Téma vojny ako deštrukčnej sily ľudského života z lingvistického a štylistického pohľadu (román, list, denník)
BAKALÁRSKA PRÁCA
SLÁVKA BERTOVÁ
UNIVERZITA KOMENSKÉHO V BRATISLAVE FILOZOFICKÁ FAKULTA KATEDRA ROMANISTIKY
Učiteľstvo akademických predmetov anglický jazyk a literatúra a francúzsky jazyk a literatúra 1.1.1
Vedúci záverečnej práce Mgr. Zuzana Puchovská
Bratislava 2009
Le regard stylistique et linguistique sur le thème : "La guerre comme une force dévastatrice de la vie humaine" (Le roman, la lettre, le journal intime)
Mémoire
SLÁVKA BERTOVÁ
UNIVERSITÉ COMENIUS BRATISLAVA FACULTÉ DES LETTRES DÉPARTEMENT DES ÉTUDES ROMANES
Enseignement La langue et la littérature anglaise – La langue et la littérature française
La directrice du mémoire Mgr. Zuzana Puchovská
Bratislava 2009
UNIVERZITA KOMENSKÉHO V BRATISLAVE FILOZOFICKÁ FAKULTA Katedra XXX 818 01 Bratislava 16, Gondova 2, P.O.Box 1 tel: 02/59339111, fax: 02/52966016, e-mail:
[email protected], URL: http://www.fphil.uniba.sk/~xx
ZADANIE ZÁVEREČNEJ PRÁCE Meno a priezvisko študenta Slávka Bertová Študijný program / odbor: UAP- Anglický jazyk a literatúra – Francúzsky jazyk a literatúra Stupeň štúdia: bakalárske Názov práce TÉMA VOJNY AKO DEŠTRUKČNEJ SILY ĽUDSKÉHO ŽIVOTA Z LINGVISTICKÉHO A ŠTYLISTICKÉHO POHĽADU (ROMÁN, LIST, DENNÍK) Cieľ práce Cieľom práce je dokázať schopnosť študenta urobiť samostatnú jazykovo-štylistickú analýzu textu a týmto aj poukázať na význam takejto analýzy pri porozumení textu rovnako aj pri vyučovaní jazyka. Zadávateľ/školiteľ práce Mgr. Zuzana Puchovská Podmienky zverejnenia práce po jej dokončení:
bez obmedzenia (bod 2 licenčnej zmluvy)
Schválené dňa
podpis študenta
podpis školiteľa
podpis garanta študijného odboru/programu
ČESTNÉ VYHLÁSENIE Vyhlasujem, že som bakalársku prácu vypracoval/a samostatne a uviedol/la som všetku použitú literatúru.
……………………………………… vlastnoručný podpis študenta
Remerciements:
Je voudrais remercier Mgr Zuzana Puchovská de la Faculté des Lettres de l’Université Comenius, le directeur de mon mémoire. Mes remerciements vont également à Mgr Jana Rambousková, ancienne professeur du lycée
Alejová
1
à
Košice,
pour
m’avoir
appris
la
langue
française.
Merci également à toute ma famille et mes amis qui m’ont soutenue pendant ce travail.
ABSTRAKT Bertová, Slávka: Téma vojny ako deštrukčnej sily ľudského života z lingvistického a štylistického pohľadu (román, list, denník). Bakalárska práca, Univerzita Komenského. Filozofická fakulta, Katedra romanistiky. Vedúci bakalárskej práce: Mgr. Zuzana Puchovská, Bratislava 2009. 35 s. Práca je zameraná na lingvistickú a štylistickú analýzu textov s tématikou prvej svetovej vojny. Jej cieľom je poukázať na možnosti jazyka vyjadriť deštrukčnú silu vojny. V súlade s týmto cieľom práca analyzuje tri úryvky románu Diabol v tele od francúzskeho autora Raymonda Radigueta, autentický list francúzskeho vojaka Emila Sautoura napísaný jeho rodine a dva úryvky zo skutočného denníka francúzskeho profesora Edmonda Tondeliera. Kľúčové slová : lingvistická a štylistická analýza, román, list, denník, autor, rozprávač, príjemca, vojna, front, zázemie, deštrukcia, psychika, rodina, láska,
ABSTRACT Bertová, Slávka : Le regard stylistique et linguistique sur le thème : "La guerre comme une force dévastatrice de la vie humaine" (Le roman, la lettre, le journal intime). Mémoire de licence, Université Comenius. Faculté des Lettres, Département des langues et littératures romanes. Directeur du mémoire : Mgr. Zuzana Puchovská, Bratislava 2009. 35 pages Ce mémoire traite les textes concernant la thématique de la Première Guerre mondiale de point de vue stylistique et linguistique. Son but est de montrer les moyens de la langue qui peuvent exprimer la force dévastatrice de la guerre. Dans ce but, trois extraits du roman Le Diable au corps de Raymond Radiguet, une lettre authentique du soldat Emile Sautour et deux extraits du vrai journal intime d’Edmond Tondelier sont analysés. Les mots clés : analyse stylistique et linguistique, roman, lettre, journal intime, auteur, narrateur, destinataire, focalisation, guerre, front, arrière-front, destruction, misère, famille, amour, psychique
Sommaire ABSTRACT AVANT PROPOS SOMMAIRE INTRODUCTION 1. Quelques remarques théoriques sur le roman, la lettre et le journal intime……….1 1.1. Roman...............................................................................................................1 1.2. Lettre………………………………………………………………………….3 1.3. Journal intime…………………………………………………………………5 2. Roman Le Diable au corps.......................................................................................7 2.1 Premier extrait - le chaos provoqué par la guerre..............................................8 2.1.1
Le narrateur prend place de Jacques-le soldat parti dans la guerre …………………………………………………..………9
2.1.2
La guerre psychique de Marthe causée par le narrateur …….…..12
2.2 Deuxième extrait - l’image de la guerre..........................................................14 2.2.1 La présence particulière de la guerre......................................................15 2.2.2 Le bonheur causé par la guerre ne provoque que la souffrance …….....17 2.3 Troisième extrait - la brutalité ……………………………………...……….19 2.3.1 La brutalité et la cruauté du narrateur …………………………………20 2.3.2 Le regard rétrospectif …………………………………………….……22 3.
Lettre et Journal Intime ……………………………………………………...….25 3.1 La lettre d’Emile Sautour ……………………………………………...……25 3.1.1 La misère d’un soldat au front ………………………………………27 3.1.2 Le message à l’humanité ……………………………………..……….30 3.2 Le journal intime d’Edmond Tondelier ……………………………...…......33 3.2.1 La peur d’un homme parti dans la guerre pour sa famille causée par le manque d’informations ………………………………..……….34
CONCLUSION RÉSUMÉ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Avant-propos L’année dernière, j’ai passé cinq mois à l’Université Blaise Pascal à ClermontFerrand grâce au programme Erasmus. Même si j’avais lu mille livres depuis mon enfance, cela n’était qu’à Clermont-Ferrand où j’ai appris à lire les livres profondément. Pendant les cours de la stylistique et de la littérature, on a analysé les extraits des livres, mot à mot, phrase à phrase. Là, je me suis rendue compte de l’importance de chaque mot que l’auteur utilisait. De là, ma passion pour la lecture a pris un nouveau sens. Cette passion était alimentée pendant les cours de la littérature et de l’analyse littéraire à l’Université Comenius. En conséquence, j’ai décidé de faire une analyse stylistique et linguistique des textes littéraires pour mon mémoire de licence. En plus, j’ai choisi les textes traitant la guerre car je pense que les guerres sont une grande faute dans l’Histoire et qu’il ne faut pas les nier, mais par contre, apprendre tous les faits possible – parmi d’autres aussi les sentiments des gens qui les ont vécues – pour éviter une erreur pareille dans l’avenir. Mon mémoire montrera donc l’importance du style de l’auteur et du choix des moyens linguistiques et stylistiques pour la compréhension de l’essentiel du texte. Comme il n’était pas possible de trouver les livres français dont les extraits j’ai voulu étudier, j’ai travaillé avec des textes publiés sur internet. De ce fait, les numéros de page des extraits pour les situer dans le livre ne peuvent pas être proposés.
Slávka Bertová
Introduction •
Pour parler de la guerre il n'y a que des larmes.1 (Henriqueta Lisboa)
On ne doute pas des conditions lamentables causées par la guerre. Les premières images qui nous viennent à l’esprit sont celles des combats sanglants et des pays dévastés. Or, on ne peut pas restreindre une guerre qu’à ces troubles physiques et dégâts matériels. La guerre n’attaque pas seulement le corps. Elle attaque aussi l’état psychique de la personne touchée par la guerre. Même si pour Henriqueta Lisboa il est impossible de parler de la guerre autrement qu’à travers les larmes, il y a des gens qui ont réussi à parler de la guerre avec les mots. Notre mémoire étudiera « les mots » des trois hommes qui ont vécu la guerre du point de vue stylistique et linguistique. Dans les analyses des textes, on s’appuiera sur nos propres interprétations et observations qui seront pour chaque texte justifiées par les différents moyens linguistiques. Ainsi, notre mémoire mettra en avance surtout le travail d’écriture et de style des auteurs. Avant les études concrètes, le premier chapitre proposera de courtes caractéristiques de trois genres littéraires - le roman, la lettre et le journal intime - et expliquera leur force de dévoiler les pensées les plus intimes d’un être humain. Ensuite, le deuxième chapitre présentera des analyses linguistiques et stylistiques de trois extraits de scandaleux roman Le Diable au corps2 de Raymond Radiguet, paru en 1923 traitant la guerre comme une époque favorable pour une relation amoureuse. Or, cette relation perverse ne cause qu’une autre tragédie Puis, le troisième chapitre nous amènera dans la profondeur de l’âme de deux hommes au front de la Première Guerre Mondiale. Premièrement, via la lettre d’Emile Sautour qu’il a écrite à sa famille. Deuxièmement, ce sera via deux extraits du journal intime d’Edmond Tondelier. L’analyse stylistique et linguistique de ces trois textes manifestera la force dévastatrice de la guerre sur les hommes présents au front. 1 2
100.000 citations du monde. 21/04/2009 < http://www.evene.fr/citations/mot.php?mot=guerre > Radiguet, R. : Le Diable au corps. 21/04/2009 < http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Diable_au_corps>
1. Quelques remarques théoriques sur le roman, la lettre et le journal intime 1.1 Roman Le roman est un genre le plus répandu, le plus connu, et pourtant le plus difficile à définir. Les théories littéraires n’ont pas encore trouvé une définition universelle. Chaque époque définit le roman différemment. Cela cause la liberté du roman. Grâce à cette liberté de la forme et du fond le roman peut parfaitement refléter la vie à chaque époque, car il évolue parallèlement avec la société. Notre travail traitera le roman du point de vue stylistique et linguistique, c'est-à-dire il regardera le choix du vocabulaire, les champs lexicaux, la connotation des mots, l’emploie des temps verbaux et des pronoms, etc. Dans cette optique, Mikhaïl Bakhtine, un
théoricien russe de la littérature, se prononce à propos de
roman ainsi: « L’originalité stylistique du genre romanesque réside dans l’assemblage de ces unités dépendantes, mais relativement autonomes (parfois même plurilingues) dans l’unité suprême du « tout » : Le style du roman, c’est un assemblage de styles […]. Ces liaisons, ces corrélations spéciales entre les énoncés et les langages, ce mouvement du thème qui passe à travers les langages et les discours, sa fragmentation en courants et gouttelettes, sa dialogisation, enfin, telle se présente la singularité première de la stylistique du roman. »3 La dépendance dont il parle est celle entre les énoncés, car le monde du roman est crée par les mots, leurs connotations, les phrases, la ponctuation, la structure du récit, etc. De ce fait, le choix des mots ainsi que leur organisation sont très importants. Souvent dans les romans, les auteurs incorporent aussi les références du monde réel. Tel est l’exemple du roman Le Diable au corps qui se situe pendant la Première Guerre Mondiale. L’autonomie est assurée par la tripartition de la narration où on distingue l’auteur, le narrateur et les personnages. L’auteur met les mots dans la bouche du narrateur et du personnage, mais il n’est pas toujours d’accord avec ce qu’ils disent. Le narrateur est très important, même si sa fonction diffère selon le type du roman. En général, le narrateur sert au lecteur comme 3
Rey, A. et col. : Dictionnaire culturel en langue française, volume 4, R-Z. 2005, p.392
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un guide. On connaît deux formes fondamentales du narrateur4 : homodiégétique- le narrateur est en même temps un personnage, tel est le cas du narrateur dans Le Diable au corps – et hétérodiégétique- le narrateur se place hors de la fiction racontée. Une autre spécificité d’écriture du roman est que même si c’est l’auteur qui organise le récit, c’est le narrateur qui parle et qui laisse parler les personnages. De là, on distingue trois principaux niveaux du discours qui se mélangent dans le roman et font l’effet de la polyphonie : discours direct, discours indirect et discours indirect libre. Ils ne se distinguent pas que par leur forme qui est très importante pour les identifier, mais, comme sera montré dans les extraits étudiés, aussi par leur fonction et leur effet sur le lecteur. Ces différents niveaux du discours ainsi que la dichotomie du temps du récit et de celui de l’histoire nécessitent la diversité des temps verbaux dans le roman. Les temps du passé sont, au premier regard, mélangés avec les temps du présent et du futur chaotiquement, mais une étude profonde permet d’expliquer leur choix. L’analyse des extraits du Diable au corps en donnera un exemple. Tous ces éléments cités servent à achever la finalité romanesque : approcher la fiction à la réalité, « faire vivre au lecteur ce mensonge comme si c’était la vérité. »5 Virginie Woolf, citée dans Le Dictionnaire culturel en langue française, proclame que « c’est plutôt la vie la matière du roman que la réalité. »6 Cela paraît tout à fait juste, car la réalité est un terme relatif, chacun la perçoit différemment. L’écriture vient plutôt des expériences personnelles, de la vie de l’auteur que de la réalité objective. En somme, c’est la vie qui inspire l’écriture d’un roman. Ensuite, le roman crée une nouvelle vie, il donne de la matière aux personnages et le but d’un romancier est de l’écrire d’une façon que son lecteur y croie. Nous nous intéresserons donc à cette écriture qui est le premier pas pour comprendre le contenu du récit. La perception du roman dépend aussi du choix de la focalisation. On distingue trois focalisations : externe, interne et omnisciente.7 Certains romans ne se contentent pas seulement de raconter une histoire d’un point de vue externe, mais ils proposent une 4
Reuter, Y. : Introduction à l’analyse du roman. 2000, p. 66 Rey, A. et col. : Dictionnaire culturel en langue française, volume 4, R-Z. 2005, p.394 6 Rey, A. et col. : Dictionnaire culturel en langue française, volume 4, R-Z. 2005, p.394 7 Reuter, Y. : L’analyse du récit. 2001. p. 26 5
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étude de la psychologie humaine à travers des personnages fictifs et un regard interne sur leurs actions. Le lecteur a l’impression d’être dans les pensées et réflexions du personnage. Tel est le cas du roman Le Diable au corps dont certains extraits seront étudiés dans notre mémoire.
1.2 Lettre Selon la publication La Lettre8, les origines d’écriture épistolaire remontent à l’époque de la Mésopotamie, c'est-à-dire au XIXe siècle avant J.-C. Majoritairement, il s’agit de la correspondance officielle – diplomatique ou cléricale. La naissance de la lettre familière est provoquée par le souci de garder le contact avec l’absent. La tradition d’écrire ce type de lettre vient de l’ancien Rome où elle était favorisée par la construction du réseau routier. La première théorie du genre épistolaire est proposée par Erasme pendant la Renaissance. Il prend pour le principe fondamental de ce genre l’infini : « infini des objets qu’il peut traiter, des formes, des nuances de style et des sujets qui écrivent. »9 En d’autres termes, la lettre peut être écrite par n’importe qui, un homme de lettres, un ouvrier, une femme, un homme, un enfant, etc. Celui-ci peut écrire de n’importe quel sujet et utiliser n’importe quel style, selon ses compétences langagières. En même temps, Erasme ajoute à ce principe de l’infini qui permet la liberté de la lettre la nécessité d’ajuster son style à son sujet et à son interlocuteur, ce qui assure ainsi la compréhension de la lettre. Donc nous sommes de nouveaux dans l’aspect stylistique et linguistique. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, parallèlement aux lettres fictives et lettres savantes, les lettres privées s’épanouissent. Elles ne sont pas écrites pour le but littéraire. Elles servent à communiquer des idées personnelles sur les sujets politiques, philosophiques, littéraires, scientifiques et surtout sur les affaires intimes. Grâce à leur style qu’on peut considérer comme sincère, mais « sans ostentation, riche d’émotion, mais tempéré d’humour, nourri de culture, mais sans pédanterie, capable d’invention, mais sans abus du jeu d’esprit »10 les lettres sont entrées dans le domaine littéraire.
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Taymans, M. – Vandenschrick, S. – Vellut-Abraham, H.: La Lettre. 1992, p.10 Taymans, M. – Vandenschrick, S. – Vellut-Abraham, H.: La Lettre. 1992, p.10 10 Taymans, M. – Vandenschrick, S. – Vellut-Abraham, H.: La Lettre. 1992, p.10 9
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La vie elle-même incite à écrire ce type de lettres. Les gens étant en difficulté et séparés de leurs proches ont besoin d’écrire des lettres pour adoucir leur condition humaine. Les guerres en sont une preuve. Pendant ces époques bouleversées, la correspondance privée a fleuri. Cette correspondance sert comme un document historique. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle est authentique, sincère et elle préserve la spontanéité des sentiments et de l’expression. En plus, la nature des hommes aimant commettre une indiscrétion augmente ce plaisir de lire des lettres (vraies ou fausses). En lisant une lettre, on se place à la position d’un témoin ou d’un voyeur. On pénètre dans l’intimité de l’auteur de la lettre. De ce point de vue, une lettre privée devient une lettre ouverte. Son rôle est « d’appeler la conscience publique à modifier ou à approfondir son point de vue et à convaincre de leurs nouveaux devoirs les responsables de la chose publique. »11 Dans cette optique, on peut voir Une lettre du front d’Emile Sautour12 dans deux perspectives : comme une lettre privée, destinée à sa famille – ce que prouve par exemple la salutation « Mes bons chers parents, ma bonne petite sœur », mais aussi comme une lettre ouverte, destinée au grand public – ce que prouve le système d’utilisation des pronoms et des articles, par exemple dans la phrase « J’ai voulu vous montrer que ceux qui vous diront que le soldat n’est pas malheureux au front, qu’un tel a de la chance d’être valide encore, mériteraient qu’on ne les fréquente pas. » où on peut considérer le destinataire « vous » comme l’humanité entière, ainsi que les objets et les sujets tels que « ceux », « le soldat », « un tel », « on » comme les gens en général, ainsi que l’emploi du présent qui lui donne une valeur gnomique. Dans cette perspective linguistique, notre mémoire étudiera cette lettre entièrement pour montrer sa force qui réside dans l’authenticité de l’expression et de l’écriture que l’on peut envisager comme non-littéraire.
11 12
Taymans, M. – Vandenschrick, S. – Vellut-Abraham, H.: La Lettre. 1992, p.46 Gueno, J.P- Laplume, Y. : Paroles de poilus: lettres et carnets 1914-1918. 1998
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1.3 Journal intime « La critique dans certaines littératures occidentales reconnaît la parenté de la lettre est du journal intime. »13 Le journal intime n’apparaît qu’à la fin de XVIIIe siècle et il se constitue comme genre au cours du siècle suivant. La locution journal intime apparaît au XIXe siècle pour « designer la relation, au jour le jour, d’événements ou de pensées personnels, privés, sans destinataire, non destinés à la publication ».14 Montaigne définit l’objet du journal intime très clairement : « Je suis moi-même la matière de mon livre. »15 Donc c’est ce « moi-même » qu’on va découvrir et décortiquer dans les extraits choisis. « Intime » est emprunté au latin intimus qui signifie ce qui est essentiel et intérieur à la fois. Comme dans le cas de lettre, le voyeurisme nous pousse à découvrir cet intérieur. Ce genre littéraire mineur fascine et séduit. Il assure entre l’écrivain et son public « un tête-à-tête, une conversation calme et suggestive, une sorte d’amicale complicité. »16 Il est intéressant de voir comment se place le journal intime par rapport au roman personnel et par rapport à la correspondance : le roman personnel – autobiographique – étant un genre proprement littéraire aspire à attirer les lecteurs ; du coup, en désignant la psychologie des personnages et créant une intrigue, le romancier transforme l’expérience vécue en une structure littéraire et la référence au réel devient accessoire ; autrement dit, la fiction s’y mêle au vrai. Dans les correspondances, le destinateur adresse sa lettre au destinataire ; dans ce but, il peut avoir la tendance de styliser son écriture pour créer un effet souhaité. A cette stylisation individuelle s’ajoutent les normes sociales selon lesquelles la lettre doit avoir la date et le lieu de l’écriture, l’appellation, la formule de politesse à la fin et la signature. La langue devrait être au moins standarde pour ne pas désacraliser la valeur des lettres. Or, le journal intime se révèle d’être le plus authentique. Il découvre les pensées les plus cachées car son auteur n’a pas d’intention de le faire lire à quelqu’un d’autre. Il ne 13
Taymans, M. – Vandenschrick, S. – Vellut-Abraham, H.: La Lettre. 1992, p.40. Beaumarchais, J.-P. – Couty, D. – Rey, A.: Dictionnaire des littératures de langue française, volume 2, EL. 1999, p.1217 15 Beaumarchais, J.-P. – Couty, D. – Rey, A.: Dictionnaire des littératures de langue française, volume 2, EL. 1999, p.1217 16 Beaumarchais, J.-P. – Couty, D. – Rey, A.: Dictionnaire des littératures de langue française, volume 2, EL. 1999, p.1217 14
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veut ni persuader ni toucher personne, donc il reste le plus franc. « La libre et vraie parole du journal, naïvement informelle, commente, explique, justifie. »17 Ce sera montré dans l’analyse des extraits du journal intime d’Edmond Tondelier, qui a vécu la Grande guerre. Dans le journal intime, l’oralité est permise, même exigée car le style de la parole d’un homme est une partie de sa personnalité. Le journal intime est écrit immédiatement, comme les idées arrivent, sans une organisation profonde. Cela explique la riche présence des trois points de suspension signifiant une pause dans l’écriture causée par la réflexion de l’auteur, par le manque des mots pour s’exprimer ou bien par une impossibilité d’exprimer un tel sentiment par les mots. En outre, l’immédiateté et l’oralité certifient l’emploie des temps verbaux typiques pour l’oralle présent et le passé composé. La spécificité de ce genre réside dans la forme fragmentée conformément aux jours. Ces fragments ne sont liés que par le « moi » de l’auteur. Maurice Barres, cité dans Le Dictionnaire des littératures de langue française18 voit le but du journal intime dans « la connaissance de soi au seul service de la conscience de soi. » Pourtant, les purs journaux intimes sans historiettes, événements sociaux, etc. sont difficiles à trouver. Cela n’est pas étonnant car chaque être humain est impliqué dans la vie sociale et il a besoin de rétablir l’équilibre avec tous les événements qui lui arrivent. D’autant plus s’il s’agit d’une époque très difficile, l’époque de la guerre. « Ces victimes » ont besoin de se confier, de balancer leur intérieur. Pour eux, écrire, c’est installer l’équilibre dans leur vie. Pour le reste du monde, ces écritures symbolisent des témoignages sur la vraie vie. Ces colloques intérieurs témoignent d’une volonté de lucidité et d’un désir d’assumer, dans le secret, toute la condition humaine. Un aspect de la condition humaine d’un homme au front ainsi que la façon dont il l’assume sera montré à travers les extraits du journal intime d’Edmond Tondelier et de son écriture particulière.
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Beaumarchais, J.-P. – Couty, D. – Rey, A.: Dictionnaire des littératures de langue française, volume 2, EL. 1999, p.1219 18 Beaumarchais, J.-P. – Couty, D. – Rey, A.: Dictionnaire des littératures de langue française, volume 2, EL. 1999, p.1217
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2. Roman Le Diable au corps Le Diable au corps est un roman de Raymond Radiguet, paru en 1923. Il raconte une histoire d’amour de la Première Guerre Mondiale. Mais ce n’est pas un amour ordinaire. Il s’agit de l’amour entre une jeune femme- Marthe- dont le mari- Jacquesest parti dans la guerre et un jeune garçon de douze ans – le narrateur- dont on ne connaît pas le nom. Certains critiques littéraires disent que le narrateur est l’auteur lui-même, que c’est son autobiographie. Mais Radiguet l’a dénié absolument. Malgré ce fait, certains traits communs avec sa vie y sont visibles. De cette raison, ce roman est traité comme une fausse autobiographie. L’histoire commence au début de la Grande guerre. Pour le narrateur, à ce temps-là il est un enfant obligatoirement scolarisé, la guerre signifie une période de « grandes vacances ». Un jour, il rencontre Marthe. Petit à petit, ils passent plus de temps ensemble. Malgré le mariage de Marthe avec Jacques, leurs rencontres ne cessent pas. Au contraire, elles sont de moins en moins amicales et de plus en plus intimes. Cet amour n’est pas pur. C’est le narrateur qui, d’une manière consciente, manipule Marthe, il lui ordonne tout. Marthe se perd dans cette relation. Finalement, elle tombe enceinte avec le narrateur, la guerre finit et Marthe meurt. Paradoxalement, son mari revient de la guerre sans blessure et il assume son rôle de père pensant que c’est son enfant. Le roman est écrit rétrospectivement à la première personne. Le récit est dominé par les temps du passé-le passé simple et l’imparfait – mais il y a une riche présence des maximes au présent gnomique. Tout est vu par les yeux du narrateur, il est dominant dans la narration ainsi que dans sa relation avec Marthe. Son style est très franc, il n’essaie pas de cacher sa perception de la période guerrière comme une période du bonheur. Par contre, il dévoile ses pensées brutales sans repentance, froidement. Le roman a provoqué un scandale, car il envisage la guerre comme une condition du bonheur. Ce chapitre étudiera du point de vue stylistique et linguistique le thème de la force dévastatrice de la guerre au sein du roman à travers trois extraits du livre.
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2.1 Premier extrait - le chaos provoqué par la guerre Le premier extrait étudié se trouve vers la fin de la première moitié du roman. La guerre dure depuis deux ans. Elle est envisagée par le regard enfantin du narrateur comme une période de la liberté, sans devoirs. Cet état aboutit dans l’ennui. Marthe est déjà mariée, sa relation avec le narrateur est plus qu’amicale. Pour la première fois, le narrateur va passer la nuit chez Marthe. J'ouvris. Je murmurai : – Marthe ? Elle répondit : – Plutôt que de me faire une peur pareille, tu aurais bien pu ne venir que demain 5
matin. Tu as donc ta permission huit jours plus tôt ? Elle me prenait pour Jacques ! Or, si je voyais de quelle façon elle l'eût accueilli, j'apprenais du même coup qu'elle me cachait déjà quelque chose. Jacques devait donc venir dans huit jours ! J'allumai. Elle restait tournée contre le mur. Il était simple de dire : « C'est moi », et
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pourtant, je ne le disais pas. Je l'embrassai dans le cou. – Ta figure est toute mouillée. Essuie-toi donc. Alors, elle se retourna et poussa un cri. D'une seconde à l'autre, elle changea d'attitude et, sans prendre la peine de s'expliquer ma présence nocturne :
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– Mais mon pauvre chéri, tu vas prendre mal ! Déshabille-toi vite. Elle courut ranimer le feu dans le salon. À son retour dans la chambre, comme je ne bougeais pas, elle dit : « Veux-tu que je t'aide ? » Moi qui redoutais par-dessus tout le moment où je devrais me déshabiller et qui en envisageais le ridicule, je bénissais la pluie grâce à
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quoi
ce déshabillage prenait un sens maternel. Mais Marthe repartait, revenait,
repartait dans la cuisine, pour voir si l'eau de mon grog était chaude. Enfin, elle me trouva nu sur le lit, me cachant à moitié sous l'édredon. Elle me gronda : c'était fou de rester nu ; il fallait me frictionner à l'eau de Cologne. Puis, Marthe ouvrit une armoire et me jeta un costume de nuit. « Il devait être de ma taille. » Un costume de 25
Jacques ! Et je pensais à l'arrivée, fort possible, de ce soldat, puisque Marthe y avait cru. Dans cet extrait, ces deux motifs seront étudiés: 1. Le narrateur prend place de Jacques-soldat parti dans la guerre. 2. La guerre psychique de Marthe causée par le narrateur.
2.1.1 Le narrateur prend place de Jacques-le soldat parti dans la guerre A cause de la guerre, Jacques, jeune homme, doit partir au front. A la maison, il laisse sa jeune femme, Marthe. Le narrateur profite de cette situation. Il prend sa femme et, comme les lignes 21-25 le prouvent, vit la vie que Jacques devrait vivre. Il dort dans le lit de Jacques et porte ses vêtements. (21) Enfin, elle me trouva nu sur le lit, (23) Puis, Marthe ouvrit une armoire et me jeta un costume de nuit. (24) « Il devrait être de ma taille. » Un costume de Jacques !
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Les lignes 6, 9 et 10 montrent qu’il joue ce rôle d’une manière consciente, car c’est lui qui décide de ne pas révéler son identité. (6) Elle me prenait pour Jacques ! (9) Il était simple de dire : « C’est moi », et pourtant, je ne le disais pas. D’une part, il se sent bien et il aime bien cette position car il « bénissait la pluie » (19) qui a aussi aidé de créer cette situation. D’autre part, il se rend compte de l’existence de Jacques et il pense à son « arrivée, fort possible »(25). Répétant le nom de Jacques le narrateur indique l’omniprésence de Jacques dans ses pensées. (6) Elle me prenait pour Jacques ! (8) Jacques devait donc venir dans huit jours ! (24) Un costume de Jacques ! De surcroît, chaque phrase concernant Jacques est une phrase exclamative. Cela fait l’impression comme s’il les criait. En fait, le narrateur transcrit dans ces phrases son angoisse. Cette angoisse a pour la source la connaissance du narrateur, que malgré tout, ce n’est pas lui le mari de Marthe. Or, le comportement de Marthe montre le contraire. Dans cet extrait, c’est Marthe qui assume toute action tandis que le narrateur, après la décision tout au début de cacher son identité, reste passif. (16) Elle courut ranimer le feu dans le salon. A son retour dans la chambre, comme je ne bougeais pas, elle dit : (20) Mais Marthe repartait, revenait, repartait dans la cuisine (…) On voit que c’est Marthe qui court, repart, revient, repart, gronde (22), ouvre l’armoire et lui jette un costume de nuit (23). Le fait que Marthe prend pour son mari plutôt le narrateur que Jacques est apparent de la comparaison de son comportement envers ces deux hommes.
10
Le
comportement
Jacques
Le narrateur
de Marthe envers (a) appellation (b) activité
_ Elle restait tournée
Mais mon pauvre chéri (15) Elle courut (16) (…) repartait,
(c)
contre le mur (9) Ta figure est toute
revenait, repartait (20) (…) tu vas prendre mal !
mouillée.
Déshabille-toi vite. (15)
sa
d’aider
volonté
Essuie-
toi donc. (11)
Veux-tu que je t’aide ? (18)
(a) Elle ne s’adresse pas à son mari tandis qu’elle s’adresse au narrateur très familièrement, avec l’amour. (b) En présence de Jacques, elle reste immobile, mais dès qu’elle trouve que c’est le narrateur dans sa chambre, elle bouge chaotiquement, elle ne sait pas par où commencer à l’aider. (c) Elle parle à Jacques brièvement, sans sentiments, que par de simples affirmations. Elle est sèche dans ces formulations envers son mari. Ce n’est pas le même cas avec le narrateur. Son énoncé est marqué par le point d’exclamation qui est une marque d’émotion. Marthe n’est plus neutre. Elle insiste qu’il agisse vite et elle s’y implique en lui proposant son aide. Une métaphore peut être appliquée à cette situation : s’il s’agit de Jacques, il fait froid dans la maison ainsi que dans le cœur de Marthe ; mais dès qu’il s’agit du narrateur, Marthe court « ranimer le feu » (16) dans la maison ainsi qu’elle ranime le feu dans son cœur. Ces trois remarques montrent que Marthe aime plus le narrateur que son mari. Elle lui adresse les mots qui seraient destinés à son mari dans le monde « normal », c'est-à-dire sans guerre. On voit donc comment une telle situation causée par la guerre peut complètement détruire l’ordre normal de la vie. Or, lorsque le narrateur agit d’une manière consciente, Marthe ne prend pas la « peine de s’expliquer » (13) ce qui se passe, elle agit inconsciemment, car elle est manipulée par le narrateur et dominée par son autorité. Là, on arrive au deuxième motif, qui est transparent dans cet extrait.
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2.1.2 La guerre psychique de Marthe causée par le narrateur Cet extrait propose le regard sur Marthe. Une observation externe de son comportement, qui passe par le point de vue du narrateur, met en évidence le chaos qui règne dans sa tête. Tout d’abord, Marthe agit sans réfléchir. Elle ne regarde pas celui qui est venu (4), puis elle ne « prend pas la peine de s’expliquer » (13) la présence du narrateur et ensuite, elle repart, revient, repart (20) chaotiquement. Ce chaos dans sa tête que le narrateur souligne par utilisation de préfixe répétitive re- est provoqué par la peur. Elle a peur de l’arrivée de son mari (4) ainsi que de celle du narrateur, car elle « poussa un cri » (12). Pourtant, une femme amoureuse ne pousse pas un cri quand elle voit son amoureux. Elle est plutôt heureuse et elle sourit. Apparemment, il ne s’agit pas de l’amour pur dans la relation de Marthe envers le narrateur, mais plutôt d’un amour de la victime envers son tyran, d’une sorte d’attachement maladif. Allant plus loin, il revient à dire que cette peur vient de son mensonge. Compte rendu de ces faits, son comportement peut être expliqué par le schéma : le mensonge → la peur → le chaos En ce qui concerne le mensonge, il est double. Elle ment à son mari ainsi qu’au narrateur. (7) … j’apprenais du même coup qu’elle me cachait déjà quelque chose. Elle lui cache que Jacques va arriver dans quelques jours. Elle vit entre ces deux hommes, elle ne sait plus qui est son mari. Elle est poussée « contre le mur » (9). Cette vie la détruit. Il n’y a pas de possibilité de s’en sortir. Cette situation racine dans le vide causé par la guerre. Pour cette raison, le schéma présenté peut être complété ainsi : la guerre → le mensonge → la peur → le chaos
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La force dévastatrice de la guerre est donc pas uniquement au front-même, mais elle se manifeste également dans la vie intérieure de Marthe. Comme la guerre est absurde, telle est cette situation provoquée par la guerre. En conclusion, la guerre mène au chaos. Il ne s’agit pas seulement du chaos au front, mais aussi à l’arrièrefront, dans la vie extérieure ainsi que dans la vie intérieure.
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2.2 Deuxième extrait - l’image de la guerre
Le deuxième extrait suit le premier. Le narrateur est dans le lit avec Marthe et il réfléchit : J'en voulais à Marthe, parce que je comprenais, à son visage reconnaissant, tout ce que valent les liens de la chair. Je maudissais l'homme qui avait avant moi éveillé son corps. Je considérai ma sottise d'avoir vu en Marthe une vierge. À toute autre époque, souhaiter la mort de son mari, c'eût été chimère enfantine, 5
mais ce vœu devenait presque aussi criminel que si j'eusse tué. Je devais à la guerre mon bonheur naissant ; j'en attendais l'apothéose. J'espérais qu'elle servirait ma haine comme un anonyme commet le crime à notre place. Maintenant, nous pleurons ensemble ; c'est la faute du bonheur. Marthe me reproche de n'avoir pas empêché son mariage. « Mais alors, serais-je dans ce lit
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choisi par moi ? Elle vivrait chez ses parents ; nous ne pourrions nous voir. Elle n'aurait jamais appartenu à Jacques, mais elle ne m'appartiendrait pas. Sans lui, et ne pouvant comparer, peut-être regretterait-elle encore, espérant mieux. Je ne hais pas Jacques. Je hais la certitude de tout devoir à cet homme que nous
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trompons. Mais j'aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel. » Nous pleurons ensemble de n'être que des enfants, disposant de peu. Enlever Marthe ! Comme elle n'appartient à personne, qu'à moi, ce serait me l'enlever, puisqu'on nous séparerait. Déjà, nous envisageons la fin de la guerre, qui sera celle de notre amour. Nous le savons, Marthe a beau me jurer qu'elle quittera tout,
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qu’elle me suivra, je ne suis pas d'une nature portée à la révolte, et, me mettant à la place de Marthe, je n'imagine pas cette folle rupture. Marthe m'explique pourquoi elle se trouvait trop vieille. Dans quinze ans, la vie ne fera encore que commencer pour moi, des femmes m'aimeront, qui auront l'âge qu'elle a. « Je ne pourrais que souffrir, ajoute-t-elle. Si tu me quittes, j'en mourrai. Si tu restes, ce
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sera par faiblesse, et je souffrirai de te voir sacrifier ton bonheur. »
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Deux motifs seront étudiés à partir de cet extrait : 1. La présence particulière de la guerre. 2. Le bonheur causé par la guerre ne provoque que la souffrance.
2.2.1 La présence particulière de la guerre Dans cet extrait, les causes de la guerre sont très visibles. Tout d’abord, le narrateur affirme implicitement, que la guerre est une époque différente de « toute autre époque » (5). Par exemple, la présence de la mort y est très forte. (5) À toute autre époque, souhaiter la mort de son mari, c'eût été chimère enfantine, mais ce vœu devenait presque aussi criminel que si j'eusse tué. S’il n’y avait pas de guerre, ce souhait de la mort de Jacques ne serait qu’un rêve impossible à réaliser19. Or, pendant la guerre, il ne suffit que souhaiter la mort pour qu’on commette un crime, car la menace de mort est si forte. De plus large, ce qui est permis pendant la guerre n’est pas autrement permis et vice-versa. La guerre renverse le fonctionnement du monde. Cet effet se construit à partir de l’emploi du conditionnel, qui envisage le monde fictif : (9) « Mais alors, serais-je dans ce lit choisi par moi ? Elle vivrait chez ses
parents ; nous ne pourrions nous voir. Elle n'aurait jamais appartenu à Jacques, mais elle ne m'appartiendrait pas. Sans lui, et ne pouvant comparer, peut-être regretterait-elle encore, espérant mieux. Le narrateur dit que s’il n’y avait pas de guerre, sa relation avec Marthe ne serait pas possible. C’est la guerre qui bouleverse l’ordre du monde, qui autorise ce qui est interdit pendant la paix et qui détruit ce qui fonctionne pendant la paix. Ce qui est intéressant et en même temps paradoxal de voir, c’est que ce bouleversement puisse apporter du bonheur, comme c’est le cas dans cet extrait. 19
Définition de « chimère » selon Rey-Debove, J.: Dictionnaire du français. 1999, p. 164
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(5) Je devais à la guerre mon bonheur naissant ; (17) Déjà, nous envisageons la fin de la guerre, qui sera celle de notre amour. Pour le narrateur, la guerre est une condition de son bonheur et de leur amour. La guerre lui donne de l’espoir, elle est un moyen d’écarter les obstacles. (6) J'espérais qu'elle servirait ma haine comme un anonyme commet le crime à notre place. Dans ce cas, l’obstacle est Jacques. Mais ce n’est pas que lui. (16) …ce serait me l’enlever, puisqu’on nous séparerait. Ce « on » indique qu’il y en a d’autres. La réponse partielle se trouve dans la ligne 10 : (10) Elle vivrait chez ses parents ; nous ne pourrions nous voir. Donc, s’il n’y avait pas de guerre, Marthe vivrait chez ses parents qui les empêcheraient dans cette relation immorale. Or, pendant la guerre, chacun pense à sauver sa vie et celle de ses proches. On ne remarque pas ce qui se passe autour de nous si ce n’est pas étroitement lié avec la guerre. Ainsi les familles n’ont pas de temps pour s’occuper de leurs enfants. Alors, ce « on » peut renvoyer à la société en général, qui ne lâcherait pas les mœurs si ce n’était pas la faute de la guerre. En bref, la perception de la guerre passant par le narrateur est positive, car elle lui a apporté du bonheur. Mais de quel type de bonheur s’agit-t-il?
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2.2.2 Le bonheur causé par la guerre ne provoque que la souffrance On a déjà mentionné que c’était la guerre qui avait apporté le bonheur. Pour ranimer cette situation, le narrateur remplace le passé simple par le présent historique. Cet effet stylistique souligne la force de ces moments-là sur le narrateur. En les actualisant, il efface la frontière entre le passé et le présent. Ses souvenirs sont si vifs comme s’ils appartenaient au présent. Que fort soit ce bonheur, son caractère délicat est indéniable. Tout d’abord, il revient à dire qu’il y a deux champs lexicaux qui se battent : •
celui avec la connotation positive – le bonheur (4x), l’apothéose, la certitude, aimer (2x), la fin de la guerre
•
celui avec la connotation négative- en vouloir à qqn, maudire, une sottise, la mort, criminel (2x), tuer, la guerre, la haine, le crime, pleurer, la faute, reprocher, regretter, haïr, tromper, enlever, la fin de l’amour, folle, rupture, souffrir, mourir, faiblesse, sacrifier
Il est intéressant de voir, que le dernier est plus riche et pourtant, le narrateur prétend de parler du bonheur. Ces champs lexicaux ainsi que leur distribution mélangée dans le texte indiquent que ce bonheur est ambigu. Son évolution dans le texte éclaircit la situation : premièrement, le narrateur parle de son bonheur : (6) Je devais à la guerre mon bonheur naissant ; Deuxièmement, il mentionne « notre bonheur » (14)- donc celui de lui et de Marthequi est déjà marqué par l’épithète « criminel » : (14) Mais j'aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel. Et troisièmement, il cite les paroles de Marthe qui parle de sa souffrance et elle ferme le cercle en revenant à « ton bonheur » (23-24), donc celui du narrateur. (24) (…) je souffrirai de te voir sacrifier ton bonheur.
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Le narrateur doit son « bonheur à la guerre » (5), alors son bonheur est le produit de la guerre. La guerre est destructive et donc tel est son bonheur. C’est le bonheur fondé sur la jalousie et la haine: (1) J'en voulais à Marthe, parce que je comprenais, à son visage reconnaissant, tout ce que valent les liens de la chair. Je maudissais l'homme qui avait avant moi éveillé son corps. (2) Je hais la certitude de tout devoir à cet homme que nous trompons. De plus, on voit la gradation de trois verbes péjoratifs – en vouloir, maudire, haïrqui sont en forte opposition avec le mot bonheur. De là vient son caractère criminel. Pour expliquer la notion de « notre bonheur criminel » (14), il faut l’analyser mot à mot : •
L’adjectif possessif « notre » implique le narrateur et Marthe, mais comme on l’a déjà vu, il s’agit du bonheur du narrateur
•
Le mot « bonheur » est l’actant, le mot clé
•
L’adjectif « criminel » signifie « celui concernant le crime » qui crée avec le mot bonheur un oxymore, car l’adjectif criminel connote avec l’idée de quelque chose de mauvais
Notre interprétation des syntagmes nominaux en est le suivant: le bonheur du narrateur se manifeste comme un crime envers Marthe. Pour elle, il n’existe pas de bonheur. De surcroît, le bonheur du narrateur provoque sa souffrance. Au fond, la notion du bonheur est erronée. Ce bonheur ne produit que la haine du narrateur et la souffrance de Marthe. Ce bonheur ainsi que la guerre qui l’a causé sont destructifs et égoïstes. Les motifs de la destruction et de l’égoïsme seront étudiés de plus près dans le sous-chapitre suivant.
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2.3 Troisième extrait - la brutalité Le troisième extrait est tiré de la fin du roman. La guerre a déjà fini, Marthe a déjà accouché et le narrateur ne peut plus la voir. Un jour, à midi, mes frères revinrent de l'école en nous criant que Marthe était morte. La foudre qui tombe sur un homme est si prompte qu'il ne souffre pas. Mais c'est pour celui qui l'accompagne un triste spectacle. Tandis que je ne ressentais rien, le 5
visage de mon père se décomposait. Il poussa mes frères. « Sortez, bégaya-t-il. Vous êtes fous, vous êtes fous. » Moi, j'avais la sensation de durcir, de refroidir, de me pétrifier. Ensuite, comme une seconde déroule aux yeux d'un mourant tous les souvenirs d'une existence, la certitude me dévoila mon amour avec tout ce qu'il avait de monstrueux. Parce que mon père pleurait, je sanglotais. Alors, ma mère
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en mains. Les yeux secs, elle me soigna froidement, tendrement, comme s'il
se fût agi d'une scarlatine. Ma syncope expliqua le silence de la maison, les premiers jours, à mes frères. Les autres jours, ils ne comprirent plus. On ne leur avait jamais interdit les jeux bruyants. Ils se taisaient. Mais, à midi, leurs pas sur les dalles du vestibule me 15 faisaient
perdre connaissance comme s'ils eussent dû chaque fois m'annoncer la
mort de Marthe. Marthe ! Ma jalousie la suivant jusque dans la tombe, je souhaitais qu'il n'y eût rien, après la mort. Ainsi, est-il insupportable que la personne que nous aimons se trouve en nombreuse compagnie dans une fête où nous ne sommes pas. Mon cœur 20 était
à l'âge où l'on ne pense pas encore à l'avenir. Oui, c'est bien le néant que je
désirais pour Marthe, plutôt qu'un monde nouveau, où la rejoindre un jour.
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De nouveaux, deux motifs seront étudiés dans cet extrait : •
La brutalité et la cruauté du narrateur
•
Le regard rétrospectif
2.3.1 La brutalité et la cruauté du narrateur Cet extrait annonce la mort de Marthe. Elle est annoncée par une phrase détachée qui construit un paragraphe entier. Cet emplacement la met bien en évidence, on attend ce qui va se passer. Dans les trois paragraphes qui suivent on attendrait le dévoilement des sentiments du narrateur, plein de souffrance, de repentance et de tristesse. Or, ce n’est pas le cas du Diable au corps. Dans la majorité des phrases dans les deux paragraphes suivants, les protagonistes sont les membres de la famille du narrateur, surtout son père. (2) Tandis que je ne ressentais rien, le visage de mon père se décomposait. En plus, c’est son père qui bégaye (4) et pleure (7). Et parce que son père pleure, le narrateur sanglote (7). C’est comme s’ils échangent leurs rôles: le père pleure parce qu’il vient de perdre une personne aimée et le narrateur sanglote parce qu’il voit souffre son père. En réalité, c’est une des conséquences de la guerre. Le narrateur était immature pour vivre une telle situation. La guerre lui a volé son enfance et a perturbé son développement. Du coup, il n’arrive pas à agir adéquatement à la situation. Et c’est sur l’opposition du comportement du narrateur et celui de son père que le comportement inadéquat du narrateur est mis en relief. D’ailleurs, le narrateur parle plutôt de ce qui se passe autour de lui, comme si ses propres sentiments n’étaient pas importants. Jusqu'au troisième paragraphe, seulement trois phrases révèlent ce qui se passe en lui-même. La première est une maxime qui indique que le narrateur ne souffre pas. (2) La foudre qui tombe sur un homme est si prompte qu'il ne souffre pas.
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La deuxième phrase va encore plus loin. Elle nie quelconque sentiment en disant que le narrateur « ne sentait rien » (3). Or, cela est réfuté un peu plus loin où il déclare qu’il a la sensation de durcir, de refroidir, de se pétrifier (5). Donc quand même, il sent quelque chose. On voit la gradation de mauvaises émotions. Le narrateur se transforme en pierre. C’est la rancœur qu’il sent. Il ne le révèle que dans le dernier paragraphe après qu’il se rend compte de ce qui se passe. Le narrateur s’explique la mort de Marthe d’une manière très particulière. Il la perçoit comme un départ dans un monde nouveau (18) où il y a beaucoup de monde et où on fait des fêtes. (15) …la personne que nous aimons se trouve en nombreuse compagnie dans une fête… Le monde qui évoque le bonheur. Le monde qu’on souhaiterait aux personnes aimées. Or, le narrateur ne supporte pas ce bonheur de Marthe, car il ne peut pas le partager avec elle. (15) Ainsi, est-il insupportable que la personne que nous aimons se trouve en nombreuse compagnie dans une fête où nous ne sommes pas. Etant partie, Marthe ne lui appartient plus. Le narrateur ne peut plus la contrôler ni la tyranniser. Il ne supporte pas que Marthe soit heureuse sans lui, dans la compagnie des autres. Il l’appelle : (14) Marthe ! Il veut qu’elle rentre. Il ne lui accorde pas de bonheur. Au contraire, il lui souhaite le néant (17). Il veut la détruire complètement, il veut qu’il n’existe rien après la mort (15). La cruauté et l’égoïsme du narrateur sont soulignés par le fait, qu’il exprime deux fois la même idée. Au début du dernier paragraphe :
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(14) (…) je souhaitais qu'il n'y eût rien, après la mort. Et à sa fin où il confirme son souhait de rien après la mort par la construction avec le présentatif : (17) Oui, c’est bien le néant que je désirais pour Marthe. En plus, il ne se contente pas d’un simple verbe « vouloir », mais il se sert des verbes plus forts – souhaiter (14) et désirer (17) – qui ont une forte connotation affective. Le narrateur exprime ses souhaits et ses désirs du fond de son cœur. Ses désirs sont brutaux, monstrueux. Donc on voit que la rancœur qu’il sent ne concerne pas les circonstances qui l’ont privé de Marthe, mais il concerne Marthe. Le narrateur est fâché contre Marthe parce qu’elle a échappé à sa tyrannie. Cette brutalité du narrateur peut être comprise comme une conséquence de la dévastation de l’individu causée indirectement par la guerre. La brutalité est soulignée par l’utilisation des maximes et par le regard rétrospectif qu’on peut également voir dans cet extrait.
2.3.2 Le regard rétrospectif Le troisième extrait ainsi que le roman entier sont écrits rétrospectivement. Le regard rétrospectif, en général, donne au narrateur une grande force. Le narrateur donne son regard à lui, ce qui lui permet de commenter des actions passées, de les expliquer postérieurement ainsi que de s’excuser s’il en a besoin. L’originalité de Raymond Radiguet réside dans le fait que son narrateur ne s’excuse pas. Il se dédouble et on voit que le narrateur « vieux » est conscient des fautes du narrateur « jeune ». Malgré cette conscience, il raconte ce qui s’est passé et ce qu’il a senti sans correction et sans repentance. Bien plus, en illustrant ses sentiments par les maximes, il transforme son comportement en vérité générale, c'est-à-dire en quelque chose qui est normal, qu’on accepte et que les autres font aussi. Les premières maximes se trouvent au début de l’extrait.
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(3) La foudre qui tombe sur un homme est si prompte qu'il ne souffre pas. Mais c'est pour celui qui l'accompagne un triste spectacle. On voit ces deux maximes qui sont écrites au présent en opposition au passé simple et l’imparfait utilisés dans la narration. Ces maximes disent qu’en général, quand on nous annonce une triste nouvelle, on n’arrive pas à souffrir car on n’a pas assez de temps pour se rendre compte de ce qui se passe. Par contre, nos proches sont touchés par cette nouvelle immédiatement. Les lignes suivant ces maximes montrent que tel est le cas du narrateur et de son père. Le narrateur ne ressentait rien (4) mais le visage de son père se décomposait. (4) Le troisième paragraphe illustre ce temps dont le narrateur a besoin pour se rendre compte ce qui s’est passé. Il y a la notion de quelques jours qui passent en silence et pendant lesquelles les pas des frères du narrateur rappellent à ce dernier la mort de Marthe. (14) Mais, à midi, leurs pas sur les dalles du vestibule me faisaient perdre connaissance comme s'ils eussent dû chaque fois m'annoncer la mort de Marthe. Encore dans le deuxième paragraphe, il ajoute une autre maxime qui décrit le comportement d’un homme dès qu’il est dans une situation extrême : (6) Ensuite, comme une seconde déroule aux yeux d'un mourant tous les souvenirs d'une existence, la certitude me dévoila mon amour avec tout ce qu'il avait de monstrueux. De nouveaux, il applique cette maxime sur sa situation. La première partie écrite au présent est une maxime, la deuxième partie écrite au passé simple est son application sur sa situation. En utilisant le passé simple et l’imparfait il affirme qu’il se rendait compte de son amour monstrueux (7) au moment de l’histoire. Pourtant, il ne le regrettait pas. Bien plus, il ne montre pas qu’il regrette quelque chose ni au moment de l’écriture. Par contre, il enchaine deux maximes qui lui donnent une sorte d’excuse.
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(16) Ainsi, est-il insupportable que la personne que nous aimons se trouve en nombreuse compagnie dans une fête où nous ne sommes pas. (17) Mon cœur était à l'âge où l'on ne pense pas encore à l'avenir. La première dit que personne ne supporterait le bonheur de son aimé dans telles conditions. La deuxième excuse son comportement en disant qu’il n’était pas encore majeur pour vivre cette expérience. Faute de la guerre, il devait la vivre. En le privant de l’enfance, la guerre a détruit le développement psychique du narrateur. En conséquence, elle l’a transformé en un monstre. *** En conclusion, les analyses de ces trois extraits montrent que la guerre dévaste aussi les gens à l’arrière-front. Dans le roman Le Diable au corps, la force de la guerre est plus visible à l’arrière-front car tandis que le soldat – mari de Martherevient de la guerre sans blessure, le narrateur sa transforme en tyran – ce qui est une sorte de destruction aussi - et Marthe meurt.
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3. Lettre et Journal Intime Le chapitre précédent nous a montré l’effet de la guerre sur les gens à l’arrière-front à travers la langue dans un genre narratif fictif. Ce chapitre nous proposera une lettre authentique et deux extraits d’un vrai journal intime de la guerre. Comme il était écrit dans la partie théorique de notre mémoire, la force de la lettre et du journal intime réside dans l’écriture franche et personnelle provenant du « moi » profond de l’auteur. Conformément à ce fait, les textes qui suivent nous dévoileront les pensées les plus profondes de deux auteurs. L’analyse stylistique et linguistique de ces pensées nous montrera la force dévastatrice de la guerre sur les gens présents directement au front.
3.1 La lettre d’Emile Sautour20 Dans cette partie de notre mémoire on se trouvera directement au front via la lettre qu’Emile Sautour- soldat de la Première Guerre mondiale- a écrit à sa famille. Cette lettre a paru dans un recueil Paroles de poilus: lettres et carnets 1914-1918 et sa spécificité réside dans son authenticité. 31 mars 1916 Mes bon chers parents, ma bonne petite sœur Il me devient de plus en plus difficile de vous écrire. Il ne me reste pas un moment de libre. Nuit et jour il faut être au travail ou au créneau. De repos jamais. Le temps de manger aux heures de la soupe et le repos termine il faut 5
reprendre son ouvrage ou sa garde. Songez que sur vingt-quatre heures je dors trois heures, et encore elles ne se suivent pas toujours. Au lieu d’être trois heures consécutives, il arrive souvent qu’elles sont coupées de sorte que je dors une heure puis une deuxième fois deux heures. Tous mes camarades éprouvent les mêmes
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Gueno, J.P- Laplume, Y. : Paroles de poilus: lettres et carnets 1914-1918. 1998. p.32-33
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souffrances. Le sommeil pèse sur nos paupières lorsqu’il faut rester six heures 10
debout au créneau avant d’être relevé. Il n’y a pas assez d’hommes mais ceux des dépôts peuvent être appelés et venir remplacer les évacués ou les disparus. Un renfort de vingt hommes par bataillon arrive, trente sont évacués. Il n’y a pas de discipline militaire, c’est le bagne, c’est l’esclavage!... Les officiers ne sont point familiers, ce ne sont point ceux de début. Jeunes, ils
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veulent un grade toujours de plus en plus élevé. Il faut qu’ils se fassent remarquer par un acte de courage ou de la façon d’organiser défensivement un secteur, qui paie cela le soldat. La plupart n’ont aucune initiative. Ils commandent sans se rendre compte des difficultés de la tache, ou de la corvée à remplir. En ce moment nous faisons un effort surhumain. Il nous sera impossible de tenir longtemps ; le
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souffle se perd. Je ne veux pas m’étendre trop sur des faits que vous ne voudriez pas croire tout en étant bien véridique, mais je vous dirai que c’est honteux de mener des hommes de la sorte, de les considérer comme des bêtes. Moindre faute, moindre défaillance, faute contre la discipline, 8 jours de prison de prison par le commandant de la compagnie, porte par le Colonel. Le
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soldat les fait. Au repos il est exempt de vin et de viande. Nous sommes mal nourris, seul le pain est bon. Sans colis, que deviendrions-nous ? La nuit que j’ai regagne le secteur actuel, nos officiers nous ont perdus. Nous avons marche trois heures sous bois pour gagner le point de départ. La pluie et la neige tombaient. Il a fallu regagner le temps perdu et par la route nous avons monté en ligne. Mais le
30 danger
est grand pour faire passer un bataillon sur une route si bien repérée. Nous
avons été marmités mais pas de pertes. Nous avons parcouru quatorze kilomètres en deux pauses. En ce moment c’est beaucoup trop pour des hommes vannés et par un temps abominable. J’ai voulu vous montrer que ceux qui vous diront que le soldat n’est pas 35
malheureux au front, qu’un tel a de la chance d’être valide encore, mériteraient qu’on ne les fréquente plus. Qu’ils viennent donc entendre seulement le canon au dessus de leurs têtes, je suis persuade qu’ils regagnent leur chez-soi au plus vite. Nos misères empirent chaque jour, je les vaincrai jusqu’au bout. A bientôt la
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victoire, a bientôt le baiser de retour. Emile L’analyse de cette lettre sera effectuée à partir de deux motifs : •
La misère d’un soldat au front
•
Le message à l’humanité
3.1.1 La misère d’un soldat au front Le contenu de cette lettre est complètement opposé au contenu du roman étudié. La misère causée directement par la guerre y est visible clairement. Dans le premier paragraphe Emile dépeint la vie quotidienne d’un soldat. Dans ce but, il utilise le temps présent. Une amplification des phrases indiquant le manque de temps libre souligne la fatigue d’un soldat. Il n’a pas un moment de libre (3), il travaille nuit et jour (3), de repos jamais (4), il dort trois heures sur vingt-quatre (6) et pour cette raison le sommeil pèse sur ses paupières (10). Dans le deuxième paragraphe Emile commente la réalité guerrière. (14) Il n’y a pas de discipline militaire, c’est le bagne, c’est l’esclavage!... La réalité l’écœure. Il matérialise son dégoût par l’emploie du point d’exclamation et par le parallélisme syntaxique construit à partir du présentatif « c’est ». Une telle construction de la phrase renforce les mots « le bagne, l’esclavage » qui ont déjà une connotation forte négative. Ajoutant trois points de suspension comme s’il voulait dire qu’il n’a pas de mots pour exprimer une telle atrocité. Il critique les officiers qui exploitent les soldats pour leur propre gloire, qui ne prennent les hommes que pour les animaux et finalement, il les condamne. (16) Jeunes, ils veulent un grade toujours de plus en plus élevé. Il faut qu’ils (les jeunes officiers) se fassent remarquer par un acte de courage ou de la façon d’organiser défensivement un secteur, qui paie cela le soldat.
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(23) (…) je vous dirai que c’est honteux de mener des hommes de la sorte, de les considérer comme des bêtes. Le troisième paragraphe continue toujours au présent la description du quotidien. Mais après quelques lignes Emile passe au passé composé pour décrire un événement concret - la première marche avec son secteur actuel. Cette histoire démontre tout ce qu’Emile décrit dans la première partie de sa lettre, elle illustre la misère des soldats et elle envisage d’une manière claire comment ça se passe au front : •
la défaillance des officiers − (31) (…) nos officiers nous ont perdus.
•
les conditions abominables – (33) La pluie et la neige tombaient. (35) Mais le danger est grand pour faire passer un bataillon sur une route si bien repérée. (36) Nous avons été marmités (…)
•
la corvée des soldats − (36) Nous avons parcouru quatorze kilomètres en deux pauses.
A la fin du paragraphe il revient au présent pour conclure que les soldats sont déjà épuisés. (37) En ce moment c’est beaucoup trop pour des hommes vannés et par un temps abominable.
Il en résulte que la lettre d’Emile Sautour est un témoignage de la vie misérable d’un soldat dans la guerre. Cette misère est matérialisée par le champ lexical avec une forte connotation négative : difficile (2), souffrances (9), évacués, disparu (12), bagne, esclavage (14), surhumain, impossible (21), honteux (24), bêtes (25), faute, défaillance (26), prison
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(27), exempt, mal (29), perdus (32), danger (35), marmités, pertes (36), vannés (38), abominable (38), malheureux (40), canon (42), misères (43) Il est dispersé partout dans la lettre. En plus, ce champ lexical de la misère est renforcé par les adverbes et les locutions adverbiales d’intensité. (2) Il me devient de plus en plus difficile de vous écrire. (2) Il ne me reste pas un moment de libre. (3) Nuit et jour il faut être au travail ou au créneau. De repos jamais. (6) (…) et encore elles ne se suivent pas toujours. (15) Les officiers ne sont point familiers, ce ne sont point ceux de début. (16) Jeunes, ils veulent un grade toujours de plus en plus élevé. (26) Moindre faute, moindre défaillance, faute contre la discipline, (…). (37) En ce moment c’est beaucoup trop pour des hommes vannés et par un temps abominable. (41) Qu’ils viennent donc entendre seulement le canon au dessus de leurs têtes, (…). Emile souligne l’idée de la non crédibilité d’une telle horreur en disant que quelqu’un qui n’a pas vécu la guerre ne la croira pas. (32) Je ne veux pas m’étendre trop sur des faits que vous ne voudriez pas croire tout en étant bien véridique,(…). Tandis qu’au milieu de la lettre l’emploi du futur simple exprime la certitude d’Emile qu’ils ne vont pas tenir longtemps, dans les dernières phrases le futur simple exprime la certitude d’Emile qu’il va survivre: (21) Il nous sera impossible de tenir longtemps ; le souffle se perd. vs.
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(43) Nos misères empirent chaque jour, je les vaincrai jusqu’au bout. A bientôt la victoire, a bientôt le baiser de retour. Comme on a mentionné dans le premier chapitre qui porte sur la théorie des trois genres dont les extraits sont étudiés, cette contradiction peut avoir les racines dans le fait, qu’un auteur de la lettre veut se montrer meilleur qu’il est vraiment - dans cette situation, Emile veut se montrer plus fort pour encourager sa famille ainsi que luimême ; pourtant, la force dévastatrice de la guerre est si grande qu’en sa pleine description Emile se laisse entrainer et dévoile son doute. Cette volonté de se montrer dans la meilleure lumière réside dans le fait, que la lettre est destinée à quelqu’un. A qui est destinée la lettre d’Emile Sautour ? Cette question sera répondue dans la souspartie suivante de notre travail.
3.1.2 Le message à l’humanité Le but de cette lettre est clair – dépeindre la vie dure d’un soldat au front. D’ailleurs, l’auteur lui-même l’écrit clairement : (39) J’ai voulu vous montrer que ceux qui vous diront que le soldat n’est pas malheureux au front, qu’un tel a de la chance d’être valide encore, mériteraient qu’on ne les fréquente plus. Au premier regard, le destinataire de la lettre d’Emile Sautour est clair aussi. C’est sa famille. L’indice qui le prouve est la salutation au début : (1) Mes bon chers parents, ma bonne petite sœur Or, on ne trouve plus dans la lettre la mention de sa famille. Si par hasard la lettre était abimée et on n’arrivait pas à lire la salutation, le corps de la lettre ne nous permettrait pas de trouver le destinataire, car Emile ne nomme plus personne dans sa lettre. Cinq fois il s’adresse à son destinataire avec le pronom personnel vous (2, 22,
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23, 39, 39). Ce pronom permet à n’importe quel lecteur qui lit cette lettre à s’y identifier. Ainsi dans les lignes 39-41 il ne précise pas à qui il a voulu montrer tout cela, ni qui pourrait nier le malheur d’un soldat. C’est pourquoi on peut considérer la lettre de ce soldat comme une lettre ouverte destinée au public ayant pour le but montrer la réalité du front et détruire des idées erronées des gens. De surcroît, ce message reste éternel et donc toujours valide grâce à l’emploie du présent qui actualise toutes les idées. Emile a écrit cette lettre au présent car pour lui, c’était le présent de l’énonciation. Pour un lecteur d’aujourd’hui, presque cent ans plus tard, ce présent assume la valeur gnomique, la valeur de la vérité générale. La généralisation de cette lettre est aussi permise grâce à la désignation des soldats. Emile n’écrit pas seulement à la première personne du singulier je. Ce je ne lui sert qu’à donner de l’authenticité et de la véracité à ce qu’il écrit. Lui aussi, il vit toutes ces horreurs de la guerre, il sait de quoi il parle, il en est acteur et témoin, ce sont ses expériences personnelles. Mais à part lui, il y en a d’autres soldats qui sont dans la même situation, qui souffrent. Emile les introduit par une phrase : (9) Tous mes camarades éprouvent les mêmes souffrances. Au lieu de donner leurs noms, Emile utilise les pronoms liés à la première personne du pluriel – nous, nos – par exemple : (9) Le sommeil pèse sur nos paupières (…) (20) En ce moment nous faisons un effort surhumain. Il nous sera impossible de tenir longtemps ; Quelques fois il va encore plus loin dans sa généralisation et utilise des constructions impersonnelles et la valeur généralisante des articles, par exemple : (2) Nuit et jour il faut être au travail ou au créneau. (7) (…) il arrive souvent qu’elles sont coupées (…). (18) (…) qui paie cela le soldat.
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(37) En ce moment c’est beaucoup trop pour des hommes vannés (…). Au caractère du message éternel à l’humanité de cette lettre contribue le fait, qu’Emile ne fournit aucun repérage spatio-temporel, excepté la date au début. Comme la guerre est un phénomène qui accompagne l’humanité depuis toujours, à chaque époque, il n’est pas difficile de comprendre le contenu de la lettre ni de nos jours. Pour conclure, Emile est tué sur le front le 10 octobre 1916. On ne saura jamais s’il a voulu faire lire sa lettre par le grand public, mais de toute façon, sa lettre a contribué d’une grande partie à la diffusion de l’idée de la paix dans le monde.
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3.2 Le journal intime d’Edmond Tondelier21 Dans cette dernière partie, on étudiera deux extraits du journal intime de la Première Guerre mondiale d’Edmond Tondelier, transcrit du manuscrit et publié sur internet par arrière petit-fils d’Edmond Tondelier comme une contribution à la fin de la bêtise humaine22. Edmond Tondelier et ses deux frères sont nés le 7 octobre 1869 à Saint-Python, le Nord de la France. A l’âge de 25 ans, il se marie avec Amante Bouvelle et ils ont trois enfants ensemble. En 1913, la famille s’installe à Mouvaux, une ville près de Lille. Faute de la guerre, Edmond quitte sa famille le 3 octobre 1914. Etant professeur, il reçoit son ordre d’appel au lycée Montaigne à Paris le 28 janvier 1915. A peu près un mois plus tard il commence à écrire son journal intime dont on étudiera les deux extraits suivants : 3 avril - Rien à signaler d’intéressant pour cette veille de Pâques qui évoque pour moi tant de souvenirs de famille. Ma pensée me rapporte invinciblement làbas … Que font-ils pendant ces vacances si tristes où les causes de douleur et d’inquiétude s’ajoutent… Si seulement j’avais de leurs nouvelles! Vivent-ils tous? 5
Pauvres parents, pauvre femme, pauvres enfants … il y a aujourd’hui six mois que je vous ai quittés. Vous reverrai-je jamais ? 17 avril - Je passe la matinée à écrire dans ma chambre et, entre deux lettres, je rêve à tous mes chers exilés. Que deviennent-ils ? Cette prolongation de leur silence dans une période où tant de gens du Nord, évacués, reçoivent des lettres
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permet toutes les suppositions. N’ont-ils pas été condamnés par une tentative infructueuse? Ne redoutent-ils pas des représailles pour eux ou pour moi ? N’ont-ils pas renoncé à m’écrire, parce qu’ayant des nouvelles fâcheuses, un décès peut-être à m’apprendre, ils remettent à plus tard le moment de me
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Michaut, J.: Une vie deux guerres,
20/04/2009 Michaut, J.: la préface d’Une vie deux guerres, telechargeable via le lien „Lecture chronologique“ sur 20/04/2009 22
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communiquer ces nouvelles fâcheuses, ce deuil ? Toutes ces suppositions me tuent. 15
Et cette offensive qui n’avance pas, ces anglais qui n’ont pas encore de munitions suffisantes pour commencer et continuer le mouvement en avant. Tout contribue à me démoraliser.
A partir de ces deux extraits, notre mémoire étudiera le motif qu’on peut appeler « La peur d’un homme parti dans la guerre pour sa famille causée par le manque d’informations ». Cette peur qui dévaste le narrateur dans son intérieur et qui détruit son moral est un autre aspect de la force dévastatrice de la guerre.
3.2.1 La peur d’un homme parti dans la guerre pour sa famille causée par le manque d’informations Les deux extraits du journal intime sont dominés par trois éléments : la famille, le pessimisme et l’ignorance. Premièrement, on voit la forte présence de la famille d’Edmond dans ses pensées, car chaque phrase sauf les trois dernières contient une notion concernant sa famille. Pour designer sa famille, Edmond utilise les substantifs tels que famille (2), parent, femme, enfants (5), chers (8) ainsi que les pronoms de la troisièmes personne du pluriel ils, vous, eux, leur (4,8). Les pronoms de la troisième personne servent à parler de quelqu’un qui n’est pas présent ou d’un tiers. Donc l’emploi de ces pronoms souligne le fait que la famille d’Edmond est éloignée de lui, ils sont loin, quelque part là-bas (2). Mais après, il indique que sa pensée est plus forte que lui, qu’il ne peut pas la combattre, car elle le rapporte invinciblement là-bas …(2), chez sa famille. Ses pensées sont si fortes qu’elles permettent à Edmond de se rapprocher de sa famille et d’adresser ses aimées directement en utilisant le pronom personnel vous : (5) il y a aujourd’hui six mois que je vous ai quittés. Vous reverrai-je jamais ? Cette dernière question ainsi que les autres jouent un grand rôle dans ces extraits. La première parmi eux a une forme atypique :
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(3) Que font-ils pendant ces vacances si tristes où les causes de douleur et d’inquiétude s’ajoutent… Elle commence par le pronom interrogatif que, elle contient l’inversion du sujet fontils mais au lieu de finir par le point d’interrogation elle finit par les trois point de suspension. Ces trois point de suspension notent une pensée inachevée soit parce que l’auteur n’arrive pas à l’achever soit parce qu’il a peur de l’achever. Deuxièmement, la dernière question du 3 avril est intéressante aussi. (5) Vous reverrai-je jamais ? Utilisant la particule jamais, cette question commence la série de questions avec des éléments négatifs qui domine le deuxième extrait. (10) N’ont-ils pas été condamnés par une tentative infructueuse? (11) Ne redoutent-ils pas des représailles pour eux ou pour moi ? (11) N’ont-ils pas renoncé à m’écrire, parce qu’ayant des nouvelles fâcheuses, un décès peut-être à m’apprendre, ils remettent à plus tard le moment de me communiquer ces nouvelles fâcheuses, ce deuil ? Toutes ces questions posées négativement illustrent la force de la peur venant de l’ignorance d’Edmond de ce qui se passe avec sa famille. Cette transition des questions posées positivement (4) Vivent-ils tous ? (8) Que deviennent-ils ? aux questions posées négativement laisse entendre l’inquiétude d’Edmond qui augmente avec le temps qui passe.
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D’ailleurs, ce n’est pas que dans les questions où l‘élément négatif est présent. Il est aussi fort visible dans le champ lexical qui a une connotation sémantique négative : rien, invinciblement, tristes, douleur, inquiétude, pauvres, jamais, exilés, silence, évacués, condamnés, infructueuse, représailles, renoncer, fâcheuses, décès, deuil, tuent, offensive, munitions, démoraliser. Ce champ traverse les deux extraits. Il matérialise les pensées négatives de l’auteur. Les propres mots du professeur ainsi que l’espace dédié aux pensées de la famille qui est plus large que celui dédié aux pensées des combats prouvent que ces pensées négatives sont dues au manque d’informations de sa famille plutôt qu’à la douleur physique causée par la guerre. Donc troisièmement, on passe à l’ignorance de l’auteur. (4) Si seulement j’avais de leurs nouvelles! (8) Cette prolongation de leur silence dans une période où tant de gens du Nord, évacués, reçoivent des lettres permet toutes les suppositions. Il ne lui suffirait qu’une nouvelle de sa famille qui répondrait à ses questions pour le soulager, car ces ténèbres aboutissent dans les suppositions qui le tuent (14). La famille est devenue pour Edmond une obsession, une préoccupation plus importante que sa vie à lui. L’ignorance de ce qui se passe avec eux lui permet d’inventer les hypothèses les plus affreuses qui lui font mal et qui le détruisent psychiquement. Donc de nouveaux il s’agit d’un texte qui dépeint la guerre comme une force dévastatrice de l’intérieur plutôt que du physique. On le voit d’autant mieux que le journal intime nous place directement dans les pensées de celui qui l’écrit. On s’y identifie facilement car, pour reprendre l’expression mentionnée dans la partie théorétique de notre mémoire, le journal intime assure une sorte d’amicale complicité entre l’écrivain et son public. On partage avec l’auteur tous ses sentiments d’une manière authentique. En somme, la guerre a séparé la famille Tondelier. En ajoutant la difficulté de communiquer via correspondance, la séparation est totale. Avec les difficultés
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physiques liées à la vie guerrière, la guerre détruit un homme complètement et elle cause sa démoralisation: (16) Tout contribue à me démoraliser. A la fin, on ajoute qu’Edmond Tondelier survit la Première Guerre mondiale et rejoint sa famille. Il n’a pas de chance d’éviter la Deuxième Guerre mondiale et il meurt en 1944 à l’âge de 75 ans.
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Conclusion Notre mémoire avait pour le but de montrer la force dévastatrice de la guerre à travers des éléments linguistiques et stylistiques dans les textes littéraires. Dans Le Diable au corps on a vu que l’homme n’est pas toujours dévasté par la guerre directement. C’étaient les conséquences de la guerre qui ont dévasté le narrateur et ensuite, c’était le narrateur qui a dévasté Marthe. La brutalité du narrateur a été mise en relief grâce au regard rétrospectif sans repentance et les maximes utilisées. L’expressivité des sentiments du narrateur a été effectuée par l’utilisation des points d’exclamation et par le sémantisme des champs lexicaux. L’emploi du conditionnel a montré le renversement du fonctionnement du monde à cause de la guerre. La différence des sentiments de Marthe envers ses deux hommes a été sousentendue sur le fond des descriptions du comportement de Marthe envers l’un et l’autre. Puis, la lettre d’Emile Sautour et le journal intime d’Edmond Tondelier ont laissé voir la valeur de l’écriture authentique. Ces deux genres nous ont permis d’entrer directement dans les pensées des deux hommes au front et de s’y identifier. Le champ lexical de la misère et les phrases négatives ont exprimé le mauvais état d’âme et le désespoir des deux auteurs. Par contre, l’emploi du futur simple a exprimé la certitude d’Emile qu’il allait survivre. Ainsi le fait qu’Emile dans sa lettre a exprimé cette certitude tandis qu’Edmond n’a exprimé que son désespoir a prouvé la théorie que la lettre est moins sincère que le journal intime, car la lettre est destinée à être lue par son destinataire et donc l’auteur de la lettre veut se montrer meilleur ou plus fort. De plus, le fait qu’Emile utilisait dans sa lettre les pronoms impersonnels et le temps présent a donné à sa lettre une valeur universelle d’une lettre ouverte destinée à lire par n’importe qui à n’importe quelle époque. On peut en constater donc que chaque mot, chaque signe de la ponctuation ainsi que chaque choix des temps verbaux, des pronoms, etc. ont une énorme importance dans le texte pour exprimer les idées de l’auteur. De cette raison, il est important d’être attentif en lisant le texte et d’observer tous les éléments, même ceux les plus petits.
Pour aller plus loin, le sens de l’analyse linguistique et stylistique réside dans le fait qu’elle aide à mieux comprendre le fonctionnement pratique de la langue, c'est-à-dire de la grammaire ainsi que de la stylistique. De cette raison, l’analyse des textes devrait être pratiquée pendant les cours des langues étrangères aussi bien que pendant les cours de la langue maternelle.
Resumé Cieľom tejto práce je poukázať na silu lingvistických a štylistických prostriedkov v literatúre, konkrétne na textoch zobrazujúcich vojnu ako deštrukčnú silu človeka. V úvodnej teoretickej časti nájdeme niekoľko charakteristických čŕt románu, listu a denníka z lingvisticko-štylistického pohľadu. Po nej nasleduje praktická časť práce, ktorá spočíva v lingvisticko-štylistickej analýze troch úryvkov z románu francúzskeho autora Raymonda Radigueta Diabol v tele, jedného autentického listu vojaka Emila Sautoura, ktorý napísal priamo z frontu svojej rodine, a dvoch denníkových zápiskov Edmonda Tondeliera. Diabol v tele je kontroverzný román, ktorý vykresľuje vojnu ako priaznivú podmienku pre vzťah dvoch mladých ľudí – štrnásťročný chlapec, rozprávač románu, nadviaže ľúbostný vzťah s devätnásťročnou Marthou, ktorej manžel odišiel do vojny. V prvom úryvku sledujeme chaos spôsobený vojnou. Rozprávač sa dostáva do roly Marthinho manžela a Martha má z toho zmätok v hlave. Chaos je vyjadrený pohybovými slovesami naznačujúcimi repetíciu deja. Zmätok v Marthinej hlave vyjadruje porovnanie jej správania sa k rozprávačovi s jej správaním sa k manželovi. Jacquesovu nežiadanú prítomnosť naznačujú exklamatívne vety, v ktorých sa vyskytuje jeho meno. Z Marthinho správania môžme vyvodiť záver, že vojna vedie ľudí ku klamstvu, klamstvo prináša strach a strach spôsobuje chaos v ľudskom konaní. V druhom úryvku vystupuje do popredia zvláštny pohľad na vojnu ako na podmienku šťastia dvoch mladých ľudí. Rozprávač vykresľuje šťastie spôsobené vojnou a pomocou podmieňovacieho spôsobu naznačuje, že nebyť vojny, jeho vzťah s Marthou by nebol možný. Na druhej strane, z lexikálnych polí vyplýva, že ich šťastie nie je šťastím v pravom slova zmysle. Slová s negatívnou konotáciou prevažujú nad slovami s pozitívnou konotáciou, čo naznačuje paradoxnú povahu ich šťastia, v ktorom nakoniec víťazí to negatívne. V treťom úryvku je veľmi viditeľná rozprávačova brutalita, ktorú okrem iného zvýrazňuje aj retrospektívny pohľad. Rozprávačove chladné reakcie po oznámení Marthinej smrti pôsobia v porovnaní s citlivou reakciou jeho otca ešte drsnejšie. Silu autorovým slovám dodáva aj výber citovo zafarbených slovies, napr.: želať si, túžiť.
Veľmi kruto pôsobia autorove želania, v ktorých Marthe nedopraje pokoj ani po smrti. Rozprávačova brutalita je zarážajúca aj tým, že ju vyjadruje veľmi jasne a priamo. Svoje konanie dokonca podporuje maximami, ktoré dávajú čitateľovi dojem, že takéto správanie je normálne, lebo všetci sa tak správajú, lebo toto je všeobecná pravda. Posledná časť tejto práce ponúka analýzu listu a dvoch denníkových úryvkov. List opisuje kruté a ničivé podmienky vojaka na fronte. Do popredia vystupuje lexikálne pole útrapy. V polovici listu Emile prepadá beznádeji, ale, nakoľko je list adresovaný jeho rodine, pred ktorou nechce ukázať svoju slabosť, list ukončuje budúcim časom, ktorým vyjadruje svoju istotu, že tento boj s vojnou vyhrá. List je písaný, typicky, v prítomnom čase. Navyše, Emile nepíše len o sebe, ale píše o všetkých vojakoch, čo s ním trpia vo vojne. V liste oslovuje adresátov len osobnými zámenami, nie podstatnými menami. Tieto tri štylistické prvky posúvajú tento list, pôvodne súkromne napísaný Emilovej rodine, do roviny otvoreného listu určeného na čítanie celým ľudstvom. Jeho posolstvom je ukázať ľuďom pravú tvár vojny. Z denníkových zápiskov vystupuje do popredia motív vnútornej deštrukcie človeka na fronte spôsobenej nedostatkom informácií o rodine. Edmondove zápisky odzrkadľujú jeho vnútro ovládané pesimizmom a nevedomosťou, ktoré sa prejavujú používaním slov s negatívnou konotáciou a negatívnych opytovacích vetných konštrukcií. Viac ako vojna Edmonda ničí nevedomosť, že nevie, čo sa robí s jeho rodinou. Má jediné želanie, ktoré vyjadruje zvolacou vetou – chce aspoň nejakú správu o rodine. Z týchto analýz vidíme, akými rôznymi spôsobmi môže vojna ničiť ľudí a akými rôznymi prostriedkami to jazyk dokáže zachytiť a vyjadriť. Lingvisticko-štylistická analýza textu ukazuje na konkrétnych príkladoch a v konkrétnom kontexte, ako funguje syntax a štylistka daného jazyka. Preto takáto analýza môže veľmi pomôcť pri vyučovaní cudzieho ale aj materinského jazyka.
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