Huss, All You Need - French

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l est de notoriété publique que la chanteuse américaine Madonna a, ces dernières années, étudié la Kabbale et fait usage, de signes kabbalistiques dans ses chansons comme dans ses autres productions, qu’il s’agisse de son premier livre pour enfants, Les Roses anglaises, ou du clip vidéo imaginé autour de la musique qu’elle a composée pour le vingtième film de James Bond, To Die Another Day1. Celui-ci montre les lettres hébraïques LAV (Lamed,Aleph,Vav) tatouées sur le bras de la chanteuse tandis qu’elle est torturée dans une prison sinistre, allusion au camp de prisonniers nord-coréen dans lequel James Bond est détenu au début du film. Les scènes de prison sont entremêlées avec une séquence qui montre deux Madonna se battant en duel, l’une habillée de blanc, l’autre de noir – autre allusion à plusieurs scènes du film : un combat à l’épée entre Bond (Pierce Brosnan) et son principal ennemi, Gustav Graves (Toby Stephans), où Madonna joue le rôle de l’instructeur, Verity ; et un duel qui oppose les deux James Bond girls, la méchante Miranda Frost (Rosamund Pike) et l’agent américain Jinx (Halle Berry) –. Dans le vidéo-clip, le combat entre les deux Madonna a lieu dans une pièce où se trouvent disséminés divers objets en relation directe avec les films précédents de la série des James Bond, qui seront détruits au cours du duel ; l’épée de Madonna transperce même une image de James Bond. Dans la séquence qui a lieu dans la prison, juste avant qu’elle ne se retrouve attachée à une chaise électrique, on voit Madonna entourer son bras avec des Tefillin. À la fin du clip, après la défaite de la Madonna noire, finalement vaincue par la Madonna blanche, le personnage se trouve miraculeusement sauvé de la

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All you need is LAV : Madona et la Kabbalepostmoderne

1. Une version abrégée de cet article, intitulé « Madonna, die 72 Namen Gottes und eine postmoderne Kabbala », a été publiée, en allemand, dans le catalogue du Musée juif de Berlin : Daniel Tyradellis et Michal S. Friedlander (dir.), 10 + 5 = Gott, Die Macht Der Zeichen, Berlin, 2004, pp. 279-294. Que Yoni Garb, Hanan Hever, Ada Rapoport Albert et Chava Weissler trouvent ici l’expression de ma gratitude pour les suggestions qu’ils m’ont faites après avoir lu une version antérieure de ce texte. Pour plus d’informations concernant le vidéo-clip, voir : http://www.madonnaonline.ch/monline/welcome/welcome. htm

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chaise électrique sur laquelle apparaissent les lettres LAV tandis que Madonna s’échappe du couloir de la prison.

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All you need is LAV

Les lettres LAV tatouées sur le bras de Madonna torturée et qui apparaissent miraculeusement gravées sur la chaise électrique vide peuvent être lues comme la transcription en hébreu du mot « amour » en anglais, love. Madonna en est certainement consciente, et c’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle elle les a choisies. Les lettres LAV désignent aussi, dans la tradition juive, l’un des soixante-douze noms de Dieu – ce qu’elle doit également savoir. Le document le plus ancien dans lequel apparaît la tradition du nom de Dieu en soixante-douze lettres est le Midrash Bereshit Rabba (chapitre 44), où un proverbe attribué au sage du IVe siècle, Rabbi Avin, affirme que Dieu permet la fuite des Hébreux hors d’Égypte avec Son nom de soixante-douze lettres2. Cette tradition est probablement liée à celle des noms de Dieu en douze ou vingt-quatre lettres, mentionnée dans le Talmud de Babylone (Kidd 71 a)3. Le nom en soixante-douze lettres est à nouveau mentionné par Rabbi Hai Gaon, dirigeant de l’académie de Pumbedita (aujourd’hui en Irak) au début du XIe siècle, qui explique que ce nom, dont les lettres sont inconnues, trouve son origine dans trois passages de la Bible4. Les deux traditions – la fuite des Hébreux hors d’Égypte et l’origine biblique – sont réunies dans le commentaire du Talmud babylonien de Rachi, Sukkah 45 a. Rachi, qui parle des soixante-douze noms de Dieu plutôt que du nom de soixante-douze lettres, explique que ces noms viennent de trois versets du Livre de l’Exode (chapitres 14, 19 et 21), qui décrivent les Israélites fuyant les Égyptiens et la mer Rouge s’ouvrant devant eux. Chacun de ces versets contient soixante-douze lettres hébraïques.

Le premier des soixante-douze noms de Dieu est formé, si l’on en croit Rachi, par la combinaison de la première lettre du premier de ces versets, la dernière lettre du second verset et la première lettre du dernier verset. Le premier des soixante-douze noms de Dieu est donc VHV (Vav, He,Vav). Les noms qui suivent sont formés de la même manière (c’està-dire par la deuxième lettre du premier verset, l’avant-dernière du second, la seconde du troisième, etc.), de manière à former soixante-douze noms de trois lettres. LAV apparaît deux fois, à la onzième et à la dix-septième places. Les soixante-douze noms de Dieu (on parle souvent du nom de soixante-douze lettres, bien qu’il en contienne en réalité deux cent seize) connurent une certaine popularité dans les cultures juives du Moyen Âge et du début de la période moderne, en particulier parmi les kabbalistes juifs. Les soixantedouze noms sont mentionnés dans le premier ouvrage kabbalistique connu, Sefer ha-Bahir (sections 76-77)5, qui fut probablement rédigé en Provence de la fin du XIIe siècle, ainsi que dans divers ouvrages kabbalistiques du XIIIe siècle. Un court traité intitulé Le Secret du nom des soixante-douze lettres, qui fait partie des écrits du « Cercle de Contemplation » (Hug hayun), fut également publié à cette époque6. On trouve divers commentaires à propos des soixantedouze noms dans le Zohar, qui les associe aux Sefirot. Selon le Zohar, le premier verset de soixante-douze lettres trouve son origine dans la Sefirah de Hesed (Bonté divine), le second celle de Gevurah (Jugement divin) et le troisième dans celle de Tiferet (Pitié divine)7. Les soixante-douze noms étaient employés dans des pratiques magiques et mystiques. R. Bahye ben Asher, kabbaliste séfarade qui vivait à Saragosse à la fin du XIIIe siècle, considère dans son commentaire de la Torah que les « Maîtres des noms » (Ba’lei Shemot), qui connaissent la juste prononciation des soixante-douze noms, peuvent faire usage de leur

2. Jehuda Theodor et Chanoch Albeck, Midrash Bereshit Rabba, édition critique annotée et commentée (en hébreu), Jérusalem, 1976, vol. 1, p. 442. 3. Ludwig Blau, Das Altjuedische Zauberwesen, Budapest, 1898, rééd. Farnborough Gregg Internationelk Publ., 1970, pp. 137146. 4. Baruch M. Levin, Otzar ha-Geonim, Thesaurus of the Gaonic Responsa (en hébreu), Jérusalem, 1931, vol. 4, partie 2, p. 23. 5. Gershom Gerhard Scholem, Das Buch Bahir, Darmstadt, 1980, p. 78 ; Daniel Abrams, The Book Bahir, Los Angeles, Hotsaat Keruv, 1994, p. 165. 6. Mark Verman, The Books of Contemplation, Medieval Jewish Mystical Sources, Albany, State University of New York Press, 1992, pp. 52, 63, 162, 183. 7. Voir par exemple le long commentaire proposé dans Zohar vol. 2, 51b-52a ; cf. également vol. 1, 79 b ; vol. 2, 132 b ; vol. 3, 151 a.

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pouvoir dans le but d’atteindre divers objectifs, par exemple pour faire naître l’amour8. R. Abraham Abulafia, qui voyagea à travers l’Espagne, la Palestine, la Grèce et l’Italie au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, a recours aux soixante-douze noms dans ses techniques de méditation9. Ainsi, par exemple, dans son Sefer ha-Heshek, il décrit une technique extraordinaire, qui implique une forme de visualisation guidée, dans laquelle l’on s’attache à prononcer les différents sons composant les soixante-douze noms, puis à prononcer ceux-ci en utilisant une autre voix : « Lève tes yeux en direction du ciel et tends tes mains au-dessus de toi, comme dans le geste que fait le rabbin lors de la bénédiction […], puis commence la récitation. Dis d’abord : le début du début (c’est-à-dire la première lettre du premier verset, B.H.) en respirant longuement et posément. Puis, en imaginant qu’une autre personne se tient devant toi et parle, prononce, d’une autre voix, distincte de celle que tu as utilisée auparavant, moins longuement, mais toujours posément, la première lettre, qui est VaV. Après un moment, poursuis ton effort :“la fin du milieu” (c’est-à-dire la dernière lettre du second verset, B. H.) et récite : (la lettre) Heh. Puis, plus loin : “le début de la fin” (c’est-à-dire la première lettre du troisième verset, B. H.) et récite (la lettre) Vav10. »

8. Hayyim Dov Scheval, Rabenu Bahye Torah Commentary (en hébreu), Jérusalem, 1982, vol. 2, p. 128. 9. Moshe Idel, The Mystical Experience in Abraham Abulafia, Albany, State University of New York Press, 1988, p. 38. 10. Abraham Abulafia, Seferha-Heshek (en hébreu), Jérusalem, 1999, pp. 24-25.

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Le nom de soixante-douze lettres joue un rôle essentiel dans la Kabbale lourianique au XVIe siècle. Pourtant, dans les écrits de R. Isaac Luria (ha-‘Ari) et de ses disciples, le nom est généralement dérivé de la valeur numérique (Gimatria) des lettres du nom ineffable de Dieu, et non des trois versets de l’Exode (bien que cette tradition soit également mentionnée dans le corpus lourianique). On trouve un commentaire approfondi des soixante-douze noms de Dieu

par Boaz Huss

(considérés comme tirés des trois versets) dans Sefer Raziel, un recueil de documents mystiques et magiques imprimé pour la première fois à Amsterdam au début du XVIIIe siècle et souvent réédité depuis lors. Il faut également remarquer que le nom de soixante-douze lettres (ou certains des soixantedouze noms) orne certaines amulettes juives, sur lesquelles prévalent toutefois généralement d’autres noms divins, comme celui de quarante-deux lettres. Les traditions des soixante-douze noms de Dieu ne jouent pas un rôle important dans la plupart des formes culturelles juives contemporaines (y compris les formes mystiques et kabbalistiques) et la plupart des juifs ne savent sans doute plus grand chose, aujourd’hui, de cette tradition ni de la signification des lettres LAV. Pourtant, ces noms occupent une large place dans les pratiques d’un groupe kabbalistique contemporain, celui auquel est affiliée Madonna : le Centre de la Kabbale, dirigé par le rav Philip Berg.

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Le Centre de la Kabbale

Le rav Philip (Shraga) Berg et son épouse Karen ont fondé le Centre de la Kabbale au début des années 1970. Berg, qui est né et a été élevé aux ÉtatsUnis, a étudié la Kabbale en Israël avec le rav Yehuda Zvi Brandwein (1903-1969), dirigeant d’un petit groupe hassidique (Hasidei Stratin), responsable du département religieux de la Histadrout et principal disciple de R. Yehuda Ashlag (1886-1954), le kabbaliste le plus important et le plus original du XXe siècle – dont il était par ailleurs le beau-frère –. Après la mort de Brandwein, Berg s’autoproclama son successeur et fonda le Centre de la Kabbale afin de révéler et de populariser les enseignements kabbalistiques. Le Centre de la Kabbale a vu son influence croître de manière spectaculaire au cours des deux dernières décennies, pour devenir le mouvement kab-

balistique le plus important actuellement. Berg a publié des dizaines d’ouvrages et ouvert des centres voués à l’étude et au développement de la Kabbale d’abord à Jérusalem et à New York, puis dans d’autres villes d’Israël et des États-Unis, et même, plus récemment, dans plusieurs pays d’Amérique du Nord comme du Sud, mais aussi d’Europe. L’une des spécificités du Centre de la Kabbale tient au fait qu’il a su attirer un certain nombre de célébrités, parmi lesquelles, en particulier, Madonna (mais aussi Roseanne Barr, Sandra Bernhardt ou Britney Spears), ce qui lui assure l’attention des médias et contribue ainsi largement à sa renommée et à son succès. Les enseignements du Centre de la Kabbale sont fondés sur la pensée originale de Rabbi Yehuda Ashlag, mais telle que l’aréinterprétée, modifiée et simplifiée Berg. Ashlag, qui quitta la Pologne pour la Palestine en 1921, publia de multiples commentaires du vaste corpus lourianique et du Zohar (qu’il traduisit également en hébreu), ainsi que divers écrits destinés à un large public (parus en 1933 sous forme d’un journal qui fut, à l’époque, censuré par les autorités britanniques, sous prétexte d’incitation à l’agitation communiste). Il a créé un système kabbalistique original et complexe. L’idée centrale qui le sous-tend est que le Créateur, défini comme « volonté infinie de donner », a créé, à travers un processus dialectique complexe, une « volonté de recevoir » les privilèges accordés par Lui. Les êtres humains se tiennent ainsi à une extrémité du processus d’émanation comme pure volonté égoïste de recevoir. Pourtant, capables de prendre conscience de la manière dont ils se comportent, et désolés alors par leur propre attitude, ils sont susceptibles de changer leur nature et d’essayer de transformer leur « volonté de recevoir » égoïste en une « volonté de donner » d’essence divine. Un tel changement ne peut être absolument radical et il ne s’agit pas de nier la volonté de recevoir de chacun, mais d’apprendre à

recevoir non dans le seul but de se trouver personnellement satisfait, mais afin de donner satisfaction au Créateur. À mesure qu’une telle transformation s’opère, le fossé entre les natures humaine et divine diminue et l’homme parvient à une forme de perfection spirituelle. Ce processus de transformation a également un aspect social, et le chemin vers la perfection spirituelle ouvre également la voie à l’établissement d’une communauté communiste parfaite, à laquelle chaque individu contribue en fonction de ses capacités (espérant pouvoir servir les autres du mieux qu’il peut) et où il reçoit selon ses besoins11. À l’inverse de la plupart des mouvements kabbalistiques traditionnels, Ashlag ne considérait pas la Kabbale comme une doctrine ésotérique. Il affirmait que son époque était celle de la naissance d’une ère nouvelle, dans laquelle la révélation de secrets kabbalistiques était autorisée. De ce fait, il s’est efforcé de propager la Kabbale parmi ses contemporains juifs laïcs, à travers sa traduction du Zohar en hébreu ou par l’intermédiaire du journal déjà mentionné, dans lequel il présentait ses idées en matière de Kabbale en hébreu contemporain, défendant la nature scientifique de celle-ci et la présentant comme la forme parfaite du socialisme. Ashlag rencontra plusieurs dirigeants du Parti travailliste, parmi lesquels David Ben Gourion, qui écrivit, dans une lettre au Rabbi Yehuda Brandwein : « À Tel-Aviv, voici quelques années, j’ai eu la chance de rencontrer à de nombreuses reprises le rav Ashlag – que Dieu bénisse sa mémoire –. J’ai eu avec lui de longues conversations à propos de la Kabbale, ainsi que sur le socialisme. J’ai été surpris de son adhésion vigoureuse à l’idéal communiste. Il m’a ainsi demandé plusieurs fois si nous établirions un régime communiste, après la création d’un État juif12. »

11. Les principales études concernant Rabbi Yehuda Ashlag et son système kabbalistique sont : Abraham Bick (Shauli), « Between the Holy Ari and Karl Marx » (en hébreu), Hedim, n°110, 1980, pp. 174-181 ; David Hansel, « The Origin in the Thought of Rabbi Yehuda Halevy Ashlag : Simsum of God or Simsum of the World ? », Kabbalah, n°7, 2002, pp. 3746. Voir également mon texte à paraître : « Altruistic Communism : The Modernist Kabbalah of Rabbi Yehuda Ashlag ». 12. Cité par A. S. Bick, op. ci t., p. 174.

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13. www.kabbalah.com/k/ index.php/p=store/72names 14. Yehuda Berg, The 72 Names of God : Technology for the Soul, New York, Kabbalah Publ., 2003. 15. www.kabbalah.com/k/ index.php/p=life/tools/ 72names 16. Fredric Jameson, Postmodernism, or the Cultural Logic of Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 1991, p. 76-54 (d’abord publié dans New Left Review, 1984, p. 146). 17. Georges-Claude Guilbert, Madonna as Postmodern Myth, Jefferson, NC, McFarland & Co., 2002. Guilbert remarque que les universitaires qui se penchent sur le cas de Madonna qualifient presque toujours celle-ci de « postmoderne » (p. 25) ; il cite Daniel Harris, pour lequel « le postmodernisme, c’est Madonna » (p. 195, note 123).

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Poursuivant l’effort d’Ashlag, qui cherchait à révéler et à propager la Kabbale, et le poursuivant même bien plus loin que ne l’envisageait ce dernier, le rav Philip Berg a présenté – d’abord en anglais, puis en hébreu et en d’autres langues –, les fondements de la Kabbale sous une forme compréhensible, qui convienne à un lectorat occidental, urbain et d’ailleurs pas nécessairement juif. Dès ses premiers ouvrages, dans les années 1970, il a fortement atténué le caractère socialiste de la Kabbale d’Ashlag, et intégré divers éléments de la culture occidentale contemporaine et de la spiritualité New Age, liant la révélation de la Kabbale et l’arrivée du nouvel âge d’Aquarius. Depuis les années 1990, certains de ces éléments, ainsi que diverses pratiques de nature kabbalistique qui ne jouaient qu’un rôle mineur dans la Kabbale d’Ashlag (comme le Zohar et l’usage des soixantedouze noms de Dieu au cours de la méditation), jouent au contraire un rôle primordial dans la doctrine et les pratiques du Centre de la Kabbale. Ainsi, la série des soixante-douze noms de Dieu décorent les locaux des Centres de la Kabbale ouverts de par le monde ; la liste de ces noms (encadrée ou non), des tee-shirts portant les lettres LAV, etc. sont présentés dans les boutiques de cadeaux du Centre de la Kabbale et sur son site Internet13. Récemment, Yehuda Berg, fils du rav Philip Berg, a publié un livre14. Et si l’on en croit le Centre de la Kabbale : « Les formes, les sonorités, le rythme et les vibrations des soixante-douze noms de Dieu font rayonner toute une variété de forces d’énergie. La lumière qu’ils émettent purifie nos cœurs. Leur influence sur l’esprit purge les impulsions destructrices qui nous sont naturelles. Leur énergie sacrée lutte contre la peur des mouvements de violence et d’intolérance, et contre l’anxiété15. »

par Boaz Huss

Chacun des noms de trois lettres est lié à un objectif propre. Le but spécifique de LAV est de détruire l’ego (c’est-à-dire de changer la volonté égoïste en une volonté divine). Les paroles de la chanson de Madonna intitulée Die Another Day font d’ailleurs explicitement écho à un tel objectif : « I’m gonna break the cycle, I’m gonna shake up the system, I’m gonna destroy my ego, I’m gonna close my body now » (« Je vais briser le cycle, je vais secouer le système, je vais détruire mon ego, je vais fermer mon corps maintenant »)

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La Kabbale postmoderne

La signification des lettres LAV selon l’enseignement du Centre de la Kabbale nous permet de lire le vidéo-clip imaginé par Madonna pour To Die Another Day comme un texte kabbalistique fortement marqué par Berg. Le pouvoir des soixante-douze noms de Dieu sauve Madonna, dans la séquence de la prison, en lui évitant la souffrance et la mort causées par les pouvoirs maléfiques qui règnent sur le monde. Pourtant, comme nous l’apprenons à travers la séquence du duel et les paroles de la chanson, la victoire sur le Mal ne peut résulter que d’une victoire intérieure, une destruction de l’ego, la victoire de la Madonna blanche (la lumière divine, la volonté de donner) sur la Madonna noire (la part sombre de l’être, la volonté de recevoir, le moi). Cette victoire peut être obtenue par le pouvoir des lettres LAV. Mais le sens dont est porteur le clip ne se réduit pas à cela. Fredric Jameson a pu affirmer que la vidéo est « la forme par excellence du capitalisme actuel16 » et Georges-Claude Guilbert a justement défini Madonna comme « un mythe postmoderne17 ». Selon lui, To Die Another Day devrait être lu comme un méta-texte postmoderne, et ses thèmes kabbalistiques comme un bricolage postmoderne. Ainsi, la scène finale qui décrit une chaise élec-

trique vide sur laquelle sont gravées les lettres hébraïques LAV, fait référence dans le même temps aux enseignements kabbalistiques de Berg et à l’image d’une chaise électrique vide intitulée Double Silver Disaster (La Chaise électrique), œuvre créée en 1963 par Andy Warhol, « roi du postmodernisme 18 ». Madonna pastiche et déconstruit James Bond dans le vidéo-clip et joue même à souligner ce travail parodique en transperçant l’image qui le représente. La vidéo de Madonna est un simulacre, c’est-à-dire une simulation de simulation, qui n’essaie même pas de s’enraciner dans la réalité19. Madonna simule James Bond dans la séquence de la prison, ainsi que tous les autres personnages du film dans la séquence du duel : ce faisant, elle fait également référence, comme nous l’avons déjà souligné au début de cet varticle, au rôle qui est le sien dans le film : celui du personnage de Verity. De telles simulations, de même que les allusions à Andy Warhol et à son propre rôle dans le film, sont typiques des auto-citations postmodernes, par lesquelles Madonna rappelle qu’elle reste La star. Un usage similaire d’un thème kabbalistique avec une référence à Madonna elle-même apparaît dans son premier livre pour enfants, Les Roses anglaises, qui peut être lu lui aussi comme un texte kabbalistique marqué par la pensée de Berg. Le personnage principal, une jeune fille très belle qui semble avoir une vie de rêve mais dont on découvre qu’elle n’a pas de mère, qu’il lui faut travailler pour vivre et qu’elle souffre de sa solitude – allusion à l’enfance de Madonna elle-même – a pour nom Binah. Or Binah, qui signifie « sagesse » en hébreu, est le nom de la troisième Sefirah (émanation divine) kabbalistique, qu’on appelle également Ima (la Mère). En effet, selon le mythe kabbalistique, Binah est la « Mère de Dieu », une sorte de Madonna kabbalistique. Le choix qu’a récemment fait Madonna d’un prénom hébreu, Esther, correspond bien à une démarche postmoderne, qui combine divers thèmes

kabbalistiques chers à Berg avec une forme d’autoréférence. Ce choix est probablement lié à la thèse de Berg selon laquelle la reine Esther a sauvé le peuple juif par le pouvoir du nom divin, KHT (Kaf, He,Taf), le huitième des soixante-douze noms de Dieu. Selon le Livre d’Esther, après avoir entendu le décret d’Assuérus contre les juifs, Esther envoya son eunuque Hataq à Mardochée (Esther 4, 5-11). Selon le Talmud (bMeg 16a), Hataq n’était autre que le prophète Daniel. Dans une homélie de Pourim, Berg demande pourquoi Daniel se faisait appeler Hataq et explique que ce nom était utilisé par Esther comme un code, afin d’informer Mardochée du pouvoir du nom KHT, qui comprenait les mêmes lettres que Hataq (He,Taf, Kaf) : « Ce n’est que par le pouvoir de la combinaison KHT qu’Esther fit passer à Mardochée par l’entremise de Daniel, qu’il fut possible de tenir en échec le pouvoir de Satan et de ses émissaires20. » Le choix de Madonna évoque non seulement le rôle d’Esther comme agent de diffusion du pouvoir des soixante-douze noms de Dieu selon Berg, mais aussi l’étymologie plus classique du nom d’Esther, dont Madonna a probablement connaissance : la déesse-mère babylonienne Ishtar, et le mot persan qui signifie « étoile » (lequel est d’ailleurs semblable du mot « star » en anglais ainsi que dans de nombreux autres pays indo-européens). De ce fait, à nouveau, une production culturelle de Madonna – dans le cas présent, le choix d’un prénom, auquel a été faite une large publicité – fait référence simultanément à son rôle d’agent de diffusion de la Kabbale et de déesse, de pop-star postmoderne. La présence de symboles juifs et kabbalistiques dans son vidéo-clip et dans ses ouvrages pour enfants, comme le choix du prénom Esther, sont liés à l’enseignement de Berg comme au rôle de mythe postmoderne que se donne Madonna. La combinaison de signes liés à la culture pop (Madonna, Bond, Warhol) et de signifiants religieux (Madonna, les Teffilin, LAV,

18. Cette œuvre, qui compte parmi les plus controversées d’Andy Warhol, est exposée à la Tate Modern de Londres. À propos de Warhol comme « père postmoderne virtuel » de Madonna, cf. Guilbert, op. cit., pp. 68-70. 19. Jean Baudrillard, « La Procession des simulacres », in Simulacres et Simulation, Paris, Galilée, 1981, rééd. 1994, pp. 1-42. 20. S. Berg, Halonot baZman (en hébreu), Tel Aviv, 1999, vol. 2, p. 54. La tradition selon laquelle Hatach fait allusion au nom KHT apparaît dans Megaleh ‘Amukot de Nathan Shapira (en hébreu), Furth, 1691, 67 a.

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21. À propos de l’effacement de ces frontières comme caractéristique du postmodernisme, cf. F. Jameson, op. cit., p. 2. 22. « Le New Age est postmoderne, à sa façon », observe G.-C.Guilbert (op. cit., p. 171) en commentant la phase New Age de Madonna. À propos du pastiche postmoderne, auto parodique et auto-déconstructeur de Bhagwan Shree Rajneesh, cf. Hugh B. Urban, « The Cult of Ecstasy : Tantrism, The New Age and The Spiritual Logic of Late Capitalism », History of Religions, n° 39, 2000, p. 288. Que Yoni Garb soit ici remercié de m’avoir signalé cette étude. 23. Il me faut toutefois souligner ici que je ne cherche pas à définir la spiritualité comme un phénomène essentiel, universel, débordant la notion de religion. 24. Y. Berg, op. cit., p. 82. 25. F. Jameson, op. cit., p. 9. 26. Ibid., p. 12. 27. Ibid.

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Binah, Esther/Ishtar) brouille, d’une manière typiquement postmoderne, la frontière traditionnelle entre culture élitiste et culture de masse21, entre judaïsme et christianisme, entre religion et divertissement. La dissolution des oppositions traditionnelles entre culture exigeante et culture populaire, entre traditions religieuses différentes, entre spiritualité et show business, caractérise non seulement la vidéo de Madonna mais également l’enseignement de ses mentors du Centre de la Kabbale. À l’instar de nombreux phénomènes culturels contemporains généralement désignés sous les expressions « nouveaux mouvements religieux », New Age ou encore – de manière moins politiquement correcte – « cultes », celui-ci exprime une forme de « spiritualité postmoderne22 ». Ce terme semble ici plus approprié que celui de « religion postmoderne », non seulement du fait de l’insistance du Centre de la Kabbale sur le fait que la Kabbale n’est pas une religion, mais également parce que, comme nous allons essayer de le montrer, la spiritualité postmoderne défie la conception moderne de la religion et abolit les distinctions qui servent de fondement à cette conception23. Les pratiques du Centre de la Kabbale expriment plusieurs caractéristiques de la culture postmoderne. Les textes qu’il publie, comme son site Internet ou ses boutiques de cadeaux offrent un bricolage postmoderne d’éléments empruntés à la Kabbale, à la philosophie, à la science, aux films, aux émissions de télévision, à la culture populaire. À l’instar du brouillage des frontières opéré par Madonna entre la religion et le spectacle, le Centre de la Kabbale efface ces distinctions en intégrant la chanteuse dans ses pratiques. Les Roses anglaises se trouve en bonne place sur les étalages des boutiques du Centre de la Kabbale et sur ses pages web destinées aux enfants. Les soixante-douze noms de Dieu, en particulier LAV, jouent un rôle bien plus important au Centre de la Kabbale depuis la sortie de Die Another Day. Le com-

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mentaire proposé par Yehuda Berg dans son récent ouvrage prend même largement en compte le texte imaginé par Madonna pour la vidéo de James Bond. Le nom LAV est illustré d’une balle et d’une chaîne, et le titre est : « Grande échappée : nous sommes en prison et nous ne le savons même pas24. » La façon apparemment simpliste et superficielle avec laquelle le Centre de la Kabbale présente les thèmes kabbalistiques en les mêlant à d’autres éléments culturels ou religieux doit être lue comme un pastiche postmoderne caractérisé. Comme l’a souligné Fredric Jameson, le trait spécifique fondamental du postmodernisme est « l’émergence d’une nouvelle forme de non-profondeur, une nouvelle forme de superficialité au sens le plus littéral du terme25 ». La nature ésotérique marquée et revendiquée du Centre de la Kabbale est non seulement un effet de la volonté affichée d’Ashlag de voir désormais révélés au plus grand nombre les secrets de la Kabbale, mais également l’expression d’un rejet postmoderne de la profondeur qui définit la modernité26. Le refus d’une distinction ésotérique/exotérique est typique de la culture New Age, qui a adopté de nombreux thèmes aux mouvements ésotériques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle - mis à part leur ésotérisme ! Jameson a souligné que les modèles de profondeur ont été remplacés par un « ensemble de pratiques, de discours et de jeux textuels nouveaux27 ». En effet, le Centre de la Kabbale, comme d’autres mouvements spirituels postmodernes, se montre plus intéressé par la pratique que par la doctrine. L’accent qui est mis sur les pratiques de méditation et de guérison ainsi que la manière dont est minimisée l’importance des mythes kabbalistiques (ainsi que celle des idées communistes d’Ashlag) marque le rejet postmoderne des grands récits. L’intérêt marqué pour la pratique, plutôt que pour la croyance, qui caractérise également d’autres mouvements spirituels contemporains, correspond à l’observation de Jean-

François Lyotard selon laquelle, dans l’âge postmoderne, les grands récits ne sont plus l’essentiel dans le domaine de l’acquisition du savoir28. Comme il le suggère, la question posée aujourd’hui dans ce contexte n’est plus « est-ce vrai ? », mais plutôt « à quoi cela sert-il ?29 ». Or, le Centre de la Kabbale offre des réponses à de telles questions. La question de la destruction de l’ego, qui occupe une place essentielle dans les enseignements du Centre de la Kabbale et qui était d’ailleurs mise en scène dans le vidéo-clip de Madonna, correspond non seulement à une reprise des doctrines d’Ashlag, mais également à un rejet de la notion moderne d’individu, et à l’expression d’une nouvelle construction postmoderne du sujet. Madonna exprime explicitement ce rejet lorsqu’elle demande de façon provocante à Freud, dans sa chanson, d’analyser son intention de détruire son moi (se référant au film Mafia Blues, dont les acteurs principaux étaient Robert de Niro et Billy Crystal)30. Le Centre de la Kabbale, à l’instar de nombreux autres mouvements New Age, oppose à la notion freudienne du « moi » l’idée d’un « soi » divin, de nature spirituelle31. Faisant écho à d’autres mouvements New Age, Philip Berg rejette la validité de la réalité objective et considère la réalité comme une manifestation de la pure conscience. Une telle affirmation ne doit pas être entendue comme l’expression d’une mystique traditionnelle, mais plutôt comme une forme d’interrogation postmoderne. Fredric Jameson a pu affirmer32 que la culture postmoderne est une expression du dernier stade du capitalisme mondial (même s’il est d’abord américain). Selon lui, « la production esthétique se trouve aujourd’hui intégrée dans l’ensemble plus vaste de toutes les productions de conforts33 ». Il en va de même de la production spirituelle, qui fait aujourd’hui partie des productions « de commodité » du capitalisme, et le Centre de la Kabbale, comme bien d’autres mouve-

ments spirituels, participe de la « logique culturelle du dernier capitalisme ». Comme Hugh B. Urban l’a souligné, le New Age est devenu un phénomène fort compatible avec l’économie de marché : « Au cours des dernières années, un mouvement s’est fait jour au sein de la tendance New Age, vers une sanctification de la prospérité matérielle, du succès financier et du capitalisme34 ». De la même manière, comme cela se trouve exprimé par exemple dans le cours de Berg intitulé Kabbale and Business, le Centre de la Kabbale défend clairement les valeurs capitalistes, ce qui est pour le moins en contradiction avec la Kabbale d’Ashlag. À l’instar d’autres mouvement spirituels postmodernes contemporains, le Centre de la Kabbale est une entreprise globale qui a trouvé un marché fructueux dans le domaine des services et des produits kabbalistiques. Il cible un public citadin, aisé ; il lui propose ses services et ses produits pour un prix conséquent et profite de toutes les opportunités de publicité et de marketing offertes par le système capitaliste – en particulier en matière de communication35. En tant que phénomène culturel postmoderne, le Centre de la Kabbale défie les schémas discursifs modernistes, en particulier la distinction entre le « religieux » et le « séculier », si fondamentale dans la conception moderne du monde36. Il déconstruit les principales distinctions sur lesquelles repose l’idée de religion. Comme nous nous sommes efforcé de le montrer dans cet article, l’opposition binaire entre religieux et séculier ne peut être appliquée aux productions culturelles du Centre de la Kabbale et la notion de « croyant », qui entre largement dans le concept moderne de religion – lequel s’enracine ici dans la tradition du protestantisme chrétien37 – n’est pas centrale dans ses pratiques. Le compartimentage en confessions distinctes, exclusives les unes des autres (juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, etc.), qui fonde la perception moderne de la religion38, se

28. À propos du rejet par le néo-tantrisme des metahistoires traditionnelles, cf. H. B. Urban, art. cit., p. 298. 29. Jean-François Lyotard, The Postmodern Condition : A Report on Knowledge, Minneapolis, 1991, p. 51. 30. Cette remarque m’a été suggérée par Yoni Garb. 31. Paul Hellas, The New Age Movement : The Celebration of the Self and the Sacralization of Modernity, Oxford, 1996, p. 169. 32. F. Jameson, op. cit., pp. 1-54. 33. Ibid, p. 4. 34. H. B. Urban, art. cit., p. 277. Sur le rapport entre les versions contemporaines du tantrisme, en particulier celle de Bhagwan Shree Rajneesh, et l’état du capitalisme à la fin du XXe siècle, ibid., pp. 268-304. 35. À propos de l’usage que font de l’Internet les mouvements New-Age, ibid., pp. 291-293. 36. Talal Asad, Genealogies of Religion. Discipline and Reasons of Power in christianity and Islam, Baltimore, John Hopkins University Press, 1993, p. 36 ; Richard King, Orientalism and Religion, Postcolonial Theory, India and « Mystic East », Londres & New York, Routledge, 1999, pp. 41-44. 37. Talal Adad, op. cit., pp. 40-41 ; Jonathan Z. Smith, « Religion, Religions, Religious », in Mark C. Taylor (dir.), Critical Terms for Religious Studies, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 271. 38. Ibid., pp. 278-280.

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trouve remise en question par le Centre de la Kabbale, qui insiste sur le fait que la Kabbale est ouverte à tous et dont la disciple la plus fameuse se trouve être la catholique Madonna. Une telle remise en cause des présupposés modernes constitue probablement l’une des raisons qui expliquent les réactions hostiles des médias et des spécialistes des études juives à l’égard des pratiques du Centre de la Kabbale. Tandis que les objections des juifs orthodoxes tiennent d’abord au peu d’égard marqué par le Centre de la Kabbale vis-à-vis des pratiques juives traditionnelles39, les médias et l’Université accusent celui-ci de charlatanisme, ou lui reprochent son caractère superficiel et mercantile, allant même jusqu’à parler de lavage de cerveaux ou d’abus de pouvoir40, accusations qui font écho au combat mené contre d’autres mouvements spirituels contemporains41. Or ce sont sans doute les caractéristiques postmodernes du Centre de la Kabbale, celles-là même qui engendrent de telles réactions négatives, qui expliquent son succès croissant. Il constitue un phénomène culturel contemporain extrêmement intéressant, et mérite d’être étudié avec rigueur, plutôt que tourné en dérision42. Gershom Scholem, fondateur de l’étude moderne de la Kabbale, concluait l’ouvrage devenu classique qu’il publia en 1941, Major Trends in Jewish Mysticism, en observant que l’histoire du mysticisme juif n’avait pas pris fin : « L’histoire n’est pas finie ; elle n’est pas encore devenue Histoire, et la vie secrète dont elle est porteuse pourrait demain se développer en chacun de nous. Sous quel aspect ce courant invisible du mysticisme juif refera surface, c’est ce que nous ne pouvons dire43. » Malgré la métaphore essentialiste déroutante (le mysticisme juif est en effet une construction théorique, et non un « courant »), la prophétie de Scho-

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lem s’est avérée juste : elle se trouve aujourd’hui réalisée, d’une manière qu’il n’avait sans doute pas imaginée lui-même44. Les pratiques, les doctrines et les thèmes mystiques juifs, comme les soixante-douze noms de Dieu, refont aujourd’hui surface sous une forme nouvelle, postmoderne, et jouissent d’une très grande popularité. Traduit de l’anglais par Ulysse van Effenterre Boaz Huss enseigne dans le département d’étude de la pensée juive Goldstein-Goren à l’université Ben Gourion du Néguev

39. Voir la vive critique du rav Ovadiah Yosef contre le Centre de la Kabbale in She’elot u-Tshuvot Yeahave de’ah (en hébreu), Jérusalem, 1984, vol. 4, p. 47 ; voir également Yeshivat Bnei N’vi’im Online, www.koshertorah.com. 40. Voir par exemple le recueil d’articles concernant le Centre de la Kabbale qu’on trouve sur le site internet de l’Institut Ross, à l’adresse www.rickross.com/groups/kabbalah, ainsi que les entretiens avec le Pr. Yoseph Dan dans Maa’riv, 14/2/1986 et le Pr. Moshe Idel dans Ba-Mahane 27/4/1989 (en hébreu). 41. Voir les réflexions de Irving Hexham et Karla Poewe à propos de « la grande croisade anticulte » in New Religions as Global Cultures : Making the Human Sacred, Bouldor, Westview Press, 1997, pp. 1-25. 42. Plusieurs chercheurs ont en effet porté leur attention sur le Centre de la Kabbale. Cf. Ira Robinson, « Kabbalah and Orthodoxy : Some Twentieth Century Interpretations »,texte d’une communication présentée en 1987 dans le cadre de l’American Academy of Religion. Jody Myers a rendu publique une partie des résultats de ses recherches sur le Centre de la Kabbale dans des articles exposés dans le cadre des Colloques annuels 1999 et 2002 de l’Association

pour les études juives. Je remercie les Pr. Robinson et Myers de m’avoir fait partager les conclusions de leurs articles alors qu’ils étaient encore inédits. 43. Gershom G. Scholem, Major Trends in Jewish Mysticism, rééd. New York, Schocken Books, 1974, p. 350. 44. Cf. Yoni Garb, « The Understandable Renaissance of Jewish Mysticism in Our Time : Innovation versus Conservatism in the Thought of Yoseph Ahituv », in A. Sagi et N. Ilan (dir.), Tarbut yeti be-‘en ba-searah : Yoseph Ahituv Festschrit (en hébreu), Tel-Aviv / Ein Zurim, Ha-kibbutz ha-meuhad / Merkaz Yaccov Hertzog, 2002, pp. 172-199.

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