Aperçu de l’ancien français 1.Français archaïque et ancien français Dependant de l’action des facteurs extra-linguistiques, chaque période se caractérise par un dynamisme plus ou moins accentué. Pour l’ancien français la date d’apparition est considerée comme le débout du XIV-ème siècle et aaussi l’année 842,année de la rédaction des Serments de Strasbourg. Beaucoup de chercheurs prennent pour point terminal de l’ancien français 1346, l’année où, après la bataille de Créecy, les Anglais s’étaient emparés de Calais. L’ancien français connaît son âge d’or dans la seconde moitié du XII-ème siècle, moment d’une deuxième Renaissance, correspondant au renforement du pouvoir royal grâce aux plus illustres Capétiens : Philippe-Auguste et Louis IX. Resulte deux étapes : Le très ancien français, le français primitif ou le français archaïque que sont les dénominations courantes de la période qui s’étend de 842 jusqu’au milieu du XII-ème siècle.La période suivante est connue sous le nom d’ancien français proprement dit. La diversification dialectale est l’un des traits les plus saillantes de cette période.On distingue trois grandes zones : -la région de la langue d’oc, qui comprend le bassin de la Garonne, le Limousin, l’Auvergne, le Languedoc, le Comtat venaissin et la Provence : -la région franco-provençade, qui comprend le département du Rhône de la Loire de la HauteSavoie, de l’Isère, de l’Ain, du Doubs, du Jura : -la région de la langue d’oïl, qui comprend l’Artois, la Picardie, la Wallonie, La Lorraine, la Bourgogne, la Franche-Comté, la Champagne, L’Ille-de-France, l’Anjou, le Maine, la Touraine, la Bretagne, la Normandie, la Saintonge, l’Angourmois . Les deus grandes aires dialectales, appelées langue d’oc et langue d’oïl d’après la manière de dire oui ( oc
Aperçu (2) de l'ancien français (Poésie épique – XIe siècle: Chanson de Roland) Aperçu (3) de l'ancien français (Poésie épique (suite) – XIIe siècle: Cycle de Guillaume au court nez, Pèlerinage de Charlemagne) Aperçu (4) de l'ancien français (Littérature courtoise – XIIe siècle. Béroul, Thomas: Tristan, Marie de France, Chrétien de Troyes) Aperçu (5) de l'ancien français (La prose – XIIIe siècle. Guillaume de Tyr, Villehardouin) Aperçu (6) de l'ancien français (La prose (suite) – XIIIe siècle. Un procès sous Louis IX) Aperçu (7) de l'ancien français (La poésie lyrique en langue d'Oïl - XIIe siècle: Gace Brûlé, Châtelain de Coucy) Aperçu (8) de l'ancien français (La poésie française (suite) - XIIe et XIIIe siècles: Colin Muset, Conon de Béthune, anonymes, Thibaut de Champagne, Adam de la Halle, Rutebeuf) Aperçu (9) de l'ancien français (La poésie française (suite) - XIVe et XVe siècles: Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps, Christine de Pisan, Charles d'Orléans, François Villon) Les langues romanes Toutes les langues romanes viennent du latin, langue indo-européenne, issue de la famille des langues italiques, qui s'est imposée dans la partie occidentale de l'Empire Romain et au nord du Danube, en Dacie (la Roumanie actuelle), au dépens notamment du celtique (par exemple le gallois). Dans la majeure partie de l'Empire d'Orient (Byzance), où domine la culture hellénistique, le grec a mieux résisté au latin. Avec les invasions barbares, les différentes parties de l'Empire Romain furent peu à peu isolées l'une de l'autre et du centre. D'abord la Dacie fut abandonnee aux Goths (+271), ensuite les différentes provinces devinrent de plus en plus autarciques avant de tomber entre les mains de peuples germaniques: Goths, Vandales, Lombards, Burgondes et Francs. Le parler populaire, le latin vulgaire ou bas latin, déjà distinct du latin littéraire ou latin classique, se différencia dans les provinces isolées. Seule l'Église, devenue institution d'État par l'interdiction du paganisme par Théodose en 391, put maintenir une certaine unité de la langue latine et une certaine culture classique. Le proto-roman (nom donné par les philologues à la langue parlée du haut Moyen Âge) se scinda d'abord en sarde et en roman continental. Le sarde est la langue romane la plus conservatrice, c.-à-d. celle qui a le mieux conservé la forme linguistique du latin. Les autres langues romanes se différencièrent à leur tour. Une distinction très importante est celle qui résulte entre les langues romanes occidentales, où l'-s final du latin se maintient, et les langues romanes orientales, par exemple l'italien, où l’-s final est perdu. Ainsi les déclinaisons nominales deviennent très différentes. Voici d'abord un schéma montrant la déclinaison de l'adjectif latin purus, fr. pur, ensuite une carte montrant la diversité linguistique de la Romania, et enfin un stemma montrant la diversification des langues romanes . Latin: Masculin Singulier Nominatif purus Accusatif purum
Pluriel puri puros
Féminin Singulier pura puram
Pluriel purae puras
Pluriel puri
Féminin Singulier pura
Pluriel pure
Italien: Masculin Singulier puro
Ancien français: Masculin Singulier Cas sujet purs Cas pur oblique
Pluriel pur purs
Féminin Singulier pure pure
Pluriel pures pures
Pluriel purs
Féminin Singulier pure
Pluriel pures
Français moderne: Masculin Singulier pur
Le latin non-classique Dans sa version gallo-romaine a fourni la base principale du français, qui a hérité de lui la plus grande partie de son vocabulaire et de sa structure grammaticale. Le latin littéraire, qui continuait à être utilisé dans l'enseignement, dans l'administration et dans la jurisprudence, n'a jamais cessé d'influencer le français, qui a trouvé dans le latin classique une source de renouveau et un idéal de perfection et de clarté formelles. Au Moyen Âge, on considéra le latin comme représentant l'essence de la langue, donc comme éternel, immuable, régulier, alors que les parlers vulgaires étaient contingents, altérables, remplis d'impuretés et d'imprécisions. Le latin était le seul idiome imaginable dans les genres nobles, à l'église, à l'université, au prétoire, dans les chancelleries, alors que li romanz, le roman, n'était accepté que dans la vie quotidienne et dans la littérature de divertissement, c.-à-d. la poésie d'amour, les chansons de geste, les romans (qui ont reçu leur nom de l'idiome dans laquelle on les a écrits), les nouvelles, les pièces de théâtre.
Ce ne fut qu'à la Renaissance qu'on commença à considérer les langues populaires comme comparables au latin, Dante pour l'italien, les auteurs de la Pléiade pour le français, et en 1539, avec l'Édit de Villers-Cotterêts, François Ier (1515-47) ordonna le remplacement du latin par le français comme langue de juridiction partout dans le royaume de France. On distingue dans l'évolution du français quatre stades. 1. 2. 3. 4.
l'ancien français (842-v. 1350), le moyen français (v. 1350-v. 1600), le français classique (v. 1600- v.1800) et le français moderne.
Du point de vue de la lingustique historique, les langues romanes constituent un cas particulier, puisqu'on peut suivre assez exactement leur évolution depuis un point de départ, le latin, jusqu'aux points d'arrivée (français, espagnol, italien, etc.) Normalement, l'étude de l'histoire d'une langue implique la construction purement hypothétique des étymologies par la comparaison des formes actuelles, sans possibilité de vérification. En linguistique romane, les étymologies sont souvent là, dans le latin. Ceci n'exclut pas, évidemment, l'existence de “trous noirs”. Notamment, on ne sait pratiquement rien de précis sur ce qui s'est passé sur le plan linguistique entre 450 et l'apparition des premiers textes en français aux 9e, 10e et 11e siècles. La période obscure 450-850. De la basse latinité aux premiers textes français 400 ans séparent le latin vulgaire ou bas latin du premier texte en ancien français. La Gaule fut probablement complètement romanisée vers 400. La pénétration du latin est due à la classe possédante, qui imita l'aristocratie romaine et participa à la vie administrative, aux vétérans de l'armée, qui furent installés comme colons, et aux gens d'église. La langue gauloise, appartenant à la famille des langues celtes, disparut sans pratiquement laisser de traces, sauf quelques mots isolés appartenant surtout à la vie quotidienne, par exemple *camisa ® 'chemise', *camino® 'chemin', *blato® 'blé', *bracas® 'braies', *carro® 'char', cf 'charpente', 'charrue', *multone® 'mouton', *sudia® 'suie, mais dont l'étymologie est presque toujours discutable. En tant que substrat, l'influence du gaulois sur le latin parlé en Gaule est en général incertaine. Il est cependant possible que la prononciation de la voyelle longue u [ū] en latin, [y] en français soit due à l'influence du gaulois. Il y a de bonnes raisons de croire que jusque vers 450, la population ait été capable de comprendre le latin vulgaire, par exemple de suivre la messe. Sur la sermo vulgaris (le parler vulgaire, c.-à-d. le latin vulgaire), on sait assez peu de choses. Nous n'avons que quelques inscriptions avec des fautes d'orthographe et de grammaire révélatrices, quelques mises en garde contre les fautes de langage, la traduction de la Bible, dite La Vulgate par Saint Jérôme, terminée en 405, et la Peregrinatio Aetheria ad locam sanctam, où une religieuse espagnole Éthéria où Egéria fait un récit vivant de son voyage à Jérusalem à la fin du 4e siècle. Voici un exemple où Éthéria décrit les difficultés linguistiques rencontrées lors d'une messe pascale à Jérusalem sur le tombeau présumé du Christ.
XLVII. 3. (…) quoniam episcopus, licet siriste nouerit, tamen semper grece loquitur et nunquam siriste: itaque ergo stat semper presbyter, qui episcopo grece dicente siriste interpretatur, ut omnes audiant [ut omnes audiant] quae exponuntur. 4. Lectiones etiam, quecumque in ecclesia leguntur, quia necesse est grece legi, semper stat, qui siriste interpretatur propter populum, ut semper discant. Sane quicumque hic latini sunt, id est qui nec siriste nec grece nouerunt, ne contristentur, et ipsis exponitur eis, quia sunt alii fratres et sorores grecolatini, qui latine exponunt eis. Traduction: XLVII. 3. (…) parce que l'évêque, bien qu'il sache le syrien, parle néanmoins toujours en grec et jamais en syrien, un prêtre est toujours là qui, l'évêque parlant grec, traduit en syrien, pour que tous entendent ce qui est exposé. 4. De même en ce qui concerne les lectures quelles qu'elles soient, qui sont lues à l'église, – parce qu'il faut les lire en grec, il y a toujours quelqu'un qui les traduit en syrien pour le peuple pour son édification. Et même, s'il y a des Latins, qui ne savent donc ni le syrien ni le grec, pour qu'ils ne soient pas tristes, tout leur est également traduit, parce qu'il y a des frères et des sœurs greco-latins qui leur donnent des explications en latin. Deux glossaires, le Glossaire de Reichenau et le Glossaire de Kassel, donnent des renseignements précieux sur la situation linguistique en Gaule au 8e siècle. Le premier, établi en Gaule du Nord entre 700 et 750, traduit du latin en langue vulgaire: Latin classique uvas vorax femur dem iecore is caseum
Gallo-roman racemos (raisins) manducator (mangeur) coxa (cuisse) donem (donne subj. donare rempl. dare) ficato (foie) ille (il pronom personnel) formaticum (fromage)
Le second est une sorte de parleur qui donne l'équivalent des expressions romanes en germanique. Il est systématique: l'homme, les bêtes, l'habitat, les vêtements, etc. Il est écrit par un Bavarois, commelemontrentles exemples suivants stulti sunt romani les Romains sont stupides sapienti sunt paioari les Bavarois sont intelligents modica est sapientia in l'intelligence est modique chez la romana plus habent stultitia Romaine; elles ont plus de quam sapientia stupidité que d'intelligence Dans le Glossaire de Kassel, on rencontre les premiers vocables authentiquement romans: mantun fr. menton auicun fr. oison martel fr. marteau pulcins fr. poussins
Après 450, un peuple germanique, les Francs, s'emparent de la Gaule septentrionale. En 486 leur roi, Clovis, bat à Soissons le dernier représentant en Gaule du pouvoir romain, Syagrius. Clovis s'empare de l'Aquitaine en 507, après s'être fait accepter par la population gallo-romaine parce qu'il a reçu le baptême de l'évêque Rémi à Reims en 497 ou 498. Sous Charlemagne, le concile de Tours (812-813) ordonne aux prètres de traduire leurs sermons et les homélies in rusticam romanam linguam aut theotiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur 'en langue rustique romane ou tudesque pour que les assemblées puissent comprendre plus facilement ce qui est dit. Les serments de Strasbourg 842 Le premier texte français est un texte juridico-politique. Il date de 842. En 840 Louis le Débonnaire, fils de Charlemagne, mourut. Depuis 817 déjà, il avait opéré plusieurs partages du territoire entre ses fils. Lothaire héritait du titre impérial, Louis, dit le Germanique, de la Bavière, et Charles, dit le Chauve, fils d'un deuxième lit, de l'Aquitaine.
L'empire de Charlemagne Mais dès la mort du père, les fils se font la guerre. Louis et Charles s'unissent contre Lothaire, qu'ils battent à Fontenoy en Puisaye, pres d'Auxerre en Bourgogne. L'année suivante, ils sont à nouveau réunis contre Lothaire. Pour sceller leur unité, ils se prêtent des serments mutuels, Charles le Chauve en allemand, Louis le Germanique en 'français'. Puis les deux armées prêtent serment, chacune dans sa langue également. L'événement est relaté par Nithard, écclésiastique, petit-fils de Charlemagne et donc cousin des protagonistes, dans sa chronique, forcément rédigée tout de suite après l'évènement, puisque Nithard mourut en 844. La chronique est en latin, mais reproduit le texte des quatre serments en langues vulgaires. En 843, par le traité de Verdun, les trois frères font la paix.
Charles devient roi dans l'ancienne Gaule, Louis en Germanie, Lothaire reçoit la Lombardie et une bande entre les deux royaumes de ses frères, de la Mer du Nord aux Alpes Maritimes, comprenant la rive gauche du Rhin, la Meuse, et les deux rives du Rhône, c.-à-d. les Pays-Bas, la ‘Lotharingie’, qui deviendra la Lorraine, la Bourgogne et la Provence. Mais Lothaire garda son titre d'empereur. Après sa mort, son territoire se disloqua. L'empire passa à la Germanie. Ne survivra que le duché de Lorraine, autour de Nancy-la-Ducale. La Lorraine sera intégrée à la France en 1766.
La Lorraine de l'an 1000, divisée en deux duchés, la Haute et la Basse Lorraine. Seule la Haute Lorraine survivra au haut Moyen Âge. © 1996 Centennia Le texte de Nithard Ergo xvi kal. marcii Lodhuvicus et Karolus in civitate que olim Argentaria vocabatur, nunc autem Strazburg vulgo dicitur, convenerunt et sacramenta que subter notata sunt, Lodhuvicus romana, Karolus vero teudisca lingva, juraverunt. Ac sic, ante sacramentum circumfusam plebem, alter teudisca, alter romana lingua, alloquuti sunt. Lodhuvicus autem, quia major natu, prior exorsus sic coepit: Quotiens Lodharius me et hunc fratrum meum, post obitum patris nostri, insectando usque ad internecionem delere conatus sit nostis. Cum autem nec fraternitas nec christianitas nec quodlibet ingenium, salva justicia, ut pax inter nos esset, adjuvare posset, tandem coacti rem ad juditium omnipotentis Dei detulimus, ut suo nutu quid cuique deberetur contenti essemus. ... Cumque Karolus haec eadem verba romana lingua perorasset, Lodhuvicus, quoniam major natu erat, prior haec deinde se servaturum testatus est: Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in ajudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il me altresi fazet, et ab Ludher nul plaid numquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit. Quod cum Lodhuvicus explesset, Karolus teudisca lingua sic hec eadem verba testatus est:
In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gehalnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got gewizci indi mahd furgibit, so hald ih thesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bru(d)her scal, in thiu thaz er mig so sama duo, indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, the, minan willon, imo ce scaden werdhen. Sacramentum autem quod utrorumque populus, quique propria lingua, testatus est, romana lingua sic se habet:
Si Lodhwigs sagrament que son fradre Karlo jurat conservat et Karlus, meos sendra, de suo part n lostanit, si io returnar non l'int pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla ajud contra
Lodhuwig nun li iu er.
Le manuscrit. Oba Karl then eid then er sinemo bruodher Luduwige gesuor geleistit, indi Ludhuwig min herro then er imo gesuor, forbrihchit, ob ih inan es irwenden ne mag, noh ih noh thero nohhain, then ih es irwenden mag, widhar Karle imo ce follusti ne wirdhit. Quibus peractis Ludhovicus Renotenus per Spiram et Karolus juxta Wasagum per Wizzunburg Warmatiam iter direxit. (Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, édité et traduit par Ph.Lauer, Classiques de l'histoire de France au Moyen Âge, Paris, 1926) Traduction en français Louis et Charles se rencontrèrent donc le 16 février dans la ville qui autrefois s'appellait Argentaria, mais que maintenant, géneralement, on appelle Strasbourg, et prêtèrent les serments ci-dessous, Louis en langue romane, Charles en langue tudesque. Mais avant de prêter serment, ils ont parlé ainsi au peuple rassemblé, l'un en tudesque, l'autre en langue romane. Louis, parce qu'il est l'aîné, commença le premier sa harangue que voici: Combien de fois Lothaire après la mort de notre père s'est préparé à détruire et à aller jusqu'au massacre contre moi et mon frère que voici, est connu. Mais comme ni la fraternité ni la religion chrétienne, ni aucune inclination naturelle, sauf avis contraire, ne pouvaient aider à ce que la paix règne entre nous, nous avons enfin été contraints à remettre l'affaire à la justice de Dieu toutpuissant pour que par sa volonté, l'un et l'autre, nous pouvons être contentés par ce qui est dû.... Lorsque Charles a fait une péroraison avec les mêmes paroles en langue romane, Louis , parce qu'il est l'aîné, jure le premier qu'il se sent obligé par ceci: Pour l'amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et du nôtre, de ce jour en avant, autant que Dieu me donne savoir et pouvoir, je sauverai mon frère Charles que voici, et en aide et en chaque chose, comme de droit on doit sauver son frère, afin qu'il me fasse autant, et je ne prendrai jamais de la part de Lothaire aucun plaid (=convention) qui, de mon gré, puisse être au dam de mon frère Charles que voici. Louis ayant terminé, Charles s'engage en langue tudesque avec les mêmes mots: Pour l'amour de Dieu (cf Minnesang) et pour le salut du peuple chrétien et de nous deux, de ces jours à l'avenir, pour autant que Dieu me donne savoi et puissance, alors je (me) tiendrai avec mon frère que voici comme de droit un homme doit avec son frère, afin qu'il fasse de même avec moi, et je n'irais jamais avec Lothaire en quoi que ce soit qui, par ma volonté, puisse lui faire du tort. Le serment que les deux peuples (c.-à-d. les deux armées) ont juré après, chacun dans sa propre langue, est ainsi conçu en langue romane: Si Louis respecte le serment qu'il prêta à son frère Charles, et Charles, mon seigneur, de son côté, ne le respecte, si je ne l'en puis détourner, ni moi, ni quiconque que j'en puisse détourner, je ne lui serai d'aucune aide contre Louis. Voici pour la comparaison une traduction en latin vulgaire du premier serment de Louis: Pro Dei amore et pro christiani populi et nostro communi salvationis, de iste die in ab-ante, in quanto Deus sapientem et potestatem mihi dat, sic salvabo ecc-istum meum fratrem Carolum, et in adjuvamente et in *cata-una causa, sic quomodo homo per directum suum fratrem salvare debet, in hoc quo illoe mihi alterum-sic faciat, et ab Lotharo nullum placitum nunquam inibo quod meam voluntatem ecc-isto meo fratri Carolo in damnum sit. Charactéristiques linguistiques des serments
Un texte du passé, antiquité ou Moyen Âge nous est rarement transmis dans sa forme originale. La propagation des textes se faisait par des copies produites dans les salles d'écriture des monastères. Ainsi, les manuscrits qui nous sont parvenus du moyen âge, ne sont pas presque jamais authentiques mais des copies postérieures parfois de centaines d'années aux textes originaux. Le récit de Nithard nous est connu par le manuscrit Ms BN. lat. 9768, (le Fonds des manuscrits latins de la Bibliothèque Nationale, numéro 9768), dont le folio 13 comporte les serments (voir page suivante). Ce manuscrit date de l'an 1000. Il est le travail d'un moine de l'abbaye de Saint-Médard à Soissons. Voici la transcription du serment français Pro dõ amur et p xr ianpoblo & nrõ cõmun s saluament, dist di e/i n auant, inquantdeus savir & podir me dunat: si salvaraieo cist meonfradre karlo, & inaiudha & in cad huna cosa, sicú om p dreit son fradra saluar dift. Ino quid il mi altre si fazet. Et ab ludher nul plaid nu qua prindrai qui meon uol cist meon fradre karle in damnosit | Quod cum Lodhuvicus romana lingua sic se habet Si lodhu uigs sagrament que son fradre karlo jurat conservat Et karlus meossendra desuopart n lostanit, si ioreturnar non lint pois, neio neneuls cui eo returnar int pois - in nulla aiudha contra lodhu uvig nun li iuer. Teudesca autem lingua:
Les serments de Louis et de son armée en langue romane Le texte français comporte quelques ajouts énigmatiques. Là où le texte germanique a une formule logique et grammaticalement correcte so hald ih thesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bru(d)her scal, le texte français comporte un ajout illogique sémantiquement et syntaxiquement douteux: si salvarai eo cist meon fradre karlo, & in aiudha & in cadhuna cosa, sicum om par dreit son fradra saluar dift. Un verbe, être (er = serai) par exemple, semble nécessaire. Il y a quelques corrections de la main du copiste: dist di en avant a éte corrigé en in avant, adiudha en aiudha et aiuha en aiudha. La phonologie du texte comporte certains traits archaïques. Le a tonique est conservé dans fradre, salvar, returnar. Il n'y a pas de diphtongaisons, Deo pour Dieu, poblo pour peuple, meon pour mien, me pour moi. Savir (lat. sap¯ere, avec e long, pour saveir, mf. savoir, cf podir, dift) et amur (lat. am¯orem, avec o long, fr. amour, cf dunat) peuvent signaler un début de diphtongaison e® [ei], o® [ou].
Les diphtongues du texte ont leur origine dans la combinaison de deux voyelles latines ou d'une voyelle et une consonne palatalisée: dreit ¬ directum, plaid ¬ placitum,–ai (futur) ¬ habeo. Le a atone est conservé: aiudha, jurat, conserva, mais il semble correspondre a une voyelle assez indifférenciée, comme le e dit muet en français moderne, cf. fradra¬ fratrem, sendra¬ senior. Les consonnes se maintiennent à la finale et à l'intérieur des mots: jurat, conservat, parfois sous forme sonorisée: savir, podir, cadhuna, fradre, ou même ‘re-désonorisée’: dift¬ debet. Des consonnes de transition apparaissent: sendra¬ senior. La palatisation des occlusives, k ts a commencé fazet¬ faciat. Karlo/Karle au lieu de Charle(s) donne peut-être une indication sur la langue maternelle des rois (germanophones et non ‘francophones’?), cf. cosa¬ causa, mf. chose. Le scribe emploie parfois (par inadvertance et dans l'absence de norme?) une ortographe carrément latine: in o quid (= ‘en ce que’). Sur le plan morphologique, on peut noter les pronoms personnels, eo/io¬ ego, mi¬ mihi (un datif qui a survécu dans quelques régions), me. Le nominatif il¬ ille/*ill¯i , l'accusatif l' et le datif li. Lat. iste est conservé dans ist, mais apparaît aussi dans cist¬ *ecce-iste. La forme oblique du relatif, cui, devenu mf. qui apparaît aussi. Le quisque (quaeque) latin a été remplacé par la particule grecque kata+unus: cadhuna¬ *kata-una. L'adverbe int¬ inde a déjà une fonction pronominale. Le pronom démonstratif latin hoc se retrouve dans in o quid. Les formes du verbe sont: le présent de l'indicatif et du subjonctif (fazet, sit, ostanit (?), pois), le passé simple (jurat) et le futur, qui apparaît sous sa forme romane ‘analytique’: salvarai¬ salvare habeo (= ‘j'ai à sauver’), prindrai, mais aussi sous l'ancienne forme synthétique: er¬ ero. Sur le plan syntaxique, on remarque l'emploi de si initialement dans la phrase introduite par un verbe fini, sans pronom personnel. La cantilène de sainte Eulalie Le premier monument proprement littéraire en français est la Cantilène de sainte Eulalie. C'est une hagiographie, issue d'une tradition latine très populaire, les Séquences. Le concile de Tours (812813), qui décida de «transposer les homélies en langue romane rustique ou tudesque», est responsable d'un mouvement de francisation qui affecta la musique et la littérature. La séquence a été récitée ou chantée à l'église le jour de la fête de la sainte. Le texte a probalement été écrit entre la découverte des reliques d'Eulalie à Barcelone en 878 et la mort de Louis 3 en 882, puisque le manuscrit contient le récit d'une bataille livrée par le roi en 881 où il est dit être encore en vie. Le texte 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.
Buona pulcella fut Eulalia. Bel avret corps, bellezour anima. Voldrent la veintre li Deo inimi, Voldrent la faire diaule servir. Elle no'nt eskoltet les mals conselliers Qu'elle De o raneiet, chi maent sus en ciel, Ne por or ned argent ne paramenz Por manatce regiel ne preiement. Niule cose non la pouret omque pleier La polle sempre non amast lo Deo menestier. E por o fut presentede Maximiien, Chi rex eret a cels dis soure pagiens. Il li enortet, dont lei nonque chielt,
14. Qued elle fuiet lo nom chrest iien. 15. Ell'ent adunet lo suon element : 16. Melz sostendreiet les empedementz 17. Qu'elle perdesse sa virginitét ; 18. Por os furet morte a grand honestét. 19. Enz enl fou lo getterent com arde tost. 20. Elle colpes non avret, por o nos coist. 21. A czo nos voldret concreidre li rex pagiens. 22. Ad une spede li roveret tolir lo chieef. 23. La domnizelle celle kose non contredist: 24. Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist. 25. In figure de colomb volat a ciel. 26. Tuit oram que por nos degnet preier 27. Qued auuisset de nos Christus mercit 28. Post la mort et a lui nos laist venir 29. Par souue clementia. Anonyme, Abbaye de Saint-Amand. Vers 880 Traduction 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29.
Eulalie fut une bonne pucelle (= jeune fille) Elle avait un beau corps et une âme encore plus belle Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre, Voulurent lui faire servir le Diable. Elle n'écoute pas les mauvais conseillers (qui lui disent) Qu'elle renie Dieu qui demeure là-haut au ciel, Ni pour de l'or ni pour de l'argent ni pour des bijoux Ni par menace du roi ni par prière. Nulle chose ne put jamais la plier (et faire que) La pucelle n'aimât pas toujours le service de Dieu. Et pour ceci, elle fut présentée à Maximiien, Qui était en ces jours-là roi sur les païens. Il lui ordonne, ce dont peu lui chaut, Qu'elle abandonne le nom de chrétienne. Elle s'adonne à son élément (= elle résiste). Mieux supporterait-elle les entraves (= perte de liberté) Qu'elle ne perdît sa virginité. Pour cela elle fut mise à mort avec grand honneur. Car ils la jetèrent dans le feu pour qu'elle brûle aussitôt. Elle n'avait pas commis de péchés; pour cela elle ne brûlait pas. A cela le roi païen ne voulut consentir. Avec une épée, il ordonna de lui trancher la tête. La demoiselle ne dit rien contre cette chose: Elle veut quitter le siècle; et elle prie le Christ. Sous la forme d'une colombe, elle vola au ciel. Prions tous qu'elle daigne prier pour nous (afin) Que le Christ ait pitié de nous Après la mort et nous laisse venir à lui Par sa clémence.
Le manuscrit. Bibliothèque municipale de Valenciennes 150 (olim 143)
Quelques charactéristiques lingustiques L' Abbaye de Saint-Amand-les Eaux près de Valenciennes se trouve en Picardie, et le texte comporte quelques traits picards, diaule¬ diabolum (4), seule¬ sæculum (24), kose¬ causa (23). Le texte est beaucoup plus près du français ‘ordinaire’ du Moyen Âge que les Serments. Il y a encore quelques latinismes tels que rex (21). La diphtongaison de o tonique bref en uo est un trait archaïque. Elle est commune à presque toutes les langues romanes, mais ne se maintient pas en français, où uo devient ue au 12e siècle: buon/buona (1): bo num® buon® buen (1) (buen sera remplacé par la forme protonique bon/bonne), cf no vum® nuef® neuf. avret (2,10) est une des rares reliques du plus-que-parfait synthétique du latin: avret¬ habuerat cf pouret (9), furet (18), roveret (22). bellezour (2) est un comparatif synthétique : bellezour¬ *bellatio rem.
La vie de saint Léger La vie de saint Léger représente un autre genre littéraire très populaire hérité du latin, la Vita ou ‘Vie’ (de saint). Ce texte du 10e siècle, nous est parvenu dans un manuscrit du 11e, originaire de Clermont-Ferrand (Bibl. Mun. No. 189). C'ést un poème de 240 vers octosyllabiques . Saint Léger (616 env.-679/80), neveu de l’évêque de Poitiers Dido et élevé à la cour, fut d’abord archidiacre de Poitiers, puis abbé de Saint-Maixent. Vers 663, la reine Bathilde le nomma évêque d’Autun. Il se montra bon évêque, mais en même temps partisan convaincu de l’autonomie du royaume de Bourgogne. Le maire du palais de Neustrie, Ébroïn, tenta d’imposer à la Bourgogne le roi Thierry III ; ils furent l’un et l’autre vaincus par le roi d’Austrasie, Childéric II. Ébroïn fut enfermé à l’abbaye de Luxeuil, Thierry dans celle de Saint-Denis. Bien que du côté des vainqueurs, Léger tomba en disgrâce et fut expédié, lui aussi, à Luxeuil. L’assassinat de Childéric II en 675 rendit la liberté à Ébroïn et à Léger. Le premier reprit sa politique d’expansion et vint mettre le siège devant Autun, où Léger était rentré. Pour éviter des souffrances à son peuple, Léger se rendit. On lui creva les yeux, on lui coupa les lèvres et la langue, et on l’interna chez les moniales de Fécamp. Puis, après un simulacre de jugement, on le décapita dans une forêt d’Artois. Bien que les motifs de sa mort aient été surtout politiques, Léger fut considéré comme un martyr lors de la réaction qui suivit l’assassinat d’Ébroïn en 683. Le culte de saint Léger fut très populaire. (© 1995 Encyclopædia Universalis)
Le texte (extraits) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.
Domine deu devemps lauder et a sos sancz honor porter; in su' amor cantomps dels sanz qui por lui augrent granz aanz; et or es temps et si est biens que nos cantumps de sant Lethgier. Primos didrai vos dels honors que il auuret ab duos seniors; apres ditrai vos dels aanz que li suos corps susting si granz, et Evvruins, cil deumentiz, que lui a grant torment occist. Quant infans fud, donc a ciels temps al rei lo duistrent soi parent,
15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. (…) 211. 212. 213. 214. 215. 216. 217. 218. 219. 220. 221. 222. 223. 224. 225. 226. 227. 228. 229. 230. 231. 232. 233. 234. 235. 236. 237. 238. 239. 240.
qui donc regnevet a ciel di: cio fud Lothiers fils Baldequi. il l'enamat; deu lo covit; rovat que litteras apresist. Didun l'ebisque de Peitieus luil comandat ciel reis Lothiers. il lo reciut, tam ben en fist, ab u magistre semprel mist qu'il lo doist bien de ciel savier don deu serviet por bona fied. Tuit li omne de ciel pais trestuit apresdrent a venir; et sancz Lethgiers lis prediat, domine deu il les lucrat; rendet ciel fruit spirituel que deus li avret perdonat. Et Evvruins, cum il l'audit, creder nel pot antro quel vid. cil biens qu'el fist cil li pesat, occidere lo commandat. quatr' omnes i tramist armez que lui alessunt decoller. Li tres vindrent a sanct Lethgier, jus se giterent a sos pez. de lor pechietz que avrent faiz il los absols et personet. lo quarz, uns fel, nom aut Vadart, ab un ispieth lo decollat. Et cum il l'aud tollut lo queu, lo corps estera sobrels piez; cio fud lonx dis que non cadit. lai s'aprosmat que lui firid; entrol talia los pez de jus: lo corps estera sempre sus. Del corps asaz l'avez audit et dels flaiels que grand sustint. l'anima reciut dominedeus, als altres sanz en vai en cel. il nos aiud ob ciel senior por cui sustinc tels passions.
Traduction 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
Nous devons louer Dieu, le Seigneur et porter honneur à ses saints; pour l'amour de lui, chantons les saints qui pour lui eurent de grandes peines; Désormais il est temps et il est bien que nous chantions de saint Léger. D'abord je vous parlerai des honneurs qu' il eut auprès de deux seigneurs;
9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. (…) 211. 212. 213. 214. 215. 216. 217. 218. 219. 220. 221. 222. 223. 224. 225. 226. 227. 228. 229. 230. 231. 232. 233. 234. 235. 236. 237. 238. 239. 240.
après je vous parlerai des peines si grandes que supporta son corps, et d'Ébroïn , ce renégat, qui le tua après de grands tourments. à l'epoque quand il fut enfant, ses parents le conduirent chez le roi, qui donc regnait en ces jours: Ce fut Clotaire, fils de Baldechild. Il se prit d'affection pour lui, le voua à Dieu; et le pria d'apprendre les lettres. Dido l'evêque de Poitiers à qui le roi Clotaire le confia, le recut et lui fit beaucoup de bien. Il le mit toujours chez un maître afin qu'il sache bien les choses du ciel et serve Dieu pour la vraie foi. Tout le monde dans le pays Tous commencèrent à venir et Saint Léger les évangélisa. Pour Dieu, le Seigneur, il les gagna; rendit au ciel le fruit spirituel que Dieu lui avait accordé. Et Ébroïn , quand il entendit cela, ne put le croire avant qu'il le vît. Le bien qu'il fit, cela le tourmenta. Il ordonna de le tuer. Il envoya quatre hommes armés pour qu'ils aillent lui trancher la tête. Les trois vinrent auprès de saint Léger, Ils se jetèrent à ses pieds: Pour que de leurs péchés qu'ils avaient commis il leur donne l'absolution et le pardon. Le quatrième, un traitre, qui se nomma Wadard, Lui trancha la tête avec une épée. Et comme il lui avait enlevé la tête, le corps resta debout sur les pieds. Cela dura longtemps sans qu'il ne tombât. Là, celui qui l'avait frappé s'approcha; puis il lui coupa les pieds dessus. Le corps resta toujours debout. Du corps, vous avez assez entendu, et des tortures qu'il avait supportées avec grandeur. Dieu; le Seigneur, reçut l'âme. Il s'en va au ciel chez les autres saints. Qu'il nous aide auprès du Seigneur du ciel pour qui il supporta de telles passïons
La langue Les philologues se sont disputés quant à l'origine de ce texte. Il comporte des traits ‘nordiques’ mélangés à des traits provençaux. Certains ont avancé l'hypothèse d'une origine franco-provençale,
alors que d'autres optent pour une solution mixte: le texte serait d'origine picarde, mais copié et remanié par un scribe provençal. Le manuscrit de Clermont-Ferrand comprend également une Passion ayant les mêmes caractères que Saint Léger. La vie de saint Alexis La vie de saint Alexis date de 1040 environ. Alexis renonce à sa femme, à sa famille et à la ‘vie dans le monde’ pour vivre pauvre et chaste. C'est le premier texte en français qui nous soit parvenu dans plusieurs versions : L (Lamspringe, 12e s.), A (Ashburnham (12. s.), P (Paris, 13e s.), S (Paris, 13e s.), M a (Paris 13e ou 14e s.), M b (Carlisle, 13e s.). Le manuscrit L est considéré comme le meilleur. Le texte est peut-être d'origine normande ou francienne. Le poème comprend 125 strophes de cinq vers décasyllabiques. Ce mètre sera celui qu'on préfère désormais pour la poésie épique. Le texte (extraits) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25.
bons fut li secles al tens ancïenur, quer feit iert e justise et amur, si ert creance, dunt ore n'i at nul prut; tut est müez, perdut ad sa colur: ja mais n'iert tel cum fut as anceisurs. al tens Nöé et al tens Abraham et al David, qui Deus par amat tant, bons fut li secles, ja mais n'ert si vailant; velz est e frailes, tut s'en vat remanant: si'st ampairet, tut bien vait remanant puis icel tens que Deus nus vint salver nostra anceisur ourent cristïentet, si fut un sire de Rome la citet: rices hom fud, de grant nobilitet; pur hoc vus di, d'un son filz voil parler. Eufemïen-si out annum li pedre-cons fut de Rome, des melz ki dunc ieret; sur tuz ses pers l'amat li emperere. dunc prist muiler vailante et honurede, des melz gentils de tuta la cuntretha puis converserent ansemble longament, n'ourent amfant peiset lur en forment e deu apelent andui parfitement: e Reis celeste, par ton cumandement amfant nus done ki seit a tun talent.
Traduction 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Le monde fut bon au temps passé, Car il y avait foi et justice et amour, Et il y avait crédit ce dont maintenant il n'y a plus beaucoup;. Tout a changé, a perdu sa couleur: Jamais ce ne sera tel que c'était pour les ancêtres. Au temps de Noé et au temps d'Abraham
7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25.
Et à celui de David, lesquels Dieu aima tant. Le monde fut bon, jamais il ne sera aussi vaillant; Il est vieux et fragile, tout va en déclinant: tout est devenu pire, bien va en déclinant (?) Depuis le temps où Dieu vint nous sauver Nos ancêtres eurent le christianisme. Il y avait un seigneur de Rome la cité: Ce fut un homme puissant, de grande noblesse; Pour ceci je vous en parle, je veux parler d'un de ses fils. Eufemïen--tel fut le nom du père -Il fut comte de Rome, des meilleurs qui alors y étaient L'empereur le préféra à tous ses pairs. Il prit donc une femme de valeur et d'honneur, Des meilleurs paiens de toute la contrée. Puis ils parlèrent ensemble longuement. Qu'ils neurent pas d'enfant; cela leur causa beucoup de peine. Tous les deux ils en appellent à Dieu parfaitement "O! Roi celeste, par ton commandement, Donne-nous un enfant qui soit selon tes désirs."