •— Le marquis de Thomé s'occupe d'abord du grand ouvrage philosophique et minéralogique de Swedenborg : « II y a, dit-il, dans la totalité de cet ouvrage beaucoup plus de vérités nouvelles, de connaissances physiques, mathématiques, astronomiques, mécaniques, chimiques, minéralogiques, qu'il n'en faudrait pour faire la réputation de plusieurs hommes. Aussi, dès qu'il parut, il acquit à son auteur une si haute renommée que l'académie de Stockholm s'empressa de l'inviter à devenir un de ses membres. Cette production du philosophe Suédois s'étant maintenue depuis au même degré d'estime dans toute l'Europe, les hommes les plus célèbres n'ont pas dédaigné d'y puiser, et de s'en aider dans leurs travaux; quelques-uns même ont eu la faiblesse de se parer des

FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

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plumes du paon sans lui en faire hommage. En lisant, dans le premier volume, page 387, le paragraphe intitulé : De Chao universali Solis et planetarum, deque separalione ejus in planetas et satellites; et, page 438, celui : De progressione telluris, on verra combien M. le comte de Buffon a eu tort de dire, dans son discours sur la formation des planètes, qu'on n'avait jamais rien écrit sur cette matière ; et l'on regrettera sans doute que le Pline français n'ait pas profité des lumières de l'académicien de Stockholm, qui, ne lui cédant en rien du côté du style, lui est infiniment supérieur dans tout le reste. Il suffira aussi de parcourir ce premier volume pour n'être plus étonné de l'expérience de M. Lavoisier, Swedenborg ayant fait voir, dès lors, qu'on ne devait pas regarder la terre et l'eau comme des éléments, ni les éléments comme des êtres simples.» L'auteur de la lettre montre que la théorie de l'aimant, donnée par Swedenborg, est démontrée par l'expérience, par la géométrie et par le raisonnement. Il fait ensuite l'énumération des autres ouvrages du savant Suédois; puis abordant, malgré le septicisme du siècle, les écrits religieux du nouvel Apôtre, il s'exprime en ces termes : « Que dire, après cela, de ses Traités théosophiques, où les plus grands secrets sont révélés sans emblèmes et sans allégories; où la science des correspondances, perdue depuis près de quatre mille ans, et dont les hiéroglyphes égyptiens n'étaient que

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FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

des monuments et des restes inutiles, nous est enfin rendue? Je dirai que la lecture seule peut en donner une idée; que plus on réfléchit sur les principes également nouveaux et féconds accumulés dans ces ouvrages, et plus on en fait l'application à la nature, à soi-même, à tout ce qui peut être l'objet de nos pensées et de nos affections, plus la vérité y brille, et plus on est forcé de rendre hommage à la supériorité des lumières qui les a enfantées, et d'y reconnaître le sceau d'une sagesse plus qu'humaine. » A des connaissances si profondes et si universelles, Swedenborg joignant la vertu la plus pure et les mœurs les plus douces, ne dut pas être sans détracteurs : aussi, en a-t-il eu, et en a-t-il encore. Je l'ai entendu décrier assez souvent dans le monde, mais toujours par un des trois motifs dont je vais rendre compte, et dans l'unique intention d'empêcher de le lire. Les uns, attribuant tout au hasard et ne croyant qu'à la nature, craignent que les ouvrages lumineux du plus grand physicien et du plus sublime théosophe qui ait encore existé, ne portent le dernier coup à leur caduc système; les autres, ayant emprunté de lui, sans le dire, tremblent, s'il devient plus connu, que leurs vols ne soient découverts; les troisièmes, jouissant d'une considération fondée sur la fausse opinion que l'on a de leur savoir, mais ne pouvant cacher à eux-mêmes leur insuffisance, redoutent l'apparition de cet astre polaire qui les éclipserait infailliblement, et les ferait bientôt ré-

FRAGMENT RÉTROSPECTIF.

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duire à leur juste valeur. Je ne sais par lequel de ces motifs un anonyme fit insérer, il y a environ deux ans (1783), dans le Courrier de l'Europe, sur Swedenborg et ses écrits, une prétendue notice qui n'était qu'un tissu d'erreurs de dates, de faux titres, de calomnies et de contraditions palpables : c'est ainsi que l'amour propre, en défigurant, en falsifiant et en obscurcissant tout, est la source de tout mal et le fléau de l'humanité. Le premier travail à faire pour arriver à la vérité est donc de le combattre, de le vaincre et de l'enchaîner à jamais. Alors l'âme de l'homme recouvrant sa liberté, rendue à la lumière pour laquelle elle est née, peut planer à son gré sur la nature entière, et poursuivant son vol, s'élever jusqu'à ce monde que les hommes peu instruits regardent comme imaginaire, mais qui sera toujours, quoi qu'ils en puissent dire, la sphère vivifiante et le vrai domicile de l'esprit humain. » Voilà, Messieurs, ce que j'ai cru devoir rendre public pour l'avantage de la société, par respect pour la vérité, et par reconnaissance pour celui à qui je suis redevable de la majeure partie du peu que je sais, quoique j'eusse cherché la science, avant de le connaître, chez presque tous les anciens et les modernes qui ont joui de quelque réputation en ce genre. » Le marquis de Thomé ajoute en post-scriptum : « Je viens de lire, dans la Gazette de Leyde, qu'à Londres, ceux qui ont adopté la doctrine de

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Swedenborg, ont formé une société adonnée à l'étude de ses ouvrages et à leur propagation. On ajoute que cet auteur a aussi un assez grand nombre de partisans en France, et qu'ils y sont connus sous le nom de Martinistes. Ce que M. Mercier a dit à ce sujet, dans son Tableau de Paris, a vraisemblablement induit en erreur les étrangers qui auront cru pouvoir s'en rapporter à lui. Cependant, M. Mercier a été on ne peut pas plus mal instruit à cet égard, étant absolument faux que les Martinistes soient partisans de Swedenborg. Il n'y a de commun entre ces deux doctrines que la croyance en Jésus-Christ, et conséquemment à l'âme; elles diffèrent dans tout le reste. D'ailleurs, autant les connaissances de l'illustre Suédois sont étendues et toujours accompagnées de démonstrations, autant celles des Martinistes sont bornées et couvertes du voile du mystère. » L'erreur se propage plus vite qu'elle ne se déracine. Depuis cette déclaration publique du marquis de Thomé, l'on a souvent confondu les disciples de la Nouvelle Jérusalem avec les Martinistes, et cette opinion erronée est même encore partagée par quelques personnes. Si les Novi-Jérusalémites tiennent à la dissiper entièrement, ce n'est toutefois que dans l'intérêt de la vérité, et pour constater un fait que du reste chacun peut facilement vérifier; car il suffit, pour cela, de lire quelques pages de Swedenborg et de Saint-Martin. Des admirateurs de Saint-Martin ont souvent, il est vrai, adopté les théories de Swe-

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denborg, et sont devenus de fervents disciples de la Nouvelle Église; mais il n'est pas à notre connaissance qu'aucun Novi-Jérusalémite ait abandonné les théories de Swedenborg pour celles de Saint-Martin. Nous avons découvert dans les papiers d'Éd. Richer une lettre qui contient sur Saint-Martin quelques particularités qui viennent fort à propos à l'appui de ce que nous venons de dire; cette lettre, qui est du capitaine Bernard (1), renferme les passages suivants : « Un parent, un ami de Saint-Martin, que j'ai eu l'avantage de connaître à Amboise, où il habite encore la maison du théosoplie, a bien voulu me donner communication de quelques lettres adressées à l'auteur de l'Homme de désir par des amis Chrétiens... Ce parent de Saint-Martin est un vieillard septuagénaire, nommé M. Tournyer; sa conversation est d'un grand intérêt pour les amis du Philosophe inconnu, pour lequel il conserve une vive affection. Il se rappelle avoir écrit sous sa dictée le Ministère de ïhomme-esprit. Il m'a appris que, quoique Saint-Martin eût très-peu lu Swedenborg, dont il croit se rappeler qu'il ne connaissait que le Traité du Ciel et de l'Enfer, il avait proposé une souscription pour faire imprimer la traduction de (1) Le capitaine Bernard, décède' en 1828, fut le plus ardent propagateur des doctrines de la Nouvelle Église en France. Nous espérons que nous serons bientôt en état de faire connaître ses importants Ira-

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Moët, de Versailles. M. Tournyer m'écrivait luimême en septembre 1825 : « Swedenborg mérite » bien d'être votre auteur favori ; c'est un véritable » prophète, envoyé pour le temps présent, afin de n nous annoncer la Nouvelle Jérusalem, et de nous n préparer à l'établissement de son règne. M. de » Saint-Martin s'accorde avec lui pour l'annoncer. » Ces nouvelles faveurs que Dieu daigne accorder » tendent surtout à expliquer le sens intérieur des » Écritures-Saintes. » Voici donc un parent, un ami, un admirateur de Saint-Martin qui reconnaît la mission prophétique de Swedenborg; et nous ne doutons pas que l'auteur de l'Homme de désir ne l'eût lui-même reconnue, s'il ne se fût pas contenté de lire seulement un de ses ouvrages. Du reste, enthousiasmé des écrits de Jacob Bœhme, qu'il a traduits en français, Saint-Martin n'a pu lire les Merveilles du Ciel, par Swedenborg, avec toute la liberté d'esprit nécessaire pour juger cet ouvrage; cependant, quelque superficielle qu'ait été cette lecture, il faut néanmoins qu'elle ait fait une grande impression sur lui, puisqu'au rapport de M. Tournyer, il avait proposé une souscription pour faire imprimer la traduction des ouvrages du théosophe Suédois.

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Toutes les Communions chrétiennes ont toujours eu pour la Parole un respect profond, car c'est elle qui est la base du Christianisme, le Seigneur étant venu pour accomplir la loi et non pour l'abolir. Mais, à quelque degré que soit porté, en général, ce respect pour le Livre Saint, il n'est aucun Chrétien qui puisse avoir pour lui une aussi grande vénération que le Disciple de la Nouvelle Jérusalem. Cette profonde vénération vient de ce qu'au moyen des nouvelles vérités révélées à Swedenborg, le Novi-Jérusalémite peut se convaincre pleinement et librement que la Parole, dans son sens le plus intime et le plus caché, est Dieu lui-même ou le Seigneur; que tout a été créé par cette Parole, et que c'est elle qui conserve tout. Il sait par conséquent que, dans ce sens intime, la Parole surpasse infiniment la compréhension de tout être créé; mais il sait en même temps que, dans son sens spirituel et dans son sens naturel, elle est adaptée à l'entendement des anges et des hommes, parce que la Divinité 20.

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y prend divers voiles appropriés aux diverses capacités de ses créatures, sans cesser pour cela d'y être moins présente. Si, dans le monde, il y avait encore de la vraie foi, de cette foi qui prend sa source dans l'amour du bien général, il sutfirait, pour prouver ces hautes vérités, de citer ces expressions du Seigneur dans Jean : « Au commencement était la Parole, et la Pa» rôle était chez Dieu ; et Dieu elle était, la Parole ! » Toutes choses par Elle ont été faites. » Mais, dans un siècle aussi sceptique que le nôtre, et au milieu des ténèbres spirituelles où nous ont jetés les aberrations théologiques, une semblable preuve n'est aux yeux du philosophe qu'une pétition de principes; et si le théologien semble l'admettre, ce n'est que parce qu'il y est obligé par état. Arrivée à un tel degré d'obscurité spirituelle, l'humanité ne peut être ramenée que par transition à la vraie lumière; et, dès lors, il devient nécessaire de procéder par comparaison, en lui présentant, autant que possible, des arguments tirés des choses naturelles et susceptibles par conséquent d'être saisis par elle. L'homme n'est homme que parce qu'il a des affections et des pensées. Lorsque les paroles de l'homme sont l'expression même de ses affections et de ses pensées, l'on peut dire à juste titre qu'elles sont l'homme même. Les fixe-t-on au moyen de l'écriture ou de la typographie, elles deviennent par là un signe permanent de l'état où s'est trouvé l'homme,

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lorsqu'il les a prononcées. C'est ainsi qu'un auteur consciencieux est tout entier dans ses écrits; car ce sont ses affections et ses pensées de chaque jour qu'il a transmises au papier sans aucun déguisement. Fénélon n'est-il pas dans ses œuvres plutôt que dans les caveaux de la cathédrale de Cambrai? Que verrions-nous dans son tombeau? des cendres; tandis que nous l'avons véritablement devant les yeux de notre esprit, lorsque nous lisons les belles pages qu'il a écrites. Si la parole de l'homme droit et sincère est l'homme même, n'en devons-nous pas conclure que la Parole de Dieu est Dieu Même? Que verrions-nous dans la vieille Jérusalem? un sépulcre. Dans la Bible, c'est Dieu Même que nous voyons, voilé, il est vrai, mais non moins présent pour cela, et toujours prêt à échauffer ros cœurs et à éclairer nos esprits, si nous n'y mettons pas obstacle. Nos ancêtres du moyen âge couraient visiter le sépulcre du Seigneur : dans leur ignorance, ils préféraient ce signe matériel et visible à sa Parole qui est esprit et vie; mais s'ils cherchaient ainsi à ranimer leur foi par la vue d'objets extérieurs, c'est parce que les erreurs théologiques ne leur permettaient plus de voir le Seigneur dans sa Parole. Telle fut, en dehors des causes morales et politiques, la cause interne du besoin que l'on ressentait de faire des pèlerinages; car il y avait encore de la foi; mais cette foi, ayant cessé d'être le vêtement de la charité, n'était plus la vraie

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foi. Ce ne sont pas des voyages lointains, ce ne sont pas des privations d'objets nécessaires à la vie qui plaisent au Seigneur; ce qu'il demande, c'est une marche franche dans les voies qu'il nous a tracées dans sa Parole, c'est la subjugation des passions qui nous empêchent de les suivre. Un sépulcre ne saurait être vu que d'un petit nombre d'hommes; la Parole, par suite de l'imprimerie, peut déjà être lue et entendue par un grand nombre, et le temps approche où elle le sera par tous. C'est ainsi que le Dieu de l'univers a voulu être accessible à toutes ses créatures. La parole, dans son acception la plus étendue, est l'expression de la pensée procédant de l'affection ; c'est le moyen par lequel l'homme se manifeste extérieurement, ou, en d'autres termes, c'est le moyen par lequel la pensée de l'homme, produite par son affection, passe dans l'acte. Ainsi considérée, la parole n'est pas seulement ce qui est produit par des sons et par des articulations, mais c'est encore tout ce qui est exprimé, soit par des gestes, soit par le moindre mouvement des fibres du visage, de telle sorte qu'on peut affirmer que tout ouvrage de l'homme est le résultat de sa parole prise dans cette acception large. Ce que nous venons de dire peut s'appliquer à la Parole Divine. En effet, la Parole de Dieu, c'est l'expression de sa Sagesse procédant de son Amour; car en Dieu la pensée est la Sagesse Même, et l'affection

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est l'Amour Même : c'est aussi le moyen par lequel il se manifeste dans l'univers, qui, à l'égard de Dieu, est l'extérieur, de même qu'il Testa l'égard de chaque homme; ou, en d'autres termes, c'est le moyen par lequel la Sagesse Divine, produite par l'Amour Divin, passe dans l'acte, pour répandre la vie dans toute la création. La Parole Divine, ainsi considérée, n'est pas seulement ce que nous pouvons découvrir de bien et de vrai dans le Livre Saint, mais c'est encore l'ensemble de toutes les bontés et de toutes les vérités qui émanent de Dieu, et qui sont cachées dans l'intime de chaque phrase, de chaque mot et de chaque accent de sa Parole, comme l'affection de l'homme est renfermée dans le moindre accent de sa voix et dans son moindre geste; de sorte qu'on peut aussi affirmer que l'œuvre de Dieu a été le résultat de sa Parole, c'est-à-dire que toutes choses par la Parole ont été faites, ainsi qu'il est dit dans Jean. De ce que la parole, prise dans son acception la plus large est le moyen par lequel l'homme se manifeste extérieurement, il en résulte qu'elle n'est autre chose que l'homme agissant; la Parole de Dieu est donc aussi Dieu ou le Seigneur agissant. Or, l'action incessante du Seigneur qui est l'Amour Même et la Sagesse Même, tendant à conserver l'univers, en ramenant au bien et au vrai les hommes pour lesquels il l'a créé, l'on doit en conclure que c'est la Parole qui conserve tout. 20*.

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Si nous avons employé des comparaisons tirées de l'ordre naturel, c'est pour engager par là le philosophe incrédule et le théologien de profession à méditer sérieusement sur les vérités les plus utiles et les plus indispensables à l'homme. Mais, nous dira-t-on, cette Parole, comment a-telle pu être transmise aux hommes? comment surtout reconnaître son caractère dans le livre que l'on nous présente comme la renfermant? Quoique nous ayons souvent répondu à de semblables objections, ce point est si important qu'on ne saurait trop insister pour convaincre les esprits. De ce que la Bible est écrite comme les livres des hommes, et souvent même dans un style moins élégant et moins correct, on est naturellement porté à douter qu'elle soit la Parole même de Dieu : mais pour se faire comprendre des hommes et les ramener à Lui, Dieu ne devait-il pas avoir recours au langage des hommes ! Pour se faire comprendre du sauvage et l'élever jusqu'à lui, l'homme civilisé n'est-il pas obligé d'apprendre son jargon et de se conformer d'abord à ses idées? Pourrait-il sans cela obtenir quelque résultat satisfaisant? Ce n'est qu'en s'abaissant jusqu'à lui qu'il peut le faire sortir de son état de dégradation. Ainsi ont agi tous ceux qui sont parvenus à remplir cette belle tâche, car telles sont les lois de l'Ordre. Dieu qui n'agit jamais que conformément aux lois de son Ordre Divin, a toujours, au moyen d'hommes inspirés, transmis sa Parole Divine, en l'adaptant aux

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mœurs et au langage de l'époque. De là, ces passages qui, pris à la lettre, paraissent si opposés à la majesté et à la justice de l'Être Divin ; mais ce sont autant de locutions selon les apparences (1). Quant au style, si celui de l'Évangile, par exemple, est moins élégant et moins correct que celui des auteurs contemporains, c'est, pourrions-nous dire aux hommes du monde, parce que l'Évangile devait être à la portée de toutes les intelligences; et que si les écrivains ne s'adressent d'ordinaire qu'à un public choisi, Dieu s'adressait au genre humain tout entier. Mais nous allons bientôt voir pourquoi la Parole a été écrite dans un tel style. La Parole de Dieu a existé de tout temps; car l'univers a été créé par elle, comme nous l'avons précédemment montré, et c'est par elle qu'il y a communication du Ciel avec la terre; du reste, sans elle, l'univers ne saurait subsister, puisqu'elle est Dieu Même : cependant elle n'a pas toujours existé sous sa forme actuelle. Outre la Parole que nous possédons, il y eut, nous dit Swedenborg, une Parole dans la Très-Ancienne Église qui exista avant l'époque désignée sous le nom de déluge, et il y en eut une autre dans l'Église Ancienne qui succéda, après cette époque, à l'Église Très-Ancienne. Dans l'Église Très-Ancienne, la Parole n'était pas (1) Voir dans l'explication de l'Apocalypse, première livraison, page 11, ce qu'on entend par locutions selon les apparences.

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écrite, elle était révélée à chaque membre de l'Église; car l'Église était composée d'hommes célestes, ayant la faculté de percevoir le bien et le vrai, comme les anges avec lesquels ils étaient en consociation; ainsi, la Parole était inscrite dans leurs cœurs. Tout ce que ces hommes voyaient de leurs yeux, ou saisissaient par quelques-uns de leurs sens, était pour eux une représentation ou une signification des choses célestes et spirituelles, de sorte qu'ils pensaient à ces choses, en voyant les objets mondains et terrestres, ou en les saisissant par quelque autre de leurs sens. Ce n'est que de cette manière qu'ils pouvaient parler avec les anges; car, ce qui est céleste et spirituel chez les anges, se transforme, lorsqu'il parvient chez l'homme, en objets qui sont de ce monde. De là vinrent les représentatifs et les significatifs dont se compose toute Parole écrite; car la Très-Ancienne Église s'étant détournée de la voie de Dieu, et par suite la communication avec les anges ayant commencé à cesser, les représentatifs et les significatifs furent recueillis par ceux que la Genèse désigne sous le nom d'Hénoc. L'homme de l'Ancienne Église, au lieu d'être céleste comme celui de la Très-Ancienne, était spirituel ; en conséquence, il savait ce que les représentatifs et les significatifs enveloppaient, mais il ne le percevait pas; et comme ce qu'ils enveloppaient était divin, ces représentatifs et ces significatifs furent employés dans le culte, pour qu'il y eût, par ce

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moyen, communication avec le Ciel. Dans cette Église, la Parole était écrite; elle se composait, comme celle de l'Ancien Testament, d'une partie historique et d'une partie prophétique. Sa partie historique était écrite en style prophétique; mais la plupart des histoires étaient purement symboliques, comme celles que renferme la Genèse depuis son commencement jusqu'au Chapitre onzième. La partie historique s'appelait les Guerres de Jéhovah, et la partie prophétique les Énoncés. Moi'se en parle dans le livre des Nombres. — XXI. 14, 27. — Cette Parole se perdit par la suite des temps. A la Parole de l'Église Ancienne succéda celle de l'Église Judaïque, que nous possédons; celle-ci fut semblablement écrite en représentatifs et en significatifs, pour qu'elle renfermât en soi un sens interne, afin qu'il y eût ainsi communication par elle entre le Ciel et la terre. Si chacune des choses qui sont dans la Parole ne représentait pas des objets divins et par conséquent célestes et spirituels, et si chacun des mots qui servent à décrire ces choses ne signifiait ou ne désignait pas ces objets, la Parole ne serait pas divine; et c'est parce qu'il en est ainsi, qu'elle n'a pu être écrite dans un autre style ; car ce n'est que par ce style seul que les choses ainsi que les paroles humaines correspondent, jusqu'au moindre accent, avec les objets et les idées célestes. De là vient que si la Parole est seulement lue par un enfant, les choses divines qu'elle renferme sont perçues par les

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Quant à ce qui concerne la Parole transmise par les Évangélistes, comme le Seigneur la prononça par son Divin Même, tout ce qu'elle renferme est représentatif et significatif des choses divines. Il résulte de tous ces détails, puisés dans Swedenborg, que la Parole fut d'abord inscrite dans le cœur des hommes ; que par cette conjonction de Dieu avec ses créatures, il y avait communication de la terre avec le Ciel; que les hommes s'étant détournés des voies de Dieu, la Parole fut alors révélée à des inspirés et fixée par l'Écriture, afin que la communication avec le Ciel ne fût pas entièrement rompue; que cette Écriture consistait en locutions représentatives et en mots significatifs, afin qu'en conservant son unité, la Parole servît en même temps aux anges et aux hommes; et enfin, qu'à la chute de chaque Église, Dieu accorda sa Parole à l'Église Nouvelle qu'il formait, en la revêtant de représentatifs et de significatifs appropriés à l'état et aux besoins de cette Église. Les ténèbres spirituelles sont maintenant si grandes qu'on est loin de se douter que le genre humain ne puisse subsister sans la Parole ; cependant, comme la communication avec le Ciel ne peut exister que par elle, si, par suite de sa falsification et de son adultération, elle ne pouvait plus trouver accès dans aucun cœur, le genre humain, privé de la lumière divine, et par conséquent de toutes les véritables notions du juste et de l'injuste, tomberait dans des er-

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reurs si profondes et dans des maux si épouvantables qu'il se détruirait lui-même, et disparaîtrait ainsi de la surface du globe. Sans la Parole Divine, les hommes n'auraient jamais pu avoir aucune idée de Dieu ni de l'immortalité de l'âme. En effet, toutes les cosmogonies et tous les cultes qui ont existé dans l'univers n'étaient que des altérations plus ou moins grossières de la Parole qui précéda celle qui fut donnée à Moi'se. La Parole étant Dieu Même, c'est-à-dire, l'ensemble de tous les biens et de toutes les vérités par lesquels l'univers existe et subsiste; et toutes ces perfections de la Divinité étant cachées dans l'intime de chaque phrase, de chaque mot, de chaque accent qui la composent, il en résulte qu'elle est, comme Dieu lui-même, impénétrable & l'homme et à l'ange, quant à son essence même ou quant à son intime; mais elle est en même temps appropriée à tous les besoins spirituels et célestes de l'ange et de l'homme, quant à ses sens intérieur et extérieur. C'est parce que la Parole est ainsi infinie et inépuisable, que l'homme devenu esprit peut subsister éternellement, et jouir d'un bonheur qui devient pendant toute l'éternité de plus en plus grand. L'homme, dans le monde immatériel, ainsi que l'homme sur cette terre, ne vit que par ses affections et par ses pensées. Si l'ange le plus pur parvenait au point de n'avoir plus à acquérir de nouvelles affections et de nouvelles pensées, sa vie deviendrait mo-

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notone, ou pour mieux dire elle cesserait d'être céleste, parce que l'ennui s'emparant de lui, il finirait par devenir plus malheureux que ne l'est sur terre l'homme attaqué du spleen. Celui-ci du moins sait qu'un jour la mort viendra le délivrer de sa triste existence; mais avoir en face de soi l'éternité, sans aucune espérance de voir augmenter ses affections et accroître ses pensées, ce serait le supplice le plus intolérable. Mais la Parole étant infinie et inépuisable, quelque soit le degré d'amour et de sagesse d'un ange, il puisera éternellement en elle des affections de plus en plus pures, des pensées de plus en plus élevées, sans aller cependant jusqu'à pouvoir pénétrer tout son intime, parce que si le fini parvenait jamais à comprendre l'infini, il serait Dieu, ce qui est impossible : Dieu est un, et il restera éternellement un. Les disciples de la Nouvelle Jérusalem pouvant se convaincre par l'étude de leur doctrine que le Divin Même est renfermé dans l'intime de la Parole, il n'est pas étonnant que leur vénération pour elle soit portée au plus haut degré.

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COUP D'OEIL SUR L'ÉTAT DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

Lorsque nous entreprîmes, il y a un an, la publication de la Revue, nous comptions avec confiance sur la sympathie de ceux de nos frères avec lesquels nous avions déjà des relations; nous espérions obtenir le concours de ceux dont l'existence ne nous était pas encore connue, mais que nous supposions occupés isolément des célestes doctrines de la Nouvelle Dispensation, et nous étions convaincus que le développement successif des théories de la Nouvelle Jérusalem conduirait dans nos rangs les hommes de désir qui cherchent en vain la pure vérité, soit dans les diverses Communions chrétiennes, soit dans les différents systèmes philosophiques. Nos espérances, loin d'être frustrées, ont été dépassées; nous avons vu chaque jour nos relations s'étendre, non-seulement dans l'intérieur de la France, mais aussi à l'extérieur. Nous avons reçu de nos frères d'Angleterre et des États-Unis d'Amérique des témoignages de la plus franche cordialité et de la plus vive affection. L'Église n'ayant pas encore 2l.

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reçu en Allemagne une organisation extérieure, nous n'avons pu correspondre qu'avec des frères isolés, mais nous pouvons compter sur une coopération générale. Déjà nous avons quelques relations avec la Suisse, et nous en aurons bientôt avec tous les pays du Nord, où nous savons que nos doctrines ont de nombreux adeptes. Tant de résultats obtenus en une seule année seraient déjà bien propres à nous encourager dans l'accomplissement de la tâche que nous avons entreprise, si, d'ailleurs, nous n'avions, pour principal soutien dans nos travaux, une confiance illimitée dans le Seigneur et dans ses promesses pour sa Nouvelle Église. La littérature commence à s'occuper de Swedenborg et de la Nouvelle Doctrine. Dans une notice sur Edouard Richer, insérée à la tête du premier volume de ses œuvres littéraires (1), M. Emile Souvestre, l'un de ses biographes, a été amené, par la nature du sujet, à parler de Swedenborg et de la Nouvelle Doctrine. Jusqu'ici, tous ceux (1) Edouard Richer, quoiqu'à peine connu des gens du monde, a déjà trouvé deux biographes. Un littérateur breton, M. Piet, a consacré sa plume à écrire des mémoires sur sa vie et ses ouvrages; ces mémoires forment le premier volume des œuvres littéraires, dont l'édilion a été entreprise par M. Camille Mellinet, qui a vécu dans la plus grande intimité avec Kicher.

A S'OCCUPER DE u NOUVELLE DOCTRINE.

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qui, étrangers à cette doctrine, s'étaient occupés de Swedenborg, avaient puisé leurs renseignements dans des dictionnaires biographiques qui répétaient tous, selon l'usage, les erreurs grossières renfermées dans un article fait par ses adversaires. M. Emile Souvestre a eu le bon esprit de sortir de cette voie fausse, et nous avons vu avec plaisir qu'il avait puisé à des sources plus pures. « Celui, dit-il, qui, après Descartes, remua le plus d'idées nouvelles, ce fut Swedenborg qui, dans un un ouvrage intitulé : Opéra Philosophica et Mineralia, publié en 1737, entrevit le premier la science à laquelle nous avons donné depuis le nom de géologie. La 2me partie de son livre contient un système complet de Métallurgie, auquel l'Académie des Sciences a emprunté tout ce qui a rapport au fer et à l'acier dans son Histoire des Arts et Métiers. Il composa aussi plusieurs ouvrages sur l'Anatomie (ce qui est un nouveau trait de ressemblance avec Descartes), et sembla même indiquer, dans un Chapitre sur la Pathologie du cerveau, le système phrénologique auquel le docteur Gall dut plus tard sa célébrité. Il publia enfin, sous le titre de Dœdalus Hyperboreus, des essais de mathématiques et de physique, qui fixèrent l'attention de ses contemporains. Il était en outre fort versé dans les études théologiques, parlait les langues anciennes, plusieurs langues modernes, les langues orientales, et passait pour le plus grand mécanicien de son siècle. Ce fut lui qui fit

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amener par tepre au siège de Frederick-Hall, en se servant de machines de son invention, la grosse artillerie, qui n'avait pu être transportée par les moyens ordinaires. » Loin d'être écrit dans un langage mystique, comme on le croit communément, la plupart des Traités religieux de Swedenborg se recommandent par la méthode, l'ordre et la sobriété. Ils peuvent se partager en quatre classes, que l'on n'aurait jamais dû confondre : la première renferme les livres d'enseignements et de doctrines; la seconde, les preuves tirées de l'Écriture Sainte; la troisième, les arguments empruntés à la métaphysique et à la morale religieuse; enfin, la quatrième, les révélations extatiques de l'auteur. Les ouvrages compris dans cette dernière catégorie sont les seuls qui aifectent la forme apocalyptique, et dont l'extravagance apparente puisse choquer au premier aspect. Ce fut précisément ceux que Richer lut d'abord. L'impression qu'il en reçut fut complètement défavorable à la doctrine de Swedenborg; mais c'était un homme trop éclairé pour ne point se défier de ses lumières, et de trop de bonne foi pour ne point soupçonner lui-même sa partialité. Comprenant que la question était trop grave pour être si promptement résolue, il ouvrit un débat entre sa répugnance et sa raison, et se mit à chercher la vérité avec une ardeur pleine de précautions. Jaloux d'apprécier la Doctrine Nouvelle, il voulut sonder en tout sens ; il appela à son

A S'OCCUPER DE LA NOUVELLE DOCTRINE. 245 secours l'immense érudition qu'il avait acquise, afin de vérifier tous les éléments de cette religion; il entassa recherches sur recherches, objections sur objections; mais plus il montait, plus l'horizon devenait vaste. « J'avais beau, dit-il, ajouter pierre sur » pierre à ma tour de Babel, la Jérusalem céleste » que je voulais escalader semblait s'élever et gran» dir à mesure. Je montais au haut des sciences hu» maines pour nier; et, arrivé là, je ne pus que flé» chir le genou et croire. » » Edouard Richer a surtout voulu, dans ses œuvres religieuses, populariser la doctrine du nouvel Avènement, en la présentant sous les formes les plus saisissables. Nous avons hésité longtemps à donner l'analyse de ce travail qu'il n'a pu débarasser entièrement des mystiques nuages qui obscurcissent toujours de pareilles matières (1) ; mais nous avons réfléchi qu'il n'existait encore en France nul résumé sommaire du Swedenborgisme, et qu'il pourrait sembler curieux d'en trouver les principales croyances exposées en quelques pages (2). Aucun (1) II n'y a nuage que pour ceux qui commencent à étudier le système; on ne peut passer des ténèbres à la lumière, sans que celle-ci ne paraisse d'abord nébuleuse. (2) Ce n'est pas en quatre pages que l'on peut résumer Swedenborg. Du reste, nous ne pouvons que savoir gré à M. Emile Souvestre du travail auquel il s'est livré. Son résumé pourra dissiper bien des préventions, et engager ceux qui cherchent la vérité à étudier nos doctrines. 21*.

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système religieux ne peut, d'ailleurs, être émis, sans intéresser tout ce qu'il y a en nous de saint et de grand. L'idée de Dieu est une clé de voûte, que la main d'un enfant lui-même ne toucherait pas impunément. Puis, enfin, il faut bien le reconnaître, quand une religion est défendue par des hommes comme les Tafel, les Clowes, les Hindmarsh, les Nobles, les Hofaker, les Richer ; quand elle a des journaux, des prêtres, cinquante Églises en Angleterre, soixante en Amérique, et qu'elle compte plus de quatre cent mille fidèles, on ne peut se refuser à voir au moins en elle un événement social digne d'étude, sinon de sympathie. » (1) M. É. Souvestre donne l'exposé dont il vient de parler, et termine ainsi sa notice sur Richer : « Une chose a pu frapper dans le rapide exposé qui précède : c'est la liaison rigoureuse des diverses parties du système, et la présence d'esprit ingénieuse avec laquelle tout est prévu. Aussi, de quelque manière qu'on juge le Swcdenborgisme, on est forcé d'y reconnaître cette harmonie et cette prévoyance logique qui prouvent au moins le génie, quand elles n'attestent pas la vérité (2). (1) La tendance générale des écrits de M. Emile Souvestre nous a donné de lui une trop haute opinion, pour que nous ne soyons pas convaincus qu'un jour viendra, et ce jour n'est peut-être pas éloigné, où toute sa sympathie sera entièrement acquise aux doctrines de la Nouvelle Jérusalem.

(2) L'auteur de la notice ne peut encore parler que comme un hom-

A S'OCCUPER DE LA NOUVELLE DOCTRINE. 247 » Richer ne s'est pas borné à développer le système religieux de Swedenborg; il en a préparé l'acceptation en prenant la question au point de vue du doute, et conduisant le lecteur progressivement à la foi. La première partie de son ouvrage est consacrée à défendre la révélation chrétienne, et à prouver qu'elle peut s'allier à la liberté d'examen la plus entière. C'est le plus souvent sous la forme du dialogue que Richer discute ses thèses. Si son livre y perd quelque chose sous le rapport de l'ordre et de la brièveté, il y gagne beaucoup en verve, en clarté et et en bonhomie. » Nous ne croyons pas que, depuis Érasme, on ait traité les matières religieuses avec une logique à la fois si vive et si grave, si concluante et si fleurie. » La publication de cette notice sur Éd. Richer a pour nous une grande importance. Ce ne sont plus maintenant les seuls disciples de la Nouvelle Jérusalem qui s'occupent des théories de Swedenborg; voici un littérateur distingué de la capitale qui en entretient le public. Il présente, il est vrai, ces théories avec la réserve que lui prescrit sa position d'homme du vieux monde. Pour lui, ce n'est encore qu'un système dû au génie; il n'ose se prononcer, il reste me du monde ; il trouve du génie, là où il ne verrait bientôt plus qu'une révélation divine, si, poussé, par l'exemple de Richer, à mépriser la fausse gloire que distribuent les hommes, il se mettait à la recherche de la vérité, avec cette même ardeur qu'il admire déjà dans celui donl il s'est fait volontairement le biographe.

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LA LITTÉRATURE ET LA NOUVELLE DOCTRINE.

dans le doute ; mais qu'y a-t-il là d'étonnant? Lorsqu'on vit dans un milieu où tout n'est que mensonge, être en suspens entre, l'erreur commune et la vérité qui tend à se répandre, c'est déjà avoir fait un grand pas. N'avons-nous pas, nous aussi, passé tous par le doute, avant d'arriver à une entière conviction? N'est-ce pas là, selon notre doctrine même, le moyen qui conduit le plus sûrement à une foi robuste? En effet, tout est soumis aux lois de transition, aussi bien dans l'ordre spirituel que dans l'ordre naturel; et, en fait de croyances, il n'y a de solides et de permanentes que celles qui ont été admises avec une pleine liberté et une entière rationalité.

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SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

Le Prospectus qui annonçait notre publication avait à peine paru, que déjà nous étions en butte aux attaques des Catholiques-Romains et des Protestants. Nous répondîmes aux uns et aux autres, dans nos premières livraisons, avec toute la modération possible; et depuis, quoique nous ayons été conduits, par la nature même des matières que nous traitions, à parler souvent des erreurs de ces deux Communions chrétiennes, elles ont toujours gardé le silence le plus profond. Loin de s'en étonner, l'on ne doit voir là qu'un silence calculé, qu'une mesure conseillée par la prudence. En effet, plusieurs de leurs chefs connaissent assez nos doctrines, pour s'être aperçus que si une discussion sérieuse s'engageait, ils seraient dans l'impossibilité de la soutenir en présence d'un public éclairé et impartial. S'ils ont d'abord parlé de nos doctrines, c'est parce qu'il était dans leur intérêt de prévenir les esprits contre elles, avant même qu'elles fussent présentées. Mais continuer de s'en occuper, ce serait provoquer l'exa-

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SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

men de cette classe de lecteurs qui ne jugent pas sans entendre, et qui veulent connaître avant de prononcer; aussi s'en sont-ils bien gardés. On ne doit donc pas chercher ailleurs la cause de leur silence. Leurs journaux, imitant certaines feuilles politiques, refusent même l'insertion des lettres les plus bienveillantes, pour peu qu'elles renferment quelques discussions graves, qui ne soient pas en tous points conformes à leur manière de voir, lors même que leur contenu est de nature à appeler l'attention du public sur une matière du plus haut intérêt religieux. Leur prudence, en pareil cas, ne date pas d'aujourd'hui. Vers la fin de 1837, un journal protestant, les Archives du Christianisme du dix-neuvième siècle, publia, sur l'accord de la Bible avec la science, un article dont la direction erronée était plutôt de nature à compromettre le Christianisme qu'à lui être utile. A la lecture de cet article, un véritable Chrétien, entièrement dévoué à la recherche de la vérité, adressa au Rédacteur des Archives, une lettre conçue dans les termes les plus convenables, demandant que ses observations fussent accueillies, si elles étaient trouvées justes, ou rectifiées si elles étaient erronées. On lui répondit par un billet, à la vérité fort poli, mais on refusa l'insertion. Aujourd'hui que la Nouvelle Jérusalem peut aussi s'adresser au public, par le moyen de la presse périodique, il importe de revenir sur ce sujet; et pour

SUR LA POLÉHIQUE RELIGIEUSE.

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qu'on puisse juger en parfaite connaissance de cause s'il y avait motif suffisant de refus, nous donnerons en entier l'article des Archives. Cet ARTICLE des Archives du Christianisme, et la LETTRE de M. F. P. au Rédacteur de ce journal, sur l'interprétation delà Bible, devant faire partie du Tome V des Mélanges, le lecteur pourra s'y reporter.

Maintenant qu'on a sous -les yeux l'article des Archives, et la lettre dont l'insertion a été refusée, on peut facilement se convaincre qu'il s'agissait, non d'observations qu'on peut négliger sans inconvénient, mais d'un point de la plus haute gravité ; car l'on n'ignore pas que le Protestantisme, rejetant tout sens interne des Écritures, veut absolument s'en tenir à la lettre. Or, vouloir concilier la science avec le sens littéral pur, c'est entreprendre une tâche impossible, et nous dirons même, dangereuse. En effet, dans une société telle que la nôtre, et dans un moment où les esprits, fatigués des déceptions de la philosophie seusualiste, éprouvent le besoin d'idées religieuses, tout l'avenir du Christianisme peut dépendre, du moins en France, de la manière dont on le présentera aux yeux des hommes que la science eu a détournés, et dont l'ascendant sur leurs concitoyens est aujourd'hui si puissant. C'est avec les ménagements les plus grands que M. F. P. a soumis ses observations aux Archives du Christianisme; il a par là rempli le devoir d'un

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SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

ami sincère de la religion. Le refus d'insérer une lettre qui indiquait avec tant de modération la fausse direction qu'on avait prise, prouve évidemment que les Archives n'avaient aucun argument solide à opposer, et qu'elles persistent à vouloir suivre une voie pernicieuse pour le Christianisme en général. Il est donc aussi de notre devoir de Chrétien d'insister, pour leur montrer dans quelle impasse elles vont se trouver engagées, afin que du moins les hommes du monde, qui sont fatigués de vivre sans religion, ne puissent pas attribuer au Christianisme les fautes de ses imprudents défenseurs. Nous dirons d'abord aux rédacteurs des Archives : Quand les arguments que vous avez présentés auraient été de nature à ne pouvoir être contestés, en seriez-vous beaucoup plus avancés? Réfléchissez donc que pour établir votre système avec solidité, il ne suffit pas seulement de prouver que tel Verset de la Bible, qui jusqu'ici paraissait être en contradiction avec la science, est maintenant d'accord avec elle ; il faudrait encore prouver qu'il en est de même de la Bible tout entière, ou tout au moins faire voir qu'en raison des preuves incontestables données sur certains points, on est en droit de conclure que, par suite des découvertes que fera la science, les autres passages pourront être de même conciliés. Mais c'est ce que vous ne parviendrez jamais à faire, lors même que pour couper le nœud, et vous tirer d'embarras, vous auriez recours au miracle; car le sens littéral

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de la Genèse renferme nombre de passages qu'on ne saurait expliquer, même en employant ce moyen. Que répondrez-vous donc, non-seulement aux objections des incrédules, mais encore à celles que vous feront des Chrétiens de bonne foi, qui, vous voyant expliquer par la science certains passages, vous feront remarquer l'impossibilité absolue d'en expliquer d'autres? Croyez-vous que les divers exemples, que vous avez cités dans votre article, soient propres à faire une grande impression sur les savants? Nous ne parlerons pas des deux premiers, M. F. P. les a examinés dans sa lettre. Yotre argument sur la naissance des montagnes repose sur une interprétation que beaucoup de personnes pourraient regarder comme forcée. Votre remarque sur le terme de globe employé par Ésai'e, en parlant de la terre, pourrait être critiquée, attendu qu'il n'est pas bien établi qu'à l'époque où vivait ce prophète, on ait été tout à fait dans l'ignorance sur la forme de la terre. On pourrait dire aussi que, loin de supposer la connaissance du rapport approché du diamètre à la circonférence, les dimensions indiquées pour la mer de fonte du temple de Salomon prouveraient seulement que les cercles d'alors étaient comme les cercles d'aujourd'hui, si cela avait besoin d'être prouvé. Des philosophes pourraient encore regarder comme de bien peu d'importance vos exemples relatifs aux fourmis et à l'âne qui cannait la crèche de son 22.

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SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

maître; ils pourraient dire aussi que vous vous êtes peut-être trop pressés d'accorder votre confiance à ceux qui prétendent que la lumière est une matière indépendante du soleil. Pour nous, nous ne vous blâmerions pas de chercher à détruire, au moyen de la science, les préventions que beaucoup de personnes ont conservées contre la Bible, si la méthode que vous avez adoptée pouvait offrir la moindre chance de succès; car nous pensons, comme vous, qu'il y a dans la Bible plus de connaissances scientifiques qu'on ne le suppose généralement, et que plus les sciences feront de progrès, et plus on sera rempli d'admiration pour le Livre Saint; mais nous soutenons en même temps que la marche que vous suivez, bien loin d'être avantageuse au progrès du Christianisme, lui deviendra nuisible, si vous persistez à ne pas vouloir reconnaître qu'il y a dans la Bible des récits purement symboliques, tels que sont, par exemple, tous ceux que renferme la Genèse, depuis son commencement jusqu'à Héber. Vous nuiriez encore plus à cette cause sacrée, si vous persistiez à n'admettre que le sens littéral; cependant votre article indique une tendance à secouer ce joug. En effet, vous dites : « Les connaissances » scientifiques doivent se trouver dans la Bible, mais n d'une manière latente, inaperçues pour le com» mun des lecteurs, quoique non impossibles à dé» couvrir pour des yeux plus exercés; elles doi» vent partout être supposées implicitement, sans

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» être jamais formellement et directement énon» cées. » Or, si la Bible renferme toutes les connaissances scientifiques, ne doit-elle pas, à plus forte raison, contenir toutes les connaissances spirituelles? Dès lors, vous reconnaissez implicitement que les connaissances spirituelles y sont contenues d'une manière latente, inaperçues pour le commun des lecteurs, quoique non impossibles à découvrir pour des yeux plus exercés; qu'elles doivent partout être supposées implicitement, sans être jamais formellement ni directement énoncées. Rejeter le sens spirituel, c'est donc être inconséquent, et se priver du seul moyen de concilier la science avec la Bible. Vous vous êtes séparés de Rome, et en cela vous avez bien fait, puisque Rome était tombée dans l'idolâtrie la plus abominable. Par là, vous avez recouvré la liberté d'examen; mais quel usage en avezvous fait? quel usage même pouviez-vous en faire, privés que vous étiez d'un vrai critérium ? Dès l'origine même de votre séparation d'avec Rome, vous vous êtes divisés et subdivisés; maintenant, tenezvous aux enseignements de vos premiers chefs? — Bien peu; car, et Luther, et Calvin, et Mélanchton ne sont plus pour vous de grandes autorités. En cela vous avez eu parfaitement raison ; mais où serez-vous conduits en définitive? Pourrez-vous encore marcher longtemps sans boussole? Du moins, votre vieille rivale en a une : nous n'en parlons toutefois que pour reconnaître un fait, car cette boussole ne peut plus

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SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

que hâter sa perte. Tout chez elle est interverti; l'orgueil de ses pilotes tient leurs yeux fascinés; ils voient le nord au midi et le midi au nord; et, malgré les diverses rafales qu'ils ont essuyées dans une mer qu'ils ne peuvent plus connaître, ils s'imaginent encore À chaque instant arriver au port, tandis que leur vieux bâtiment crevassé, s'en éloignant chaque jour de plus en plus, ne pourra résister à la première tempête, et disparaîtra sous les flots. Serez-vous plus heureux, vous qui marchez à l'aventure? en vain vous vous appuierez sur la Bible, si la Bible est pour vous un livre fermé. Chacun de vous pourra prendre dans ce Livre Divin quelques passages qui concorderont, dans le sens de la lettre, avec ses passions; et ces passages deviendront la base de sa doctrine, et ils constitueront sa foi, et vous aurez bientôt autant de sectes que de théologiens : telles seront les tristes conséquences de vos principes. On trouve tout dans le sens littéral de la Bible; et la preuve incontestable, c'est que, sur des milliers de doctrines qui se sont manifestées dans le monde chrétien, il n'en est pas une seule qui ne se soit appuyée sur des passages de l'Écriture, qui, dans le sens de la lettre, lui étaient tout à fait favorables. Ne doit-il pas résulter de là, pour tout homme consciencieux et sans préjugés, qu'il ne saurait y avoir de vraie doctrine que celle qui prouvera son origine divine, en s'adaptant, sans aucune exception,

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à tous les passages du Livre Saint. Nous ne dirons pas à ces hommes auxquels nous faisons appel : Adoptez notre doctrine; car nous ne ferions que suivre l'exemple des autres Communions chrétiennes qui prétendent toutes posséder la vérité; nous leur dirons seulement : Étudiez et vérifiez.

22*.

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DE LA CAUSE DU RETOUU AUX IDÉES RELIGIEUSES.

On s'occupe beaucoup aujourd'hui, surtout dans le inonde savant, de la tendance générale qu'ont les esprits à se tourner vers les idées religieuses. Cette tendance est devenue même si manifeste, que tout homme de bonne foi ne saurait la nier : mais chacun l'apprécie en raison de la position particulière où il se trouve ; chacun la considère dans le fait qui a le plus de rapport avec ses préoccupations habituelles. Si des hommes spéciaux veulent l'expliquer, on les voit, en général, avoir recours à des causes tout à fait secondaires, tandis que la cause principale, celle d'où dérivent toutes les autres, reste pour eux inaperçue; les brouillards qui couvrent leur horizon spirituel sont encore trop épais, pour qu'elle puisse être reconnue et admise par eux. . Cette cause principale, c'est l'accomplissement, dans le inonde spirituel, de cet événement, à jamais mémorable, désigné dans les Livres Saints par la

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consommation du siècle, et nommé à tort par les théologiens la fin du monde. Cet événement, dont si souvent l'annonce produisit la frayeur et causa la perturbation chez les peuples du moyen âge, fut accompli en 1757, dans le monde spirituel, au moment même où les hommes de cette terre, livrés au sensualisme le plus dégradant, étaient bien loin d'y penser. C'est toujours, en effet, à de semblables époques que se font les grandes manifestations de la Miséricorde Divine. Ainsi, le Seigneur vint lui-même dans le monde, lorsque les hommes, plongés dans le délire des sens, avaient perdu toute idée saine de la Divinité. Ces manifestations, toujours suivies de ce qu'on nomme un Jugement Dernier, consistent surtout à rétablir l'ordre dans le monde spirituel, pour que de là il descende progressivement sur la terre, et en renouvelle la face. Or, si par suite du Jugement Dernier, opéré par le premier Avènement du Seigneur, le vieux monde d'alors croula insensiblement pour faire place à un nouveau, de même, par suite du Jugement Dernier effectué en 1757, ce nouveau monde, devenu vieux, s'écroule à son tour sous nos propres yeux, et déjà nous pouvons apercevoir l'aurore du beau jour qui nous est promis (1). L'année 1757, qui deviendra bientôt aussi mémo(1) Tous ces divers faits de l'ordre spirituel ont déjà été expliqués dans quelques-uns des Articles qui précèdent, et notamment, Pages 143 à U6.

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CAUSE DU RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

râble que celle de l'Incarnation, est l'époque où le vieux monde, après s'être précipité de plus en plus dans le mal et dans le faux, parvint enfin au dernier degré de l'abrutissement moral et spirituel; et où, en même temps, un nouveau monde apparut à l'état d'embryon, pour de là passer successivement, ainsi qu'il arrive pour l'homme, par les diverses phases de naissance, de première enfance, de dentition, d'âge puéril, d'adolescence, et parvenir enfin à une virilité qui, suivant les promesses divines, ne sera plus suivie de la période de décroissance. Cette assimilation de la nouvelle société humaine à l'homme même n'a rien qui doive choquer l'esprit. L'homme est le type de toutes les choses créées, parce que l'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui est le Prototype et le Seul Homme parfait. « Israël s'est levé comme un seul » homme, » a dit l'Écriture. Et nous-mêmes, aujourd'hui, ne disons-nous pas encore, en parlant de la coalition de 1792 : « La France s'est levée comme » un seul homme? » La Bible ne compare-t-elle pas aussi, dans mille passages, les divers états de l'Église, ou de la société spirituelle, aux phases de la vie humaine? Examinons donc l'état de l'humanité à l'époque de 1757, et voyons si, dès à présent, nous ne pouvons pas reconnaître, à partir de cette époque, les premiers linéaments de la société nouvelle; mais n'oublions pas qu'alors le vieil homme, parvenu au

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maximum de la dégradation morale et spirituelle, fut, par suite de cet état, contraint de s'arrêter dans sa marche abrutissante, mais qu'il ne dut pas pour cela cesser d'agir; en outre, rappelons-nous que l'homme nouveau n'était encore qu'un embryon. Au moment même où le Christianisme allait être révélé au monde, une civilisation, qui surpassait alors tout ce que l'histoire avait pu transmettre, éblouissait par son éclat la vue des hommes, qui ne recouraient plus aux plaisirs de l'esprit que pour se procurer des jouissances mondaines. Partout la religion n'existait que dans la forme : « Je ne conçois pas, disait le plus grave des Romains, que deux augures puissent se regarder sans rire. » Alors la littérature et les arts étaient à leur apogée; la paix régnait, et l'univers, soumis à la domination des premiers Césars, semblait destiné à se reposer longtemps sous leur égide. Néanmoins, le secret pressentiment d'un nouvel ordre de choses occupe certains esprits, et le poète, appliquant à l'objet de ses flatteries ce qu'il sent confusément en lui-même, s'écrie avec enthousiasme : Magnusab intégra sœclorum nascitur or do. Ainsi, sous le règne de Louis XV, lorsque le second Avènement du Seigneur se manifestait dans le monde spirituel par le Jugement Dernier, et sur la terre par la Révélation du sens interne de sa Parole, le monde moral et politique offrait un spectacle tout à fait analogue : Avilissement de la religion par ses

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CAUSE DO RETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

propres ministres, abrutissement du moral de l'homme par la philosophie sensualiste, éclat de la littérature et des arts, paix générale; et, pour que la comparaison soit encore plus parfaite, le monde chrétien, soumis à la domination de ses chefs, semble aussi destiné à se reposer longtemps à l'ombre du traité de Westphalie. Enfin, que l'on consulte les mémoires du temps, et l'on verra aussi que ce pressentiment d'un nouvel ordre de choses, qui s'est emparé aujourd'hui de tous les esprits, a commencé à se faire sentir, dès cette même époque, non-seulement dans le monde chrétien, mais encore dans toutes les contrées de la terre. Tant que l'homme nouveau est à l'état d'embryon, il ne peut y avoir de lutte entre lui et son vieil adversaire qui continue à se complaire dans son état de dégradation ; mais par suite du rétablissement de l'ordre dans le monde spirituel, le nouvel influx qui en descend, prépare et dispose les membres les moins viciés de la vieille société à recevoir librement et progressivement les vérités nouvelles. Ce sont ces membres qui, sans le savoir, constituent l'homme nouveau ; mais alors ils n'ont pas plus la conscience de leur nouvel état que l'enfant qui est dans le sein de sa mère n'a la conscience de son existence. La naissance du nouvel homme ne fut autre chose que la manifestation des vérités nouvelles, ou de la doctrine destinée à régénérer l'humanité. La manifestation de cette doctrine se fit sans éclat : Un Sué-

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dois, homme d'un savoir profond et de mœurs douces et irréprochables, ayant été préparé par le Seigneur pour la recevoir, fut chargé de l'écrire telle qu'il la recevait, et de l'adresser aux savants et aux conservateurs des principales bibliothèques publiques. Sa mission se borne là; car, livrée dès sa naissance aux discussions d'une société si corrompue, cette doctrine eût été étouffée par son ennemi. C'est ainsi que le Sauveur du monde, né dans une étable, fut aussitôt obligé de se tenir caché pour éviter d'être massacré par d'Hérode. Dans cette première période d'existence, point de combat, point de lutte ; le nouvel homme est encore dans l'état de la première enfance ; mais les vérités, qui ont constitué son apparition dans le monde, germent peu à peu dans les cœurs; elles s'enracinent, se développent, se propagent; et l'influx du bien et du vrai, trouvant un plus libre accès, se répand avec abondance : c'est l'enfant qui commence à croître et à se fortifier. Cet influx n'agit pas seulement sur ceux qui connaissent et admettent les nouvelles vérités révélées ; son action est générale, et s'étend principalement sur tous ceux qui sont susceptibles de quelque retour au bien et au vrai. Il se manifeste en eux de mille manières différentes; car, pur dans son essence, comme la chaleur et la lumière qui émanent du Soleil, il subit, comme elles, autant de modifications différentes qu'il y a de réceptacles humains ; et, de

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CAUSE DU UETOUR AUX IDÉES RELIGIEUSES.

même qu'une liqueur pure et bienfaisante, il se détériore plus ou moins selon la qualité du vase qui le reçoit. En général, il excite en l'homme le désir de connaître le vrai et de pratiquer le bien ; mais, au commencement d'une époque de rénovation, tout étant encore dans la confusion, non-seulement il est difficile de distinguer le bien d'avec le mal et le vrai d'avec le faux, mais encore on peut souvent, sans mauvaise intention, prendre pour bien ce qui est mal et pour vrai ce qui est faux; de là, souffrance, déchirement. C'est pour l'homme nouveau l'époque de la dentition. Il ne saurait encore connaître et apprécier la cause de ses douleurs; il ne peut que s'irriter, crier, et aller même jusqu'à battre sa nourrice : cet état a ses intermittences et ses crises, et celles-ci sont souvent accompagnées d'une fièvre brûlante. Si nous descendons maintenant au degré naturel, c'est-à-dire, à l'état social, et que nous appliquions ces réflexions à la France, par exemple, — car ce qu'on pourrait dire de l'Humanité en général peut se dire aussi d'une Nationalité quelconque,— il nous sera facile de reconnaître, en partant de 1757, les trois périodes de naissance, de première enfance, et de dentition du nouvel ordre social qui tend à s'établir dans notre patrie. La première période, celle de sa naissance, se place naturellement au milieu des saturnales du règne de Louis XV ; car c'est alors qu'on s'aperçut que l'ordre ancien était devenu tout à fait

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incurable, et qu'en conséquence on vit surgir de tous côtés des principes (1) pour le renverser et en établir un nouveau. La seconde, celle de sa première enfance, se reconnaît facilement dans cette suite d'années de paix, pendant lesquelles les principes dont il vient d'être question s'enracinent, se développent, se propagent. Enfin, il sera encore plus facile de reconnaître la troisième, celle de sa dentition, dans toutes les commotions politiques qui depuis un demi-siècle agitent la France et le monde entier. Suivez l'enfant dans toutes ses crises, voyez son irritation, entendez ses cris, ne va-t-il pas quelquelois jusqu'à frapper sa nourrice; mais elle, toujours tendre, lui prodigue ses carresses; pourquoi lui en voudrait-elle? il ne sait ce qu'il fait. Quelque longue que soit la période de la dentition, le nouvel homme grandit néanmoins; aussi, lors même que ses dernières crises ne seraient pas encore passées, le voyons-nous, dès à présent, devenir de jour en jour plus apte à recevoir et à conserver l'influx spirituel. Ainsi, l'Évangile est maintenant répandu dans toutes les classes; ce ne sont plus seulement les sociétés bibliques qui le réimpriment à des milliers d'exemplaires; les philosophes, revenus de leurs préventions, en font aussi des édi(1) La plupart de ces principes dérivaient, à la vérité, du nouvel influx spirituel; mais cet influx, en pcnélr.lntchez des hommes purement naturels, perdait sa qualité spirituelle, et ne pouvait tout au plus exciter en eus que le désir du bien naturel.

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lions populaires sans se permettre le moindre changement, et non plus comme sous la restauration où l'on ne conservait que la partie morale. Les auteurs de l'Histoire parlementaire de la révolution française, MM. Bûchez et Roux, ont même fait précéder leur .édition d'une longue Introduction dans laquelle se trouve ce passage remarquable : « Tout homme qui admet le devoir ne peut pas » refuser de croire que Dieu a pris un corps sem» blabte au nôtre, et qu'il nous a enseigné par sa » Parole et par ses actes en quoi consistait sa volon» té. Ses actes comme homme ont été la pratique » absolue de la loi qu'il enseignait comme Dieu.» Ne semble-t-il pas résulter positivement de la phrase soulignée qu'ils n'admettent, comme nous, qu'un seul Dieu : Jésus-Christ. En effet, d'après cette phrase, ce n'est plus le Fils de Dieu qui serait venu dans le monde, c'est Dieu lui-même qui aurait pris un corps semblable au nôtre. Du reste, cette doctrine du devoir, prêchée par les auteurs de Y Histoire parlementaire, n'estelle pas elle-même l'indice d'un grand progrès? Il n'y a encore que peu d'années, la doctrine du droit, si opposée au principe chrétien, était dans toutes les bouches; maintenant, la vraie doctrine du progrès social, celle du devoir, est enfin à l'ordre du jour. On a parlé d'une alliance entre MM. Bûchez et Roux et les Catholiques-Romains. Que ces disciples de la doctrine du devoir, voyant le Protestantisme

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s'appuyer sur la théorie du droit et le CatholicismeRomain prescrire le devoir, aient combattu les principes du premier et défendu ceux du second, Us ne se sont montrés en cela que conséquents avec euxmêmes; mais de là à une alliance avec le Vatican, il y a loin. On parle aussi d'un échange de lettres de politesse, et même d'actes de soumission filiale : cela ne pourrait être tout au plus qu'une comédie diplomatico-religieuse; il n'y a pas d'alliance possible entre les disciples de la doctrine du devoir, qui posent sérieusement pour principes ces deux préceptes de l'Évangile : « Celui qui voudra être le plus grand » entre ses frères sera le serviteur de tous. Que » celui qui ne veut pas travailler ne mange pas, » non, point d'alliance possible entre ces disciples, et celui qui prend le titre dérisoire de serviteur des serviteurs, et dont le travail principal consiste à se laisser adorer. D'ailleurs, si une telle alliance se réalisait jamais, ce ne pourrait être, de la part de MM. Bûchez et Roux, que par suite de l'abandon de leurs principes, et dès lors ils seraient désavoués par tous les vrais Disciples de la doctrine du devoir. Pour nous, Disciples de la Nouvelle Jérusalem, nous sommes remplis d'allégresse en voyant ce grand mouvement des esprits vers les idées religieuses; nous reconnaissons dans tout ce qui se passe aujourd'hui l'accomplissement graduel des promesses du Seigneur, et nous découvrons partout l'action incessante de sa Divine Providence. Nous savons, en

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effet, que le Seigneur prend les hommes tels qu'ils sont, et qu'il les dirige progressivement vers les vérités divines, sans détruire tout à coup leurs erreurs; s'il agissait autrement, il briserait l'homme, car ce serait le priver subitement de ce qui constitue encore son propre, de ce qui fait encore sa vie; Dominus non frangit, sed flectit, dit Swedenborg; le Seigneur ne brise pas l'homme, mais il le redresse. C'est ce qui nous fait espérer que tous ces hommes dévoués qui ont déjà éprouvé tant de fois l'action du Seigneur pour le redressement successif de leurs erreurs, et qui se trouvent maintenant si près de la véritable doctrine, ne tarderont pas à y être introduits, et à l'adopter dans toute la sincérité de leur cœur. Enfin, nous résumant en peu de mots, nous disons : Notre monde n'est qu'une manifestation d'effets; toute cause appartient au monde spirituel, d'où nous viennent toutes nos affections et toutes nos pensées. Or, si sur cette terre il y a maintenant une tendance à revenir à des idées religieuses et à rechercher les bases d'un nouvel ordre social, c'est parce que ces paroles du Seigneur : Voici, je fais nouvelles toutes choses, ont reçu dans le monde spirituel un accomplissement qui commence déjà à se manifester sur cette terre.

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DU CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM A SAINT-AMAND*

Depuis qu'il est question d'élever un Temple de la Nouvelle Jérusalem à Saint-Amand, et que l'on sait qu'un culte public est régulièrement exercé ici dans un local provisoire, plusieurs de nos frères, voulant se réunir à nous d'intention, nous ont témoigné le désir d'avoir quelques renseignements sur les formes de notre culte extérieur. La Bévue étant, pour le moment, le moyen de communication le plus général entre les Novi-Jérusalémites, nous l'emploierons d'autant plus volontiers pour répondre à nos frères, que l'exposition simple que nous allons faire pourra, en outre, ramener au culte extérieur quelques-uns des hommes de bien qui nous lisent, et qui, dégoûtés par tant de minuties, d'abus et de superstitions qu'ils voient ailleurs, avaient cessé toute espèce de rapports extérieurs avec la Divinité. Ce n'est pas que nous prétendions par là donner au culte extérieur une importance de nature à nuire au culte intérieur, qui consiste, lui, à vivre dans le bien et dans le vrai; non, le culte intérieur doit toujours être le principal et le culte extérieur toujours * Voir aux notes additionnelles, 23*.

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SUR LE CULTE DE LA NOUVELLE JÉRUSALEM.

rester l'accessoire; car l'un est la substance même, et l'autre n'est que la forme ; l'un est l'âme, et l'autre n'est que le corps; mais, comme il n'y a point de substance sans forme, ni d'âme sans corps, il est nécessaire que le culte intérieur se traduise par quelques actes extérieurs. Si toutefois la forme que nous avons adoptée ne paraissait pas encore assez simple à ces hommes de bien dont nous venons de parler, qu'ils s'en tiennent à ce que le Seigneur a prescrit lui-même à ses disciples, lorsqu'ils lui demandèrent comment ils devaient prier. Qu'ils s'enferment dans leur cabinet, et qu'ils s'adressent à leur Père qui se trouve dans ce lieu secret; qu'ils méditent ces paroles divines qu'ils ont répétées si souvent, dans leur enfance, sans les bien comprendre, et leur Père céleste leur répondra, et ils sentiront d'abord l'efficacité de la prière dans son premier degré : ils reconnaîtront que si la prière des lèvres fut autrefois pour eux vaine et inutile, celle de l'entendement offre de puissants charmes à l'esprit : qu'ils continuent quelque temps encore, et bientôt ils arriveront à la prière du cœur : c'est alors qu'ils sentiront tout le prix de ce baume consolateur; car ils seront alors parvenus à la vraie prière, parce qu'ils comprendront et voudront ce qui sera prononcé par leurs lèvres. Quant au culte extérieur que nous suivons, il consiste uniquement dans la lecture de la Parole. Nous nous réunissons tous les dimanches, car le Seigneur a dit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du Sab-

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» bat. » Nous avons, en outre, à l'exemple de nos frères d'Angleterre et des États-Unis, adopté quatre fêtes solennelles, la Nativité, la Crucifixion, la Résurrection et l'Ascension, en commémoration des actes principaux du Seigneur sur cette terre; mais ces fêtes n'étant pas prescrites par le Décalogue, qui renferme toute la loi, ne sont pas obligatoires au même degré que le jour du Seigneur. Nous nous réunissons chaque dimanche à trois heures après midi, cette heure étant la plus convenable pour la généralité de nos frères. L'on commence par prononcer quelques sentences tirées de l'Écriture Sainte. On lit ensuite les préceptes du Décalogue et l'Oraison dominicale; puis, on annonce à l'assemblée quelles sont les parties de l'Ancien et du Nouveau Testament qui vont être lues. Après la lecture de la Parole, celui qui officie donne des explications sur son sens interne, et termine le culte par la formule de Bénédiction qui se trouve à la fin de l'Apocalypse. Notre culte consiste donc uniquement dans la lecture de la Parole Divine ; nous ne faisons usage d'aucune prière humaine'.cependant lorsque le culte est terminé, nous avons l'habitude, avant de nous séparer, de lire une Invocation de Richer, et de nous livrer à des entretien ts instructifs. Nous suivons pour la lecture de la Parole la division adoptée par nos frères d'Angleterre et des États-Unis; de là résulte que les mêmes passages du Livre Saint peuvent être lus le même jour par tous

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les disciples de la Nouvelle Jérusalem dans les deux hémisphères. D'après cette division, — qu'il serait trop long de donner ici, et qu'on trouvera, avec une explication, dans les tables placées au commencement de la Liturgie de M. Ledru, — on lit en une année l'Apocalypse et les Psaumes de David, on emploie le cours de deux ans pour la lecture des quatre Évangélistes, et une période de quatre années pour celle des Livres historiques et prophétiques de l'Ancien Testament. Telle est la simplicité de notre culte : la Parole, rien que la Parole; elle seule renferme tout; elle seule donne la communication avec le Ciel et la conjonction avec le Seigneur, quand on pratique ce qu'elle prescrit. Cette simplicité toutefois n'irait pas jusqu'à exclure du culte ce qui peut exalter l'âme, ou procurer à l'esprit d'innocentes distractions. Oui, certes, nous aurons aussi nos jours de réjouissances publiques; mais il faut auparavant que le milieu dans lequel nous vivons ait été épuré par l'influx. Nos cœurs pourraient-ils s'épancher avec toute l'effusion de l'amour qui les embrase, entourés que nous sommes de tant de nos malheureux compatriotes qui ne nous comprendraient pas? Notre amour lui-même est-il assez pur, pour que nous puissions nous abandonner à toutes ses impulsions? Cherchons d'abord à faire des progrès dans l'acte important de notre propre régénération, et des jours de joie pure et de vive allégresse viendront ensuite. Aimons-nous les

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uns les autres, c'est le commandement nouveau que le Seigneur a donné; ne l'oublions pas, et quoique peu nombreux encore, nous serons forts, car nous marcherons sous sa direction. Soyons surtout indulgents les uns pour les autres; n'est-ce pas de la diversité que résulte l'unité? Qu'importent donc les différences qui distinguent l'un de l'autre, nous sommes tous frères dans le Seigneur, du moment que nous le reconnaissons pour le Dieu unique du Ciel et de la terre, et que nous fuyons les maux comme contraires a ses lois divines. C'est pour avoir oublié ces vérités si simples que la première Église chrétienne est tombée; que son exemple nous serve de leçon.

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Nous avons souvent parlé de Bernard dans le cours de cette publication; ses travaux immenses pour la propagation de la Nouvelle Doctrine, ses relations avec Edouard Richer, la vénération que portent à sa mémoire tous ceux de nos frères qui l'ont connu, le petit nombre de ses manuscrits qui nous avaient été adressés, tout, en un mot, nous faisait un devoir de chercher à connaître plus particulièrement une vie qui avait été si active et si bien remplie. L'appel que nous avons fait au souvenir de ses amis a été entendu, et de précieux renseignements nous sont parvenus aussitôt. Notre intention n'est pas cependant de donner la biographie du capitaine Bernard : ce travail, auquel se livrera sans doute plus tard quelqu'admirateur d'un si beau caractère, ne saurait trouver place ici, notre Bévue n'étant destinée qu'à développer successivement les Doctrines célestes de la Nouvelle Jérusalem, et à faire connaître les travaux antérieurs qui n'ont pas encore été rendus publics : c'est donc * Voir aux notes additionnelles.

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seulement sous le rapport rétrospectif, en ce qui concerne la propagation de la Nouvelle Doctrine, que nous considérons la vie de Bernard. Mais, dans cette notice, nous laisserons presque toujours parler ses frères d'armes, qui sont devenus aussi ses frères en Jésus-Christ, bornant, pour ainsi dire, notre tâche à transmettre à nos lecteurs les sentiments exprimés par ceux qui furent les témoins des principaux actes de sa vie novi-jérusalémite. La franchise militaire qui les caractérise sera un motif de plus pour qu'ils soient bien accueillis. Bernard (Jean-Jacques), naquit à Vannes, département du Morbihan, le 6 octobre 1791 ; admis à l'école militaire de Fontainebleau en 1809, il en sortit sous-lieutenant en 1811, et fit, dans la jeune garde, les campagnes de Russie, de Saxe et de France (1). En 1815, après le licenciement de la Loire, il fut incorporé dans la légion de la Loire-Inférieure et prit le commandement d'une compagnie. Les loisirs que procure un temps de paix furent utilement employés par le jeune capitaine; porté naturellement à la méditation, il se livrait avec ardeur à l'étude des divers systèmes philosophiques. Ses compagnons d'armes admiraient son caractère, mais ils ne pouvaient s'empêcher de trouver extraordinaire cette ténacité au travail. « Ne vous en étonnez pas, leur (1) II fut décoré de l'Ordre de la Légion d'honneur le 20 mars 1813, et blessé d'un coup de feu au pied droit le 18 octobre 1813 à Leipsick.

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dit à ce sujet un jeune officier qui avait été son camarade d'études au lycée de Nantes, Bernard est ici décidément franc, loyal et studieux, comme il l'était avant son départ pour l'armée. » Bernard, comme tous les hommes de son âge, était passé des ténèbres obscures d'une éducation religieuse anti-rationnelle aux lueurs fausses et dangereuse d'une philosophie sceptique ; mais le doute, si désolant pour tout homme en général, ne pouvait convenir longtemps à l'activité de son esprit; de là, son application et sa persévérance à étudier tous les systèmes, pour parvenir à la découverte de la vérité. « Eu 1818, nous écrit le capitaine Paillard, Bernard n'en était encore qu'aux sciences naturelles; mais, un an après, je le vis arriver à Brest tout à fait spiritualiste, pénétré des écrits de Saint-Martin et de Lamartine. Il s'était tellement adonné aux méditations théosophiques que, dans cette garnison et à Blaye, il se plantait sous un arbre, aux différents repos d'exercice, et y restait tout le temps comme absorbé. Tout en se riant de cette sorte de bizarrerie, chacun ne pouvait que l'admirer dans son active persévérance à rechercher et à découvrir la vraie science, qui, de la manière dont il l'affectionnait, ne pouvait manquer de se présenter à lui sans beaucoup tarder. En effet, arrivé à Bordeaux en 1820, un volume de Swedenborg lui tombe entre les mains, et le voilà Chrétien de la Nouvelle Église, et le chaud propagateur de la Nouvelle Doctrine, d'abord au ré-

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giment, puis à Bayonne, en Espagne; et, à sa rentrée en France, dans toutes les villes où il a pu se trouver. » C'est en 1820S nous dit le capitaine Puvis, que Bernard, ramené depuis quelque temps au spiritualisme par des expériences magnétiques (1), et plus tard au Christianisme par l'étude des œuvres du (I) Bernard n'est pas le seul qui, avant d'arriver à la connaissance des vérités de la Nouvelle Église, ait d'abord été conduit au spiritualisme par l'étude des phénomènes magnétiques. Un grand nombre de disciples ont été dans le même cas. Cela, du reste, ne peut surprendre aucun de ceux qui ont quelque connaissance des vérités spirituelles. C'est par degrés, et en lui laissant intacte sa liberté, que Dieu ramène l'homme à lui. Or, dans un siècle comme le nôtre, où l'homme, fatigué de tant de déceptions de la vieille théologie et abandonné à lui-même, doute de Dieu, nie l'existence après la mort, et ne croit plus qu'à ce qu'il voit, qu'à ce qu'il palpe, il faut bien, pour le retirer d'une telle léthargie quelque moyen galvanique qui agisse avec force sur son entendement, sans le priver cependant de sa liberté d'examen. Tel est le magnétisme, et, en cela, sa réapparition à notre époque doit être considérée comme providentielle, quels que soient d'ailleurs les dangers qui peuvent résulter de son emploi, tout ce qui est donné à l'homme par la Divinité devant nécessairement tourner à son profit ou à son détriment, selon l'usage qu'il en fait, afin qu'il soit toujours libre, et que ses actes puissent lui être imputés. L'homme qui cherche la vérité pour la vérité elle-même, quel que soit son scepticisme, ne peut être longtemps témoin d'expériences magnétiques, sans se convaincre qu'il existe autre chose que le matériel. II se trouve donc, par cela même, débarrassé de ce doute accablant qui le forçait de s'étourdir sur tout ce qui pouvait concerner le spirituel, et alors toute l'activité de son entendement le porte à s'enquérir de ce que peut être ce spirituel, dont il avait jusquelà dédaigné de s'occuper. Lorsque l'homme en est arrivé là, !e Seigneur qui toujours frappe à -'4.

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théosophe Saint-Martin, fut initié dans la doctrine de la Nouvelle Jérusalem ; et tel était chez lui le sens d'intuition des vérités les plus élevées, que le doute et l'hésitation, par lesquels il est peu de disciples qui n'aient passé, non-seulement ne tiraillèrent point son esprit, mais à peine parurent le préoccuper. — Nous étions en garnison à Bordeaux, Bernard, tout entier à l'étude et disciple ardent de l'Apôtre suédois, bornait cependant ses relations à un petit nomla porte, mais qui ne peut entrer qu'autant qu'on lui ouvre, trouve cette porte entr'ouverte : il agit alors envers l'homme avec une bonté et une précaution dont la tendresse du meilleur des pères ne saurait donner la moindre idée : 11 introduit peu à peu quelques vérités, en écartant en mSme temps les faussetés qui leur feraient obstacle ; car ce n'est que par degré qu'il lui présente la lumière, ses yeux étant encore trop faibles pour en soutenir l'éclat. II ne détruit pas non plus tout à coup les faussetés qui font le charme de son existence, car ce serait la détruire, Dominus non frangit, sed flectit, dit Swedenborg. 11 résulte de là que l'homme, tiré de son engourdissement spirituel par la vue de phénomènes magnétiques qui durent lui paraître d'abord bien extraordinaires, ne tarde pas à perdre l'engouement dont il s'était pris pour eux, lorsque profitant de ce secours providentiel, il finit par se laisser diriger par le Seigneur; car alors, en portant son attention sur tout ce qui s'est passé • et se passe journellement dans son intérieur, il y découvre des merveilles bien autrement surprenantes. 11 y a plus encore; c'est que, reconnaissant alors la main directrice delà Providence Divine dans la série de tous les faits qui ont amené son retour au Seigneur, il acquiert de luimême la conviction que si les phénomènes magnétiques ont été nécessaires pour l'amener à la recherche de la vérité, ils ne seraient plus maintenant pour lui d'aucune utilité, et deviendraient même nuisibles, s'il avait la faiblesse de se laisser entraîner à des expériences de pure curiosité. En conséquence, il laisse de coté un instrument qui ne pourrait plus lui offrir que des dangers.

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bre d'amis, tous officiers dans le même régiment, mais non dans les mêmes sentiments religieux. Et comment dans l'armée, à une époque si rapprochée de l'Empire, ne pas suivre le torrent des idées antichrétiennes, ne pas être aussi sous la tyrannie des opinions accréditées!... Certes, il fallait déjà bien de la force d'âme, bien du caractère pour ne pas sacrifier au respect humain ; il fallait des convictions bien affermies pour dire hardiment sa croyance. Eh bien! cette confession si noble dans ce temps de raillerie, Bernard savait la faire; et tant était grande l'estime que tous ses camarades avaient pour lui, que, s'il y avait lutte souvent, jamais il ne venait dans l'esprit d'aucun de mettre en doute sa bonne foi. On l'avait vu dans le monde, mais on l'avait vu toujours vrai; on le savait ami plein de dévouement et soldat plein de zèle. Comment ne l'aurait-on pas honoré, alors qu'avec un amour passionné pour le bien, on le voyait encore embrasser une mission où il n'y avait rien pour aucune des ambitions du jour?» Appelé à Paris à la fin de 1820 par un événement funeste dont l'influence fut puissante sur le reste de sa vie, Bernard y fit la connaissance de plusieurs savants distingués qui se montrèrent justes appréciateurs de son mérite, mais dont les doctrines religieuses lui parurent moins avancées que celles de la Nouvelle Jérusalem. Il eut en même temps l'avantage d'être mis en relation avec l'épouse d'un officier stipé-

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rieur qu'il avait connu à Rayonne, Madame de SaintAmour, dont l'esprit éclairé était avide de connaissances, et qu'il eut le bonheur de conduire à une doctrine, à la propagation de laquelle elle devait un jour prendre aussi tant de part. Enfin, ce fut à cette époque qu'il parvint à découvrir quelques disciples de la Nouvelle Église, et entre autres le zélé Gobert, avocat à la cour royale de Paris, avec lequel il se lia plus particulièrement. « De ce moment, ajoute M. Puvis, — des notes duquel a été extrait ce qui précède, — son âme devint plus active encore; jusque-là, il n'avait étudié Swedenborg que seul et dans l'isolement; aujourd'hui, c'était avec des disciples qui depuis longtemps pratiquaient la Nouvelle Doctrine. Avec quelle ardeur il se prenait aux choses les plus profondes, les plus enveloppées! Son esprit hardi et curieux ne voulait rien ignorer de cette doctrine dans la voie de laquelle il était entré. » Cependant son séjour à Paris ne pouvant se prolonger, il part pour visiter sa famille à Nantes. Là, d'anciennes relations lui sont aussi restées, mais il sait quelles erreurs elles professent, car autrefois il les a partagées; et, dans l'élan de la foi la plus vive, apôtre déjà novi-jérusalémite, c'est aux hommes forts qu'il veut aussitôt s'attaquer. Un littérateur distingué, Edouard Rieher, philosophe incrédule, croit entrer tout puissant en lutte. Bernard s'attache à lui; c'est une conquête qu'il veut. La lecture des

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ouvrages de Swedenborg est commencée ; ces livres d'abord rejetés, sont repris ensuite, et Richer devient une des colonnes les plus solides de la Nouvelle Église. » Après ce long voyage à Paris et à Nantes, Bernard vint rejoindre le régiment à Bayonne. Là, tous ses amis étaient impatients de le revoir, ils savaient son chagrin. Combien il leur en parut encore préoccupé ! Et pourtant, ses travaux, loin de diminuer, allaient prendre une activité plus grande encore, c'est que son âme, remplie d'une charité douce et d'un désir passionné de contribuer à la propagation de la Doctrine Nouvelle, faisait de lui le Chrétien le plus complet et l'Apôtre le plus zélé. » II avait laissé ses amis sceptiques ou indifférents au moins en matières religieuses; il reprend avec eux ses instructions interrompues. Sont-ils tièdes quelquefois à l'entendre? Le monde exerce-t-il sur quelques-uns d'eux sa mauvaise influence? Son zèle pour les protéger contre ces séductions en redouble; il veut les ramener et les convaincre. Tous l'aiment et le vénèrent; mais souvent ils voudraient lui échapper. Il ne les quitte pas; il faut que l'on goûte avec lui tout le bonheur qu'il trouve dans ses croyances : ami rempli de charité, la patience et l'espoir ne l'abandonnent point. Un jour il en aura la joie, il verra ceux qu'il aime d'un tel amour devenir tous ses frères. » Nous arrivions alors à la fin de l'année 1821; 24*.

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les derniers mois qui venaient de s'écouler avaient été employés, pendant tous les instants que lui laissaient les devoirs de sa profession, soit à s'emparer de tous les événements dont les esprits avaient pu être douloureusement préoccupés à Rayonne, pour éveiller l'attention sur les doctrines religieuses qu'il professait, soit à réfuter les attaques que le scepticisme engageait contre lui; et, sans crainte devant le choc des raisonnements scrutateurs, dans des Opuscules qu'il fit publier alors, et où il passe en revue quelques-unes des doctrines du Catholicisme, il n'hésite point, Novi-Jérusalémite de conviction, à s'écarter dans sa croyance des dogmes de la communionromaine et de laisser voir un penchant décidé pour une théologie libérale. Ces Opuscules, publiés sous l'anonyme à'un ami de la sagesse et de la vérité, écrits avec netteté et avec une précision extrême, révèlent une âme remplie des vertus les plus actives, d'une chanté douce et d'un désir passionné de contribuer à éclairer les hommes pour les rendre meilleurs et plus heureux. « L'année 1822 se passa en grande partie pour Bernard dans des cantonnements sur la frontière d'Espagne. C'était la guerre aux institutions espagnoles qui s'anonçait, guerre qu'il ne craignit point de combattre dans des articles envoyés aux journaux de Paris, guerre qui du reste le mettait souvent dans des tentations de donner sa démission. — Un autre sujet de peine pour lui, c'était de ne pouvoir

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se faire comprendre. Là, en effet, on ne parlait que la vieille langue cantabre; et, avec les habitants, nuls rapports d'intelligence n'étaient possibles. — Mais au milieu de ces populations, lorsque notre présence rendait les communications avec l'Espagne si difficiles, le nombre des malheureux avait beaucoup augmenté. Chez tous ceux qu'il sait dans le besoin, il porte, il envoie des secours, et c'est à ses soldats qu'il fait remplir ce noble office. « Notre ca» pitaine, disaient-ils, n'a rien à lui, il donne tou» jours. » Et de quel amour, de quelle vénération ils l'entouraient tous! — Près de lui, ou même l'apercevait-on de loin, plus de chants obscènes, plus de propos licencieux. Un changement s'est fait dans sa compagnie et s'étend bientôt dans tout le régiment. On comprend que l'on peut être Chrétien conséquent, et cependant remplir encore avec distinction tous les devoirs d'un bon militaire. Allions-nous alors parfois le visiter, tantôt nous le trouvions absorbé sur des livres entassés devant lui, tantôt aussi méditant au pied de quelque vieil arbre, et c'était avec la plus grande peine que nous parvenions à l'entraîner dans des courses dont nous ne voulions, nous, pour but que de l'exercice sans occupation d'esprit. » Ces travaux, où il concentrait en lui-même l'activité dévorante de ses facultés, ne pouvaient manquer de réagir d'une manière fâcheuse sur sa santé; aussi vers la fin de l'année fut-il atteint, en rentrant

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à Rayonne, d'une hémorrhagie interne qui tout aussitôt donna à ses amis les inquiétudes les plus vives. C'était le premier symptôme d'une maladie dont il ne devait plus guérir. Et vainement depuis cette crise il lui fut prescrit de mettre quelque régime dans la multiplicité de ses travaux; à cet égard, ses amis, comme toutes les personnes qui s'intéressaient à lui, ne purent rien obtenir. » Placés depuis plus de deux ans sur la frontière d'Espagne, nous ne pouvions manquer de faire partie du corps d'armée qui devait entrer le premier en campagne, et tout annonçait que la guerre était prochaine. Bernard la fit avec nous; mais ce fut une occasion pour lui de porter, au milieu de l'exaltation et de la fureur des partis, un esprit de paix et de religion mieux comprise. Et que de bien ne fit-il pas pendant un séjour de plusieurs mois au milieu de familles persécutées ! Que de sentiments religieux ne réveilla-t-il pas là où l'esprit du moment avait voulu les éteindre, là où les doctrines matérialistes du dixhuitième siècle avaient, comme jadis en France, tous les hommages des classes élevées!... Ses croyances faisaient un contraste peut-être avec l'habit et l'âge; mais au milieu de ce monde, elles ne furent pas cependant sans trouver quelque sympathie, et longtemps encore après avoir quitté Madrid, il entretenait des relations avec l'évêque de Barcelonne le savant Torres Amat, avec don Ellola, ancien intendant des armées, homme d'un grand savoir* avec le

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général Palafox et l'auteur de la Morale du Laboureur, don Augustin Quinto. » D'autres renseignements nous sont encore donnés sur les efforts de Bernard pour introduire la Nouvelle Doctrine en Espagne. Aux noms déjà cités, le capitaine Paillard en ajoute encore quelques autres. « Parmi les personnes marquantes, dit-il, avec lesquelles Bernard était entré en relation, dans le peu de temps qu'il est demeuré à Madrid, se trouvait un don Antonio, moine avant la révolution de 1820, et qui depuis s'était livré à l'enseignement. Bernard eut, je crois, l'intention de lui donner à faire quelques traductions des ouvrages de Swedenborg, mais les désordres qui existaient alors en Espagne par l'espèce de contre-révolution que l'armée française y venait d'opérer, l'empêchaient de se produire en public, les royalistes poursuivant à outrance les malheureux libéraux qui s'étaient mis en évidence. Au nombre de ceux-ci était encore un homme tout à fait intéressant, obligé de se cacher, mais que Bernard avait su découvir dans sa retraite; son nom m'est échappé, mais je ne puis oublier sa personne, frappé que j'ai été de ses grandes idées d'action pour le développement intellectuel et industriel à introduire dans son malheureux pays. Il avait établi à Avila une manufacture en grand dans le genre de celle de Ternaux, chez qui il était resté plusieurs années. Bernard avait soin, en outre, de procurer à ses nouveaux amis des ouvrages de Swe-

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denborg. Veuille le Seigneur que ces idées, semées alors dans ces contrées, germent et se développent comme le font celles d'indépendance réelle que chacun des membres de l'armée, depuis le général en chef jusqu'au dernier soldat, y a répandues! car tel fut en réalité le résultat moral de notre expédition, quoique nous y eussions été envoyés pour détruire la constitution et y rétablir l'absolutisme. Tant il est vrai que les voies de la Providence sont au-dessus de notre conception, et que nous ne pouvons voir Dieu que par derrière! Heureux encore ceux qui sont arrivés à le reconnaître ainsi ! » A ces observations si judicieuses et si chrétiennes, ajoutons que l'ultramontanisme fut un des instigateurs les plus ardents de cette expédition, et qu'il était loin de présumer alors que les germes d'une Nouvelle Doctrine chrétienne pénétreraient dans la Péninsule à l'abri d'une épaulette française. Laissons ces premiers germes se développer sans bruit; ils apparaîtront au grand jour, lorsque le moment sera arrivé, pour la nation espagnole, de briser le joug du Catholicisme-Romain, comme elle a déjà secoué celui du pouvoir absolu. Revenons à la narration du capitaine Puvis. « Toujours entraîné à l'excès du travail par l'ardeur de son esprit, le surcroît de fatigues, résultant de la campagne, devint la cause d'une nouvelle hémorrhagie. La crise ayant été encore plus sérieuse que la première, il fut autorisé à rentrer en France.

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La voiture dans laquelle il revenait fut attaquée par des guérillas, et les voyageurs dévalisés, non sans quelque résistance qu'il osa faire tout seul. Mis presqu'à nu et souffrant toujours, il arriva vers la fin de novembre dans ce triste état à Bayonne, mais pour s'y reposer à peine. Peu de jours après, il en repartait pour suivre le dépôt du régiment à Tarbes. Là, comme à Bayonne, il devint le centre d'une société. Avant lui, on s'était occupé dans cette ville du magnétisme et de certains faits de somnambulisme. Ces faits lui servent comme de points de départ pour éveiller l'attention sur les doctrines de l'Apôtre suédois, et il obtint des succès remarquables. Appelé à Paris par des intérêts particuliers, il se sépare pour quelque temps de ces nouveaux disciples, et en passant à Toulouse, renseigné par eux, il jette aussi là des germes dont les racines y sont encore devenues profondes. A Paris, il revoit tous ses amis, il se mêle à tous leurs travaux de préparation. Il part ensuite pour Nantes, retrouve là Richer, but principal de son voyage, et prépare encore de nouvelles conquêtes à la doctrine qu'il avait embrassée. » Son retour à Tarbes était attendu avec impatience, il y rentra au mois de juillet; mais, au regret de tous les disciples, pour quelques mois seulement; ainsi le voulait sa position toujours dépendante dans un régiment. Cependant si ce fut un chagrin, souvent renouvelé pour lui, de quitter ses amis près desquels il sentait sa présence nécessaire, de quels

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avantages tous ces combats nombreux, tous ces passages rapides dans tant de villes, ne furent-ils pas pour la propagation de la doctrine Novi-Jérusalémite!... n La nouvelle destination du 23e régiment qui, au commencement de 1823 rentrait d'Espagne et ralliait son dépôt, était Tours avec Blois et Angers. Bernard résida d'abord à Tours, mais peu de temps. Parti pour Blois, il ne put oublier, en passant par Amboise, que c'était la patrie du théosophe SaintMartin, aux ouvrages duquel il devait son retour au Christianisme. Il avait appris qu'il y trouverait encore quelques membres de sa famille; il fut, en conséquence, visiter un neveu (1) de ce philosophe, ob(1) M. Tournyer dont nous avons parlé dans notre livraison de janvier 1839 (ci-dessus, Page 227J. — Voici un passage d'une lettre qu'il écrivait au capitaine Puvis en lui parlant de Bernard : < Je me félicite> rai, toujours, dit-il, d'avoir fait la connaissance de ce véritable théo» sophe, qui me semble bien destiné à fonder en France la Nouvelle » Église, d'après les merveilleux principes de Swedenborg, qu'on ne » saurait trop méditer. Je me rappelle bien que, lorsque M. de Saint» Martin eut lu le premier ouvrage de ce Suédois, du Ciel et de l'En> fer, il me dit qu'il regrettait que les autres ne fussent pas traduits, > afin de pouvoir mieux apprécier sa doctrine. Il n'aurait rien eu à dési> rer, s'il eût lu son dernier ouvrage sur la Nouvelle Église. La Tkéo• logie universelle ne laisse aucun doute dans l'esprit des lecteurs » pieux et préparés pour la lecture des Écritures Saintes, et des ouvra» gesdeBœhme et de Saint-Martin. Les incrédules ne devraient pas p dire maintenant : Encore s'il revenait quelqu'un de l'autre monde, » pour nous instruire de ce qui s'y passe ; mais comme presque tous » ne veulent pas croire sur parole, ils diront maintenant qu'ils vou» draient voir eux-mêmes les merveilles célestes pour les croire. »

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tint plus tard de lui la communication de quelques manuscrits, et l'amena à mieux connaître la doctrine révélée à Swedenborg, doctrine que, dans sa. jeunesse, il n'avait fait qu'entrevoir, ainsi que SaintMartin, par le défaut seul de traductions qui alors n'existaient point encore. » Depuis quelque temps Bernard, n'ayant encore que peu de relations commencées à Blois, restait plus absorbé dans ses travaux d'étude, quand son père, magistrat âgé, venant des eaux de Vichy, fut apporté chez lui, atteint d'une maladie grave. Jusqu'à ce moment, jamais l'esprit de ce vieillard ne s'était préoccupé des moindres questions religieuses, et dans son état, qui, tout autour de lui, donnait les plus vives inquiétudes, son indifférence restait la même ; aussi quels chagrins profonds se manifestait chez son fils ! Cependant Bernard ne se désespère pas; ses soins, ses exhortations à son père, ses prières au Seigneur ne s'arrêtent point, et enfin il a le bonheur d'être exaucé dans tous ses vœux : son père est redevenu Chrétien, la santé lui est rendue, et lorsqu'il est bien rétabli, Bernard l'accompagne à Nantes, mais il y reste à peine et revient aussitôt à Blois. Là, grand mouvement dans le clergé : on sait tout le zèle qu'un capitaine a mis à ramener son père aux croyances chrétiennes; mais on sait aussi que ce capitaine ne professe pas tout ce qu'enseigne l'Église romaine, et l'on connaît toute son ardeur à répandre une Doctrine Nouvelle. Mais quelle est-elle? on ne la connaît 25.

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pas. Qu'importé? ce prosélytisme donne de l'ombrage, et rapport en est fait à la grande aumônerie. » Bernard, s'étant ensuite formé des relations nombreuses, revenait sans cesse auprès d'elles aux doctrines qu'il professait; car c'était toujours là son but. L'esprit d'enseignement et de publication était inséparable de sa vie. Tout à coup un ordre inattendu le fait partir; contrariété nouvelle et toujours partagée par les amis qu'il quittait. Biais une peine bien plus cruelle allait l'atteindre; il n'était pas à Angers, sa nouvelle destination, qu'il apprenait la mort de son père, qui, ce fut du moins pour lui une consolotion, était resté, jusqu'au dernier moment, dans la ferveur des sentiments réveillés à l'époque de sa maladie (1). » En avril 1826, le régiment se rendit à Paris. Arriver là était un des désirs ardents de Bernard. Ses pensées rapides marchaient à l'établissement d'une réforme; il croyait l'époque prochaine où les doctrines religieuses allaient être appelées à jouer dans le monde un rôle immense, et recevoir une application mieux prononcée. La maison de Gobert devint le lieu de réunions fréquentes. Dans ce même temps aussi, un événement grave pour la Nouvelle Église se préparait. M. OEgger, premier vicaire de (1) Dans une lettre date'e de Nantes et imprimée à Blois, en 18-25, Bernard annonça à ses amis la perte qu'il venait de faire. Cette lettre renferme des sentiments d'une haute piété et de l'amour filial le plus profond.— M. Bernard père était procureur du roi.

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la cathédrale de Paris, se séparait des doctrines romaines, quittait une position heureuse pour entrer dans la voie des épreuves, des privations les plus dures; mais, guidé par Bernard et Gobert, il avait pénétré avec Swedenborg dans la Nouvelle Révélation des Écritures Saintes, et c'était pour se faire apôtre ardent de l'Église Nouvelle. » Cependant l'horizon politique s'assombrissait, et chez le capitaine Bernard le désir de voir s'établir l'Église, annoncée par l'Apôtre suédois, excitait son impatience. Tous les événements lui semblaient venir en confirmation de son attente. « Le moment est » proche, disait-il souvent, le Règne du Seigneur va » paraître. » Dans toutes les villes où il avait préparé des disciples, il réchauffait leur zèle ; le sien était d'une ardeur sans exemple (1). (1) Cette ardeur de Bernard à proclamer l'approche du Règne du Seigneur ne doit pas étonner. Combien de disciples, dans leur brûlant amour de voir jouir l'humanité entière des bienfaits de la Nouvelle Dispensation, ne se trouvent-ils pas portés à croire que le Régne du Seigneur va se manifester tout à coup ! Ils le sentent si bien descendre chaque jour dans leur propre cœur; les événements se succèdent maintenant avec tant de rapidité dans l'ordre naturel, et montrent une tendance si prononcée pour la rénovation complète de cet ordre, qu'on peut présumer que la grande manifestation qui s'est opérée, il y a 83 ans, dans le monde des causes, va s'effectuer aussi par des moyens analogues dans le monde des effets. Quoiqu'il en soit, si cette prévision était une erreur, ce ne serait toujours que celle d'un bon cœur, et elle ne pourrait être nuisible qu'autant qu'elle serait de nature à produire du découragement ; mais tout vrai disciple de la Nouvelle Jérusalem sait que les promesses d'une réhabilitation complète de l'humanité sont certaines

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» Au mois d'avril 1827, un ordre fait partir le 23me de Paris pour Besançon. Un moment, Bernard hésite s'il ne quittera pas sa position militaire. Il lui semble que tous ses efforts pour l'installation de l'Église Novi-Jérusalémite ne peuvent avoir de résultats que faits et suivis surtout à Paris. Cependant avant de prendre ce parti, il suit encore son régiment à Besancon ; et quelle satisfaction n'a-t-il pas de ce voyage ! Il trouve dans cette ville deux disciples des plus fervents de Swedenborg, le général de Bissy et Genisset, professeur d'éloquence latine et secrétaire perpétuel de l'Académie de la ville. Jusqu'à ce jour, ils s'étaient livrés seuls et sans nulle pensée de propagation à ces études religieuses; Bernard les initie dans tous les travaux auxquels il a donné lui-même une si grande impulsion ; il les rallie au centre de la société de Paris. La vaste érudition de Genisset (1), les connaissances approfondies et en voie d'exécution; il n'y a pour lui d'incertitude que sur l'époque plus ou moins rapprochée de leur entier accomplissement. Ou le Seigneur aura recours à un moyen extraordinaire pour abréger les jours douloureux de cette époque de transition, ou bien l'humanité, conduite de déceptions en déceptions par ceux qui la dirigent, finira par briser successivement toutes ses idoles, par abandonner tous les faux christs qui lui promettront en vain la gùérison de ses maux, et viendra enfin se jeter dans les bras de Celui qui peut seul la sauver, parce que Seul il est le chemin, la résurrection et la vie. (1) Décédé dernièrement à Besançon. Ce savant disciple a dû laisser des manuscrits importants. Il serait à désirer que quelque frère prît à cet égard des informations, aOn qu'ils puissent être recueillis et mis à l'abri de toute desttuction.

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de la Nouvelle Doctrine que possède le comte de Bissy, tout arrive maintenant à servir aux travaux en commun, et Bernard, retournant à Paris au mois d'octobre, y reporte ainsi la moisson la plus riche. » Pendant son séjour à Besançon, sa santé avait eu une forte atteinte, toujours par suite de cette affection dont il avait déjà éprouvé plusieurs crises. Fatigué par le voyage, il fut encore surpris, à son retour à Paris, par un vomissement tel, qu'on eut de la peine à le transporter dans un hôtel. Enfin, après quelques jours, un peu de mieux survint, et aussitôt, malgré les conseils de ses amis, les travaux et les courses recommencèrent. Le froid, la pluie, les distances les plus éloignées, les rampes à marches nombreuses, rien ne l'arrête; chaque soir il rentre épuisé. En vain on se ligue autour de lui, en vain on fait mille efforts pour obtenir qu'il se ménage; pour lui, il faut être dans la voie tout entière des applications; son ardeur s'en augmente, et il ne goûte plus de repos. » Mais tout à coup il est forcé de s'arrêter, les vomissements recommencent : on les calme d'abord; ils reviennent, et tous les efforts pour les combattre restent infructueux. Vers la fin de janvier 1828, il ne peut déjà plus sortir ; le repos lui est à charge. Les visites alors deviennent nombreuses, nouvelle occasion d'entretiens qui l'épuisent. Il ne lui est plus permis de parler, et c'est avec la plus grande peine qu'on obtient de lui qu'il garde le lit.

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» Du lait glacé avait pendant plusieurs jours câliné les vomissements; vers le milieu de février, ce lait ne suffit plus; et de la glace seule, placée sur la poitrine, obtient quelque effet, mais effet avec réaction au cerveau; de ce moment une fièvre cérébrale se déclare, la maladie fait des progrès effrayants, ses amis ne gardent plus d'espoir. » II tomba bientôt dans un abattement qui devint de plus en plus profond. Madame de Saint-Amour et un de ses amis qui ne l'avait pas quitté pendant le cours de sa maladie, étaient près de son lit, écoutant si la respiration durait encore, tant il y avait chez lui de faiblesse. Il murmura quelques-uns des noms des amis qu'il avait le plus affectionnés ; et quelques mots de l'Oraison Dominicale venaient mourir sur ses lèvres. « Adieu, » nous dit-il, et il voulut qu'on lui tendît la main. Ce fut le dernier signe qu'il donna que son esprit était encore dans son corps matériel et près de nous; un instant après, un faible soupir nous annonça qu'il quittait ce monde; c'était le 23. février. » Nous n'avons pas voulu interrompre de nouveau le récit du capitaine Puvis dans sa marche à la fois circonstanciée et rapide, pour placer dans l'ordre chronologique quelques autres particularités; nous avons pensé qu'elles trouveraient leur place ici. » En 182o, dit le capitaine Paillard, je fis observer à Bernard qu'il était bien étrange qu'avec des principes de bonté, de douceur, de charité et de

LE ÇApJÏ/lItŒ BpflARD,

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paix, nous fussions, le sabre en main, à la tête d'hommes armés de fusils et toujours prêts à en faire usage. Il me répondit qu'il en avait éprouvé une certaine répugnance, et que d'après cela il avait pensé à donner sa démission, mais qu'il lui avait été dit que, dans toutes fonctions, l'on peut servir le Seigneur; que, du reste, lui se trouvait dans les siennes tout à fait selon les vues de la Providence; qu'alors il était décidé à s'y maintenir jusqu'à la fin. Nous devons croire qu'il y était effectivement, en ce que partout il trouvait des malheureux auxquels il donnait des secours, et des hommes près desquels il s'introduisait pour allumer en eux le feu céleste, ou le ranimer s'il y avait lieu. C'est ainsi qu'à Besançon il remit en état de travailler un malheureux ébéniste que la maladie avait réduit avec sa famille à la plus grande misère, et qu'il fut mis en relation avec le bon général de Bissy et avec le frère Genisset, secrétaire perpétuel de l'Académie de cette ville. » Nous terminerons cette notice sur Bernard par le portrait qu'en trace le capitaine Puvis qui, depuis 1820, fut presque continuellement avec lui, et qui lui ferma les yeux à sa sortie de ce monde. » D'une taille au-dessus de l'ordinaire, Bernard avait de sa personne un soin de bon goût, mais sans recherche. Ses manières étaient graves, mais en même temps affectueuses; le caractère de sa figure était plein de dignité; sa voix douce. Quand il parlait, il était djfficile de ne pas être séduit, tant sa

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conversation renfermait d'idées et de connaissances. Naturellement bienveillant, il était néanmoins susceptible d'humeur, quand il se trouvait aux prises avec l'incrédulité; alors il avait quelque peine à se défendre d'un certain emportement. D'une imagination ardente, son esprit était avide de connaître. Peut-être aimait-il trop à descendre toujours au fond de son âme, à s'y perdre dans des extases où ses croyances nouvelles l'entraînaient ; mais toujours ceux qui le jugeaient ainsi lui rendaient-ils cette justice, que jamais il n'y avait chez lui de mouvements autres que ceux produits par un amour excessif du bien et du vrai, et reconnaissaient-ils encore qu'il faisait passer la doclrine qu'il professait dans toutes les œuvres de sa vie. Le mot Providence était dans l'intime de sa pensée. Il voulait que les doctrines religieuses jouassent dans la société un rôle plus usuel, mais surtout que la législation, que tous les actes de la vie fussent édifiés sur le Christianisme; et c'était une conviction si forte chez lui que l'époque d'un tel établissement était proche, que le simple doute qu'on lui en exprimait excitait son emportement, mais colère douce à supporter, et toujours le fait seul de son amour pour la vérité et de son zèle pour le bien. Peu d'hommes ont possédé à un plus haut degré ces qualités; peu se sont livrés avec plus d'ardeur à l'étude de la doctrine annoncée par l'Apôtre suédois, et ont plus travaillé à sa propagation. Éloquent disciple, jamais troublé par les argumentations du ra-

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tionalisme le plus hardi, sans retour d'amour-propre, saisissant toutes les vérités, les appliquant toutes, il fut de ceux qui contribuèrent le plus en France à présenter le secours nouveau descendu sur la terre. »

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OBEULIN ETAIT UN DISCIPLE DE LA NOUVELLE JERUSALEM.

Si, dans notre siècle, il est un homme qui soit parvenu à faire taire la calomnie et à réunir en sa faveur tous les suffrages, c'est sans contredit Oberlin. Nous n'avons pas l'intention de retracer la vie si belle et si bien remplie de cet apôtre de l'humanité, il n'est personne qui n'ait lu au moins un de ces nombreux ouvrages qui furent consacrés, dans plusieurs langues, à la rendre publique et à la faire admirer; nous voulons seulement démontrer un fait important pour nous, c'est qu'Oberlin était un disciple de la Nouvelle Jérusalem. Nous ne doutons nullement que, dans ces temps de démoralisation complète, il n'ait été destiné, par la Providence, à offrir au monde, un type de Vhomme-pratique, tel qu'il devra ressortir de l'entière application des doctrines célestes de la Nouvelle Jérusalem. Dans la première collection publiée par la société Monthyon et Franklin, on trouve sur Oberlin une Notice par M. Edouard Morel, alsacien, professeur à l'Institut royal des sourds et muets. Cette notice, la plus récente que nous connaissions, écrite du reste

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par un homme qui fut élevé près des lieux où vécut le vénérable pasteur de Waldbach, va nous offrir les moyens d'établir ce que nous avons annoncé. M. Morel commence par tracer un tableau de la contrée à demi-sauvage du Ban-de-la-Roche, qui dut sa civilisation à la charité et à la persévérance d'un véritable apôtre de l'humanité. « Oberlin, dit-il, » voyait dans une mission évangélique une mission » de régénération sociale. » Puis il s'écrie : « Hon» neur à Oberlin, qui, pendant 59 ans, a nourri ses » ouailles de la Parole de Dieu; qui, unissant à l'a» mour le plus exalté de l'Écriture Sainte l'enthou» siasme du bien, la confiance, la persévérance du » Chrétien, a su éviter les écarts du sentiment reli» gieux, parce qu'il l'a toujours fait servir au bien» être physique et moral de la contrée que la Provi» dence lui avait confiée ! — Raconter la vie d'Ober» lin, c'est présenter le plus parfait modèle du » pasteur évangélique, du vrai philanthrope. » L'auteur a bien senti que le portrait, qu'il venait de tracer, n'était ni celui d'un pasteur évangélique — dans l'acception toutefois qu'on donne communément à ces expressions—• ni celui du vrai philanthrope; mais qu'il appartenait à un homme qui réunissait en lui ces deux qualités : aussi s'empresse-t-il de donner à Oberlin ces deux titres qui lui conviennent parfaitement. M. Morel a fait preuve de sagacité, car il est bien certain que les pasteurs évangéliques de la Vieille Église se croient obligés de

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séparer le spirituel du naturel, et l'on sait que, d'un autre côté, les philanthropes purs ne s'occupent guère de la Parole de Dieu. Oberlin était donc à la fois pasteur évangélique et philanthrope; or, c'est déjà un point d'une grande importance, car nous soutenons que ce double caractère ne peut appartenir qu'à un vrai Novi-Jérusalémite. Qu'on ouvre, en effet, un Traité quelconque de Swedenborg, et l'on verra que partout il recommande de ne jamais séparer le spirituel du naturel. De ce que Swedenborg a eu des visions et s'appuie sur ces visions, on est porté à croire qu'il reste toujours dans le monde des causes au milieu du vague, et qu'il dédaigne notre monde des effets; c'est une erreur des plus graves. Swedenborg est plus positif qu'on ne le croit en général; et, dans ses raisonnements, il ne s'écarte jamais des règles d'une bonne logique : il nous révèle les causes, et nous les prouve par l'analyse de leurs effets. Il s'appuie principalement dans ses démonstrations sur l'analogie, et l'on sait que ce genre de démonstration est admis même dans les sciences les plus exactes, les mathématiques. Il y a donc mille fois moins de vague dans les écrits de la Nouvelle Église que dans ceux du CatholicismeRomain et du Protestantisme. Pour être Chrétien conséquent de la Vieille Église, il faut se détacher de l'a terre pour ne vivre que dans la contemplation, et Swedenborg ne cesse de nous répéter : « Le royaume du Seigneur est le royaume des usages; faites des

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usages et toujours des usages. Le spirituel s'appuie sur le naturel comme sur sa base : celui qui n'est que dans le spirituel est comme un homme qui n'aurait pas de pieds ; celui, au contraire, qui n'est que dans le naturel est comme un homme qui n'aurait pas de tête. Pour être véritablement homme, il faut être en même temps dans le spirituel et dans le naturel, et subordonner le naturel au spirituel. Si l'on subordonnait, au contraire, le spirituel au naturel, on serait alors comme un homme qui aurait les pieds en l'air et la tête en bas. » Ce n'est certainement qu'en suivant ces principes qu'Oberlin a su, comme le dit son biographe, éviter les écarts du sentiment religieux, en le faisant servir au bien-être physique et moral de ses concitoyens. Il ne sera pas inutile de rappeler ici, en peu de mots, les immenses résultats que l'union bien ordonnée du spirituel et du naturel a produits dans une organisation comme celle d'Oberlin. Nommé, en 1767, pasteur de Waldbach, Oberlin commence son œuvre de civilisation en faisant construire à ses frais une maison d'école ; plus tard, il crée le premier un établissement pour l'enfance ; ce fut là l'origine des salles d'asile qu'on s'empresse aujourd'hui d'établir de tous côtés. Il rend praticables les voies de communication, entretient les chemins, ouvre de nouvelles routes avec le secours des habitants dont il excite le zèle, creuse un lit à la ri« vière, construit des ponts, et se charge de leur en26.

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tretien et de celui des chemins. — II perfectionne l'agriculture, rend productif des terrains incultes, et forme un magasin d'instruments aratoires, où les habitants trouvent les objets au prix coûtant. — II remplace les sauvageons par des arbres fruitiers, plante des pépinières, introduit les prairies artificielles, et ménage les prés naturels par un bon système d'irrigation. — II institue une société d'agriture, et l'affilié ensuite à celle de Strasbourg, dont il est membre. — II envoie des jeunes gens en apprentissage hors de la contrée, et bientôt le pays a des artisans indigènes ; il favorise l'introduction d'une filature de coton. — II établit une pharmacie où les remèdes sont distribués gratuitement, et fait porter des secours à domicile au moyen de gardemalade. — II forme une caisse où les pauvres peuvent puiser, à la condition expresse d'envoyer leurs enfants à l'école. Il crée une caisse d'emprunt où l'on prête sans intérêt et sans gages, Mont-de-Piété vraiment digne de ce nom, qui extirpa la mendicité. — Il s'abonne aux journaux les plus intéressants pour en communiquer des extraits dans des réunions hebdomadaires; enfin, en formant une bibliothèque ambulante, il donne encore le premier exemple d'une institution qui s'est propagée depuis dans les pays étrangers. C'est ainsi qu'Oberlin réalisa, dans un repli ignoré des Vosges, toutes les fondations d'humanité qui, dans beaucoup de pays, font encore aujourd'hui l'objet des vœux ardents du philanthrope.

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Tels sont les nombreux travaux de l'ordre naturel, exécutés par le pasteur de Waldbacli ; mais comme il les subordonnait tous au spirituel, voilà pourquoi tous furent si bien vivifiés. En effet, « dans le sys» terne de régénération que méditait Oberlin, la re» ligion était le pivot auquel se rattachaient toutes » ses pensées, tous ses projets. » II conserva au culte son ancienne simplicité, » ajoute M. Morel ; il savait, dans ses exhortations, » se mettre à la portée de ses auditeurs; pour faire » comprendre les vérités qu'il enseignait, il em» pruntait les exemples de la vie commune ; mais les » choses les plus vulgaires acquéraient dans sa bou» che un charme puissant. Souvent, après le service » divin, il adressait à ses paroissiens de sages con» seils sur leurs intérêts temporels; et il ne croyait » pas profaner la sainteté du temple, en permettant » aux femmes d'y travailler pour les pauvres. » Ne reconnaît-on pas encore là le vrai disciple de la Nouvelle Jérusalem ? Pour se faire comprendre, Oberlin sort de la voie commune, il procède, comme Swedenborg, par analogie, et aussitôt les vérités les plus sublimes du Christianisme sont saisies par de simples paysans. Il ne dédaigne pas de descendre avec eux dans ce qui a rapport aux intérêts de la vie terrestre, parce qu'il sait que la religion est basée sur la liberté; que pour être parfaitement libre, l'homme doit se conserver un esprit sain dans un corps sain, et qu'ainsi, au nombre des devoirs reli-

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gieux, se trouve aussi celui de pourvoir, par des moyens honnêtes, aux besoins de première nécessité : à la nourriture, au vêtement et au logement. Enfin, il a pour les objets du culte extérieur le respect qu'ils méritent, mais il se garde bien de leur donner une importance qui n'a que trop souvent dégénéré en superstition. En examinant successivement chacun des actes de la vie d'Oberlin, il serait facile de s'assurer qu'il n'en est pas un qui ne soit une application rigoureuse de cette doctrine céleste que Swedenborg a reçu mission de révéler au monde ; et, dès lors, on serait forcé de convenir que le pasteur de Waldbach était un véritable disciple de la Nouvelle Jérusalem ; mais cet examen, nous pouvons nous dispenser de le faire. M. Morel va nous fournir lui-même les moyens de rendre, sur ce point, la conviction aussi complète que possible. Continuons de citer : « Les sciences historiques, philosophiques, ma» thématiques, physiques, furent tour à tour l'objet » des méditations d'Oberlin, et il aimait à les consi» dérer sous le rapport pratique. Il avait réuni dans » son cabinet les productions les plus remarquables » des règnes animal, végétal et minéral, avec quel» ques instruments de physique, et il se plaisait à » initier les jeunes gens dans les secrets de la na» ture. Les ouvrages qui traitent des rapports » entre le monde spirituel et le monde matériel » captivaient fortement son attention. Il publia

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un almanach, purgé de toutes les erreurs qui s'adressent à la crédulité du paysan, et dota les écoles de cartes géographiques dessinées, gravées sur bois et imprimées par lui-même. » L'on voit déjà ici que l'esprit du savant, du philanthrope, de celui qui cherchait par tous les moyens à extirper les superstitions populaires, était cependant captivé par les ouvrages qui traitent des rapports entre le monde spirituel et le monde naturel. Quels étaient-ils ces ouvrages? Nous allons le voir bientôt; mais nous ferons d'abord remarquer qu'Oberlin n'ayant jamais donné la moindre preuve d'inconséquence, ceux des philanthropes actuels qui rejettent, avec dédain, tous rapports entre les deux mondes, seront fort embarassés pour concilier le penchant prononcé d'Oberlin pour ces rapports, et le zèle qu'il mit à répandre son almanach. Si Oberlin vivait encore et qu'il fût interrogé sur ce point, le vénérable pasteur de Waldbach ne serait pas embarrassé pour répondre : Croyez-vous, dirait-il, que l'histoire nous présenterait, parmi le peuple de tous les temps et de tous les lieux, ces superstitions si dégradantes pour l'humanité, et contre lesquelles vous vous élevez avec tant de raison, si elles ne renfermaient pas elles-mêmes quelque principe vrai, qui a été tout à fait dénaturé, soit par un intérêt de cupidité ou de domination, soit par ce qu'on a appelé des fraudes pieuses. Or, s'il en est ainsi, et, pour peu qu'on ait étudié la nature de 26*.

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l'homme, on ne saurait le contester, ne devons-nous pas faire tous nos efforts pour chercher à dégager la vérité de l'erreur, en avouant noblement l'une, au risque de passer pour des esprits faibles, et en combattant l'autre par tous les moyens qui sont en notre pouvoir ? « Oberlin, ajoute M. Morel, avait beaucoup d'ori» ginalité dans ses conceptions, mais ses fantaisies » les plus singulières portaient l'empreinte d'une » belle âme; il attachait un sens symbolique aux » couleurs. Son imagination ardente, nourrie des » ouvrages mystiques de Swedenborg, aimait à » franchir le seuil du tombeau pour interroger le » monde mystérieux qui attend notre âme dégagée » de ses liens terrestres. » Plus de doute maintenant ; l'aveu ne pouvait pas être fait d'une manière plus explicite : Son imagination ardente se nourrissait des ouvrages de Swedenborg. Il connaissait donc notre Céleste Doctrine? Oh ! oui, il la connaissait et l'avait bien méditée; car toute sa vie en a été une application constante. Nous n'avions pas besoin de cet aveu pour être convaincu qu'une si belle vie était un des précieux résultats de la Nouvelle Dispensation des vérités divines; mais cet aveu formel, nous nous en emparons, pour l'opposer désormais à quiconque douterait qu'Oberlin eût été Novi-Jérusalémite. Comme notre Swedenborg, Oberlin vécut heureux au milieu des heureux qu'il faisait; et, comme lui, il

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atteignit la vieillesse la plus avancée, sans en éprouver aucun désagrément. « II conserva son activité » d'esprit jusqu'à la fin de ses jours; son corps se » refusait à sa volonté, que son imagination rêvait » encore le bien, et sa dernière prière fut une inter» cession pour sa paroisse chérie. — II se reposa » dans le sein de l'éternité, en 1826, à l'âge de » 86 ans. » Mais ces rapports ne sont pas les seuls que le pasteur de Waldbach eut avec l'Apôtre des temps modernes. Comme lui aussi, il déclare franchement avoir eu des visions. C'est ce que nous apprend encore l'écrit de M. Morel : « Le 17 janvier 1783, ce » vertueux père de famille perdit sa digne compa» gne, qui s'était associée à toutes ses généreuses » pensées, à toutes ses utiles entreprises. Il supporta » cette perte douloureuse avec une sainte résigna» lion : persuadé que la mort n'avait pas rompu » tout lien entre son épouse et lui, il assurait que, » semblable au génie de Socrate (i), elle lui appa(1) En se servant de cette expression, le génie de Socrate, Oberlin montrait une grande connaissance des hommes de son siècle, tous plus ou motus soumis au joug des idées philosophiques, et en même temps il donnait une preuve d'un grand tact; car il écartait par cette précaution oratoire, le ridicule qui, sans elle, n'eût pas manqué d'être déversé sur lui; et, d'un autre côté, il ne s'éloignait en aucune manière de la vérité qu'il chérissait avant tout. En effet, ce génie de Socrate, sur lequel on a beaucoup écrit, était de la même nature que celui d'Oberlin : ce ne pouvait être qu'un des hommes qui avaient précédemment habité le monde naturel; car il n'existe point d'êtres intermédiaires entre Dieu

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» raissait chaque fois qu'il avait besoin d'un con» seit ou d'une consolation.

Vous tous qui admirez Oberlin, qui que vous soyez, philosophes, savants, moralistes, philanthropes, chrétiens de toutes les Communions, comment pourriez-vous encore repousser Swedenborg à cause de ses visions, quand celui que vous appelez Vhomme presque divin (1) avoue lui-même avoir eu des visions, quand il déclare positivement que c'est par ce moyen surnaturel qu'il recevait les conseils ou les consolations dont il avait besoin. Cessez donc de porter avec légèreté un jugement sur les écrits de l'Apôtre suédois, avant de les bien connaître; car Oberlin, l'homme que vous présentez, à juste titre, comme un modèle de toutes les vertus, Oberlin en faisait sa lecture de prédilection, il en nourrissait son esprit, il s'efforçait de les mettre en application et l'homme, et la preuve incontestable de cette vérité pour tous ceux qui croient à l'Écriture, c'est que l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et qu'il est impossible d'après cela que d'autres êtres, qui ne seraient pas à l'image et à la ressemblance de Dieu, fussent supérieurs à l'homme. Il n'est donc pas un seul habitant du monde spirituel qui n'ait été précédemment homme sur l'une des terres du monde naturel. Socrate, néanmoins, n'en imposait pas, en se servant de l'expression de génie; il était obligé de parler de manière à se faire comprendre de ses contemporains; seulement, il se trompait, si, par suite des ténèbres où l'on était alors sur cette matière, il croyait ce génie d'une nature autre que la nature humaine, dépouillée de sou enveloppe matérielle. (1) Expressions qu'employait M. Lezai-Marnésia, Préfet du BasRhin, lorsqu'il parlait d'Oberlin. (Voir la notice de M. Morel.)

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«dans tous les actes de sa vie ; et s'il n'eût pas été aidé de leur secours, alors, comme la plupart des philanthropes et des pasteurs évangéliques les mieux intentionnés, il serait resté sans boussole au milieu de ce vague d'idées qui nuit aux meilleures résolutions, et il n'eût pas réalisé toutes ces merveilles qui sont maintenant le sujet de votre admiration. Si nous reconnaissons les visions comme des faits réels de l'ordre spirituel, nous sommes bien loin néanmoins de mettre au rang des visions véritables ces illusions fantastiques, malheureusement si communes, qui sont plus nuisibles que profitables. Les communications avec le monde des esprits, où se trouvent à la fois le bien et le mal, le vrai et le faux, offrent en général, pour les hommes de notre époque, des dangers de plus d'un genre. Elles peuvent non-seulement priver l'homme de son libre arbitre, qui lui est indispensable pour sa régénération, mais le jeter même dans les erreurs les plus préjudiciables, s'il ne connaît pas bien la nature de ce inonde ; et, pour peu qu'il soit enclin à quelque sentiment de vanité, d'amour-propre, d'orgueil ou de domination, il risque de devenir la victime d'esprits enthousiastes, toujours prêts à flatter adroitement ses passions. Pour ne plus redouter ces dangers, il faudrait être en même temps dans la charité, dans la foi et dans les œuvres, c'est-à-dire, avoir des affections pures, dépouillées de tout amour de soi, c'est la charité; posséder une connaissance éclairée des vérités divi-

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nés révélées à Swedenborg, c'est la foi ; et éviter la vie purement contemplative en s'occupant activement de tout ce qui peut contribuer au bonheur de l'humanité, ce sont les œuvres. Si les communications d'Oberlin avec le monde spirituel n'ont eu pour lui aucun danger, et lui sont devenus profitables, c'est, sans aucun doute, parce qu'il remplissait admirablement bien ces trois conditions. M. Morel termine ainsi sa notice : « De nombreux » ouvrages ont été consacrés, dans plusieurs lan» gués, à retracer la vie d'Oberlin ; c'est qu'elle est » une de celles qui honorent le plus la nature hu» maine; c'est qu'elle offre un puissant intérêt, parce » qu'elle se rattache à la civilisation d'un peuple, et » Oberlin l'a réalisée dans son extension la plus syn» thétique ; car il a procuré au Ban-de-Ia-Roche » tous les bienfaits de l'agriculture, de l'industrie, » de l'éducation, des bonnes mœurs, des influences » religieuses et du bien-être; et celte civilisation, » dont le développement embrasse ordinairement » une longue suite de siècles, offre ici quelque chose » de merveilleux : elle est l'ouvrage d'un seul hom» me. » Eli bien ! cet homme, dont la vie paraît si merveilleuse, il était, comme nous venons de le prouver, disciple de cette Nouvelle Jérusalem, destinée par le Ciel à faire le bonheur de l'humanité. Oui, d'après sa vie et de l'aveu même de ses admirateurs, Oberlin nous appartient; la gloire dont on se plaît à l'en-

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tourer, nous la revendiquons, non pour les NoviJérusalémites, qui savent que tout bien vient du Seigneur; non pour lui, qui savait fort bien aussi que toute idée de mérite est opposée à l'Ordre Divin, et vicie le bien que l'on fait; non pour le Seigneur qui n'en a nullement besoin, mais pour l'édification de la Nouvelle Église, mais pour la propagation de ses doctrines, mais pour l'accélération du bonheur de l'humanité, qui s'obtiendra plus facilement par cet exemple des merveilles que peuvent opérer les principes de la Nouvelle Jérusalem, lorsqu'ils sont mis en application. Nous ne terminerons pas cet Article sans remercier M. Morel de nous avoir fourni l'occasion de parler d'Oberlin. Puisse l'exemple de celui dont il a si bien su retracer la vie, l'engager à porter son attention sur les ouvrages dont se nourrissait l'imagination ardente du pasteur de Waldbach !

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Dans la Notice sur Bernard, Page 274, nous avons dit quelques mots de Gobert, avocat distingué du barreau de Paris, dont la maison devint, en 1826, le lieu de réunions fréquentes. Ce zélé disciple, qui ne tarda pas à aller rejoindre Bernard dans un monde meilleur, avait fait dans le nôtre des efforts inouis pour répandre et faire fructifier une doctrine qui avait répandu tant de charmes sur son existence terrestre. Son érudition et sa vie pratique étaient connues du petit nombre de disciples qui existaient alors; aussi était-il souvent consulté par ceux qui désiraient faire de rapides progrès dans la nouvelle voie que la Providence avait ouverte aux hommes. L'un d'eux lui ayant demandé, au nom de quelquesuns de ses frères, quel était son avis sur les prières périodiques, Gobert lui adressa cette réponse que nous nous faisons un devoir de reproduire, parce qu'elle est de nature à éclairer quelques-uns de nos frères sur ce point important, et à résoudre d'avance les questions que d'autres pourraient avoir l'intention de faire.

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...... Sans doute, dans le vrai Christianisme, » dans celui de la Nouvelle Église, tout doit être » amour et liberté, et la vie et les œuvres une prière » continuelle, la charité en action. » « Mais cela ne doit point empêcher les prières périodiques, lorsque l'on entend bien, comme nous le faisons, que ces prières ne sont ainsi faites que lorsque rien de plus à propos dans la pratique n'en empêche, et qu'elles le sont très-librement, volontairement et avec amour. La périodicité est dans l'ordre, qui est de Dieu, et Dieu même en quelque sorte. Les jours et les nuits se succèdent périodiquement; et y a t-il quelque chose de plus convenable, de plus à propos, — toujours quand rien de plus pressé n'en détourne, — que de suivre cet ordre, ouvrage du Seigneur, en lui rendant grâces, à la fin de chaque nouveau jour et de chaque nouvelle nuit, des bienfaits qu'il ne cesse de répandre sur nous, et en lui en demandant la continuation avec les lumières et les forces spirituelles nécessaires pour reconnaître le mal hors de nous et surtout en nous, et pour le fuir; comme pour discerner en toutes choses ce qui est le plus juste, le meilleur et le plus sage, c'est-à-dire, sa divine et sainte volonté, et l'accomplir; pour implorer enfin sa bénédiction sur nous et sur nos frères? » La périodicité et la régularité, toujours entendues comme je viens de le dire, ne nous sont-elles pas ordonnées par le commandement même de Dieu de sanctifier le jour du sabbat, commandement qui n'est 27.

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pas plus abrogé que les autres préceptes du Décalogue? Si nous éprouvons quelquefois une sorte d'éloignement et de relâchement pour les prières journalières et hebdomadaires, il faut bien prendre garde de s'y tromper, c'est presque toujours parce que nous sommes distraits par les choses extérieures qui nous entourent; et, dans ce cas, il est évident que nous en avons plus besoin que jamais pour nous détacher de ces choses extérieures au degré convenable, élever notre âme au Seigneur, et nous remettre dans la disposition d'esprit nécessaire pour que nous puissions recevoir sa divine influence de lumière, de sagesse et de force d'âme; car, c'est là, vous le savez bien, cher frère, le principal but et l'effet bienfaisant de la prière. Que si, lorsque cette disposition existe, notre bienveillance et notre charité pour nos frères nous font joindre à nos prières l'invocation pleine de bons désirs et de la grâce divine sur eux, pour les aider eux-mêmes et se joindre en quelque sorte ainsi à eux au même moment, — les esprits peuvent correspondre malgré les distances qui ne sont rien pour eux, — il est évident que ce sera d'abord mettre en action, en exercice, notre confiance dans le Seigneur et notre amour pour le prochain, et que cela ne pourra toujours être qu'infiniment utile pour tous. » Veuillez soumettre à nos frères ces courtes réflexions que vous pourrez développer, et les assurer de ma sincère affection chrétienne. »

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Les nouveaux disciples cherchaient à s'éclairer, et les anciens faisaient consister leur plus grand bonheur à les aider de leurs conseils. Tous se faisaient un plaisir de s'entr'aider, de se fortifier mutuellement. Bernard surtout était doué de la faculté de persuader : sa parole était entraînante; aussi s'attachait-il de préférence à toucher le cœur. Sa voix ne peut plus être entendue; mais, une partie de sa correspondance nous ayant été confiée, nous pensons que ceux qui n'ont point connu ce fervent disciple, liront avec intérêt les épanchements de cette belle âme dans le sein de ses amis. « Je glorifie avec vous le Seigneur, — écrivait Bernard à l'un de ses frères, — des heureux fruits que vous avez obtenus dans votre voyage, les attribuant, comme vous le faites, à l'assistance particulière que vous en avez reçue et qui ne vous manquera jamais, persuadé, comme vous, que nous ne pouvons rien par nous-mêmes; que les enfants du Seigneur n'ont d'autre voie à suivre que de se laisser guider par son Esprit, et que la Divine Providence emploie continuellement tous les moyens conformes à l'ordre pour éclairer et ramener ceux qui peuvent l'être, se servant à cet effet du ministère de quiconque a déjà connu la vérité et est animé du saint désir de la faire goûter à ses frères. 0 Divine Charité! Source immortelle du bonheur et de l'activité des êtres célestes ! c'est encore toi qui sur la terre produis et multiplies miraculeusement les œuvres salutaires !... Qui

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pourrait peindre ton zèle, tes travaux, les succès qui les couronnent, les joies pures qui en sont le prix ! Émanée de l'amour infinie du Père des miséricordes pour tous ses enfants, tu deviens dans leur cœur un immortel aiguillon qui les presse d'accomplir les plans de sa sagesse et de son incommensurable bonté! Feu sacré du soleil de vie, remplis à jamais nos âmes, et que, portées sans cesse par une invincible et douce attraction vers le centre adorable du Divin Amour, elles trouvent ainsi et puisent en lui l'aliment journalier qui peut seul engendrer dans l'être, créé à son image, la vie, la lumière et l'action ! » C'est cependant à un capitaine en activité de service que nous devons cette belle invocation, et il l'écrivait à une époque où la philosophie et la vieille doctrine, méconnaissant l'une et l'autre les vrais principes, se faisaient une guerre acharnée. Bernard îie cessait de correspondre avec ceux qu'il avait tirés des ténèbres, et auxquels il avait fait adopter les doctrines de la Nouvelle Jérusalem. Il les mettait en relation les uns avec les autres, et dans chacune de ses lettres se trouvaient toujours de pieuses exhortations. Nous ne résisterons pas au désir d'en citer quelques-unes : « Les nouvelles que vous me donnez du progrès de la vérité chrétienne parmi vos amis me causent la joie la plus sensible. Que de grâces nous avons à rendre au Souverain Dispensateur d'un si efficace et si évident appui! Car, que ferions-nous

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par nous-mêmes? Tout est dû à la force de la vérité, dira-t-on ; mais c'est Lui qui est la vérité. Le désir de bonheur, inné dans tout homme, porte, on le conçoit, à adopter ce que l'esprit reconnaît comme un moyen d'y conduire; mais c'est encore cet adorable Sauveur qui, nous communiquant l'influx de sa propre essence, nous donna le besoin d'une félicité sans bornes; et c'est encore en nous éclairant de sa vraie lumière qu'il nous conduit dans la voie qui nous en fera jouir; bien plus, c'est en se donnant à nous, comme substantielle essence d'amour et de sagesse, qu'il assouvit l'invincible désir de notre âme immortelle, que rien d'incréé ne satisfit jamais. C'est en la nourrissant ainsi pendant l'éternité qu'il remplira le but que s'est proposé son amour infini, en créant des réceptacles animés de la vie dont l'expansion tend à produire le bonheur de tous les êtres. Heureux donc, cent fois heureux ceux qui, reportant vers lui tous les dons qu'ils en ont reçus, sentent vivifier leurs facultés et leur être intime par la source incréée de lumière et d'amour ! Répondant ainsi aux vues du Bienfaiteur suprême, ils voient multiplier ses bienfaits ; rétablissant en eux l'image altérée jadis, ils deviennent les enfants chéris du Père céleste, les agents et les messagers dont il se sert pour faire entendre sa voix aux enfants égarés qui souffrent et languissent encore, privés du souffle régénérateur destiné à ranimer dans les âmes des fils de Dieu la vie divine et le vrai bonheur. » 27%

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Est-il question de la philosophie moderne et du fanatisme, voyez avec quelle chaleur il les combat l'une et l'autre. « Si des Sceptiques et des Déistes ont été ramenés par le magnétisme à croire à la Révélation positive que des abus et le surnaturel leur avaient fait rejeter d'abord, pourraient-ils maintenant revenir à professer le Catholicisme dont l'Espagne'et l'Italie, où il est encore véritablement dominant, nous montrent l'impuissance et les funestes effets? Adopterontils, au contraire, avec Luther et Calvin, la justification par la foi, la prédestination, l'intolérance anglaise et la Trinité de personnes? Il nous est aussi démontré qu'il n'existe aucune secte, aucune communion ou association religieuse qui, sur la terre aujourd'hui, ne soit plus ou moins entachée de déplorables erreurs qui entretiennent la division, favorisent le crime, et causent les malheurs du monde. C'est pénétrés de ces réflexions et animés d'un amour éclairé de nos frères, que nous pouvons annoncer aux hommes de bonne volonté, aux amants de la vérité qui la cherchent encore, la Dispcnsation Nouvelle, qui, semblable à une arche de salut, est offerte aux mortels par l'inépuisable bonté de leur Créateur et Sauveur, dont ils avaient perverti les dons. Il veut les arracher au joug odieux d'un fanatisme impitoyable, aux enseignements dégradants d'une aveugle superstition, comme à l'empire non moins funeste d'une philosophie dénaturée, étayée

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de systèmes aussi incomplets que superficiels, qui a fait du monde un cahos, et qui l'eut réduit en désert, si la Providence éternelle, qui tire le bien du mal même, n'avait usé, pour nous sauver, de son pouvoir modérateur. Accueillez-la donc, ô mes frères chéris, cette œuvre de miséricorde; croyez au Rédempteur Divin qui seul a pu vaincre le mal, et vient établir l'harmonie. Son amour infini vous convie au bonheur... Oh! ne refusez pas les dons de votre Père; que l'éclatant flambeau de la vérité vous réveille et vous dirige. Chassez bien loin de vous l'égoi'sme et l'orgueil; aimez, aimez vos frères; adorez le vrai Dieu Créateur et Sauveur... Bientôt vous verrez renaître un nouvel âge d'or; la douce paix enfin habitera sur la terre, et vous ne quitterez ce fortuné séjour que pour venir au sein des affections célestes de la félicité sans fin, promise aux enfants du Triomphateur éternel ! » S'agit-il de calmer la douleur d'une famille éplorée par la perte d'une mère chérie, Bernard remplit ce devoir, en lui rappelant, dans cette triste situation, les dogmes si consolants de notre céleste doctrine qui mettent désormais tous les 'disciples de la Nouvelle Église à l'abri d'un cruel désespoir. « L'impression que j'ai éprouvée moi-même en apprenant cet événement inattendu, me fait bien comprendre tout ce qu'a dû souffrir la famille dont vous me peignez la désolation... Et nous aussi, nous étions ses parents, et nous participons à la douleur

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commune. Mais quels puissants motifs de consolation nous sont offerts!... Pourrions-nous pleurer longtemps celle qui, maintenant affranchie des tribulations du lieu d'épreuves, a saisi la couronne incorruptible de gloire; celle qui, n'aimant jamais que le bien qu'elle sut toujours accomplir, pénétrée des divines vérités qu'il a plu au Seigneur de nous révéler dans la sainte Parole, était si bien préparée pour le céleste séjour? Oh! non, nous ne nous affligerons plus sur le sort de celle qui n'a quitté ceux qui l'aimaient ici-bas que pour jouir de l'éternelle béatitude; non, ses enfants, ses amis, ses proches ne l'ont point perdue. Du monde spirituel qu'elle habite aujourd'hui, elle ne cessera point de les aimer; elle veille sur eux, et son âme affranchie des liens terrestres conserve à jamais l'affection et la pensée pour lesquelles il n'est point d'espace. Appelée dans ses derniers jours à faire partie de la Jérusalem descendue des Cieux, notre digne sœur habite aujourd'hui ce nouveau Ciel que Jéhovah a formé selon sa promesse.—Ésai'e, LXV. 17.— C'est là que nous serons éternellement pénétrés de joie avec elle, lorsque nous aurons accompli le temps de notre habitation dans un corps mortel. Seigneur, Dieu ToutPuissant, Rédempteur adorable, ne permets pas que nous t'offensions jamais, en manquant de résignation à ta volonté sainte; rends notre foi plus vive et plus efficace; répands dans nos cœurs un rayon de cet ardent amour dont tu es la source infinie, de cet

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amour qui, suivant l'Apôtre, supporte tout, croit tout, espère tout, souffre tout, afin que, renouvelés à ton image, nous soyons ici-bas des serviteurs fidèles, et que nous puissions être réunis un jour aux vrais membres de ton Église, que tu rappelles dans ta sagesse pour couronner leurs travaux dans ton sein ! »

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NOTICE SUR LE GÉNÉRAL DE BISSY.

Parmi les anciens disciples de la Nouvelle Église qui se sont activement occupés de la Nouvelle Dispensation, le général de Bissy doit tenir une place importante ; s'il ne se livra pas, comme le capitaine Bernard, à la propagation de la doctrine par des discussions orales, il employa du moins tous ses moments à méditer le Livre Saint, et à faire une étude profonde des écrits de Swedenborg. Les manuscrits qu'il a laissés sont nombreux et importants; mais la plupart doivent rester quelque temps inédits, et attendre pour être publiés qu'il se présente des circonstances opportunes. Il en est un néanmoins dont nous pouvons dire maintenant quelques mots; il porte ce simple titre : Explications sommaires des paroles dites en 1816 et 1821 à Thomas Martin, laboureur de la Beauce; s'il était imprimé, il formerait un fort vol. in-8°. On sait l'impression que le simple laboureur de la Beauce produisit sur Louis XVIII, le plus philosophe des rois de la branche aînée; l'entrevue qu'il eut

LE GÉNÉRAL DE BÎSSY.

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avec ce monarque est rapportée dans les Mémoires d'une femme de qualité, la comtesse Olympe D Du reste, les événements extraordinaires arrivés à Martin sont consignés dans plusieurs relations qui furent faites à diverses époques. On crut généralement que cette affaire avait été dirigée par le parti prêtre pour subjuguer l'esprit d'un vieillard : le général de Bissy était aussi porté à le croire; il pensait surtout que les rédacteurs de la relation qui passait pour la plus authentique, avaient bien pu altérer les paroles et les faits pour assurer la domination de la Babel; car ces paroles sont en grande partie confirmatives des cérémonies du Catholicisme-Romain. Mais notre frère fut plus tard retiré de son erreur; et, par une exégèse basée sur la Science des Correspondances, et sans s'écarter des principes de cette science posés dans les écrits de Swedenborg, il explique les sens naturel, spirituel et céleste des paroles et des faits consignés dans la relation. Il s'attache, en outre, à prouver que les sens spirituel et céleste sont entièrement conformes à la doctrine de la Nouvelle Église; que la mission de Martin tendait à faire entrer la France dans les voies de la Nouvelle Dispensation, en agissant sur le Chef de l'État; et que les malheurs prédits à la famille royale, dans le cas où elle n'exécuterait pas ce qui lui était prescrit, ne lui sont arrivés que parce qu'au lieu de rentrer dans le sein du vrai Christianisme par la charité et par l'humilité qui lui étaient recommandées, elle

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LE GÉNÉRAL DE BISSY.

s'est maintenue dans l'amour de soi et dans l'orgueil, et ne s'est occupée que de remplir les prescriptions qui concernaient seulement l'extérieur. Sans examiner ici la nature des choses extraordinaires que renferme la relation de Thomas Martin, nous nous contenterons d'avoir présenté l'opinion du général de Bissy, et nous profiterons de cette circonstance pour mettre de nouveau en garde contre le danger des communications spirituelles. Nous sommes arrivés à une époque où ces sortes de communications deviennent de plus en plus fréquentes; on les voit se manifester dans toutes les contrées; partout elles excitent la surprise et souvent l'enthousiasme de ceux qui en sont témoins; et quoiqu'elles soient toutes formulées dans un langage emblématique, jusque dans les termes mêmes qui paraissent les plus clairs, on est souvent porté à les prendre à la lettre, ce qui peut entraîner dans les erreurs les plus déplorables. Nous ajouterons que dans le faible degré spirituel où nous sommes encore, quelles que puissent être d'ailleurs nos connaissances dans la langue des correspondances, il nous serait dangereux de chercher à expliquer ces communications pour nous diriger dans la vie : le Seigneur nous a donné sa Parole Divine, tenons-nous-en aux préceptes qu'elle renferme en nous éclairant des lumières de la Nouvelle Dispensation ; ce sera toujours le plus sûr. Cependant, lorsqu'il s'agit d'anciennes comrauni-

LE GÉNÉRAL DE 1USSY.

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cations, telles que celles dont traite l'ouvrage du général de Bissy, il n'est pas sans intérêt de chercher à découvrir, au moyen de la Science des Correspondances, le sens spirituel qu'elles renferment. Nous avançons même que si un semblable travail était fait sur toutes les productions véritablement extatiques qui nous ont été léguées'par les siècles derniers et par le commencement de celui-ci, on parviendrait sans aucun doute à démontrer que toutes s'expliquent avec la même clé, la Science des Correspondances, et qu'elles ont toutes rapport à l'Avènement du Règnedu Seigneur sur la terre et à la manifestation de saNouvelle Église, la Nouvelle Jérusalem. Notre proposition est générale, et concerne aussi bien les extatiques du Catholicisme-Romain, la religieuse d'Avila, la sœur de la Nativité, etc., que les mystiques du Protestantisme et ceux de l'Islamisme et de toutes les religions de l'Orient. Ce travail, loin d'entraîner dans des dangers, aurait l'avantage de servir à démontrer l'universalité de notre doctrine. Explorons le passé, mais gardons-nous de vouloir pénétrer l'avenir. L'ouvrage du général de Bissy sur Thomas Martin est rempli d'observations judicieuses, et renferme de nombreuses digressions dont quelques-unes méritent toute l'attention des disciples de la Nouvelle Église. Nous espérons pouvoir entrer plus tard dans de plus grands détails sur les écrits de ce frère que la Divine Providence a appelé naguère dans un monde meilleur. 28.

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UN MOT AU

NOUVEAU-MONDE

JOURNAL PHALANSTÉRIEN.

En annonçant dans notre dernière livraison la brochure de Mme Ve Dalibert, la Nouvelle Jérusalem et le Phalanstère, nous nous sommes exprimés ainsi : la Nouvelle Jérusalem étant en possession des vérités révélées qui sauveront l'Humanité, doit attendre que la science vienne à elle; et elle ne peut, en aucun cas, s'écarter des principes que renferme sa doctrine. Ces paroles sont tout à fait conformes à l'ensemble des idées émises dans le cours de notre publication; jamais la Revue n'a publié, en fait de choses spirituelles, rien qui indiquât sa tendance à faire de l'ecclectisme : elle prêche la charité, la tolérance; elle reconnaît que tous les cultes possèdent quelques vérités spirituelles étouffées sous le poids d'erreurs plus ou moins grossières; que tous ceux qui vivent dans le bien, quelle que soit du reste leur religion, sont acceptés par le Seigneur; mais en même temps elle soutient que la doctrine de la Nouvelle Église prédite dans le Livre Saint, sous l'emblème de la Nouvelle Jérusalem, est

UN MOT AU NOUVEAU-MONDE.

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entièrement renfermée dans les écrits de Swedenborg, et que là seulement se trouve la vérité spirituelle dans toute sa pureté. Elle soutient, en outre, que toutes les vérités naturelles que la science a découvertes et qu'elle découvrira viendront se grouper autour de cette vérité spirituelle, et la rendront plus éclatante aux yeux des savants et de tous ceux qui, pour croire, ont besoin de témoignages scientifiques. La Nouvelle Jérusalem doit donc attendre que la science vienne à elle, c'est-à-dire, attendre que la science reconnaisse, au moyen d'études sur Swedenborg, que la vérité spirituelle, dégagée de toutes les erreurs dont on l'avait affublée, est le principe de toutes les vérités naturelles. Nous serions-nous montrés exclusifs, en disant que nous ne pouvons en aucun cas nous écarter des principes que renferme notre doctrine? Pourrait-on même agir autrement sans cesser, par ce seul fait, d'être Novi-Jérusalémite? Il n'en est pas d'une doctrine religieuse comme d'une doctrine sociale : il n'y a aucune comparaison à faire entre les écrits d'un révélateur et les théories d'un homme de génie : ce sont choses d'une nature tout à fait différente. On peut admettre en partie les œuvres du génie, car quel est l'homme qui ne soit sujet à errer; mais, quand il s'agit d'une révélation, tout en doit être admis, ou bien son origine divine disparaît entièrement. Cependant le Nouveau-Monde blâme les expressions que nous avons employées; or, s'il a foi, lui,

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UN MOT AU NOUVEAU-MONDE.

au génie de Fourier, il ne doit pas trouver extraordinaire que nous ayons foi, nous, au Seigneur, Dieu Créateur, Rédempteur et Régénérateur, dont Swedenborg ne se donne que comme le simple serviteur. Nous ne raisonnons ici que dans l'hypothèse où Fourier serait seulement considéré comme un homme de génie. Mais si la foi du Nouveau-Monde en Fourier s'étend jusqu'à ses écrits cosmogoniques, ainsi que son numéro du 21 décembre semblerait l'indiquer, et s'il pense que la doctrine phalanstérienne soit suffisante pour répondre à tous les besoins tant naturels que spirituels de l'homme, les expressions que nous avons employées ont dû lui paraître étranges. Dans cette nouvelle hypothèse, nous lui dirons : « Ayez le courage de vos convictions, et exposez les théories cosmogoniques de Fourier comme nous exposons les révélations de Swedenborg; et alors tous les hommes d'avenir, qui désirent si vivement une base religieuse pour consolider les conceptions du génie et satisfaire les besoins du cœur, se trouveront en état de pouvoir décider. » Quant aux .expressions inconvenantes qu'emploie le Nouveau-Monde, nous nous abstiendrons de les relever; nous ne devons nous occuper que des principes.

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EXTRAIT DU NOUVEAU-MONDE.

Le Nouveau-Monde, journal de la science sociale, commence ainsi un article, signé P., et intitulé Swedenborg et Fourier : « Parmi toutes les sectes que le Catholicisme ap» pelle en masse protestantes, les Novi-Jérusalémites » sont une des plus nouvelles et des plus intéres^ » santés à étudier. Tandis que les autres sectes ne se » différencient que par des nuances qui leur donnent » la petite satisfaction de se différencier, celle-ci se » lient à part avec une physionomie prononcée et un » regard inspiré qui contraste étonnamment avec la » tenue très-bourgeoise de ses compagnes. C'est une » monnaie neuve et burinée par un grand artiste, à » côté de pièces communes et usées. » Nous ne suivrons pas aujourd'hui M. P. dans son parallèle de Swedenborg et de Fourier; il nous promet d'autres articles sur le même sujet, et nous aurons ainsi occasion d'y revenir. Nous dirons seulement que nous savons gré au Nouveau-Monde d'avoir parlé de Swedenborg, lorsque les autres feuilles 28*.

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EXTRAIT DU NOUVEAU-MONDE.

périodiques, et même celles de l'école sociale, semblent, par leur silence, ignorer que les écrits de Swedenborg sont propagés et étudiés en France; et nous engagerons M. P. à poursuivre le cours de ses études sur des écrits dont il semble apprécier le mérite. Habitués depuis longtemps à voir ceux que l'on appelle savants repousser avec dédain tout ce qui concerne les choses spirituelles, nous avons lu avec plaisir dans le Nouveau-Monde que l'article dont nous parlons était dû à un savant distingué.

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LES ARCHIVES DU CHRISTIANISME

(JOURNAL .DE LA .RÉFORME).

Quoiqu'il fût question, dans tous nos numéros, des doctrines de la Vieille Église, les journaux religieux du Protestantisme et du Catholicisme-Romain se gardaient bien de prononcer le nom de la Nouvelle Jérusalem; ils craignaient sans doute d'éveiller l'attention de leurs lecteurs sur des doctrines qu'ils ne pourraient combattre en présence du public. Cependant, à propos d'un Avis sur la vente des Bibles incomplètes, avis publié dans le recueil officiel des actes du Directoire de la Confession d'Augsbourg en France, le journal méthodiste les Archives du Christianisme, dans son numéro du 25 avril dernier (1840), semble vouloir rompre le silence. Nous désirons vivement, dans l'intérêt du vrai Christianisme, que les Archives ne s'en tiennent pas à une simple mention de l'existence en France de l'Église de la Nouvelle Jérusalem, et qu'elles se décident enfin à discuter ses doctrines. Voici, du reste, les quelques mots que renferment les Archives : « On se demande, en lisant l'Avertissement que le

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» » » » » » » »

LES ARCHIVES DU CHRISTIANISME.

Directoire a cru donner à MM. les pasteurs, quelles peuvent être ces éditions incomplètes des Saintes Écritures? Des disciples de Swedenborg, membres de l'Église de la Nouvelle Jérusalem, auraient-ils voulu préparer la victoire à leur prophète moderne, en faisant disparaître du texte sacré tel livre contraire aux révélations des esprits élémentaires et autres ? » Nous dirons d'abord à MM. des Archives que nous ne sommes pas plus des disciples de Swedenborg qu'ils ne sont, eux, des disciples de Wesley; nous sommes disciples du Seigneur Jéhovah-JésusChrist, seul Dieu du Ciel et de la Terre, ou des NoviJérusalémites, c'est-à-dire, des membres de sa Nouvelle Église, la Nouvelle Jérusalem. Nous ne formons pas une secte, c'est-à-dire que nous ne différons pas de la Vieille Église en quelques points ; nous proclamons, autant qu'il est en notre pouvoir, que la Vieille Église a adultéré, falsifié et profané tous les biens et toutes les vérités du Christianisme; qu'elle est ainsi parvenue à sa fin, et qu'elle n'a plus en elle la véritable vie qui constitue une Église : nous formons le noyau de la Nouvelle Église Chrétienne que le Seigneur fonde lui-même par sa propre puissance et selon ses promesses, Église qui sera universelle, et qui recevra dans son sein tous les hommes de bonne volonté dont le cœur gémit des désordres religieux, moraux, politiques et civils, auxquels l'humanité est livrée ; et, en un mot, tous ceux chez qui il restera encore quelque étincelle du feu sacré.

LES ARCHIVES DO CHRISTIANISME.

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Quant au texte sacré, nous dirons que nous l'entourons de plus de vénération que ne pourrait le faire le plus pieux des méthodistes (1). Quand la discussion sera acceptée sur ce point, les preuves de notre assertion ne nous manqueront point. Enfin, par ces expressions : les esprits élémentaires, les rédacteurs des Archives prouvent qu'ils n'ont pas les plus légères notions des écrits du Prophète moderne; nous les engageons à les étudier dorénavant, avant de se hasarder à en parler. Nous trouvons dans le même numéro des Archives, section Études Chrétiennes, un article sur la prédestination. L'auteur ne craint pas de proclamer hautement ce dogme anti-social et anti-chrétien; il l'étaie même de passages de l'Écriture Sainte. Et c'est sur un dogme aussi sacrilège que vous fondez l'espoir, de ramener les populations au Christianisme ! Vous pourrez réussir à faire des fanatiques, mais certes vous ne ferez pas des Chrétiens. Malheureux ! ne voyez-vous pas que vous blasphémez votre Dieu? ne voyez-vous pas que de ce Dieu d'amour, que de ce Père des miséricordes, vous ne faites qu'un Dieu barbare, qu'un père capricieux, injuste, impitoyable? Quoi! le Seigneur pourrait sauver malgré eux quelques-uns de ses enfants, et il ne les sauve(1) Nous employons ce mot faute de savoir quelle est la qualification que préfèrent les dissidents auxquels nous répondons; lorsqu'ils nous l'aurons fait connaître, nous nous empresserons de nous en servir en parlant d'eux.

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rait pas tous ! Oh oui ! Dieu d'amour, tu les sauverais tous, si l'homme contraint dans sa liberté ne cessait pas par cela même d'être homme; oui, tu nous appelles tous à toi, dans tous les instants de notre vie; mais tu ne contrains personne ; et si nous persistons dans notre perversité, si nous nous perdons, du moins nous ne pourrons pas nous plaindre de ta bonté. Mais, dire que le Dieu d'amour choisit celui qu'il veut ; dire qu'avant notre naissance même nous sommes prédestinés au bonheur éternel ou à la damnation ; blasphème ! blasphème épouvantable ! Pourquoi Dieu ferait-il donc un choix parmi tous ses enfants? Nous n'en savons rien, dites-vous, mais la Parole parle d'élus, et cela nous suffit. Hé ! la Parole parle aussi des clés données à Pierre; pourquoi vous êtes-vous donc séparés de Rome? La Parole dit aussi que Jean-Baptiste était lui-même cet Élie qui devait venir, — Matth. XI. 13, 14. XVII. 10 à 13, — pourquoi ne croyez-vous donc point à la métempsycose? Ignorez-vous d'ailleurs que, depuis plus de seize siècles, toutes les sectes chrétiennes ont trouvé dans la Parole, prise à la lettre, des passages pour confirmer leurs principes ? Ouvrez donc les yeux, et étudiez une doctrine qui, basée elle-même sur le sens de la lettre, donne l'explication de toute l'Écriture, et présente aux hommes le Dieu d'amour, de sagesse et de justice dans la personne du Seigneur Jésus-Christ.

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SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE PAR DES HOMMES DE LETTRES.

Lorsqu'on consulte les recueils biographiques publiés en France depuis quelque temps, on peut être certain d'y trouver un article consacré à Swedenborg. Il n'était plus permis, en effet, de passer sous silence le nom d'un homme si extraordinaire; mais, avant de porter un jugement sur lui, a-t-on du moins cherché à connaître les particularités les plus importantes de sa vie? C'est ce dont on n'a pas même songé à s'occuper. On sait, du reste, comment se font en général ces recueils biographiques. Toutes les fois qu'il s'agit de personnes qui ont appartenu et appartiennent à l'opinion avouée ou secrète des auteurs, et à celle qui leur est opposée, il y a réellement travail et méthode dans l'exposition des faits; mais quand il s'agit de tout autre personnage, chaque entreprise nouvelle de biographie puise sans examen dans celles qui l'ont précédée. Or, les esprits, depuis plus d'un demi-siècle, ayant été plutôt portés aux idées philosophiques et politiques qu'aux idées religieuses, tous les biographes se sont con-

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SWEDENBORG APPRÉCIÉ EN ANGLETERRE.

tentés de répéter, avec de légères variantes, un premier article fait par un des adversaires du célèbre Suédois. Ce n'est pas cependant un reproche sévère que nous adressons aux biographes; Swedenborg étant encore peu connu en France, ils ont agi envers lui comme envers beaucoup d'autres personnages; car chaque nouveau biographe tient à ce que son œuvre ne soit pas moins complète que celles de ses devanciers. Nous mentionnons ici le fait, en l'expliquant toutefois, afin qu'on sache du moins à quoi s'en tenir sur toutes ces prétendues biographies de Swedenborg. En Angleterre, où l'illustre Suédois est connu depuis plus longtemps comme théologien, les biographes ne pourraient pas, à son égard, se conduire de la même manière, sans fournir aussitôt une preuve évidente d'ignorance. Aussi, quelle que soit d'ailleurs leur opinion, ils sont obligés de puiser à des sources non équivoques, lorsqu'ils veulent parler d'un homme qui a joint la théosophie la plus sublime à la science la plus profonde et la plus étendue. On en jugera par la notice suivante qui accompagnait une Collection de portraits des personnages les plus célèbres, intitulée L'Unique : « Si l'on envisage le caractère peu commun et les prétentions de l'homme qui va maintenant nous occuper, on verra que nul ne présente à notre vue un objet de contemplation plus digne d'intérêt: car il

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n'y a pas d'homme qui soit examiné sous des points de vue si différents par des personnes qui possèdent les mêmes moyens d'établir un jugement éclairé, ni d'auteur dont les écrits soient probablement destinés à produire des résultats plus importants. » Le baron Swedenborg est surtout connu comme théologien ; et, à ne le considérer que sous ce point de vue, il est estimé ou déprécié à la légère par des personnes qui, pour la plupart, forment leur opinion sur le rapport de ses adversaires; mais comme il était en même temps philosophe-naturaliste distingué, — circonstance peu connue dans ce pays, quoique sa réputation scientifique soit pleinement établie sur le continent, — nous le présenterons d'abord à nos lecteurs sous ce caractère, lequel, étant combiné avec les autres, fournira matière aux méditations des profonds penseurs et des esprits philosophiques, qui n'ont pas l'habitude de résoudre les difficultés par une conclusion hardie et arbitraire, mais qui sont portés à rechercher sincèrement l'origine des manifestations extraordinaires de l'esprit, ainsi que les vues vraiment originales et les conceptions des choses hors de la portée commune du vulgaire. » Emmanuel Swedenborg était fils de l'Évêque de Skara, dans la Westrogothie; il naquit à Stockholm le 29 janvier 1688. Son père se nommait Gaspard Swedberg; mais le nom de son fils Emmanuel fut changé en celui de Swedenborg, — conformément à une coutume suédoise, — parce qu'il fut appelé à 29.

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siéger à la Chambre des nobles dans l'Assemblée des États du Royaume. Cette élévation lui donna un rang équivalent à celui qu'on exprime en Angleterre par la désignation d'Honorable, dont ses sectateurs font ordinairement précéder son nom; mais il est généralement appelé, par le public (anglais), baron Swedenborg. » Swedenborg fit ses études avec une grande application, non-seulement à l'Université d'Upsal, mais encore dans celles d'Angleterre, de Hollande, de France et d'Allemagne. M. Sandel, qui prononça un éloge en sa mémoire devant l'académie des sciences de Stockholm, le 7 octobre 1772, s'exprime de la sorte : « Comment puis-je tracer le caractère d'un » génie si étendu, si sublime et si laborieux, que ses » studieuses applications ne fatiguèrent jamais, et » qui, sans travail pénible, porta ses investigations » dans les sciences les plus profondes et les plus dif» ficiles; qui, pendant plusieurs années successives, » fit nombre d'efforts, couronnés du plus beau suc» ces, pour découvrir les secrets de la nature, ouvrit » et rendit facile l'étude de quelques-unes des scien» ces exactes, et enfin pénétra dans les plus profonds » secrets, sans avoir même perdu de vue une mora» lité sévère, ou la crainte de l'Être Suprême, con» servant jusqu'à la fin toute la force de son esprit, » sans éprouver ce déclin des facultés mentales au» quel sont soumises tant de personnes. » » La liste de ses ouvrages montrera l'étendue de

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son intelligence, et leur contenu justifiera l'éloge que nous avons fait ; nous citerons particulièrement ses ouvrages anatomiques qui unissent à un grand fond de science expérimentale, les déductions rationnelles les plus hardies, dont plusieurs ont depuis été prouvées, par des recherches plus étendues, être parfaitement exactes, et ont paru devant le public sous la forme de découvertes nouvelles. » Dans l'année 1716, et à l'âge de 28 ans, il publia des Essais sur les sciences mathématiques et physiques, sous le titre de Dœdalus hyperborœus. L'année suivante il donna une Introduction à l'Algèbre, et deux ans après un travail sur la Position et le Mouvement de la terre et des autres planètes, et une Méthode nouvelle pour découvrir les longitudes, soit en mer, soit sur terre, par le moyen de la lune. Nous passons sous silence plusieurs ouvrages ingénieux et utiles sur la mécanique, pour arriver à ses Œuvres philosophiques et minéralogiques,3 vol.in-folio,publiés en 1734; son Économie du règne animal, en deux parties, publiées en 1740 et 1741, in-4°. La première partie traite du sang, des artères, des veines et du cœur; la seconde, du mouvement du cerveau, de la substance corticale et de l'âme humaine. Son Règne animal traite de sujets anatomiques non mentionnés dans le précédent ouvrage; il contient des observations sur le toucher, sur le goût et sur les formes organiques en général. Il fut publié en 1744 et 1748, in-4°.

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» Dans tous les ouvrages philosophiques de Swedenborg, il y a un caractère distinclif qu'on trouve rarement dans les productions d'hommes instruits : un très-haut degré de vénération pour l'Auteur Suprême de la nature, et pour la Révélation Divine. Toujours attentif aux occasions de faire dériver de la contemplation de la nature, non-seulement l'instruction, mais encore l'édification, il associe habituellement les vues de la grandeur de la création avec la majesté du Créateur, les preuves de la puissance divine avec la perception de la divine bienfaisance; et, de toutes ses découvertes, il tire de nouvelles raisons et de nouveaux motifs pour l'adoration et le culte du seul Être qui ait la vie en soi. » La religion personnelle de Swedenborg n'était pas d'un genre purement contemplatif, comme on le voit par les simples règles que, dans la première période de sa vie, il se prescrivait pour sa conduite journalière, et qu'après sa mort on a trouvées dans ses manuscrits : 1° Lire souvent la Parole de Dieu, et la méditer beaucoup. 2° Être toujours résigné et content du sort que nous réserve la Providence. 3° Observer une conduite décente et honorable, et se maintenir une conscience pure et sans reproche. 4° Obéir à tout ce qui est ordonné, être exact à remplir les devoirs de son état, et faire tout ce qui est en son pouvoir pour se rendre utile à tous, sans exception. » Le premier ouvrage ci-dessus mentionné mit

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Swedenborg sur le rang des savants, et lui procura la faveur du Roi,— l'illustre Charles XII,— qui l'associa au célèbre Polhammar, dans la surintendance de la construction des travaux publics. Peu après, il fut nommé aux fonctions d'Assesseur au Collège des Mines, emploi d'une grande confiance publique et donnant de forts émoluments. » II fut annobli, en 1719, par la reine Ulrique; c'est à cette occasion que son nom fut changé, comme on l'a déjà observé. » Nous arrivons maintenant à la partie la plus remarquable de la vie de cet homme extraordinaire. En 1743, lorsqu'il était en possession d'une grande réputation, de l'honneur, d'une belle aisance, et de l'estime d'un grand nombre d'hommes savants et vertueux de toutes les nations, il annonça subitement que le Seigneur Dieu, le Sauveur, lui avait donné la faculté de voir dans le monde spirituel, et l'avait rendu ainsi capable de converser avec les esprits et les anges, pour qu'il pût apprendre et divulguer aux hommes le système des vérités réelles du Christianisme. » Depuis ce moment, — il était âgé de cinquantecinq ans, — il discontinua ses études de philosophie naturelle, et jusqu'au jour de sa mort, le 29 mars 1772, — dans une période de vingt-neuf ans, — il continua à déclarer qu'il avait communication avec le monde invisible, et publia, en latin, environ trente volumes de travaux théologiques, entremêlés de nar29*.

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rations de choses et d'événements de ce monde inconnu qui passa sous sa pénétrante observation. » Parmi ses ouvrages théologiques, — tous traduits en anglais,— on remarque : La Vraie Religion Chrétienne, contenant la théorie universelle de la Nouvelle Église, prédite, dans l'Apocalypse, sous l'emblème de la Nouvelle Jérusalem ; — Du Ciel et de ses Merveilles, et de l'Enfer, relation de choses entendues et vues; — l'Apocalypse Révélée; •— les Arcanes Célestes, ou Mystères célestes renfermés dans la Sainte Ecriture, manifestés et découverts. » Plusieurs Suédois éminents, contemporains de Swedenborg, dont ils appréciaient le savoir et connaissaient les vertus, embrassèrent ses doctrines et crurent à ses déclarations ; et comme il n'y avait pas de moyens de s'inscrire en faux contre ces dernières, la franchise veut que ceux qui admirent ses doctrines, et qui, sur la foi de la véracité de Swedenborg, acceptent ses assertions, soient libres d'en agir ainsi, sans encourir de blâme de la part de ceux qui préfèrent regarder la chose sous un autre point de vue. » Les Rév. docteurs Beyer et Rosen, membres du Consistoire ecclésiastique de Gottenbourg, ayant donné leur approbation aux sentiments théologiques de leur compatriote Swedenborg, une persécution fut excitée contre eux par le doyen de ce Consistoire, et enfin un mandat, émané du Suprême Conseil d'État, exigea du docteur Beyer une profession de foi sur les écrits de Swedenborg. Pour se conformer à

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cet ordre royal, le 2 janvier 1770, le docteur Beyer délivra au roi, Adolphe-Frédéric, une déclaration dans laquelle il dit : « En examinant les doctrines » religieuses contenues dans les ouvrages de Swe» denborg, et répandues dans eux tous, mais spécia» lement dans ceux de ses volumes qui constituent la » seconde classe de ses écrits, nous voyons qu'ils » sont partout illuminés, et confirmés sans réplique, » même conformément à la lettre, par les passages » les plus formels de la Parole; car c'est une règle » fondamentale avec lui, à l'égard de toute doctrine » de l'Église, qu'elle doit être tirée du sens littéral » de la Parole prise dans son ensemble et dans ses » détails, et par là confirmée. Cette règle est suivie » dans toutes ses doctrines toujours clairement prou» vées par les passages les plus incontestables de » l'Écriture. Voyez, par exemple, comment il a dé» montré, dans la Doctrine concernant le Seî» gneur, qu'il n'y a qu'un Dieu, que Jésus-Christ est » ce Dieu, et qu'en lui est la Divine Trinité, appelée » Père, Fils et Saint-Esprit. » » Quelques personnes ont attribué les visions de Swedenborg au dérangement de l'esprit; mais ses adhérents demandent qu'on leur fournisse la preuve d'un tel état dans ses écrits doctrinaux et dans sa conduite. Ces écrits, disent-ils, sont remarquables par l'étendue de la mémoire, la finesse du raisonnement, la nouveauté et la clarté de l'illustration, et par un arrangement méthodique qu'on pourrait à

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peine égaler; et quant à sa conduite, ajoutent-ils, elle fut toujours celle d'un gentleman accompli, enjoué, poli et agréable. » Les admirateurs du système théologique de Swedenborg, dans ce pays, se nomment thé Ntiv Jérusalem Church, l'Église de la Nouvelle Jérusalem, conformément à sa déclaration, que les doctrines qu'il donnait constituaient le corps pur et parfait du Christianisme, qui, reçu dans le cœur et appliqué dans la conduite, menait à cet état sublime de l'Église chrétienne prédit, — comme il s'était efforcé de le démontrer,—sous l'emblème de la SainteCité, la Nouvelle Jérusalem, dans la Révélation de l'Apôtre Jean. Ils ne sont pas très-nombreux encore, mais l'infériorité de leur nombre n'est pas un argument contre la vérité de leurs opinions, Swedenborg leur ayant donné pour raison que son système s'adressant aux puissances intellectuelles du genre humain, et s'appliquant seulement aux dispositions désintéressées, il ferait son chemin lentement et par degrés. L'équité nous force à dire qu'ils forment un troupeau moral et digne de respect, et qu'ils montrent une profonde vénération pour les Saintes Écritures. Dans leurs controverses avec les autres Communions chrétiennes, ils ont manifesté une grande habileté et une grande pénétration, jointes à beaucoup de modération, même quand ils auraient eu raison de se plaindre des procédés de leurs adversaires. » Sous tous les points de vue, Swedenborg doit

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être distingué de la foule des enthousiastes ignorants. — Son rang, ses vertus, son savoir et ses talents veulent qu'on l'en distingue ; et, puisque les Écritures nous obligent à croire à la possibilité de communications surnaturelles, il n'est peut-être pas de meilleur moyen pour éprouver leur validité, quand elles sont professées, que de considérer le caractère personnel du parti qui les professe, les actions qui accompagnent sa conduite, et la valeur intrinsèque des résultats qui en sont la conséquence. » Cette notice porte avec elle un cachet d'impartialité. Nous aurions pu néanmoins faire des observations au sujet de quelques expressions qu'elle renferme; mais le lecteur pourra y suppléer, en se rappelant qu'elle a été écrite par des hommes du monde, qui, malgré leur respect pour l'Écriture Sainte, respect d'ailleurs très-commun en Angleterre, ne partagent nullement nos opinions religieuses. Puisse cet exemple de nos voisins détourner nos compatriotes de parler dorénavant de Swedenborg avec légèreté !

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POURQUOI SWEDENBORG A PUBLIE SES VISIONS ET SES MÉMORABLES.

Beaucoup de personnes, en voyant la pureté des principes doctrinaux que renferment les écrits de Swedenborg, s'étonnent que l'illustre Suédois, dont le jugement est si solide et dont les raisonnements sont toujours si logiquement déduits, ait publié en même temps ses visions et ses relations mémorables. Ces personnes, dont les intentions, du reste, ne sont pas suspectes, croient que les doctrines de la Nouvelle Église auraient eu plus de facilité à se répandre, si elles eussent été présentées au monde Chrétien dégagées de cet accessoire, qui, ajoutent-elles, leur est plus nuisible qu'avantageux. Ainsi pensait le premier ministre de Gustave III, le Sénateur comte Hopken, ce même homme d'État d'un mérite distingué qui disait à son Roi en parlant des doctrines de la Nouvelle Jérusalem : « Si j'avais à fonder un état » fort et tranquille, je ne ferais qu'y mettre des » Novi-Jérusalémites. » Le comte Hopken, qui était lié d'amitié avec Swedenborg, voulant connaître le motif qui avait porté son ami à publier des Visions

VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG.

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et des Mémorables, lui demanda un jour une explication sur ce sujet. La réponse de Swedenborg nous a été conservée; le Précurseur de Cincinnati, journal de la Nouvelle Église, répondant au journal méthodiste de la conférence de Pittsbourg, cite ces phrases du Ministre de Gustave ni : « De toutes les doctrines chrétiennes, celle de Swedenborg est la plus rationnelle ; elle insiste plus que toute autre sur la nécessité des principes bons et honnêtes. Deux choses sont à remarquer dans la doctrine et les écrits de Swedenborg : D'abord ses révélations : Je ne peux les juger, n'en ayant jamais eu moi-même, qui me donneraient les moyens de contrôle nécessaires, soit pour les affirmer, soit pour les contredire ; mais elles n'ont rien de plus extraordinaire que l'Apocalypse de Jean, et autres semblables relations contenues dans la Bible. En second lieu, les dogmes de sa doctrine : Ceux-ci, je peux les juger, et je soutiens qu'ils sont excellents, incontestables, les meilleurs qui aient jamais été enseignés, les plus propres à opérer un bonheur complet dans la vie sociale. Je sais que Swedenborg a raconté de bonne foi ses visions. Je lui demandai un jour pourquoi il avait écrit et publié ses Visions et ses Mémorables, qui semblaient jeter tant de ridicule sur sa doctrine, d'ailleurs si rationnelle, et s'il n'aurait pas mieux valu garder le silence sur ce point, au lieu d'en instruire le monde. Il me répondit qu'zV avait reçu du Seigneur l'ordre de faire cette publica-

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lion, et que ceux qui s'en prévaudraient pour le ridiculiser commettraient une injustice; car, ditil, comment pourrait-on supposer qu'un homme de mon âge voulût se rendre ridicule en publiant des faussetés et des rapsodies ?» Ainsi, c'est sur l'ordre formel du Seigneur que Swedenborg a écrit et publié ses Visions et ses Mémorables. Toujours pressé de jouir, l'homme juge ordinairement des choses par les effets qu'elles peuvent produire pendant son existence terrestre, qui n'est cependant qu'une portion infinitésimale de sa vie; toujours porté à se poser comme centre, les objets qu'il voit du point de vue qui lui est propre lui semblent ne pas devoir être vus sous des faces différentes. Il n'est donc pas étonnant que des admirateurs de Swedenborg, en entendant tourner en dérision les Visions et les Mémorables du théosophe, aient regretté qu'il les ait publiés; et il est encore moins étonnant que ceux qui ont adopté la Nouvelle Doctrine sans y être conduits par l'examen de ces faits extraordinaires les aient jugés inutiles. Les vues de la Divine Providence sont universelles et infinies ; il n'appartient pas à l'homme de les sonder; cependant, Dieu permit à Moi'se de le voir par derrière, c'est-à-dire qu'il nous est permis de considérer les voies miséricordieuses de la Providence, en réfléchissant sur les choses passées et présentes, et d'en tirer des règles de conduite pour l'avenir, en plaçant toute notre confiance dans le Seigneur. Or, depuis la

VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG.

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conversation du comte de Hopken avec Swedenborg, près d'un siècle s'est écoulé; et que d'événements pendant cette période ! Pouvait-on croire alors que cette société qui paraissait si fortement constituée allait être ébranlée, sans qu'il lui fût possible, malgré tous ses efforts, de se replacer sur ses bases ? Naguère encore, on ne voyait dans le grand mouvement qui agite le monde depuis cinquante ans qu'une simple modification politique ; et ce n'est que maintenant qu'on reconnaît que tout marche à pas de géant vers un nouvel ordre social, et que l'ordre ancien est condamné à périr. Mais cet ordre nouveau que tout le monde pressent, que personne ne connaît, sur quelles bases s'établira-t-il? Swedenborg pose en principe que le civil et le moral dépendent du spirituel : l'ordre social nouveau dépendra donc de la Nouvelle Dispensation de vérités spirituelles que le Seigneur a accordées aux hommes. Mais des dogmes seuls suffiraient-ils pour établir un ordre social? Ces dogmes eux-mêmes pourraient-ils être adoptés par la généralité des hommes, qui, dans la période intellectuelle où nous sommes, sont courbés sous la domination de la science et du raisonnement? N'était-il pas nécessaire que le Seigneur révélât aussi des vérités de l'ordre rationnel et de l'ordre scientifique, afin qu'elles vinssent corroborer les vérités de l'ordre spirituel ? Et ces vérités rationnelles et scientifiques, ne les trouvet-on pas par milliers dans les Visions et dans les Mé30.

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VISIONS ET MÉMORABLES DE SWEDENBORG.

morables que Swedenborg a écrits et publiés par l'ordre du Seigneur? Sans cette publication, connaîtrions-nous ce monde spirituel dont le nôtre n'est que l'image? aurions-nous la moindre idée du Grand Homme et de cette harmonie admirable entre les parties innombrables qui le composent, et qui, par leurs diversités infinies, constituent son unité parfaite? pourrions-nous nous expliquer rationnellement certains phénomènes de la nature dont les causes étaient ignorées, et ne serions-nous pas à chaque instant en danger de nous fourvoyer au milieu de toutes les théories nouvelles, privés que nous serions de boussole? Oh ! si dès à présent il est déjà possible de reconnaître dans la publication de ces Visions et de ces Mémorables de nombreux avantages dont on n'avait pas d'idées dans le siècle dernier, combien l'avenir n'en manifestera-t-il pas de nouveaux qu'on ne saurait découvrir aujourd'hui! car le Seigneur n'ordonne jamais rien en vain, et c'est par son ordre que Swedenborg a fait cette publication.

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BIBLIOGRAPHIE. Fables nouvelles par Lidener,

Si nous annonçons cet ouvrage, qui, par son titre, semble étranger aux travaux dont nous nous occupons, c'est que l'auteur, ami d'enfance de notre Edouard Richer, a eu le bon esprit, quoique n'appartenant pas à notre communion religieuse, de s'inspirer des hautes idées théosophiques de son ami, et d'admettre l'utilité de la Science des Correspondances. « Indépendamment des Livres Saints qui sont tous écrits dans cette langue de la nature, dit le pseudonyme Lidener, nous voyons dans les langues égyptienne et chinoise, qui remontent aussi, elles, à une très-haute antiquité, et qui ont subi le moins d'altération avant de parvenir jusqu'à nous, que la représentation des idées a été figurée dans le principe par des hiéroglyphes, ou, pour mieux m'exprimer, par l'image de la chose même. D'où vient cette analogie chez des peuples si différents? c'est qu'ils croyaient qu'il n'existait pas un seul être qui n'eût son rapport bien clair et bien déterminé dans l'univers, et que la terre ne leur apparaissait que comme un temple, où

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US TROISIÈME BIOGRAPHE D*ÉD. RICI1ER.

venait se manifester h chaque pas la pensée divine. Les choses visibles n'étant pour eux que la traduction de cette même pensée rendue palpable, si je peux m'exprimer ainsi, il n'est pas étonnant qu'ils attachassent sa forme ou plutôt sa correspondance à chaque idée. » Voilà donc la littérature qui commence à sortir de sa vieille routine et à s'appuyer sur les données nouvelles que nous devons aux révélations de Swedenborg. En donnant le premier cet exemple, M. Im... en a tiré pour lui-même un avantage inappréciable, c'est d'avoir présenté un nouvel aperçu d'un art qui semblait, depuis La Fontaine, destiné à ne plus faire de progrès. Nous laisserons à d'autres la critique littéraire des Fables nouvelles, nous nous contenterons d'en recommander la lecture, en assurant qu'on y trouvera une morale pure, une philosophie sévère sans causticité, et un style toujours en rapport avec le sujet. C'est à la mémoire d'Edouard Richer que M. Im... a dédié son ouvrage. Nous voudrions pouvoir transcrire en entier son épître dédicatoire; mais notre publication n'étant pas destinée à la littérature proprement dite, nous nous bornerons à citer quelques vers: Plein d'un noble transport s'élançant vers les deux, Tu courus t'assurer par quels secrets mystères, Dans un ordre constant roulent ces vastes sphères, Quelle main les dirige en leur route, et comment

UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER.

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On voit tout obéir au même mouvement. Certes, à l'auguste aspect d'une telle puissance, Tu sentis s'affaisser ta noble intelligence; Mais bientôt, remontant au principe éternel, Impatient, tu fus le chercher dans le Ciel. Là, tu vis devant toi s'ouvrir le sanctuaire, Inaccessible aux yeux d'un ignorant vulgaire, Ces lieux où l'amour seul par l'amour est compris, Et que tu peins si bien dans ces doctes écrits Où ta voix nous apprend par quel divin mystère L'homme s'unit au Ciel et le Ciel à la terre, a

Dans ces vers, M. Im... fait allusion aux travaux astronomiques qui précédèrent les ouvrages religieux de son ami ; mais une simple épître en vers ne lui sembla pas suffisante, il voulut aussi contribuer à faire connaître cette vie si bien employée de celui qu'il regrette toujours; aussi trouve-t-on, à la fin du premier volume, une Notice sur Edouard Richer. Dans cette Notice, comme dans celle de M. Emile Souvestre, comme dans les Mémoires sur la vie et les ouvrages d'Éd. Richer, par M. Piet, il est question de Swedenborg; car comment parler de Richer sans que Swedenborg apparaisse en même temps? C'est donc un devoir pour nous de donner à nos lecteurs des extraits de la partie de cette Notice qui concerne les travaux novi-jérusalémites de Richer, comme nous l'avons fait lorsque la Notice de M. Emile Souvestre a paru. (Voir ci-dessus, Page 242 et suiv.)

Cependant nous devons, avant tout, faire observer 30*.

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UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD. RICHER.

que si ces trois biographes de Richer ont montré une grande sympathie pour ses sentiments religieux, aucun d'eux néanmoins ne les a entièrement adoptés; aussi parlent-ils de Swedenborg comme en parleraient des gens du monde, mais avec respect toutefois, et en gardant toujours une dignité convenable. Après avoir fait Pénumération des œuvres littéraires de son ami,M. Im... nous dit comment Richer fut conduit à s'occuper des écrits de Swedenborg, à l'étude desquels il consacra le reste de sa vie. « Malgré tant de travaux multipliés, une idée fixe prenait de jour en jour plus de consistance dans son esprit, et dominait toutes les autres. Ami ardent de la vérité, il l'avait longtemps demandée, mais en vain, aux ouvrages des hommes. Il n'y avait rien trouvé qui pût satisfaire aux besoins de son âme expansive et tendre. La religion seule lui était apparue alors comme Punique phare allumé au milieu des ténèbres de la vie, pour guider l'homme sur cette terre. Déjà, dans sa lettre sur l'abbaye de la Trappe, il l'avait associée aux plus hautes considérations. Le coup d'œil qu'il y jetait sur la vanité de la science, l'instabilité des joies de ce monde, et le besoin pour le cœur de l'homme de se rattacher à quelque chose de réel, il le développa dans sa Philosophie morale et religieuse., ouvrage qui ne parut pas très-orthodoxe à certaines gens, mais qui était cependant dicté par une conviction intime. » C'est à lui qu'il dut, en 1821, de faire la con-

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naissance de M. Bernard, de Nantes, brave militaire, qui, après avoir suivi vingt systèmes différents, et les avoir abandonnés les uns après les autres, parce qu'il en avait reconnu le vide, s'était enfin rattaché au Christianisme pur, avec une telle ardeur, qu'il aurait voulu voir partager à tout le monde sa manière de penser, dans la conviction où il était que c'était seulement par elle qu'on pouvait parvenir à asseoir ses croyances sur une base immuable. Il lui parla de la religion avec un tel enthousiasme, et la lui fit entrevoir sous un aspect si nouveau, qu'il lui donna le désir de connaître les auteurs dans lesquels il avait puisé ses doctrines. Sur la recommandation de M. Bernard, il se mil à lire les écrits de Jacob Bœhme, de Saint-Martin, et la Voix qui crie dans le désert, de Law. Saint-Martin, qui, de temps à autre, jette sur l'existence des éclairs si brillants, pour aller le moment d'après se perdre dans les nuages de ses systèmes, fut, dans le principe, avec Jacob Bœhme, l'objet de ses études particulières. Il les lut, les relut, les médita, et en fit de nombreux extraits. » II n'en fut pas de même de Swedenborg, dont M. Bernard faisait un cas tout particulier, et qui était l'Auteur religieux dont il suivait les principes, comme les seuls qui résumassent en eux la simplicité primitive du Christianisme à toutes les exigences de la science. Il lui en avait laissé deux ouvrages avant son départ, en l'engageant à les étudier; mais ni

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l'un ni l'autre ne put trouver grâce aux yeux du penseur positif. Il regarda dans le principe comme les rêves d'un esprit malade les visions du célèbre Suédois dans le monde spirituel. Ce même Swedenborg, dont à plusieurs fois il rejeta de dégoût les ouvrages, fut cependant celui qui, par la suite, eut une influence si marquée sur ses idées, et à l'étude duquel il consacra douze années entières de sa vie. Le philosophe religieux qui parlait en style algébrique ne convenait guère à cette imagination poétique qui voulait saisir les choses plutôt par le sentiment que par le raisonnement abstrait et mathématique, et qui, d'un autre côté, ne pouvait admettre des idées qui s'écartaient à tel point du monde matériel au milieu duquel il vivait. Néanmoins, quand, à force d'études, de persévérance et de dégoûts surmontés, il fut parvenu à saisir le principe philosophique et religieux sur lequel reposait cette doctrine qui lui avait paru si étrange au premier abord, il l'adopta, non sans quelques doutes encore, jusqu'à ce que son esprit scrutateur, qui n'acceptait les choses qu'autant qu'elles pouvaient satisfaire à la fois aux besoins de sa raison et de son cœur, les eût soumises à cette double pierre de touche. » A partir de ce moment sa vocation fut arrêtée. L'homme littéraire s'effaça presque totalement devant l'homme religieux. S'il lui arriva encore de s'occuper de littérature de temps à autre, ce ne fut plus qu'un passe-temps, une halte dans ses travaux

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philosophiques, et ne fut même écrit le plus souvent qu'à la sollicitation de ses amis, qui voyaient avec peine qu'il songeât déjà à se retirer d'une carrière dans laquelle il pouvait se faire un grand nom. Depuis l'année 1823 jusqu'à sa mort, arrivée onze ans plus tard, il ne s'occupa presque exclusivement que de son grand ouvrage sur la Nouvelle Jérusalem, dans lequel il a rassemblé tous les rayons épars de la science et des systèmes humains, pour les faire tous converger vers Dieu. » L'Auteur de la Notice passe ensuite en revue les différents ouvrages religieux sortis de la plume brillante d'Edouard Richer. Les bornes que nous sommes forcés de donner à cet article ne nous permettent pas de le suivre, mais nous ne pouvons pas passer sous silence les détails intéressants dans lesquels il entre en parlant de la composition de quelques-uns de ces écrits. Ainsi, au sujet des Invocations Religieuses, il dit : « Cet ouvrage, dans lequel il y a un grand nombre de pages dignes de l'âme aimante de Fénélon, et qu'on croirait échappées de sa plume, fut composé d'enthousiasme à la suite d'entretients journaliers avec une petite société d'amis, dans laquelle il s'occupait spécialement de matières religieuses. A peine rentré chez lui, et encore animé de conversations qui avaient Dieu et l'âme humaine pour but, il laissait courir sa plume sur le papier, et allait le jour suivant leur communiquer ces pages éloquentes, où s'é-

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UN TROISIÈME BIOGRAPHE D'ÉD.

RICHER.

panchait son âme aimante et douce. C'est un des écrits auquel il tenait le plus, et celui dans lequel son talent brille peut-être du plus vif éclat. » Voici quelques autres détails sur son grand ouvrage la Nouvelle Jérusalem, sur la Religion du Bon Sens, et sur la Clé du Mystère : La Nouvelle Jérusalem. — « II consacra à cet ouvrage, d'une immense érudition, dix années entières de sa vie. C'est celui de tous auquel il a travaillé avec le plus d'ardeur et de persévérance. Les différents écrits sortis de sa plume, depuis 1825, ont tous plus ou moins de rapport avec la philosophie religieuse qu'il y développe. Ils en furent pour ainsi dire les corollaires. Quelques-uns d'entre eux ont été entrepris à la sollicitation de ses amis, quelques autres par la nécessité où il se voyait de donner des éclaircissements à des propositions un peu trop abstraites. » La Religion du Son Sens.— « Un de ses amis qui s'occupait comme lui de matières religieuses, et avait adopté la même doctrine, lui ayant fait observer que son grand ouvrage sur la Nouvelle Jérusalem était trop savant, et avait besoin de développements préliminaires pour être compris de la généralité des lecteurs, il goûta cette idée, dont il reconnut la justesse, et composa, en 1832, pour obvier à cet inconvénient, la Religion du Bon Sens, ouvrage élémentaire dans lequel il expose et déduit ses doctrines avec la plus grande clarté. »

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La Clé du Mystère. — « II montre dans cet ouvrage quelles sont les différentes perceptions de l'homme, et que tel mode accidentel dans lequel s'est trouvé tel ou tel individu, et entre autres Swedenborg, n'est pas une raison pour que nous rejetions avec dédain ce qu'il dit parce qu'il ne nous a pas été accordé de voir de la même manière que lui. C'est à cette pensée première qu'il a subordonné l'explication de sa Clé du Mystère, ou de VApocalypse, ouvrage qui a été l'écueil de tant de beaux génies, et que Newton, Bossuet et Dupuis ont pris la peine de commenter, chacun sous un point de vue différent. Non content de combattre Bossuet par l'histoire et la science, Dupuis par l'Astronomie, il prouve que l'Apôtre Jean n'a été et n'a pu être qu'un visionnaire, qui n'a vu les choses morales que sous des emblèmes matériels, et que ces mêmes emblèmes aperçus par lui hors du temps et de l'espace, sont l'histoire de la religion, et celle de l'homme qui a altéré chez lui la vérité absolue par ses différents systèmes sur Dieu et sur l'âme. Quelle que soit l'opinion qu'on porte sur cet Ouvrage, qui est le dernier sorti de sa plume, et le chant du cygne prêt à prendre son vol pour ce monde immatériel qui était à ses yeux le prototype de celui dans lequel nous vivons, on ne pourra cependant s'empêcher d'admirer, en dépit de la forme, les aperçus nouveaux que l'auteur sait déduire, les profondeurs des idées et l'étendue de la science qu'il a fallu pour présenter l'Apocalypse

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sous un point de vue si neuf et en même temps si rationnel. Au reste, ce qui pourrait, jusqu'à un certain point, prouver le mérite de cet ouvrage et le cas qu'on en fait, c'est qu'avant même qu'il eût entièrement paru, deux traductions en furent commencées simultanément en Angleterre et en Allemagne, pays où il y a tant de têtes philosophiques et des hommes d'un si grand mé>ite. Cet écrit, d'une vaste érudition, et qui ne contient pas moins de six cents pages in-8°, fut fait d'inspiration, et ne coûta pas plus de trois semaines de travail à son auteur. Sa tête était en fermentation. Sa plume ne pouvait suffire à sa pensée, quoique son pauvre corps ressemblât à l'arbre caduc qui ne vit que par l'écorce. Mais chez lui, tout était âme, et c'était par l'âme seule que se soutenait encore celte ruine vivante. »

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A LA REVUE CATHOLIQUE.

La Revue Catholique, dans son numéro du 15 août dernier (1840), contient une annonce de la Doctrine de Vie pour la Nouvelle Jérusalem. Nous lui savons gré d'avoir ainsi concouru à donner de la publicité à cet ouvrage; elle a fait, en cela, preuve d'indépendance; car, depuis plus de deux ans, toutes les autres feuilles du Catholicisme-Romain se sont bien gardées de dire un seul mot qui pût faire soupçonner que les doctrines de la Nouvelle Jérusalem étaient étudiées et propagées en France. Si la Revue Catholique s'en était tenue à une simple annonce, nous n'ajouterions rien à ce que nous venons de dire; mais nous trouvons à la suite de sa note bibliographique, N° 40, un petit correctif que nous ne devons pas laisser sans réponse. Voici en quels termes elle s'exprime en parlant des NoviJérusalémites : « Cette secte, dont nous ne soupçonnions pas » même l'existence, fait paraître à Saint-Amand » (Cher) une Revue mensuelle. Nous chercherons à » nous mettre au courant de ses publications, de son 3l.

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LA REVUE CATHOLIQUE.

» » » » » » » »

objet et de ses croyances, pour faire connaître à nos lecteurs ce culte nouveau, dont le présent ouvrage ne nous dit rien. Il est assez singulier que nous ayons à nous occuper aujourd'hui de deux ouvrages écrits dans un sens anti-catholique. (Voir N° 33.) Ils ont au moins cela d'intéressant qu'ils peuvent montrer dans quelles aberrations on se jette, quand on s'éloigne du centre de l'Unité. » Celte secte dont nous ne soupçonnions pas même l'existence! Nous pensons qu'en écrivant ces mots, le Rédacteur de la Bévue Catholique n'a pas fait appel à ses souvenirs, ou bien il faut que ses occupations ne lui permettent pas de parcourir les publications périodiques du Catholicisme-Romain, même celles qui paraissent sous les auspices du Pape; car YÉcho du Vatican lui aurait appris l'existence de cette secte. Mais comme le Rédacteur de la Revue Catholique annonce à ses lecteurs qu'il cherchera à se mettre au courant de nos publications, nous lui indiquerons spécialement la Réponse de la Nouvelle Jérusalem al'Écho du Vatican (1); et nous lui ferons remarquer que, malgré l'assurance formelle donnée far Y Écho du Vatican que CETTE IMPORTANTE DISCUSSION

SERAIT CONTINUÉE ET

SOUTENUE JUSQU'AU

BOUT, la lutte cessa néanmoins, non pas que nous nous fussions retirés, mais parce que notre adversaire, qui croyait sans doute nous écraser du poids (1) Voir ci-dessus, page 51.

LA REVUE CATHOLIOCE.

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de son patronage, et choisir lui-même le terrain, aima mieux rebrousser chemin, et manquer à sa promesse, lorsqu'il vit les Novi-Jérusalémites s'inquiéter peu de ses autorités, et placer la discussion sur le terrain véritable. Nous ne pouvions pas obliger l'Écho du Vatican à tenir la promesse qu'il avait faite; mais nous n'en continuâmes pas moins à combattre les dogmes du Catholicisme-Romain ; car c'était pour nous un devoir, puisque ces dogmes sont le principal obstacle à la dispersion des lumières que le Seigneur répand maintenant sur la terre pour la régénération des hommes. Aussi n'est-il pas une seule de nos publications où ils ne soient plus ou moins directement combattus ; et cependant, malgré l'éveil que les articles de YÉcho du Vatican avaient donné sur la propagation des doctrines de la Nouvelle Jérusalem en France, aucune des feuilles catholiques-romaines ne se présente pour défendre ces dogmes. Nous avons cru jusqu'ici que ce silence était calculé; car il n'est pas à présumer que des feuilles qui se sont toujours montrées si susceptibles lorsqu'on touchait à la moindre des pratiques romaines, soient restées d'elles-mêmes silencieuses quand il s'agissait des bases mêmes du vieil édifice qu'elles soutiennent. Mais nous serions-nous trompés? Voici la Revue Catholique qui semble faire un pas en avant, puisqu'elle promet à ses lecteurs de chercher à se mettre au courant de nos publications, pour leur faire connaitre le culte nouveau.

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Cette promesse, il est vrai, ne l'engage pas aussi avant que la déclaration de l'Écho du Vatican; il ne s'agit pas encore d'entrer dans une discussion sérieuse et de la soutenir jusqu'au bout; mais, lors môme que la Revue Catholique s'avancerait jusqu'à faire une déclaration semblable, nous craindrions encore, nous l'avouons, qu'elle ne reculât plus tard, ou bien, il faudrait que les chefs, sous le patronage desquels elle se trouve, eussent reconnu que le silence qu'ils ont gardé n'a pas amené le résultat qu'ils en attendaient; que nos doctrines n'en continuent pas moins à se propager; que par conséquent la lutte qu'ils auraient voulu éviter devra tôt ou tard s'engager, et qu'il est devenu urgent pour eux de ne plus la refuser. Plaise à Dieu qu'il en soit ainsi ! C'est un souhait que nous adressons au Seigneur, dans l'intérêt même de nos adversaires; car tous ceux d'entre eux qui cherchent la vérité de bonne foi seraient éclairés par la discussion, et rejetteraient loin d'eux les abominations idolâtriques de la prostituée de Babylone. Ne trouvant rien à dire contre les principes moraux et religieux que renferme la Doctrine de Vie pour la Nouvelle Jérusalem, la Revue Catholique a recours à un moyen détourné que nous nous dispenserons de qualifier : elle renvoie ses lecteurs au N° 33 de son article bibliographique, dans lequel elle rend compte d'un'ouvrage mystique; puis elle réunit à dessein les deux ouvrages, afin de pouvoir

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ajouter : « Ils ont au moins cela d'intéressant » qu'ils peuvent montrer dans quelles aberrations » on se jette, quand on s'éloigne du centre de » l'Unité. » Vous nous permettrez, Monsieur le Rédacteur de la Revue Catholique, de vous demander, à vous qui devez être un homme religieux, si vous avez réfléchi et consulté votre conscience en écrivant une pareille phrase. Que vous combattiez les principes de la Doctrine de Vie, nous le concevons ; votre position vous le commande. Mais dire, en parlant de cet ouvrage, qu'il n'a d'intéressant que de montrer dans quelles aberrations on peut se jeter en s'éloignant de ce que vous appelez le centre de l'Unité, n'est-ce pas au moins faire preuve d'une grande légèreté? Car que penseraient de votre jugement ou de votre bonne foi ceux de vos lecteurs qui, piqués par la curiosité, d'après l'intéressant que leur promet votre annonce, voudraient savoir par eux-mêmes quelles sont ces aberrations dont vous leur parlez? Et puis, à quoi bon ces petits moyens? Une feuille religieuse devrait-elle y avoir recours? Agissez plus loyalement : Que cet Opuscule de Swedenborg soit pris pour premier point de discussion ; c'est une proposition que nous vous faisons. Attaquez-le sérieusement; appelez à votre aide, si vous le voulez, tous vos théologiens, et vous verrez bientôt leurs armes se briser contre la pureté de la morale religieuse qu'il renferme. Vous parlez ^aberrations ! Ah !

Si*.

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Monsieur, daignez du moins étudier la question spirituelle, avant de la trancher si lestement; et surtout,, n'employez plus ce terme à.'aberrations en parlant des doctrines de la Nouvelle Jérusalem; car il serait facile de vous prouver que si l'on n'était pas habitué dès l'enfance à vos prédications et aux cérémonies de votre culte, on ne pourrait s'empêcher de rire de toutes celles de vos croyances qui ne sont pas conformes aux principes que renferme la Doctrine de Vie. Quant aux ouvrages mystiques qui paraissent ou qui pourront plus tard paraître, ce n'est pas aux disciples de la Nouvelle Jérusalem à en prendre la défense. Nous avons déjà plus d'une fois montré la similitude qui existe entre notre époque et celle de l'établissement du Christianisme; alors, comme aujourd'hui, le monde était inondé de rapports d'extatiques, de prédictions de tout genre ; on voyait surgir de tous côtés des opinions religieuses qui s'approchaient plus ou moins des vérités de l'Église chrétienne, de même qu'aujourd'hui les nouveaux systèmes qui se produisent peuvent approcher plus ou moins des vérités de la Nouvelle Jérusalem. Mais le Christianisme ne fut pas solidaire de tout ce qui se passait autour de lui; de même !a Nouvelle Jérusalem ne doit pas non plus l'être de tout ce qui se fait et de tout ce qui pourra se faire autour et eu dehors d'elle, quelque rapprochement qu'on puisse d'ailleurs trouver entre les systèmes nouveaux et ses

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doctrines. Nous pourrons, lorsque l'occasion s'en présentera, parler de quelques-uns de ces systèmes; ce sera même pour nous quelquefois un devoir; mais nous déclarons que tous les principes de doctrine de la Nouvelle Église du Seigneur sont invariablement posés dans les écrits du Révélateur moderne, et que tous les efforts des vrais disciples de la Nouvelle Jérusalem tendront toujours à les conserver purs en les préservant de tout alliage.

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LA PRÉTENDUE CHRONOLOGIE DE LA BIBLE ATTAQUÉE PAR LA SCIENCE.

Nous lisons dans un compte rendu de l'Académie des Sciences (séance du 5 octobre 1840,) : « M. Thilorier soumet à l'Académie un travail d'un assez grand intérêt pour la chronologie. Deux textes servent de base à sa discussion, dans laquelle la philologie, l'histoire et l'astronomie se trouvent engagées à la fois. D'un côté, un auteur arabe s'exprime ainsi : « Lors du règne du calife Almamoun, » on trouva gravée sur la grande pyramide une inf) scription qui apprenait l'époque de sa construc» tion ; c'est le temps où la Lyre se trouvait sous le » signe du Cancer. En calculant, on trouve deux » fois trente-six mille ans. » En transformant ces deux fois trente-six mille ans en autant de révolutions synodiques de la lune et en interprétant convenablement l'indication astronomique, le commentateur trouve que la construction de la grande pyramide remonte à quatre mille cinq cents ans avant l'ère chrétienne. D'un autre côté, une légende hiéroglyphique découverte récemment dans une des

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chambres de la grande pyramide, et que M. Thilorier a déchiffrée, dit « que sous le règne de Chéops la n Lyre se levait à midi le jour du solstice d'été. » Partant de ce nouveau texte, l'auteur s'est assuré, au moyen d'une sphère à précession, que sous la latitude-dé Memphis, le phénomène astronomique indiqué par la légende ne pouvait s'être présenté que vers l'an 4500 avant Jésus-Christ. » « Voilà donc deux textes qui s'accordent, grâce à l'élaboration que leur a fait subir l'auteur, mais (ajoute le feuilleton du National, 11 octobre, auquel nous empruntons cet extrait), ils placent la construction de la pyramide juste à l'époque que Moïse assigne à la création du monde, et la chronologie ne peut manquer de s'en alarmer. L'Académie s'est chargée de vérifier les calculs de M. Thilorier. » Nous ne craignons pas, nous, que les calculs de M. Thilorier soient pleinement confirmés par l'Académie. De telles découvertes sont, au contraire, bien intéressantes pour nous, qui savons que le Seigneur les permet aujourd'hui après avoir révélé au monde dans sa Nouvelle Dispensation par le moyen de Swedenborg, que le livre de sa Parole, la Genèse, qu'il a dicté à Moïse, ne contient point une chronologie, mais qu'il a un sens interne spirituel dans lequel les années et les nombres ne signifient point des années et des nombres, mais des états spirituels, leurs progressions et leurs qualités (voir les Ar-

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canes Célestes, Nos 482, 487, 647, 648); que jusqu'au Chapitre XII, c'est-à-dire, jusque vers le temps d'Abraham, ce livre n'est nullement historique comme il le paraît dans le sens de la lettre, que les noms propres non plus ne désignent pas des individus, mais des églises selon leurs qualités, et que ce récit est fait selon le génie des peuples de la Très-Ancienne Église. (Arc. Cet. N° 575 J Lorsqu'on se représente que là les généalogies désignent les filiations successives d'églises particulières, on peut se figurer quelle longue suite de siècles embrasse ce récit. On peut voir, par le Mémorable N° 76, du Traité de Y Amour Conjugal, que la religion égyptienne était une fille de la seconde Église universelle appelée par Swedenborg VÉglise Ancienne, et remontait dans son origine à une époque de cette Église désignée chez les anciens par l'Age d'argent. On voit aussi dans Swedenborg comment cette Église Ancienne dégénérée est devenue la mère de toutes les idolâtries par la corruption de la Science des Correspondances.

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VARIÉTÉS.

I. Les Annales algériennes, par E. Pélissier, capitaine d'état-major, chef de bureau des Arabes à Alger, en 1833 et 1834. — T. IL 1836. — 2me partie. Nous ne sommes pas dans l'habitude de parler des différents ouvrages que l'on publie, même de ceux qui traitent de matières religieuses; car l'important pour nous est de faire connaître les écrits de Swedenborg et de développer les principes de la Nouvelle doctrine que ces écrits renferment; mais l'un de nos frères nous ayant adressé un Extrait des Annales algériennes, nous ne pouvons résister au désir de l'insérer dans notre Revue, en le faisant suivre cependant de quelques réflexions. Au sujet de cette insertion, nous comptons d'autant plus sur l'indulgence de nos lecteurs, que la plupart d'entre eux connaissent l'opinion avantageuse que Sweden-

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borg a souvent émise à l'égard de la race africaine, et savent qu'au renouvellement d'une Église la lumière nouvelle pénètre plus facilement chez les Gentils que chez les peuples de l'Église qui est en dévastation. Ils liront avec plaisir, nous en sommes persuadés, les détails intéressants que cet Extrait nous donne sur les Arabes, et aussi les passages trèsremarquables du Coran qui y sont littéralement cités. Quant aux idées de l'Auteur de cet Extrait, il y en a beaucoup que certes nous ne désavouerions pas, mais aussi il en est d'autres que nous ne pourrions admettre; nos lecteurs sauront facilement distinguer celles qui sont conformes aux principes de notre doctrine, d'avec celles qui ne peuvent s'accorder avec elle; nous nous bornerons donc, dans nos réflexions, à signaler l'erreur capitale dans laquelle est tombé M. Pélissier au sujet du second Avènement du Seigneur. DE LA RELIGION.

« La religion est le lien commun qui unit tous les membres d'une société. Le but de la société, quel qu'il soit, ne peut être ce lien, car quelle qu'en soit la nature, en quelque lieu qu'on le place, chaque membre de la société croira toujours pouvoir l'atteindre par un effort individuel, ce qui tend évidemment à détruire l'association. » Le but de la société sera-t-il la prospérité maté-

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rielle des associés? Dans ce cas, chaque membre agira très-logiquement, lorsqu'après avoir profité pendant un certain temps du travail commun, il cherchera à s'élever seul au point où ceux qui ont travaillé avec lui seront obligés de travailler pour lui. Sera-ce ce qu'on appelle liberté qui sera le but de la société? Alors, comme le vrai moyen d'être parfaitement libre est de se rendre le maître des autres, tout homme énergique et persévérant devrait tendre à la tyrannie. Tout conduirait donc à détruire, ou du moins à fausser les associations, si les membres qui les composent n'avaient d'autre idée commune que le désir même d'arriver au but. » L'école matérialiste s'abuse étrangement lorsqu'elle croit qu'il suffit de bien expliquer aux hommes que leurs efforts isolés ne produisent rien pour les engager à vivre entre eux dans des rapports de fraternité et de morale, et par conséquent dans de vrais rapports d'association. L'expérience nous prouve à chaque instant qu'une foule d'entre nous finissent toujours par se persuader qu'il est infiniment plus avantageux de travailler pour leur propre compte que de s'engager à partager les bénéfices avec les autres. Les friponneries dans le commerce, les crimes dans les entreprises d'industrie, les roueries politiques, les vols par la violence ou par la ruse, ne sont autre chose que des chemins plus directs que prennent certains hommes pour arriver individuellement au but de la société telle que l'entend 32.

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l'école matérialiste. Si les exemples n'en sont pas plus fréquents, si la société n'est pas détruite par cela même que tout le monde veut arriver au but, c'est qu'il y a en circulation, parmi les hommes, des idées générales et généreuses qui sont indépendantes de ce but. Ces idées constituent la religion. Il y a plus d'une espèce de religion : la religion de l'amitié, la religion de la famille, la religion de l'honneur, la religion de la patrie, la religion de la liberté, la religion de Dieu. » La religion de l'honneur est vaine et superbe. Elle a pour base l'orgueil. Elle peut conduire au crime comme à la vertu ; mais tout est grand chez elle. Les autres religions ont pour base la charité, c'est-à-dire, la fusion de plusieurs âmes en une seule. La religion de Dieu les domine et les comprend toutes. C'est l'idée la plus générale et la plus féconde. Le lien le plus puissant est celui qui conduit à l'application la plus étendue de la charité, c'est le lieu des vertus, comme l'espace est le lieu des corps. » La religion de Dieu, ou simplement la religion, est susceptible d'une foule de modifications qui donnent plus ou moins d'étendue à l'idée qui lui sert de base, c'est-à-dire, à la charité, étendent ou resserrent le lien social. » La croyance en plusieurs dieux tend à séparer les hommes en sociétés nombreuses; la croyance en un seul Dieu tend à les réunir dans la même société. » Néanmoins, comme les hommes ont cru long-

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temps que la forme extérieure de leurs rapports avec Dieu était presque aussi importante que le fond, et ont voulu expliquer par la langue défaillante de la raison ce qui n'est que du domaine de la conviction intuitive, il en est résulté de fâcheuses discussions, même entre ceux qui reconnaissent l'unité de Dieu. Ils se sont groupés par sectes, et ces sectes ont été trop souvent des nations ennemies. Mais prises individuellement elles formaient des sociétés complètes, parce que les membres qui les composaient avaient un lien commun, c'est-à-dire, une croyance religieuse. » Plus tard, la raison justement fatiguée de ces discussions oiseuses, dont les résultats étaient quelquefois sanglants, se mit en révolte contre l'abus des croyances religieuses. Mais l'orgueilleuse philosophie ne se contenta pas d'attaquer les abus, elle s'en prit au fond mêmedes croyances. Il en résulta une réaction anti-religieuse qui ne tendait à rien moins qu'à briser le lien social. Toutes les religions furent successivement battues en brèche ; car, en cherchant à saper celle de Dieu, on ébranla les fondements de toutes, même celle de l'honneur, qui en paraît la plus indépendante. En France, où ces attaques eurent le plus de force, elles eurent aussi le plus de succès; l'impiété, pour tromper les hommes, ayant pris le masque séduisant de la liberté, en fit table rase. Tout fut sapé, foulé aux pieds, et quand les hommes furent en face de ce chaos, quand ils virent à nu ce que les

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philosophes appellent la réalité, ils en eurent peur, et voulurent se rejeter dans ce que les philosophes appellent des illusions. » Mais elles ne peuvent point être des illusions ces croyances sacrées qui portent dans leur sein la fécondité et la vie. La vérité, c'est l'existence, c'est ce qui produit, ce qui se meut, ce qui crée, c'est la religion. Le matérialisme est une négation; il ne vit, ni ne se meut, ni ne crée, c'est la mort. Or, pouvezvous expliquer la mort autrement que par des attributs négatifs? La vérité, c'est la religion ; l'illusion, c'est le matérialisme, illusion noire et désespérante. Non, non, la vérité ne peut être où sont l'impuissance et la mort. Il faut des croyances pour créer les sociétés, il en faut pour les conserver. 11 n'est pas une seule institution humaine un peu durable qui n'ait eu pour base un principe religieux. Il n'est pas une action grande et magnanime, une entreprise féconde en grands et immortels résultats, qui n'ait été inspirée par ces sentiments généreux que les hommes de chiffres appellent romanesques parce qu'ils appartiennent à un ordre d'idées qui ne peuvent être comprises par eux. » Rien ne prouve mieux la vanité du matérialisme que l'impuissance des hommes de chiffres. C'est en vain que leur raison se livre à des calculs prodigieux, qu'elle combine toutes les chances; c'est en vain que leur esprit se charge de la connaissance de tous les faits; ils ne peuvent rien créer, rien insti-

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tuer; et à la voix de quelques pêcheurs ignorants, le monde a changé de face ; et partout et en tout temps, ce sont les hommes à croyances vives, à passions énergiques qui conduisent leurs semblables dans les voies nouvelles (1) ; et c'est le peuple, qui ne calcule point, mais qui croit et agit, qui renverse et punit les monarques. » Tout ce qui s'est fait de grand dans le monde a été basé sur une idée morale. Les masses ont soif de croyances. Lorsque le philosophe a eu le malheur de réussir à détruire les siennes, il prend à dégoût, comme le vulgaire, ce néant dans lequel il s'est plongé, et travaille le plus souvent à les recréer une à une. C'est ce que nous faisons chaque jour en France. » Ici l'Auteur trace un tableau de la réaction religieuse depuis la Convention jusqu'à la Révolution de juillet, puis il ajoute : (1) La puissance gouvernementale est en France entre les mains de ceux qu'on appelait autrefois les esprits forts, et qu'on appelle aujourd'hui les hommes positifs, les hommes de chiffres. Il en est dans le monde quelques-uns qui ont encore conserve assez de feu sacré pour arriver presque maigri! eux à des conclusions qui ont quelque chose de moral et de providentiel, mais ils ont alors comme honte de paraître sortir tant soit peu du sentier rocailleux de la matière, où ils se hâtent de rentrer. La commission d'Afrique, dans son rapport, entraînée par la grandeur du sujet, est quelquefois sur le point de se laisser aller à des idées de cette nature ; mais elle se met presque aussitôt aux genoux du public pour le supplier de ne pas la croire capable d'avoir de telles pensées. Cette honte du bien, cette fatuité de réalité sont des travers ridicules et funestes. (Note de l'Auteur.)

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» Le Christianisme et le Mahométisme sont les deux plus puissantes des sectes rivales qui se partagent le monde. Ces deux sectes se trouvent en contact à Alger. Sont-elles un obstacle au rapproché-

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ment des deux races qui les représentent? Je ne le crois point. La tendance à la fusion religieuse, qui est si marquée parmi nous qu'il est impossible de la méconnaître, l'attente du prophète, ne sont point étrangères aux Arabes ; et, chose remarquable, c'est Jésus-Christ qu'ils attendent : Ai'ssa (Jésus-Christ), dit une tradition, doit renaître dans un marabout de Syrie. Pendant quarante ans il parcourra le monde et y fera régner l'abondance et la concorde. Voilà déjà une idée commune entre des Musulmans et les Néochrétiens. Quant aux anciens Chrétiens et aux Musulmans non-progressifs, voyons si leur foi les rend forcément ennemis. » L'Évangile, presque partout, prêche la tolérance; et d'ailleurs, la foi au vieux Christianisme est maintenant trop affaiblie pour croire qu'aux yeux des anciens Chrétiens une différence de religion doive faire naître des sentiments de haine et de répulsion. Quant aux Musulmans, il ne serait point difficile de leur prouver que leur code religieux est bien moins exclusif que beaucoup d'entre eux le supposent : d'abord, le Coran reconnaît Jésus-Christ pour le plus grand prophète, et le regarde comme Musulman. Il le considère comme doué du don des miracles, qu'il dit que Mahomet n'a pas. Il entoure, comme l'Évangile, sa naissance'de circonstances surnaturelles. Ensuite, la fraternité des disciples du Christ et de ceux de Mahomet est autorisée par les passages ci-après :

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» Les Musulmans, les Juifs, les Pai'ens et les Chrétiens qui croiront en Dieu et au jour dernier, et qui auront pratiqué la vertu, seront exempts de la crainte et des tourments.— Surate V. vers. 74. » Certainement les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens et les Païens qui croiront en Dieu et à la vie future, et qui feront le bien, en recevront la récompense de ses mains ; ils seront exempts de la crainte et des supplices.— Surate II. vers. 59. » Nous avons prescrit à chaque peuple ses rites sacrés. Qu'ils les observent et qu'ils ne disputent point sur la religion.— Surate XXII. vers. 66. » Ne faites point de violence aux hommes à cause de leur foi.— Surate II. vers. 256. » Ne disputez avec les Juifs et les Chrétiens qu'en termes honnêtes et modérés. — Surate XXIX. vers. 145. » Nous croyons à la doctrine de Jésus et des prophètes; nous ne mettons aucune diiférence entre eux.— Surate II. vers. 129 et 130. » L'Évangile est le flambeau de la foi, et il met le sceau aux anciennes Écritures. Ce Livre éclaire et instruit ceux qui craignent le Seigneur. Les Chrétiens seront jugés d'après l'Évangile, ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs. — Surate III. vers. 77. » On pourrait augmenter à l'infini les citations de cette nature. Mais je sais fort bien que chez les Musulmans, comme chez nous, bien des commentateurs

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n'ont pas été aussi tolérants que la loi. Au reste, ces commentateurs sont peu connus du vulgaire qui ne lit que le Coran, que malheureusement, il est vrai, il ne comprend pas toujours. Néanmoins, quand on appelle l'attention d'un Arabe sur un de ces passages remarquables, et qu'on lui dit qu'il recommande évidemment la fraternité entre toutes les sectes, il réfléchit un instant et finit par dire : Vous avez raison. « M. Allegro, étant chez les Hadjoutes, a eu de nombreuses controverses à ce sujet et en a rangé plus d'un à son avis. » II serait infiniment utile de publier un petit ouvrage qui mettrait toutes ces vérités en lumière pour le public musulman, et qui tendrait à établir que les Chrétiens et les disciples du Coran sont des frères qu'un fâcheux malentendu a séparés trop longtemps. Cet ouvrage devrait être fait par un Chrétien; car s'il sortait de la plume d'un Musulman, on pourrait le croire inspiré par les séductions de l'autorité. Mais il serait bon de le communiquer, avant de le publier, à quelque marabout éclairé que l'on engagerait, par des moyens convenables, à l'appuyer en temps opportun avec adresse et circonspection. Il faudrait qu'il laissât entrevoir l'aurore de la foi nouvelle qui doit réunir toutes les sectes dans une même croyance. Il s'étayerait pour cela de la tradition de la seconde Venue de Jésus-Christ, dont nous avons parlé plus haut, et de plusieurs passages du Coran qui prouvent que d'autres prophètes peuvent suivre

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ceux qui sont déjà venus. Ces passages sont assez nombreux. Il en est un qui parle de l'assemblée universelle, c'est-à-dire, de la fusion de toutes les sectes. On le trouve dans la Surate XVIII. Il est assez obscur, mais il peut, en se combinant avec d'autres, produire de l'effet. » Ce livre serait une œuvre méritoire. Ce serait un des sentiers droits qu'il faut préparer au prophète. Celui qui en serait l'auteur aurait des droits à la reconnaissance des hommes. Il suivrait le précepte du Coran qui défend de rester assis sans gloire et sans vertu. Le gouvernement, qui a à sa disposition tant d'orientalistes distingués, devrait donner l'impulsion à cette publication ; mais pour qu'elle portât tous ses fruits, celui qui s'en chargerait devrait être un homme de croyance et d'avenir, bien pénétré de l'importance et de la sainteté de l'entreprise. » Les Arabes, hommes à foi vive, sont persuadés qu'il vaut encore mieux avoir une mauvaise religion que de ne pas en avoir du tout. L'indifférence que nous aifectons sur cette matière les étonne; et s'ils y voient une garantie de tolérance, il faut dire qu'elle est d'un autre côté une des causes qui diminuent leur estime pour nous. Mais disons aussi, avec l'impartialité que nous cherchons à mettre en tout, que cette indifférence si condamnable, et que nous sommes si loin de partager, a eu cependant pour résultat avantageux de réconcilier en quelque sorte les Arabes avec l'idée du Christianisme. Car en parlant des

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Français ils ne disent pas : // est fâcheux qu'Us soient Chrétiens, mais ils disent : // est fâcheux qu'ils ne soient pas même Chrétiens ! Ils en sont donc à désirer qu'il y ait chez nous un principe religieux. Ce principe, il faut le leur offrir. Et puisqu'ils sont venus au point de désirer que ce fût au moins le Christianisme, ils seraient agréablement surpris de voir surgir parmi nous une croyance progressive et de fusion. Les relations continuelles qui ont lieu depuis quelques années entre le monde chrétien et le monde musulman ont agrandi la sphère des idées des hommes. L'Europe, dans son orgueil scientifique, ne croit plus qu'elle est la seule partie intelligente du globe ; les peuples de l'Orient, dans leur orgueil barbare, ne se croient plus les seuls qui méritent que Dieu jette les regards sur eux. Il y a de part et d'autre un instinct et un besoin de rapprochement. Afin qu'il n'y ait ni froissement, ni violence, le prophète naîtra d'un mariage mixte. Il sera Chrétien par son père et Musulman par sa mère. En attendant sa venue, faisons-lui des sentiers droits. Ne choquons point les indigènes dans leurs croyances, mais n'affichons plus une indifférence qui a produit tout le peu de bien qu'elle pouvait produire, et qui, poussée plus loin, serait dangereuse. » On voit que l'Auteur de cet Extrait est aussi, lui, dans l'attente d'un prophète; il est vrai qu'il ne dit pas positivement que le prophète sera Jésus-Christ dans un second Avènement, mais il va plus loin que

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ceux qui sont dans son attente, en déclarant que le Précurseur du Prophète a déjà paru et qu'il vit parmi nous, ce qui est annoncer en d'autres termes que la régénération actuelle verra le Prophète. Mais avant d'aller plus loin nous avons aussi nous-mêmes à faire une déclaration : c'est que nos doctrines sur le second Avènement du Seigneur n'ont rien de commun avec celles des Néochréliens que cite M. Pélissier, lorsqu'il dit : « Les Arabes atlen- ' » dent Jésus-Christ qui doit renaître ; voilà une idée » commune entre des Musulmans et les Néochrè» tiens. » Cette déclaration, nous ne la faisons que pour ceux qui ne connaîtraient pas nos doctrines, et qui pourraient confondre les Chrétiens de la Nouvelle Église du Seigneur Jésus-Christ avec les Néochrétiens; car du reste il suffit d'avoir ouvert un Traité de Swedenborg pour savoir que par l'Avènement du Seigneur dans les nuées du Ciel, il faut entendre une Nouvelle Dispensation de vérités divines par la Révélation du sens interne de la Parole, Révélation qui a été faite. • Que les Néochrétiens soient encore dans l'attente de l'Avènement de Jésus-Christ dans la chair, comme les Chrétiens de la Vieille Église l'attendent sur les nuées du Ciel, libre aux uns et aux autres; les Juifs attendent bien encore le Messie, quoiqu'il se soit déjà écoulé plus de dix-huit siècles depuis sa venue; mais pour nous qui avons l'inappréciable bonheur de connaître les écrits de Swedenborg, nous

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croyons fermement que le Seigneur Jésus-Christ, seul Dieu du Ciel et de la terre, est venu, selon ses promesses, visiter le monde une seconde fois, non en chair, non sur les nuées du Ciel, mais spirituellement, en mettant l'humanité en possession du complément des vérités divines, avec lequel seul elle peut parvenir aux hautes destinées qui lui ont élé réservées. Par suite de ce second Avènement du Seigneur, le monde a déjà commencé à se transformer; et, de même qu'après le premier Avènement, il continuera à se transformer avec des secousses plus ou moins vives, qui seront produites, non par l'introduction du bien et du vrai, mais par la ténacité du mal et du faux à conserver leur position. Cette transformation ne s'opérera donc pas comme par un coup de baguette, ainsi que semblent le croire beaucoup de personnes, mais elle sera pour ainsi dire inaperçue par les générations qui la subiront; c'est d'ailleurs ce que constate déjà l'histoire contemporaine, et la génération actuelle en offre elle-même une preuve vivante. II y a, selon nos doctrines, près d'un siècle que le second Avènement du Seigneur a eu lieu; or, n'estce pas précisément depuis cette époque que tout a été remis en question, que le vieux monde a été sapé dans tous ses fondements, qu'un monde nouveau est en travail pour se produire au milieu de tant de décombres? Déjà trois générations sont passées, et ce33.

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pendant aucune de ces générations n'a eu une perception claire du but où tend l'humanité; tous ceux qui ont travaillé n'ont été que de simples manœuvres, les uns démolissant, les autres déblayant; d'autres, mais en plus petit nombre, préparant ou posant quelques pierres plus ou inoins grosses, pour les fondations de l'édifice nouveau dont l'Architecte suprême connaît seul le plan. Nous, manœuvres de la quatrième génération, nous voyons, il est vrai, les travaux de nos devanciers; nous voyons que le vieil édifice ne reste debout dans quelques-unes de ses parties que pour abriter les hommes, en attendant que le nouveau puisse les recevoir; nous voyons que tout craque, que tout menace ruine; mais nous n'apercevons pas encore le nouvel édifice ; il n'est pas encore assez avancé dans sa construction pour que nous puissions en saisir l'ordonnance, et nous continuerons à préparer et à poser des pierres; ainsi feront aussi nos neveux, jusqu'à ce qu'enfin l'édifice soit assez avancé pour présenter à la vue émerveillée ses formes majestueuses. L'erreur de M. Pélissier est partagée par un grand nombre de cœurs généreux. A l'aspect du chaos dans lequel nous sommes, on a de la peine à croire que MOUS puissions en sortir sans une intervention directe de la Divinité; et l'on ne -réfléchit pas que Dieu a créé l'homme libre, et qu'il contreviendrait aux lois de son Ordre Divin s'il contraignait la liberté humaine. Si ces hommes généreux consentaient à

LES AXXALES ALGÉRIENXES.

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prendre connaissance des vérités de la Nouvelle Dispensation, ils verraient que, pour renouveler le Monde, Dieu n'a pas besoin de se faire Homme une seconde fois; qu'il lui suffira de préparer les cœurs par son influx et d'y faire ainsi pénétrer, sans aucune contrainte, les vérités qu'il a révélées par son second Avènement, qui devait être et qui fut tout spirituel; ils verraient que les vérités renfermées dans le sens spirituel de sa Parole, et maintenant dévoilées, transformeront successivement la société humaine comme les vérités du sens littéral de l'Évangile ont transformé le monde païen. « Un prophète, dit M. Pélissier, est celui qui est n destiné par la Providence à formuler les besoins » vagues, les idées confuses, qui agitent les hommes » à certaines époques, à les formuler d'une manière » tellement lucide que chacun puisse dire : Oui, » voilà ce que je veux et ce que je crois. «Nous répondrons à M. Pélissier que jamais prophète n'a trouvé chez ses contemporains cette disposition à vouloir et à croire, ni à plus forte raison cette unanimité, et que c'est pour cela que tous les prophètes ont été méprisés, hués et lapidés par ceux qu'ils voulaient éclairer et sauver; il en a toujours été ainsi, et il en sera toujours de même tant que l'humanité ne sera pas définitivement rentrée dans l'ordre primitif qu'elle a détruit par la chute. Mais nous ajouterons que dès l'instant où tous les esprits auront été suffisamment préparés par le Seigneur, chacun coin-

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LES ANNALES ALGÉRIENNES.

prendra le sens interne des Livres Saints, et dira : Oui, voilà ce que je veux et ce que je crois. D'ailleurs, si M. Pélissier eût porté ses regards sur le revers de sa médaille, il connaît trop le cœur humain, tel qu'il est maintenant, pour qu'il n'eût pas compris qu'un prophète n'aurait de nos jours aucune chance de réussir. Quiconque veut réfléchir sur ce point reconnaîtra facilement que si Dieu Lui-Même venait de nouveau sur notre terre, il y serait méconnu comme à son premier'Avènement; que les Princes des prêtres, les Pharisiens, les Docteurs de la loi et les Scribes de nos temps modernes refuseraient de le reconnaître; que s'il faisait des miracles, ses miracles seraient traités par eux d'œuvres diaboliques ; qu'ils l'appelleraient Lui-Mème, comme la première fois, Béelzébub ; et qu'ils Le condamneraient de nouveau à la mort comme perturbateur du repos public et corrupteur du peuple. En effet, supposer que Dieu descende une seconde fois sur la terre, c'est admettre implicitement qu'il y reviendra pour détruire les abus qui s'y commettent en son nom, et dès lors peut-on présumer que ceux qui vivent de ces abus, et qui font tant d'efforts pour les maintenir, changeraient subitement de conduite à la voix d'un homme qui se dirait Dieu ? Peut-on présumer qu'ils rejetteraient ces abus pour embrasser la vraie doctrine évangélique? Toute l'histoire du passé et celle même du présent prouvent indubitablement le contraire.

389 II. M. Lunes Fox, membre du Parlement d'Angleterre, et les Rébeccaltes. On convient généralement qu'il s'opère aujourd'hvi dans la vieille Europe un mouvement religieux; les uns le saluent avec des cris d'allégresse; d'autres, au contraire, tout en reconnaissant les bienfaits que la religion procure aux hommes, ne sont pas sans inquiétude lorsqu'ils portent leurs regards sur le passé; les guerres religieuses ont présenté jusqu'à présent un caractère si odieux, si atroce, que ces derniers ne peuvent se défendre d'un sentiment do crainte, à l'idée de voir les peuples s'occuper de nouveau des questions religieuses. Celte crainte, il est vrai, paraît illusoire aux yeux de ceux qui ont une confiance sans bornes dans la civilisation actuelle, et qui croient que les questions religieuses ne peuvent plus, dans ce siècle de lumières, reprendre le caractère qu'elles ont eu dans des temps de barbarie; mais ceux-ci pourraient fort bien se tromper. Le fanatisme est de tous les temps et de tous les lieux; c'est un des fruits de la chute, et il ne disparaîtra que lorsque l'humanité aura été entièrement réhabilitée; il ne meurt pas, il sommeille quelquefois, ou plutôt, semblable au phénix, il renaît de ses cendres, mais alors avec des forces plus grandes et 33*.

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DO FANATISME RELIGIEUX.

une énergie plus atroce; chassez-le de la religion, il se réfugie dans la politique; faites-le disparaître de la politique, il reviendra dans la religion. Or, comme le fanatisme politique perd chaque jour de son énergie et semble sur le point d'expirer, si l'on ne se tient pas sur ses gardes, si ceux qui sont chargés par état d'enseigner la religion aux peuples ne se hâtent de s'instruire eux-mêmes des véritables principes du Christianisme, afin de les inculquer à ceux qu'ils dirigent, le fanatisme religieux reparaîtra, escorté de toutes les cruautés et de toutes les abominations que l'histoire a enregistrées. Qu'on lise attentivement les pièces qui suivent, quelque bouffonnes qu'elles soient, et l'on verra que si les discussions politiques faisaient place aux questions religieuses, il ne manquerait pas d'hommes prêts à soulever les masses, au nom du Christ, pour se baigner dans le sang de leurs frères. M. Lanes Fox, membre de la chambre des communes, a prononcé à l'une des dernières séances le discours suivant, que la Phalange du 25 juin a cru devoir donner en entier, tant il est extraordinaire. Nous le reproduisons tel qu'il est traduit dans ce Journal, sans en rien retrancher : « Mon motif pour exposer devant la chambre mes opinions sur l'état présent de l'Irlande est que je suis fermement convaincu que notre glorieuse constitution protestante, à laquelle l'acte de 1829 a fait une si large brèche, est aussi bien la loi de Dieu que celle

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qui fut donnée aux Juifs sur le mont Sinaï. C'est mon opinion, et j'en appelle aux Écritures. Je suis, comme le ministre de l'intérieur, d'avis que la conciliation, à l'égard de l'Irlande, est épuisée. Le Christ Lui-Même a dit qu'il faut tirer le glaive pour la défense de l'Église ; et, à mon avis, il est temps d'en venir aux armes. Le Christ a dit à ses disciples : « Que celui qui n'a pas de glaive vende sa besace pour en acheter un.» — Le temps est venu de tirer le glaive. Le prophète Ésai'e a dit : « Vois mon ser» viteur, celui que je soutiens, mon élu dans lequel » mon âme se délecte. J'ai mis mon esprit en lui, » et il ira parmi les Gentils. Il ne poussera point de » cris, il ne fera point entendre sa voix dans les » rues; il ne brisera pas un roseau, il n'agitera point » la flamme de la cire qui brûle. » Eh bien ! y a-t-il dans les îles Britanniques un homme assez ignorant pour ne pas voir que le prophète parlait du jour où l'Angleterre devait secouer le joug de Rome par la révolution de 1688? Je maintiens que cela ne peut pas se rapporter à autre chose. Puisque j'ai commencé, il faut que je dise à la Chambre ce que je pense de Rome; et, pour cela, je dois appeler l'attention sur la première révolution française, dans laquelle la France rejeta la Religion chrétienne tout entière, et à la suite de laquelle les soldats se donnèrent pour conquérant leur général. Cet homme est mentionné dans l'Écriture comme une des têtes de la Bête de l'Apocalypse, c'est-à-dire, de Rome. Faites

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bien attention. Rome était la puissance sous laquelle la nation israélite était.en sujétion au temps de la venue du Sauveur. L'Écriture dit qu'il viendra huit rois. Il y en avait un du temps de la première prédication de l'Évangile. Il n'y a pas de puissance dans l'histoire qui ait eu autant de formes différentes de gouvernement que Rome. Les Romains ont eu des rois, des consuls, des décemvirs, des dictateurs, des triumvirs et des empereurs. » Suivez bien mon raisonnement. Je veux prouver que l'Empereur des Français était la septième tête de la bête, ou de Rome. Il adopta la forme du gouvernement consulaire, et prit l'aigle romaine pour emblème; elles autres rois ayant été des païens, il se fit également pai'en, et il reconnut Mars, le Dieu de la guerre. Mais il fut bientôt entraîné en captivité par le Dieu d'Israël ; et Mars, le dieu qu'il avait adoré, le laissa se tirer d'affaire comme il pourrait. Si la Chambre veut me permettre de continuer, je lui dirai que Rome est aujourd'hui plus terrible qu'elle ne l'était quand elle fut couvée par la louve, la vieille nourrice de Romulus et Rémus. On m'appelle enragé, mais je vous rappellerai une anecdote du bon vieux roi Georges III, auquel ses courtisans disaient que lord Nels.on était enragé. Sa Majesté répondit : Plût à Dieu qu'il mordît quelques-uns de mes amiraux ! Il faut que j'expose mon opinion sur l'avenir de l'Église d'Angleterre : Après la transfiguration, faites bien attention à ce que je vous dis, et souvenez-vous

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de la réponse qui fut faite aux Scribes : « Élie viendra d'abord et rétablira toute chose. » Ceci fut dit après la décollation de saint Jean-Baptiste. Soyez sûrs qu'Élie n'est pas loin. Je vais vous dire d'où il viendra, et comment il viendra. Il y a une opinion dans le monde, selon laquelle la race d'Israël n'est pas tout entière déchue de la grâce. Le Seigneur a .dit : « Je les enverrai dans les îles lointaines, et ils proclameront ma gloire parmi les Gentils ! » C'est dans ces îles britanniques où l'Église protestante a été plantée, que se trouveront ces Israélites. Quand cette abomination des abominations, l'émancipation des catholiques, fut votée par le parlement, lord Eldon, le gardien de la conscience du roi, dit que si cette mesure devenait loi, le soleil de l'Angleterre serait éclipsé. Et vraiment ce soleil a été obscurci par des ténèbres effroyables ; mais si l'émancipation est rappelée, il brillera plus glorieusement que jamais. La puissance des ténèbres... (Ici un des amis de l'orateur le prend par son habit et le force à se rasseoir au milieu d'une hilarité inextinguible de tous les côtés de la Chambre.) » Ce même M. Lanes Fox, non content d'avoir prononcé un pareil discours en plein parlement, écrit de Saint-James Square, 3, le 22 juin, à l'éditeur du Times, la lettre suivante, dont nous reproduisons la traduction d'après le même Journal : « Monsieur O'Connell dit au peuple irlandais qu'il n'est pas un homme de bataille ; eh bien ! je vous di-

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rai, moi, pour l'instruction du peuple anglais, que je suis un homme de bataille, et qu'il ne se passera pas longtemps sans que je nage dans le sang des infidèles bouillonnant jusqu'aux reins de mon coursier. Quelques gens diront que ce n'est pas là le langage de l'Écriture, et moi je dis que l'Écriture à chaque page le commande. J'ai prouvé à la Chambre des communes que l'élu d'Israël, le rejeton de ces hommes qui les premiers ont cru à l'Évangile est parmi nous, et qu'à lui appartient l'interprétation de la Parole de Dieu. Il y a en Angleterre des milliers de lionceaux vigoureux et hardis qui, au premier signal, s'élanceraient au combat. Nous irions prendre nos frères infidèles par la main ; nous les reconduirions sur leur terre natale, et bientôt serait réduit an silence le papisme naissant de l'école d'Oxfort. J'ai revêtu jusqu'ici la robe de la folie : sous ce déguisement j'ai sondé le cœur de nos gouvernants, et je n'y ai rien trouvé. Je renonce à la folie, et je suis la preuve vivante de ce que dit saint Paul : « Que la folie de Dieu est plus sage que la sagesse du monde. » Des intérêts pourront être choqués; eh bien ! qu'ils le soient, et damnation sur eux ! » On dira sans doute aussi que M. Lanes Fox, quoique membre du parlement, est un fou, et qu'il ne réunirait pas dix personnes autour de lui ; soit, si l'on parle du moment actuel; mais qu'on se reporte par la pensée à un moment où les questions religieuses, longtemps débattues, auraient irrité les esprits,

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où l'on serait prêt à en venir aux mains, et que l'on dise si alors des hommes tels que M. Fox, s'appuyant sur la lettre de l'Écriture, éprouveraient beaucoup de difficultés à réunir autour d'eux une foule de fanatiques tout disposés à exécuter leurs ordres ! Mais il nous reste encore une pièce à faire connaître avant d'indiquer le seul moyen qui peut garantir l'Europe d'un nouveau fanastisme religieux. Toute la presse retentit aujourd'hui des exploits des Rébeccaïtes, ces briseurs de portes et de barrières ; mais on ignorait qu'ils s'appuient aussi, eux, sur le texte de l'Écriture; c'est ce que nous apprend une lettre de Carmarthen, que nous trouvons dans la Démocratie pacifique (ancienne Phalange] : « Les excès que commettent chaque jours les Rébeccaïtes prennent un caractère de plus en plus grave. Ils ont, ces jours derniers, abattu deux barrières entre Uandillo et Emswarts. Hier matin, vers une heure, des ouvriers mineurs, faisant partie de la bande de Rébecca, ont cerné la maison de M. Thomas, propriétaire des mines à Emswarts. Les Rébeccaïtes avaient fait partir une fusée comme signal, ils ont tiré un coup de fusil; mais, au bout d'une heure, ils se sont retirés sans avoir fait aucune manifestation. Le lendemain, on a trouvé, attachée à la porte, une lettre ainsi conçue : « Renvoyez un de vos inspcc» leurs. Dites à votre femme et à vos filles de ne pas » tant parler des Rébeccaïtes. Quant à votre fils, c'est » un homme signalé. Mardi dans la nuit nous revien-

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» drons. » Les Rébeccaïtes prétendent excuser leur brigandage, en citant le XXI Vme Chapitre de la Genèse, Vers. 60 (1). Certains ministres des sectes dissidentes les ont, dit-on, encouragés. Un magistrat avait envoyé à tous les ministres dissidents une circulaire, pour inviter à exhorter les fidèles au respect des lois ; mais ils ont répondu qu'ils n'osaient point.» Le seul moyen qui puisse préserver l'humanité des divers excès qui ont été jusqu'à présent commis au nom de la religion, c'est celui que la miséricorde du Seigneur a donné aux hommes par son second Avènement, lorsqu'il a levé les sceaux placés sur les Livres Saints, en dévoilant leur sens interne. Il y a bientôt un siècle que ce sens est révélé, qu'il a été publié dans la langue que tous les ecclésiastiques et tous les savants de la Chrétienté connaissent, qu'il a été adressé par le Révélateur aux prélats, aux académies, aux bibliothèques publiques; et les Princes des prêtres, et les Pharisiens, et les Docteurs de la loi, et les Scribes, n'en ont fait aucun cas et l'ont rejeté. Etpourquoi? Parce qu'ils observent l'Évangile comme leurs prédécesseurs de la Judée observaient la loi de Moïse; parce qu'ils tiennent plus à leurs Traditions qu'à la Loi Divine. N'y a-t-il donc pas déjà eu assez de sang de versé au nom d'un Dieu de paix? Ne l'a-t-on pas assez outragé, en prétendant venger sa cause, (1) « Et ils bénirent Rébecca, et ils dirent : Tu es notre Sœur, sois en milliers de Myriade, et que ta postérité possède la porte de ses ennemis. > — Gen. XXIV. 60.

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comme si le Dieu qui est tout amour pouvait exiger la vengeance? Faut-il que les peuples s'entr'égorgent encore, Içrsqu'il serait si facile de les éclairer en leur faisant connaître la doctrine de charité et d'amour que le Seigneur Jésus-Christ a révélée, pour sauver encore une fois le genre humain d'une ruine imminente? Prêtres de toutes les Communions chrétiennes, s'il est encore répandu du sang au nom de la religion, vous assumez sur vos têtes la plus terrible responsabilité; vous serez bien plus coupables que tous vos prédécesseurs, car eux du moins, ignoraient que la Parole renferme dans le sens de sa lettre un sens spirituel, tandis que vous, si vous ne connaissez pas ce sens, c'est parce que vous ne voulez pas le connaître. Quand tous les jours vous présentez le peuple juif comme le modèle des peuples en le nommant le peuple de Dieu, comment voulez-vous que, dans un moment d'effervescence et de collision, ceux qui ont eu confiance en vos paroles ne préten- • dent pas excuser leurs déprédations ou leurs brigandages en s'appuyant sur les actions de ce peuple infâme qui fut le plus cruel et le plus féroce de tous les peuples? Quand vous leur vantez tous les jours les patriarches, comment pourrez-vous les retenir, s'ils viennent vous citer l'exemple des patriarches à l'appui d'une mauvaise action qu'ils voudront commettre? Quand vous leur recommanderez de ne pas se venger de leurs ennemis, qu'aurez-vous à leur répondre, s'ils vous disent que David, dans ses Psau3/4.

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mes, ne cesse d'appeler la malédiction de Dieu sur ses ennemis, et de montrer envers eux les sentiments de la vengeance la plus implacable? Vous leur citerez sans doute d'autres passages où le pardon des injures est recommandé; mais pensez-vous qu'ils vous écoutent et se rendent à vos exhortations? Passages pour passages, ils préféreront toujours s'en rapporter à ceux qui paraissent conformes à leurs passions. Tant que les Ministres de la religion s'en tiendront au seul sens de la lettre, le premier venu pourra toujours leur fermer la bouche, lorsqu'ils voudront le ramener à des sentiments d'humanité et de miséricorde; mais que, sans abandonner le sens littéral, ils étudient, reconnaissent et répandent le sens interne qui l'explique, et alors ils n'ont pas à craindre que leurs auditeurs deviennent des fanatiques. Eu agissant ainsi, ils concilieraient et feraient disparaître avec la plus grande facilité les contradictions •du Livre Saint, qui toutes ne sont qu'apparentes, et l'on ne verrait plus des Chrétiens chercher à excuser leurs mauvaises actions en s'appuyant sur des passages de la Bible. Loin de prendre des personnes de l'Ancien Testament pour modèles, on reconnaîtrait que la plupart de ceux mêmes qu'on a le plus respectés, n'étaient que des hommes adonnés aux plus basses passions, ne songeant qu'aux jouissances terrestres, et ne faisant consister la religion que dans les pratiques extérieures du culte; on saurait que si

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les enfants d'Israël ont été appelés le peuple de Dieu, ce n'est pas qu'ils valussent mieux que les autres peuples, car leur histoire elle-même, racontée dans la Bible, prouve au contraire qu'ils valaient beaucoup moins; on connaîtrait enfin les véritables causes qui les ont fait choisir pour être dépositaires de la Parole de Dieu, et dès lors on ne serait plus tenté d'imiter le zèle fanatique de ce peuple.

NOTES ADDITIONNELLES. .NOTE 2 DE LA PAGE

1".

Prospectus de la REVUE (la Nouvelle Jérusalem.) Toute publication, pour être bien accueillie du public, doit nécessairement présenter certaines idées neuves ; mais si elle renferme, en outre, un grand but humanitaire, alors, quelle que soit la force des préjugés qu'il lui faudra combattre, elle parviendra d'abord à les affaiblir et finira par les vaincre. Telle sera, nous devons l'espérer, la destinée de celle que nous annonçons sous le titre de Nouvelle Jérusalem. Quiconque réfléchit sur la position actuelle des sociétés humaines voit, à n'en pas douter, que l'ordre qui semble régner chez elles n'est en réalité qu'un désordre permanent, et que si l'individualisme qui les ronge n'était pas arrêté dans sa marche effrayante, elles finiraient toutes par tomber, à la moindre secousse, dans une complète dissolution. C'est en vain que les publicistes redoublent d'efforts pour découvrir le vrai remède; ils n'ont encore trouvé jusqu'ici que des palliatifs, et cependant la gangrène continue à faire de rapides progrès. Les publicistes ont échoué; et, malgré de nouvelles tentatives, ils échoueront encore, parce que faisant principalement consister leur science à mettre les passions humaines en action, ils agissent avec les vues plus ou moins étroites de l'esprit de caste ou de parti, en cherchant, soit à conserver ce qui existe, s'il leur est favorable, soit à le détruire, s'il leur semble nuisible; de sorte qu'ils ne peuvent que conserver les intérêts anciens, ou les remplacer par des intérêts nouveaux, et la cause désorganisatrice survit toujours aux secousses qu'ils ont provoquées. Ce n'est pas le triomphe de telle ou telle forme de gou-

401 vernement qui pourra constituer les sociétés dans leur véritable élat normal; car la victoire d'un parti sur un autre, lors même que le parti vaincu serait totalement anéanti, ne parviendrait pas à détruire l'individualisme, et ce fléau social continuant à exister, le parti victorieux serait bientôt la proie de cette même guerre intestine qu; mine depuis si longtemps ces sociétés. Les mouvements politiques seront donc toujours impuissants pour procurer à l'humanité ce bonheur futur qu'elle entrevoit et qu'elle ne sait comment atteindre. La grande question humanitaire sera résolue, non par la découverte d'une forme nouvelle de gouvernement, mais par la découverte, bien autrement importante, des moyens de réformer et de régénérer l'homme; car l'être collectif, nommé société ou nation, ne pourra se constituer régulièrement et définitivement que lorsque l'être particulier, nommé homme, aura été lui-même replacé dans l'ordre. En effet, lorsque le désordre existe dans chacune des parties, il est impossible que l'ordre puisse exister dans le tout Tel est l'homme, telle est la société. Si les gouvernements sont égoïstes, c'est parce que les gouvernés le sont. Que les hommes commencent d'abord par se réformer, et ils n'auront pas besoin de courir la carrière des révolutions pour obtenir une forme de gouvernement qui réponde à leurs vœux; elle sera contrainte par la force des choses de se présenter d'elle-même. Quel est donc le levier capable de remuer le cœur humain pour replacer l'homme dans l'ordre, et sauver ainsi l'humanité entière du précipice dans lequel elle est entraînée ? Nous répondrons sans hésiter:G'est la Religion; et c'est elle seule, parce qu'il n'est donné qu'à elle seule de pouvoir pacifier les sociétés modernes, en les régénérant dans leurs chefs et dans leurs membres, et en les unissant toutes par les devoirs d'une bienveillance mutuelle.

34»,

402 Naguère, un semblable aveu eut certainement été mal reçu; aujourd'hui, gouvernants et gouvernés, tous sentent le besoin d'une religion; tous avouent que l'égoïsme, en brisant les liens qui rattachent les hommes entre eux, les a tous isolés, et que sans une religion en rapport avec l'état de la civilisation actuelle, il serait impossible de déraciner cette funeste passion, et de ramener l'union et la concorde sur cette terre. Qu'on ne nous confonde pas, cependant, avec ceux qui ont fait ou qui veulent faire des essais de religion. Les uns ont été poussés par le désir de faire partager aux hommes leurs conceptions, les autres ont agi en haine des pouvoirs ecclésiastiques existants, d'autres, enfin, ont pu avoir en vue des intérêts politiques ou quelques autres intérêts humains. Kous ne sommes mus par aucun de ces motifs. Les hautes vérités qui seront successivement développées dans cette Publication, ne sont pas le produit d'une conception humaine; aussi n'avons-nous pas pour chef un homme. La Religion que nous professons est toute divine; c'est le Christianisme dans sa pureté primitive, s'emparant de la civilisation moderne, pour l'épurer elle-même, et pour la diriger ensuite dans les voies qu'elle doit parcourir pour atteindre le degré de prospérité qui lui est destiné. En considérant l'impuissance des diverses Communions chrétiennes pour détruire l'individualisme, certaines sommités intellectuelles ont cru que le Christianisme était insuffisant; et, parce qu'on voit ces Communions se débattre dans une longue agonie, on se persuade qu'il a fait son temps. Non, le Christianisme n'est pas insuffisant; non, il n'a pas fait son temps. Si, depuis quinze siècles, il a été successivement détourné de sa véritable route par les passions humaines qui l'ont exploité à leur profit, il n'en subsiste pas moins encore en principe; et, pour qu'il apparaisse aux hommes dans toute sa beauté et dans toute sa puissance ré-

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génératrice, il suffira de le montrer tel qu'il est réellement, c'est-à-dire, dégagé des erreurs et des superstitions qui l'ont rendu méconnaissable. Mais le difficile, nous dira-t-on, c'est de dégager le Christianisme de toutes les erreurs qui le souillent; comment y parvenir? vous ne pourrez avoir recours qu'au Livre Saint; et comme il résulte de faits multipliés, qu'on l'a jusqu'ici interprété de plusieurs manières bien différentes, chaque Communion chrétienne pourra, à votre interprétation, opposer celle sur laquelle elle s'appuie, pour poser comme vrai ce que vous prétendrez être faux; qui donc jugera? — Nous pourrions répondre : Le bon sens public; car lorsque la Doctrine de la Nouvelle Jérusalem sera exposée, il sera facile, en la comparant aux doctrines des autres Communions, de se convaincre que si celles-ci sont impuissantes pour régénérer l'homme et par suite la société, celle des Novi-Jérusalémites offre, au contraire, tous les éléments nécessaires pour obtenir cette régénération, but unique et seule pierre de louche de la vraie religion. Mais laissant de côté cet argument qui ne saurait avoir de force que pour ceux qui connaissent déjà la Doctrine de la Nouvelle Jérusalem, nous dirons : Les temps sont enfin accomplis! le sceau qui avait été mis par Dieu sur les Livres Saints est levé, et la vérité peut désormais apparaître aux yeux de quiconque désirera de bonne foi la connaître. Qu'on nous permette ici une digression indispensable. Au milieu du siècle dernier vivait en Suède un homme qui, par la pureté de ses mœurs et la supériorité de ses connaissances, s'était acquis l'estime et l'admiration du monde savant. Après avoir étonné ses concitoyens par ses écrits scientifiques, Swedenborg tombe en extase, reste 27 ans dans cet état extraordinaire, rend compte dans de nombreux ouvrages de tout ce qu'il a vu et entendu, et déclare à ses amis, au lit de la mort, que ses écrits extatiques renferment

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la vérité dans toute sa pureté. Son siècle ne l'a pas compris et ne pouvait pas le comprendre; il était occupé à démolir, tandis que lui, instrument de la Divinité, reconstruisait, dans le 'silence, sur ses véritables bases, le nouvel édifice religieux destiné à replacer l'homme dans son état normal, et à le ramener au bonheur. D'ailleurs, comment Swedenborg aurait-il été compris par son siècle? Connaissait-on alors la théorie importante de l'extase, sans laquelle la science chercherait en vain à se rendre raison des faits surprenants qu'il rapporte? On n'étudie sérieusement l'extase que depuis peu, et surtout depuis qu'on a reconnu que les principes des sciences nouvelles qui font aujourd'hui l'occupation des savants, avaient été posés d'une manière précise, dans les écrits extatiques de l'illustre Suédois, bien avant l'époque où ces sciences sont censées avoir été découvertes. Le Christianisme régénéré ne redoutera donc pas la science, il la'devancera même, comme il l'a déjà fait, et il la dirigera lorsqu'elle s'écartera de la vraie route. Cependant les ouvrages de Swedenborg, tous écrits en latin, ne furent pas longtemps sans être appréciés par ceux qui sentaient vivement le besoin d'une religion épurée. Aussi les peuples qui possédaient la liberté de conscience jouirent-ils bientôt de l'avantage précieux d'une traduction en langue nationale. Alors la Nouvelle Doctrine commença à se répandre en Angleterre, aux États-Unis d'Amérique, en Allemagne, dans les gouvernements du Nord, etc. Elle fut professée publiquement en Angleterre dès 1783, et l'on compte aujourd'hui, dans le seul comté de Lancaster, soixante-trois ministres de la Nouvelle Église. Les commotions de notre première Révolution, les conquêtes de l'Empire et le bigotisme de la Restauration, détournèrent les esprits français de tout examen sérieux suides matières de religion, il fallait la Révolution de 1830

405 pour tirer nos compatriotes de leur indifférence, et leur faire entrevoir que, sans une profonde conviction religieuse, appuyée sur ce sens commun qui est un des plus beaux présents de la Divinité, il devient impossible de constituer la société sur des bases solides. Le moment est donc arrivé pour la France de s'occuper sérieusement du vrai Christianisme. Déjà la plupart des Traités de Swedenborg sont traduits, et la Doctrine céleste qu'ils renferment a porté parmi nous de grands fruits. Les Novi-Jérusalémites sont, il est vrai, disséminés sur ce vaste sol; mais ils ont pour eux deux bons auxiliaires, la vérité et le temps. Quoiqu'à peine entrés dans la carrière, nous possédons déjà plusieurs écrits remarquables sortis de plumes françaises. Nous citerons, entre autres, le savant ouvrage d'Edouard Richer, en huit volumes in-8°, que nos voisins se sont empressés de traduire et de répandre à des milliers d'exemplaires. * Les philosophes nous diront sans doute, que faire intervenir la Divinité pour expliquer les ÉCRITURES, c'est resserrer le nœud au lieu de le délier. Les bornes d'un Prospectus nous obligent de différer notre réponse; nous la donnerons dans celte Publication, et nous pensons qu'elle sera de nature à satisfaire ceux d'entre eux qui cherchent de bonne foi la vérité. La Nouvelle Doctrine, loin de redouter la philosophie, peut fort bien s'allier avec elle et par suite lui être d'un grand secours. Les théologiens se garderaient bien de faire la même question; mais s'ils nous disaient qu'il n'appartient qu'aux conciles d'interpréter la Parole Divine, nous répondrions : C'est en s'arrogeant un tel droit que les conciles ont dénaturé le Christianisme. La vérité n'a jamais été et ne sera jamais le résultat indubitable d'une nombreuse assemblée délibérante. Les Écritures que les Chrétiens de toutes les Communions révèrent, ne peuvent être saintes, que parce qu'elles

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viennent de Dieu. Or, comment ont-elles pu être transmises aux hommes! Swedenborg l'explique. L'homme est un être double, appartenant par sa constitution aux deux mondes; par son corps matériel, au monde des effets dans lequel il vit d'abord, et par son esprit, au monde des causes, pour lequel il est destiné. L'état d'extase existe chez l'homme, lorsque les sens de son esprit sont en pleine activité; alors il plonge dans l'immatériel, et se trouve en communication avec ce qui se rapporte au bien et au vrai, ou avec ce qui se rapporte au mal et au faux, selon que son propre intérieur est disposé au bien ou au mal. De là, les vrais ou les faux prophètes. Tous les livres de la PAROLE, tant ceux de l'Ancien que ceux du Nouveau Testament, sont le produit de l'extase. Moïse était un extatique ; Josué, Samuel, David, etc., étaient des extatiques: enfin, tous les Prophètes et les Évangélistes étaient en extase lorsqu'ils écrivaient. Ce qu'ils nous ont transmis était d'inspiration divine, et renfermait, sous le sens souvent grossier de la lettre, un sens caché ou spirituel qui n'est autre que la Divine Vérité. Ce sens a été caché aux hommes et ne devait leur être révélé que lorsque, par suite du progrès des lumières, ils seraient en état de le comprendre sans le profaner. Ce temps est enfin arrivé, le sceau est levé, ainsi que nous l'avons dit, et il ne pouvait l'être que par le moyen d'un extatique, car l'explication de la Révélation ne pouvait être donnée que de la même manière que la Révélation avait été faite. Au moyen de cette explication, le Livre Saint est désormais ouvert à l'intelligence humaine. On peut le lire maintenant dans son sens spirituel, depuis le Premier Chapitre de la Genèse jusqu'au dernier Verset de l'Apocalypse, et se rendre compte de tous les faits de l'ordre spirituel qui étaient, avant Swedenborg, restés tout à fait inintelligibles.

Nous nous sommes restreints à ne donner ici qu'une idée

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de l'extase; sa théorie sera développée dans le cours de l'ouvrage annoncé. Nous revenons maintenant au but principal de notre Publication, le bonheur de l'homme en particulier, et de la société en général, par le moyen du principe religieux. Quoique toute Religion ait pour but de régénérer l'homme, aucune de celles qui existent aujourd'hui n'a pu atteindre ce but. Une telle impuissance, qu'on ne saurait révoquer en doute, ne peut certes provenir que de causes majeures; nous les signalerons dans le cours de notre Revue; pour le moment, nous nous contentons d'indiquer, en peu de mots, comment la Nouvelle Jérusalem parviendra à résoudre cet important problème de la régénération humaine. Elle y parviendra, en faisant connaître les nombreuses et sublimes vérités qui sont répandues dans les Écrits du Révélateur; en détruisant les erreurs théologiques qui sont sur le point d'étouffer le Christianisme; en donnant sur Dieu, sur l'homme et sur la nature, des notions qui pourront d'abord surprendre les savants, mais qui seront, avant peu, reconnues exactes par la science elle-même; en posant des principes propres à résoudre les plus hautes questions psychologiques et physiologiques, et à dissiper entièrement les funestes incertitudes de l'homme sur son immortalité. Elle y parviendra aussi, en prouvant à l'homme que ses mauvais penchants ne sont tous, au fond, que l'abus de l'amour de soi, ou l'égoïsme; que c'est ce vice, résultat de la chute, qui fait de lui un être misérable, tandis qu'il reviendrait par le dévouement au véritable bonheur, si au lieu de concentrer son amour sur lui-même, il le répandait sur ses frères; qu'ainsi il n'y a, à proprement parler, qu'un seul vice qui engendre toutes les mauvaises passions, l'égoïsme; et qu'une seule vertu qui fait naître toutes les bonnes affections, le dévouement. Elle y parviendra encore, en établissant la supériorité du

408 culte intérieur sur le culte extérieur, et en retranchant de celui-ci les puérilités, les superstitions et les idolâtries; en montrant que les vraies Doctrines sur l'amour du prochain se sont entièrement perdues, et en les rétablissant telles qu'elles étaient primitivement; en prouvant enfin que les devoirs du vrai Chrétien ne consistent pas à vivre dans l'austérité, dans les privations, dans la retraite; mais à mener dans fe inonde une vie active et utile à la société, et surtout à préférer, en toutes circonstances, l'humanité à la patrie, la patrie à la famille, et la famille à soi-même. Lorsque les hommes seront pleinement convaincus, comme le sont tous les Novi-Jérusalémites, que la mort n'est pas un anéantissement, mais le commencement d'une existence beaucoup plus complète et beaucoup plus active que celle dont nous jouissons sur cette terre; Que ce qui survit n'est ni un simple souffle, ni une vapeur sans substance, ni quelque chose d'éthéré dont on chercherait en vain à se former une idée; mais que c'est l'homme même ayant immalériellement toute son organisation, ou, en d'autres termes, que c'est cet homme intérieur, jusqu'ici ignoré, mais qui cependant constitue seul le MOI de chaque individu, et qui moule sur lui et actionne dans ce monde toute la matière qui le recouvre, matière qui, sans lui, ne saurait prendre la forme humaine ; Que dégagé de son enveloppe terrestre, l'existence de cet homme immatériel deviendra éternellement heureuse ou malheureuse, selon qu'en vertu de son libre arbitre, il aura sur terre usé ou abusé de l'amour de soi; Lorsque, disons-nous, les hommes seront pleinement convaincus de ces importantes vérités,qui, pour être comprises, soit par le savant, soit par tout homme en général, n'ont besoin que d'être exposées dans tous leurs développements, oh alors! l'humanité entrera d'elle-même dans la grande voie de la régénération, et pourra marcher à pas de géant vers les hautes destinées qui lui sont promises.

409 La Doctrine de la Nouvelle Jérusalem est fondée sur la Charité; nous ne l'oublierons pas dans notre Publication. Lorsque nous serons obligés de montrer les erreurs des autres Communions chrétiennes, nous le ferons avec la décence convenable, et nous saurons toujours avoir pour les convictions le respect qu'elles méritent. D'ailleurs la Nouvelle Jérusalem, cette Église prédite dans les Livres Saints comme devant ôlre la couronne de toutes les Églises précédentes, est destinée à faire disparaître toutes les dissidences religieuses qui n'ont que trop divisé les hommes. Quelques mois avant la publication de ce Prospectus, j'avais ouvert ma maison au public, le dimanche, pour y développer les doctrines de la Nouvelle Jérusalem ; mais désireux de nie conformer en tout point à la législation alors en vigueur, j'avais préalablement adressé au Maire de Saint-Amand la Déclaration suivante, qui fut ensuite insérée dans l'Annonciateur du Cher, dans son Numéro du 26 novembre 1837. Saint-Arnand (Cher), 18 Novembre 1837.

MONSIEUR LE MAIRE, J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai ouvert ma maison, le Dimanche, à toute personne raisonnable qui désirerait prendre connaissances des principes religieux que professent les disciples de ta Nouvelle Jérusalem. J'ai la conviction intime que l'exposition de ces principes ne peut être que très-propre à accélérer la prospérité de la ville que vous administrez avec un zèle si louable et si persévérant. Les idées civiles, morales et religieuses, quoique distinctes entre elles, ne portent de véritables fruits, que lorsqu'elles se trouvent liées de manière à marcher au même but, le bonheur de l'humanité, sans s'entrechoquer en quoi que ce soit. Un simple coup d'œil sur quelques-uns de nos principes vous convaincra que la doctrine des iNovi-Jérusalémites peut remplir cetle condition, et nous conduire à ce but, espoir de tout homme de bien : 35.

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1° La religion que nous professons n'est pas le résultai d'une conception humaine, c'est le Christianisme ramené à sa pureté primitive, et se mettant de lui-même en rapport avec le progrès des lumières; elle ne date pas d'aujourd'hui, il y avait en Angleterre avant 1830 quarante-quatre villes qui comptaient des temples, et l'on en désignait aux ÉtatsUnis d'Amérique plus de soixante en 1827. Sa doctrine commença à être professée publiquement en Angleterre dès 1783; elle est maintenant répandue en Suède, en Norwége, en Panemarck, dans les Étals Allemands, en Prusse, en Hollande, en Belgique, en Suisse, dans la Russie septentrionale, et partout enfin où il y a la moindre lueur de liberté de conscience. 2° Notre religion est toute spirituelle et n'a absolument rien de temporel ou de politique; car nous posons en principe qu'une religion ne doit en aucune manière s'immiscer dans les affaires des gouvernements, et nous en tirons celte conséquence, que si le Christianisme a été détourné depuis quinze cents ans de sa véritable route, c'est parce qu'on a abusé des choses spirituelles en les appliquant à des intérêts terrestres. 3° Notre religion admet en principe la tolérance la plus grande, et conséquemment elle n'est en aucune manière exclusive; en effet, nous reconnaissons que Dieu, comme Père commun de lous les humains, et comme étant la Justice Même, ne fait aucune distinction entre eux, et qu'ainsi tout homme, qu'il soit Chrétien, Mahométan, Juif, Indou ou Idolâtre, peut être sauvé. Il suffi pour cela qu'il ait bien vécu, la Divinité ne pouvant imputer à l'homme les erreurs dans lesquelles il est né et a été élevé. !i° La pratique de notre religion ne consiste pas à vivre dans la contemplation et la mysticité, en ne s'occupant que du salut, ce serait plutôt là un moyen de le perdre, car agir ainsi, c'est n'agir que pour soi, et l'égoïsme est la tache ori-

411 ginelle que l'homme doit détruire, pour revenir à l'état normal dans lequel il a été primitivement créé; mais la pratique de noire religion consiste à mener dans le monde une vie toute d'activité. Ne faire que louer et célébrer Dieu, ce n'est pas avoir une vie active ; Dieu n'a pas besoin, pour sa gloire, de louanges et de bénédictions-, il veut qu'on produise des usages (œuvres), et par là des bontés de charité; il exige seulement de nous et dans notre intérêt seul, qu'une fois en sept jours nous nous réunissions un instant pour nous occuper en commun, lorsque nous le pouvons, de matières spirituelles. Pour nous, prier Dieu, c'est faire le bien parce que c'est le bien, et sans aucune vue de retour sur nousmêmes; aimer Dieu, c'est, en toutes circonstances, préférer la généralité des hommes ou l'humanité entière à la pairie, la patrie à la famille, et la famille à soi-même. Vous voyez, Monsieur le Maire, d'après ces principes, que dans nos réunions religieuses, il ne sera jamais question de politique soit directement soit indirectement. La présente Déclaration vous est faite à l'effet de prévenir toute fausse interprétation de nos intentions. J'ai l'honneur d'être, etc. LE BOYS DES GUAYS, Conseiller municipal.

Cette Déclaration au Maire de Saint-Amand a tellement mécontenté la Gazette du Berry, qu'elle appelle l'attention de l'Autorité ecclésiastique sur ce qu'elle nomme une nouvelle secte. Cette attaque m'a obligé d'avoir de nouveau recours à Y Annonciateur du Cher, qui a admis dans ses colonnes les deux Articles suivants :

Si la Gazette du Berry a cru, qu'en employant des termes de mépris, elle nous forcerait à des représailles, elle s'est trompée; nous l'avertissons que dans celle polémique religieuse, nous ferons loujours abstraction des personnes; nous ne discuterons que les principes. Permis à elle mainte-

412 nant d'agir comme bon lui semblera. Notre doctrine, à nous, est toute de charité, et nous la suivrons; elle nous dit de combattre les erreurs, mais elle nous défend d'attaquer les personnes. Celui qui est dans l'erreur n'en est pas moins notre frère, nous devons le plaindre et non l'irriter. Celui qui est dans le mal est aussi notre frère; et s'il nous est permis de délester le mal qui est en lui, il nous est commandé de faire tous nos efforts pour l'en tirer. Le mal, nous devons le haïr; l'homme, jamais. L'auteur de l'article de la Gazette se garde bien de nous désigner sous le nom que l'on nous donne dans l'ancien comme dans le nouveau continent ; il se contente de dire que nous formons une nouvelle secte, et il nous compare assez maladroitement aux Saint-Simoniens. Je n'irai pas plus loin, je n'analyserai pas son article, je. m'en tiens à son litre seul : nouvelle secte] et je lui dis : En matière de religion, le mot secte s'entend d'une opinion hérétique ou erronée. C'est là la définition que nous donne l'Académie. Il ne s'agit donc pas maintenant de savoir si vous êtes plus ou moins anciens que nous; si vous avez le droit de traiter d'hérésie toute opinion qui diffère de la vôtre; car ce droit peut aussi bien appartenir aux autres qu'à vous; mais il s'agit de savoir si notre doctrine est erronée, ou bien si ce ne serait pas plutôt la vôtre. Remarquez qu'en pareille matière, vous n'êtes pas plus compétent que moi; l'un et l'autre nous sommes parties intéressées, nous n'avons que le droit d'exposer notre cause, et le public, qui seul est notre juge, décidera. Répondez, ou ne répondez pas ; vous m'avez jeté le gant, il est ramassé. La Nouvelle Jérusalem ne craint point le grand jour, elle soumettra sa doctrine céleste à l'intelligence et à la raison des hommes du 19e siècle. Quant à vos attaques, nous ne saurions les redouter; elles ne pourront qu'engager à prendre connaissance de notre doctrine, et quiconque l'examinera de bonne foi, ne pourra

413 s'empêcher de l'adopter. Nous n'aurons jamais d'autres armes que la persuasion ; car si nous en prenions d'autres, nous ne serions plus Novi-Jérusalémites qu'à l'extérieur, comme vous n'avez plus été que des chrétiens externes, du moment où, sous Constantin, vous avez contraint les peuples de l'Empire à adopter vos croyances, foulant ainsi aux pieds ce principe, qu'il ne saurait y avoir de véritable religion, là où il n'y pas liberté absolue de conscience. Oui, quoi que vous puissiez en dire, c'est de cette époque que l'Église chrétienne a été privée de la véritable lumière; que ses dogmes sont devenus un cahos ; parce qu'elle fit entrer les passions humaines dans les discussions spirituelles, et qu'elle se servit des choses saintes soit pour établir, soit pour consolider des puissances temporelles. Mais si, prévoyant votre défaite, vous reculiez devant des débats publics, je suis encore en droit de vous dire : II n'est plus temps! le juge est saisi de l'affaire, il décidera en votre présence ou en votre absence ; car votre silence serait un aveu tacite de la pauvreté de vos arguments. Vous étiez maîtres de choisir le terrain ; si vous en avez pris un mauvais, en nous désignant sous le nom de secte, la faute en est à vous. Il y aurait de ma part plus que de la bonhomie, si, lorsqu'il s'agit d'un point si important pour le bonheur de rhumanitéjj'allais abandonner la position favorable où vous m'avez placé. Entrons en matière. Mais pour ne pas ennuyer le public, qui., dans ce siècle, n'a pas un goût prononcé pour les discussions théologiques, parlons à sa raison, et nous serons sûrs d'être entendus; c'est une proposition que je vous fais et que vous auriez mauvaise grâce de refuser; je la considère donc comme acceptée. Ce premier point posé, en voici un autre qui pourrait abréger la discussion, en lui imprimant une marche tout à la fois simple, régulière et propre à résoudre définitivement la question : ce serait de donner à ce 35*.

-M 4 même public, qui est, comme vous le savez, notre seul juge, un critérium, une espèce d'étalon qui lui servirait de base et de mesure, et auquel il se reporterait toujours, avant de prendre son parti sur les questions qui lui seraient soumises de part et d'autre. Le public est de sa nature bon logicien ; vous admettez, je le présume, le proverbe : Vax populi, vox Dei, car vous vous en êtes servi assez souvent. Eh bien! j'aurai recours à cette logique du public qui vaut bien celle de l'école, et je dirai : 1. Dieu est la Justice Même. 2. Dieu a imprimé dans le cœur de l'homme un sentiment de justice souvent étouffé par les passions, mais n'en existant pas moins et se manifestant tontes les fois que l'homme n'est pas dominé par un intérêt quelconque. Il en est ainsi, parce que l'homme, quoique déchu, n'en est pas moins créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il est d'ailleurs reconnu qu'il existe un sentiment de justice universelle, qui se manifeste par l'accord unanime de tous les hommes à déclarer que tel acte est juste ou injuste. Or, si Dieu est la Justice Même, et s'il y a chez les hommes un sentiment de justice universelle, il en résulte que toute religion dont un seul dogme ferait de Dieu un être injuste, selon ce sentiment de justice universelle, serait incontestablement fausse. Tout homme raisonnable est donc en droit de nous dire à l'un et à l'autre : Pour que je reconnaisse comme vraie la religion que vous défendez, prouvez-moi qu'on ne peut faire à votre Dieu un seul reproche d'injustice. O mes concitoyens, vous surtout qui avez rejeté votre Dieu, parce qu'on vous l'avait présenté avec des attributs que votre raison, que ce sentiment de justice qui est au fond de votre cœur ne vous permettaient pas d'admettre, puissiez-vous porter votre attention sur cette logique simple! puissiez-vous nous dire : îSotre scepticisme nous pèse, nous

415 voudrions être débarrassés de cette incertitude qui nous trouble souvent, même au sein des plaisirs; montrez-nous votre Dieu, et s'il est conforme à l'idée que la raison humaine doit se faire de la Divinité, nous l'accepterons. Quiconque nous tiendrait sincèrement ce langage ne tarderait pas à être des nôtres, et à éprouver toutes les jouissances douces et pures qui font aujourd'hui le charme de notre vie terrestre. Je reviens maintenant à vous, qui que vous soyez, Monsieur l'anonyme de la Gazette, et je déclare publiquement que nous sommes prêts à reconnaître que notre religion est fausse, si, après avoir développé tous nos dogmes, on peut faire à notre Dieu un seul reproche fondé d'injustice ; mais en même temps je vous somme, vous, Monsieur, de faire la même déclaration. Nous avons tous deux le même Dieu, nous sommes tous deux chrétiens, mais nous entendons la religion chrétienne d'une manière différente, en donnant à notre Dieu des attributs différents. Dieu cependant est Un, sa justice est Une, le bon sens du public décidera. Pour le mettre en état de juger, j'exposerai chacun de nos dogmes, et je mettrai en parallèle ceux des vôtres qui leur correspondent. Il me sera facile de prouver que les nôtres ne sont en aucune manière en opposition avec la Justice Même, et que la plupart des vôtres font de Dieu un être injuste. Ainsi pourra être décidée la question de savoir de quel côté est la véritable religion chrétienne et de quel côté est la secte. Quant au Journal du Cher, qui vient aussi de nous attaquer dans son n" du 5 décembre, que puis-je lui répondre? Je m'occupe seulement de matières religieuses, et ne me mêle en aucune manière de politique. Puisqu'il a lu ma déclaration, qu'il ne cite, il est vrai, qu'en partie, il aurait dû le savoir. Du reste, il aurait mieux fait de prendre quelques notions de notre doctrine, avant d'en parler. J'attendrai

416 donc que l'auteur ait fait connaître d'une manière quelconque s'il est athée, sceptique, déiste, ou d'une communion chrétienne; car son article ne renferme pas un mot qui puisse indiquer quels sont ses principes religieux. Notre religion est accessible à l'intelligence de tous les hommes, à celle du philosophe comme à celle de l'homme du peuple ; sans cela elle ne serait pas la vraie religion, car l'être infini qui nous crée tous ne fait aucune distinction entre ses enfants. Notre doctrine nous fournit donc des arguments propres à convaincre tout homme qui désirera sincèrement connaître la vérité, qu'il soit déiste, sceptique ou athée. Lorsque l'auteur anonyme du Journal du Cher nous aura fait connaître dans quelle catégorie il se place, nous lui prouverons que nous sommes véritablement chrétiens, en faisant, pour lui dessiller les yeux et pour le ramener au vrai Dieu, autant d'efforts que nous en ferions pour le meilleur de nos amis. (Annonciateur du Cher, 10 Décembre 1837.) Le témoignage de toutes les personnes qui ont assisté aux réunions des Novi-Jêrusatémites suffira pour convaincre complètement les autorités et le public de la pureté de nos intentions, et pour dissiper entièrement toute espèce d'insinuations. Je ne m'occuperai donc pas de tout ce que la malveillance a pu supposer pour nuire à noire œuvre; mais je me vois forcé de dire quelques mois sur un bruit, depuis quelque temps répandu, et qui semble maintenant prendre quelque consistance. On prétend que l'autorité supérieure a donné des ordres pour faire fermer ma maison. Un tel bruil me paraît dénué de fondement, car si un délégué d'une autorilé supérieure avait reçu de tels ordres, il me semble qu'il les tiendrait secrels jusqu'à leur mise à exécution. D'ailleurs, j'ai fait une Déclaration à l'autorité locale, et je tiendrai ma maison ouverte à toute personne raisonnable, jusqu'à ce qu'on m'ait signifié de la fermer, et qu'on ait apposé les scellés sur mon salon.

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Nous respecterons toujours les lois civiles ;et politiques, mais nous saurons aussi en réclamer la protection. Nous obéirions même à la force, si on l'employait contre nous; mais après avoir obéi, nous réclamerions avec toute l'énergie que donne la purelé de la conscience. Aucune mesure violente ne saurait ralentir notre zèle et notre persévérance; notre conviction est trop forte, pour qu'on puisse nous faire dévier de la ligne de conduite que notre devoir de Chrétien nous tracera. Si, contre toute attente, on me forçait de fermer mon salon, nous nous partagerions la tâche; alors, pour un lieu de réunion fermé, ne pourrions-nous pas en ouvrir légalement dix? et si, contre toute justice, ce nouveau mode de propagation nous était enlevé, il nous resterait encore la puissante ressource de nous rendre individuellement dans le sein de chaque famille avide de connaître LA BONNE NOUVELLE. Il ne s'agit pas ici de ces intérêts terrestres contre lesquels les pouvoirs de ce monde peuvent employer la force matérielle : il s'agit de conscience seulement, et devant la conscience s'arrêtent les pouvoirs de toute autorité temporelle. Comment! j'aurai une conviction qui me rend heureux, et il me serait défendu de la faire partager à mes semblables! J'aurai la main pleine de vérités qui peuvent ramener mes concitoyens au bonheur, et il ne me serait pas permis de l'ouvrir! Quelle puissance humaine pourrait donc m'en empêcher! Non. Ce serait injurier l'autorité supérieure que de lui supposer de telles intentions. Un catholique-romain peut se faire protestant, un prolestant peut devenir catholique-romain ; et nous ne pourrions pas être Novi-Jérusalémites, c'est-à-dire, Chrétiens régénérés! Cependant, si les dogmes du Catholicisme-Romain ou du Protestantisme ne peuvent plus être admis par notre raison ; si la philosophie, loin d'avoir réchauffé notre cœur en ne parlant qu'à nos sens, nous a isolés de telle sorte, que

418 chacun de nous se soit considéré comme un centre auquel il devait tout rapporter; si,au milieu de cette crise dissolvante et anti-sociale, le Dieu qui nous créa pour vivre tous en frères, est venu au secours de l'humanité, en manifestant DE NOUVEAU sa Vérité rendue méconnaissable par les erreurs et les crimes des hommes; si enfin, nous avons eu le bonheur de connaître cette Vérité divine, et de la faire adopter par plusieurs de nos concitoyens,peut-on nous défendre de nous voir, de nous entendre, pour l'inculquer plus profondément dans nos cœurs, pour lui faire porter des fruits, et pour ensuite la répandre sur un plus grand nombre de nos malheureux frères? Aimerait-on mieux que nous fussions athées ou sceptiques? croit-on qu'alors nous serions de meilleurs citoyens? Que ne restez-vous, nous a-t-on dit, dans la Communion chrétienne où vous êtes nés? Pourquoi ses dogmes et ses rits troubleraient-ils votre esprit! Si votre raison ne peut les admettre, eh bien ! faites comme tant d'autres ; laissez aller les choses comme elles vont, et croyez seulement en Dieu, si vous le pouvez. De cette manière vous passerez toujours pour être restés fidèles à la religion de vos pères, et l'on ne saurait dans ce siècle en exiger davantage de vous. Un tel langage peut faire impression sur la plus grande partie des hommes. L'indifférence en matière de religion est encore si grande, que chacun préfère sa tranquillité à un éclat souvent désagréable; car pourquoi changer de religion, lors qu'il est de mode de les regarder toutes comme insignifiantes? Quitter celle où l'on est né, pour en suivre une autre, ne serait-ce pas avouer tacitement qu'on croit aux dogmes de celle où l'on entre? On s'en garde donc bien. Nous nous en serions bien gardés aussi, nous, si le vrai Dieu, en déchirant le voile épais dont on l'avait couvert, ne se fût montré tel qu'il est en effet, c'est-à-dire, accessible à l'intelligence de toutes ses créatures. Mais maintenant pour-

419 quoi hésiterions-nous? Personne ne saurait trouver notre résolution extraordinaire,puisqu'elle est le résultat de notre conviction. Quand par suite de discussions raisonnées on a acquis la certitude que la mort naturelle est le commencement de la véritable vie; quand par les mêmes moyens on s'est pénétré de la bonté infinie du PÈRE commun des hommes, et des efforts continuels de sa Providence pour nous ramener à lui; quand chaque jour on peut éprouver en soi des effets de sa Miséricorde, oh alors ! la conviction devient telle que ni la menace, ni même la force ne sauraient l'ébranler. Telle est celle des Novi-Jérusalémites. Ils savent, du reste, qu'en abandonnant la religion catholique-romaine, ils ne font que revenir à la véritable religion chrétienne, qui fut autrefois celle de leurs pères.

(Annonciateur du Cher, 17 Décembre 1837.) Saint-Amand (Cher), 27 mars 18S8.

A Monsieur le Procureur général près la Cour royale de Bourges. MONSIEUR LE PROCDREDR GÉNÉRAL, Dimanche dernier, M. le Commissaire de police s'est rendu chez moi par ordre de votre substitut, M. le Procureur du roi de Saint-Amand, pour s'assurer du nombre de personnes réunies dans mon salon, qui sert aux Novi-Jérusalémites de temple provisoire pour rendre au Dieu des Chrétiens le culte de leur cœur. J'ignore, et je n'ai pas le droit de demander à connaître quels sont les ordres que vous avez transmis, et jusqu'où ils peuvent s'étendre; mais comme chrétien et comme français vivant sous l'ombre tutélaire de la liberté de conscience inscrite dans la Charte, je ne puis m'empêcher de vous soumettre, avec tous les égards que mérite votre dignité, les réflexions que cet acte m'a naturellement suggérées. J'ai faille 18 novembre 1837.à M. le Maire de St-Amand,

420 la Déclaration que ma maison était ouverte, le Dimanche, à toute personne raisonnable qui désirerait prendre connaissance des principes religieux que professent les disciples de la Nouvelle Jérusalem. Celle Déclaration a été transmise à l'Autorité supérieure, et depuis celle époque il n'est rien survenu qui ait pu éveiller la sollicitude de l'Autorité pour la tranquillité publique; car il n'y a eu ni désordre, ni tumulte: les portes de ma maison ont toujours élé ouvertes, le Dimanche, à trois heures, à tous ceux qui se sont présentés, et tous agents de l'Autorité ont eu liberté entière d'exercer leur surveillance. Nous ne nous plaindrons jamais de cette surveillance; M. le Commissaire de police peut venir quand bon lui semblera, et envoyer des agents subalternes; ils seront toujours bien accueillis, car tous les hommes sont frères; mais le fait de compter le nombre des assistants paraissant indiquer que l'Autorité serait dans l'intention de nous appliquer l'article 291 du Code pénal, c'est sur ce point seulement que je vous soumettrai de simples réflexions. On peut se réunir dans les salons de Messieurs tels ou tels, pour jouer aux cartes, sans que l'Aulorité compte le nombre de ceux qui composent la réunion; et des chrétiens, dont la raison rejettent les dogmes du catholicisme-romain, ne pourront pas se réunir plus de vingt pour prier en commun, et il faudra qu'ils restent privés de culte, parce qu'il plaira de les assimiler à des conspirateurs! Ce n'est pas en lisant la Parole de Dieu, et en cherchant à se pénétrer des vérités divines renfermées dans les Écritures, qu'on apprend à conspirer. On peut à jour fixe donner des bals dans des salons particuliers, où se réunissent un grand nombre de personnes, et il ne me sera pas permis de réunir chez moi pUis de vingt de mes frères, y compris les femmes et les enfants, pour nous pénétrer de l'amour de Dieu et du prochain! La loi n'a pu être immorale à ce point: elle a entendu prohiber lesréu-

421 nions clandestines et dangereuses pour la tranquillité de l'État; mais elle n'a jamais prétendu mettre des entraves à la liberté de conscience, lorsqu'il n'y a pas association, et que tous les habitants peuvent participer à un culte qui n'a rien d'exclusif. Vous savez, du reste, M. le Procureur général, qu'il faudrait effacer la liberté de conscience inscrite dans la Charte de 1830, si l'on voulait appliquer dans toute la rigueur de la lettre l'article 219 du Code pénal, et vous «avez aussi combien une Charte constitutive d'un nouveau gouvernement l'emporte sur un Article de loi d'un gouvernement antérieur. Je ne saurais donc attribuer la rigueur, qu'on semble vouloir exercer contre nous, qu'à la non-connaissance de nos principes religieux. Or, notre religion professée publiquement, depuis longues années, en Angleterre et aux ÉtatsUnis de l'Amérique du nord, repose sur ces deux principes fondamentaux : Reconnaître le Seigneur Jésus-Christ comme Dieu Unique, et vivre selon les préceptes qu'il nous a donnés dans le Décalogue. Ainsi, pour être Novi-Jérusalémite, on n'est astreint à aucune formalité extérieure; il suffit de reconnaître qu'il y a un seul Dieu, et non trois personnes distinctes en Dieu, et de vivre selon le Décalogue ; on n'a pas même besoin de faire celte déclaration ; car les paroles et les promesses ne sont rien aux yeux de la Divinité, qui n'a .égard qu'aux actes; ainsi sont Novi-Jérusalémites tous ceux -qui vivent selon cette croyance, et non ceux qui la proclameraient hautement sans la mettre en pratique. Si l'Église française, qui nie la Divinité de Jésus-Christ, peut prêcher ouvertement un tel dogme, il est bien surprenant qu'on cherche à proscrire, ou du moins à entraver l'exercice du culte de la Nouvelle Jérusalem qui, loin de faire de Jésus-Christ un homme, le reconnaît, comme je viens de .le dire, pour Je seul et unique Dieu de l'univers.

J'Qse espérer, M. le Procureur général, que ces simples 36,

422

réflexions pourront modifier les ordres que vous avez donnés, et éviter par là des réclamations publiques, auxquelles je n'aurais recours que si vous m'y contraigniez en mettant les Novi-Jérusalémites hors du droit commun. J'ai l'honneur d'être, etc. NOTE DE LA PAGE 51.

L'Article de VÉcho du Vatican est dû à la plume du vicomte de La Perrière, compatriote et ami d'enfance du Major de Fossa, l'un de nos frères les plus zélés. Dès que M. de Fossa,qui avait prêté au vicomte la plupart de nos ouvrages, et qui le croyait revenu du seplicisme à des idées religieuses, eut appris qu'il était l'auteur de cet Article, il fui aussitôt le trouver. « Je m'aperçus, m'écrit-il en date du 12 » mars 1828, qu'il était confondu par ma présence. Après » m'avoir renouvelé les protestations les plus chaudes d'a» mille et d'estime, il me dit qu'il avait trop souvent pris la » défense du trône et do L'autel pour changer aujourd'hui » de langage; que ses intérêts positifs dans le monde qu'il » habite et ceux de ses enfants devaient être préférés par lui » à ceux d'un monde à venir dont l'existence ne lui est pas » démontrée, etc., etc. » M. de Fossa ajoute : « Dans une » lettre que j'écrirai au vicomte en réponse à un billet, où il D cherche à s'excuser, je me plaindrai de toutes les infamies » qu'il a avancées, et lui reprocherai en même temps sa dé» loyauté envers moi. Certes, ce n'est pas dans le camp en» nemi, sous une bannière qu'il méprise, que je m'attendais » à trouver l'incrédule, le sceptique vicomte de La Perrière » transformé en athlète du papisme dont je l'ai toujours en» tendu se moquer. » NOTE DE LA PAGE 76.

Au sujet du Semeur, lire l'Article suivant Polémique religieuse, et Pages 96, 118 et suiv. Nous ajouterons seule-

423

ment que les journaux du Protestantisme, comme ceux du Catholicisme-Romain, n'ont lancé contre nous que des plaisanteries, sans vouloir aborder le fond de la discussion ; ils se sont bien gardés de loucher aux questions dogmatiques; et plus tard, dans la crainte d'attirer sur nos doctrines la curiosité du public, ils ont eu recours à ce qu'on pourrait appeler la conspiration du silence. NOTE DE LA PAGE

80.

Sur l'unité humanitaire, voir l'Article sur l'avenir de l'humanité, Page 137. NOTE DE LA PAGE

200.

M. H..., fils naturel de la célèbre baronne de K... et de M. T..., recevait de M. T... une pension trimestrielle suffisante pour le mettre en état d'élever convenablement sa famille. Après le décès de M. H... sa veuve se trouvant, avec quatre enfants, à la merci de M. T... fut obligée, pour subvenir aux besoins de sa jeune famille, de faire baptiser deux de ses enfants à l'Église catholique-romaine. NOTE DE LA PAGE 2 1 6 .

La première pierre du temple fut posée le 20 mars 1840, ainsi qu'il avait été décidé; les travaux continuèrent conformément aux plans et devis qui avaient été approuvés par M. G...: mais lorsqu'il fut question de placer les emblèmes qui devaient décorer la porte d'entrée, M. C... en proposa d'autres qui étaient inadmissibles. M. G... était extatique, ce que d'abord nous avions ignoré; et, comme extatique, il tenait à ses idées. Il devint donc impossible de s'entendre. Dès lors je fis suspendre les travaux, aimant mieux subir les désagréments que celle suspension allait m'allirer, plutôt que d'admettre de tels emblèmes. Toutefois, je dois rendre à M, C,.. celle justice qu'il régla avec loyauté les frais de

JBA .cette eenstraetion. iNoMflulemeBt il paya tontes les ilépen-ses, mais il m'offrit plusieurs fois
269.

FoiV,,Page 2d3, la cérémonie d'une inhumation. NOTE Ml LA PAGE

274.

fo!V,.surle capitaine Bernard, l'Article Gobert etJ?ernard, Page;3l2.

OUVRAGES D'EMMANUEL SWEDENBORG l v ^N

Traduits en Français S PAR X-F.-E. LE BOYS DES GUAYS

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Arcanes Célestes, 16 votynes grand in-8° 120f » e titdex des Arcanes, \ volime grand in-8" 7' 50 La, Vraie Religion Chrétienne, 5 volumes grand ia-18 . 15 « La Sagesse Angéliq.fur le Div. Amour, &c. 1 vol. g. in-18. 5 » La Sagesse Angélique sur la Divine Providence, i vol. 5 » Du Ciel et de ses merveilles, et de l'Enfer, \ volume . 2 • Délices de la'Sagesse sur l'Amour Conjugal, &c. 2 vol. 8 » De la Nouvelle Jérusalem et de sa Doctrine Céleste, 1 vol. 4 » Les Qttatre Doctrines , 5 « Exposition Sommaire de la Doct. de la JVUe Eglise, 1 vol. 2 50 Dés Terre* dans notre Monde solaire, 1 vol. gr. in-18. 2 « Du Jugement Dernier et de la Babylonie détruite, 1 vol. 2 » Continuation sur le Jugement Dernier, \ volume in-18. 1 » Du Commerce de l'Ame et du Corps, 1 volume in-18 . 1 » Appendice à la Vraie Religion Chrétienne, 1 vol. in-18. 1 50 Exposition Sommaire du Sens interne, 1 volume in-8°. 3 « Doctrine de la Charité (Extr. des Arc. tél.), t vol. in-8". 1 50 Doctrine de la Nouv. lérus. sur la Chanté, 1 vol. in-8". 1 » Des Biens de la Charité ou Bonnes Œuvres, 1 vol. iu-8". 1 50. De la Parole et de sa Sainteté, 1 volume in-8°. . . . » 75 De la Toute-Présence et de la Toute-Science de Dieu. * 50 Du Cheval Blanc, dont il est parlé dans l'Apocal., 1 v. 1 « Du Divin Amour, \ volume iu-8° 2 « Doctrine sur Dieu Triun, 1 volume in-32 2 » Traité des Représentations et des Correspondances, 1 v. 2 50 L'Apocalypse Révélée, 5 volumes grand in-18. . . . . 15 » L'Apocalypse Expliquée selon le Sens Spirituel, 7 vol . 70 »

OUVRAGES. CONCERNANT LA NOUVELLE ÉGLISE. lettres à un Homme du Monde, 1 volume in-18 . . . 3 « L'Apocalypse dans son Sens Spirituel, 1 vol. gr. ih-8". 7 50 Exposition Populaire de la Vraie Religion Chrétienne. » 50 La Religion du Bon Sens, 1 volume in-18 6 » Mélanges, 5 volumes in-18 . 18 » Abrégé de la Doctr. de la Vraie Religion Chrétienne, 1 v. 3 » Le Nouveau Testament, l volume in-32. . . . . . . 2 50 Scriptura Sacra.— Esaias, 1 volume in-8° 10 » Index général des passages de la Parole, 1 volume in-8°. 10 » Appel aux Hommes réfléchis, 1 volume in-18. . . . . 5 » Particulttrités de la Bible, 1 volume in-18 5 » Lettres au-Docteur Priestley, 1 volume in-18 5 » Imprimerie de Deslenay, à Saint-Amand (Cher).

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