Le Pentagrame maudit. Prise au dépourvu, pour ne pas dire prise à son propre piège, mademoiselle Eloïse ne cachait pas son embarras devant ce vieux grimoire sorti dont ne sait où. La démarche était simple. Un élève apportait un objet insolite, et toute la classe se mobilisait pour l’étudier. On avait ainsi découvert une foule de choses intéressantes près desquelles souvent on passe sans y prêter attention et qui se révèlent souvent fort instructives tant pour leur utilisation courante, ou particulière, parfois même étonnante, ainsi que par les astuces mises en œuvre pour leur fabrication. Que l’objet insolite fut apporté par Pierre Desforêts ne surprenait personne. Il habitait une des rares vieilles bâtisses nichées sur le coteau Ouest partant à l’assaut de la montagne dominée par La Bastille. Leur situation privilégiée en dehors des grands axes de circulation les avaient peut-être protégées des avatars destructeurs qui gangrènent les constructions de la plaine. C’est en fouillant une vieille malle dans son grenier poussiéreux, aux araignées énormes qu’il le découvrit. Le document représentait un homme nu enfermé dans un cercle, les jambes écartées, les bras en forme de V. Bras, jambes et tête étaient reliées par un trait représentant une étoile. - Cette figure représente une étoile à cinq branches, d’où le nom tel qu’on le devine écrit en bas à droite : " Pentagramme d’Agrippa ". Cornélius Agrippa est né à Cologne et a été recueilli par François Vachon, président du parlement de Grenoble après avoir assumé de hautes fonctions en Allemagne et en Italie. Cela se passait dans les années 1400, plutôt vers la fin du siècle. C’était un homme à la fois savant et sorcier, vous avez certainement entendu parler des alchimistes de cette époque qui essayaient de fabriquer de l’or. Il en faisait parti, ce qui lui valut d’être pendu puis brûlé ainsi que tous ses manuscrits et tout ce qu’il possédait. Je ne suis pas spécialiste en la matière et je ne pourrai pas vous donner beaucoup d’explications, mais il semble, en examinant les couleurs des différentes parties du corps et les signes inscrits, qu’il donnait une signification électrique aux divers éléments du corps humain. Les élèves écoutaient attentivement leur institutrice apporter ces explications. Il est vrai que l’esprit humain, surtout chez les enfants, adore entendre des histoires du passé, ces histoires pleines de mystères et d’imprévus. Tant pis, si souvent elles s’éloignent de la vérité, déformées par le bouche à oreille et l’empreinte du merveilleux qu’insuffle le temps qui passe. Son charme réside peut-être dans cette sorte de dépaysement qu’elles apportent à notre époque moderne aux valeurs chancelantes écrasées par la technologie. Toujours estil que le mystère restait entier. Agrippa était-il un savant, un charlatan ou un sorcier ? Peut-être les trois à la fois.. - A mon humble avis, continua-t-elle, ce document n’a aucune valeur scientifique. La médecine d’autrefois n’ayant rien de comparable à notre médecine moderne. Par contre, il a une très grande valeur historique, car ainsi que je vous le révélais il y a un instant, tous ses écrits et objets ont été brûlés. Ce document a peut-être été sauvé par un de ses amis. A cette époque, les alchimistes avaient beaucoup de relations avec la noblesse à qui ils fournissaient des remèdes, des talismans, et toutes sortes d’objets genre gris-gris ou amulettes. - Que me conseillez-vous d’en faire, mademoiselle, demanda Pierre ? - Il commence à se détériorer, si vous le gardez, il risque de se détruire rapidement. Je vous conseille de prendre contact avec le musée de Grenoble. Vos parents pourront décider s’ils le donnent ou le vendent. - A-t-il une grande valeur, demanda Octave Millet ? - Je vous l’ai déjà dit : scientifiquement aucune, mais historiquement, c’est certain, ce document revêt une valeur inestimable surtout pour Grenoble. Il entre dans son patrimoine. - Mais pourquoi, inscrire une valeur électrique sur les parties du corps ? demanda Anaïs. Mademoiselle Eloïse eut un grand sourire embarrassé. - Certains thérapeutes prétendent que les maladies sont dues à un déséquilibre électrique des organes malades et qu’il suffirait de rétablir la valeur de la polarité positive ou négative de l’organe malade pour qu’il guérisse.
- En le branchant sur une prise, ironisa Jean-Pierre Leleu en riant ? - Non, bien sûr ! Mais par le magnétisme humain du thérapeute qui transmet son énergie au malade. Bon ! J’arrête de vos donner des explications, car c’est tout ce que je sais. Les livres que j’ai consultés ne sont pas très explicites sur ce sujet particulier. Il est l’heure de votre séance de sports. A tout à l’heure pour les math’s. Les élèves sortirent et mademoiselle Eloïse ferma à clef la porte de la classe. La salle de sports était toute proche. Une belle salle rénovée depuis peu. En entrant, on trouvait tout d’abord à droite un petit ring ceinturé de toile bleue et deux petits tabourets aux angles sur lesquels attendaient les gants des futurs protagonistes. A gauche, les tapis et les diverses barres et accessoires pour la gym, ensuite, le plus grand espace recevait à droite un terrain de basket et à gauche un petit terrain de volley. Après la demi-heure d’échauffement conduite par André le professeur à la musculature impressionnante et de plus charmant garçon, chacun rejoignit le secteur réservé à son sport favori. Jean Pierre Leleu et Modeste Bigarrot, le ring, alors que Jacques Prigent accompagné d’un jeune moniteur partaient faire leur cross country sur la piste du lycée. Chacun occupant le poste convenu lors des précédents entraînements le démarrage se faisait rapidement. La séance sportive terminée, les élèves attendirent quelques instants devant la porte fermée de leur classe le retour de mademoiselle Eloïse un peu retardée. Elle ne put retenir un cri en arrivant à son bureau, devenant soudain pâle, tremblante. Et c’est en bégayant qu’elle s’adressa à ses élèves. - Le grimoire ! Il a disparu. Je l’avais laissé sur le bureau …. Quelqu’un l’a volé. Il y eut un grand silence dans la salle. Bien sûr, des vols, il y en a tous les jours au lycée. Mais voler ce vieux document au contenu précieux chargé d’histoire, prenait une toute autre dimension. - Pourtant j’ai bien fermé la porte à clef, se lamenta-t-elle. Instinctivement quelques élèves tournèrent la tête vers la fenêtre entrouverte. Elle suivit leurs regards, se leva et s’approcha de la fenêtre. - Oui, c’est vrai, la fenêtre était simplement poussée mais pas verrouillée. C’est ce qui m’a induite en erreur quand on est sorti. Elle jeta un œil par la fenêtre pour voir s’il ne traînait pas un escabeau ou autre chose dehors, car les fenêtres dans cet établissement sont assez hautes. Bien sûr, elles ne représentaient pas un obstacle infranchissable pour un adolescent leste. Elle revint à sa place d’un pas nerveux ; son visage se durcissait. - Le voleur est certainement l’un d’entre vous. Je lui donne cinq minutes pour avouer, sinon, nous le découvrirons et il sera renvoyé. Allez me chercher le professeur d’éducation physique et les moniteurs qui vous ont encadrés pendant votre heure de sports. Personne n’avait encore avoué lorsque les quatre cadres de l’équipe des sports se présentèrent. Mademoiselle Eloïse leur résuma la situation. - Commençons par les deux boxeurs, proposa l’institutrice. - Ben nous, on a pas quitté le ring pendant la demi-heure, précisa Modeste Bigarrot. - Vous confirmez , demanda mademoiselle Eloïse à Jean Pierre ? - Oui ! Si vous voulez plus de précisions, disons 25 minutes. Moi, j’ai fait 5 minutes de sac de sable, pendant que Modeste allait chercher un paire de gants dans le stock à côté car il manquait une paire sur le ring. - 5 minutes c’est long, remarqua l’institutrice.
- Ben ! Ils étaient dans une caisse tous mélangés, j’en ai essayé pas mal pour en trouver une paire à ma taille, moi, j’ai des petites mains. Des mains d’intellectuel. Pas des grosses paluches de paysan comme Jean Pierre. Il réussit à dérider la classe un court instant. - Je peux vous dire que Jacques Prigent , n’a pas quitté ma foulée pendant que nous faisions notre cross, confirma le moniteur. - Les dix basketteurs n’ont pas quitté le terrain, affirma un autre moniteur. - Ni les 12 handballeurs, confirma l’autre aide moniteur. L’institutrice se pinça les lèvres de dépit. - Il n’en reste plus qu’un. Qu’as-tu fait Nicolas pendant cette heure de sports ? Un jeune homme brun, le bras en écharpe se leva. Il s’était fracturé le bras le dimanche précédent dans une chute en vélo et portait un plâtre. - Comme d’habitude, je suis allé en salle de lecture, j’ai lu pendant une demi-heure et ensuite, je me suis mis à l’ordinateur. - Avec une seule main ? - Oui bien sûr. J’ai le bras gauche cassé, mais je peux me servir de ma main droite. Je me débrouille d’ailleurs pas mal d’une seule main. - Y avait-il quelqu’un d’autre qui puisse confirmer que tu n’as pas quitté la salle pendant 1 heure ? - Non ! J’étais seul. J’ai quitté la salle seulement 5 minutes pour aller aux toilettes. - Très bien . Nous tenons notre voleur, grimaça l’institutrice. Rends de suite le manuscrit où tu seras renvoyé. Je présume qu’il n’est pas dans la classe, mais caché quelque part. - Je vous dis que c’est pas moi, cria-t-il le visage empourpré avant d’éclater en sanglots. Anaïs se leva et s’approcha de son camarade. Elle posa sa main sur son épaule. - Ne pleure pas Nicolas. Je sais que ce n’est pas toi le voleur. Après les affirmations de l’institutrice, les propos d’Anaïs surprirent tout le monde. L’institutrice hocha la tête. - Ah ? Tu penses que ce n’est pas lui ? Alors qui est-ce ? - J’affirme que ce n’est pas lui et je sais qui est le voleur. Il sera très facile de le confondre. Je lui conseille d’avouer de suite.
Fin. Alors, vous avez trouvé ?