Il a tué sa fille…pour sauver son honneur. Aussi choquant que cela pourrait paraître pour certains, pour d’autres, ceci est tout à fait normal et compréhensible. Que peut bien être cette « chose-là », à laquelle l’on donne le nom d’honneur, qui pousse un père à tuer son enfant ? Le peuple allemand avait accordé sa confiance à Hitler pour sauver l’honneur de l’Allemagne. Il ne serait pas étonnant qu’aujourd’hui certains peuples arabes accepteraient d’aliéner leurs libertés les plus fondamentales si leurs leaders leur promettaient de sauver l’honneur des Arabes. Plus encore, la simple représentation caricaturale du chef religieux et politique Hassan Nasrallah dans l’émission « Bess met watan » a suscité une vague de protestations et des actes de vandalisme dans les rues. Il s’agit toujours de cette même « chose », qui pousse un père à tuer son enfant, les peuples à sacrifier leurs libertés, voire même, à sacrifier leur liberté d’expression afin de préserver la sécurité qui serait compromise à chaque fois qu’il est porté atteinte à ce que l’on appelle : Honneur. L’honneur serait-il un droit que l’on devrait reconnaître à tout être humain ? Serait-il un devoir moral ? Nous ne pouvons répondre à ces questions avant de définir l’honneur. L’erreur commune est de confondre honneur et dignité. Un jour, j’avais demandé à un de mes professeurs de droit quelle serait la différence entre l’honneur et la dignité. Il me répondit que l’honneur signifiait « al-charaf » alors que la dignité veut dire « al-karama ». Amusée par sa réponse, je murmurai la fameuse expression anglaise « like duh ! ». C’est pour vous dire que la nuance n’est pas évidente. Pourtant, nous pouvons remarquer qu’un élément fondamental distingue les deux notions. Ce qu’un chinois considère comme une atteinte à son honneur pourrait différer de ce qu’un occidental trouve comme déshonorant. Ceci ressemble aux croyances religieuses et y est intimement lié dans certains cas. Si je tuais une vache en France, je payerais son prix au propriétaire et l’affaire est réglée ! Mais si je tuais une vache en Inde…Je vous laisse imaginer mon sort. François Bourricaud, sociologue français, écrit à ce propos : « Si (aujourd’hui) ma femme me trompe et si je suis un cocu notoire et complaisant, je risque d’être ridicule, mais je le serais bien plus encore si je prétendais provoquer en duel celui ou ceux qui me font porter des cornes ». C’est que d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une personne à l’autre, et surtout, d’une époque à l’autre, la conception de l’honneur varie. Quant à la dignité, cette sorte de respect que l’on doit à la personne du seul fait qu’elle fait partie du genre humain, est partout et toujours la même. En n’importe quel endroit et à n’importe quelle époque, violer une personne, obliger une personne à se déshabiller en public, laisser une personne mourir de faim, abandonner un cadavre dans la rue etc.…sont perçus comme une offense à la dignité humaine, à la personne humaine, voire à l’humanité dans son ensemble. L’atteinte à la dignité est aussi une atteinte a l’honneur, mais le contraire n’est pas vrai. L’honneur serait donc le sentiment que chaque personne ou groupe de personnes ont de leur propre dignité. C’est que la dignité est universelle, l’honneur relatif. Comment donc considérer l’honneur comme un droit si chaque personne définit ce qu’est son honneur ? Comment protéger par une loi un « sentiment » subjectif ? L’honneur ne peut être un droit, ni même un devoir. Considérer l’honneur comme un droit, c’est lui faire trop d’honneur. Nous ne pouvons avoir droit à l’honneur, mais plutôt à la dignité. Considérer l’honneur comme un devoir moral ou sacré, c’est justifier les crimes les plus
odieux qui sont accomplis en son nom. Après tout, et il ne faut pas l’oublier, c’est l’homme qui est sacré. Toutefois, si nous ne pouvions élever l’honneur au rang d’un droit juridiquement protégé, il ne faudrait pas non plus prendre à la légère ce sentiment. Respecter l’honneur d’autrui est nécessaire dans les rapports entre les individus, les familles, les groupes et les peuples. Il faudrait tout d’abord comprendre ce qui est sacré chez tel individu, ce qui compte pour lui, ce qu’il considère comme faisant partie de sa « dignité », pour ensuite respecter cet ensemble. Il en est de même à l’échelle des peuples et des civilisations. Aussi absurdes que pourraient nous paraître les coutumes, la culture ou le « sacré » d’autrui, on est tenu à un minimum de respect et à une certaine considération à leurs égards. En agissant ainsi, non seulement nous aurions évité les actes ou crimes les plus dangereux que l’atteinte à l’honneur pourrait engendrer, mais aussi, nous aurions atteint le degré le plus élevé de l’éducation et de l’ouverture d’esprit : la tolérance. Ainsi, la liberté d’expression dont je jouis, me permet de critiquer une religion, une pensée, une coutume...Je pourrais très bien le faire de manière provocante et déshonorante, comme je pourrais bien critiquer de façon respectueuse. Mon droit quasi-sacré, qui est de m’exprimer librement, me permet aussi bien la première que la seconde option. Pourtant, l’éthique, la tolérance et l’empathie, me poussent à opter pour la seconde…