Mélina Frangiadakis 2RI2 Histoire des Relations Internationales
16 décembre 2005
Dissertation
De Bevin à Macmillan, raisons et conditions du maintien de la Relation Spéciale anglo-américaine.
A l’issue d’une guerre mondiale dévastatrice, la Grande-Bretagne en 1945 sort victorieuse mais épuisée, comme l’avait prévu Churchill quand il avait promis au peuple britannique « du sang et des larmes » cinq ans auparavant. C’est également Churchill qui a employé pour la première fois, dans un discours à La Chambre des Communes, le 7 novembre 1945 selon le Foreign Office, l’expression « special relationship » pour désigner les relations diplomatiques particulières qui unissent le Royaume Uni et les Etats-Unis, forgées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comment expliquer la constance et l’intensité des relations anglo-américaines depuis la fin de la guerre jusqu’au « couple » Macmillan/ Kennedy, hautement symbolique de cette « Relation Spéciale » ? A quels facteurs peut-on attribuer la résistance de cette Relation Spéciale aux tensions de l’après-guerre observées entre une ancienne grande puissance désormais sur le déclin et un Etat en plein essor ? Nous verrons pourquoi le rapprochement anglo-américain apparaissait comme une nécessité absolue à Ernest Bevin, qui s’investit au Foreign Office depuis l’arrivée au pouvoir de Clement Attlee en 1945, et ce jusqu’en 1951 ; puis nous verrons quelles nouvelles épreuves la Relation Spéciale a dû surmonter après la démission de Bevin, en nous penchant plus particulièrement sur la politique étrangère de Macmillan (Premier Ministre du Royaume Uni de 1957 à 1963) à l’égard des Etats-Unis.
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Un mois avant la victoire définitive des Alliés sur les pays de l’Axe, des élections législatives ont eu lieu au Royaume-Uni et ont porté le travailliste Clement Attlee au pouvoir. Ernest Bevin, nouveau Ministre des Affaires Etrangères britannique, fit alors du rapprochement anglo-américain sa priorité. Il expliquait que le Royaume-Uni devait « exercer un contrôle suffisant sur la politique menée par ce colosse bien intentionné mais inexpérimenté, puisque notre salut dépend de notre coopération avec lui ». Mais comment la Relation Spéciale pouvait-elle subsister, étant données les relations tendues entretenues par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne au sortir de la guerre ?
Le Royaume-Uni s’était fixé, dans l’immédiat après-guerre, deux objectifs : redresser la situation économique en tout premier lieu, qui était extrêmement préoccupante, et parvenir à jouer un rôle sur la scène internationale pour assurer sa sécurité et celle de l’Europe. Il fallait tout reconstruire, et pour cela, le pays avait besoin de fonds. Le seul pays à même de lui en fournir était les Etats-Unis. Or le 22 août 1945, Truman suspendait l’accord de prêt-bail, sans se soucier des difficultés que cela entraînerait pour son allié. Pendant les trois mois qui ont suivi, d’intenses négociations eurent lieu sur le remboursement du prêt-bail et les conditions d’un nouveau prêt destiné à relever le Royaume-Uni de la guerre. L’économiste John Maynard Keynes présenta à Washington la situation économique désastreuse du pays, insistant sur les conséquences financières dramatiques de l’effort de guerre britannique (bien supérieur à celui des Etats-Unis, par rapport à leur importance respective). Il espérait que les responsables américains prendraient conscience de la situation presque désespérée dans laquelle se trouvait le Royaume-Uni et ainsi obtenir un prêt sans intérêt ou un don pur et simple, en remerciement du rôle joué par son pays dans la lutte pour la liberté. L’accord trouvé le 7 décembre prévoyait d’une part la liquidation des dettes contractées par le Royaume-Uni dans le cadre du prêt-bail pour la somme de 650 millions de dollar et d’autre part, la mise en place d’un nouveau prêt, remboursable sur cinquante ans à compter de 1951 avec un intérêt de 2%… mais la condition principale émise par les Etats-Unis à ce nouvel emprunt était l’acceptation de la nouvelle politique monétaire et commerciale mondiale instaurée à Bretton Woods en juillet 1944 et notamment la libre convertibilité des devises. Il faut souligner que malgré ce prêt important accordé à la Grande-Bretagne, Truman n’était pas favorable à la restauration économique et politique de la puissance britannique qui lui apparaissait davantage comme une concurrente que comme un rempart contre l’URSS. Il faut ajouter à cela le fait que la Grande-Bretagne devait lutter contre des tendances anglophobes et isolationnistes qui se développaient aux Etats-Unis, qui s’expliquaient par sa 2
politique coloniale et la couleur socialiste de son gouvernement. C’est Ernest Bevin lui-même qui fit prendre conscience aux Américains de la menace soviétique. Il dût présenter l’alliance anglo-américaine comme la seule force capable de faire obstacle au « péril rouge », pour sensibiliser l’opinion publique américaine sur la question communiste et l’influencer de telle sorte qu’elle devienne favorable au renforcement de la Relation Spéciale.
Outre l’alliance économique indispensable à la survie du Royaume-Uni, certains enjeux stratégiques ont nécessité également un rapprochement anglo-américain. Les aspects relatifs à la Défense et à la Sécurité sont fondamentaux dans la Relation Spéciale car il s’agit de s’unir face à l’Union Soviétique comme je viens de l’évoquer, mais aussi face au « vieil ennemi » que constitue l’Allemagne. Ainsi, même si le comportement de Truman, qui annonçait le retrait de l’ensemble des forces américaines deux ans après la fin de la guerre, pouvait laisser présager un repli isolationniste, comme cela avait déjà été le cas après la Première Guerre Mondiale, la collaboration anglo-américaine a subsisté dans le domaine militaire et dans le domaine des renseignements. Bien sûr la collaboration des Etats Majors britannique et américain ne s’est pas faite ouvertement, mais elle était bien réelle, régulière et existait à tous les niveaux de responsabilité. Concernant les services de renseignement, un accord secret a été signé en 1948 par les deux pays : « UKUSA SIGINT » (UK and USA Signals Intelligence), étendu plus tard à l’ensemble des pays du Commonwealth. La découverte de l’arme atomique en 1939 a bouleversé les politiques de défense. Deux accords de coopération nucléaire liaient les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans ce domaine : Churchill et Roosevelt en 1943 avaient signé un accord à Québec portant sur le contrôle des ressources mondiales d’uranium qui stipulait que ni les Anglais ni les Américains ne pouvaient faire usage de l’arme atomique sans le consentement de l’autre. En septembre 1944, l’accord de Hyde Park renouvelle cet engagement puisque Roosevelt et Churchill s’engageaient alors à poursuivre la coopération après la défaite du Japon. Le 16 novembre 1945 enfin, Truman, Attlee et Mackenzie King, Premier Ministre canadien, signent un texte qui prévoit « une coopération entière et effective entre les trois pays dans le domaine de l’énergie atomique » ; cependant, Truman change d’avis et met un terme à la collaboration en matière de construction de réacteurs atomiques ce qui est officialisé par le vote du Mc Mahon Act en août 1946 qui interdit la communication à l’étranger de toute information relevant du domaine nucléaire. C’est un coup dur pour la Relation Spéciale. Toutefois, les Britanniques disposent de moyens de pression sur les Etats-Unis : en effet, la part de l’uranium produit par le Congo Belge qui revenait aux Américains en vertu d’un accord signé avec les Britanniques 3
en juillet 1946 ne leur suffisait plus. Le 7 janvier 1948, ils s’engagent donc à délivrer à leur allié des renseignements relatifs à la production nucléaire en l’échange de leur part d’uranium. Néanmoins, les Britanniques doivent renoncer à leur droit de s’opposer à l’utilisation de l’arme atomique par les Etats-Unis (contrairement à ce qui avait été établi par l’accord de Québec) ; Attlee se sent exclu du programme nucléaire américain et décide, le 26 octobre 1946, la fabrication d’une bombe atomique britannique pour ne plus être dépendant des EtatsUnis.
Entre 1942 et 1947, le Moyen-Orient a constitué l’un des principaux motifs de discorde entre les Anglais et les Américains. La présence britannique en Palestine semblait vitale pour la Grande-Bretagne : c’était la clef du Moyen-Orient. Cette zone lui permettait d’assurer les voies de communications avec ses colonies, de préserver son approvisionnement en pétrole et surtout, cette zone pouvait constituer une base contre l’Union Soviétique. Bevin ne devait pas prendre le risque d’exacerber le conflit entre juifs et arabes car une situation incontrôlable pourrait le contraindre à se retirer de la région. C’est pourquoi il s’oppose à la proposition de Truman qui était favorable à une immigration massive des juifs en Palestine. (Notons que Truman agissait sous la pression du lobby juif : une élection importante avait lieu dans l’état de New York en novembre 1946 et il comptait sur le vote juif…). Cependant, Bevin, qui voyait dans le Moyen-Orient une zone stratégique cruciale au moment des avancées soviétiques à l’émergence de la Guerre Froide, était désireux d’impliquer les Américains dans la résolution du problème palestinien. Il crée dans cet esprit une commission d’enquête anglo-américaine (Anglo-American Committee of Enquiry regarding the problems of European Jewry and Palestine) dont le rapport est publié le 20 avril 1946. Truman retient de ce rapport la délivrance de cent mille autorisations d’entrée en Palestine pour des immigrés juifs. Attlee est outré, il pense que les Américains n’agissent que par intérêt pour le parti démocrate en vue des prochaines élections. En juillet 1946, les Britanniques et les Américains se mettent d’accord sur un projet d’autonomie provinciale, projet que dénoncera Truman peu après pour déclarer le 4 octobre 1947 la division de la Palestine en deux états, l’un juif, l’autre arabe. Ce plan sera voté à l’ONU un mois plus tard et le 15 mai 1948, la Grande-Bretagne se retirera officiellement. La politique américaine opportuniste menée à propos du problème palestinien maintiendra certes longtemps des tensions entre les deux pays ; mais quoiqu’il en soit, par la suite, Bevin fera d’une certaine manière « abstraction » de la question palestinienne pour préserver le développement de la Relation Spéciale.
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D’autre part, la Grande-Bretagne se désengage en Grèce et en Turquie et opère un transfert des responsabilités aux Etats-Unis. Les Ministres des Affaires Etrangères des deux pays évoquent régulièrement ensemble les problèmes liés au désengagement des Britanniques pour coordonner leur action de sorte que les Soviétiques ne mettent pas la main dans la zone méditerranéenne. La langue anglaise, commune aux deux alliés, facilite le rapprochement entre les dirigeants et constitue, à mon sens, un élément non négligeable de la Relation Spéciale.
L’année 1947, qui embraye la coopération anglo-américaine dans la Guerre Froide, a été un véritable tournant. Début 1947, plusieurs rapports établis par des représentants américains rendent compte de l’état dramatique de la situation économique en Europe, susceptible d’entraîner des difficultés d’ordre politique et stratégique. Le sous-secrétaire d’Etat américain écrit : « Sans une nouvelle assistance prompte et substantielle des Etats-Unis, l’Europe connaîtra une désintégration économique, sociale et politique». Le Secrétaire d’Etat Georges Marshall prononce le 5 juin 1947 le célèbre discours de Harvard dans lequel il se dit prêt à aider l’Europe, mais réclame la création d’une commission en charge d’évaluer les besoins et d’assurer la gestion des fonds dégagés par les Etats-Unis. Bevin met alors en place, avec son homologue français le comité de Paris qui rassemble 16 pays européens et qui a pour vocation d’évaluer les besoins financiers. Les Soviétiques, invités par Bevin à prendre part aux discussions refusent toute implication ; ils voient dans ce projet une tentative des Etats-Unis de mettre la main sur l’Europe. En mars 1948, le plan Marshall sera approuvé au Congrès ; sa mise en œuvre est immédiate et s’étale jusqu’au 31 décembre 1950. Le Royaume-Uni est le premier bénéficiaire de l’aide américaine. L’ambassadeur américain en Grande-Bretagne fait état de la vigueur de la Relation Spéciale à ce moment-là mais aussi de la dépendance dans laquelle se trouve le Royaume-Uni : « L’unité anglo-américaine est plus fermement établie aujourd’hui que jamais en temps de paix. Mais la Grande-Bretagne n’a jamais été jusqu’ici dans une situation où sa sécurité nationale et son destin économique ont dépendu si complètement d’un autre pays. Presque chaque jour apporte de nouveaux éléments de sa faiblesse et de sa dépendance à l’égard des Etats-Unis. » Et il ajoute : « C’est une pilule amère pour un pays qui a été habitué à maîtriser pleinement sa destinée nationale ». Le RoyaumeUni supporte mal en effet les pressions de Washington qui concernent la question allemande.
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La Relation Spéciale s’est encore renforcée avec le blocus de Berlin. Cet événement a en effet été l’occasion pour Bevin d’affirmer le caractère indispensable de la présence militaire américaine en Europe, qui était, en 1947, réduite à sa plus simple expression. Marshall demande alors à Bevin l’autorisation de faire stationner sur le sol britannique les B29, porteurs de l’arme atomique américaine… dont l’utilisation n’était plus soumise, rappelons-le, à l’accord de la Grande-Bretagne ! La domination américaine dans le domaine du nucléaire est absolument écrasante. Et Bevin, malgré le climat de crise qui régnait dans l’opinion publique à ce sujet, cherchait à associer toujours plus les Etats-Unis aux pays de l’Europe Occidentale. Le 13 janvier 1948, il fait part à Marshall de sa volonté de mettre en place « une sorte de fédération de l’Occident […] s’appuyant sur la puissance militaire, l’argent et une action résolue », toujours dans le but de contrecarrer les avances soviétiques. Le 17 mars, la Grande-Bretagne, la France et le Bénélux signent ensemble le traité de Bruxelles établissant l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) qui ne représente aux yeux de Bevin qu’un « stratagème mis au point pour entraîner un engagement américain ». Le projet des Américains de « déclaration de soutien des Européens » était très insuffisant pour Bevin qui prônait la signature d’« un traité les obligeant pour la première fois dans leur histoire à accepter des obligations concernant la défense de leurs associés naturels ». Ce dernier avait compris que le Royaume-Uni n’avait plus les moyens de conduire seul une politique étrangère mondiale. Finalement, les négociations aboutirent relativement rapidement puisque le 4 avril 1949 fut signé le Traité de l’Atlantique Nord à New York, regroupant les signataires du Traité de Bruxelles, auxquels se joignirent les Etats-Unis et le Canada. L’article 5 du Traité stipule : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, […], assistera la partie ou les parties ainsi attaquées, […], pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ». Bevin a donc atteint son objectif. En Août 1949, l’Union Soviétique fait son premier essai atomique. Le Royaume-Uni craint d’être une cible potentielle considérant la densité de population de son territoire. Cette nouvelle menace renforce l’alliance avec les Etats-Unis qui restent le pays le plus à même d’assurer la sécurité de la Grande-Bretagne, et l’on voit encore une fois que la sécurité et la défense sont au cœur de la Relation Spéciale. Au début de la nouvelle décennie, si une partie de l’administration américaine reste divisée à propos de cette alliance, qu’elle préférerait 6
implicite, Dean Acheson, le Secrétaire d’Etat américain montre que le partenariat n’est plus si inégal que cela et peut se révéler très utile pour les Etats-Unis : il est selon lui important de « maintenir une relation étroite avec le Royaume-Uni, car la puissance militaire américaine ne peut s’exercer sans la coopération des Britanniques ». L’ambassadeur américain à Londres précise : « Il n’existe pas de pays sur terre dont les intérêts sont aussi liés à toutes les régions du monde que le Royaume-Uni […]. Il est présent dans plus de sites stratégiques qu’aucune autre nation occidentale. Il est au cœur d’un immense Commonwealth […]. Le Royaume-Uni est, à l’Ouest du Rideau de Fer, la seule puissance, en dehors de nous qui soit capable de mobiliser une force militaire substantielle. Cet ensemble de faits rend une relation spéciale entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni aussi incontournable que les faits eux-mêmes ».
La guerre de Corée, qui a commencé en 1950, après que les forces nord-coréennes aient traversé le 38ème parallèle le 25 juin, a mis en lumière bien des divergences entre les Britanniques et les Américains sans pour autant affaiblir la Relation Spéciale. Relevons tout d’abord les points de désaccord : lorsque le Président Truman annonça à la presse qu’il laissait ses militaires décider de la nécessité d’avoir ou non recours à l’arme atomique, un vent de colère souffla à Londres qui critiquait « l’abandon de l’arme suprême » au Général MacArthur. Ainsi que le fait que les Américains menaient les combats alors que la guerre était supposée conduite par l’ONU ; Attlee, pour calmer les députés, prit la décision de partir pour Washington, rencontrer Truman et échanger sur cette question nucléaire qui revêtait une importance cruciale pour les Britanniques : les B29 stationnant toujours en Grande-Bretagne, le pays serait certainement, dans le cas où la guerre de Corée déboucherait sur une troisième guerre mondiale, la première cible de l’Union Soviétique qui possède, elle aussi, l’arme atomique. Certains virent dans le voyage d’Attlee la renaissance du Royaume-Uni comme grande puissance. Cette visite était en tout cas le signe manifeste d’une Relation Spéciale entre les deux alliés. Par ailleurs, on peut souligner que le contingent britannique en Corée était le plus important derrière celui des Etats-Unis. Le Royaume-Uni avait tenu à montrer qu’il était un partenaire sur lequel les Américains pouvaient compter. Néanmoins, les Britanniques n’étaient pas en accord avec les Américains sur la politique à mener en Corée. Ils savaient que compte tenu de leurs responsabilités en Asie du Sud-Est, il n’était pas raisonnable d’envisager un engagement militaire durable dans cette zone. Malgré tout, ils durent s’y résigner : l’attaque de la Corée par les Chinois sonnait comme le présage d’une attaque soviétique en Europe, et il fallait, même au prix de toutes les concessions, s’assurer de la protection militaire américaine. 7
On aurait pu croire en une atmosphère de tensions entre les dirigeants des deux alliés à cette période, compte tenu justement de ces concessions qui semblent induire une relation certes spéciale, mais de dominant à dominé. Cependant, il est bon, je pense, d’énoncer une anecdote qui témoigne de la bonne entente qui subsiste entre les deux pays. Lors de la visite d’Attlee à Washington, celui-ci s’entretint en privé avec Truman sur nombre de sujets intéressant les Etats-Unis aussi bien que le Royaume-Uni, et en profita évidemment pour préciser les conditions d’utilisation des armes nucléaires. Lorsque les deux hommes présentèrent leurs conclusions de cette discussion, les conseillers de Truman objectèrent que l’accord trouvé par le Premier Ministre britannique et le Président américain sur ce point, était contraire à la Constitution car il avait pour effet de limiter les pouvoirs du Président. Attlee accepta sans difficulté aucune que Truman modifie son engagement. A cette fin, Oliver Franks, l’ambassadeur britannique rédigea un nouvel accord sur un coin du bureau du Président, qui fit remarquer que c’était la première fois qu’un homme de son rang s’agenouillait devant le Président des Etats-Unis… Cette réflexion humoristique semble anodine au regard du contexte international mais témoigne d’une certaine complicité au sommet de l’administration des deux états, qui, on y reviendra, a été et sera dans le futur, à la fois le vecteur et le reflet de la Relation Spéciale. De surcroît, le compromis rédigé par Oliver Franks donnait un droit de regard unique au Premier Ministre britannique sur l’utilisation par les Etats-Unis, de la bombe atomique. Quand, en 1951, le Chancelier de l’Echiquier proposa une augmentation du budget militaire britannique en réponse à une demande des Américains, financée par la participation des assurés sociaux au coût des lunettes et des prothèses dentaires qui leur étaient prescrites, l’influent Ministre de la Santé Aneurin Bevan démissionna, arguant que la politique étrangère britannique était trop influencée par les Etats-Unis, et un courant d’anti-américanisme commença à se développer en Grande-Bretagne. Bevin, architecte incontournable, on l’aura compris de la Relation Spéciale anglo-américaine, démissionna la même année pour raisons de santé.
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Le Parti Conservateur remporta les élections législatives du 25 octobre 1951 en Grande-Bretagne, et Winston Churchill fut nommé Premier Ministre. Voudra-t-il et pourra-t-il maintenir la Relation Spéciale ? Nous allons voir que Churchill et son successeur Eden 8
connaîtront bien des désillusions, mais que Macmillan, Premier Ministre de 1957 à 1963, renversera la tendance en nouant des liens très solides avec Eisenhower et Kennedy.
Lorsque Churchill arrive au pouvoir, son objectif est de rétablir et maintenir la Relation Spéciale avec les Etats-Unis telle qu’il l’avait connue pendant la guerre. Mais Truman, Président jusqu’en 1952, et Eisenhower ensuite, ne voyaient pas les choses de la même façon.
En janvier 1952, Churchill rencontre Truman, en espérant que celui-ci
rétablirait le droit de veto des Britanniques sur l’utilisation par les Américains de la bombe atomique auquel Attlee avait dû renoncer, mais il n’obtient rien. Truman semblait agacé par les discours de Churchill sur sa foi en la collaboration anglo-américaine. Dans un autre ordre d’idées, le ralentissement du désengagement de l’empire colonial, qui s’explique par la politique même des conservateurs, va accroître les tensions avec Washington. Par ailleurs, la situation économique de la Grande-Bretagne ne lui permet pas de conserver son influence sur la scène internationale. Richard Butler, Chancelier de l’Echiquier à cette époque, prônait un changement de la politique économique pour redresser le pays ; mais le Royaume-Uni n’a pas pu dire non aux Américains qui exigeaient un effort de guerre important pour financer la guerre de Corée. Enfin, les anciens dominions (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud) qui d’ordinaire étaient très tournés vers le Royaume-Uni, entreprenaient de développer activement leurs relations avec les Etats-Unis dans tous les domaines. A titre d’exemple, en 1951, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’associent aux Etats-Unis dans l’ANZUS, une alliance militaire à laquelle le Royaume-Uni n’est pas invité à participer. A bien des égards donc, la Relation Spéciale semblait à nouveau déséquilibrée, voire compromise. Il y eut pourtant, dans la première moitié dans années 1950, plusieurs domaines d’interaction anglo-américaine. Pour quelles raisons et à quelles conditions ces contacts étroits ont-ils été maintenus ? La Guerre Froide a été au centre des discussions entre Churchill et Eisenhower, élu Président des Etats-Unis en novembre 1952, et a constitué un élément de divergences entre les deux hommes. Churchill en effet, manifestait ouvertement son objectif de réconciliation de l’Union Soviétique avec les Etats-Unis. La mort de Staline le 5 mars 1953 représentait pour lui une occasion de tourner une page de l’Histoire, vision qu’Eisenhower ne partageait absolument pas. Lors de la Conférence des Bermudes, en décembre 1953, Eisenhower refusa catégoriquement la théorie de Churchill concernant la politique à mener à l’égard de l’URSS qui consistait en une approche double : rester ferme, mais tendre la main pour la paix. D’autre part, le lendemain, Eisenhower ne cacha pas sa volonté de recourir à la bombe 9
atomique en Corée dans le cas du non-respect par les Nord-Coréens et les Chinois de l’Armistice du 27 juillet 1953, volonté qui restera vive jusqu’à la fin des années 50, mais qui, on le sait, n’aura jamais été mise à exécution. On ne peut cependant pas attribuer ce choix d’éviter la confrontation nucléaire à la seule pression du Royaume-Uni, dont le poids n’était pas suffisant pour déterminer les décisions américaines. Puis les Etats-Unis ont été amenés, contrairement à leurs convictions premières anticolonialistes, à aider la France et le Royaume-Uni à défendre leurs empires en Asie de peur que le vide provoqué par le retrait des puissances coloniales soit comblé par les communistes. La Grande-Bretagne a pris soin d’intéresser les Américains au potentiel stratégique et économique de l’Asie du Sud-Est pour les impliquer dans cette région du monde dont ils se désintéressaient auparavant. Les Etats-Unis ont pris conscience qu’il fallait défendre les intérêts de leur allié britannique car les exportations de caoutchouc et d’étain étaient précieuses pour éviter que la balance économique du Royaume-Uni soit encore davantage déficitaire. Or c’était dans leur intérêt à eux aussi que leur allié continue à pouvoir jouer un rôle important dans la défense et la paix en Europe, rôle conditionné par une situation économique convenable pour le pays. Il ne fallait donc pas qu’il s’affaiblisse encore.
.Anthony Eden, Ministre des Affaires Etrangères britannique, n’attendait que la démission de Churchill, pour prendre sa succession et mettre en place une politique un peu plus indépendante vis-à-vis des Etats-Unis, déjà appliquée lors de la Guerre d’Indochine. Les Américains, qui craignaient alors que toute l’Asie du Sud-Est bascule dans le communisme après la défaite de Dien Bien Phu, avaient fait appel aux Britanniques pour éviter cette menace à tout prix. Ces derniers refusèrent l’intervention militaire que John Foster Dulles, le Secrétaire d’Etat américain leur proposait, la jugeant trop dangereuse. Eden, qui voulait en finir avec la guerre, joua en revanche un rôle central pendant la Conférence de Genève. L’accord qui en résulta reposait en effet sur le plan de partage du Viêt-Nam (ainsi que l’indépendance du Laos et du Cambodge) d’Eden, qui fit une concession aux Américains : l’organisation, en 1956, d’élections libres pour réunifier le pays. La pression exercée à ce moment-là par la Grande-Bretagne sur les Etats-Unis a permis, a-t-on dit à l’époque, d’éviter peut-être une troisième guerre mondiale. En 1954-1955, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne étaient donc toujours unis pour faire face à une éventuelle attaque soviétique et pour les Anglais, il était important de savoir que l’Europe bénéficiait d’un soutien inconditionnel des Américains. La condition posée par ces derniers était le réarmement de l’Allemagne, qui était susceptible d’être accepté par la 10
France uniquement sous l’égide d’une Communauté Européenne de Défense. Or le projet de la CED fut repoussé à l’Assemblée Nationale, ce qui faisait craindre aux Anglais un repli isolationniste des Etats-Unis (autrement dit, leur désengagement militaire). Anthony Eden fit tout ce qui était en son pouvoir pour maintenir la coopération anglo-américaine : il entreprit une tournée en Europe et mis au point le compromis que l’on connaît à propos du réarmement de l’Allemagne (à savoir, son entrée dans l’Otan, une armée limitée, l’interdiction de la détention d’armes atomiques, le stationnement de divisions britanniques sur le sol allemand). La crise de Suez de 1956 a en revanche terni la politique d’Anthony Eden, arrivé au pouvoir un an auparavant. Outre le froid diplomatique (les Britanniques s’étaient sentis abandonnés par leur allié américain ; les Américains quant à eux, avaient l’impression d’avoir été trahis, puisqu’ils n’avaient pas été mis au courant de l’organisation à Sèvres de cette opération militaire), la crise a eu de terribles répercussions sur l’économie encore fragile du Royaume-Uni qui s’est retrouvé dans l’obligation de demander le 6 novembre 1956 un prêt au Fonds Monétaire International. Il est aisé d’imaginer que les Américains, qui dominent le FMI, n’ont pas accordé ce prêt sans condition : ils s’opposaient à toute aide financière tant que le cessez-le-feu n’était pas déclaré et que les troupes britanniques ne s’étaient pas retirées. Il était clair désormais que le Royaume-Uni était trop faible pour mener à bien toute action militaire sans l’appui des Etats-Unis. La Relation Spéciale revêtait donc une importance considérable pour la Grande-Bretagne.
Harold Macmillan, qui était le Ministre des Finances d’Anthony Eden prit sa succession en 1957 lorsque celui-ci déposa sa démission pour raisons de santé. Même s’il avait été en faveur de l’intervention militaire en Egypte, Macmillan était incontestablement la bonne personne pour relancer la Relation Spéciale. D’une part, sa mère était américaine, et il avait toujours gardé des relations étroites avec les Etats-Unis. D’autre part, en tant que représentant du gouvernement britannique au quartier général allié en Afrique du Nord en 1943-1944, il avait bien connu Eisenhower qui était alors chef d’état major et ils avaient entretenus de très bons rapports. Macmillan était conscient de la nécessité pour la GrandeBretagne de se rapprocher à nouveau des Etats-Unis mais il avait aussi une grande estime de son pays, et pensait que les Britanniques pouvaient apporter aux Américains leur grande expérience des responsabilités sur la scène internationale. Pour toutes ces raisons, il était donc un fervent partisan du rétablissement de la coopération.
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Les Américains semblaient eux aussi désireux de renouer le contact. Eisenhower proposa à Macmillan de le rencontrer aux Bermudes, (conférence qui s’est ouverte le 21 mars 1957), qui étaient une colonie britannique. Les discussions portèrent en grande partie sur la reprise de la coopération nucléaire. La voix d’Eisenhower s’était toujours élevée contre le vote du McMahon Act. Eisenhower voulait à la fois revenir sur le McMahon Act qui avait fait perdre aux Britanniques leur droit de veto, et servir évidemment les intérêts de son pays. Dans un premier temps, il proposa que 60 missiles de portée intermédiaire stationne sur le territoire britannique ce qui leur permettrait, si nécessaire, d’atteindre l’Union Soviétique. En échange, la Grande-Bretagne disposait bien, cette fois d’un droit de veto sur leur utilisation. Plus tard, Eisenhower aura la possibilité d’annuler les dispositions du McMahon Act sans difficulté : la lancée de Spoutnik sans l’espace le 4 octobre 1957 par l’Union Soviétique avait en effet provoqué un mouvement de panique aux Etats-Unis qui se sont sentis menacés par une attaque nucléaire en provenance de l’espace. Il était dans leur intérêt, dans ces conditions, de reprendre la coopération avec la Grande-Bretagne en matière de recherche nucléaire. Macmillan tenait beaucoup au principe d’interdépendance anglo-américaine dans ce domaine. Eisenhower lui promis que les Américains permettraient à la Grande-Bretagne d’acquérir Skybolt, un système de missiles aéroporté en cours de développement aux Etats-Unis. De son côté, Macmillan fit de Holy Loch, en Ecosse, une base pour les sous-marins américains équipés de missiles Polaris (qu’Eisenhower avait également proposé à Macmillan, offre que celui-ci avait décliné à ce moment là). Autrement dit, la coopération nucléaire, encore une fois pour motif sécuritaire, était bel et bien relancée et la collaboration était réelle. Toutefois, en 1960, les Britanniques rencontrèrent des difficultés techniques dans la mise au point de leur armement nucléaire et durent stopper un projet sur lequel ils travaillaient : « Blue Streak ». Ils devinrent ainsi très dépendants des Etats-Unis en matière nucléaire. Dans leur ouvrage An Ocean Apart, Dimbledy et Reynolds commentent l’action politique de Macmillan d’une façon intéressante. Ils détaillent : « Churchill, qui gardait la nostalgie du partenariat qu’il entretenait avec Roosevelt pendant la guerre, avait tendance à exagérer l’harmonie censée régner dans les relations anglo-américaines. Eden surestimait l’autonomie de la Grande-Bretagne et en paya le prix à Suez. Macmillan cherchait un juste milieu. Contrairement à Eden, il ne manquait jamais de consulter les Américains, ce qui ne l’empêchait pas de se démarquer d’eux quand les intérêts britanniques l’exigeaient. Macmillan n’était pas moins décidé que Eden à ne pas devenir le laquais de Washington mais, à ses yeux, la leçon de Suez était claire : les initiatives britanniques ne pouvaient reposer que sur la confiance entre les deux pays. Une fois cette confiance rétablie, Macmillan 12
essaya comme ses deux prédécesseurs, de mettre l’influence britannique au service d’un apaisement de la guerre froide ». Et c’est ce sur quoi il s’est concentré effectivement à partir de ce qu’on a appelé « la nouvelle crise de Berlin » survenue suite à un discours de Khrouchtchev le 10 novembre 1958, dans lequel il réclamait formellement l’intégration de Berlin à l’Allemagne de l’Est… en vain. Notons enfin que cette période fut marquée par une nouvelle vague de décolonisation britannique en Afrique, ce qui ne pouvait que contribuer à une bonne entente angloaméricaine.
Lorsque Kennedy est arrivé au pouvoir en 1961, rien ne pouvait laisser a priori présager de l’amitié qui allait le lier à Macmillan, les deux hommes n’étant pas de la même génération. Un certain nombre d’éléments, qui peuvent paraître anodins, ont largement contribué à l’établissement rapide d’un lien personnel étroit entre les deux hommes : Kennedy avait passé une partie de son enfance en Grande-Bretagne, son père ayant occupé le poste d’ambassadeur des Etats-Unis à Londres ; la sœur aînée de Kennedy avait épousé le neveu de l’épouse de Macmillan, les deux hommes étaient donc liés par des liens familiaux ; enfin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne aux Etats-Unis était un ami proche de la famille Kennedy. Macmillan rencontra le jeune Président américain pour la première fois en mars 1961 à Key West, puis à nouveau en avril et en juin. Leurs rapports furent dès le départ excellents, mais la Relation Spéciale entre les deux hommes tire certainement ses origines dans cette dernière rencontre, celle du mois de juin donc, qui a eu lieu à Londres. Kennedy, après le désastre du débarquement dans la baie des cochons à Cuba en avril 1961, était en position de faiblesse lorsqu’il rencontra pour la première fois Khrouchtchev à Vienne. Après cette entrevue, il était convenu qu’il devait poursuivre sa visite officielle à Londres, pour une réunion de travail avec Macmillan et de hauts fonctionnaires britanniques ; mais il arriva épuisé, visiblement troublé par son entretien avec Khrouchtchev et Macmillan prit dès lors l’initiative d’annuler cette réunion, et de recevoir en tête le Président américain, pour ne pas ajouter encore à son malaise, délicatesse que Kennedy apprécia. Il s’en est découlé une relation de confiance indéniable entre les deux hommes. Le règlement de la question de Cuba a fait l’objet de divergences entre Kennedy et Macmillan mais n’a pas entravé la Relation Spéciale. Lorsque Kennedy eut connaissance de l’installation des missiles soviétiques à Cuba, il envoya immédiatement un télex urgent et top secret à Macmillan pour l’en informer et l’assurer qu’il serait tenu au courant de l’évolution de la crise. Et effectivement pendant la crise, il échangea des télégrammes avec le Premier 13
Ministre britannique et s’entretint au téléphone plusieurs fois avec lui. Relevons d’ailleurs quelques paroles significatives de Kennedy communiquées à Macmillan par téléphone au déclenchement de la crise : « Nous devons agir en collaboration la plus étroite. J’ai jugé indispensable, pour des raisons de sécurité et parce que le temps était compté, de prendre les premières décisions sous ma seule responsabilité, mais à partir de maintenant, je souhaite que nous puissions garder le contact le plus étroit possible, c’est vraiment nécessaire. Je sais qu’ensemble, avec le soutien de nos autres amis, nous relèverons le défi ». L’ambassadeur de Grande-Bretagne aux Etats-Unis, que j’évoquais précédemment, fut lui même très impliqué par Kennedy au niveau stratégique. Cet échange de vues dans cette situation extrême n’a pas été déterminante dans le sens où Kennedy aurait vraisemblablement pris les mêmes décisions que s’il n’avait pas consulter Macmillan, mais il est bon de remarquer la volonté sans cesse renouvelée du Président américain d’avoir un point de vue extérieur, et pas n’importe lequel (les Britanniques bénéficiaient bien une position très privilégiée), avant de passer à l’action. L’unité du bloc occidental, symbolisée par le soutien du Royaume-Uni aux Etats-Unis, a certainement poussé Krouchtchev à céder. En 1962, la Grande-Bretagne se voit obligée à renoncer au programme Skybolt, pour des raisons financières en premier lieu, mais aussi peut-être du fait de la pression de certains américains, au premier rang desquels Robert McNamara, le ministre de la défense de Kennedy, opposés à ce que la force de dissuasion britannique soit quasiment indépendante. En plus de cela, le Royaume-Uni traverse une grave crise économique (800 000 chômeurs, un taux record) et est confronté à des troubles dans ses zones d’influences (en Rhodésie par exemple). Le pays doit faire face à la construction du Mur de Berlin, à l’attaque de la Chine en Inde et à une vague d’anti-américanisme dans l’opinion publique… Les conservateurs perdent deux élections partielles et la popularité de Macmillan est au plus bas. Son avenir politique et celui de son parti dépendent d’un succès dans les négociations avec les Américains. La rencontre de Nassau, au Bahamas, le 18 décembre 1962 entre Macmillan et Kennedy serait déterminante. Macmillan a réussi à émouvoir Kennedy et ses conseillers, en évoquant les périodes fastes de la Relation Spéciale et en particulier dans le domaine nucléaire. Puis il ne manqua pas de rappeler les intérêts qu’ont les Américains à entretenir la collaboration angloaméricaine… la menace à peine voilée de la fin de cette collaboration (ou tout du moins, d’un refroidissement diplomatique) a porté ses fruits, puisque Macmillan a obtenu satisfaction : les missiles Polaris (qui viendraient remplacer Skybolt) selon des conditions acceptables (les sous-marins britanniques équipés devaient intégrer une force multilatérale destinée à la 14
défense de l’alliance occidentale). Ainsi, la Relation Spéciale permettait au Royaume-Uni de rester une puissance nucléaire et faisait une nouvelle fois « progresser l’interdépendance dont dépendait la survie du monde libre » (expression de Michael Parsons, Cf. bibliographie).
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Beaucoup d’historiens considèrent que la période que nous avons étudiée ici (de 1945 au début des années 1960) constitue « l’âge d’or » de la Relation Spéciale anglo-américaine, illustré notamment par des « couples » marquants tels Macmillan/Kennedy, parce que les deux alliés ont su dépasser les tensions d’après-guerre, les divergences stratégiques, dans le but de former une alliance durable face à l’ennemi soviétique, et d’assurer la paix et la sécurité dans le monde occidental. Très vite au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les Britanniques ont compris qu’ils devaient maintenir coûte que coûte cette Relation Spéciale, initiée à l’entrée en guerre des Etats-Unis et facilitée par une langue commune, pour des motifs économiques. L’argent prêté par les Américains conditionnait la survie du Royaume-Uni ; la Relation Spéciale était alors clairement inégalitaire. Mais la coopération militaire et diplomatique, particulièrement fructueuse, et ce, à plusieurs niveaux de responsabilités de l’administration de chacun de ces alliés, a montré que les Américains pouvaient bénéficier de l’expérience diplomatique des Britanniques dont ils manquaient parfois, ce qui tendrait à rétablir un équilibre dans cette Relation Spéciale. Tony Blair et George W. Bush s’inscrivent aujourd’hui dans la même lignée que les architectes de la Relation Spéciale puisqu’ils se battent ensemble contre un nouvel ennemi : le terrorisme. La question est encore de savoir, jusqu’à quel point les dirigeants de la GrandeBretagne sont capables de soutenir leur allié américain, malgré la réticence de l’opinion publique britannique. Au regard de ce que nous avons exposé, on peut se demander s’ils se sentent davantage dépendants ou redevables de l’aide de cet allié si spécial?
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Bibliographie
- Les relations anglo-américaines de 1945 à 1990 : une « Special Relationship » ? De Michael Parsons, éditions Ophrys-Ploton. La "relation spéciale" Royaume-Uni/Etats-Unis, entre mythe et réalité (1945-1990) D’Agnès Alexandre-Collier, éditions du Temps
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- Anglo-American relations in the twentieth century De R. Ovendale, éditions Basingstoke, Macmillan
- The Special Relationship, Anglo-American relations since 1945 De Roger Louis et Hedley Bull, Oxford University Press - Churchill’s grand alliance, the Anglo-American relationship 1940-1957 De John Charmley, édité par John Curtis
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