Les Media De Masse, Les Mots Et La Musique : Emergences De La Parole Dans Magnolia De Paul Thomas Anderson

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T. Bolter : Magnolia, une lecture possible

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Trudy Bolter

LES MEDIA DE MASSE, LES MOTS ET LA MUSIQUE : EMERGENCES DE LA PAROLE DANS MAGNOLIA DE PAUL THOMAS ANDERSON  MAGNOLIA (1999), le troisième film de Paul Thomas Anderson, né en 1970, fait partie d’un cycle de grands films de fiction américains traitant de l’audiovisuel : L’homme de la rue (Meet John Doe, 1941) , de Capra, Un homme dans la foule (A Face in the Crowd, 1957) , de Kazan, Le grand chantage (The Sweet Smell of Success, MacKendrick, 1957) sur la radio, Network (Lumet, 1976) sur la télévision. Ces films ont pour sujet les masques portés par les vedettes, et le caractère trompeur de leurs discours asservis à la manipulation politique. Ils font suite à un groupe de films au message similaire, critiques de la presse écrite, dont L’extravagant Mr Deeds (1936) ou Mr Smith au Sénat (1939)du même Capra, travaillant les mêmes thèmes qui réapparaissent, une décennie plus tard, dans Le Rebelle (1949) de King Vidor ou Le gouffre au chimères (1951) de Billy Wilder. Tous des grands succès, ces films semblent révéler chez l’Américain une attitude trouble : dépendant voire friand des média de masse, il entretient à leur égard une méfiance avertie, celle de l’homme du commun (figure issue de la mythologie identitaire nationale plutôt que de la sociologie) se sentant menacé par les dérives possibles du langage dénaturé, proche de la propagande, quand il est soumis à des priorités capitalistes, Magnolia renouvelle cette tradition en recentrant la même thématique dans le domaine privé, et recyclant les codes du canon. pour soutenir une structure complexe dépassant les modèles traditionnels. Pour en parler, j’aimerais adapter la formule intéressante élaborée pour parler des films de Fritz Lang dont il n’a pas été scénariste, celle d’un « double scénario » l’un composé de mots et des indications écrites, l’autre, des éléments de mise en scène griffés par l’auteur1. Dans Magnolia, écrit par son réalisateur, le premier scénario, plus « classique  » est composé du récit et des dialogues , l’autre consiste à des sonorités non verbales ou partiellement verbales -essentiellement des musiques-y compris la cacophonie- échappant à ou mélangeant ces catégories. .Le sens du mot « scénario » élargi pour parler de Lang semble permettre le mien – une structure dynamique « dramatique » qui imite ou connote un récit classique ou codé, composée d’éléments non-verbaux, dont le rythme, et la disposition des temps forts et faibles font ressembler à des « ‘événements »

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compris dans un scénario « bis » , se déroulant en phase avec, ou à l’encontre de ceux narrés par le scénario « prime. » Les deux scénari, ou les co-scénari sont bien évidemment indissociables, mais les dégager l’un de l’autre pendant un court moment permet de mieux étudier leur synergie. Regardons les dans l’ordre Le scénario.prime « Classique » n’est peut-être pas le mot juste pour parler du scénario principal de Magnolia, bien qu’il soit conçu dans les unités, racontant sur vingt-quatre heures à peu près une tranche feuilletée de vie, le dire et le faire de ses multiples personnages, liés par la géographie (le lieu étant Magnolia Boulevard, un des artères principaux de la Vallée du San Fernando, qui héberge toute sortes d’habitations et de commerces ainsi que des studios de télévision) . Quid de l’unité de sujet qui lie en rendant nécessaires tous les événements ? S’agit-il des « crimes » commis par les pères sur les enfants, comme le soutiennent un certain nombre de critiques ?2 Bien que ces forfaits fassent partie du film, je préférerais avancer comme moteur profond de l’action un thème plus global, suggéré par le canon proposé: les us et abus du langage à l’ère télévisuelle Le feuilletage du temps dans Magnolia fait enchevêtrer deux fins de vie avec les durées d’au moins deux émissions de télévision entières, un épisode du quiz show « What Do Kids Know ? » et un épisode de l’émission « Profils » conduite par la journaliste Guenovier, l’entretien avec la vedette Frank T. J. Mackey en train d’être filmé. Trois personnalités de la télé la symbolisant sont présentées comme hypocrites, menteuses, voire dans deux des cas « criminelles ». Deux d’entre eux meurent, consumés par le cancer et la culpabilité, l’un le gros producteur Earl Partridge, l’autre, le présentateur de « What Do Kids Know ? », Jimmy Gator, qui se tire une balle dans la tête. Magnolia arrache les masques de ces deux notables de la télé, pères indignes, coupables d’abus, d’abandons et d’adultères, en gros de ne pas avoir été à la hauteur de l’amour qu’on leur portait. Le troisième démasquage marche pourtant à contre courant de la tradition : effectivement, Frank T J Mackey, le personnage joué par Tom Cruise, professeur télévisuel de langage manipulateur et mensonger, vedette de l’émission « Seduce and Destroy », exaltant le machisme, se révèle ne pas être tout à fait le monstre qu’il joue lors de son émission, mais avoir été un garçon sensible dévoué à sa mère, victime comme elle d’un mari et père ignoble, Earl Partridge. Le nombre de protagonistes traités par ce film long de trois heures, a été plus souvent remarqué que l’extrême rigueur du récit, dense mais logique. Le réseau de personnages rayonne du noyau formé par les deux cancéreux mourants et

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comprend leurs enfants (Frank/Jack, Claudia) , leurs épouses (Rose, Linda) , ou les participants aux émissions qu’ils animent ou produisent (Stanley au présent, Donnie au passé) , à l’exception de deux « outsiders », un policier, et un infirmier en soins palliatifs. Les différentes actions sont donc liées entre elles par les relations interpersonnelles unissant les protagonistes. Mais ce réseau de personnages est développé à l’intérieur d’un camaïeu d’éléments intégrés à une sorte de collage de genres issus de la télévision, des micro-trames dotées d’un statut d’ « objets trouvés  » ,. Ainsi le film construit une diégèse chatoyante où « réalité » télévisuelle et « réalité » diégétique sont interpénétrantes et aux frontières glissantes. L’interview menée par Guenovier, se conduit pendant la pause déjeuner. d’un séminaire, produit dérivé de l’émission de Mackey « Seduce and Destroy ». La trame concernant le policier humaniste, Jim Kurring, apparaissant comme « réaliste » selon les conventions de ce monde fictionnel, est « déréalisée » par sa référence à une émission de la Fox, « Cops », dans lequel une équipe de télévision suit dans leurs activités quotidiennes des policiers ou un seul policier (420 heures de film tournées pour 22 minutes d’émission hebdomadaire) – cette émission a été mentionnée par Michael Moore dans son réquisitoire contre les média dans Bowling for Coluymbine) Et finalement, Magnolia utilise les conventions de la télévision dite « fortean » référencé notamment par le début et la fin du film : il s’agit des émissions traitant de faits bizarres, coîncidences voire manifestations du paranormal, espèce tirant son nom de l’auteur Charles Fort, qui a publié de nombreux ouvrages documentant ce type d’étrangeté dont le bien fondé est prouvé, à l’intérieur de la diégèse, par la chute massive de grenouilles, péripétie qui n’a rien du surréaliste, s’étant -factuellement –maintes fois produite aux USA. (Toujours est-il que la vision du monde andersonienne soutient l’affirmation selon laquelle « Things like this can happen » , la phrase dite par le petit génie Stanley alors que tombent les grenouilles – vision du monde qui sera confirmée par les aléas et les accidents dans Punch-Drunk Love (2002) à eux seuls la raison d’être de cette comédie loufoque rénouvelée par le décalage philosophique du réalisateur par rapport au canon dont il s’inspire.) Bilan du film : les choses bizarres arrivent, exemple : on trouve devant sa porte un harmonium abandonné ; conclusion : l’amour est donc possible, CQFD.. On remarque que de ces émissions référencées, aucune n’est une fiction : elles sont toutes fondées sur une approche de la « réalité » et servent comme cadre pour la partie « réaliste » de la diégèse apparaissant traiter de la vraie vie, jonchée de crimes, de drogue, d’adultères et confessions, mais plus que tout autre partie du film ressemblant à une fiction, ou mélodrame pour ménagère, un peu sombre. Magnolia construit

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un enchevêtrement de quasi-réalités, se référant aux genres télévisuels, comme si notre « réalité » à tous, figurée par la diégèse, était structurée par la télévision et ses dispositions du temps et de la communication. Cette société de la Vallée du San Fernando évoluant autour de Magnolia Boulevard, se montre accaparée par la télévision : des écrans sont allumés dans presque toutes les pièces du décor, et les personnages sont souvent en train de regarder (ou d’ignorer) des émissions auxquelles le réalisateur nous fait assister « de l’intérieur », doublant certaines séquences de sa diégèse par des séquences d’émission télé en train de s’élaborer. Le deuxième scénario Qu’en est il du  deuxième scénario « off » que j’ai évoqué plus haut? Il est composé de musiques acousmatiques de Jon Brion, de chansons d’Aimée Mann dont les paroles appuient les dialogues, des bruitages (pluie, chute de grenouilles, voire des simili- silences  meublés de bruits de chiens, voix distantes, etc.), convergeant parfois avec le son « in » ou diégétique (les chansons d’Aimée Mann écoutées dans la diégèse, reprises par la bande son ; le jingle introductif de l’émission « What Do Kids Know » attelé à un fortissimo de la musique « off » au rythme faisant penser à un pouls humain) A quel membre de l’équipe auctorielle attribuer ce bel ouvrage – à Anderson lui-même, ou à Richard King, responsable du sound design, incorporant tous les éléments sonores, musiques de Brion et chansons de Mann comprises ? Cet amoncellement impressionnant de sons est rigoureusement organisé et, pour commencer, tombe grossièrement dans deux parties distinctes : la cacophonie de la première partie du film, qui rend quasi indéchiffrables un grand nombre de dialogues, et les plages de silence consacrées à la parole, à la voix nue, dans le dernier tiers. Les codes de réception installés par le canon évoqué ci-dessus donnent une clé de lecture pour ce co-scénario, ou scénario « bis », nous permettant de comprendre que la première partie du film brosse le tableau d’un monde d’après la chute, c’est-à-dire un monde dominé par la télévision, mais aussi par le crime : la correspondance de cette déchéance est la cacophonie, à la fois « in » et « off », la métonymie étant le cancer qui ronge les deux hommes de télévision dont la diégèse présente la mort. .. A la fin du film, lieu des confessions et des déclarations, le monde est lavé ou rééqulibré et la communication entre les êtres peut s’établir ou se rétablir. Pendant plus d’une heure de ce film, le dialogue est quasi inaudible, le spectateur a du mal a déchiffrer les mots prononcés par les personnages.. Le

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spectateur, ayant difficilement accès aux dialogues, est aligné sur la position des personnages paumés, que l’on n’écoute pas ou qui ne s’expriment pas. Le scénario sonore manipulant le spectateur auditeur en lui donnant accès (ou non) aux éléments sonores de la diégèse, et notamment les dialogues, en vient à ressembler à une source de narration complémentaire , presque l’équivalent d’une voix over commentant l’action Appeler « scénario » (même « bis ») un assemblage de sons, de musiques et de chansons peut apparaître comme une nomenclature décalée voire saugrenue. Toujours est il que le mouvement de ce matériau sonore est organisé de manière non seulement à infléchir le déroulement du récit mais aussi à évoquer certaines attentes concernant son issue. Le scénario « bis » commence par nuire au dialogues, presque à les condamner : à la lumière des codes du cycle, on réagit à ces interférences, les « lit » en termes du message partagé par les autre films du canon : les média de masse tue la communication vraie, pollue l’atmosphère où évoluent les humains. Lâchant prise sur le spectateur/auditeur, l’accompagnement sonore devient plus cohérent, moins nocif : finalement, il permet l’émergence de la parole, les paroles des chansons d’Aimée Mann deviennent plus compréhensibles en même temps que les personnages commencent à « parler vrai ». Ce scénario sonore, complément de la narrative et des dialogues semble progresser vers un mieux : il y a un : avant - la cacophonie - et un après -les confessions, l’échange , démarquées par deux éléments remarquables de mise en scène – les deux survols panoramiques de l’ensemble des personnages faits d’abord par une sorte de travelling circulaire, sous le poids d’une cacophonie, ensuite par la chanson collective, dont l’expressivité organisée marque une pause et prépare la fin du film. L’apogée de la cacophonie est obtenue lors du travelling circulaire nous promenant de personnage en personnage, en accompagnement du début de l’émission « What Do Kids Know » Le monde du film est alors submergé par les mots et les sons afférents à cette émission, que beaucoup de personnages sont en train de regarder. ( Les connotations moralement douteuses de telles émissions ayant été soutenues par Quiz Show, le film de Robert Redford (1994) traitant des scandales des années cinquante.) La contrepartie de ce survol des personnages est la participation( à deux heures treize minutes) de tous les personnages qu’ils soient agonisants ou inconscients, à la chanson d’Aimée Mann,« Wise Up » dont ils prononcent les paroles, chacun à son tour. Cette prise de parole par l’entremise de la chanson constitue l’événement principal de Magnolia, et il libère les paroles des personnages en même temps que les oreilles des spectateurs.

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Question et réponse Une sorte de contagion causée par le virus de la répétition fait apparaître les parties avant et après du deuxième scénario comme les deux parties d’une échange interrogative, la question et sa réponse, car la plupart des dialogues font partie d’un camaïeu d’échanges de ce type. .La plupart des genres télévisuels référencés – entretien visant à démasquer la réalité intime d’une personnalité, policier, quiz show - sont tous basés sur le questionnement : les deux premiers types d’interrogation doivent en plus déboucher sur une confession, ou au contraire sur un alibi qui innocente le destinataire des questions. Le quiz show demande une réponse, correcte ou incorrecte. Des questions de culpabilité et d’innocence, de vérité et de fausseté, sont au cœur des structures du dialogue mais aussi du mouvement de la diégèse, qui tend vers la confirmation ou infirmation de différentes questions soulevées : qui dit vrai, qui ment, qui doit assumer la culpabilité ? Quelle est la réponse au  problème posée par cette peinture d’un monde télévore plus ou moins criminel que donne la première partie du film ? L’intervieweuse, Guenovier, cherche en posant des questions à arriver à une réalité cachée – le passé de Mackey , très différent de celui qu’il affiche, remplie d’études fictives et d’autres mensonges. Le policier, Jim , cherche en questionnant les prévenus à arriver à une évaluation de leur culpabilité ou de leur innocence, à provoquer des confessions. C’est également le cas de Rose, la femme de Jimmy Gator, qui le questionne pour savoir si réellement il a abusé de leur fille. Mais la confession d’Earl Partridge, sur son lit de mort, est auto impulsée, comme celle de sa femme, qui va vers trois individus, son médecin, sa psy, son avocat, en essayant de trouver quelqu’un, pour écouter ses aveux. Par contre, lorsque les deux pharmaciens, jeune et vieux, lui pose des questions sur l’ordonnance pour des poisons qu’elle leur apporte, elle craque : sa culpabilité est à fleur de peau, au point qu’elle ne supporte pas l’interrogation. L’adultère n’est pas criminelle, lui dit son avocat, mais elle cherche une punition et veut se débarrasser de l’argent que va lui laisser son mari. Jimmy Gator se punit en se tirant une balle dans la tête l’une fois sa confession obtenue par sa femme. Les élèves de Frank Mackey lors du séminaire, sont encouragés à « confesser » leurs problèmes, les mauvais moments que leur ont fait connaître les femmes. La situation d’interrogation et de confession est au cœur de la diégèse – il est évident que cela exige la présence de personnages pour questionner, mais aussi pour écouter : les deux exemples principaux sont le policier Jim et l’infirmier en soins palliatifs, Phil, liés par

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leur douceur et leur compassion et par un autre caractéristique, l’absence dans leur parler de grossièretés comme celles qui émaillent les autres dialogues, Le métier de Kurring - policier - est la clé de ces structures de questionnement, et aussi des confessions, forcées ou spontanées qui les varient ou qui en résultent. A ces affleurements d’émotion s’associe une figure analogue et complémentaire, la déclaration d’amour, forme potentiellement joyeuse de la confession Ces diverses façons de communiquer que l’on pourrait voir comme « vraies », sont contrastées avec la situation du début du film : l’absence de communication, la cacophonie, les dialogues au vocabulaire très pauvre, complètement mangés par les grossièretés dont les sous-titres français donnent une idée très sommaire, et des questionnaires corrompus par l’argent, dénaturant la culture en la réduisant à quelques échanges laconiques chiffrées, que comprend le quiz show.

Us et abus du langage Anderson se soucie du rôle de l’auteur et crée une œuvre auto réflexive en utilisant par exemple de film en film des acteurs fétiches, John Q. Reilly ou Philip Seymour Hoffman. Ce positionnement d’auteur s’affirmant comme tel, rend d’autant plus logique le fait d’interpréter ce film à la lumière des œuvres précédentes d’Anderson, Hard Eight (1996, titre alternatif : Sydney) et Boogie Nights (1997), et d’y voir surtout un film traitant comme eux des relations père/fils, (Quoique Boogie Nights contient un autre thème, celui du besoin non seulement de célébrité mais aussi d’expression artistique et donc de communication, d’une sorte de « langage » qui anime les pornographes de la Vallée du San Fernando imaginés par le réalisateur, partant d’une histoire réelle.) Le thème des relations père -fils est certes présent. Mais le film, anamorphique sous les lumières données par le passage du temps, comme tous les films, change d’aspect quand s’ajoute à l’œuvre un film supplémentaire. Magnolia est davantage lié au film suivant d’Anderson, Punch-Drunk Love (2002), où les relations filiales bien qu’elles soient nécessaires à la diégèse sont traitées en sourdine, et les thèmes joints du langage et de la communication prédominent. Mais surtout, Magnolia prend place dans une tradition qu’il prolonge et modifie, celle de la large palette de films américains qui traitent du langage, y compris les writer-films, Comme souvent, le clivage voire le conflit entre Nature et Culture est un thème sous-jacent. Le plus souvent, c’est la nature qui triomlphe sur la culture vue comme stérile, artificielle dans Boule de feu (1942) d’Howard Hawks, par exemple. Dans Magnolia, la Nature- le parler vrai, le

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langage fonctionnel qui fait parler le cœur, triomphe en fin de compte sur la culture, mais il s’agit ici d’une sous-culture, qui tue la culture : les codes et les appartenances du champ de bataille sont brouillés. Dans Boule de feu, un mariage résulte de la bataille comique entre Nature et culture, la réconciliation des adversaires, pour le plus grand bien et le plus grand bonheur de tous. L’ordonnance donné ne prévoit pas le compromis : il faut veiller à rompre, se sévrer des média de masse. Dans Magnolia, la prédominance du thème principal du film, dessiné dans les deux « co-scénari », est le langage, thème indiqué par les propos des deux premiers personnages que nous rencontrons, Mackey et Kurring, que tout semble opposer. Frank T J. Mackey, l’animateur de Seduce and Destroy, utuilise un discours truqué et populiste pour profiter du malheur des gens, en l’occurrence le malaise des hommes qui manquent de l’assurance vis-à-vis des femmes. Il le dit lui-même : tout est une question de langage, Il apprend à ses acolytes comment manipuler les femmes en les trompant essentiellement avec des faits de langage, des propos fallacieux ou des mensonges. Ce personnage, porteur d’un masque que la diégèse va lui enlever, est le pivot du rattachement au canon, évoquant par exemple Lonesome Rhodes, dans Un homme dans la foule, tout en aidant à déplacer le centre du problème des discours faux promus par la télé, du domaine politique à proprement parler à celui de la guerre des sexes. Kurring (qui aurait pu être un « élève » de Mackey, car c’est un divorcé qui diffuse un vidéo en espérant trouver l’âme sœur, et donc quelqu’un qui a du mal à communiquer avec les femmes) s e préoccupe aussi du langage, ne s’arrêtant pas de recommander à tous ceux qu’il rencontre, d’éviter la grossièreté. Son interrogation intérieure, ses cas de conscience, sa recherche du bien, se contrastent avec l’écran de fumée nocive qui caractérise et qui protège le faux-dur, Mackey. On a l’impression que dans cette société obsédée par la télévision, le langage a été dénaturé : si Franck Mackey détourne le langage de l’amour et de la séduction, tout en déployant des ressources linguistiques considérables, son père, sa bellemère, Linda (qui semble avoir été la maîtresse de Jack ), et Claudia, la fille de Jimmy Gator, ne savent plus parler sans grossièrete. Dans Magnolia, la télévision est vue comme responsable d’une déchéance culturelle qui tue la communication, déforme les vies, comme le quiz show déforme les vies des enfants participants. Témoignage à charge : l’exemple de Donnie, le « quiz kid » du passé, qui vit en mettant sa célébrité au service d’un magasin de mobilier, et s’étant fait dévaliser par ses parents, reste dans un état financier et affectif instable

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, ou Stanley, humiliée par sa vessie pleine parce qu’il n’a pas pu faire entendre l’expression de son besoin naturel.) En conclusion, pour bien comprendre Magnolia, il faut non seulement connaître le s films précédents d’Anderson, mais aussi le reste du canon- les autres films américains traitant des média de masse, et avoir attendu que sorte Punch-Drunk Love, mais aussi, ne pas avoir peur de lui associer des schémas éthiques voire religieux- ils sont présents aussi, en plein ou en creux, dans Boogie Nights (thèmes du rachat et de l’injustice d’une société bigote incapable de juger le fond du cœur des harders, absence du pardon) et dans Hard Eight (thème de la pénitence, du rachat, du pardon, de la présence du Mal incontournable) . Le motif religieux qui prédomine dans Magnolia est celui de l’absolution par la confession, permettant d’accéder à une sorte d’état de grâce. On pourrait ainsi analyser le chant collectif comme une sorte de communion ayant l’effet de remettre le monde en mode verbal (et donc éthique et spirituel, puisque la loi et la foi sont liées au langage) : la chute de grenouilles peut se lire comme bizarrerie naturelle, ou bien « réponse » ou du moins expression divine. (Il semble qu’Anderson, ayant appris ou réappris par l’un des acteurs que ces animaux virevoltants font une apparition dans la Bible, ait renforcé les renvois au livre de l’Exode (Exode, chapitre 8, verset 2) racontant les fléaux imposés aux Egyptiens lors de la captivité des Israélites.). Les différentes culpabiités du film sont mortifères, conduisant à des punitions. Mais la chanson collective engendre le rachat voire le pardon, et conduit à la happy end. Plutôt que de subir, de regarder, passivement, asservis à la télévision, le personnages participent à une activité expressive. La fin du film – les 45 minutes après la chanson collective - est remplie d’efforts vers la communication – le grand exemple étant celui que présente l’amour naissant entre le policier et la fille de Jimmy Gator, Claudia, une pure qui aspire à la sincérité complète dans les relations humaines. Libéré des musiques fortes et des cacophonies du début du film, le spectateur peut écouter les discours pleins de sens. La morale de l’histoire ? Classique et déjà vue. C’est en se sevrant des média de masse que l’on retrouve l’usage de la parole – message inchangé depuis les films de Capra, Kazan ou Lumet, quoique transporté par Anderson dans le domaine privé, voire philosophique.

©Trudy Bolter 2007

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Il s’agit du livre de Gérard Leblanc et Brigitte Devismes, Le double scénario chez Fritz Lang , Paris : A. Colin, 1991 2 Un exemple : l’article excellent, Magnolia : One Froggy evening, de Jean-Michel Coursodon, paru dans Positif N°489, mars 2000, p.13-15.

BIBLIOGRAPHIE BEZIAU, Patrice et LEVY, Jacques : « Au cinéma, la télé apparaît souvent comme le grand méchant loup… »,136-143, in HENNEBELLE, Guy et PREDAL, René  (eds.) : L'influence de la télévision sur le cinéma, CinémAction n° 44, juin 1987, éd. Cerf, 248 p. BOLTER, Trudy : Figures de l’écrivain dans le cinéma américain : itinéraires de la « voix baladeuse », Rennes, Presses universitaires de Rennes, Coll. Le Spectaculaire, 2001 BOLTER, Trudy : « Quatre figures de critique dans le cinéma américain des années quarante : Dérives totalitaires du langage », Revue Ligeia : dossiers sur l’art, Numéro Image-Cinéma, coordonné par PatriciaLaure THIVAT, Numéro 61-62-63-64, juillet-décembre 2005 COURSODON, jean-Pierre : Magnolia : One Froggy Evening, p.13-15, Positif, N°469, mars 2000. HENRY, Michel : Entretien avec Paul Thomas Anderson, Une affaire de vie ou de mort, 16-19, in Positif, N° 469, mars 2000. DEVISMES Brigitte, et LEBLANC Gérard :Le double scénario chez Fritz Lang , Paris : A. Colin, 1991 IMDB : Internet Movie Database entrée « Magnolia », rubrique « Trivia » (7 pages imprimées) http://imdb.com/title/tt0175880/trivia

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