-darantiere2_r2ie-1

  • Uploaded by: Terry Brown
  • 0
  • 0
  • June 2020
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View -darantiere2_r2ie-1 as PDF for free.

More details

  • Words: 3,983
  • Pages: 12
Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Série Publications Numériques

L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de "sentinelles professionnelles citoyennes"

Par Philippe DARANTIÈRE Professeur associé ICOMTEC – Université de Poitiers

1

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Résumé L’image de l’intelligence économique est régulièrement entachée en France par la médiatisation de cas révélant des pratiques illégales ou attentatoires à la bonne réputation de cette discipline. En réaction, deux voies sont habituellement proposées : la normalisation des pratiques par les instances professionnelles, sous la forme d’un code de déontologie qui peine à produire des effets, ou l’adoption d’une éthique professionnelle individuelle, qui ne repose que sur la conscience des praticiens et se heurte aux réalités de la concurrence. Une troisième voie est ici proposée : la création d’un Observatoire des pratiques éthiques en intelligence économique, qui assurerait un rôle de sentinelle professionnelle en usant du caractère pédagogique et dissuasif de la révélation des pratiques déviantes de la profession.

*** Abstract The image of competitive intelligence is regularly darkened in the French media by coverage of cases revealing illegal practices or behaviour opposed to the good reputation of all professionals. In response, two approaches are usually proposed: the standardization of practices by professional bodies, or the promotion of an individual professional ethical. But a code of ethics is hard to produce effects, and awareness of practitioners themselves is facing with the reality of competition. A third way is proposed here: the creation of an ethical practices monitoring in competitive intelligence. It should act as a professional sentinel, using the educational and deterrent effect of disclosure bad practices of the profession.

2

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

1) Quelles leçons tirer d’un cas concret ?

« Nul ne peut arguer de sa propre turpitude » dit un principe de droit. C’est pour exploiter cet adage qu’une mission d’intelligence économique réalisée en 1996-1997 conduisit à élaborer un stratagème qui servira ici à poser la question des limites déontologiques de l’intelligence économique. Peut-on, au nom de la défense d’intérêts économiques, s’autoriser à transgresser ce que la norme commune pose comme une limite éthique dans la conduite des affaires ? Dès lors, où fixer la nouvelle limite ? Au nom de quel principe ? Et comment en exercer le contrôle ? Le contexte est celui, tristement classique, de la concurrence déloyale et de la nécessité d’en apporter une preuve pour pouvoir l’exploiter. Des industriels étaient empêchés d’utiliser des matières premières d’importation, mais aussi d’exporter certains produits de leur filière, par une décision normative adoptée en France par l’organisation professionnelle à laquelle ils appartenaient. Or ils furent informés par la rumeur que certains membres éminents de la profession continuaient leurs échanges avec l’étranger, malgré l’interdiction à laquelle ils avaient apporté leur voix au sein des instances professionnelles - interdiction ratifiée par une directive de l’administration publique. La mission confiée à un prestataire en intelligence économique consistait à réunir les preuves de ce trafic et à les exploiter de manière à mettre en cause les coupables sans exposer les commanditaires, qui souhaitaient profiter de la crise que ces révélations provoqueraient sans en apparaître les instigateurs. Le mode opératoire retenu fut d’induire en erreur les professionnels soupçonnés. Ils se virent approchés par un intermédiaire qui proposait ses services : soit d’offrir des débouchés commerciaux à l’étranger à des produits français frappés par l’interdiction, soit d’importer en France des matières premières d’origine douteuse qui pourraient être facilement intégrés dans la chaîne de production de produits qui recevraient le label « fabriqué en France ». Pour parfaire le stratagème, une fausse structure commerciale avait été créée, filiale supposée d’une société immatriculée dans un paradis fiscal européen… De la sorte, il devenait impossible de

3

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

vérifier la réalité de l’existence du mystérieux intermédiaire. Pour pousser la sécurité du dispositif au maximum, une enquête commerciale fut confiée à une société spécialisée en assurance crédit. Son rapport conclut, fort objectivement, que la société ciblée était « la représentation commerciale d’une société d’import-export luxembourgeoise, sur laquelle il n’avait pas été possible de recueillir d’information ». L’entrée en relation commerciale était considérée comme « envisageable, sans qu’il soit possible d’apporter une notation en matière d’assurance crédit ». Le résultat de cette enquête fut jugé assez solide pour servir au stratagème imaginé : il était peu vraisemblable qu’une direction des achats, même soupçonneuse, pousse plus loin les vérifications. C’est exactement ce qui se passa. Des responsables de plusieurs entreprises furent contactés. Certains déclinèrent la proposition en expliquant qu’une telle transaction était depuis peu interdite en France par la réglementation professionnelle. D’autres, moins scrupuleux, acceptèrent d’entrer en relation, et des échanges de fax établirent les intentions d’achat de matière première ou d’exportation de produits destinés à une filière désormais illicite. La première étape du stratagème avait fonctionné, le reste se déroula sensiblement sur le même mode et la mission se solda par un succès global par rapport aux objectifs visés. Les entreprises peu respectueuses des règlements furent dénoncées aux instances de la profession sans que les instigateurs de la mission ne soient soupçonnés, ce qui leur permit de prendre dans les structures professionnelles des places de choix devenues vacantes… L’intérêt de cette anecdote ne réside pas tant dans le détail des moyens utilisés que dans la mesure où elle sert de support à un questionnement plus large sur l’éthique en intelligence économique. En effet, les procédés du stratagème, dont on a dit qu’ils avaient pour but d’induire une cible humaine en erreur, reposent explicitement ici sur le mensonge : dissimulation des buts, travestissement des identités, promesses fallacieuses destinées à tromper, détournement de documents compromettants par abus de confiance, etc. Et pourtant, le contexte de cette mission était celui de la défense d’intérêts économiques bafoués par une malhonnêteté que la mission d’IE avait pour but de dévoiler et de dénoncer. Son objectif fut atteint dans la mesure même où, comme il est dit en préambule, « nul ne peut arguer de sa propre turpitude ». Les victimes du stratagème, ayant eu l’intention de transgresser les règlements de la profession, n’étaient pas fondées à se plaindre d’avoir été pris au piège de leur ambition malhonnête. Ellesmêmes étaient prêtes à dissimuler une transaction fautive, à travestir l’origine de leurs produits, à feindre le respect des règles qu’elles bafouaient en cachette…

4

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

La question posée est donc celle-ci : pour faire prévaloir le bon droit, l’intelligence économique peut-elle utiliser des procédés trompeurs ? Quelles limites faut-il se fixer dans le choix des moyens ? Quelle place la déontologie doit-elle occuper dans l’exercice de la pratique professionnelle ? Deux pistes seront ici explorées, avant de proposer une approche plus large des questions liées au respect de l’éthique professionnelle en intelligence économique.

2) La normalisation éthique par les codes de déontologie

La première piste éthique est celle de la pragmatique, qui consiste à soutenir que la seule barrière déontologique qui vaille est le respect de l’intérêt supérieur du donneur d’ordre. Une récente affaire d’intrusion informatique, réalisée par une société d’intelligence, économique visant un cadre de Greenpeace, illustre à propos cette notion : en exposant le groupe EDF, le prestataire, -dont la culpabilité reste à être jugée selon le droit-, nuit gravement à son client. C’est la principale faute déontologique qui peut lui être reprochée. Un comportement éthique en investigation économique devrait donc découler de ce principe, soumettant à un jugement prudentiel le choix des moyens ordonnés à une fin, afin de ne pas nuire au commanditaire. Dans l’exemple qui a été développé plus haut, ce principe de l’intérêt supérieur du client a dicté le choix de faire « tester » la solidité du stratagème par une société de renseignement commercial. Tous les détails de la mission ont été soumis au même choix. Il s’agissait avant tout de dissimuler l’origine de l’opération, de cloisonner le plus possible avec les donneurs d’ordre, de les rendre insoupçonnable quand bien même l’opération aurait échoué. Dans une certaine mesure, cette conception de la déontologie professionnelle s’est trouvée justifiée par les faits. Le stratagème utilisé n’a fait qu’exploiter deux défauts connaturels à l’homme : la négligence et l’indiscrétion, pour tendre aux cibles un piège dans lequel elles sont elles-mêmes tombées. Des industriels imprudents étaient prêts à entrer en relation d’affaire avec un intermédiaire jusqu’alors inconnu de la profession : ils se sont fait circonvenir… Quand le piège s’est refermé sur eux, il était trop tard : remonter à son auteur était devenu impossible, il avait disparu, mieux, il n’avait jamais existé… Le problème posé par cette conception est que le seul juge des moyens est, selon le principe appelé « effet d’aubaine » (BOURION, 2008), la perfection technique qui fait croire que

5

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

l’investigation parfaite est toujours possible, à condition d’y mettre le prix : « pas vu, pas pris ». Interrogeant la déontologie professionnelle, c'est-à-dire l’ensemble des normes qui dictent leurs actes aux praticiens de l’intelligence économique, l’exemple décrit plus haut répond aux principaux impératifs éthiques qui figurent dans les différentes chartes de la profession. Celle de la Fédération des professionnels de l’intelligence économique (FéPIE) édicte entre autre ceci : Article 5 Les signataires de la Charte s’engagent à ne fournir que des informations accessibles par des moyens légaux. Ils ne délivrent et n’utilisent que des informations dont ils ont vérifié la véracité et la crédibilité de la source. S’agissant du respect de la loi, on constate que si l’usurpation d’identité est interdite, l’usage d’un pseudonyme ne l’est pas ; le détournement de correspondance privée est interdit, pas l’exploitation d’un courrier dont on est destinataire ; l’abus de confiance est réprimé s’il a pour but de provoquer un préjudice, pas quand il a pour but la révélation d’une infraction, etc. Article 6 Le contrat établi entre les parties comporte obligatoirement une clause de confidentialité concernant les informations et données fournies par le client et celles recueillies à son profit au cours de la mission. S’agissant de la confidentialité, l’identité des donneurs d’ordre a été préservée jusqu’à aujourd’hui (y compris dans la rédaction de cet article), de même que celle des cibles de la mission. En échos à ces observations, on rappellera que le 6 mars 2009 s’est tenu à Paris les Etats Généraux de la profession des « agents de recherche privée », réunissant un nombre important de détectives privés français. Alain Juillet, Haut Responsable de l’Etat chargé de l’intelligence économique, y a tenu ce propos : « Pourquoi prendre le risque d’enfreindre la loi, alors que 95 % des informations sont accessibles facilement et en toute légalité ». Il semble donc que la ligne de conduite préconisée par le haut responsable à l’intelligence économique rejoigne celle de la déontologie professionnelle : hors de l’infraction, tout est permis. Respectant l’éthique de l’intérêt supérieur du client, la déontologie professionnelle

6

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

recommande d’agir dans le cadre légal, seule solution garantissant véritablement de ne pas nuire à son donneur d’ordre. Cependant, fonder l’éthique professionnelle sur le seul respect de la loi et du droit présente un inconvénient déjà souligné par Kant : le droit est hétéronome (nul ne peut être à la fois juge et partie), alors que l'éthique dérivant des règles de la morale est autonome (chacun est son propre juge et c’est la voix de conscience qui joue le rôle de censeur). Or les chartes éthiques de l’intelligence économique, dans la mesure où elles ne comportent pas de sanction, ne font que renvoyer à la justice la responsabilité de punir les transgressions. « A la différence des codes de déontologie élaborés par des ordres professionnels qui acquièrent une valeur réglementaire via un décret, la déontologie d’entreprise n’a pas de juridicité particulière » (ANTONMATTEI, VIVIEN, 2007). En ce sens, elles contribuent à établir une illusion déontologique, en feignant d’encadrer les pratiques professionnelles alors qu’elles ne font que protéger ceux qui les édictent. Affirmer, comme le fait le code déontologique de la FéPIE à son article 3, que « Les professionnels de l’intelligence économique s’engagent à ne pas porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la France », ne sert qu’à énoncer un principe de patriotisme économique. Un tel article permet-il, même a posteriori, de juger la pratique du prestataire d’EDF qui s’est introduit sur les ordinateurs de Greenpeace ? La réponse est sans doute non. Au mieux, le caractère cumulatif des articles d’un code de déontologie peuvent servir à délimiter un champ de pratique professionnelle. Au pire, ils ne font que décrire de manière non contraignante ce que la loi exprime déjà en termes répréhensibles.

3) La promotion d’une éthique professionnelle individuelle

La deuxième piste éthique à envisager est donc celle d’une morale personnelle, qui défende au praticien de l’intelligence économique d’utiliser des moyens qu’elle réprouve. La problématique de renseignement qu’il doit traiter se trouve ici encadrée par des limites morales qu’il s’interdit lui-même de franchir pour rester fidèle à une « ligne de conduite ». C’est donc une conception de l’honneur professionnel qui est ici en jeu : il n’existe pas de mission qui vaille la peine de se déshonorer par des pratiques indignes. Une éthique fondée sur la pratique s’oppose donc à une éthique pragmatique dans la mesure où elle s’attache à qualifier l’agir professionnel, considéré en lui-même comme acte moral, et non pas l’acte dans ses seules conséquences. L’acte moral

7

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

concerne le décideur lui-même, pas de la structure à laquelle il appartient. Il s’agit ici de mettre au centre des pratiques professionnelles non pas l’entreprise, personnalité juridique dénuée de conscience unifiée et de psychisme propre, mais la personne, individualité douée d’une existence physique, dotée du libre arbitre et d’une conscience autonome. Seules les personnes physiques peuvent être qualifiées d’éthiques. Elles sont d’ailleurs les composantes essentielles des personnes morales. Seul l’engagement personnel peut, dans le domaine de l’éthique, donner lieu à une certification. Il serait illusoire de prétendre labelliser une éthique institutionnelle, en dehors de l’appartenance à un ordre professionnel réglementé. Faire preuve d’engagement éthique, pour un praticien de l’intelligence économique, c’est avant tout désirer acquérir une sagesse professionnelle : interroger sa conscience et exercer son discernement, afin de prendre du recul sur sa façon d’être et de travailler. La formation initiale des professionnels de l’intelligence économique est le fondement essentiel à cette éthique personnelle. Il s’agit de développer chez eux un habitus professionnel au sens aristotélicien, une disposition permanente à agir d’une certaine façon acquise par l’habitude pratique : « Il y a des habitus professionnels, des ‘mentalités propres’ qui sont en somme les éthiques particulières à chaque domaine d’action » (CANIVEZ, 1995). Dans l’exemple donné plus haut, la conscience professionnelle pouvait donc engager le prestataire à aller au-delà du seul intérêt du client. Le choix des moyens pouvait se confronter à des préceptes moraux, comme celui de la vérité : « se taire, c’est ruser ; mentir, c’est tricher » rappelle Guy Massé (MASSE, THIBAUT, 2001). Un stratagème reposant sur la recherche de la confiance puis la violation délibérée de celle-ci pouvait poser le problème de la parole donnée. Peut-on fonder une pratique professionnelle sur le principe de la trahison, même légalement assumée ? La défense économique de clients de bonne foi devait-elle s’accommoder de la mauvaise foi affichée dans la transaction fictive qui permit de confondre les fraudeurs ? Les réponses à ces questions d’ordre moral doivent évidement être renvoyées à la conscience individuel du praticien. Il n’appartient pas à une profession de dire à la place de ses membres ce que leur conscience devrait leur dicter. Or on touche ici aux limites de la morale individuelle : son caractère relatif. Le choix éthique ne vaut que s’il n’est pas contredit par l’action d’un concurrent, qui transgressera les règles au nom du principe relativiste selon lequel la fin justifie les moyens.

8

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Un code de conduite individuel exigeant peut donc se révéler contre-productif dans un contexte de concurrence qui valorise la performance collective au détriment de la morale individuelle. Une éthique professionnelle fondée sur un code d’honneur ne vaut que si la même conception de l’honneur est partagée par tous. Ainsi, la charte déontologique établie par une association professionnelle n’engagera que les membres qui y adhèrent. Et, de l’aveu même du Président de la FéPIE, « certains ne veulent pas signer » (le Nouvel économiste, 21 mai 2009)… Il est donc nécessaire d’envisager une troisième option. Comment réprimer des pratiques non éthiques sans la sanction du droit ? Comment contraindre des praticiens à respecter un comportement éthique sans les enrégimenter de force ? La solution est de créer les conditions dans lesquelles ces personnes aient intérêt à bien faire. Le caractère disciplinaire de la loi ne suffit pas. L’incitation individuelle à adopter une pratique éthique doit s’appuyer sur la dissuasion collective de la transgression. Ce dont la profession de l’intelligence économique a besoin, c’est d’une vigilance professionnelle citoyenne.

4) Plaidoyer pour un observatoire des pratiques éthiques en intelligence économique

Un Observatoire des pratiques éthiques en intelligence économique pourrait contribuer à l’adoption d’une déontologie partagée par la profession, dans la mesure où ses interventions consisteraient à valoriser les bonnes pratiques en donnant par contraste de la visibilité aux procédés répréhensibles. Selon le professeur Antonmattéi, « l’éthique se réfère plus directement à l’action de chaque individu considéré comme acteur au sein d’un ensemble plus vaste (…), la déontologie est fondée sur un référentiel plus structurant de l’activité d’une profession. » (ANTONMATTEI, VIVIEN, 2007). Les deux concepts se nourrissant l’un l’autre, on peut imaginer un dispositif de vigilance éthique citoyenne qui soutienne la normativité de la déontologie professionnelle, dont les associations assurent la garde. « Un dispositif d’alerte professionnelle est un ensemble de règles organisant la possibilité, pour un salarié ou toute autre personne (…) de signaler (…) : - des actes contraires à des dispositions législatives ou réglementaires, aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail (…) ou à des règles d’origine éthique ou

9

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

déontologique, qui nuisent gravement au fonctionnement (de la profession) ; - des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; - des atteintes à la santé physique et mentale (des personnes). » (ANTONMATTEI, VIVIEN, 2007). La vigilance exercée par un tel observatoire contribuait à dissuader les donneurs d’ordre d’avoir recours à des praticiens dont la notoriété serait entachée sur le plan éthique. Par un travail de médiatisation, les praticiens déviants exposeraient leur client à un réel risque de réputation. En juin 2008, des révélations ont été faites en Suisse par l’ONG de vigilance éthique Transparency International sur l’infiltration d’un groupe de militants d’ATTAC rédigeant un livre sur les multinationales de l’eau, par un salarié de l’agence SECURITAS agissant pour le compte de NESTLE. Après examen du cas, la justice n’a retenu aucune infraction. En revanche, la médiatisation de cette affaire et son impact en termes de réputation, tant pour SECURITAS que pour NESTLE, ont produit un incontestable effet dissuasif. « En plus de l’effet pédagogique, il y a un effet dissuasif lié au risque d’être signalé. » (BOURION, 2008). Un observatoire indépendant, dont les interventions seraient complémentaires de l’action normative des associations professionnelles, pourrait donc contribuer efficacement à la promotion et au développement de pratiques éthiques de la part des professionnels. Par la médiatisation des cas délictueux ou simplement déviants, par un travail d’explication pédagogique des enjeux de l’éthique en IE en direction des donneurs d’ordres, des praticiens, de l’administration et du public, par des enquêtes, des panels et un travail de classification, l’observatoire pourra devenir la troisième composante, indispensable, d’une politique de régulation éthique de la profession d’intelligence économique. Christian Bourion l’appelle « une régulation du troisième type » et en démontre ainsi l’efficacité (BIBARD, THEVENET, BOURION, 2009) : - dans la régulation du premier type, chacun se régule soi-même, c’est le rôle de la conscience, de l’honneur professionnel, l’efficacité est forte sur soi-même et faible sur les autres, la qualité de la régulation dépend de chaque acteur et de celle de l’éducation reçue ; - dans la régulation du deuxième type, une instance spécialisée se charge de la régulation, c’est le rôle du législateur et du juge, l’efficacité est uniquement répressive, faible sur celui qui ne transgresse pas et forte dans le cas inverse, chacun peut donc estimer ne pas être concerné (« la règle implicite est : il ne faut pas se faire prendre. Comme ça ne marche pas, on multiplie sans

10

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

arrêt les lois et règlements et au lieu de résoudre le problème, on l’amplifie » [BIBARD, THEVENET, BOURION, 2009]) ; - dans la régulation du troisième type, chacun est gardien de l’éthique et régule son environnement, l’efficacité est forte sur soi-même et les autres, il n’y a pas d’inconvénient pour les gens honnêtes mais l’ambiance devient insupportable pour les déviants. Le présent article fait suite à un travail de réflexion mené avec les étudiants en deuxième année de Master d’intelligence économique et communication stratégique à l’ICOMTEC de l’Université de Poitiers durant l’année universitaire 2008-2009. Il serait sans doute bénéfique que la communauté professionnelle réunie autour de la Revue internationale d’intelligence économique puisse prolonger cette démarche de réflexion, voire lui donner un prolongement pratique.

11

Pour citer cet article: DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Bibliographie sommaire : Guide des bonnes pratiques en matière d’intelligence économique Service de Coordination à l’Intelligence Economique, Ministère de l’économie et du budget, Paris, 2009 Intelligence économique : un guide pour une économie de l'intelligence Guy Massé, Françoise Thibaut, De Boeck - Wesmael, 2001 Adam et Eve face au serpent, Aubaines et incivilités entretiendraient-elles des rapports de proximité ? Explication par les effets de boucle, Christian Bourion, Revue internationale de Psychosociologie N° 34, 2008 Ethique de la proximite sous la direction de Laurent Bibard, Maurice Thevenet et Christian Bourion, Paris, ESKA, 2009 Eduquer le citoyen ? Patrice Canivez, Paris, Hatier, 1995 Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français : état des lieux et perspectives, Paul-Henri Antonmattéi et Philippe Vivien, la Documentation française, 2007

12

More Documents from "Terry Brown"

Bang
June 2020 15
-darantiere2_r2ie-1
June 2020 14
Info
June 2020 11
16 Campg Explication
June 2020 14