Euthyphron Philo

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simples sentiments de justice et d'humanité ? Euthyphron est bien incapable d'y repondre autrement que par des Lieu communs, et finit par se dérober. Socrate ne dit rien, mais son attitude parle pour lui : il n'est pas athée, mais ce n'est pas la religion étriquée d'Euthyphron qu'il pratique !

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Euthyphron. Que fais-tu ici, Socrate, devant l'entrée du tribunal ? On te trouve plutôt d'habitude en train de discuter près du gymnase. Viens-tu, comme moi, pour un proces ? J'ai du mal à croire que tu aies pu porter plainte contre qui qud ce soit ! Socrate. Je n'ai pas porté plainte, je suis cité à comparaîtfe. Mon dénonciateur est un nomme Mélétos, que je ne connaissais pas jusqu'ici. Le connais-tu toi-même ? Il est de Pythos, il a les cheveux lisses, le nez crochu, la barbe peu fournie. E. Non, je ne vois pas de qui il s'agit. Que fait-il dafi la

vie ? S. Il n'est pas très âgé, mais c'est déjà un citoyen tri3 attentif au bien de la cite. Dans le domaine de l'éducation, en par-

ticulier, il milite avec zèle contre tout ce qui pourrait fausser l'esprit des jeunes gens. C'est donc un fin politique car, ainsi que le bon jardinier s'occupe en priorité des pousses de l'année, lui se soucie d'abord de préserver notre jeunesse studieuse. Nul doute que c'est avec la même résolution qu'il prendra soin ensuite des générations précédentes, et finalement de l'ensemble de la population. l

E. Mais de quoi t'accuse-t-il, qui pourrait contrarier son louable projet ? S. D'ignorer les bons principes éducatifs, au point de per-

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vertir les jeunes gens qui m'écoutent. E. Fâcheux &but pour ce champion de la vertu ! Il rate complètement sa cible s'il s'attaque d'abord à Socrate, le meilleur d'entre nous ! Et quelles idées pernicieuses te reproche-t-il de propager ? S. D'inventer de nouveaux dieux, de ne plus croire aux divinités établies. E. J'ai tout compris ! Mélétos s'appuie sur tes propres déclarations :tu parles en effet souvent de ce démon,de cette espèce de voix divine qui te guide en certaines circonstances. Il sait 'combien cette complicité surnaturelle est suspecte aux yeux de tous. Il en rajoute et te calomnie devant le tribunal. J'ai moimême subi les quolibets de l'assemblée lorsque mes convictions religieuses me dictaient quelque prédiction, pourtant vérifiée après coup. Les autres sont tout simplement.jaloux'de notre pouvoir d'intuition. Ne craignons rien de leurs sarcasmes, mon cher Socrate. Répondons-leu1 comme il convient. S. Je ne m'en soucierais guère, en effet, s'il ne s'agissait que de dérision. Mais si nos concitoyens nous soupçonnent de vouloir faire partager nos dons avec d'autres, ils se fâchent pour de bon. E. Je n'ai aucune raison ni aucune envie d'en faire l'expérience ! S. Parce qu'ils te savent discret, peu disposé à enseigner ce que tu sais. II n'en est pas de même pour moi. Mon caractère sociable me désigne comme l'apôtre d'idées nouvelles, donc pernicieuses. On me croit capable de les divulguer sans discemement au premier venu, sans demander la moindre rémunération. J'irais même, dit-on, jusqu'à payer pour

rassembler un auditoire attentif. Alors, les juges vont-ils seulement rire de moi ? J'accepterais volontiers de plaisanter avec e u ! Mais je crains une attitude moins conciliante, et que le procès t o m e mal pour moi. Qu'en penses-tu, toi qui vois dans 1è futur E. Ne nous inquiétons pas outre mesure, Socrate. Défendons chacun notre cause de notre mieux. S. Au fait ! Tu ne m'as pas expliqué en quoi.consiste ton affaire. E. J'ai porté plainte contre quelqu'un que beaucoup trouveraient insensé de poursuivre. S. Pourquoi est-ce insensé de le poursuivre 3 Il risque de \ s'envoler ? E. Sûrement pas ! C'est quelqu'un de très âgé. -. S. Qui est-ce donc, enfin ? E. Mon propre père ! S. Et que lui reproches-tu ? E. Je l'accuse d'homicide. ' S. Par Hercule, voila une situation peu banale ! Il t'a sûrement fallu beaucoup de discernement pour en adver à une telle décision ! E. Oui, je dois le dire. J'ai dû faire appel à toutes les ressources de mon érudition. S. La victime doit être un parent proche. Je n'imagine pas, en effet,-que tu puisses exposer ton père à la peine capitale pour le meurtre d'un étranger à ta famille. E. Ta réaction me fait sourire, Socrate. Tu devrais pourtant savoir que, dans une affaire d'homicide, le critère à considérer concerne le meurtrier, et non la victime. S'il avait le droit de tuer, il n'y aurait pas lieu de poursuivre. Sinon, peu importe l'identité de la victime, il faut que justice soit faite. Même son '

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propre fils, ou un ami proche, doit le dénoncer, sous peine de violer la loi divine. S. Dis-moi cependant :dans ton affaire, qui était la victime ? E. Un journalier agricole que nous employions à notre domaine de Naxos. Pris de boisson, il avait égorgé un de nos serviteurs. Mon pèke i'a fait jeter dans une fosse, iigoté, et ne s'en est plus occupe. Le temps d'envoyer quelqu'un consulter un spécialiste du droit, le journalier était mort dans ses liens. S. Et c'est ainsi que tu as décidé d'accuser ton père d'homicide ? E. Oui ! Mes proches ont très mal réagi. Mon père n'a fait, disent-ils, que se débarrasser d'un assassin. Moi, en revanche, j'aurais agi en fils indigne, car les dieux interdisent de dénoncer son père. Mais, Socrate, personne de ma famille n'a étudié la loi divine ! S. Au contraire, toi, Euthyphron, tu la connais parfaitement. Ton père, affirmes-tu, était dans son tort en punissant un assassin, et toi tu es dans ton droit en le dénonçant au tribunal. E. Absolument ! Ne suis-je pas considéré comme un expert en la matière ? S. Mais alors, savant ami, pourquoi ne me déclarerais-je pas ton disciple ?Je couperais court ainsi à la démarche de Mélétos. « Renonce à ta plainte, lui dirai-je, car Euthyphron, mon maître, est cdlèbre pour sa clairvoyance. Si tu n'en es pas persuadé, c'est lui que tu dois poursuivre, pour m'avoir mal conseille et pour avoir dénoncé à tort son propre père. » Et s'il persiste cependant à me faire comparaître,je tiendrai aux juges le même langage. E. Par Zeus, Socrate, s'il s'avisait de me poursuivre, je n'aurais pas de mal à trouver son point faible, et l'affaire se retournerait contre lui.

S. Je n'en doute pas, maître. Cependant, avant de devenir

ton disciple et de confondre ainsi Mélétos, je voudrais que-tu m'éclaires sur cette loi divine que tu as évoquée au sujet du meurtre de ton journalier. Elle distingue ceminement, sans ambiguïté ni exception, ce qui est juste ou injuste. E. Absolument ! Ce qui est juste, c'est ce que je suis en train de faire : dénoncer sans hésitation au tribunal tout acte répréhensible, meurtre ou vol, quand bien même le coupable serait le père ou la mère du dénonciateur. Zeus lui-même s'y est ' astreint. N'a-t-il pas en effet enchaîné son père Cronos, qui dévorait ses fils sitôt nés ? Et, avant lui, Cronos n'avait-il pas mutilé son père Ouranos pour des raisons analogues ? Et, pourtant, ceux-là mêmes qui vénèrent Zeus me traitent de fils indit gne, quand je ne fais que suivre.son exemple ! S. Nos concitoyens ont souvent, en effet, des attitudes contradictoires vis-à-vis des exploits des dieux. Mais y crois-tu . toi-même sans réserve ? E. Sans aucune réserve, mon cher,Socrate. S. Y compris les querelles incessantes dont retentit l'Olympe, les rivalités, les combats mêmes que chantent nos poètes lors des cérémonies sacrees ? E. Tout cela est. absolument vrai, et les dieux ont encore beaucoup d'autres comportements prodigieux. La plupart d'entre nous les ignorent, mais je pourrais te les raconter. S. Une autre fois, Euthyphron, si tu veux bien. Revenons à 6d 1a.questionque je t'ai posée, sur ce qui est juste ou injuste. Tu as répondu par un exemple, celui de .la dénonciation de ton père. Mais il doit exister une définition plus générale, un caractère indiscutable qui permette de dire à coup sûr :ceci est juste ou ceci est injuste. E. Cette définition existe, en effet. Je te la donne : est juste ce qui plaît aux dieux, injuste ce qui leur déplaît.

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S. Examinons toutes les consequences de cette définition,

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si tu veux bien, Euthyphron. Il y a en effet quelque chose qui me tracasse. Nous avons évoqué à l'instant le comportement agressif des dieux les uns envers .les autres, comportement que tu tiens pour certain. Mais peut-on être agressif envers quelqu'un à la suite d'un désaccord sur de simples impressions, comme la longueur ou le poids d'un objet ? E. Non ! Il suffit d'une mesure ou d'une pesée pour que le désaccord disparaisse. S. Cependant certaines appréciations échappent à tout arbitrage. Je veux parler, par exemple, du bon et du mauvais, du beau et du laid, du bien et du mai. Un désaccord sur ces qualificatifs est irréductible. Voilà l'origine de l'agressivitésque se manifestent les humains comme les dieux. E. Sans aucun doute ! S. Ainsi, mon savant ami, ces querelles incessantes qui, tu l'as reconnu, agitent nos dieux témoignent de désaccords profonds entre eux. En particulier, certaines actions humaines peuvent plaire aux uns, qui les trouvent bonnes, et déplaire aux autres, qui les trouvent mauvaises. E. Comment en douter ? S. Et voilà où ta définition achoppe. Ce qui plaît à certains dieux et déplaît aux autres est-il juste ou injuste ? Pour reprendre ton cas personnel, il se peut, par exemple que ton attitude plaise à Zeus et déplaise à Cronos, ou que sais-je ? E. Là, je t'arrête, Socrate. Sur ce point particulier, les dieux ne peuvent qu'approuver unanimement la dénonciation d'un acte injuste, comme le fait de laisser mourir un prisonnier dans ses liens. S. Mais cette unanimité est loin d'exister chez les humains. Ucaucoup contestent le châtiment infligé à celui dont la coiicluite a été déclarée injuste.

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E. Ceux qui le contestent ne sont pas eux-mêmes sans reproche. Craignant d'être pris, ils tentent d'eviter que soit crée un précédent. S. Crois-tu qu'ils se reconnaissent e i m ê m e s comme injustes ? E. Non, bien sûr ! C'est une autre façon pour eux d'échap per au châtiment qui les attend. S. Importante nuance, Euthyphron ! Ils ne contestent pas la punition, mais les criteres utilisés pour déclarer qu'un acte est injuste. Et je ne crois pas que les dieux puissent raisonner autrement. E. Donc, Socrate, les dieux comme les hommes approuvent la punition de l'acte injuste. S. Oui, mais à condition que l'acte soit effectivement avéré injuste. Était-il effectivement injuste de laisser mourir le journalier de ton pere ? Si la réponse est oui, aiors, je te l'accorde, ta dénonciation a dû plaire à tous les dieux de l'Olympe. Mais L* comment le prouver ? E. Moi, je peux le prouver, si tu m'en laisses le temps. S. C'est inutile, Euthyphron, nous n'avons fait que déplacer le probleme. Comment veux-tu prouver que ton pere a agi de façon injuste, tant que tu appelles injuste ce qui déplaît aux dieux ? Tu vas retomber sur la même incertitude :certains dieux approuvent ce qu'a fait ton pere, d'autres non. E. Tu compliques les choses, Socrate. Moi, je m'en tiens à ce que j'ai dit :ce qui plaît aux dieux est juste, ce qui leur déplaît est injuste. S. Alors je te pose la question autrement : une action estelle juste parce qu'elle plaît aux dieux, ou plaît-elle aux dieux parce qu'elle est juste ? E. Que veux-tu dire ?

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S. Ceci: portet-on une chose parce qu'elle est portée ? L'aime-t-on parce qu'elle est aimée ? E. Non, c'est le contraire. Une chose est portée parce qu'on la porte, aimée parce qu'on l'aime. S. Eh bien, ce n'est pas parce qu'une chose plaît aux dieux qu'eile est juste mais, au contraire, parce qu'elle est juste qu'elle plaît aux dieux. Et, par conséquent, t a définition est boiteuse : tu ne m'as toujours pas expliqué ce qu'est une chose juste en soi, c'est-àdire sans que l'on ait besoin de savoir si eile plaît ou non aux dieux. E. Tu m'embrouilles, Socrate, je ne sais plus où j'en suis. S. Notre discussion s'égare en effet dans des méandres dignes de mon ancêtre Dédale. Ce n'est pas de mon fait, cependant, mais plutôt à cause de tes affirmations,qui se contredisent , sans cesse. E. J'accepte ta boutade, Socrate. Reconnais cependant que, de ton côté, tu as réussi à brouiller les idées simples que j'expnmais. Elles tournent maintenant autour de nous sans que nous puissions les fürer. S. Eh bien, tu vois, je suis encore plus doué que Dédale, qui savait, paraît-il, animer ses statues. Moi, je ne me contente pas de remuer mes propres idées, je remue ceiles des autres ! Mais ne crois pas que ce soit délibéré de ma part. Des raisonnements stables, bien bâtis, seraient pour moi un trésor plus précieux que celui de Tantale. Mais assez plaisanté, mon digne ami, reprenons notre réflexion. Nous en sommes donc arrivés à ceci : seules des actions justes peuvent être agréables aux dieux. \ E. Sans aucun doute ! S. Mais toutes les actions justes sonteiies agréables aux dieux, ou seulement certaines d'entre eiles ? E. Que veux-tu dire ? S. Jeune homme, ne me dis pas que le vieux Socrate est en

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train de prendre ta science en défaut ! Je vais t'aider par un exemple. Un poète a dit que la où est la crainte est aussi le respect. Moi, je ne suis pas de cet avis. Je crois au contraire que le respect n'est qu'une partie de la crainte. En effet, tu crains des choses, par exemple la maladie, que tu ne respectes nulle ment. Mais tu crains toujours pour la réputation de ce que tu respectes, même s'il s'agit du respect de toi-même. E. D'accord ! S. Autre exemple :les nombres pairs font partie de l'ensemble des nombres, mais tous les nombres ne sont pas pairs. Et si tu me demandes comment reconnaître les nombres pairs dans la multitude des nombres, je te répondrai qu'ils sont divisibles +, en deux entiers égaux. Tu me suis ? E. Parfaitement ! S. Alors, à mon tour, je te demande, dans la multitude des actions justes, comment reconnaître celles qui plaisent aux dieux. Ainsi, je pourrai me défendre contre Mélétos lorsqu'll, m'accusera d'impiété puisque, grâce à toi, je pourrai lui montrer que je connais les actions agréables aux dieux E. Ma réponse est : les actions justes qui plaisent aux dieux sont la piété et la dévotion. S. Plaisenteiles aux dieux parce qu'elles améliorent leur condition, comme les soins d'un palefrenier aux chevaux, ou d'un chasseur à ses chiens ? E. Non, par Zeus ! Les dieux n'ont nul besoin que l'on améliore leur condition. La piété, la dévotion composent le culte que l'on doit aux dieux, comme le service que le serviteur doit à son maître. S. Mais le service d'un médecin, d'un constructeur de navires ou d'un architecte a un but précis, qui est d'aider le maître dans son travail. En quoi donc la piété et la dévotion aidentepes l les dieux ?

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E. Les dieux ont bien sOr tendance à améliorer particulièrement le sort de ceux qui les honorent, ainsi que de leurs familles. S. Je commence à comprendre. Les actions justes qui plaisent aux dieux sont donc les ntes du culte qui leur est rendu en échange de leurs bienfaits. Ne s'agit-il pas d'une forme de contrat, comme ceux qui se pratiquent dans le commerce ? E. Contrat commercial, s'il te plaît de l'appeler ainsi ! S. Mais contrat mal équilibré, me semble-t-il. Tout ce que nous avons vient des dieu, mais que leur reste-t-il, à eux, du culte que nous leur rendons ? E. Rien d'autre, bien sûr, que le plaisir d'être honorés et respectks. S. Ainsi, Euthyphron, ces actions justes que sont la piété et la dévotion ne peuvent se définir autrement que par le plaisir qu'elles procurent aux dieux. E. Oui, en effet ! S. Et nous voilà, grâce à tes détours dignes de Dédale, revenus au point de depart ! On ne peut pas qualifier une action de juste, avions-nous établi tout à l'heure, seulement parce qu'elle est agrkable aux dieux. Cependant, la pikté et la dévotion, actions justes s'il en est, tu ne p e u les définir autrement que par le plaisir qu'elles procurent aux dieux ! E. C'est vrai, Socrate, nous n'avons pas avancé ! S. Allons, savant ami, je suis sûr que tu peux mieux faire ! Si tu as été jusqu'à dénoncer ton vieux père, c'est que tu avais une notion très claire de ce qui est juste ou injuste. Sinon tu risquais la colère des dieux et le ridicule d'être confondu devant Ic tribunal. Alors ne refuse pas, tel Protée, de me dire la vérité : iuiiiinciit reconnaîtan ce qui est juste ? E. Je te le dirai une autre fois, Socrate. Je dois te quitter, oii iii'd~tctid.

S. Tu me laisses tomber, Euthyphron, au moment où je dois affronter Mélétos! Comment pourrai-je, me référant à ta science, convaincre mes juges que je suis un homme sage en matière de religion, et que je n'apporte aucune innovation impie en ce domaine ?

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