Kammler Report - Fr

  • May 2020
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ACTES DE LA 7ème ASSEMBLÉE EUROPÉENNE DES FRATERNITÉS LAÏQUES DOMINICAINES

ANNEXE IVb

EXPOSÉ DU FR. DAVID KAMMLER Les Laïcs Dominicains, Prêcheurs dans un monde séculier

Chers compagnons de prédication de l’Evangile dans notre monde séculier, Un «monde séculier» - qu’est-ce que cela signifie réellement ? Le dictionnaire Webster’s New World décrit le terme « séculier » (comme adjectif) comme « touchant aux choses du monde à la différence des choses se rapportant à l’Eglise et à la religion» et le terme «séculier» (comme nom) comme signifiant une « personne laïque ». D’après cette explication, nous avons sur notre continent européen, qu’il s’agisse de « l’Ancienne Europe» comme de la « Nouvelle Europe », un nombre croissant de personnes laïques. Comment prêcher à ces personnes, qui ont non seulement perdu la foi de leur enfance, mais qui n’ont même pas fait l’expérience d’une éducation chrétienne et qui ne souffrent nullement de n’appartenir activement à aucune communauté de croyants ? Laissez-moi vous partager quelques considérations enracinées dans la Bible. Elles nous aideront, comme membres de la Famille dominicaine, à ne pas désespérer dans les circonstances apparemment plus difficiles que nous connaissons aujourd’hui comme prêcheurs de l’Evangile. Vous connaissez tous par cœur le fameux évangile pascal des disciples d’Emmaüs. Il me semble que cette scène décrit exactement la même situation que celle que nous vivons à l’heure actuelle et nous révèle, dans le comportement de Jésus, un « programme de formation » sous-jacent d’une grande modernité. Le point de départ de l’Evangile des Disciples d’Emmaüs est une perte de foi. Les deux marcheurs sur la route, tournant le dos à Jérusalem, le centre religieux de leur foi, représentent la majorité des anciens disciples de Jésus. L’un d’eux seulement, Cléophas, est appelé par son nom. Ils représentent beaucoup de nos amis personnels dont nous connaissons bien le nom ainsi que les millions d’anonymes aujourd’hui qui n’attendent aucune aide des vieilles institutions religieuses. Ils s’occupent d’organiser leur vie quotidienne sans l’inspiration du printemps de leur foi. Dans le cas des deux disciples, l’histoire commence par l’interpellation initiale de Jésus et, pour ma génération, par exemple, par le mouvement de renouveau qui a suivi le Concile de Vatican II. Et là, l’Evangile nous dit : dans un « monde séculier », distinct des synagogues, des temples, des églises, des symboles religieux et des célébrations liturgiques, Jésus comme Seigneur Ressuscité n’est pas absent, quoique sa présence ne soit pas reconnaissable à première vue. Sa personne ne se manifeste pas de la manière habituelle que nous connaissons bien. Il se joint à nous sous un aspect séculier comme un compagnon de route et prend l’initiative de nous rejoindre pour marcher avec nous. Alors, n’ayons pas peur de « l’absence » de Jésus, trop souvent déplorée à notre époque contemporaine ! Ce qui nous empêche de reconnaître le Christ Ressuscité vivant et agissant dans notre monde séculier, c’est la comparaison avec ce qui est derrière nous quand nous regardons vers « Jérusalem » (qui représente nos propres expériences familières autant que l’arrière-plan religieux traditionnel de notre continent), c’est – comme la vue troublée des deux

disciples – la mauvaise conscience liée à nos échecs à des moments importants et décisifs de notre vie, c’est notre anxiété et notre déception. Dans cette situation, jadis comme aujourd’hui, Jésus prend l’initiative avec un « Programme de formation initiale » tout particulier. Sa prédication ne commence pas par des reproches et des remontrances sur ce qui a déraillé dans leur comportement et ce qu’il faut changer, il ne commence pas non plus par un commandement : « Dépêchezvous de retourner à Jérusalem ! » Jésus, sans rechercher la confrontation, va dans la même direction que les deux disciples et chemine à leurs côtés, il les laisse aller dans cette direction pas à pas, coupés de leur communauté religieuse à Jérusalem. Mais il ne garde pas le silence. Il témoigne son intérêt pour la situation dans laquelle se trouvent ses compagnons avant de commencer sa catéchèse en leur expliquant le sens des Ecritures. En route vers la destination opposée, il les interroge sur leurs expériences et écoute avec compassion leurs espoirs et leurs déceptions. Dans un monde séculier, ce serait un fardeau d’entamer notre mission par des enseignements doctrinaux, aussi importants et nécessaires soient-ils. A la base, la prédication commence par l’écoute de nos contemporains dans la situation qui est la leur, l’écoute de leurs expériences, de leurs espoirs et de leurs déceptions, de leur histoire personnelle souvent fort complexe et confuse. Un questionnement empreint de compassion et une écoute attentive sont les principales conditions préalables, aujourd’hui aussi, pour être qualifié de prêcheur dominicain. Ne soyons pas frustrés en comptabilisant le nombre de conversions quotidiennes dans notre domaine de mission si ce chiffre est de zéro. En prenant exemple sur Jésus lui-même, nous serons ses disciples lorsque nous pourrons dire en passant en revue les événements de la journée : « Aujourd’hui, je me suis senti sincèrement intéressé par les soucis d’un tel lorsque je lui ai rendu visite, ou que j’ai bu un café avec lui pendant une pause au travail. Invité à une soirée et reconnu comme chrétien pratiquant, je ne me suis pas dérobé lorsque j’ai été interpellé avec énormément d’agressivité par la personne avec laquelle je dialoguais parce que celle-ci a eu des expériences négatives avec des représentants officiels des institutions d’église. Aujourd’hui, en écoutant attentivement, j’ai pu apprendre quelque chose de l’espérance et de l’énergie de ceux qui s’occupent de leurs vieux parents ou qui s’engagent bénévolement comme travailleurs sociaux permanents. C’est vraiment ça la prédication de base, avec les oreilles ouvertes et le cœur grand ouvert, accompagner ceux qui marchent dans la direction opposée ! Mais ce ne doit pas être notre objectif final, comme ce n’était pas non plus celui de Jésus dans le passage de l’Evangile sur les disciples d’Emmaüs. Après cette première étape, le Christ Ressuscité a poursuivi sa catéchèse par son « Programme de formation initiale ». Le compagnon qui marchait avec eux avec compassion et qu’ils n’avaient pas encore reconnu comme « Jésus lui-même » a aidé les deux disciples à recomposer les pièces éparses du puzzle de leur vie. Il leur a révélé, à la lumière des Ecritures, un sens plus profond de la vie au-delà de leurs expériences de fiasco, de gâchis et d’échec personnel. En imitant la prédication de Jésus, nous apprenons de ce passage de l’Evangile que Jésus ne les a accablés en rien et qu’il n’a rien forcé. Au contraire, il s’est montré très discret, si bien qu’en arrivant au village d’Emmaüs, les deux disciples ont pressé Jésus de rester avec eux, demandant à recevoir une « Formation permanente », et Jésus a accepté leur invitation. Comment prêcher dans notre monde séculier pour que les gens ne poussent pas un soupir de soulagement quand ils se sont débarrassés de nous ? Comment imiter Jésus afin d’être invités par nos interlocuteurs à poursuivre la route avec eux et à les accompagner à l’étape suivante de leur voyage ? Il y a quelques années, j’ai accompagné un groupe appelé « PréCana » (un cours pour la préparation des couples au sacrement du mariage) et j’étais

régulièrement comblé de cadeaux par les réactions de ceux (surtout des hommes) qui venaient principalement au début pour faire plaisir à leur future femme. Une fois là, ils étaient confrontés à un passage d’Evangile traitant de sujets comme par exemple « Comment notre amour peut-il être renforcé et revivifié ? Dans quelles conditions la confiance mutuelle grandit-elle ? En quoi puis-je placer mon espoir malgré les nuages qui assombrissent le soleil de nos relations ? » Quand ces hommes se rendaient compte que l’Ecriture Sainte n’était pas un livre poussiéreux et dépassé, appartenant à un passé très ancien et rempli de commandements et d’interdits, ils changeaient d’avis. Par contre, le dialogue virtuel avec les croyants appartenant à des cultures passées ne fournit pas de recettes simples sur la façon de se conduire aujourd’hui ; notre propre créativité doit être dynamisée pour trouver des solutions adaptées à notre temps. Bien que – ou parce que ! – je ne l’avais pas suggéré, il y avait toujours, lors des réunions suivantes du groupe PréCana, quelques couples qui demandaient à poursuivre la réflexion ensemble. Ceci n’est qu’un exemple de la manière dont une prédication comparativement discrète peut éveiller "l’appétit" d’en savoir davantage. Vous aussi, certainement, vous pourriez donner des exemples de conversations qui ont commencé par des thèmes "séculiers" pour prendre ensuite une dimension religieuse. Il est inévitable que l’on ne puisse vivre sans jamais se demander : « Qu’est-ce qui nourrit mon espérance ? Quel est le sens de ma vie ? Comment puis-je vivre avec ces expériences choquantes ou embarrassantes ? » Nous devons être prêts, dans ce genre de situation, à témoigner de notre espérance. Ce ne doit pas nécessairement se faire uniquement dans le cadre d’un week-end d’étude biblique. On peut aussi parler ensemble après avoir été voir un film ayant de la valeur artistique, ou après avoir regardé une série télévisée ou lors d’un vrai pèlerinage ou d’un trajet ensemble en bus, en train ou en avion – des circonstances qui offrent souvent des occasions plus neutres de prêcher dans un monde séculier. Un engagement « de toute une vie » n’est jugé acceptable qu’à grand peine par beaucoup de nos contemporains. Accompagner quelqu’un dans l’une des étapes du voyage de sa vie dans un environnement séculier peut constituer aujourd’hui une « chaire» plus appropriée. Les Résolutions du Congrès International des Fraternités Laïques Dominicaines de Buenos Aires en 2007 ont répondu très spécifiquement à notre situation actuelle lorsqu’elle ont notamment mis en évidence l’importance croissante de l’Internet comme moyen séculier essentiel de prêcher aujourd’hui ; ou lorsqu’elles ont accueilli ceux qui suivent la spiritualité dominicaine sans vouloir s’engager, quand bien même ils ne seraient pas en pleine communion avec l’Eglise à cause de circonstances de vie particulières ; ou encore lorsqu’elles ont considéré que les groupes laïcs dominicains ayant leurs propres structures sont comme des « petits-fils, des petites-filles, des nièces et des neveux » dans la prédication de l’Evangile. Les Résolutions d’Argentine n’ont pu donner ces indications que de façon générale, sous forme de recommandations. C’est à vous au niveau régional, provincial et local de donner vie à ces propositions si utiles. Les années à venir montreront si nous avons relevé le défi de nos sociétés séculières comme nouveau champ de mission. Ayant été invité par les deux amis à se reposer à Emmaüs, Jésus révèle sa présence sacramentelle en un troisième temps en s’asseyant à table. L’heure de la « Formation permanente » a sonné. En chemin, lorsqu’ils marchaient avec leur compagnon anonyme, les deux disciples – Cléophas et son compagnon – ont appris à accepter la présence de Jésus sous une forme différente de celle dont ils avaient l’habitude. Maintenant, le partage permanent de l’Eucharistie et les "Quatre piliers" classiques (prière, étude, communauté et mission) gardent la jeune Eglise en communion avec le Christ Ressuscité. Inspirés par Jésus prédicateur, les disciples d’Emmaüs deviennent alors des prêcheurs motivés. Ils retournent à Jérusalem annoncer la Bonne Nouvelle aux autres disciples.

Je pense que nous aussi, comme Famille dominicaine ("Famille du Seigneur"), nous ne devons pas oublier de prêcher les uns aux autres afin de renforcer notre propre foi et pouvoir prêcher à ceux qui ne croient pas. Lorsque nous acceptons la présence du Christ sous une autre apparence dans la société séculière d’aujourd’hui, nous pouvons célébrer aussi les mystères de la foi selon le rite traditionnel habituel, comme l’ont fait les disciples d’Emmaüs. Aujourd’hui, nous devons créer les conditions préalables pour ceux qui ne partagent pas notre foi. Comme les disciples en chemin vers Emmaüs, nous devons changer notre point de vue, mais pas nécessairement les signes sacrés qui nous ont été confiés par Jésus lui-même. Comme dans les premiers siècles du christianisme, une prédication mystagogique – c’est-àdire une « initiation pas à pas à l’esprit des mystères religieux » – pourrait devenir une alternative attrayante aux orgies contemporaines de divertissement. Il n’est pas nécessaire de couronner ces fast-food de plaisir à bon marché par des offres spéciales de grands moments religieux. Dans la simplicité d’un repas partagé dans une auberge de village, la présence de Jésus a été reconnue par ses disciples. Sur notre route du troisième millénaire, la silhouette des grandes cathédrales emplies de monde ou de remarquables symboles religieux, acceptés par le bon sens, ne seront pas des preuves d’une évangélisation chrétienne réussie. Un signe bien plus convaincant pour notre mission dans un monde séculier sera de ranimer le feu qui renouvellera notre vocation commune ! « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant audedans de nous, quand il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Ecritures ? » Ces mots, par lesquels les disciples d’Emmaüs décrivent leur conversion, pourraient être aussi la nouvelle étincelle qui ravivera notre mission de membres de la Famille dominicaine. Lorsqu’un feu est alimenté par une énergie nouvelle, il est dans sa nature de se propager. Durant la neuvaine d’années qui a commencé en 2007 par le 800ème anniversaire des moniales et s’achèvera en 2016 par le 800ème anniversaire de l’approbation de notre Ordre, espérons que les différentes flammes de la vision de saint Dominique – les nouvelles comme les traditionnelles – brûleront de plus en plus unies en une seule torche ! Que cette Assemblée, ici en Slovaquie, nous aide dans notre mission dominicaine commune à devenir de plus en plus une équipe de prédication composée d’hommes et de femmes, de frères, de moniales, de sœurs apostoliques et de laïcs, de vieux et de jeunes, de diplômés universitaires et de ceux dont l’intelligence du cœur est particulièrement développée. Il reste encore beaucoup à faire sur notre route d’Emmaüs ! Alors, continuons – comme les deux disciples – à raconter notre histoire et à dire ce qu’il nous est arrivé sur notre route dans un monde séculier, avec Jésus comme compagnon anonyme, cheminant à nos côtés !

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