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N°3 / L a « b i donvi l l isat i on » co m m e pe rspect ive u rb a ine m ond i a l e ?
Dossier n°3 Mars 2009
la « bidonvillisation » comme perspective urbaine mondiale ?
Synthèses et Prospective Une publication de la Mission Prospective et Stratégie Délégation interministérielle à la ville
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Les dossiers D E M A I N des connaissances.
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l a v i l l e ont pour objectif la diffusion
Ils se proposent de présenter des synthèses de recherche ou des articles, ne dépassant pas une vingtaine de pages, intéressant tous les aspects de la politique de la ville et présentant des aspects prospectifs. Chaque numéro est consacré à un sujet et rédigé par un auteur.
AVERTISSEMENT
Avant impression, pensez à l’environnement
Directeur de publication : Adil JAZOULI
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Les propos des auteurs leur sont personnels et ne reflètent pas nécessairement les positions de la Délégation interministérielle à la ville.
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Sommaire
Édito
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LA « BIDONVILLISATION » COMME PERSPECTIVE URBAINE MONDIALE ?
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2 - Baisse de la pauvreté globale, croissance relative de la pauvreté urbaine
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3 - Mal logement et bidonvilles en France
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Conclusion
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Bibliographie
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1 - L a bidonvillisation du monde urbain
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Édito C’est à un élargissement de notre regard sur les problèmes urbains que nous invite ce troisième numéro de « Demain la ville » consacré à la « bidonvillisation » du monde, et nous remercions ici Julien Damon, spécialiste reconnu et auteur, entre autres ouvrages, de « L’exclusion » et de « Vivre en ville », d’avoir accepté de collaborer à notre collection.
La troisième partie, qui revient sur notre Hexagone, fait le point sur une situation qui malgré une amélioration globale incontestable est marquée par le retour de ces bidonvilles que l’on croyait définitivement éradiqués. La rédaction
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Les deux premières parties de ce numéro consacrées à l’urbanisation dans les pays en développement montrent de manière saisissante l’ampleur du problème. Les cartes anamorphiques (qui proportionnent la taille des pays au phénomène étudié) sont en effet infiniment plus parlantes que des tableaux de chiffres ou des diagrammes ! Pourtant, l’auteur ne cède pas au pessimisme et souligne que si le nombre de pauvres est en constante augmentation, et si leur présence devient plus visible (la pauvreté rurale reste souvent invisible), leur proportion diminue et l’urbanisation est aussi une chance. Les bidonvilles sont certes des « agglomérats de pollution, d’insécurité et d’infamies », mais ils sont aussi « un réservoir de créativité culturelle, d’imagination sociale, d’inventivité économique et urbanistique ». Sur ce point, l’auteur termine son texte en invitant les grands noms de l’architecture à s’intéresser moins aux tours prestigieuses des métropoles et plus à l’invention de nouvelles formes d’habitat pour les pauvres des villes…
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LA « BIDONVILLISATION » COMME PERSPECTIVE URBAINE MONDIALE ? Julien Damon Professeur associé à Sciences-Po (cycle d’urbanisme) Auteur de Vivre en ville. Observatoire mondial des modes de vie urbains 2008-2009, Paris, PUF, 2008
Introduction L’avenir ne se prévoit pas. Il se prépare. Tel est probablement le principal enseignement de la prospective. De quoi demain sera-t-il fait ? Dans le détail, personne n’en sait rien. Certaines inerties démographiques sont néanmoins clairement à l’œuvre. Ceci est particulièrement vrai en matière urbaine.
déjà, avec des chiffres qui font frémir, que le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles a dépassé un milliard en 2007. Il pourrait atteindre 1,4 milliard en 2020, voire 2 en 2030. Dit autrement, un tiers des urbains vivent dans un bidonville. En 2020 ce pourrait être le cas du quart des urbains. Cette perspective de « bidonvillisation » - qui n’est en rien une fatalité – est la matière de cet article.
Après une première partie esquissant les grands traits de cette « bidonvillisation » (le néologisme commençant d’ailleurs à s’imposer), la deuxième s’intéressera aux transformations de la pauvreté urbaine, et la troisième partie reviendra sur le cas français.
Quelques idées reçues ont été récemment balayées2. La croissance urbaine ne concernera pas d’abord les « méga cités » de plus de 10 millions d’habitants, mais les villes « moyennes » (de 0,5 à 1 million d’habitants). Cette croissance résultera davantage de l’accroissement naturel des villes que des migrations rurales. Surtout, elle sera alimentée par une augmentation colossale du nombre de pauvres. Les Nations unies estiment
1• M artine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio (dir), The New Global Frontier. Urbanization, Poverty and Environment in the 21st Century, Londres, Earthscan, 2008. 2• Voir les références en bibliographie de cette contribution. Soulignons cependant que le document le plus clair, revenant sur nombre d’idées fallacieuses est l’ouvrage dirigé par Martine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio, op. cit.
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S’il y a donc quelque chose de certain c’est que le monde de demain sera plus urbain. Une grande partie des enjeux du 21ème siècle se trouvent dans les villes des pays en voie de développement et dans la manière dont elles seront gérées. C’est ce que soulignent les experts réunis récemment par le Fonds des Nations Unies pour la population1. Aujourd’hui la moitié de l’humanité vit en ville. Evidemment, la situation est bigarrée. L’urbanisation de nombre de pays développés a atteint des seuils très élevés, qui ne sont pas partout appelés à être dépassés. A l’inverse, l’urbanisation de nombre de pays en développement va se poursuivre. De 2000 à 2030, la population urbaine asiatique devrait doubler, passant de 1,36 à 2,64 milliards de citadins. En Afrique, la population vivant en ville passerait de 294 millions à 742.
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L a bidonvillisation du monde urbain
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2008 signe dans une certaine mesure un changement majeur dans l’histoire de l’humanité. La population urbaine devient majoritaire3. D’une certaine façon, l’humanité entre de plain pied dans l’aire urbaine4. Un être humain sur deux, soit environ 3,3 milliards
de personnes, habitent maintenant effectivement en ville. Ils n’étaient qu’un sur dix au début du XXème siècle. En un mot, comme en cent, l’homo sapiens devient homo urbanus.
Part de la population urbaine par rapport à la population mondiale totale (en %) 80 65
70 60 50 40 30
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Il est certainement discutable d’englober sous le terme d’« urbains » les habitants des centresvilles embourgeoisés des capitales riches, ceux de leurs ghettos périphériques ou centraux5, et le milliard environ d’être humains vivant dans des bidonvilles. Les réalités ainsi rassemblées manquent incontestablement d’unité.
Alors qu’à l’échelle mondiale, l’urbain se généralise, les conditions de vie ne vont pas nécessairement s’uniformisant, entre les villes et au sein des villes. Plus que les modes de vie eux-mêmes, ce sont les dynamiques économiques liées à l’accélération de la mondialisation et de la métropolisation qui convergent. La généralisation de la mobilité et la pénétration des outils de télécommunication rapprochent assurément les citadins.
S’il y a harmonisation, il ne faut pas oublier que les processus de fragmentation (embourgeoisement des centres, périurbanisation, ghettoïsation6) introduisent de fortes différenciations au sein des villes. Pauvreté et marginalité sont très visibles et choquantes au cœur des villes riches du Nord. Pauvreté et inégalité sont tout aussi visibles mais encore bien plus répandues dans les villes du Sud. Le fossé séparant le monde développé du monde en développement reste, malgré d’incontestables améliorations, immense. Rappeler que les défis liés à la pauvreté urbaine sont gigantesques est une sorte de leitmotiv des conclusions des sommets internationaux. Sur la période qui va de 2000 à 2030, la population urbaine des pays en développement devrait doubler. Pour s’assurer que ces personnes ne se retrouvent pas dans des taudis, il faudrait chaque semaine pendant ces trente années
3• Les projections démographiques ont permis d’affirmer dès 2001 que le point d’inflexion se trouverait en 2007. Finalement, 2008 aura été l’année d’équilibre. Ce passage symbolique n’a probablement pas retenu toute l’attention qu’il méritait. Il marque pourtant ce que certains auteurs éminents appellent – on devrait dire à nouveau – « la révolution urbaine ». Voir Hall Peter, « Urban Land, Housing and Transportation. The Global Challenge », Global Urban Development, vol. 3, n° 1, 2007, www.globalurban.org/GUDMag07Vol3Iss1/Hall.htm. Plus généralement, sur la nouvelle affirmation des villes, en particulier en tant qu’acteurs majeurs de la mondialisation, voir Burgel Guy, La revanche des villes, Paris, Hachette Littératures, 2006. 4 Pour reprendre l’expression proposée dans le cadre d’un ambitieux projet international organisé par la London School of Economics et la Deutsche Bank, l’humanité se trouve dans « l’âge urbain ». Voir le très dense et très beau livre dirigé par Burdett Ricky et Sudjic Deyan, The Endless City, Londres, Phaidon, 2007, ainsi que le site afférent www.urban-age.net 5 Il y a d’ailleurs dans cette présentation la vision d’une ville d’essence européenne, avec un centre favorisé se rénovant et des périphéries dégradées. Il n’en reste pas moins que partout dans le monde la géographie des villes est une géographie de communautés plus ou moins favorisées, plus ou moins ouvertes. 6 Repérées dans le cas français, ces trois dynamiques ont été exposées et discutées à partir du dossier « La ville à trois vitesses », Esprit, mars 2004.
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Source : Perspectives de l’urbanisation mondiale. Révision 2007, New York, Nations Unies, 26 février 2008
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produire ce que l’on investit pour une nouvelle ville de un million d’habitants7. Ce type d’estimation imagée, mais fondée, ponctue les analyses et déclarations sur la pauvreté urbaine.La précision statistique ne saurait en ces matières de pauvreté être parfaite. Les réalités les plus sombres échappent à l’investigation statistique, qu’il s’agisse dans les pays riches du dénombrement des sans-abri8 et dans les pays pauvres du recensement précis des habitants des taudis. Ce sont donc les ordres de grandeur qui prévalent. Les Nations unies ont affirmé que les habitants des bidonvilles avait dépassé le milliard en 2007. Ce nombre – au demeurant discutable - pourrait atteindre 1,4 milliard en 2020, voire 2 milliards en 20309. En tout état de précision statistique, les chiffres frappent. Plus d'un être humain sur sept vit aujourd'hui dans un bidonville. Si tout doit continuer de la sorte, ce sera un sur six en 2020. La
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statistique n’est peut-être pas parfaite. La tendance n’en reste pas moins nette.
En 2008, alors que la population mondiale devient majoritairement urbaine, un tiers des individus recensés comme urbains vivent dans des bidonvilles, dont 90 % dans les pays en développement. L’Asie compte, et de loin, le plus grand nombre de citadins vivant dans des bidonvilles – la pire situation étant l’Asie du Sud, où les habitants des bidonvilles représentent la moitié de la population urbaine. Chine et Inde réunissent à elles deux près de 40 % des taudis du monde. En proportion cependant, c’est l’Afrique subsaharienne qui vient en tête avec quelque trois quarts des citadins dans des bidonvilles. Urbanisation y est devenue quasi synonyme de croissance des taudis.
La croissance des bidonvilles (en milliards d'habitants) 1,5 1,25 1 0,75
0,25 0 1990
1995
2000
Monde
2005
Asie
2010
Afrique
2015
2020
Monde développé
Source : Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, Global Urban Observatory Database (2005) ; www.devinfo.info
L’expression bidonville désigne, sous des appellations localement variées, plusieurs types d’habitations et d’installations. Le mot « bidonville » est employé depuis le début des années 1950 pour désigner, dans le Maghreb, littéralement des « maisons en bidons », c'est-à-dire un ensemble d'habitations construites avec des matériaux de récupération. La terminologie
est en fait très riche avec des noms propres à chaque langue, voire à chaque ville. On trouve ainsi les favelas au Brésil, le kijiji au Kenya, le barrio au Venezuela, les campamentos au Chili, les townships d’Afrique du Sud, le precario au Costa Rica, les bastis de Calcutta, les cheries de Madras, les jhuggis-jhompris de Delhi…
7 Voir le rapport de la troisième session du forum urbain mondial (Habitat III) qui s’est tenu à Vancouver en juin 2006, www.unhabitat.org/downloads/ docs/3406_66571_WUF3-Report-FR-23.pdf Encore une fois il ne s’agit que de projections, toujours discutables et ici parfaitement sujettes à caution dans la mesure où la collecte des données est particulièrement compliquée. 8 Voir Jencks Christopher, The Homeless, Cambridge, Harvard University Press, 2004 ; Damon Julien, La Question SDF, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2002. 9 Pour les chiffres (jusqu’à 2020), voir le site du Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, www.unchs.org et, plus précisément, pour les données, voir www.devinfo.info. En ce qui concerne l’estimation pour 2030, voir le discours de Kajumulo Tibaijuka Anna, directrice générale de ONUHabitat, à l’école d’économie de Varsovie le 18 avril 2008, www.unhabitat.org/downloads/docs/5683_16536_ed_warsaw_version12_1804.pdf
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La question des bidonvilles n'est pas en marge de la problématique urbaine. Elle est centrale, de par son intensité et sa diversité, mais aussi de par les nouvelles formes d’organisation qui s’y déploient. Agglomérat de pollution, d’insécurité et d’infamies, le bidonville est aussi un réservoir de créativité culturelle, d'imagination sociale, d'inventivité économique et urbanistique10. Fonctionnellement, le bidonville a un rôle de premier accueil pour l’exode rural. C’est un sas pour la ville, même s’il n’est souvent que nasse pour les populations de réfugiés.
Les termes « taudis », « bidonvilles », « établissements informels », « squatters » ou bien foyers à « faibles revenus » sont souvent employés de manière interchangeable dans les documents officiels et les travaux d’experts. Le Centre des Nations Unies sur les établissements humains définit le « ménage habitant un taudis » comme un groupe de personnes vivant dans le même logement urbain dépourvu d’un ou de plusieurs des éléments suivants : habitation en dur, surface habitable suffisante, disponibilité d’eau potable, accès à un système d’assainissement, sécurité d’occupation11.
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Ces phénomènes peuvent être relevés dans le contexte occidental, mais avec une ampleur qui n’a rien à voir avec ce qu’on observe dans les pays en développement. Une représentation de ce phénomène passe aisément par les cartogrammes12. Cette méthode de cartographie permet de « déformer » les territoires en fonction des caractéristiques de la population qui s’y trouve rapportée à la population mondiale. Une première illustration nette est celle du surpeuplement.
Le surpeuplement est défini ici comme une situation où l’on trouve plus de deux personnes par pièces dans une habitation. En Inde, on considère que le phénomène touche 77 % de la population. C’est le cas également de 72 % des Pakistanais.
L’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, l’Europe de l’Ouest et le Canada sont quasiment invisibles sur ce genre de carte, en raison de la faiblesse du phénomène observé.
Les cinq caractéristiques du bidonville sont donc :
le surpeuplement (plus de deux personnes par pièce) ; l’absence d’eau potable ; l’absence de connexion à un réseau d’assainissement ; un statut d’occupation précaire (squat, occupation illégale de terrain).
10 Voir le dossier « Illégalités et urbanisation », Urbanisme, n° 318, 2001 ; Bolay Jean-Claude, « Le bidonville ou le mal-développement urbain », Urbanisme, n° 351, 2006, pp. 75-80 ; et pour le cas de l’Inde, Dupont Véronique, « La place des slums », Urbanisme, n° 355, 2007, pp. 51-55. 11 Pour plus de précisions, voir López Moreno Eduardo, Warah Rasna, « Le Rapport 2006-2007 sur l'état des villes dans le monde. Tendances urbaines et bidonvilles au XXIème siècle », Chronique ONU, vol. XLIII, n° 2, 2006. www.un.org/french/pubs/chronique/2006/numero2/0206p24.htm. Le Centre des Nations Unies pour les établissements humans a été créé en 1978, dans les suites du premier forum urbain mondial (Habitat I) à Vancouver en 1976. 12 Voir le formidable site www.worldmapper.org. Voir également Dorling Daniel, Newman Mark, Barford Anna, Atlas du monde réel. Cartographier nos modes de vie, Paris, La Martinière, 2008
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la fragilité physique de l’habitat (il ne pourrait durer plus d’un an) ;
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Le surpeuplement des habitations (2002)
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale habitant en logements surpeuplés vivant sur ce territoire
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale des bidonvilles vivant sur ce territoire
Au sujet des bidonvilles, si les volumes sont impressionnants, tant pour ce qui porte sur les nombres absolus que sur les proportions, il faut néanmoins avoir à l’esprit que la situation s’améliore relativement. En effet, la proportion des personnes vivant dans les
bidonvilles baisse. En 1990, 47 % de la population urbaine des pays en développement vivaient dans des bidonvilles. Ce n’était plus le cas que de 43 % en 2001 et de 37 % en 2005. Les images par cartogrammes n’en demeurent pas moins particulièrement claires.
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Répartition mondiale des habitants de bidonvilles (2001)
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Croissance de la population vivant dans des bidonvilles (1990-2001)
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la croissance de la population mondiale vivant dans des bidonvilles, repérable sur chaque territoire, de 1990 à 2001
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la population mondiale vivant dans des « logements durables ». Le graphique n’est pas tellement déformé car il y a une large effet de structure liée simplement à la taille des populations. Note : Les logements durables sont définis comme des structures construites pour durer plusieurs années. En gros, 4,4 milliards de personnes dans de telles habitations, 1,8 milliard dans des logements non durables. En Afrique sub-saharienne, seulement 29 % de la population en logements durables (3 % seulement au Tchad).
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Les logements « durables » dans le monde en 2002
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B aisse de la pauvreté globale, croissance relative de la pauvreté urbaine
Une grande part de l’urbanisation mondiale en cours passe donc par la prolifération et l’extension des bidonvilles13. Jusqu’à une date récente, les zones rurales se situaient à l’épicentre du dénuement et de la misère humaine. Toutes les mesures de la pauvreté, qu’elles soient fondées sur la consommation, le revenu ou les dépenses, indiquaient que la pauvreté était plus profonde et plus répandue dans les campagnes que dans les villes. A présent, la pauvreté s’étend plus rapidement et plus visiblement en milieu urbain.
Tous les pauvres ne vivent pas dans des taudis, et tous les habitants de zones définies comme des bidonvilles ne sont pas pauvres. Cependant, dans les rapports et les statistiques que ces rapports collectent, citadins pauvres, pauvres urbains et habitants des taudis sont souvent synonymes.
LES MESURES DE LA PAUVRETÉ Pour évaluer la pauvreté, deux grandes familles d’approches coexistent.
Selon cette approche, employée notamment aux Etats-Unis et par les organisations internationales, on considère une pauvreté dite « absolue ». A partir de l’estimation des ressources nécessaires à l’acquisition d’un panier minimal de biens (pour se nourrir, se vêtir, se loger), un seuil de pauvreté absolu (qui ne varie donc pas en fonction de la distribution des revenus) est établi. En 2006, 13 % des Américains (et 18 % des enfants) sont de la sorte recensés comme pauvres. Le seuil fédéral annuel de pauvreté est de 16 000 dollars pour une famille de trois personnes. A l’échelle mondiale, sont aussi dénombrées, par la Banque mondiale, les personnes qui vivent sous un seuil de pauvreté international. Il a été décidé de mesurer le nombre de personnes vivant avec moins de 1,08 dollar par jour, mesuré en parité de pouvoir d’achat 1993, et celles vivant avec moins de 2,15 dollars par jour. Par simplification et par souci de communication, on parle de seuils à « un dollar par jour » et à « deux dollars par jour ». Il s’agit d’un seuil de pauvreté absolu car son montant ne varie pas selon les pays. Il est supposé représenter le minimum dont a besoin une personne pour se nourrir, se vêtir et se loger. Loin des modes de vie et de l’opulence qui caractérisent l’Occident, c’est la moitié de la population mondiale qui vit avec moins de 2 dollars par jour. C’est un peu moins de un milliard d’êtres humains qui vivent avec moins de 1 dollar par jour. Il faut noter que la proportion de personnes vivant sous ces seuils de pauvreté est en claire diminution depuis le début des années 1980 et que le nombre de pauvres devrait encore fortement se réduire sur les deux prochaines décennies. Les seuils établis au début des années 1990 en parité de pouvoir d’achat 1993 font débat. Certains veulent les actualiser ; d’autres souhaitent les abandonner. Ces mesures absolues de la pauvreté dessinent les contours d’une extrême pauvreté monétaire. D’autres approches sont possibles, en termes de conditions de vie en particulier. Elles permettent de mettre en lumière d’autres dimensions du dénuement, qui n’évoluent pas
13 Relevons encore que l’information relative aux bidonvilles et à la lutte contre le phénomène est de plus en plus riche. Voir par exemple le site www.citiesalliance.org
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Dans la plupart des pays développés, ce sont des raisonnements en valeur relative qui délimitent la pauvreté. Dans la mesure où il s’agit d’observer la situation des moins favorisés au regard des autres, cette première famille d’approches relève plus de la mesure des inégalités, en se centrant sur la queue de distribution des revenus. Tout est alors affaire, conventionnelle, de définitions et de seuils. Peuvent être définis comme pauvres les 10 % (ou les 20 %) les moins riches. Une telle définition, qui a sa part d’évidence, a les vertus de la simplicité et de la clarté. Une autre technique relative consiste à compter comme pauvres les personnes et les ménages dont les revenus sont inférieurs à un seuil monétaire relatif, fixé en fonction de la distribution des revenus. On utilise comme seuil de pauvreté, dans l’Union européenne, un montant correspondant nationalement à 60 % de la médiane des niveaux de vie. Le ménage, à partir d’un seuil arbitraire, est replacé par rapport à l’ensemble des niveaux de vie. La deuxième famille d’approches consiste à raisonner en valeur absolue.
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nécessairement aussi favorablement (si l’on peut dire) que la pauvreté monétaire. La prévalence des maladies mortelles dans les bidonvilles, par exemple, est davantage imputable aux mauvaises conditions de vie qu’aux niveaux des revenus. En outre, le développement dispose maintenant d’autres indicateurs, composites, agrégeant différentes dimensions (santé, espérance de vie, revenus, etc.). Il existe de la sorte un indice de développement humain (IDH) et un indicateur de pénurie de capacités (IPC). La pauvreté ne se limitant pas à la déprivation matérielle, il est apparu qu’il fallait lui joindre d’autres déprivations (en termes éducatifs ou d’environnement de vie) pour tenter d’avoir une mesure du manque d’opportunités réelles et des restrictions des capacités. Ces travaux et indicateurs sont inspirés des analyses du prix Nobel d’économie Amartya Sen. Source : sur les données et débats relatifs à la mesure de la pauvreté dans le monde, voir le site www.undppovertycentre.org/ C’est la « Déclaration du Millénaire » qui a attiré l’attention sur la pauvreté urbaine. Le Millénaire des Nations unies pour le développement prescrit un ensemble d’objectifs en matière de lutte contre la pauvreté et de création d’un monde plus durable. Ils ont été adoptés par les Nations unies lors du sommet du Millénaire en septembre 200014.
Les objectifs stratégiques tiennent en huit chapitres assortis de cibles chiffrées et de quarante-huit
indicateurs. Le premier objectif est de « réduire l’extrême pauvreté et la faim », avec une cible pour 2015 qui est de réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour, ainsi que celle souffrant de faim. Le septième chapitre est baptisé : « Assurer un environnement durable ». Il fixe l’objectif d’ici à 2015 de réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable. Il fixe aussi l’objectif d’ici à 2020 de « parvenir à améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis »15.
Source : www.worldmapper.org Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale disposant d’un accès à un système d’assainissement de l’eau et à des égouts, se trouvant sur ce territoire
14 La Déclaration du Millénaire contient un engagement d’élimination de la pauvreté : « Nous ne ménagerons aucun effort pour délivrer nos semblables – hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes. Nous sommes résolus à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin ». 15 L’ONU, le FMI, la Banque mondiale, et l’OCDE coopèrent pour le suivi des progrès accomplis. Voir www.un.org/french/millenniumgoals. Voir aussi le formidable site http://devdata.worldbank.org/atlas-mdg qui génère des graphiques et des cartes très utiles.
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La connexion à des systèmes d’égout et d’assainissement de l’eau (2004)
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Les données sur la pauvreté dans le monde reposent sur l’emploi du critère de « un dollar par jour » comme seuil de pauvreté. On parle alors d’extrême pauvreté. Ce seuil est calculé en parité de pouvoir d’achat, afin d’être adapté aux contextes locaux. Il est établi à partir d’enquêtes sur la consommation ou sur les revenus. Les données nationales collectées diffèrent par leur ampleur et leur rigueur. Elles sont cependant de plus en plus cohérentes. Elles autorisent cinq conclusions claires16. La tendance est clairement à la baisse de l’extrême pauvreté. La proportion des personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans les pays en développement est, sur la période qui va de 1981 à 2004, nettement à la baisse. En 1993, 1 271 millions de personnes vivaient donc avec un dollar par jour. Ce n’était plus le cas, malgré l’augmentation de la
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population totale, que de 1 165 millions en 2002. Les estimations pour 2004 et 2005 indiquent que le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est même passé sous la barre de un milliard.
L’horizon est à une forte baisse de la pauvreté monétaire. Les projections – probablement optimistes – de la Banque mondiale prévoient 721 millions de pauvres en 2015, 547 en 2030. Seule l’Afrique sub-saharienne verrait sa population en extrême pauvreté augmenter, au moins jusqu’en 2015. Le nombre de personnes disposant de moins de deux dollars par jour pour vivre pourrait être ramené en dessous de 1,5 milliard en 2030, soit un milliard de moins que maintenant. Ce recul en cours et à venir de la pauvreté est d’autant plus remarquable que l’expansion démographique se poursuit.
La baisse de l’extrême pauvreté dans le monde (au seuil de un dollar par jour) 1200
1000
600
400
200
0 1990
2003
2030
2015
Asie de l'Est
Europe de l'Est et Asie centrale
Amérique latine et Caraïbes
Asie du Sud
Afrique sub-saharienne
Total
Source : Banque Mondiale, Perspectives pour l’économie mondiale 2007
La pauvreté demeure avant tout rurale. Trois personnes sur quatre en situation d’extrême pauvreté vivent encore, à l’échelle de la planète, dans le monde rural. Cependant, la proportion de citadins pauvres augmente rapidement. Parmi les pauvres vivant avec moins de 1 dollar par jour, la proportion de citadins est
passée de 19 % à 24 % entre 1993 et 2002. Durant la même période, la population urbaine dans son ensemble a augmenté de 38 % à 42 %. Il faudrait probablement encore plusieurs décennies pour qu’une majorité de pauvres du monde en développement vive en zone urbaine.
16 Pour les plus récentes analyses, voir Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « New Evidence on the Urbanization of Global Poverty », Population and Development Review, vol. 33, n° 4, 2007, pp. 667-701. Voir également, sur un plan technique, Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « Dollar a Day Revisited », Policy Research Working Paper, n° 4620, Washington, Banque mondiale, mai 2008.
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Evolution des pauvretés urbaine et rurale (au seuil de un dollar par jour)
1993
2002
Évolution 1993-2002
Nombre de pauvres (millions)
1 271
1 165
-106
Urbains Ruraux
236 1 035
283 882
+47 -153
Part de la population pauvre des pays en développement
27,8 %
22,3 %
-5,5 %
Urbains Ruraux
13,5 % 36,6 %
12,8 % 29,3 %
-0,7 % -7,3 %
Part des urbains parmi les pauvres (pauvreté urbaine)
18,5 %
24,2 %
+5,7 %
La pauvreté recule moins vite en milieu urbain. Alors que le nombre total de pauvres a baissé de près de 106 millions entre 1993 et 2002, le nombre de citadins vivant avec moins de un dollar par jour s’est accru de 47 millions. La diminution de 153 millions de pauvres en zone rurale est liée à une progression des revenus ruraux, mais aussi à un exode rural qui continue. Il s’ensuit que les pauvres s’urbanisent, statistiquement, plus vite que l’ensemble de la population.
Il existe de grandes disparités régionales. L’urbanisation la plus rapide de la pauvreté est survenue en Amérique latine, où la majorité des pauvres vit à présent en zone urbaine. A l’inverse, moins de 10 % des pauvres d’Asie du Sud-Est, vivent en villes, et ce parce que la pauvreté en Chine reste essentiellement rurale. En outre, alors que la proportion des pauvres vivant en milieu urbain augmente quasiment partout, elle baisse nettement en Europe de l’Est et en Asie centrale. En 1993, les pauvres y étaient pour moitié urbains. En 2002, les urbains n’y représentent plus que le tiers des pauvres. On parle dans ce cas de ruralisation de la pauvreté.
De ce rapide aperçu de la pauvreté urbaine, on peut retenir quelques leçons. Les niveaux absolus et relatifs de l’extrême pauvreté baissent. Cette pauvreté s’urbanise lentement. Elle devient ainsi plus concentrée, moins diffuse, plus visible. Les pauvres sont, de ce fait, plus proches physiquement des autres catégories de la population urbaine. Pauvres et riches deviennent plus interdépendants. Ruraux et urbains le sont d’ailleurs également davantage. Dans un contexte de mondialisation qui transforme les modes de vie, d’information et de production, toute réflexion sur l’avenir ne saurait se limiter aux seules villes. La généralisation de l’urbain est une dynamique bien plus vaste que la seule métropolisation. De plus en plus, rural et urbain doivent se penser comme un continuum, ce qui invite à ne pas laisser de côté la question du développement rural17. Tout d’abord, parce que développement urbain et développement rural ne peuvent qu’aller de pair, qu’il s’agisse de production alimentaire ou de sécurité sanitaire. Ensuite, parce que l’extrême pauvreté – il faut le répéter – est encore au trois quart rurale. Enfin parce que la ville ne pourra certainement jamais proposer suffisamment d’emplois durables et décents pour tous les nouveaux arrivants.
17 Voir Sachs Ignacy, « Cinq milliards d’urbains en 2030 : solution ou problème », Urbanisme, n° 359, 2008, pp. 4-5.
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Source : Martin Ravallion, Shaohua Chen, Prem Sangraula, 2007 ; http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet
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M al logement et bidonvilles en France
Ce parcours international a permis, statistiquement et visuellement, de souligner la déformation internationale du monde urbain. Il a également été l’occasion de faire le point sur la bidonvillisation dans le monde. Naturellement la situation française n’a pas grand-chose à voir. Et c’est un euphémisme. Quelques informations et remarques sur les questions – si présentes sur l’agenda politique national – du mal logement et des bidonvilles en France peuvent toutefois être présentées.
Depuis les années 1980 la question du logement en France est à nouveau marquée par les problèmes des sans-abri et des mal-logés. Qualitativement et quantitativement le parc français de logements se place pourtant en tête des pays de l’Union européenne. Certains immeubles particulièrement vétustes impliquent néanmoins encore pour leurs habitants des risques sanitaires importants. Par ailleurs, dans les rues des villes, les sans-abri, de plus en plus visibles, semblent de plus en plus nombreux. Les occupations illégales, sous forme de squats, semblent également en augmentation. Un peu partout sur le territoire se pose le problème des espaces d’accueil pour les gens du voyage. A certains endroits – il suffit pour cela de regarder par la fenêtre du train – on note même le retour des bidonvilles, avec des caravanes ou des baraquement rassemblant des centaines d’adultes et d’enfants.
Lois et règlements ont été votés et, plus ou moins complètement, mis en œuvre pour tenter de remédier à ces situations. Les pouvoirs publics se mobilisent ainsi pour le logement des « personnes défavorisées », une appellation générale rassemblant des populations très différentes. Si les publics et les priorités de ces politiques ne sont pas toujours très clairs, une palette d’interventions vise à lutter contre la précarité des statuts et des conditions de logement. Des termes très variés sont utilisés pour désigner ces situations.
Par mal-logement on entend généralement les difficultés rencontrées par des personnes pour accéder à un logement, pour s’y maintenir ou bien pour y vivre au quotidien quand les équipements sont manifestement défaillants. Les manifestations du mal-logement sont diverses et difficiles à apprécier statistiquement. On sait par exemple que près de 130 000 personnes vivent dans des habitations mobiles mais on ne peut aisément distinguer celles qui subissent ou celles qui choisissent pour des raisons professionnelles une telle habitation.
Quatre critères ont été proposés pour permettre d’évaluer si la situation correspond à du mallogement : le type d’habitat (logement ordinaire, hôtel, foyer, caravane, espace public, etc.) ; le statut juridique d’occupation ; le degré de stabilité ou de précarité de l’occupation (propriété, location, sous-location, squat, etc.) ; la qualité du logement (confort, salubrité).
La combinaison de ces quatre éléments permet de qualifier les situations de logement, mais il reste malaisé de quantifier le mal-logement, faute de nomenclature aux catégories stabilisées. Les données collectées lors du recensement général de la population en 1999 autorisent toutefois une estimation du nombre de personnes concernées.
Parmi celles-ci, près de 850 000 vivent dans des logements dépourvus du confort sanitaire de base (sans WC intérieur ni douche ou baignoire). Ces résidences principales sans installations sanitaires ni WC sont en grande majorité des petits logements anciens occupés par des ménages ruraux âgés ou par des étrangers. Le recensement de 1990 comptait cependant trois fois plus de personnes dans cette situation. Le parc des résidences principales s’est en effet considérablement
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En 2006, 6 % des ménages ne sont pas satisfaits de leurs conditions de logement. Cette proportion était de 13 % en 1978 et de 8 % en 1992. Le recul de l’insatisfaction va de pair avec l’amélioration globale de la qualité de base des logements : la part des logements sans confort sanitaire (eau ou W-C ou installation sanitaire) passe de 27 % en 1978 à 6 % en 1992 et à 1 % en 200618.
Pour tenter la statistique des mal-logés, les estimations reposent sur des travaux de la Fondation abbé Pierre, corroborées globalement par l’INSEE. Au total, compte tenu des doubles comptes entre ces différentes catégorie (surpeuplement et absence de sanitaires se recoupent souvent), et du fait que de nombreuses situations échappent en fait à la statistique publique, le nombre de mal-logés est difficile à évaluer. Les associations avancent le chiffre d’environ 3 millions de personnes (soit environ 5 % de la population recensée en France). Cet ordre de grandeur est à prendre avec précaution. Il s’agit en tout cas du chiffre le plus couramment avancé dans le débat sur le sujet. Il s’agit probablement d’un maximum.
Alors que les conditions de logement, en général, continuent à s’améliorer, la précarité sous des formes non conventionnelle (squats, habitats atypiques, bidonvilles, campements dans l’espace public) progresse assurément. Ces dernières années ont vu réapparaître, à la périphérie des grandes villes, des bidonvilles. Le terme, importé d’Afrique du Nord, a été utilisé en France pour caractériser, à partir des années 1950, des terrains sur lesquels sont utilisés aux fins d’habitation des locaux ou des installations impropres à toute occupation dans des conditions régulières d’hygiène et de sécurité. Les efforts entrepris
des années cinquante aux années soixante-dix, au nom de la lutte contre les taudis et les « îlots insalubres », avaient considérablement diminué l’importance du phénomène, jusqu’à quasiment l’éradiquer.
Les bidonvilles ont repris de l’ampleur, mais ils n’ont pas la même ampleur que ceux qui s’étendaient au pourtour de certaines grandes agglomérations il y a trente ou quarante ans. Au milieu des années 1960 les pouvoirs publics estimaient le nombre de « résidants » des bidonvilles à 100 000. Les chiffres n’ont certainement plus rien à voir. En tout état de cause les rassemblements de caravanes rouillées, de baraques de fortune sans chauffage ni électricité sur des terrains non viabilisés, ou sur des terrains de camping, ont fait leur réapparition autour de Lyon, Nantes, Clermont Ferrand ou en région parisienne. Souvent ces constructions abritent des Tziganes venus des pays de l’ancien bloc de l’Est, mais des franges de la population française sont concernées. Certains de ces campements de fortune ont été très médiatisés, en raison de leur taille, du caractère choquant de ces conditions de vie, mais aussi parce que les tensions se sont aggravées entre élus locaux, services de l’Etat et habitants du voisinage. Autour de 2002 on pouvait signaler les cas de quelque 200 Roms originaires de l’ex-Yougoslavie près de Carcassonne, celui de 1 600 Tzigane à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne.
Aux occupations illégales de terrains s’ajoutent les occupations illégales d’appartements. En 2002 on estimait que près de 2 000 appartements, rassemblant plus de 5 000 personnes, étaient ainsi squattés en Ile-de-France. Si les squats renvoient à des situations disparates (toxicomanes, sans-abri, collectifs d’artistes, familles en détresse), il semble que les occupants des squats collectifs soient majoritairement des familles nombreuses, ressortissantes d’Afrique subsaharienne.
Le stationnement des gens du voyage est parallèlement devenu de plus en plus problématique. Des conflits avec les élus, les habitants, et la police ont été enregistrés, tandis que le faible nombre d’aires aménagées était dénoncé. Ces difficultés ont été particulièrement relayées par la presse dans le cas d’implantations sauvages comme à Grenoble où 150 caravanes ont occupé le parking d’un campus
18 Sur ces chiffres, voir Castéran Bénédicte, Ricroch Layla, « Les logements en 2006. Le confort s’améliore, mais pas pour tous », INSEE Première, n° 1202, 2008. www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1202/ip1202.pdf Voir aussi, en séries longues, Jacquot Alain, « Cinquante ans d’évolution des conditions de logement des ménages », in Données sociales, 2006.
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amélioré avec 1 % de ces logements sans installations sanitaires jugées confortables, contre 4 % en 1996, 15 % en 1984 ou 27 % en 1978. Pour autant, en 2001, 15 % des ménages urbains (unités urbaines de 50 000 habitants et plus) déclaraient que leur logement est humide ; 13 % qu’il est mal chauffé ; 10 % qu’il est en mauvais état. Un quart des ménages rencontraient au moins un de ces trois problèmes. 10 % en cumulaient deux. 3 % seulement des ménages déclaraient un logement à la fois humide, mal chauffé et en mauvais état.
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universitaire pendant un an, ou à Roissy où 400 caravanes ont occupé des terrains de l’aéroport au mois de mai 2002.
Pour finir, il faut relever la présence, au cœur même des villes, de campements de plus petite taille, mais très visibles, rassemblant des sans-abri. Ceux-ci peuvent vivre dans des tunnels routiers, des souterrains de gare, des friches industrielles, sous les ponts.
Diversement tolérés selon les lieux, les périodes de l’année, et l’ampleur des rassemblements, ces
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campements sont souvent finalement évacués par les forces de police sans que des solutions durables soient trouvées. Il faut dire que se mêlent ici, aux marges de la réglementation et sous le regard des médias et des responsables politiques, des problématiques de salubrité et d’insécurité, d’immigration et d’asile, d’accueil en urgence et de logement de long terme. Des sans-abri clochardisés aux demandeurs d’asile en passant par les gens du voyage, les populations concernées et les solutions adaptées sont différentes. Il s’agit cependant, en termes de logement, d’un continuum de situations de précarité qu’une politique d’ensemble contre le mal-logement peut réellement prendre en charge.
Logements sans W-C, ni installation sanitaire en France (en %) 30 %
26,9 %
25 %
20 % 15,0 % 15 %
10 % 6,2 % 4,0 %
5%
2,5 %
1,3 %
0% 1978
Source : INSEE
1984
1988
1992
1996
2002
2006
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9,6 %
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Conclusion Comparer les deux situations – les bidonvilles des pays en voie de développement et le mal logement en France – a tout son intérêt. Ceci permet d’observer la cohérence ou l’incohérence des définitions. Ceci permet surtout de mesurer le décalage abyssal entre deux situations qui n’entretiennent pas grand rapport. Conclure ainsi ce n’est pas dire que la situation française n’appelle pas de corrections et d’investissements massifs. C’est s’ouvrir et considérer qu’une des priorités du 21ème siècle pour la stabilité mondiale, le développement durable et un véritable sens de la justice sociale c’est le logement des plus défavorisés, dans le monde.
A rebours des thèses qui font de la ville un repoussoir, il faut fermement écrire que ses avantages en termes de préservation de l’espace et de l’énergie, d’accès à l’éducation, à l’émancipation et aux services, sont indéniables. Et le bidonville est souvent un sas vers une vie urbaine un rien plus agréable. L’ambition d’un urbanisme soucieux des pauvres et de leurs lieux d’habitation est de tout faire pour que le bidonville soit un sas et non une nasse. Mettant de côté la technique, il faudrait pour cela que les urbanistes et architectes vedettes s’intéressent moins à la tour gigantesque et au marquage des esprits mondains, mais à la prise en compte des difficultés du plus grand nombre des habitants de la planète. Ce n’est pas une autre histoire…
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Aux visions par trop apocalyptiques de l’avenir urbain qui rencontrent le succès ici ou là, on peut tout de même tenter de terminer par une note relativement optimiste. L’idée force est d’envisager l’urbanisation comme irréversible et potentiellement positive. Les villes sont, même avec leurs bidonvilles, les moteurs de la croissance. Celle-ci permet aux pauvres de voir leurs conditions de vie s’améliorer. De la qualité de la gouvernance et de l’urbanisme dans ces villes dépendront l’amélioration des conditions de vie locales et le développement durable global.
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